Sommaire

Présidence de Mme Nathalie Delattre

Secrétaires :

Mme Martine Filleul, M. Jacques Grosperrin.

1. Procès-verbal

2. Modification de l’ordre du jour

3. Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Jean Sol, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.

4. Salutations à un conseil municipal en tribune

5. Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? – Suite d’un débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Alain Joyandet ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Alain Joyandet.

Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.

M. Daniel Breuiller ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Daniel Breuiller.

Mme Nadège Havet ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.

M. Hervé Gillé ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Hervé Gillé.

Mme Marie-Claude Varaillas ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.

M. Jean-François Longeot ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Jean-François Longeot.

M. Éric Gold ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Éric Gold.

M. Jean-François Husson ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Jean-François Husson.

Mme Marta de Cidrac ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; Mme Marta de Cidrac.

Mme Florence Blatrix Contat ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; Mme Florence Blatrix Contat.

M. Pierre Louault ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Pierre Louault.

Conclusion du débat

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie

M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective

Suspension et reprise de la séance

6. Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Alain Marc ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Thomas Dossus ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Julien Bargeton ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Sabine Van Heghe ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Sabine Van Heghe.

Mme Céline Brulin ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean Hingray ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Jean Hingray.

Mme Esther Benbassa ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Esther Benbassa.

M. Bernard Fialaire ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Bernard Fialaire.

Mme Marie Mercier ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Marie Mercier.

M. Yan Chantrel ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Béatrice Gosselin ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Béatrice Gosselin.

Mme Sylvie Robert ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Sylvie Robert.

Mme Sabine Drexler ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Sabine Drexler.

Mme Toine Bourrat ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Toine Bourrat.

Conclusion du débat

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains

7. École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi

Rappel au règlement

M. Jean Louis Masson

Discussion générale (suite)

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture

M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

Demande de priorité

Demande de priorité des articles nos 10 et 11 par M. Jean Louis Masson. – M. Jacques Grosperrin, rapporteur ; M. Pap Ndiaye, ministre. – Rejet.

Discussion générale (suite)

Mme Monique de Marco

M. Julien Bargeton

Mme Marie-Pierre Monier

Mme Céline Brulin

Mme Annick Billon

Mme Esther Benbassa

M. Bernard Fialaire

Mme Céline Boulay-Espéronnier

M. Franck Menonville

M. Olivier Paccaud

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

Organisation des travaux

Avant l’article 1er

Amendement n° 82 rectifié de Mme Monique de Marco. – Retrait.

Article 1er

Mme Sylvie Robert

M. Yan Chantrel

M. Max Brisson

M. Stéphane Piednoir

M. Cédric Vial

M. Julien Bargeton

Mme Céline Brulin

M. Olivier Paccaud

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture

Amendements identiques nos 27 de Mme Marie-Pierre Monier, 56 de Mme Céline Brulin et 83 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet des trois amendements.

Amendement n° 9 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 20 rectifié de M. Stéphane Sautarel. – Rejet.

M. Patrick Kanner

M. Max Brisson

M. Pierre Ouzoulias

M. Olivier Paccaud

Mme Céline Brulin

Adoption, par scrutin public n° 269, de l’article modifié.

Après l’article 1er

Amendement n° 29 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.

Amendement n° 71 de M. Pierre Ouzoulias. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 2

M. Max Brisson

Mme Sonia de La Provôté

Mme Céline Brulin

Amendements identiques nos 28 de Mme Marie-Pierre Monier, 52 du Gouvernement et 84 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet des trois amendements.

Amendement n° 11 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Amendement n° 57 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 2

Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 46 rectifié de M. Stéphane Piednoir. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 45 rectifié de M. Stéphane Piednoir. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 2 bis (nouveau)

M. Rémi Féraud

Mme Elsa Schalck

Amendement n° 53 du Gouvernement. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 3

Amendements identiques nos 30 de Mme Marie-Pierre Monier, 58 de Mme Céline Brulin et 85 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet des trois amendements.

Adoption de l’article.

Article 4

M. Max Brisson

Amendement n° 31 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.

Amendement n° 74 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 4

Amendement n° 60 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Article 5

Amendements identiques nos 32 de Mme Marie-Pierre Monier et 91 rectifié de Mme Monique de Marco. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 33 de Mme Sylvie Robert. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 6

Mme Marie-Pierre Monier

M. Julien Bargeton

Mme Monique de Marco

Amendement n° 61 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Amendement n° 94 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 38 de Mme Sylvie Robert. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 7

Amendement n° 63 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Amendement n° 39 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 7 bis (nouveau)

M. Olivier Paccaud

Amendements identiques nos 51 de Mme Marie-Pierre Monier et 62 de Mme Céline Brulin. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l’article.

Article 7 ter (nouveau) – Adoption.

Article 8

M. Max Brisson

M. Olivier Paccaud

M. Lucien Stanzione

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture

Amendement n° 64 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Adoption de l’article.

Après l’article 8

Amendement n° 42 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.

Amendement n° 41 de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.

Article 9

Mme Marie-Pierre Monier

Amendement n° 13 rectifié de M. Stéphane Sautarel. – Rejet.

Amendement n° 48 rectifié de M. Stéphane Piednoir. – Rejet.

Amendement n° 16 rectifié de M. Stéphane Sautarel. – Retrait.

Amendement n° 12 rectifié de M. Édouard Courtial. – Retrait.

Amendement n° 14 rectifié bis de M. Stéphane Sautarel. – Retrait.

Amendement n° 69 de Mme Céline Brulin. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Après l’article 9

Amendements nos 3 et 7 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.

Article 10

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

M. Pierre Ouzoulias

M. Yan Chantrel

M. Max Brisson

Amendements identiques nos 22 de M. Thomas Dossus, 43 de Mme Sylvie Robert, 54 du Gouvernement, 66 de Mme Céline Brulin et 75 de M. Henri Cabanel. – Rejet des cinq amendements.

Amendement n° 23 de M. Thomas Dossus. – Rejet.

Amendement n° 70 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.

Amendement n° 6 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.

Amendement n° 77 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Retrait.

Amendement n° 5 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.

Adoption de l’article.

Après l’article 10

Amendement n° 79 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Retrait.

Amendement n° 80 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Retrait.

Amendement n° 78 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 76 rectifié de M. Bernard Fialaire. – Retrait.

Article 11

Amendements identiques nos 24 de M. Thomas Dossus, 25 rectifié bis de Mme Annick Billon, 44 de Mme Sylvie Robert, 55 du Gouvernement et 68 de Mme Céline Brulin. – Adoption, par scrutin public n° 270, des cinq amendements supprimant l’article.

Amendement n° 4 de M. Jean Louis Masson. – Devenu sans objet.

Amendement n° 26 rectifié ter de Mme Céline Boulay-Espéronnier. – Devenu sans objet.

Après l’article 11

Amendement n° 47 rectifié de M. Stéphane Piednoir. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 12 – Adoption.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 8 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.

Vote sur l’ensemble

M. Thomas Dossus

M. Max Brisson

M. Jacques Grosperrin, rapporteur

M. Julien Bargeton

Adoption, par scrutin public n° 271, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Martine Filleul,

M. Jacques Grosperrin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mardi 9 mai des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, après l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

Acte est donné de cette demande.

Le délai limite pour les inscriptions de parole sera fixé au vendredi 5 mai, à 15 heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ?

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur le thème : « L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de répartie, pour une minute.

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jean Sol, au nom de la délégation qui a demandé ce débat.

M. Jean Sol, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. « Qui dit eau dit santé, assainissement, hygiène et prévention des maladies ; dit paix ; dit développement durable, lutte contre la pauvreté, soutien aux systèmes alimentaires et création d’emplois et prospérité. […] C’est pourquoi l’eau doit être au centre de l’agenda politique mondial. » Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est par ces mots qu’António Guterres, secrétaire général des Nations unies, concluait la Conférence des Nations unies sur l’eau, le 24 mars dernier.

En France aussi, l’eau est au cœur du développement de nos territoires, de notre agriculture, de notre système énergétique, puisqu’il faut beaucoup d’eau pour refroidir les centrales thermiques.

L’eau est également essentielle à l’équilibre des écosystèmes et, quand elle vient à se dégrader, à manquer ou, à l’inverse, à être en trop, les conséquences sont dramatiques.

Plus trivialement, l’eau est au cœur de notre vie quotidienne. Nous ne faisons même plus attention à la prouesse que constitue le fait d’avoir tout le temps à notre disposition une eau de qualité, simplement en ouvrant le robinet, et pour un coût relativement modeste, de 4,30 euros en moyenne pour 1 000 litres, assainissement compris.

Cela sera-t-il toujours le cas ?

L’année dernière, plus de 2 000 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau potable.

La sécheresse s’installe comme une situation non plus exceptionnelle, mais habituelle et récurrente. Dans un pays tempéré comme le nôtre, c’est un choc culturel.

Dans l’Hexagone, nous recevons chaque année plus de 500 milliards de mètres cubes de précipitations, dont un bon tiers s’infiltre dans le sol ou va dans nos rivières. C’est ce que l’on appelle les « pluies utiles », qui représentent 200 milliards de mètres cubes.

En toute logique, nous ne devrions pas avoir de difficulté, puisque nous utilisons de l’ordre de 30 à 32 milliards de mètres cubes par an : 15 pour le refroidissement de nos centrales, 5 pour l’alimentation des canaux, 5 pour l’eau potable, 3 pour l’agriculture et un peu moins de 3 pour l’industrie.

Bien sûr, il faut laisser une partie de cette eau dans les nappes, dans les rivières et, plus largement, dans les milieux, mais nous devrions pouvoir répondre à tous nos besoins.

Malheureusement, le réchauffement climatique change la donne. L’étude Explore 2070 indique que le débit de nos rivières va baisser de 10 % à 40 %. D’une année sur l’autre, nous pouvons connaître des variations importantes de précipitations.

La sécheresse extrêmement forte que nous avons connue en 2022, qui vient après d’autres étés secs, a fait prendre conscience que nous n’allions pas échapper à une remise en cause de nos modèles.

Au 1er mars de cette année, 80 % des nappes phréatiques sont encore à un niveau considéré comme bas par le Bureau de recherches géologiques et minières.

Aucune région n’échappe au phénomène : l’année dernière, c’est la quasi-totalité des départements qui a été touchée par des arrêtés sécheresse.

Pour l’eau, l’été, entre juin et août, devient de plus en plus critique et, à l’heure où nous parlons, les perspectives estivales 2023 sont particulièrement sombres.

La délégation sénatoriale à la prospective a déjà tiré le signal d’alarme en 2016, avec l’excellent rapport d’information Eau : urgence déclarée de nos collègues Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet.

Début 2022, nous avons lancé de nouveaux travaux pour actualiser nos données, affiner notre analyse, avec pas moins de quatre rapporteurs – Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et moi-même –, au nom desquels je parle aujourd’hui.

Notre rapport d’information, articulé autour de huit axes, s’intitule Éviter la panne sèche – Huit questions sur lavenir de leau. De fait, sans être alarmistes, il nous faut être lucides : nous pouvons gérer l’eau dans la nouvelle période qui s’ouvre, mais il va falloir nous en donner les moyens.

Ces moyens existent.

Depuis 1964, nous avons une gouvernance de l’eau par grand bassin hydrologique reposant sur les agences de l’eau, une planification pluriannuelle, à travers les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), des moyens financiers, mobilisés grâce aux redevances – plus de 2 milliards d’euros par an.

Nous avons des collectivités territoriales impliquées dans le petit comme le grand cycle de l’eau, qui se sont parfois regroupées dans des établissements publics de bassin, pour gérer en commun les ressources et les milieux avec, comme philosophie, la démocratie de l’eau.

Bref, nous sommes armés pour faire face aux défis de l’avenir de l’eau, mais nous sommes aussi en difficulté pour définir ce que nous voulons pour mieux gérer notre eau.

D’un point de vue qualitatif, nous continuons à poursuivre un objectif d’excellence, fixé d’ailleurs par les textes européens, comme la directive-cadre sur l’eau. Malheureusement, le bon état des masses d’eau souterraines et de surface ne sera pas atteint à l’échéance retenue par la directive, qui a pourtant déjà été reportée à 2027. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas continuer nos efforts. Lutter contre les pollutions organiques, les nitrates, les résidus de pesticides, les résidus médicamenteux, les pollutions plastiques ou les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) est un enjeu de santé publique non négociable.

D’un point de vue quantitatif, l’équation se corse. La priorité doit être la sobriété. C’est en tout cas ce qu’a déclaré le Président de la République en présentant, le 30 mars dernier, le plan Eau du Gouvernement, qui comporte 53 mesures. Nous le disons aussi dans notre rapport d’information.

Toutefois, cela ne doit pas se faire en partant d’un dogme d’interdiction de toute nouvelle retenue d’eau. Gérer l’eau est consubstantiel à la civilisation. Refuser par principe de le faire, c’est se condamner à des difficultés futures pour tous, à commencer par les agriculteurs.

La première recommandation de notre rapport d’information est de permettre de nouvelles retenues, dès lors que le service environnemental et économique rendu est positif.

La deuxième est de mettre en œuvre les solutions de gestion de l’eau fondées sur la nature.

Nous proposons aussi d’accélérer la transformation des pratiques agricoles pour faire face aux tensions hydriques. Disons-le tout net : faire de l’agriculture sans eau est impossible, mais améliorer les systèmes d’irrigation, les pratiques culturales, mieux gérer la ressource, c’est possible, à condition d’accompagner les agriculteurs.

La recherche et l’innovation peuvent aussi être mobilisées pour avancer, par exemple en encourageant la réutilisation des eaux usées traitées, particulièrement utile dans les zones côtières, en bout de bassin. Cette proposition de notre rapport d’information figure dans le plan Eau du Gouvernement.

La question des moyens financiers ne peut être éludée, madame la secrétaire d’État. Notre rapport d’information juge notamment indispensable de rehausser les moyens des agences de l’eau, point sur lequel le plan Eau apporte aussi une réponse.

Notre rapport d’information préconise également de davantage décentraliser la décision publique sur l’eau et de repolitiser les instances de l’eau, qui ne doit pas être l’affaire des seuls techniciens.

Enfin, nous préconisons de faire davantage de pédagogie auprès du grand public pour faire connaître les enjeux de l’eau et faire prendre conscience des efforts que nous allons tous devoir consentir.

Je conclus en insistant sur le fait que les principes de la politique de l’eau ne doivent pas nous faire perdre notre bon sens. J’évoquerai à cette fin nos vieux canaux d’irrigation des Pyrénées-Orientales. Au nom des « débits réservés », on empêche l’eau d’y circuler ; or ils contribuent à recharger la nappe, à ralentir l’écoulement de notre fleuve, la Têt, vers la Méditerranée, et font vivre un maraîchage local vertueux – vous en conviendrez !

Tuer nos agriculteurs ne résoudra pas nos soucis d’eau.

Dès lors, je formule un vœu : que l’on trouve des solutions raisonnables, comme le faisaient nos anciens, car, si l’eau est plus rare, elle n’a pas disparu, et la France ne sera jamais le Sahara. Notre intelligence collective doit nous permettre d’éviter la panne sèche. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Sol, je vous remercie de vos propos introductifs.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, trois mois nous séparent du précédent débat sur l’eau au Sénat. En effet, le 10 janvier dernier, nous nous réunissions, dans cet hémicycle, autour de l’enjeu d’une gestion résiliente et concertée de la ressource en eau dans les territoires. À ce moment précis, j’avais déjà pris connaissance avec beaucoup d’attention du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective. Je tiens à saluer de nouveau la qualité du travail fourni.

J’ai plaisir à revenir aujourd’hui sur ce sujet, quelques jours après la présentation du plan Eau par le Président de la République. Il s’agit d’un plan très complet, prévoyant 53 mesures et des moyens inédits, qui, je crois, apportent des réponses concrètes à vos préoccupations et à celles des collectivités.

La politique de l’eau est structurée. Elle est bien outillée, mais, le Président de la République l’a confirmé, nous devons aller plus loin pour être à la hauteur des enjeux environnementaux. Nous avons donc travaillé pour définir un plan d’action collectif, à partir d’une concertation notamment avec les comités de bassin, le Comité national de l’eau ainsi que des représentants des collectivités.

Nous avons désormais la méthode, le chemin pour respecter les engagements pris lors des assises de l’eau et dans le cadre du Varenne agricole de l’eau. L’ambition est bien de garantir à long terme un accès à l’eau pour tous, une eau de qualité et des écosystèmes préservés.

Le thème de votre débat s’inscrit dans l’avenir. Je m’en félicite, car je souhaite que nous soyons très concrets dans notre réflexion sur les solutions à apporter pour nous adapter aux bouleversements climatiques. Il y va également de notre avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions que vous soulèverez lors de ce débat me donneront l’occasion d’entrer plus dans le détail du plan Eau, ce dont je vous remercie. Je me tiens évidemment à votre disposition pour répondre à toutes vos interrogations.

4

Salutations à un conseil municipal en tribune

Mme la présidente. Mes chers collègues, je salue la présence, dans nos tribunes, de Mme le maire de Sainte-Terre et du conseil municipal des jeunes de cette commune.

5

Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ?

Suite d’un débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est sur la longue histoire de la gouvernance de la gestion de l’eau en milieu rural que je concentrerai mon propos.

Une majorité de communes rurales veulent conserver la gestion de l’eau, ce qui est sans doute conforme à l’intérêt général. Reste que le parcours du combattant qui leur est imposé les épuise. Ici, nous sommes leurs porte-voix, mais pas seulement, puisque nous défendons aussi des textes. J’espère que, étape après étape, nous finirons par obtenir satisfaction – mais à quel prix ? Quel temps perdu !

Je rappelle ce parcours. Il commence en 2015, avec la fameuse loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, qui oblige au transfert des compétences eau et assainissement des communes vers les communautés de communes. Ce parcours est émaillé de propositions de loi. J’en ai notamment déposé une, avec un certain nombre de collègues, en 2017. En 2017 toujours, la proposition de loi Retailleau a été adoptée, qui fait de nouveau de l’eau une compétence optionnelle. En 2018, une nouvelle loi a permis de repousser le transfert de 2020 à 2026, ce qui démontre bien l’existence d’un problème, le Gouvernement ayant accepté ce report.

Je mentionnerai d’autres étapes, comme la proposition de loi que j’ai déposée en 2020, avec un certain nombre de collègues. En 2022, une nouvelle loi a permis le maintien des syndicats infracommunautaires : on est donc passé de trois communautés de communes, à deux, puis une, nouvelle preuve qu’il existe véritablement un problème.

Mathieu Darnaud a déposé de nouveau une proposition de loi le 22 juin 2022. Puis, en 2023, une proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée des compétences eau et assainissement, qui fait passer les compétences eau et assainissement dans la catégorie des compétences optionnelles, est adoptée : 329 suffrages exprimés, 259 voix pour, 70 voix contre.

Voyez, madame la secrétaire d’État, que c’est sur toutes les travées de cet hémicycle que l’on considère qu’il y a un problème et qu’il faut y apporter une solution !

Enfin, neuvième étape, voilà quelques jours, votre ministre de tutelle a déclaré, ici même, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement – j’espère le citer fidèlement – que ce n’est pas « nécessairement » l’intercommunalité – contrairement, je le rappelle, à ce que prévoit le texte actuel –, en précisant aussitôt que ce n’est pas non plus les « communes isolées ».

Madame la ministre, qu’est-ce que cela signifie ? Des milliers de communes attendent de savoir ce qu’elles doivent faire d’ici à 2026. Celles qui ont anticipé le transfert, pensant qu’il allait arriver de toute façon, constatent que, pour un grand nombre d’intercommunalités en milieu rural, la situation est absolument ingouvernable ! On embauche des dizaines de fonctionnaires territoriaux supplémentaires, ce qui a pour conséquence l’augmentation des prix. Dans mon département, il y a même une intercommunalité qui ne peut pas envoyer les factures d’eau à ses concitoyens depuis un an et demi…

Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire le transfert ; je fais simplement partie de ceux qui estiment qu’il faut refaire de l’eau une compétence optionnelle et, surtout, laisser les élus décider. Nos collègues élus locaux ont du bon sens et du sérieux. Ils sont, bien sûr, attachés à la quantité et à la qualité de l’eau !

Il est intolérable que des mesures venues d’en haut s’imposent à tout le monde, avec pour conséquence une multiplication par trois du prix de l’eau dans des communes rurales, sans que l’eau ait changé en quoi que ce soit. Que le tarif de l’eau augmente, parce que l’on a fait des travaux pour améliorer les réseaux, la filtration ou la qualité, est normal. Si le service public coûte plus cher, cela doit correspondre à une amélioration !

Madame la secrétaire d’État, un certain nombre d’entre nous se battent pour défendre l’intérêt de nos concitoyens. Quand on a déjà tellement d’inconvénients au quotidien en zone rurale – vous le savez –, doit-on dire aux gens qu’il faut augmenter le prix de l’eau parce que c’est la mode, parce que l’eau est notre avenir ?

Une représentante du Gouvernement dans mon département m’a même dit que c’étaient la qualité de l’eau et la santé de nos enfants qui étaient en jeu. Pourquoi casser ce qui marche bien chez nous, dans une petite commune où tout va bien, où l’eau est bonne, suffisante, où le fontainier, souvent bénévole, fait un travail extraordinaire depuis vingt-cinq ans, au prétexte qu’il faudrait que tout soit exactement pareil, quels que soient les territoires et l’importance des collectivités ?

Madame la secrétaire d’État, je vous supplie de faire l’exégèse des propos du ministre et de nous transmettre un texte le plus vite possible, de manière que des milliers de communes sachent ce qu’elles doivent faire…

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Alain Joyandet. … ou ne pas faire avant 2026.

D’avance, je vous remercie de vos réponses ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Joyandet, je tiens à rappeler que, pour 88 % des communes, c’est déjà l’intercommunalité qui assume la compétence eau et assainissement. La mutualisation sous la forme de l’intercommunalité est donc largement enclenchée pour ces communes. Les communes qui assument seules la compétence sont concentrées dans certains départements. C’est par exemple le cas des Hautes-Alpes, où le Président de la République a annoncé le plan Eau.

À cette occasion, le chef de l’État a rappelé l’importance de la mutualisation dans la capacité d’ingénierie, la capacité d’investissement, ainsi que la capacité d’innovation. Je crois que c’est essentiel pour garantir un service public efficace et, surtout, un niveau de service que méritent nos usagers.

Monsieur le sénateur, vous avez cité des exemples de communes où cela fonctionne bien. Bien sûr, il en existe, mais il y a aussi 2 000 communes qui ont connu des tensions dans l’approvisionnement en eau potable. Une large majorité d’entre elles étaient des communes isolées. Des travaux de sécurisation sont nécessaires pour améliorer leur résilience. Les 170 communes dont le rendement est de 50 % seulement sont des communes isolées. Il existe donc bel et bien un lien entre l’isolement des communes et la baisse de rendement.

Des moyens financiers sont apportés pour soutenir les collectivités en difficulté. L’État a engagé 100 millions d’euros complémentaires aux agences de l’eau en 2022 et 100 autres millions d’euros en 2023. Cela ne suffira pas : il faut que les collectivités agissent et aient la capacité d’ingénierie nécessaire.

C’est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur le transfert des compétences eau et assainissement à l’échelon communal. Mes propos seront identiques à ceux que Christophe Béchu a tenus ici même – je m’en souviens très bien, puisque j’étais présente.

M. Jean-François Husson. C’est rassurant !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. S’il peut y avoir une remise en cause de l’intercommunalité, il n’en est aucunement de même pour la mutualisation. L’échelon communal ne semble donc pas correspondre aux besoins, surtout pour les communes qui sont aujourd’hui en manque d’eau, particulièrement durant les périodes estivales.

Il a notamment été annoncé qu’une mission parlementaire allait être prochainement lancée pour examiner les solutions aux situations où l’intercommunalité ne répondait pas aux besoins du territoire, et uniquement pour ce cas.

Il est évidemment possible de revoir l’intercommunalité, mais pas la mutualisation. C’est l’esprit même de ce que le ministre a défendu, et que je réitère ici.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour la réplique.

M. Alain Joyandet. Madame la secrétaire d’État, vos propos ne répondent pas à ma question,…

M. Alain Joyandet. … puisque vous n’arbitrez pas. Je n’en suis d’ailleurs pas surpris.

Vous savez tout de même qu’aujourd’hui une intercommunalité a la possibilité de prendre la compétence puis de décider, dans la demi-heure qui suit, de la redéléguer aux communes ! Faisons donc ainsi : demandons aux intercommunalités de délibérer, de prendre la compétence et de la redéléguer aux communes dans la demi-heure qui suit.

Madame la secrétaire d’État, le texte est ainsi ! Pourquoi ne pas clarifier les choses ?

M. Alain Joyandet. Pour ma part, je ne demande d’obligation ni dans un sens ni dans l’autre. Je demande simplement de redonner aux élus locaux le pouvoir de décider.

Bien sûr qu’il faut agir dans les communes où il n’y a plus d’eau ! De fait, elles le font, elles ne nous ont pas attendus. Dans mon département, depuis trente ans, il existe des syndicats qui regroupent dix-sept ou dix-huit communes.

Faisons donc confiance à nos élus locaux, madame la secrétaire d’État. Pourquoi vouloir encore faire un truc alambiqué ? « Pas l’intercommunalité, mais pas la commune » : qu’est-ce que cela signifie ? Faut-il refaire une mission parlementaire, alors qu’il serait tellement facile de dire que, dans les communes de moins de 20 000 habitants par exemple, on remet l’eau dans les compétences optionnelles ? Un peu de simplification et de bon sens ! (M. Alain Chatillon acquiesce.)

Je vous invite à venir faire un petit séjour en Haute-Saône. Vous y serez reçue cordialement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Amel Gacquerre applaudit également.)

M. François Bonhomme. Pas que là !

M. Laurent Duplomb. Non, pas que là !

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de son dernier discours devant le Parlement néo-zélandais, Jacinda Ardern, ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande, a déclaré que le changement climatique définissait notre génération de politiciens. Je partage cette affirmation.

Sur toutes les travées de cet hémicycle et sur tous les bancs de celui de la rue de l’Université, malgré des sensibilités différentes, nous essayons de lutter contre le dérèglement climatique et ses effets. Nos visions pour y parvenir ne sont à l’évidence pas les mêmes.

Pourtant, les conséquences sont déjà là. Nous les subissons et essayons de nous adapter. C’est en cela que, quoi que nous pensions et même si nous avons beau ne pas nous occuper du changement climatique, on peut dire que celui-ci s’occupe de nous.

L’avenir de la ressource en eau en est l’exemple parfait. Je ne pense pas me tromper : nous souhaitons tous une gestion améliorée de cette ressource vitale.

L’eau régule l’ensemble du cycle de vie et notre environnement : nos mers et océans abritent une biodiversité essentielle à la vie et absorbent une part importante de notre pollution en CO2. L’accès à l’eau, à travers le monde, est l’un des principaux enjeux pour nombre de populations et, bien souvent, malheureusement, la source de conflits meurtriers. Face à cette rareté, les solutions impliquent de travailler à l’échelle mondiale, à la chaîne d’approvisionnement globale en eau, à commencer par les glaciers.

La qualité de l’eau est évidemment tout aussi importante. Les récentes détections dans notre eau potable d’un pesticide interdit depuis des années relancent ce sujet. Madame la secrétaire d’État, quelles sont les pistes envisagées en matière de gestion pour juguler des risques de ce type ? Comment s’attaquer aux causes de ces pollutions ? Surtout, comment accélérer – je vous sais sensible à ce sujet – les homologations de nouveaux produits, comme les biocontrôles, en substitution aux pesticides chimiques, sachant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et ses homologues européens sont sursaturés ?

Le stress hydrique que nous subissons depuis l’été dernier, par périodes répétées et toujours plus fréquentes, participe à nos questionnements sur l’état de cette ressource. Si nous faisons le point sur la qualité de l’eau, son manque, sur certains de nos territoires, ainsi que sur les hausses de sa consommation, nous devons inévitablement parler gestion.

C’est là que la vision libérale de l’écologie que défend le groupe Les Indépendants – République et Territoires prend tout son sens. Il est impossible de revenir en arrière, avec les méthodes d’autres siècles, pour gérer une ressource confrontée à de nouvelles problématiques. Nous sommes simplement trop avancés dans le changement climatique ; les solutions qui comptent viendront de l’innovation et de la recherche. Nous ne pouvons nous adapter qu’en regardant devant, avec un devoir d’anticiper et de prévenir.

Il faut réaliser les investissements nécessaires dans nos réseaux, dans un pilotage optimisé et une gestion intelligente de l’eau. Le système a besoin de clarifications quant aux responsabilités qui incombent à chacun, notamment au sein des collectivités.

Je salue le plan sobriété que vous avez lancé, madame la secrétaire d’État, avec certains de vos collègues. Nombre de ses propositions rejoignent ce en quoi nous croyons et ce sur quoi nous axons notre travail.

J’évoquais à l’instant la recherche et l’innovation : il est pertinent d’actualiser nos projections hydrologiques et d’évaluer les perspectives. Nous serons plus réactifs dans une gestion que je conçois comme flexible, pour une adaptation rapide. Je suis, à cet égard, particulièrement sensible aux outils qui nous permettront de prendre en compte l’aménagement de nos territoires, dans leurs spécificités. En effet, la ressource en eau n’est pas la même en Aveyron, dans l’Aube ou en Corse. Nous devons partager nos bonnes pratiques et trouver les solutions et les meilleurs instruments en fonction de nos besoins propres, qui dépendent des territoires dans lesquels nous sommes.

Vous le savez, je crois aussi beaucoup en la sensibilisation et la formation, madame la secrétaire d’État. Nous avons besoin de gens formés dans la gestion de l’eau et de sa préservation. Qu’envisagez-vous concernant la formation, notamment d’ingénieurs, en ce domaine ?

Sur le volet financement, votre plan met en lumière une nouvelle génération d’Aqua Prêts à taux bonifié. Pouvez-vous nous expliquer les évolutions que vous prévoyez ? Quid du crédit d’impôt sur les récupérateurs d’eau dans les zones en tension ? Nous avons également besoin de vos éclairages sur ce sujet.

Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le sujet de la tarification progressive de l’eau, sur laquelle le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sera saisi. Je forme le vœu que le plus d’acteurs possible, notamment des praticiens, soient associés à la réflexion.

La gestion de notre ressource en eau sera de plus en plus complexifiée par le changement climatique. Une bonne gestion impliquera un pilotage fin, qui devra allier flexibilité et adaptabilité, pour répondre à tous les enjeux de nos territoires. La recherche et l’innovation devront nous y aider.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Je vais avoir besoin d’un plus que les deux minutes qui me sont imparties pour répondre à toutes ces questions !

M. Jean-François Husson. C’est l’exercice, madame la secrétaire d’État !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. C’est du manque de temps que je me plains, monsieur le sénateur, car mon souhait est de pouvoir répondre à toutes vos questions…

Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : le sujet de l’eau est mondial. Je suis d’ailleurs très heureuse d’avoir participé à la conférence des Nations unies qui s’est tenue à New York sur cette question il y a une quinzaine de jours. Voilà quarante-six ans qu’une telle conférence n’avait pas eu lieu, alors même qu’elle permet d’évoquer ces questions avec de nombreux pays à travers le monde. C’est en effet un sujet éminemment important pour les prochaines décennies.

Bien évidemment, fournir une eau de qualité est une nécessité, pour la santé de toutes les personnes à l’échelle mondiale, mais aussi, bien sûr, pour la santé des Français.

On observe bien une tendance à la dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Je rappelle tout de même que le dépassement du seuil de potabilité est une alerte qui ne signifie pas un danger imminent pour la santé des Français. C’est un signal sur la nécessité d’agir pour inverser la tendance. L’eau potable vient, aux deux tiers, des nappes. Il convient donc de mieux prévenir les pollutions diffuses, à l’échelle des aires d’alimentation de captage.

Pour cela, nous allons accompagner des évolutions de pratiques agricoles, pour utiliser moins de pesticides, moins d’engrais chimiques dans ces zones particulièrement sensibles. Vous avez raison, la question du biocontrôle m’importe. C’est une solution qui permet d’utiliser moins de produits chimiques.

Au cours du précédent mandat, des enveloppes ont été déployées pour doper la recherche dans ce domaine : avant d’interdire l’usage de telle ou telle molécule, il faut trouver une solution de substitution relevant du biocontrôle. Un tel fonds permet précisément de mener les recherches nécessaires.

En outre, nous souhaitons accompagner les nouvelles générations pour favoriser l’installation en bio et en agroécologie.

Dans la même logique, nous apporterons 100 millions d’euros supplémentaires pour soutenir financièrement les agriculteurs qui utilisent moins d’intrants.

Évidemment, l’échelon européen a toute son importance. Le règlement pour un usage durable des pesticides, ou SUR (Sustainable Use of pesticides Regulation), est précisément en cours de négociation. Notre ambition, à ce titre, c’est une meilleure protection des captages.

Nous allons aussi agir plus vite en cas de dépassement d’un seuil sanitaire. Si la molécule en question est toujours utilisée, le préfet mettra automatiquement en œuvre un certain nombre de mesures en complément du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.

Madame la sénatrice, vous m’avez interrogée au sujet du crédit d’impôt pour les récupérateurs d’eau de pluie : nous sommes en train d’instruire les conditions de sa réactivation. Je ne manquerai pas de vous tenir informée de l’avancée de ces travaux.

Vous avez également abordé le sujet de la formation. Nous avons, en France, la chance d’avoir des établissements d’enseignement supérieur reconnus, et même réputés, pour la qualité de leur formation, notamment au sujet de l’eau…

Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, vous pourrez poursuivre lors de votre prochaine intervention.

M. François Bonhomme. Nous allons y revenir, ne vous inquiétez pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier notre collègue Jean Sol et la délégation à la prospective d’avoir demandé ce débat.

J’ai écouté, comme nous tous ici, les déclarations du Président de la République à propos de l’eau. J’ai eu la satisfaction d’entendre que des propositions que nous avions défendues en projet de loi de finances et qui avaient alors été rejetées étaient reprises dans le plan Eau. Je pense au plafond mordant des agences de l’eau, à la tarification progressive de l’eau, à l’augmentation des financements à l’agriculture biologique et pour la sortie des engrais azotés de synthèse, ou encore au développement des paiements pour services environnementaux, même si, pour ces trois mesures, nous proposions un accompagnement sur tout le territoire et non pas seulement sur les aires de captage.

Madame la secrétaire d’État, afin d’accélérer votre action contre les dérèglements climatiques et pour une gestion durable de l’eau, n’hésitez pas à consulter nos amendements passés et nos propositions actuelles. (Sourires.) En voici quelques-unes.

Notre première suggestion porte sur la qualité de l’eau. Cet enjeu essentiel est traité de manière trop superficielle dans le plan présidentiel.

La moitié des masses d’eau sont polluées par des plastiques, des nitrates, des herbicides et des pesticides. Or, sur ce sujet, vous ne dites rien ou presque. Pis, au lendemain de l’annonce du plan Eau, le ministre de l’agriculture – et des pesticides ! – demandait à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de revenir sur l’interdiction de l’herbicide S-métolachlore. Il témoignait, ce faisant, d’un remarquable sens des priorités : deux jours après étaient rendues publiques de nouvelles études confirmant la non-conformité d’un tiers de l’eau distribuée en France en raison de la présence de métabolite chlorothalonil R471 811.

Pour la qualité de l’eau, nous revendiquons un grand plan d’appui à la transition de l’agriculture vers l’agroécologie, un plan massif en faveur de l’agriculture biologique. En effet, ces dernières reposent sur des pratiques sobres en eau et permettent de retenir l’eau dans les sols par les haies, les couverts végétaux, les prairies ou les rotations longues.

La nature a ses propres solutions et les agriculteurs ont toujours répondu aux demandes de la Nation. Encore faut-il les engager sur ce chemin au lieu de défendre un modèle qui, s’il craque face aux pénuries, reste rentable pour l’agro-industrie.

Notre seconde suggestion porte sur la gestion quantitative.

Les assises de l’eau ont fixé, en 2019, un objectif de réduction de 10 % des consommations à échéance 2024. Vous le reprenez, mais à échéance 2030. Or la situation se dégrade vite : on ne peut repousser de telles échéances, exonérer l’agriculture, qui consomme 56 % de la ressource, ou encore l’industrie, dont les développements espérés, potentiellement très consommateurs, peuvent provoquer des tensions. Le projet d’extension de STMicroelectronics à Crolles en est l’illustration.

Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaitent également un moratoire sur les projets à fort impact sur les cycles de l’eau et non compatibles avec les bouleversements climatiques, qu’il s’agisse des mégabassines, des réserves d’eau pour canons à neige ou de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.

Il est aussi primordial de considérer les évolutions de la ressource en eau dans nos choix énergétiques. Je pense notamment aux risques liés à la baisse du débit d’étiage des fleuves. Il va diminuer de 20 % à 40 % d’ici à 2050. De combien va-t-il chuter d’ici à 2100, date de fin de vie de vos potentiels futurs EPR ?

Je n’oublie pas non plus les impacts de ces choix sur les milieux aquatiques, la biodiversité et la qualité de l’eau. L’été, il faudra choisir entre la préservation des milieux, la fourniture d’eau potable, la production d’électricité et l’agriculture. Qui arbitrera ? Comment le fera-t-on sans conflit ?

Pour nous, c’est à la science partagée et à la démocratie qu’il revient d’arbitrer. Nous demandons la réalisation d’études académiques en amont de tout projet affectant le cycle de l’eau et le partage des ressources.

Madame la secrétaire d’État, il y aura de plus en plus de conflits d’usage. Au fond, ce qui s’est passé à Sainte-Soline n’est que l’illustration de tensions beaucoup plus nombreuses, mais parfois moins visibles ou moins médiatisées.

L’agriculture a besoin d’eau, mais elle en a davantage besoin dans les sols que dans des mégabassines. Elle en a besoin pour alimenter des systèmes d’irrigation vertueux. (M. Laurent Duplomb sexclame.)

Pour que les conflits d’usage ne deviennent pas des conflits violents, il faut trouver des réponses démocratiques plutôt que sécuritaires.

À l’échelle de nos territoires, les commissions locales de l’eau (CLE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) doivent être généralisés. Surtout, ils doivent être réellement ouverts à tous, sans omission des associations environnementales ou de la Confédération paysanne, comme c’est le cas ici ou là.

À l’échelle nationale, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous proposent d’organiser une convention citoyenne de l’eau, portant sur les chemins de sobriété et les priorisations en temps de sécheresse.

La convention citoyenne sur la fin de vie est la preuve heureuse que les Françaises et les Français ont envie d’une démocratie ouverte, qu’ils sont capables de trouver un consensus éthique et profond sur des sujets complexes. Si une telle démarche peut éviter des affrontements dramatiques, osons ce chemin.

La France et le monde subissent à présent cette crise de plein fouet.

Faites donc confiance aux citoyens. Écoutez les organisations non gouvernementales (ONG), les scientifiques et même les parlementaires écologistes ! Écoutez les membres de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, notamment son rapporteur, Hervé Gillé, qui remettront prochainement leurs travaux. C’est indispensable pour être à la hauteur des enjeux.

En 1974, René Dumont prédisait la raréfaction de l’eau dans l’indifférence généralisée, voire sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison : aujourd’hui, nous sommes dans la crise. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Breuiller, vous avez apporté de nombreux éléments au débat.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de vos dix propositions : elles confirment que nous avons mené un travail de qualité, sous le signe de la concertation. (M. Daniel Breuiller acquiesce.) Comme vous l’avez souligné, nous en avons repris de nombreuses.

Ensuite – je vous le confirme –, nous souhaitons parvenir à une réduction de 10 % des prélèvements d’eau. Certes, nous avons opté pour une échéance en 2030 ; mais, désormais, nous précisons clairement la manière dont nous allons y parvenir. Jusqu’à présent, nous avons fixé un objectif sans nous donner les moyens. Aujourd’hui, nous disposons d’un plan complet permettant à chacun de se donner les moyens de cette ambition.

Toutes les parties prenantes doivent prendre leurs responsabilités. Collectivités territoriales, particuliers, industriels ou encore agriculteurs, chacun va contribuer à la baisse de 10 % des prélèvements.

Dans le domaine agricole, cette évolution ne sera pas facile, c’est certain. Vous insistez sur l’enjeu que représente l’irrigation, mais celle-ci ne concerne que 7 % des eaux utilisées par l’agriculture. Peut-être faudra-t-il oublier telle culture trop gourmande en eau dans tel territoire pour la développer ailleurs.

À cet égard, il faut déployer les investissements qu’exige la réutilisation des eaux usées traitées : notre pays n’a pas suffisamment œuvré en ce sens. Aujourd’hui, notre taux de réutilisation des eaux reste inférieur à 1 %, alors que celui de nos voisins espagnols, par exemple, avoisine les 13 %.

Le plan Eau nous donne les moyens d’atteindre l’objectif fixé.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.

M. Daniel Breuiller. Madame la secrétaire d’État, l’accélération et l’aggravation de la crise climatique ne nous permettent pas d’aller à un train de sénateur : nous devons changer de rythme et lancer des débats démocratiques dès aujourd’hui, face aux conflits d’usage qui – j’en ai bien peur – vont se développer.

Je prends note de vos engagements. Je vous le répète, nous sommes disposés à participer à ce travail : il y va de l’avenir, non seulement de notre pays, mais de la planète.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de l’été 2022, 93 départements ont été soumis à des restrictions de consommation d’eau du fait de la sécheresse, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées en eau par bouteilles, 32 départements sont actuellement en état de vigilance ou d’alerte renforcée et la faible pluviométrie observée ces derniers mois sur l’ensemble du territoire national interroge déjà notre gestion de cette ressource fondamentale au cours des prochains mois.

Depuis vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses ressources en eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. La délégation sénatoriale à la prospective le rappelle dans son rapport d’information : le changement climatique, dont les effets sont déjà visibles, rend notre accès à l’eau de plus en plus difficile.

Oui, le cycle de l’eau en France se modifie et va encore évoluer. Les précipitations deviendront de plus en plus irrégulières, le débit des cours d’eau se réduira et le stress hydrique s’accroîtra là où, encore récemment, cette problématique n’était pas première.

La répétition des vagues de chaleur, lourdes de conséquences comme, à l’opposé, la survenue d’épisodes de pluies extrêmement violentes imposeront une meilleure gestion quantitative de l’eau sur toute l’année. Nous devrons anticiper les événements, nous adapter aux aléas pluviométriques et à leur soudaineté tout en veillant, encore et toujours, au respect des impératifs sanitaires.

Ce défi, qui est à la fois celui du volume et celui de la qualité, il nous faut nécessairement le relever en provoquant et en favorisant la mobilisation de tous – industriels, acteurs du monde agricole, particuliers – pour la sobriété dans les usages et la compréhension partagée des enjeux et des progrès techniques à soutenir.

Face à cet état de fait, qui n’est pas uniquement conjoncturel, des mesures ont déjà été prises. Ainsi, un nouvel objectif de sobriété a été fixé par le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau : réaliser 10 % d’économies d’eau en 2030.

Les moyens seront mis en œuvre par secteur et par territoire. Chaque sous-bassin hydrographique, selon ses spécificités, sera doté d’une trajectoire particulière.

Parmi les mesures annoncées, je relève à mon tour la création d’un EcoWatt de l’eau et l’élaboration de plans sectoriels de sobriété. Je citerai également non seulement la hausse du budget des agences de l’eau et la suppression de leur plafond de dépenses, afin de lutter contre les fuites dans les réseaux, mais aussi la mise en place d’une tarification progressive de l’eau et le soutien à la réutilisation des eaux usées.

Ma question portera sur ce dernier point. Il s’agit pour notre pays de faire un véritable bond, en passant d’un taux d’environ 1 % actuellement à 10 % d’ici à 2030. Ce faisant, nous nous rapprocherons de plusieurs de nos voisins, comme l’Espagne, qui réemploie 14 % de ses eaux usées, ou l’Italie, qui en réutilise 8 %.

Pour impulser ce mouvement essentiel, plusieurs leviers seront actionnés : lancement de 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau ; lancement par l’État, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel), d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) spécifique à destination des communes littorales sur la faisabilité des projets ; mise en place d’un observatoire national ; accélération des procédures administratives.

Si, aujourd’hui, la réutilisation des eaux usées traitées est possible dans quelques cas précis, comme pour l’arrosage des espaces verts, il est nécessaire d’accélérer.

C’est le sens de la sixième recommandation, transpartisane, énoncée par nos quatre rapporteurs : encourager la recherche et l’innovation dans le domaine de l’eau, qu’il s’agisse de la recharge artificielle des nappes, du développement de la télésurveillance des réseaux, du recours aux données numériques et à l’imagerie satellitaire pour mieux connaître en temps réel l’état de la ressource ou, justement, de la réutilisation des eaux usées traitées. En effet, les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais un moyen de réduire les prélèvements d’eau dans la nature.

Cette solution présente un intérêt certain en période estivale dans les zones littorales touristiques. Je pense notamment aux lieux où la consommation d’eau et les besoins de l’agriculture sont particulièrement importants en été.

C’est précisément pourquoi l’Union européenne a voulu se doter au mois de mai 2020 d’un nouveau règlement, qui entrera bientôt en vigueur. Il s’agit de faciliter la réutilisation de l’eau, en particulier pour l’irrigation agricole. Selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, mais moins de 1 milliard sont réutilisés.

Ces avancées, comme les autres mesures précédemment évoquées, iront de pair avec une plus grande pédagogie sur l’eau, notamment auprès du grand public.

À la fin du mois d’août dernier, à l’occasion de la rencontre des entrepreneurs de France, Élisabeth Borne a évoqué la planification écologique de l’eau. L’objectif est d’identifier les actions dont nous avons besoin pour accélérer la transition écologique et atteindre les baisses de prélèvement.

La gestion de l’eau doit devenir plus résiliente et plus fiable dans trois domaines principaux : l’industrie, l’agriculture et les usages du quotidien.

Pour ce faire, il paraît indispensable de parvenir à un consensus sur l’eau. Cet enjeu national et territorial suppose un effort de démocratisation et d’éducation. Il implique une communication ciblée et continue sur les usages et leur priorisation.

Madame la secrétaire d’État, quelles nouvelles mesures réglementaires pourrait-on rapidement prendre en la matière, en particulier pour le secteur industriel ? Comment entendez-vous accélérer les procédures en vigueur – un grand nombre d’acteurs le demandent –, tout en rassurant quant aux évolutions souhaitables ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Madame la sénatrice Havet, je l’indiquais il y a un instant en réponse à M. Breuiller : notre taux de réutilisation d’eaux usées et traitées, aujourd’hui inférieur à 1 %, est réellement insuffisant. Vous l’avez rappelé, ce taux est de 13 % en Espagne et de 8 % en Italie. Nous pouvons faire mieux.

Nous voulons atteindre 10 % en développant jusqu’à 1 000 projets de réutilisation sur le territoire. Nous donnerons la priorité à l’animation et à l’accompagnement des porteurs de projet. Comme vous le soulignez, un appel à manifestation d’intérêt sera lancé par l’État, en partenariat avec l’Anel, pour financer cent études de faisabilité par an.

Yannick Moreau, président de l’Anel, est extrêmement attentif à ces questions et nous souhaitons tout particulièrement valoriser de tels projets dans les communes littorales. En effet, nous en sommes persuadés, ce sont là des solutions d’avenir. À l’heure actuelle, nombre de ces communes relâchent leur eau douce dans la mer : autant la récupérer.

Vous évoquez avec raison les évolutions réglementaires qui s’imposent. De nombreux chantiers ont d’ores et déjà été ouverts cette année. Notre objectif est de lever les freins à la valorisation des eaux non conventionnelles pour les usages les plus pertinents. Il s’agit d’assurer des économies d’eau tout en garantissant, bien sûr, la sécurité sanitaire, au nom de laquelle nombre de projets ont été bloqués jusqu’à présent.

Le projet de décret relatif à la réutilisation des eaux dans les industries agroalimentaires est actuellement soumis à consultation publique. Nous souhaitons publier ce texte aussi rapidement que possible. À ce titre, nous engageons régulièrement des discussions avec les filières agroalimentaires : elles attendent le décret avec impatience, car bien des projets sont prêts à être mis en œuvre.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)

M. Hervé Gillé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont proposé la création d’une mission d’information sur la « gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». J’ai le plaisir d’en être le rapporteur.

Cette mission d’information entend réaliser une évaluation des politiques publiques de la gestion de l’eau mise en œuvre en France au regard des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. J’insiste sur l’importance d’une telle approche sociétale.

Nos travaux s’inspirent évidemment du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, que nous remercions de ce débat. Ils s’organisent selon trois axes.

Le premier axe, c’est la qualité de l’eau et la lutte contre les pollutions. Pour assurer, non seulement notre approvisionnement en eau potable, mais aussi l’équilibre des milieux, de la faune et de la flore aquatiques, il est essentiel de disposer d’une eau non polluée.

Pourtant, près de la moitié des masses d’eau de surface sont contaminées par des pesticides. Le rapport de l’Anses et ses récentes révélations sur le chlorothalonil et le S-métolachlore démontrent à quel point nos quelques progrès sont insuffisants et combien ce sujet doit être abordé avec humilité. Le constat de la contamination est d’ailleurs relativement absent du plan Eau ; nous le regrettons.

Madame la secrétaire d’État, je note néanmoins que la protection des 500 points de captage prioritaires semble porter ces fruits. Ne faudrait-il pas accroître leur nombre pour améliorer, à moyen et long termes, la qualité des prélèvements ? Quels sont vos objectifs en la matière ? Florence Blatrix Contat reviendra sur ce sujet.

Le deuxième axe, c’est la gestion quantitative de l’eau. D’ici à 2050, les débits moyens annuels des cours d’eau devraient en effet diminuer de 10 % à 40 % : il s’agit là d’une proportion importante. En parallèle, les épisodes extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, seront beaucoup plus fréquents.

Ainsi, nous devons optimiser les ressources disponibles – je pense bien sûr au stockage naturel –, voire créer de nouvelles ressources multi-usages et vertueuses pour l’environnement.

La démarche et la méthode des PTGE vont dans le bon sens. Cependant, au-delà des consensus territoriaux, l’on se heurte souvent à des recours tardifs réduisant les négociations à néant. Que comptez-vous faire pour que cette situation évolue, madame la secrétaire d’État ?

Nous sommes tous d’accord pour ériger en priorité une politique de sobriété. Dès lors, explorons toutes les pistes pour atteindre l’objectif de baisse d’eau prélevée fixé à 10 % d’ici à 2030.

Le Gouvernement prévoit 30 millions d’euros pour les retenues agricoles, 180 millions d’euros pour la réduction des fuites prioritaires, 50 millions d’euros pour la préservation des zones humides et l’infiltration des nappes. Il veut également un plan pour la réutilisation des eaux usées traitées et la récupération des eaux de toitures.

Madame la secrétaire d’État, le plan Eau détaille des pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils réellement financés ? Allez-vous augmenter la fiscalité existante ou créer des redevances supplémentaires ? Quelles sont vos réponses sur ce sujet ? Une clarification est nécessaire, faute de quoi l’on en restera aux effets d’annonce.

La tarification différenciée est souhaitable, mais son application pose question. Certes, la mise en œuvre d’un tel dispositif est discutée depuis de nombreuses années, mais elle exigera un travail approfondi et partagé avec le Parlement, les syndicats des eaux et les élus des territoires pour assurer un développement optimal.

À l’instar des déchets, les types d’activité devront faire l’objet d’une tarification différenciée en fonction des consommations. Ce doit également être le cas pour les ménages : une famille nombreuse ne saurait être lésée par rapport à un couple sans enfant. Il faudra donc prévoir des adaptations. Comment le Gouvernement réussira-t-il à faire de la tarification différenciée un dispositif efficace, adapté à chaque usage ? Notre mission d’information est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.

Le troisième et dernier axe, c’est la gouvernance. Qui doit agir et avec quels moyens ?

Nous devons sans cesse rappeler le rôle des collectivités territoriales : elles sont en première ligne, qu’il s’agisse de la gestion de l’eau, des fuites, de la baisse d’approvisionnement, de l’assainissement ou encore de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), bien que cette compétence ne soit pas toujours bien financée.

Nous insistons en outre sur l’échelle des bassins versants, qui permet d’optimiser la ressource. Au Sénat, nous le savons mieux que quiconque : cet échelon territorial doit être préservé et renforcé au titre de la gouvernance.

La revalorisation financière substantielle dont les agences de l’eau bénéficient est, partant, la bienvenue. Elle doit être de 475 millions d’euros par an, mais ne sera pas mise en œuvre avant le douzième programme, donc pas avant 2025.

Pour atteindre nos objectifs, nous pourrions étudier la mise en place des contrats d’objectifs et de performance (COP) avec l’ensemble des parties prenantes ou encore le conditionnement des aides et des financements à des objectifs communs pour sécuriser la ressource. Il serait normal de partager ces objectifs de performance et de sobriété.

Mes chers collègues, la gestion de l’eau est un sujet éminemment politique et multidimensionnel. Elle exige, en conséquence, un travail interministériel associant les acteurs agricoles, environnementaux, économiques et sociaux. Elle mériterait même, sinon un ministère de plein exercice, du moins un secrétariat d’État. Je l’appelle de mes vœux.

Travaillons ensemble à des solutions concertées. Investissons nos instances et repolitisons-les au sens noble du terme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Daniel Breuiller applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Gillé, je m’efforcerai d’être aussi exhaustive et concise que possible.

Avant tout, je tiens à saluer le travail que vous avez entrepris. Je sais que vous avez déjà mené un certain nombre d’auditions dans le cadre de la mission d’information.

Vous avez rappelé les engagements financiers pris par le Gouvernement. Je vous le confirme, nous ne procéderons pas à la création de nouveaux outils fiscaux ; nous avons opté pour le rehaussement du taux des redevances existantes.

Vous avez abordé de nombreux autres sujets. Je concentrerai ma réponse sur la gouvernance.

La compétence dont il s’agit est décentralisée depuis les années 1960 à l’échelle des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement – vous avez pu le constater – n’a nullement l’intention de remettre en cause ce transfert. Ce que nous voulons, c’est une gestion de l’eau associant l’ensemble des acteurs pour une gouvernance ouverte et plus efficace. Au total, 54 % du territoire national est couvert par une commission locale de l’eau, par un document de planification et par un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).

Des simplifications réglementaires seront apportées pour accélérer et généraliser à l’échelle de chaque sous-bassin versant la création d’une CLE, véritable instance de dialogue, et d’un PTGE, au plus tard en 2027, selon le principe « un territoire, un projet politique pour l’eau ».

Ainsi, nous serons à même de répondre à toutes les exigences du plan Eau. Je pense notamment à la réduction de 10 % que j’ai évoquée précédemment. Pour discuter à l’échelle des territoires, il n’y a pas meilleure instance que les parlements de l’eau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales, je vous invite à jouer un rôle moteur pour la création des Sage et des CLE. J’insiste également sur les PTGE, qui sont encore trop peu nombreux sur notre territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de vos réponses. Vous nous confirmez que les redevances existantes feront l’objet d’un relèvement. Dont acte.

Personnellement, je suis très favorable à un renforcement de la planification en matière de gestion de l’eau. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) jouent un rôle essentiel : il faut s’efforcer de les développer et de les conforter dans l’ensemble des territoires, en lien avec les établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage).

Il faut en effet multiplier les Sage et faire en sorte que les CLE deviennent de véritables parlements locaux et territoriaux de l’eau. Ce travail est indispensable.

À mon sens, il faudra également assurer l’intégration de la gestion de l’eau dans les politiques d’urbanisme. Les schémas de cohérence territoriale (Scot) permettraient sans doute d’approfondir encore davantage ce sujet. (Mme la secrétaire dÉtat le confirme.) De même, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) pourraient concourir à la gestion de l’eau, au bénéfice notamment du pluvial et des zones humides. Je vous invite à examiner cette piste.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde est entré dans une nouvelle ère. Désormais, il fait face à la vulnérabilité de ses écosystèmes et à des tensions accrues s’exerçant sur ses ressources naturelles. Au total, 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d’eau au moins une fois par an et 1,4 milliard de personnes sont privées d’accès à l’eau potable.

Ces pénuries, que nous observons aujourd’hui sur notre propre sol, nous obligent à nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau.

Ainsi, durant trente-deux jours d’affilée, en plein hiver, la France a été privée de pluie, ce qui entraînera probablement des pénuries d’eau cet été dans de nombreuses communes.

L’été 2022 fut le plus chaud depuis les années 1950. Au total, 93 départements ont été soumis à des restrictions et plus de 1 000 communes ont subi des coupures d’eau.

Si nous n’intervenons pas, la situation continuera à se dégrader. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’affirme : sans réduction immédiate des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, tous les scénarios prévoient une augmentation de la température globale de deux degrés d’ici à 2050.

Après les assises de l’eau de 2018 et le Varenne de l’eau de 2021 et 2022, le Président de la République a présenté son plan Eau. Aujourd’hui même, la commission interministérielle de l’eau remettra quant à elle son rapport sur le sujet. La litanie des annonces débouche sur tout ce qui aurait dû être anticipé et qui s’impose à nous aujourd’hui.

Le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, auquel a participé ma collègue Cécile Cukierman, a le mérite d’aborder très largement la problématique de l’eau et d’apporter plusieurs solutions utiles, que je salue. On y lit notamment que « la mise en œuvre concrète des actions en faveur de l’eau repose sur les acteurs locaux ».

Les élus ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance de l’eau en France, que ce soit dans les comités de bassin, dans les agences de l’eau, dans les CLE, pour la fourniture d’eau potable, la gestion des milieux aquatiques, avec la Gemapi, ou encore les travaux d’assainissement.

Je note d’ailleurs que le transfert obligatoire, prévu par la loi NOTRe, de la compétence eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2026 n’est pas clairement évoquée dans le plan du Président de la République, malgré l’opposition de très nombreuses communes.

Nous devons gagner en efficacité en renforçant l’échelon local de prise de décision afin de mieux prendre en compte la réalité des bassins de vie, notamment dans l’élaboration des PTGE.

Il faut redonner à nos collectivités territoriales et à nos agences de l’eau, qui sont la clef de voûte de la politique de l’eau, la capacité financière d’agir.

Madame la secrétaire d’État, si le plafond mordant – en d’autres termes, le plafonnement des recettes des agences de l’eau – est supprimé, on peut s’interroger sur l’annonce de 475 millions d’euros de rehaussement des moyens des agences et sur la provenance de ces crédits : leur budget est abondé non par l’État, mais par les redevances des consommateurs. (M. le président de la délégation acquiesce.) Peut-être me répondrez-vous sur ce sujet.

Les collectivités n’ont pas de capacité d’intervention directe sur tous les secteurs consommateurs d’eau. Tout ne peut pas non plus reposer sur les usagers, même si la sobriété s’impose.

Ce n’est pas l’installation de mousseurs sur les robinets qui permettra d’assurer un accès durable à l’eau, alors même que nous perdons, à cause des fuites dans les réseaux à rénover, l’équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants. C’est énorme !

N’opposons pas les usages de l’eau : agriculture, industrie, tourisme, nous avons besoin de toutes ces activités.

Les épisodes cévenols vont se multiplier. Savoir retenir l’eau avant qu’elle ne ravage habitations, routes et équipements sera un enjeu important.

Mme Marie-Claude Varaillas. Même si la question de la récupération de l’eau fait rage, nous devons avoir un débat apaisé. On ne vole pas plus d’eau avec une retenue collinaire qu’avec un récupérateur en maison individuelle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme Marie-Claude Varaillas. Nous devons accélérer vers l’agroécologie et généraliser une agriculture de conservation qui améliore la rétention d’eau.

Il est regrettable que notre pays manque d’ambition : l’eau doit être enfin traitée comme un bien commun et non plus comme une marchandise sur un marché opaque et juteux pour les multinationales.

Je me souviens pourtant des sages paroles du Président de la République lors de la crise sanitaire : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

La gestion publique de l’eau, par la création d’un service public dédié, doit guider notre action, avec une intervention particulière et prioritaire dans les outre-mer, où l’état des réserves d’eau et des réseaux d’approvisionnement est très préoccupant.

Enfin, une tarification sociale de l’eau doit garantir le droit inaliénable à l’accès de tous à l’eau, via la gratuité des premiers mètres cubes, ainsi que je le préconisais dans la proposition de loi que j’ai déposée avec certains de mes collègues en 2021.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

M. Laurent Duplomb. Pas de recul !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Madame la sénatrice Varaillas, permettez-moi de rappeler les grands axes du plan Eau : la sobriété – avec la baisse de 10 % des prélèvements –, l’optimisation – avec la réutilisation des eaux usées traitées et le recours à des solutions fondées sur la nature –, la qualité – avec la protection des captages – et le renforcement de la gouvernance locale – avec la multiplication des Sage, des CLE et des PTGE, afin de définir la politique de l’eau à l’échelle locale. Tous les acteurs pourront ainsi décider, à cet échelon, des engagements à prendre pour répondre à l’objectif d’une réduction de 10 % des prélèvements.

Qui va payer ? Ce sont l’ensemble des usagers qui paieront. Nous avons été extrêmement vigilants à faire porter la responsabilité sur les ménages, les agriculteurs, les industriels et le secteur de l’énergie. Quand l’effort est partagé, il est beaucoup mieux accepté par l’ensemble de la population. Permettez-moi de rappeler qu’il s’agit de 475 millions d’euros supplémentaires, soit un budget complémentaire de 20 %.

Le sujet de la tarification de l’eau relève directement des collectivités, ainsi que David Lisnard, le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, nous l’a rappelé dès l’annonce du plan Eau par le Président de la République. L’État sera aux côtés des collectivités pour les accompagner dans la tarification sociale de l’eau, mais n’imposera en aucun cas une tarification : ce sera décidé par territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.)

M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sécheresses et les canicules de ces dernières années l’ont prouvé : le temps de l’abondance et de l’insouciance hydrique est révolu. Face à la raréfaction de la ressource, nous savons que nous devons désormais changer de modèle de gestion de l’eau. Nul besoin d’être docteur en mathématiques pour poser l’équation, tant elle est simple : faire mieux avec moins !

La nouvelle donne hydrique nous impose de repenser notre modèle de gestion durable de l’eau, d’accroître la sobriété de nos consommations et de nos prélèvements, de trouver les moyens de prévenir et d’apaiser les conflits d’usage, mais également d’anticiper les conséquences d’étés plus secs pour ne pas les subir. Angle mort des réflexions d’un pays que l’on a souvent comparé à un château d’eau, la ressource en eau peut devenir, dans la France de 2023 et des années à venir, un facteur de tensions, voire de conflits. Ne pas s’y préparer serait suicidaire.

Les assises de l’eau et le Varenne agricole de l’eau ont préparé le terrain, mais également les esprits. Le plan Eau conclut cette séquence de réflexion et de concertation par une série de mesures que les élus, les acteurs et les citoyens attendaient depuis longtemps. On pourrait regretter que la cible de 10 % d’économies d’eau prélevée dans tous les secteurs ne soit qu’indicative. Certes, toute politique est perfectible, mais je préfère l’action à l’immobilisme.

Je salue l’annonce d’un plan de 180 millions d’euros par an pour lutter contre les canalisations fuyardes des collectivités dont le rendement des réseaux est inférieur à 50 %, ainsi que je l’avais appelé de mes vœux au mois de novembre dernier dans une tribune largement cosignée par des parlementaires et des élus locaux.

J’ai cependant quelques inquiétudes concernant la conditionnalité des aides : il ne faudrait pas que les collectivités les plus fragiles soient pénalisées par des exigences hors de leur portée. Les élus locaux doivent être accompagnés et non stigmatisés. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me rassurer et nous en dire plus sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?

Ces dernières semaines, des articles de presse ont ravivé les préoccupations relatives à la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. De nouvelles molécules chimiques mises sur le marché, dont les effets à long terme sont encore mal connus, finissent par se retrouver dans les milieux aquatiques et les aquifères, donc dans l’eau distribuée aux usagers. Madame la secrétaire d’État, quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour rassurer sur la potabilité de l’eau du robinet et son innocuité pour la santé à long terme ?

En matière d’action publique, l’État doit être exemplaire et s’appliquer à lui-même les efforts qu’il demande aux collectivités, aux entreprises et aux citoyens. Comment comptez-vous mettre en place, dans les administrations publiques, une gestion de l’eau irréprochable et en finir avec les gaspillages ? Le parc immobilier de l’État comprend plus de 190 000 bâtiments, pour une surface d’environ 94 millions de mètres carrés… Un rapide calcul conduit à un montant vertigineux. Il ne s’agit pourtant que d’une mesure parmi les 53 qui ont été annoncées. Comment comptez-vous la financer et communiquer autour de cette exemplarité ?

Sans moyens financiers adéquats, la parole publique et les programmes d’action restent lettre morte. Madame la secrétaire d’État, vous augmentez le plafond mordant des agences de l’eau, mais, dans le même temps, vous fléchez une grande partie de ces augmentations vers des mesures que vous avez identifiées par ailleurs. Même si les montants annoncés par le Président de la République paraissent importants, les besoins annuels identifiés pour le petit et le grand cycle de l’eau se chiffrent en milliards d’euros.

Madame la secrétaire d’État, ma question est toute simple : que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l’eau ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Ça s’arrose ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Longeot, j’ai déjà apporté un certain nombre d’éléments d’information.

Vous évoquez la conditionnalité des aides aux collectivités. L’objectif est de soutenir les collectivités en vue d’une gestion performante du service eau et assainissement. La conditionnalité des aides sera dimensionnée afin d’être incitative, sans laisser les collectivités les plus en difficulté au bord du chemin.

Deux profils de collectivités sont plus particulièrement ciblés dans le plan Eau : les collectivités qui présentent des risques d’approvisionnement en eau potable – nous en avons identifié 2 000 – et celles qui présentent de graves défauts d’entretien de leurs réseaux, avec plus de 50 % de fuites – nous en avons répertorié 171, mais elles sont en réalité bien plus nombreuses. L’enjeu est d’entraîner toutes celles qui ont des performances moyennes. Il conviendrait de doubler le rythme actuel de renouvellement des infrastructures au regard de leur durée de vie. Cette accélération sera principalement soutenue par un juste prix de l’eau et la mobilisation des Aqua Prêts à taux bonifié de la Banque des territoires.

Les agences de l’eau fixeront les critères de la conditionnalité des aides, selon les principes généraux posés par l’État qui porteront notamment sur la conformité au regard des cibles de fuites et de qualité des rejets des eaux usées traitées. Il ne s’agit pas, bien entendu, de pénaliser les collectivités les plus en difficulté : au contraire, celles qui n’atteindraient pas les critères de conformité, pourront être aidées à condition de présenter un plan correctif.

Comment faire en sorte que le plan Eau ne prenne pas l’eau ? Monsieur le sénateur, nous avons tâché d’envisager la problématique de la gestion de l’eau dans son ensemble, en répondant à l’objectif de baisse des prélèvements, en renforçant la gouvernance, en permettant d’autres utilisations – je pense à la réutilisation des eaux usées traitées ainsi qu’aux solutions fondées sur la nature –, en étant attentifs à la qualité de l’eau. Ainsi, nous répondons à l’ensemble des besoins, sans oublier les moyens financiers.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

M. Jean-François Longeot. Les collectivités attendent certes des moyens financiers, mais aussi des conseils et des aides. En matière d’assainissement, les décisions que les maires doivent prendre sont difficiles – je peux en témoigner pour avoir exercé ce mandat –, notamment au regard des nouveaux traitements à opérer. Je ne suis pas certain que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), cher Louis-Jean de Nicolaÿ, soit en mesure d’accompagner toutes les communes dans leurs décisions de traitement des eaux usées.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet et M. Pierre Louault applaudissent également.)

M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d’actualité.

Sainte-Soline n’est pas une affaire d’écologistes et d’ultragauche. Il s’agit d’un débat de fond et d’une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l’eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?

Jusqu’à présent, nous vivions dans un pays où l’eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu’à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d’une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.

Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l’état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d’État, est que nous nous réveillons alors qu’il est déjà trop tard, que les cours d’eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.

Sous l’effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l’évaporation va s’accentuer. Dans le même temps, l’augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l’eau en ville s’intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d’usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l’agriculture sont de très gros consommateurs d’eau.

Gérer durablement l’eau, c’est être capable de reconstituer les stocks chaque année, c’est ne pas puiser plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.

Pour cela, nous devons d’abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l’eau, qui n’incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l’eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l’eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l’eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.

L’objectif de réduction de 10 % des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l’eau, soit désormais reportée à 2030.

Un objectif n’est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les agences de l’eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d’euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d’accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de consommation.

Pour ma part, je défends un modèle où l’État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l’évolution de la gouvernance de l’eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d’éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.

Sur la question très sensible de l’irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l’eau, en lien avec les chambres d’agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d’autres Sainte-Soline.

Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.

Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l’irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l’objectif de passer de 1 % à 10 % d’eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu’Israël réutilise 80 % de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l’eau potable… Il y a là une absurdité à lever. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à répondre à chacun.

Monsieur Gold, je partage en partie votre constat. Les deux épisodes de sécheresse que nous avons connus l’an dernier – que nous connaîtrons probablement de nouveau cette année, malheureusement – ont constitué une prise de conscience collective, permettant de sensibiliser citoyens et élus. Nous n’avons jamais autant débattu de l’eau et je m’en réjouis.

Le Gouvernement a fait de ce sujet sa préoccupation et agit. La diminution de 10 % des prélèvements a été anticipée : elle avait été annoncée par Emmanuelle Wargon, alors qu’elle était secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Nous annonçons maintenant comment nous comptons y parvenir. Il est bon que l’effort soit partagé entre les acteurs. Des solutions techniques permettront aussi d’atteindre cet objectif de diminution de 10 %, comme la réutilisation des eaux usées traitées. Nos voisins savent très bien le faire et des entreprises françaises le pratiquent déjà à l’étranger : alors, pourquoi pas chez nous ?

La participation de l’ensemble des collectivités, notamment de l’Anel pour encourager ces solutions dans les communes littorales, est bienvenue afin d’amplifier cette dynamique. La réduction des contraintes réglementaires nous permettra aussi d’accélérer. Il nous remonte des territoires une envie de bien faire ; il faut désormais donner les moyens, notamment réglementaires, pour que ces solutions se mettent en place dans les territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.

M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, compte tenu des tensions croissantes autour de la ressource en eau, une actualisation de la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques serait utile, prenant en compte la priorité des usages, afin de rappeler à chacun que, dans un contexte de pénurie, l’accès à la ressource pour tous et la biodiversité sont nos priorités. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après un été 2022 historiquement sec, qui a été l’occasion de controverses notamment liées au partage de l’eau, été qui a succédé à un printemps caractérisé par des inondations à répétition, la question de la gestion de l’eau s’invite plus que jamais dans le débat public. Je m’en réjouis.

Nous devons préserver l’intégrité et la pérennité de la ressource en eau. Sa préservation ne pourra se faire qu’avec une gouvernance ad hoc.

Fort d’un regard rétrospectif, je pense qu’il serait bienvenu de recréer des services d’ingénierie de l’eau dans tous les territoires. En effet, la dégradation de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement est incontestablement corrélée à la disparition de l’ingénierie publique. Dans mon territoire, au cours de la période 2012-2022, 25 % des postes de l’agence de l’eau Rhin-Meuse ont été supprimés. Conséquence logique, les collectivités locales, souvent livrées à elles-mêmes, rencontrent des difficultés dans leur choix d’un mode de gestion et d’assainissement.

Il est donc essentiel de reconstituer une ingénierie territoriale spécialisée dans le domaine de l’eau, facilement mobilisable par le plus grand nombre de collectivités. C’est une question d’équité entre les territoires. La piste d’une ingénierie de proximité, articulée entre les acteurs et leur laissant le choix d’une éventuelle mutualisation à l’échelon intercommunal, mérite d’être explorée pour aller vers une amélioration fonctionnelle et des performances de service. L’émergence d’une nouvelle ingénierie me paraît la condition nécessaire à l’amélioration de la gouvernance du service public de l’eau.

Ainsi, nous pourrons stimuler les mécanismes de solidarité pour rattraper le retard d’équipement en matière d’eau et d’assainissement, notamment en milieu rural. Sans revenir sur le caractère obligatoire de la loi NOTRe, il serait utile de faciliter la remise à niveau des infrastructures d’eau et d’assainissement en cas d’intégration d’une commune à une intercommunalité.

Trop souvent, le rattrapage d’investissement est tel qu’il freine l’adhésion : soit le ticket d’entrée est trop élevé, soit la solidarité forcée de l’intercommunalité d’accueil trouve ses limites. Or l’intercommunalité en matière d’eau, notamment grâce au budget annexe qui permet une programmation pluriannuelle, est, dans l’absolu, un bon vecteur de modernisation des infrastructures et de professionnalisation des services. Nous pourrions imaginer un contrat de transition permettant de réaliser, dans des conditions apaisées et soutenables, des adhésions volontaires à des structures intercommunales, guidées par des logiques de performance et de service. Les agences de l’eau y trouveraient naturellement leur place.

Ce serait l’occasion de fixer les conditions d’une transformation des usages et d’un partage des ressources en eau, grâce à un dialogue territorial renouvelé, avec une vision à 360 degrés. Le changement climatique continuera d’avoir un impact durable sur les ressources en eau. Les projections font apparaître une baisse moyenne de la pluviométrie dans la plupart des régions de France, sauf le Grand Est, avec une très forte variabilité interannuelle.

L’ambition du Sage, issu de la loi de 1992, était claire : permettre aux élus, mais pas seulement eux, de tenir compte de la nouvelle situation climatique pour définir, dans leur bassin, les scénarios prospectifs d’aménagement. Là où les conflits d’usage étaient prégnants, cette forme de démocratie locale était pionnière et a montré son intérêt. Elle permet en effet de concilier les usages avec les disponibilités en eau et les aléas. Il faut certainement, madame la secrétaire d’État, lui donner un nouveau souffle. Nous devons donc réinventer les Sage, en imaginant des formes de gouvernance plus souples et en tirant les enseignements de leurs échecs ou de leurs limites – en un mot, en ayant un plan d’action opérationnel.

Nous devons aussi réinvestir dans l’innovation. Comment en sommes-nous arrivés à couper les ailes de nos entreprises spécialisées dans la gestion de l’eau, qui incarnaient pourtant l’excellence technologique à la française ? Nous sommes, une fois de plus, en retard par rapport à nos voisins européens – l’Italie, l’Espagne – en matière de réutilisation des eaux grises et des eaux usées. Le Président de la République a annoncé la mise en place d’un volet Eau au sein du programme France 2030 ; or c’est dans les territoires ruraux que le renchérissement du coût de l’énergie a les effets les plus marqués sur les services d’eau et d’assainissement ou qu’il existe des pressions non traitables du fait de la faiblesse de services moins intégrés.

Madame la secrétaire d’État, sur ces quatre orientations, le Gouvernement va, par votre voix, nous faire connaître la suite qu’il entend leur donner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie des propositions que vous venez de formuler. J’espère que vous aurez l’occasion de les réitérer et de les compléter dans le cadre de la mission parlementaire qui va être lancée et qui sera l’occasion d’aborder la question du renforcement de la gouvernance locale de l’eau. Tous les élus locaux, tous les participants aux parlements de l’eau l’appellent de leurs vœux : la gouvernance locale doit être renforcée.

Vous avez évoqué deux sujets : les moyens et l’ingénierie publique, notamment de l’État.

S’agissant des moyens, je rappelle que les agences de l’eau sont dotées de 2,2 milliards d’euros. Le plan Eau prévoit 475 millions d’euros supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 20 %. S’y ajoute une enveloppe annuelle de 180 millions d’euros pour aider les communes en difficulté à sécuriser leur approvisionnement en eau potable, via des travaux d’interconnexion, de résorption de fuites et de forage de secours. Pour répondre au risque de sécheresse, 100 millions d’euros ont été renouvelés cette année. Enfin, 400 millions d’euros sont prévus pour déployer une nouvelle génération d’Aqua Prêts, sur plus d’un milliard d’euros dans les territoires.

Depuis 2010, l’État n’assure plus l’ingénierie publique en matière d’eau et d’assainissement. Il revient désormais aux collectivités de consolider leur propre ingénierie, d’où l’intérêt d’une mutualisation – pas nécessairement dans le cadre intercommunal –, afin de disposer des moyens nécessaires.

Il reste malgré tout une offre d’ingénierie d’État, grâce au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). La gouvernance de cet établissement a connu d’importantes évolutions en 2022, en application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS. Cet établissement, partagé entre l’État et les collectivités, pourra venir en appui et proposer un accompagnement des projets les plus complexes.

Nous avons également obtenu que les équivalents temps plein (ETP) du pôle ministériel ne baissent pas au cours des cinq prochaines années. Cela n’est pas toujours simple à obtenir. Aussi Christophe Béchu et moi-même en sommes-nous très heureux.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Madame la secrétaire d’État, nous sommes à Gravelotte : il pleut des millions et des milliards ! Pourtant, ce n’est pas le seul élément de réponse qu’attendent les élus et nos concitoyens. Vous omettez en outre de rappeler que le Sénat a obtenu, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, 50 millions d’euros supplémentaires de l’État. Ces crédits seront effectivement décaissés, contrairement aux 100 millions d’euros dont la Première ministre a demandé le déblocage pour les agences de l’eau.

Sur l’ingénierie, vous vous trompez : le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants, faute de ressources techniques suffisantes. Il en va de même pour les agences de l’eau. Ne nous renvoyons pas la balle. Vous évoquez les parlements de l’eau ; je considère qu’il faut une vision à 360 degrés et regarder les choses en toute objectivité. La solidarité entre urbain et rural joue, notamment via un prélèvement de recettes au bénéfice des territoires ruraux, mais il faut aller plus loin : ne pas se contenter de belles phrases prononcées ici, mais constater sur le terrain les efforts qu’il faut déployer pour remettre la gestion publique de l’eau au bon niveau.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau fait face à une situation d’une gravité historique. Sous l’effet du réchauffement climatique, elle se raréfie. Selon l’étude Explore 2070, le dérèglement du climat aura pour effet de réduire la pluviométrie estivale de 16 % à 23 %.

La France ne sera pas épargnée : baisse des débits des cours d’eau, temps de recharge des nappes allongés, sécheresse des sols… Notre pays connaît déjà des périodes de stress hydrique inédites dans son histoire. Pourtant, rien ne nous prédisposait à connaître une telle situation, ni notre climat ni notre hydrographie.

Depuis plusieurs années, nous oscillons entre étés caniculaires et sécheresses précoces, avec des conséquences parfois dramatiques. Cette ressource fait d’ores et déjà l’objet de nombreuses tensions qui exigent que nous fassions preuve, en tant que législateurs, de toute la vigilance possible.

Faut-il stocker l’eau à des fins agricoles ou laisser les nappes phréatiques se recharger sans retenues ? La question se pose par exemple à Sainte-Soline, où une véritable bataille pour l’eau a eu lieu ; cet épisode illustre, au-delà des postures, une problématique qu’il est impossible d’ignorer et qui n’est qu’une interrogation parmi tant d’autres.

Dans ce souci de projection et d’anticipation, je salue l’excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, qui éclaire un sujet dense et brûlant.

On observe à quel point la question de l’eau en France nous concerne désormais tous et nous n’avancerons pas en tenant nos concitoyens à l’écart de toute forme de démocratie locale autour de l’eau.

Je sais que la tentation est forte d’en rester à une approche purement technique et technocratique du problème, mais nous devons aussi en développer les dimensions pédagogiques et citoyennes, tout en étant attentifs aux territoires et à leurs besoins.

La loi de 1964, qui fonde notre modèle français de gestion de l’eau, institue le principe bien connu selon lequel « l’eau paie l’eau ». Or, aujourd’hui, celui-ci n’est plus respecté. Pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud, que je salue : aujourd’hui, « l’eau paie l’État ». Face aux nouveaux enjeux climatiques, c’est toute une stratégie qu’il faut repenser et accompagner.

« Oui, mais il y a le plan Eau », me direz-vous, madame la secrétaire d’État. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté par le Président de la République, le 30 mars dernier.

Permettez-moi de saluer ceux dont les travaux de réflexion, d’auditions et de prospective ont de longue date préfiguré ce plan Eau. Il s’agit, bien évidemment, de notre délégation sénatoriale, mais également de l’Association nationale des élus des bassins (Aneb), des collectivités concédantes et régies, du Comité national de l’eau, ainsi que du Centre d’information sur l’eau. Le plan présidentiel n’arrive pas de nulle part et tant mieux ! Il s’empare d’un certain nombre des problèmes identifiés de notre gestion de l’eau et propose différents axes.

J’ai été particulièrement sensible au troisième intitulé : « Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ». Sur ce sujet, nous sommes très en retard en matière de normes, notamment en comparaison des pays de l’Europe du Sud, confrontés depuis plus longtemps que nous aux problématiques de l’eau.

Dans les logements français, on doit pouvoir réutiliser les eaux grises et les eaux pluviales. Notre pays abrite des champions mondiaux du traitement des eaux ; nous devons les associer pleinement à cet effort et ne pas les déstabiliser comme cela a pu être le cas dans le passé.

Notre modèle de gestion de l’eau a besoin de transformations pour coller aux enjeux climatiques et environnementaux, mais il doit conserver certaines spécificités françaises. Il convient ainsi que l’eau potable soit disponible pour tous sans distinction sociale, mais que chaque citoyen soit contributeur à hauteur de ce qu’il consomme. Certains grands pays comme les États-Unis voient la potabilité de leur eau reculer dans certains États, en raison du coût de traitement, de la vétusté des réseaux ou du manque de moyens, problèmes que nous rencontrons également, hélas ! dans nos territoires.

Madame la secrétaire d’État, soyons exigeants et économes et rappelons-nous d’adapter non seulement chaque eau à son usage – mes collègues l’ont rappelé –, mais aussi chaque usage à la disponibilité de l’eau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Madame la sénatrice de Cidrac, pour éviter d’être redondante, j’évoquerai un sujet nouveau, celui de la réutilisation des eaux de pluie. Il a son importance, car, sans en généraliser le principe, nous souhaiterions un déploiement beaucoup plus large sur les logements – vous avez abordé cette question.

Jusqu’à présent, il était très difficile pour un particulier de mettre en place la réutilisation des eaux de pluie, alors qu’un tel système pourrait en réalité très facilement être déployé. Il faut pour cela que l’on simplifie un certain nombre de pratiques. Nous avons d’ailleurs bénéficié d’un soutien politique important de la part d’Agnès Firmin Le Bodo pour que les services du ministère contribuent à cette dynamique, de manière que l’on puisse récupérer les eaux de pluie, par exemple pour alimenter les chasses d’eau dans les logements. L’idée peut paraître anecdotique, mais cela représente une quantité d’eau importante pour les ménages ; qui plus est, on permettrait ainsi que chacun participe à la sobriété.

Vous avez rappelé d’autres grands enjeux comme la réutilisation des eaux usées traitées ou le fait de réduire de 10 % les prélèvements, en veillant à ce que l’effort soit mieux partagé, de manière que chacun y participe à son niveau. Je crois avoir répondu sur tous ces sujets, à l’occasion des interventions précédentes.

Je veux vous dire que le plan Eau est ambitieux. Certes, il a été retardé, mais il est à la hauteur : nous n’avons pas voulu nous en ternir à la crise qui aura probablement lieu cet été, mais penser les dix ou vingt années à venir. Il est important que nous ayons tous les moyens à notre disposition pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, qu’il s’agisse du renforcement de la gouvernance locale, de l’optimisation de la ressource ou de la sobriété. Nous devons nous engager sur tous ces sujets.

La mise en œuvre du plan Eau, initialement prévue à la fin du mois de janvier, a été légèrement décalée à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril. C’était nécessaire pour obtenir les arbitrages financiers, indispensables pour réussir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Je tiens à préciser le sens de mon intervention. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez bien compris, aujourd’hui, en France, on considère que l’on peut utiliser la même eau pour tous les usages. Or je crois qu’il est important de travailler sur l’aspect normatif du sujet, dans la mesure où cette ressource est précieuse. L’ensemble des collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont rappelé et les interventions suivantes iront sans doute dans le même sens. Je souhaitais donc appeler votre attention sur la nécessité d’un bon usage de l’eau pour la préserver.

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la délégation à la prospective d’avoir permis ce débat.

L’été 2022 s’est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse ; l’hiver 2023, quant à lui, se classe déjà parmi les hivers les plus secs avec un déficit de pluviométrie de 50 % au mois de février dernier. Durant l’été 2022, en France, près de 500 communes ont été concernées par des problèmes d’approvisionnement en eau potable, selon les dires du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À l’été 2023, sans action forte et déterminée des pouvoirs publics, la situation risque d’être pire, si l’on en croit le rapport d’inspection interministériel rendu public ce jour.

La gestion de la ressource en eau devient cruciale pour la satisfaction d’un besoin essentiel, que l’on croyait définitivement acquis : l’accès à l’eau potable.

Ma question portera sur la gestion du petit cycle de l’eau, en particulier sur la question des captages et de leur protection. Nombre de collectivités sont concernées par des problématiques de qualité des eaux brutes prélevées. La protection des captages est une préoccupation croissante des gestionnaires du service public d’eau potable, car la détection de pollutions diffuses est de plus en plus fréquente.

À la suite du Grenelle de l’environnement, en 2009, un peu plus de 500 captages ont été désignés comme prioritaires, notamment sur la base de l’état de la ressource vis-à-vis des pollutions diffuses et de son caractère stratégique.

En 2013, quelque 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés.

L’intérêt de cette classification réside dans la gestion concertée de ces aires et dans la prévention des pollutions diffuses. Des diagnostics permettent de mieux connaître les vulnérabilités et les modes de contamination subis par ces captages, et des programmes d’action adaptés aux objectifs d’amélioration de qualité des eaux sont élaborés en partenariat avec les chambres d’agriculture. Ils comprennent la plupart du temps des mesures agroenvironnementales.

Cette stratégie, qui a démontré son efficacité, devrait être étendue, alors qu’elle ne concerne que 1 000 captages sur les 35 000 recensés en France.

Par ailleurs, la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite Eau potable, sera transposée prochainement par ordonnance. Le texte, que nous aurons à examiner, vise le déploiement d’une démarche préventive pour garantir la qualité de l’eau jusqu’au robinet du consommateur, avec l’obligation de réaliser un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux pour les personnes responsables de la production ou de la distribution de l’eau. C’est d’ailleurs l’une des mesures qui figurent dans le plan Eau.

Par conséquent, madame la secrétaire d’État, comment les collectivités seront-elles accompagnées dans cette démarche ?

L’ordonnance vise également une rationalisation des périmètres de protection de captage, en réformant la politique de préservation de la ressource en eau par des captages sensibles à la pollution aux pesticides. Elle prévoit aussi que les collectivités qui le souhaitent pourront contribuer à la mission de préservation de la ressource en eau, en liaison avec le préfet, afin d’établir un programme d’action encadrant les pratiques qui dégradent la qualité des points de prélèvement.

Le programme d’action peut notamment concerner les pratiques agricoles, en limitant ou en interdisant, le cas échéant, certaines occupations des sols et l’utilisation d’intrants.

Madame la secrétaire d’État, s’agit-il, comme nous le souhaitons, d’une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets disposeront-ils de moyens pour interdire l’utilisation d’intrants, notamment les pesticides ? Comment les agriculteurs seront-ils accompagnés dans cette transition ? Surtout, comment développer les baux environnementaux qui sont encore trop peu utilisés ?

« L’eau est le miroir de notre société. Les liens que nous entretenons avec elle montrent dans le vide ce qu’est notre société. » Ces mots sont d’Erik Orsenna. Notre engagement dans la préservation de l’eau dira quelle société nous voulons. Dans le cadre de la mission d’information « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », nous nous attacherons à y contribuer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Madame la sénatrice, une grande partie d’entre vous, quasiment sur toutes les travées de cet hémicycle, souhaitez que l’on réduise l’usage des pesticides. La dynamique est enclenchée depuis 2017, puisque l’on constate une baisse des ventes de produits phytosanitaires, dont on peut dire qu’elle est le résultat concret de la mise en œuvre des plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto.

Le Gouvernement travaille activement à ce changement de méthode, qui consiste à anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques et à renforcer le pilotage et l’adaptation des techniques de protection des cultures pour soutenir nos agriculteurs dans les transitions. Trois principes d’action simples ont été définis.

Le premier principe consiste à aligner les calendriers français et européen et à défendre la mise en place des clauses miroir. En effet, nous ne souhaitons pas consommer des produits qui entreraient sur notre territoire, alors qu’ils ont été cultivés avec des substances phytosanitaires interdites en France.

M. Laurent Duplomb. C’est déjà le cas !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. Cette concordance relève d’une exigence à la fois sanitaire et environnementale.

Le deuxième principe consiste à rechercher des solutions de substitution. J’ai évoqué notamment le biocontrôle, mais ce n’est qu’un exemple parmi les solutions sur lesquelles travaillent l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et les instituts techniques. Nous devons continuer d’accompagner les agriculteurs, qui vont encore devoir faire face à la suppression d’un certain nombre de produits.

Le troisième principe concerne la gouvernance. Nous assumons d’avoir refusé la réintroduction de substances actives interdites et, en même temps, d’avoir accompagné les agriculteurs lorsque la décision d’interdire les néonicotinoïdes a été prise. L’un n’empêche pas l’autre.

Sur les captages, madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à votre collègue Paoli-Gagin.

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Mme Florence Blatrix Contat. Le dernier rapport de l’Anses montre que la rémanence de certaines molécules après leur interdiction impose que l’on anticipe. Si l’on veut éviter d’entrer dans une logique curative, qui sera très coûteuse pour nos collectivités, donc pour les consommateurs, il faut davantage anticiper. Par conséquent, la préconisation formulée par l’Anses de retirer le S-métolachlore est utile : ce serait une très mauvaise idée pour le Gouvernement que de revenir sur ce retrait. Nous sommes très attachés à l’indépendance de cette agence dans les décisions qu’elle prend.

De manière plus générale, il faut accélérer la transition de notre agriculture vers l’agroécologie en veillant, bien entendu, à accompagner les agriculteurs, ce qui permettra de concilier la résilience de notre agriculture et la préservation de notre ressource en eau. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment retrouver une ressource plus abondante ? À la fin de ce débat sur la gestion de l’eau, je souhaite poser cette question, puisque le sujet n’a pas encore été abordé.

Aujourd’hui, le niveau des rivières baisse, les nappes phréatiques s’épuisent et, depuis soixante-dix ans, on a accumulé un certain nombre de fautes. Dans les années 1960 et 1970, on a créé des fossés profonds, on a approfondi et mis à sec les ruisseaux. Dans les années 2000, on a interprété à la française la nouvelle directive européenne sur l’eau, dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006, qui prévoyait de manière pompeuse un principe de « continuité écologique » valant seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en compte les incidences.

Mme Sonia de La Provôté. Et les barrages !

M. Pierre Louault. En réalité, la surinterprétation administrative fait jurisprudence : on supprime les seuils, on abaisse le niveau des cours d’eau, il arrive très souvent que l’on vide les rivières et vidange les nappes phréatiques. Je le sais bien, car je suis paysan : c’est le système de l’abreuvoir à poulets. Enlevez cinquante centimètres d’eau et les nappes se vidangent ! Dans l’abreuvoir à poulets, deux centimètres d’eau retiennent un mètre d’eau. Les nappes phréatiques fonctionnent exactement de la même manière.

Dans le même temps, les prairies humides deviennent de véritables paillassons. Les zones humides de notre territoire, qui étaient des roselières, sont en train de disparaître. Après avoir épuisé les seuils de rivières, on en vient maintenant à supprimer les étangs, qui ont parfois plus de 500 ans d’existence, au prétexte que le cours d’eau passe au milieu.

Tous ces systèmes mis en cascade ont pour effet d’épuiser les réserves d’eau. Les rivières et les ruisseaux sont de plus en plus abondants, durant l’hiver, quand il pleut, avec pour avantage que cela contribue à rehausser le niveau des océans qui en ont grand besoin, et l’on a de moins en moins d’eau pendant l’été.

La gestion de l’eau est devenue un véritable défi. J’ai mis en place un certain nombre d’expérimentations dans ma commune et dans mon territoire : en rétablissant des seuils sur des fossés qui avaient été créés dans les années 1960, on a retrouvé des sources qui coulent toute l’année, pas seulement l’hiver, et l’on a rétabli des ruisseaux.

Je ne suis pas un anti-écolo. Au contraire, il m’arrive de prendre le parti de certains de mes collègues. (Sourires sur les travées du groupe GEST.) Dans ma commune, en vingt ans, j’ai « planté » sept kilomètres de rivière, j’ai recréé de toutes pièces des zones humides et l’on retrouve de l’eau toute l’année dans des endroits qui étaient à sec.

Par pitié, arrêtons, au nom de je ne sais quelle idéologie, de vouloir mettre à tout prix les rivières à sec ! Sans la moindre expérimentation, par principe, on supprime les seuils au lieu de les rétablir dans une continuité écologique où les poissons migrateurs pourraient passer – il est tellement plus simple de les supprimer ! Voilà où va la moitié de l’argent des agences de l’eau.

M. Pierre Louault. Cela n’est plus possible.

Madame la secrétaire d’État, je voulais vous alerter sur ce problème qui, s’il perdure, aggravera encore un peu plus l’assèchement de nos rivières et compromettra la capacité des nappes phréatiques à se recharger. Aujourd’hui, elles se vident l’hiver et n’ont plus rien à donner l’été. Telle est la réalité, sans doute trop compliquée pour la haute technostructure, mais sur laquelle il est tout de même temps de jeter un coup d’œil. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur, vous avez abordé la politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Elle vise, selon nous, à limiter la fragmentation des habitats naturels, qui est l’une des causes majeures de l’érosion de la biodiversité. Dans ce ministère, nous défendons donc, bien évidemment, la continuité écologique.

Au-delà d’une pensée que vous qualifiez de technocratique, nous défendons surtout l’avis scientifique. Celui-ci est assez clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques et il me semble que, sur l’ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous y accordez de l’importance.

Je pourrai vous transmettre un avis du conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui date de 2018.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. En effet, face aux multiples interventions sur la gestion des cours d’eau et des ouvrages, l’office a procédé à certaines clarifications. J’invite toutes les personnes intéressées à en prendre connaissance.

Cet avis tend à infirmer les conséquences que vous avez décrites. En ce qui me concerne, je n’oppose pas la politique de restauration du grand cycle de l’eau et la notion de stockage pertinent dans l’espace et le temps. Les ouvrages font partie du panel de solutions de la gestion de l’eau et peuvent répondre à des besoins locaux. Évitons d’opposer les projets ; à l’inverse, étudions-les au cas par cas !

Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires veut privilégier la voie des continuités, surtout écologiques. En outre, les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

M. Pierre Louault. Madame la secrétaire d’État, je comprends que vous défendiez vos services, mais peut-on qualifier les agents de l’OFB de scientifiques ? (M. Bruno Sido applaudit.)

Tout de même, n’a-t-on pas le droit dans ce pays d’expérimenter en s’appuyant sur la réalité telle qu’on la voit ? Quand les rivières se sont vidées, que les prairies humides sont sèches comme des paillassons et que les roselières disparaissent, les agents de l’OFB en parlent-ils ? Non, parce que cela les dérange.

En revanche, ils n’hésitent pas à surinterpréter la loi. Ils ne considèrent que ce qui est dans la droite ligne qu’ils ont définie et pénalisent tout ce qui ne l’est pas. Voilà tout ce qu’ils font.

Aujourd’hui, on va dans le mur, mais cela n’est pas grave : je commence à être âgé et je ne le verrai peut-être pas. Je crois tout de même qu’il vaudrait mieux y regarder d’un peu plus près. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Quelle sagesse !

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, merci. Merci de la richesse de ces échanges. Merci encore de la qualité des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, dont je prends toujours connaissance avec beaucoup d’attention. Merci aussi des travaux que le Sénat dans son ensemble a menés, car le sujet de l’eau a fait l’objet de nombreux débats depuis le début de cette année.

Ayant moi-même été députée, je considère le travail parlementaire comme une source d’inspiration et de réflexion. Je crois en l’intelligence collective, et ce d’autant plus face au grand défi de l’adaptation au changement climatique. C’est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau et j’espère que nous pourrons continuer de le coconstruire, pour ce qui relève de sa mise en œuvre, ainsi que dans le cadre de la mission parlementaire qui a été annoncée.

La ressource en eau est un enjeu de souveraineté nationale. Une eau en quantité et de qualité est essentielle pour notre environnement, pour notre santé et pour notre économie. Je pense que notre société est prête pour engager un changement de rapport à l’eau.

La trajectoire collective de sobriété qui consiste à réduire notre consommation d’eau de 10 % à l’horizon de 2030 sera déclinée par territoires, avec les élus et les acteurs locaux, et par secteurs, avec les représentants des filières. C’est un plan qui engage l’ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme et secteur public – dans une même dynamique.

Le débat que nous avons eu aujourd’hui reflète le contenu de votre rapport d’information et montre à quel point le sujet est vaste et complexe.

J’ai noté, en particulier, vos interrogations sur les moyens pour les collectivités d’agir dans la préservation du grand cycle de l’eau. J’ai également pris en compte la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance et la nécessité qu’un dialogue renforcé s’engage entre les instances de définition des politiques publiques territoriales. Enfin, et cela me tient à cœur tant les marges de progrès sont importantes et réjouissantes, vous avez mis au rang de priorité la levée des freins à l’innovation, qui sont parfois réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.

J’ai pu, je l’espère, vous montrer que le plan Eau apportait des réponses concrètes et ambitieuses à l’ensemble des préoccupations que vous avez exprimées.

Je suis fière du résultat d’un travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre, qui a démontré l’intérêt de cette méthode.

Je suis encore plus fière des moyens qui sont apportés en faveur de la politique de l’eau. Nous avons beaucoup consulté et avons été à l’écoute, notamment des collectivités. La capacité d’intervention des agences de l’eau, principaux financeurs de la politique de l’eau aux côtés des collectivités, est augmentée de 20 %. C’est un effort inédit qui répond au vœu de l’ensemble des acteurs.

Ces moyens permettront d’accompagner les collectivités les plus en difficulté pour rénover et sécuriser leurs infrastructures d’eau potable – le sujet a été largement évoqué.

Nous changerons d’échelle en matière d’eau recyclée et réutilisée. Des évolutions réglementaires ont été travaillées pour libérer les projets. Nous soutiendrons aussi les collectivités qui souhaitent approfondir le potentiel que pourrait représenter la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour leur territoire. Un partenariat sera noué avec l’Anel pour cela.

La semaine dernière, je remettais les trophées Eco Actions aux Eco Maires. J’ai vu des projets très stimulants, notamment sur la préservation de l’eau, des projets participatifs, élaborés par et pour les citoyens. Ce sont de véritables pépites. Je crois fondamentalement aux initiatives de terrain, que nous devons encourager pour ensuite les développer à plus grande échelle.

Ce plan traduit une conviction commune : en France, la ressource en eau est précieuse. Elle l’est pour nos écosystèmes, pour notre santé et pour notre économie.

Dans cet élan de repolitisation des enjeux de l’eau, j’attends des élus locaux une mobilisation pleine et entière, en particulier sur les questions de partage de la ressource. Nous devons nous réunir autour d’une ambition forte pour développer des solutions d’adaptation dans nos territoires.

Le 10 janvier dernier, lors du premier débat sur la ressource en eau que nous avions eu ensemble, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter plus en détail le plan Eau. Je vous remercie de nouveau de l’opportunité que vous m’avez offerte aujourd’hui de vous présenter les mesures les plus structurantes pour les collectivités.

J’aurai plaisir à poursuivre ces échanges individuellement, ou à l’occasion d’autres débats qui se tiendront dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la délégation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à saluer l’excellence du travail de nos quatre rapporteurs et de la délégation, qui a permis de mettre en lumière les défis qui nous attendaient. Jamais un exercice de prospective n’aura autant collé à la réalité que vous vous êtes tous essayés à dépeindre.

La première remarque je souhaitais formuler, à l’aune de vos interventions, c’est qu’il ne faudrait pas tomber dans une opposition entre le nécessaire effort de sobriété et la mobilisation de la ressource.

La sobriété – je réponds ici à Daniel Breuiller –, on peut d’ores et déjà y travailler : nul besoin de renvoyer à des travaux ou à des conventions.

Le département que je représente, l’Ardèche, a produit avec l’établissement public de bassin le document « Ardèche 2050 », qui est exemplaire en matière de sobriété. En effet, en mettant tous les acteurs autour de la table, il permet d’ores et déjà d’avancer sur le sujet, y compris dans sa dimension pédagogique.

Pour autant, nous avons besoin de mobiliser la ressource. Vous vous demandiez au cours de ce débat, madame la secrétaire d’État, pourquoi nous n’allions pas suffisamment vite sur la réutilisation des eaux usées traitées. Je vous invite à contacter le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), David Lisnard, que vous avez cité et qui se désespère. En effet, depuis dix ans, dans sa commune, il essaie de mettre en place un projet de cette envergure, qui n’aboutit pas – pour des raisons essentiellement administratives, on le sait.

Mes chers collègues, vous avez été nombreux à mentionner la question du stockage des réserves collinaires. Là aussi, je veux porter témoignage : dans mon département, les projets se succèdent pour répondre aux problématiques de l’agriculture, à celles du tourisme ou de la défense incendie, à toutes celles qui se posent sur le territoire.

Nous avons multiplié les études environnementales. Nous nous sommes appliqués à être le plus vertueux possible. L’État a signé des conventions avec la chambre d’agriculture, avec le département ; or aucun projet ne sort. Voilà la triste réalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Pour ce qui concerne le plan Eau, nous avons – heureusement ! – des convergences sur certains points, qui figurent d’ailleurs dans le rapport de la délégation, et je vous remercie de l’avoir souligné. Mais, je le dis très franchement, le bât blesse sur le volet financier.

La possibilité d’injecter, demain, 475 millions d’euros a été saluée. Mais c’est oublier au passage que nos agences de l’eau se voient depuis plusieurs années dans l’obligation de restituer 400 millions d’euros pour financer l’OFB. (M. Jean-François Husson et Mme Marta de Cidrac opinent.) Une fois l’addition et la soustraction faites, il reste peu d’argent pour répondre aux défis qui sont devant nous.

J’y insiste : si l’on n’a pas compris l’enjeu financier derrière la nécessité de prendre à bras-le-corps l’ensemble de ces sujets, nous n’y arriverons pas.

Vous avez évoqué l’enveloppe consacrée aux réseaux fuyards. Dont acte. Or dans mon département, par exemple, le préfet vient de refuser à vingt-six communes la délivrance de permis de construire pour se conformer à des obligations en matière de réseau d’eau. C’est oublier, là encore, que les agences de l’eau n’ont pu soutenir financièrement la mise en place de schémas directeurs dans ces communes, les renvoyant aux finances des départements.

S’il y a donc bien une avancée, elle est largement insuffisante et elle ne nous permettra pas de réaliser les efforts qui nous attendent.

Beaucoup a été dit. Je souhaite conclure mon propos par la question de la gouvernance.

Oui, il faut une gouvernance territorialisée. Pour cela, il importe de convier l’ensemble des élus de nos territoires autour de la table pour discuter et avancer sur tous ces sujets.

Nous avons aussi besoin d’agilité. Or, après une question d’actualité posée au Gouvernement à cet égard, et après votre réponse, madame la secrétaire d’État, à l’intervention de notre collègue Alain Joyandet dans ce débat, je n’ai toujours pas compris comment vous envisagiez l’avenir de la gouvernance dans nos territoires : intercommunale, via des syndicats, ou par mutualisation ?

Là encore, il faut être clair vis-à-vis des élus locaux, c’est-à-dire celles et ceux qui doivent être pionniers en matière de gouvernance de l’eau. Il faut leur faire confiance en permettant à des syndicats, qui épousent les bassins versants, de porter ce sujet.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. Revenons à l’essentiel, madame la secrétaire d’État. Il y va de la préfiguration de la gestion de l’eau dans nos territoires.

Nous avons pris acte de vos objectifs ; nous sommes prêts à en débattre et à avancer, car le temps de l’action est aujourd’hui venu. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-deux, est reprise à seize heures trente-quatre.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, au nom du groupe qui a demandé ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, harceler tue ! Ces deux verbes mis côte à côte désignent ce phénomène dramatique qui traduit un mal français : un laxisme sans précédent face à un fléau de société qui tue.

Le harcèlement, mes chers collègues, touche en France 1 million de jeunes chaque année, c’est-à-dire un jeune sur dix, qui sont autant de citoyens. Dès la socialisation naît le rejet. Et c’est lorsque l’enfant apprend à grandir, à l’école primaire, dans sa fragilité, qu’il est davantage concerné : à l’âge de ses premiers apprentissages.

Le harcèlement scolaire concerne également sa famille, ses proches, son entourage. Autrement dit, au sein de notre assemblée, par exemple, ici et maintenant, des dizaines de nos enfants ou petits-enfants subissent ce qu’aucun enfant ne devrait subir. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour.

Dès le plus jeune âge, des mineurs de plus en plus nombreux sont amenés à connaître la cruauté humaine et à perdre foi en autrui, alors que ce lien de confiance est fondamental pour l’épanouissement d’un individu. Cette réalité, qui dépasse souvent l’entendement, est trop régulièrement traitée comme un simple fait divers. Mais, derrière chaque prénom de victime, nous ne pouvons oublier son histoire, sa souffrance et sa douleur.

Suicide ou homicide ? On ne sait jamais véritablement qualifier l’acte d’un enfant qui se donne la mort, poussé à bout par ses camarades, que ce soit dans le cadre éducatif ou par le biais des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Pourtant, « camarade » est à l’origine un terme militaire qui renvoie au partage et à la fraternité. « Il n’est de camarades que s’ils s’unissent dans la même cordée », disait Saint-Exupéry.

L’école est ce lieu où la société a décidé de confier à des adultes la transmission de valeurs, de savoirs, de savoir-vivre et de savoir-faire à ses enfants. C’est l’endroit où la société dessine son avenir en formant les adultes de demain.

Aller à l’école ne doit jamais devenir une contrainte émotionnelle, mortifère, qui ne laissera que des séquelles, voire des stigmates chez ceux qui ont été victimes de harcèlement. Ce débat offre donc l’opportunité de poser des mots sur des incompréhensions que les victimes, les parents, mais aussi une forte majorité de nos concitoyens ne peuvent plus supporter.

Il est donc urgent de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation. Comment ne pas être choqué lorsque l’on sait que l’enfant harcelé, et donc brisé dans sa construction identitaire, doit quitter son école, tandis que celui qui a fait du mal peut y rester impunément ?

M. Max Brisson. Absolument !

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Voilà ce qui a conduit notre collègue Marie Mercier à déposer une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, afin que celle-ci ne subisse pas cette double peine. Il s’agit d’une mesure de bon sens, monsieur le ministre, puisque vous l’avez retenue, si l’on en croit vos annonces dans la presse ce matin.

L’impunité dans laquelle vivent les auteurs des faits de harcèlement doit cesser.

Cette impunité les mène à reproduire leurs actes de victime en victime, à ne pas comprendre et mesurer les conséquences et la gravité de leurs agissements. Il faut donc les prendre en charge de manière appropriée. N’oublions pas non plus les témoins, qui peuvent être traumatisés par la violence qu’ils ont observée et peuvent développer un sentiment d’impuissance.

L’école a bien évidemment un rôle à jouer dans la lutte contre le harcèlement, mais c’est avant tout l’éducation que l’on donne à son enfant qui déterminera la personne qu’il sera envers les autres. Ne nions pas cet élément, sans toutefois mettre en accusation les parents, afin que l’état des lieux ainsi dressé ne soit pas une équation dont il manquerait une inconnue.

Les parents doivent également être impliqués dans la prévention en étant sensibilisés et informés sur les différentes formes de harcèlement scolaire et encouragés à dialoguer avec leurs enfants.

J’ai l’espoir que chacune des dix-sept prises de parole inscrites sur ce débat favorisera le déclic qui nous permettra enfin de protéger nos enfants harcelés.

Les membres de la mission sénatoriale d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement estiment qu’il est temps de détecter et de traiter ce fléau, autour de ce qui doit constituer désormais une grande cause nationale – et non pas seulement une journée nationale instaurée un jeudi de novembre, comme un rappel annuel, durant laquelle chacun dénonce le harcèlement scolaire vingt-quatre heures durant avec tout le pathos que l’on sait.

Faisons-le pour les parents de Lucas, dans les Vosges, ou encore pour la famille d’Ambre, dans la Drôme. Nous ne pouvons le faire pour leurs enfants : pour eux, c’est déjà trop tard. Ils ont préféré mettre fin à leur calvaire en se donnant la mort, parce que notre pays n’a su ni les écouter ni les protéger. Nous devons donc aller plus loin dans la prévention et la formation auprès des acteurs de l’éducation nationale et des familles.

Malgré les avancées de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire et celles du programme pHARe, le programme de lutte contre le harcèlement à l’école, de tels drames traduisent un terrible échec collectif, une injustice inacceptable en 2023. Les chiffres montrent que ces mesures sont insuffisantes et que le système connaît des défaillances. L’autorité judiciaire doit faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de sa politique pénale afin de se saisir de la nouvelle infraction définie.

Les signalements doivent être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire ne doit plus être considéré comme une histoire entre gamins qui aide à grandir ou des jeux d’enfants sans importance. À Menton, dans mon département des Alpes-Maritimes, Anna « n’en peut plus d’aller au collège chaque matin avec la boule à ventre ». Et cela dure depuis six mois !

Ce combat ne se mène pas seul. Il est temps que nous prenions tous ensemble des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre le harcèlement scolaire. Il est primordial de lever le voile sur ce phénomène et d’oser en parler.

On aura beau mettre en place tout un arsenal de mesures, si les gens ne veulent pas voir, alors tout cela ne servira à rien ! Aidons-les à détecter les victimes, à les prendre en charge et à gérer les harceleurs. L’école est aussi ce lieu privilégié d’observation, de repérage, d’évaluation des difficultés scolaires, personnelles, sociales, familiales et de santé des élèves.

Pour conclure, je veux saluer toutes les personnes qui s’engagent au quotidien dans la lutte contre ce fléau.

Leur engagement est essentiel pour que nous puissions avancer ensemble dans la bonne direction, avec comme seul et unique objectif l’intérêt de l’enfant, pour que l’école ne soit plus une zone de non-droit et qu’enfance ne rime plus jamais avec violence. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Borchio Fontimp, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour un débat sur le harcèlement scolaire. Je vous en remercie, car j’ai voulu que la lutte contre le harcèlement, indispensable à la réussite scolaire, soit une priorité de mon action.

Longtemps dans l’angle mort du système scolaire, il faut bien le reconnaître, la lutte contre le harcèlement est, depuis 2017, un enjeu important pour le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, lequel se mobilise très fortement. Je m’inscris dans la continuité de l’action qui a été engagée.

Je citerai, à cet égard, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans laquelle le droit à une scolarité sans harcèlement est inscrit ; la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui pénalise le fait de harceler ; la généralisation, à la rentrée dernière, du programme pHARe.

Ce programme, dont nous aurons l’occasion de reparler, permet la mobilisation des communautés scolaires : 60 % des écoles et 86 % des collèges y sont engagés – nous avons certes encore du chemin à parcourir pour atteindre 100 %. Comme je l’ai annoncé, le programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée 2023.

Nous avons beaucoup à faire, à tous égards. Nos échanges me donneront l’occasion de préciser un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l’extension du programme susmentionné et, comme je l’ai annoncé ce matin, la possibilité pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, de scolariser l’élève harceleur dans un autre établissement.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, près de 1 million d’enfants sont victimes de harcèlement. Personne n’est épargné.

Si chaque situation de harcèlement est unique, les conséquences sont nombreuses et se ressemblent : baisse de l’estime de soi, isolement progressif vis-à-vis des camarades, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité.

Si chaque situation de harcèlement est un drame, il arrive même, bien trop souvent, que les cas de harcèlement virent à la tragédie. L’actualité se charge de nous le rappeler cruellement. On compte environ vingt suicides d’enfants par an. J’ai bien évidemment une pensée pour le jeune Lucas, décédé le 7 janvier dernier.

La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer définitivement le fléau du harcèlement à l’école.

Aujourd’hui, la situation se complique, car les frontières entre le cadre scolaire et la sphère familiale privée se brouillent. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les jeunes victimes n’ont plus un instant de répit. Le harcèlement vécu en classe se poursuit à la maison, jusque dans la chambre, censée être le refuge intime et protecteur par excellence. Les moqueries, les humiliations et les insultes continuent à pleuvoir par messages privés ou bien à la vue de tous, dans des publications devenant parfois virales.

La peur doit changer de camp. C’était justement le signal envoyé en juin 2021 par la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont ma collègue Colette Mélot était la rapporteure, et dont Alexandra Borchio Fontimp vient de rappeler les principaux éléments.

Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire et aucun département n’est épargné. On estime aujourd’hui entre 800 000 et 1 million le nombre d’enfants victimes de harcèlement scolaire chaque année, soit un enfant sur dix. Ces chiffres sont effrayants et nous engagent à réagir urgemment.

Le rapport de la mission d’information a présenté une série de pistes d’action concrètes. Elles s’organisent autour de trois axes clairs, destinés à guider l’action publique : la prévention, la détection précoce et enfin le traitement des cas de harcèlement. Il insistait notamment sur la gravité du cyberharcèlement, face auquel les parents et le personnel éducatif restent bien souvent démunis. La prévention des jeunes est cruciale, la formation des adultes est essentielle.

Nous devons développer collectivement de nouveaux réflexes de protection pour intervenir dès l’apparition des premiers signaux d’isolement ou de persécution.

C’est d’autant plus important au sein de l’école républicaine, qui doit être un lieu d’épanouissement et d’apprentissage pour nos jeunes, et non le théâtre de brimades, d’humiliations et de violences physiques ou verbales.

Tout le monde doit se mobiliser : éducateurs, parents, enfants, pouvoirs publics. L’État joue un rôle essentiel pour impulser une vaste stratégie de lutte contre ces violences dont souffrent nos jeunes à l’école. Nous devons tous être au rendez-vous.

Dès lors, monsieur le ministre, pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions et votre calendrier pour lutter avec efficacité contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Marc, je vous remercie de votre intervention. Je suis d’accord avec vous sur la gravité des conséquences du harcèlement. Vous avez rappelé les drames que nous avons connus ; j’ai une pensée, bien sûr, pour les victimes, qu’il s’agisse des élèves qui meurent chaque année à cause du harcèlement ou de ceux qui, plus silencieusement, sont affectés sur le long terme du fait de pressions ou de trajectoires scolaires enrayées.

La question du cyberharcèlement est très importante et je rejoins les propos que vous avez tenus. Je rappelle, à cet égard, l’existence du 3018, le numéro national pour les victimes de violences numériques, qui est gratuit et très efficace. J’ai visité les bureaux de cette plateforme, qui permet de répondre aux demandes de collégiens ou de leurs familles, parfois en panique, visant à bloquer des photographies intimes ou des boucles de messages, et qui y parvient très bien.

Je tiens à saluer l’existence de ces deux numéros, le 3018 et le 3020, qui seront systématiquement inscrits dans les carnets de correspondance des élèves à partir de la rentrée prochaine.

Le programme pHARe, que vous avez cité, a fait ses preuves dans les six académies où il était expérimenté jusqu’à l’année dernière. Il a été généralisé depuis la rentrée 2022 dans les proportions que j’ai indiquées, mais – je le répète – nous avons encore du chemin à faire. Il consiste à former au moins cinq adultes référents par établissement scolaire ainsi que des « élèves ambassadeurs ». En effet, les élèves sont souvent les mieux à même de détecter les changements de comportement de leurs camarades ou des situations de harcèlement et de rapporter les faits auprès des adultes formés. Il s’agit donc d’un vaste programme de formation des adultes.

Pour ce qui concerne le traitement des situations de harcèlement, nous nous efforçons, dans le cadre de notre mission pédagogique et puisqu’il s’agit d’enfants, d’amener l’élève harceleur à reconnaître ses torts.

Enfin, nous prévoyons la possibilité d’infliger des sanctions, par le biais des conseils de discipline ou via la nouvelle disposition que je viens d’indiquer.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l’école et de ce qui l’entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques dagacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flash-balls.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient de nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.

D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12,5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Dossus, vous avez raison, il ne s’agit pas du premier débat, dans cet hémicycle, sur la question du harcèlement scolaire. Toutefois, nous avançons.

Comme vous l’avez souligné, il n’y a pas de solution simple. Nous sommes sur un chemin de progrès, mais il n’y aura pas de baguette magique pour faire disparaître ce fléau d’un seul coup.

Vous avez dit à juste titre que le harcèlement pesait souvent sur un élève présentant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est un bon exemple. Nous avons connu un drame terrible voilà quelques semaines et je suis très mobilisé sur cette question. Nous préparons activement la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie du 17 mai, qui sera l’occasion de lancer une grande campagne. Vous avez mentionné la création des observatoires de lutte contre les LGBTphobies et notre partenariat avec l’association SOS homophobie, ainsi qu’avec d’autres associations, très impliquées.

Vous avez posé la question de l’évaluation des expérimentations qui ont eu lieu dans six académies pendant deux années. Cette évaluation est en cours ; une équipe de chercheurs travaille sur cette question.

On sait déjà, de manière empirique, que le règlement des situations de harcèlement a donné de bons résultats, mais qu’il ne s’est pas vraiment traduit par une baisse du nombre de cas. La mobilisation permet en effet de faire remonter des cas qui seraient autrement restés sous la ligne de flottaison.

Nous sommes également mobilisés au travers de la médecine scolaire. Ce que vous avez dit à cet égard est intéressant, dans la mesure où un bon tiers des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus. Nous pourrions doubler le nombre de ces postes que cela ne changerait rien au nombre de médecins en place. C’est pourquoi nous préparons activement, avec le ministre de la santé, un plan de médecine scolaire. Nous attendons pour le mettre en place la remise du rapport des trois inspections générales ; ce sera l’occasion de remettre à plat cette question importante.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi parle-t-on ?

Le « harcèlement entre pairs », qui est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire, est caractérisé par l’usage répété de la violence physique, des moqueries, des insultes et des humiliations. Il concerne – cela a été rappelé – entre 800 000 et 1 million d’élèves par an, soit 10 % des élèves. Avec l’avènement du numérique, le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux, et la sphère privée n’y échappe plus.

Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de ce problème grave, qui a récemment abouti au suicide dramatique du jeune Lucas.

Depuis 2018, les téléphones portables sont interdits à l’école et au collège, à la suite d’une proposition de loi de Richard Ferrand, adoptée après engagement de la procédure accélérée. Il s’agissait, en empêchant l’utilisation massive et précoce des téléphones, de lutter contre le cyberharcèlement.

En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé le droit de vivre une scolarité sans harcèlement : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »

La même année, le Gouvernement a annoncé l’extension des horaires de la plateforme « Net écoute », dédiée au cyberharcèlement.

Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement, cité à plusieurs reprises par les orateurs précédents et par vous-même, monsieur le ministre, est désormais obligatoire dans tous les collèges et toutes les écoles élémentaires depuis la rentrée 2022. Il implique à la fois les adultes, les élèves – les collèges ont été dotés d’élèves ambassadeurs – et les parents, qui sont associés à la lutte contre le harcèlement à l’école.

Il s’agit donc d’un dispositif à 360 degrés, qui concerne l’ensemble de la communauté éducative.

L’année dernière, la proposition de loi de notre collègue Erwan Balanant a créé un nouveau délit de harcèlement scolaire, qui sanctionne les élèves, étudiants ou personnels des établissements scolaires et universitaires reconnus coupables de harcèlement. Les peines encourues sont de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime du harcèlement. Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre le harcèlement qui a été complétée ces dernières années, depuis 2017.

Le dispositif paraît bien sûr insuffisant, car le harcèlement est toujours dramatique et le phénomène est encore trop récurrent. Des évolutions sont encore nécessaires. La proposition de loi de notre collègue Marie Mercier du groupe Les Républicains, qui pose le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, soulève des questions importantes : qui doit être concerné par l’éloignement systématique ? N’est-ce pas une double peine s’il concerne aussi l’enfant victime ? Une proposition de loi a été également déposée par notre collègue Sabine Van Heghe. On le voit, le Parlement s’est largement saisi de cette question.

Monsieur le ministre, vous avez apporté des éléments de réponse ce matin sur la façon dont sont traités les auteurs de harcèlement dans les établissements scolaires que vous pourrez peut-être compléter lors de ce débat.

Il faudrait également se pencher sur des méthodes complémentaires. Certains pays sont précurseurs sur ce sujet, comme les pays scandinaves, lesquels ont souvent un temps d’avance sur ces questions qu’ils ont prises à bras-le-corps depuis longtemps. Je pense notamment à la méthode de « la préoccupation partagée » ou au programme finlandais intitulé KiVa Koulu, mis en place en 2006 et organisé autour de discussions et de jeux de rôle, avec une systématisation de la lutte contre le harcèlement scolaire dans tous les établissements finlandais. Il serait bien de faire un parangonnage pour voir comment d’autres pays d’Europe ont pu avancer dans la lutte contre le harcèlement.

Nous avons beaucoup progressé sur la question, mais les faits de harcèlement restent encore trop graves et trop nombreux. Je ne doute pas qu’ensemble nous construirons de nouveaux outils, de nouvelles armes, pour lutter contre ce fléau. (MM. Xavier Iacovelli et Yves Détraigne, ainsi que Mme Marie Mercier, applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Bargeton, le programme pHARe s’inspire effectivement de l’exemple finlandais. Lorsque j’ai évoqué ce programme et son évaluation, j’aurais dû mentionner la Finlande, où il a donné de bons résultats.

J’attire votre attention sur la dimension pédagogique du programme, qui vise non pas à sanctionner d’emblée, mais plutôt à amener l’enfant harceleur à reconnaître la gravité de ses actes et à participer par la suite à la mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative contre les faits de harcèlement.

Il arrive que d’anciens harceleurs soient au premier rang des élèves ambassadeurs dans la lutte contre les situations de harcèlement. En ce sens, l’école conserve bien sa mission première, qui est pédagogique. Parfois, cette dimension peut ne pas suffire et la situation est alors si dégradée entre un ou des harceleurs et les harcelés que la séparation entre les élèves devient la solution ultime.

Cette mesure est envisageable dans le secondaire, puisque les conseils de discipline peuvent scolariser un élève dans un autre établissement que celui d’origine ; en revanche, elle n’est pas possible dans le primaire, où il n’y a pas de conseil de discipline. C’est pourquoi nous proposons de passer par la voie réglementaire, et non législative, pour permettre, dans certains cas et en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions auront été envisagées, de déplacer l’élève, indépendamment de l’avis de ses représentants légaux et selon une procédure que je détaillerai si la question m’est posée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, près de 1 million d’élèves subissent chaque année une forme de harcèlement durant leur scolarité, d’une violence parfois telle qu’elle pousse certains enfants à attenter à leurs jours.

Il est intolérable, monsieur le ministre, que les fondements du vivre ensemble soient ainsi sapés et que les jeunes soient éprouvés à l’âge ou ils font leurs premiers apprentissages, dévoilant leurs fragilités propres à l’adolescence.

Bien sûr, il ne s’agit pas ici de dire que rien ne se fait au sein de l’éducation nationale. Même si le programme pHARe a été généralisé à la rentrée 2021, nous devons encore constater la difficulté à franchir le mur de l’administration scolaire et la tentation du « pas de vagues » au sein de certains établissements.

La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales, associatives ou institutionnelles. Dans mon département du Pas-de-Calais, par exemple, j’ai animé avec les services de l’État, de la police, de la gendarmerie, de la justice et de l’éducation nationale une réunion visant à améliorer l’accueil, la protection et le suivi des élèves victimes de harcèlement scolaire, ainsi que la prise en charge des auteurs des faits délictueux.

Je me réjouis de la mobilisation de tous ces acteurs, mais cela reste insuffisant et la question du harcèlement scolaire révèle encore de grandes failles qui doivent être comblées.

Je viens donc de déposer avec mes collègues sénateurs socialistes une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement afin de compléter l’arsenal juridique existant.

Notre texte se veut pragmatique, simple et concret. Il prévoit notamment d’imposer aux réseaux sociaux une nouvelle obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés sur le sujet au sein de l’école et de permettre l’exclusion des auteurs pour éviter la double peine qui s’impose aux victimes, forcées de quitter leur établissement pour échapper à leurs bourreaux. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez d’ores et déjà repris cette dernière mesure, qui est très importante.

En tout état de cause, la clef de tout, c’est l’augmentation du nombre d’adultes effectivement présents dans les établissements, comme le réclament les sénateurs de notre groupe à chaque discussion budgétaire depuis maintenant six ans. Il est impératif d’augmenter les postes de personnels médico-sociaux et de psychologues dans les établissements scolaires, personnels jouant un rôle essentiel dans la prévention, la détection et la prise en charge des cas de harcèlement.

Pour que la parole des enfants et des adolescents se libère, ceux-ci doivent se sentir écoutés, compris et protégés. C’est par la présence suffisante de personnes formées et à l’écoute que nous pourrons espérer faire fléchir ce fléau insupportable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Van Heghe, je vous remercie d’abord pour le travail et le rapport que vous avez réalisés sur le sujet avec Mme Mélot.

Nous avons repris votre proposition de mieux diffuser les numéros téléphoniques 3018 et 3020 : ils seront inscrits dans les carnets de correspondance et dans les espaces numériques de travail (ENT). Une campagne d’affichage a également été réalisée, et j’ai pu voir ces affiches dans les couloirs de pratiquement tous les établissements scolaires dans lesquels je me suis rendu.

Nous n’en sommes plus à l’époque du « pas de vagues ». À l’évidence, nous sommes très mobilisés sur cette question et nous avons, depuis un certain temps, passé un cap, même s’il reste du travail à faire.

Nous souhaitons éloigner les élèves harceleurs – et je veux ici remercier la sénatrice Marie Mercier de sa proposition – indépendamment de l’avis des parents ou des représentants légaux, lorsque la situation est devenue intenable et que la sécurité de l’élève ou des élèves harcelés est mise en cause. Cela suppose l’accord du maire de la commune de résidence, voire des deux maires si la scolarisation a lieu dans une commune voisine.

Il faut procéder avec discernement, puisque nous avons affaire à des enfants âgés de 6 à 11 ans et que les situations entre harceleurs et harcelés ne sont parfois pas si claires, avec des « échanges », si j’ose dire, entre la situation des uns et des autres. Mais il faut pouvoir envisager la possibilité d’un éloignement lorsque la situation est bloquée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.

Mme Sabine Van Heghe. Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut certes agir avec discernement, mais il ne faut pas faciliter la vie du harceleur au détriment du harcelé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit chaque année une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement. C’est un drame, car il entraîne des enfants vers des actes extrêmes.

Face à ces situations, nous ne sommes pas totalement démunis, même s’il n’existe pas de remède miracle. Le Sénat a ainsi fait trente-cinq propositions dans le cadre d’une mission d’information précédemment évoquée. La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a également fourni quelques outils.

Il convient, grâce à ce débat, d’en faire un bilan afin de vérifier que les réponses en matière de prévention, de détection et de soutien aux victimes et à leurs familles sont opérantes.

La loi a inscrit la lutte contre le harcèlement scolaire dans le code de l’éducation, ce qui permet de mieux appréhender et punir ce phénomène. Dans son article 1er, il est instauré « une information sur les risques liés au harcèlement scolaire […] délivrée chaque année aux élèves et parents d’élèves ». Comment cette mesure se traduit-elle dans les établissements scolaires et selon quels moyens ?

L’article 7 prévoit également la remise d’un rapport relatif aux frais de consultation et de soins engagés par les victimes. Monsieur le ministre, ce rapport a-t-il été produit ? Pouvez-vous nous en donner les éléments ?

Le texte prévoyait aussi la « CDIsation » des assistants d’éducation, qui constituent un des rouages d’alerte et de prévention essentiels au sein des établissements. Le décret a tardé à être pris ; bien qu’il ait été publié, certaines académies continuent visiblement à ne pas appliquer cette disposition. Monsieur le ministre, quand cette mesure sera-t-elle généralisée ?

J’aimerais également rappeler la conviction, que j’ai plusieurs fois exprimée ici, d’une revalorisation du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui leur garantirait, entre autres, une véritable formation initiale et continue, notamment en matière de harcèlement, le handicap pouvant constituer un « motif ».

Autre avancée de cette loi, mais qui, d’après les remontées de terrain, se révèle encore insuffisante : le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels éducatifs. Quel est le contenu de cette formation initiale ? Qu’en est-il pour la formation continue ?

Le programme pHARe, déjà évoqué à plusieurs reprises, a été généralisé en 2022. C’est une bonne chose, mais cette généralisation a été lancée avant même le retour d’expérience des six académies tests. Or leur expertise permettrait, je le crois, d’améliorer le programme.

Je pense, par exemple, à la constitution d’une équipe d’au moins cinq personnes par collège ou par circonscription pour le premier degré. Je rappelle que ce déploiement se fait à moyens humains constants, alors que les personnels ont déjà de nombreuses missions, et même de plus en plus, à effectuer. Les suppressions de postes risquent également de fragiliser ce travail. À cet égard, vous évoquez régulièrement la baisse démographique comme justification, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d’encadrement en comparaison avec d’autres pays européens.

Que se passe-t-il lorsqu’un des membres de l’équipe n’est plus en poste ? Il faut recommencer tout le processus, ce qui est dommage. C’est la même chose avec les dix heures de formation pour tous les élèves du CP à la troisième : qui les assure, comment et avec quels outils ?

Lors de votre audition dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, nous vous rappelions, comme cela vient d’être fait, la situation critique de la médecine scolaire qui constitue, elle aussi, un maillon essentiel de la lutte contre le harcèlement. Il est de notoriété publique que les effectifs ont fondu comme neige au soleil, encore plus en milieu rural. Nous manquons de psychologues pour les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).

Vous indiquiez alors devoir rencontrer le ministre de la santé pour envisager « une autre structuration de la médecine scolaire » et « des alternatives qui permettent de répondre aux impératifs de médecine de prévention et de détection ». Quelles sont ces alternatives ? Où en est-on du travail que vous proposiez de lancer ?

Enfin, le harcèlement scolaire a changé de dimension avec le poids pris par les réseaux sociaux, qui n’offrent aucun répit aux victimes. Les frontières de l’école sont maintenant largement dépassées et il me semble que les plateformes doivent davantage assumer leurs responsabilités.

Pourquoi ne pas avoir retenu l’idée de contraindre les réseaux sociaux à présenter régulièrement des vidéos de prévention et de sensibilisation au cyberharcèlement ?

Enfin, je voudrais revenir sur vos propos de ce matin sur l’éloignement des élèves harceleurs. Jusqu’à présent, cette mesure concernait la victime. Avez-vous consulté les associations d’élus, puisqu’il faudra l’accord du maire de la commune de l’école d’accueil ?

Je suis désolée d’évoquer une question triviale, mais cette mesure entraîne des conséquences financières, puisque la commune de résidence de l’enfant devant changer d’école doit verser une participation. Là encore, avez-vous consulté les associations d’élus sur ce point ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brulin, vous avez fait allusion au programme pHARe et à la loi du 2 mars 2022 qui place la question de la formation au cœur du dispositif. De fait, nous avons intensifié les programmes de formation.

D’abord, en les systématisant au niveau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) pour les professeurs stagiaires ou pour les conseillers principaux d’éducation (CPE) stagiaires.

Ensuite, en organisant des séminaires nationaux avec des déclinaisons académiques pour former les formateurs, si je puis dire, afin que les choses se diffusent au niveau des écoles et des établissements. Le processus est lent, car il y a beaucoup de personnels à former sur le sujet : cinq personnes par établissement scolaire du côté du secondaire et cinq personnes par circonscription du côté du primaire. Nous menons ce travail sur plusieurs années.

En parallèle, il faut organiser la sensibilisation des familles : cette mesure est importante, car elles ont un rôle à jouer. En début d’année scolaire, nous insistons sur le fait que les écoles et les établissements doivent en particulier sensibiliser les familles aux numéros téléphoniques 3020 et 3018.

Vous avez fait allusion à la médecine scolaire : je l’ai dit, nous attendons le rapport des trois inspections générales avant de faire des propositions. Je serai heureux de venir en parler devant vous, si vous le souhaitez.

Quant aux plateformes, je suis d’accord avec vous : elles doivent être responsabilisées. Nous avons d’ailleurs eu un échange sur cette question lors de la visite de la plateforme du 3018.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Toine Bourrat applaudit également.)

M. Jean Hingray. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté éducative est démunie. Elle est démunie, car elle est affaiblie par un phénomène incompris de tous, pourtant bien présent : le harcèlement. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.

En s’attaquant à notre République, aussi dépassée que désarmée, le harcèlement remet en question sa légitimité, une légitimité pourtant construite au travers des siècles, de Napoléon à Jules Ferry, en passant par Julie-Victoire Daubié. L’école républicaine, de par sa capacité à s’adapter aux circonstances, parfois aux crises, a toujours su aller de l’avant. Mais aujourd’hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d’élèves.

Mes chers collègues, il est difficile de comprendre la nature humaine, la psychologie et les rapports de force qui s’opèrent entre les élèves. Nous observons, avec tristesse et colère, les conséquences funestes de ces abus.

Près de 1 million d’enfants subissent des faits de harcèlement scolaire en France. En 2021, vingt-deux enfants ont fait le choix de renoncer, de la pire des manières. Vivant une souffrance insupportable, ils n’avaient plus la force de vivre ; ils ont alors fait le choix de ne plus souffrir.

Nous constatons avec regret la faible prise en charge de notre système éducatif dans la résolution de ce phénomène. Difficilement cernable, le harcèlement prend plusieurs formes – moral, physique, sexuel. Et n’oublions pas le racket.

Le harcèlement, d’une manière générale, est un phénomène qui s’accroît et se complexifie avec les réseaux sociaux. Le semblant d’anonymat qu’il permet, la tendance à suivre les effets de meute et la volonté de se distinguer du groupe font de ces réseaux le lieu propice et privilégié du harcèlement.

Le harcèlement scolaire est partout. De l’école à la maison, en passant par les transports en commun – 50 % des collégiens se plaignent d’ailleurs de violences dans les transports.

Les effets de groupe ont longuement été étudiés et font consensus dans la communauté scientifique. Il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs. Ce sont ces mêmes passifs qui, parfois, se trouvent au sein même du corps enseignant, lequel est censé écouter et prendre des mesures, et qui finissent par ne pas agir ou par agir trop tard.

Le harcèlement est l’un des principaux fléaux de notre système éducatif. Les victimes et leurs familles sont parfois confrontées à une parole qui est certes entendue, lorsqu’ils en ont la chance, mais qui n’est pas considérée.

Mes chers collègues, à quoi bon entendre lorsque nous refusons d’écouter ? Il est difficile de reconnaître une situation dans laquelle un élève est harcelé. Le harceleur agit de façon cachée et les formes que peut prendre ce phénomène sont souvent interprétées comme de simples chamailleries d’enfants. Les adultes ne s’attardent pas toujours ou pas assez sur certains phénomènes de microviolence : ils sont considérés comme banals, voire « normaux », entre jeunes et moins jeunes.

Nous assistons à une perte de confiance de plus en plus grande entre parents, élèves et éducation nationale. Et que dire des délais de traitement trop longs au sein des établissements ? Le délai doit donc être défini clairement, afin de ne pas laisser les familles et les victimes en suspens pendant des mois, au cours desquels le harcèlement perdure ou s’intensifie.

La prise en charge des signalements au sein des établissements reste floue : les procédures de signalement ne sont pas harmonisées ; à certains égards, elles sont même inadaptées.

Je le répète, nous sommes face à un phénomène profondément humain, qui mérite une réponse de l’État.

Il faut aussi reconnaître les avancées en la matière. L’éducation nationale s’est dotée de moyens considérables pour lutter contre le harcèlement scolaire. Le programme pHARe a le mérite d’exister, même s’il demeure insuffisant. Il rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement, sur la base du volontariat. La procédure semble en apparence louable.

Voilà deux mois, je vous ai interpellé au sujet du suicide du petit Lucas. À la suite de cette intervention, deux familles de mon département, les Vosges, m’ont contacté pour me faire part d’une faille notoire, qui se transforme en cauchemar pour les victimes.

Les élèves harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe qui, je le rappelle, est censé protéger les victimes. Que se passe-t-il, monsieur le ministre ? Il n’est plus question de prévention, il faut des réponses concrètes. Il est nécessaire de responsabiliser des établissements en matière de harcèlement. Nous devons faire de l’école un lieu de vivre ensemble exemplaire.

La prise en charge de la victime est fondamentale, prioritaire. Il faut en même temps encadrer efficacement les harceleurs. De nombreuses méthodes existent pour prendre en charge le harcèlement. Je pense notamment aux méthodes Farsta, No Blame Approach et Pikas. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Hingray, au fond, deux écueils doivent être évités : celui de dire que rien ne change dans l’éducation nationale et que ce dont on parle n’est que du vent et, à l’inverse, celui d’expliquer que le programme pHARe et les dispositions prises ces dernières années auraient miraculeusement tout changé.

Nous avançons sur le chemin et je reconnais avec humilité devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons du travail à réaliser ensemble pour réduire ce phénomène catastrophique qu’est le harcèlement.

La formation des enseignants et des adultes dans les établissements et dans les écoles est une mesure très importante. Toutefois, comme je l’ai souligné, cela prend du temps compte tenu de la masse des personnes à former. Néanmoins, j’observe tout de même une prise de conscience dans les communautés éducatives que l’on n’observait pas voilà quelques années.

Les délais de traitement sont peut-être longs, trop longs, mais méfions-nous à l’inverse des procédures expéditives. En la matière, les chefs d’établissement ou les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) peuvent prendre des mesures de sauvegarde par lesquelles un élève harceleur est temporairement écarté sans préjuger de la suite de la procédure.

En dépit de la démarche pédagogique qui sous-tend le programme pHARe et qui est essentielle – j’insiste sur ce point –, il faut également envisager des sanctions. Celles-ci font partie de la pédagogie, qu’elles se traduisent par un conseil de discipline ou, dans le premier degré, par le transfert de l’élève harceleur selon une procédure que nous voulons mettre en place par voie réglementaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.

M. Jean Hingray. Monsieur le ministre, j’entends vos propos sur le travail que vous avez entamé, à partir notamment des préconisations du Sénat. Vous l’avez souligné, ce travail sera long.

Je le redis, à la suite de mon interpellation sur le suicide du petit Lucas, deux familles des Vosges sont venues me voir. La Dasen nous a aidés – vous avez évoqué cette possibilité. Le travail que nous menons collectivement doit faciliter la sensibilisation et la prise de conscience des familles, mais je suis étonné, voire choqué, qu’on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l’éducation nationale.

Vous avez évoqué les sanctions dans votre propos conclusif : je suis tout à fait d’accord, les sanctions doivent être renforcées. Je reprendrai une phrase d’un de vos collègues ministres : il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 janvier dernier, Lucas, âgé seulement de 13 ans, a mis fin à ses jours. Si les causes directes de son passage à l’acte restent encore à confirmer, les conséquences du harcèlement scolaire dont il a été victime pendant des mois ne peuvent être niées.

Comme lui, chaque année, plus de 800 000 enfants souffrent de harcèlement scolaire et 26 % d’entre eux ont des idées suicidaires. Ainsi, 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences à l’école, qu’elles soient morales ou physiques. Les conséquences psychologiques de ce que trop considèrent comme de simples railleries subies pendant l’enfance sont multiples : perte de l’estime de soi, tendance dépressive, vulnérabilité relationnelle que ce soit dans un contexte professionnel, relationnel ou amoureux.

À un âge auquel ces enfants manquent encore de discernement et auquel très peu parviennent à parler de ce qu’ils subissent, le soutien des services scolaires est d’une nécessité évidente. Comment expliquer l’escalade de violences qu’a subies le petit Farès il y a quelques semaines ? Comment expliquer que sa mère n’ait même pas été prévenue par la direction de l’établissement scolaire ?

Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés afin de déceler au plus tôt ces situations et d’éviter que de nouveaux drames ne se produisent. Mais il ne faut pas oublier que le harcèlement scolaire ne commence ni ne cesse aux portes des écoles : la rue et les réseaux sociaux sont également un lieu de calvaire pour des milliers de jeunes.

Certes, des peines sont prévues pour les auteurs de harcèlement scolaire. Mais ces enfants en ont-ils seulement conscience ? Face à la hausse des cas, le programme pHARe, des grilles d’évaluation du danger, un numéro d’écoute et d’aide sur le harcèlement sont-ils suffisants ? Les initiatives de certains établissements et collectivités sont louables. À l’heure où la sensibilisation des enfants doit être une priorité, ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées.

Monsieur le ministre, vous assurez que la prévention et la lutte contre le harcèlement entre élèves constituent l’une de vos priorités. Les enseignants doivent plus que jamais être préparés et attentifs, les parents alertés, afin que l’école puisse redevenir un lieu d’ouverture d’esprit dans lequel chaque enfant, quel qu’il soit, puisse s’épanouir sans entrave.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Benbassa, les chiffres dont nous disposons ne sont pas complètement stabilisés. La mesure du harcèlement varie selon les outils utilisés, mais aussi selon la définition que l’on en donne : puisque les actes doivent être répétés, à partir de combien de situations de violences, physiques ou symboliques, et d’insultes entre-t-on dans cette catégorie ?

Malgré ce flou, peu importe : il faut s’attaquer à la réalité du problème. Déceler les situations de harcèlement le plus rapidement possible est l’un des objectifs évidents de notre mobilisation au travers du programme pHARe.

J’attire votre attention sur l’importance des élèves ambassadeurs, qui sont souvent les plus à même de repérer le changement de comportement d’un de leurs camarades : isolement, rapport à l’alimentaire, au travail et aux autres… Autant de signes qui peuvent laisser penser qu’une situation de harcèlement est en cours. Nous comptons beaucoup sur la mobilisation des élèves eux-mêmes.

Il faut ensuite traiter le problème. Dans un premier temps, quand la réaction a lieu suffisamment tôt, il peut être résolu au sein de l’établissement. Dans un deuxième temps, si la situation de harcèlement perdure, les autorités académiques et départementales de l’éducation nationale interviennent avec des psychologues et d’autres agents relevant du secteur de la santé. Dans un troisième temps, dans des cas extrêmes, une sanction peut intervenir selon les modalités que j’ai précisées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. J’attire également votre attention sur un problème qui a récemment fait l’actualité : la violence sexuelle à l’école entre enfants de 6 ou 7 ans. C’est une autre facette du même problème.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Un an après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ? L’ajout de ce texte dans l’arsenal législatif tendait à garantir aux jeunes une scolarité apaisée. Elle visait, d’une part, à mieux prévenir les actes de harcèlement et à prendre en charge les victimes et, d’autre part, à améliorer le traitement judiciaire.

Prévenir les faits passe par une formation continue sur ces problématiques de toutes les personnes qui entourent les élèves au sein et en dehors des établissements.

Je salue le succès du programme pHARe, rendu obligatoire depuis la rentrée 2022 dans les collèges et les écoles élémentaires. En plus de « former une communauté protectrice » autour des élèves, de « mobiliser les instances de démocratie scolaire […] et le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement » et de mieux former les élèves à raison de « dix heures d’apprentissages par an », le programme mobilise dix enfants par établissement en leur confiant le rôle d’ambassadeurs. Cela permet de responsabiliser les élèves, notamment dans les établissements classés réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP+, et permet aux victimes de se confier plus facilement.

Je salue aussi la poursuite chaque année depuis 2015 de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, se déroulant chaque premier jeudi après les vacances de la Toussaint. Elle permet de sensibiliser les élèves par des expositions et des manifestations.

Je salue également le Safer Internet Day, qui fête sa vingtième édition cette année et qui rassemble, grâce au travail de la Commission européenne et de « Internet sans crainte », plus de 150 pays et de nombreuses associations.

Je salue enfin l’organisation de campagnes vidéo et celle du prix Non au harcèlement dans de nombreux établissements.

S’ajoutent à ces dispositifs les numéros nationaux encore trop peu connus – ce que vous avez souligné, monsieur le ministre – et la plateforme digitale dédiée à la lutte contre le harcèlement, qui a recensé plus de 170 déclarations à ce jour.

Toutefois, force est de constater que la prévention ne suffit pas. Il faut prévoir des solutions pour punir les faits lorsque le harcèlement a été commis et constaté. Le nouveau cadre législatif et réglementaire a introduit un délit ouvrant la voie à des poursuites à l’encontre de tout harceleur. Un quantum de peines nécessaires, proportionnées et adaptées a démontré son efficacité, notamment dans les récentes mises en garde à vue.

Le harcèlement scolaire ne passe plus seulement par la parole ou la maltraitance physique, il sévit dorénavant sur les réseaux sociaux qui poursuivent la victime jusque chez elle. Nos méthodes de sanction doivent donc s’adapter.

La loi a permis une avancée en considérant les réseaux comme des éléments constitutifs de cette nouvelle infraction. Nous devons aller plus loin : il est temps d’intensifier et d’axer notre réflexion sur les méthodes de régulation des réseaux sociaux, en veillant à respecter le secret des correspondances, la liberté d’expression et la sécurité de nos enfants.

Il faut également que les victimes ne subissent pas le préjudice du déplacement scolaire, alors que les harceleurs bénéficient du maintien dans le même établissement. À cet égard, monsieur le ministre, il semblerait que vous nous ayez rassurés ce matin.

Les pouvoirs publics n’ont cessé depuis 2010 de se mobiliser pour lutter contre le harcèlement scolaire. Pour autant, ils ne doivent pas se désengager. Je regrette que les dernières études disponibles datent de 2021 en ce qu’elles ne nous permettent pas d’évaluer les premiers résultats de la loi promulguée l’an dernier. Je regrette également que le Gouvernement, contrairement à ce qui avait été annoncé, n’ait pas remis dans le délai d’un an « un rapport relatif à la couverture des frais de consultation et de soins engagés par les victimes et par les auteurs de faits ». En gardant un œil sur les résultats, poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez raison de préciser que les mobilisations annuelles comptent, que ce soit au travers du Safer Internet Day, le 6 février, ou du prix Non au harcèlement, au mois de novembre. Le retentissement est réel dans les établissements scolaires, comme j’ai pu le mesurer moi-même.

Vous avez également raison au sujet des réseaux sociaux : nous devons les responsabiliser. La plateforme 3018 peut demander aux principaux acteurs de bloquer des comptes relayant des propos injurieux ou des photographies qui n’ont pas à circuler. Néanmoins, nous attendons de ces réseaux qu’ils soient plus proactifs et mobilisés.

En ce qui concerne les élèves harceleurs, j’ai annoncé une modification réglementaire du code de l’éducation afin de transférer les harceleurs plutôt que les harcelés : la situation actuelle est anormale.

Nous insistons aussi sur le fait que cette décision, qui peut être prise en dépit de l’avis des représentants légaux, est une solution de dernier recours. En réalité, il s’agit moins d’une sanction que d’une mise en sécurité des élèves harcelés dans une situation où, à l’évidence, les procédures de conciliation ne fonctionnent plus.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, vous attendez des réseaux sociaux qu’ils se régulent. Personnellement, je pense qu’il ne faut pas attendre passivement de leur part toutes les solutions face aux risques de harcèlement. Au contraire, il nous faut être un peu plus proactifs. On attend justement de l’État d’assurer cette sécurité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Que se passe-t-il donc dans nos cours d’école quand les élèves ne jouent pas à leurs activités préférées ? Si l’on parle d’enfer des récréations, c’est qu’on trouve parfois dans ce petit monde secret et clos du racket, des conflits, de l’intimidation et aussi du harcèlement.

Le harcèlement à l’école touche 1 million d’élèves, soit 1 million de familles. Pour combien de larmes ? Si la victime vit un calvaire, son agresseur est aussi en souffrance. Tout le monde est perdant : enfants, parents, familles, enseignants et chefs d’établissement.

Le harcèlement est toujours une affaire complexe. Cette violence répétitive est fondée sur des rapports de domination et de discrimination d’âge, de sexe et de religion qui entraînent une dégradation des conditions de vie de la victime, qui se sent de plus en plus isolée, détruite et abandonnée. Les répercussions sont graves, tant elles portent atteinte à l’intégrité de ces enfants. Elles peuvent parfois conduire au pire. Il est urgent que les drames subis par les harcelés soient rapidement et sérieusement pris en considération sous tous leurs aspects.

En la matière, la prise en charge préventive est bien entendu la meilleure des choses : le harcèlement ne doit pas commencer ; à défaut, il doit être repéré et géré au plus tôt. Tel est l’objectif du programme pHARe.

Quand il est trop tard, que le harcèlement est installé, le monde adulte doit prendre toutes ses responsabilités pleines et entières : la victime doit être protégée et avoir foi en notre justice. De son côté, le harceleur doit comprendre que ses actes sont répréhensibles et être lui-même accompagné dans sa souffrance. Sinon, quels citoyens seront-ils demain ?

J’ai déposé le 21 février dernier une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime. Son objet est d’affirmer un principe simple : ce n’est pas à la victime de fuir et de quitter son établissement et son environnement pour échapper à son harceleur, ce n’est pas non plus à sa famille de s’adapter à ce changement, mais au petit harceleur. Les maires m’indiquent signer les dérogations avec la boule au ventre quand de gentils gamins sont obligés de partir. J’ai voulu donner aux établissements scolaires une référence sur laquelle s’appuyer pour agir. Je remercie les 215 sénateurs qui ont bien voulu cosigner mon texte et ceux qui le partagent puisqu’ils l’ont repris.

Il existe bien sûr une procédure disciplinaire applicable aux élèves et qui relève du pouvoir réglementaire des établissements au travers de leur règlement intérieur. Actuellement, rien n’empêche un conseil de discipline d’exclure un élève auteur de faits de harcèlement. Force est de constater que, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Ma proposition vise donc à affirmer une position de principe : guider et soutenir les établissements dans leur prise de décision, dans la mesure où de trop nombreux témoignages montrent que les jeunes victimes subissent cette double peine.

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous vous soyez emparé de cette idée. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il demeure nécessaire d’agir en amont en le reconnaissant, en le nommant et en évaluant l’efficacité des dispositifs mis en place. Aucun élève ne devrait avoir à quitter une école. Protéger les enfants est notre devoir, comme celui de leur transmettre des connaissances dans un milieu apaisé, qui leur laisse leur insouciance et leurs rêves. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Mercier, je vous remercie très vivement pour votre mobilisation sur cette question et pour votre proposition de loi, que 215 de vos collègues, issus de différents groupes politiques, ont signée.

En matière d’enseignement primaire, comme vous le savez, il n’y a pas de procédure disciplinaire, d’où l’impasse que nous avons connue récemment dans le cas du jeune Maël : le transfert ou le déplacement de l’élève harceleur a été soumis à l’accord des représentants légaux. Avec ma proposition de modification du code de l’éducation, il sera possible de passer outre l’avis des parents, avec l’accord du maire concerné.

Cette avancée me semble tout à fait importante. On inverse en quelque sorte la situation, puisque c’est le harceleur qui part et non le harcelé. Il faut admettre que ce n’est que justice. Quand il sera trop tard, comme vous l’avez souligné, pour empêcher le harcèlement, on pourra encore agir et déplacer l’élève harceleur. C’est une solution de dernier recours, mais qu’il faut prévoir, dans le premier comme dans le second degré.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Monsieur le ministre, votre proposition reprend en tout point ce que je suggérais d’inscrire dans le code de l’éducation.

Par ailleurs, je voudrais vous prévenir : il m’a été assuré au cours de mes nombreuses auditions, à l’intérieur même de l’éducation nationale, que si les choses devenaient trop compliquées le terme « harcèlement » ne serait plus utilisé et serait remplacé par un autre. Ce ne serait pas digne de l’éducation nationale !

M. Max Brisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous et toutes été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, qui subissait quotidiennement harcèlement et moqueries sur son orientation sexuelle. Depuis ce drame, quelles mesures avez-vous prises pour mettre fin aux brimades quotidiennes subies par une partie de nos enfants ?

Votre volonté d’éradiquer le fléau du harcèlement scolaire se vérifiera par vos actions sur deux leviers essentiels : renforcement des moyens humains à l’école et changement de la culture scolaire qui prévaut dans notre pays.

Chacun le sait, la meilleure façon de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs d’encadrement des élèves. Toutes les recherches démontrent que plus on réduit le nombre d’élèves dans les établissements et dans les classes, plus le harcèlement diminue.

Or la France a les classes les plus chargées de l’Union européenne. Au collège, l’effectif moyen approche vingt-six élèves, soit très au-dessus de la moyenne européenne située sous la barre des vingt et un. Plus d’une classe sur dix dépasse désormais les trente élèves, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron n’a fait qu’aggraver cette situation dramatique. Depuis 2018, le second degré a perdu 9 322 enseignants ; la saignée continue, puisque votre ministère annonce de nouvelles suppressions de postes pour la rentrée 2023.

À ce terrible bilan s’ajoute l’abandon de la médecine scolaire, évoqué par mes collègues. La France compte à l’heure actuelle un psychologue de l’éducation nationale pour 1 500 élèves et un médecin scolaire pour 16 686 élèves, très loin de la préconisation de votre ministère d’un médecin pour 5 000 enfants. Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire quand on réduit à ce point les moyens de l’école ?

Par ailleurs, la manière dont on conçoit et organise l’école peut favoriser le harcèlement ou permettre de s’y opposer. On a trop tendance à prendre le problème sous l’angle de la discipline avec une approche purement punitive et à déléguer la lutte contre le harcèlement aux conseillers principaux d’éducation (CPE) plutôt que de développer une approche collective.

C’est en amont, dans notre culture et organisation scolaires, qu’il faut aller chercher les ressources pour lutter contre le harcèlement. Face à une école de la concurrence entre individus, une école du classement et de la distinction, qui crée des rivalités, défendons, contre la pression des notes et le stress des examens, un modèle qui promeut des valeurs de solidarité, de coopération, de bienveillance, de tolérance et d’inclusion.

Défendons aussi un modèle où la santé mentale n’est plus un tabou, un modèle scolaire qui place la mixité en son cœur pour développer une approche positive de l’autre, où l’altérité et la différence ne constituent pas un danger, mais une chance.

Pour aller dans ce sens, vous nous aviez justement promis, dans cet hémicycle même, monsieur le ministre, des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars dernier. Nous les attendons toujours : où en est-on ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Chantrel, depuis la mort du jeune Lucas, nous avons intensifié les programmes de lutte contre la haine anti-LGBT. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, nous préparons activement la journée du 17 mai et nous avons généralisé les observatoires académiques des LGBTphobies, qui sont de bons points d’appui pour sensibiliser aux haines anti-LGBT dont les effets sont catastrophiques dans nos écoles.

Je suis obligé de mettre un bémol à votre propos sur le personnel : il n’y a pas de lien évident entre les situations de harcèlement et les effectifs. Dans le cas du jeune Maël, la classe qui est la sienne n’a que dix élèves. Il ne s’agit donc pas d’une situation de surcharge.

En ce qui concerne la médecine scolaire, je partage bien entendu votre constat. Néanmoins, comme j’ai eu l’occasion de le préciser, les postes ne sont pas tous pourvus. J’ai en mémoire la situation du département des Vosges : sur dix postes de médecin scolaire, huit sont vacants. En ouvrir cinq ou six ne changerait donc rien à la situation.

Le problème de fond est que les étudiants en médecine ne choisissent pas la médecine scolaire, non plus d’ailleurs que la médecine du travail. L’enjeu est celui d’une réflexion de fond sur l’organisation de cette médecine et sur ses liens avec la médecine de ville.

Je souscris à l’approche collective que vous soulignez : il faut former non pas la seule vie scolaire, mais aussi tous les adultes, y compris les professeurs, qui interviennent auprès des élèves, afin de faire fonctionner le dispositif pHARe.

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, comme cela a été évoqué, près d’un enfant sur dix serait victime de harcèlement dans son établissement scolaire. Ces dernières années, le harcèlement en ligne est venu amplifier le phénomène. En 2021, ce sont vingt enfants et adolescents qui ont perdu la vie à cause de ce fléau.

On considère qu’il y a harcèlement scolaire quand un jeune est victime d’une agression répétée, délibérée et souvent effectuée en meute. C’est également un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes. Le caractère répétitif des agressions crée souvent un sentiment d’isolement et d’abandon des harcelés, qui deviennent incapables de trouver des réponses pour s’en sortir.

Le harcèlement pénalise durablement le parcours scolaire de la jeune victime et peut entraîner des conséquences psychologiques très lourdes, du décrochage scolaire à des conduites autodestructrices, voire suicidaires, allant jusqu’au drame.

Dans un monde où internet accapare nos vies et plus encore celles de nos adolescents, le harcèlement en ligne, ou cyberharcèlement, sur les réseaux sociaux, dans des forums, dans des jeux vidéo multiformes ou sur un blog est devenu le véritable danger.

C’est ce type de harcèlement qui est le plus destructeur pour les victimes : via les réseaux sociaux, les agressions ou brimades peuvent frapper leur victime à tout moment de la journée et de la nuit, quel que soit l’endroit où elle se trouve. De plus, le harceleur peut se servir d’un pseudonyme et ne pas dévoiler son identité.

Dès lors, quelles mesures envisager pour lutter efficacement contre le cyberharcèlement et ainsi casser cette spirale de violence ?

Le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE) a commencé à sensibiliser les chefs d’établissement à ces problèmes de harcèlement. Toutefois, il montre ses limites : beaucoup de dispositifs sont listés, mais les moyens humains et financiers manquent pour les appliquer.

Depuis la rentrée 2022, vous avez arrêté, monsieur le ministre, un plan de prévention du harcèlement entre élèves avec le programme pHARe, devenu obligatoire dans les établissements. Celui-ci combine plusieurs actions et dispositifs incluant un large éventail d’outils variés et concrets se basant sur huit piliers, dont « prévenir les problèmes de harcèlement », « former une communauté protectrice de professionnels » et « intervenir efficacement sur les situations de harcèlement ». Pour la réussite de ce dispositif, il faut impliquer élèves et personnel, « associer les parents et les partenaires » associatifs, « mettre à disposition une plateforme [numérique] dédiée » et créer une équipe de cinq agents formés ainsi qu’une équipe « d’élèves ambassadeurs ». Au niveau académique, deux « superviseurs » sont des « personnels ressources » pour les établissements.

À l’échelle nationale, deux lignes téléphoniques que vous mentionniez, le 3020 et le 3018, proposent un soutien aux victimes de harcèlement.

Les responsables des établissements scolaires doivent donc être vigilants à détecter tout harcèlement, mais il est également indispensable que les harceleurs prennent conscience de leurs actes et des conséquences judiciaires et financières qu’ils encourent, eux ou leurs parents en cas de minorité.

Cette année, notre collègue Marie Mercier a déposé une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime : c’est une très bonne chose. J’évoquerai plusieurs pistes de réflexion et d’action qui pourraient être mises en place.

D’abord, le programme pHARe doit être renforcé grâce à la formation continue des cinq agents par établissement pour le secondaire ou par circonscription pour le primaire.

Ensuite, les plateformes doivent être obligées de contrôler et de supprimer les contenus délictueux, qu’ils soient d’ordre sexuel ou de harcèlement.

De plus, l’exclusion du harceleur de l’établissement doit être automatique lorsque la situation de harcèlement est avérée.

En outre, il faut développer la médecine scolaire en formant des professionnels à détecter le mal-être d’une victime de harcèlement, même si je sais qu’il est difficile de trouver des médecins pour exercer dans la prévention scolaire.

Enfin, la prévention par l’information est également primordiale : dénoncer un comportement délictueux de harcèlement doit être un devoir pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Gosselin, je partage votre propos relatif aux différentes déclinaisons de la mobilisation que nous menons. Comme je l’ai indiqué, le processus est en cours : rien n’est complètement réalisé, même si nous progressons.

En matière de cyberharcèlement, grâce au 3018, les plateformes sollicitées réagissent rapidement : nous réussissons à bloquer des photographies ou des propos en quelques heures de manière à protéger les élèves concernés. Lors d’une visite auprès des agents de ce centre d’appels, j’ai pu écouter leurs conversations avec des collégiens ou des familles en panique du fait, par exemple, de la circulation de photos… Parmi les personnes qui répondent, il y a des techniciens, des psychologues… Les élèves sont pris en charge. Je salue le travail réalisé en la matière.

Quelque 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans le programme pHARe. Nous n’avons pas atteint les 100 %, mais le taux progresse. Ce programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée prochaine, mais il faut savoir que les situations de harcèlement y sont moins fréquentes. Même si les cas les plus nombreux relèvent du cycle 3 et du collège, il n’y a aucune raison de ne pas se mobiliser aussi pour le lycée.

En résumé, l’éducation nationale se met en marche et se mobilise. Parfois comparée à une grosse bête de l’ère glaciaire, elle montre qu’elle sait bouger sur des questions aussi importantes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.

Mme Béatrice Gosselin. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour toutes ces informations. Il est vrai que l’éducation nationale bouge ; elle doit bouger encore, parce qu’aucun enfant ne doit souffrir de harcèlement.

Sur l’ensemble des réseaux et des médias, nous devons continuer de diffuser des messages pour expliquer ce qu’est cette violence, car certains jeunes enfants – cela est moins vrai en grandissant – ne savent pas que leurs gestes ou leurs paroles peuvent en relever. L’information doit passer. Les parents, les enseignants et les autres adultes concernés doivent se battre pour qu’il n’y ait plus jamais d’enfants harcelés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapport d’information sénatorial sur le harcèlement et le cyberharcèlement de 2021 l’avait démontré, ce phénomène violent n’a été appréhendé et reconnu que tardivement en France, alors même que des travaux de chercheurs avaient commencé dès les années 1970.

Pour autant, avec le développement du numérique et l’explosion de l’usage des réseaux sociaux, les formes du harcèlement ont évolué. Alors cantonné à l’enceinte de l’école, le harcèlement scolaire se prolonge désormais sur les plateformes numériques, l’amplifiant dramatiquement, le rendant plus sauvage et potentiellement dangereux.

D’ailleurs, dès 2009, Michel Walrave dans son ouvrage Cyberharcèlement : risque du virtuel, impact dans le réel soulignait le rôle joué par l’anonymisation. Selon lui, le cyberharcèlement, par ses caractéristiques et son objet, peut avoir des effets particulièrement dangereux et durables.

Ainsi, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a été une première étape. Elle a notamment assigné aux fournisseurs d’accès à internet la lutte contre le harcèlement scolaire comme objectif et a établi une obligation de modération des contenus de même nature sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, il apparaît souhaitable et pertinent d’aller plus loin dans cette régulation par les plateformes, même si ces dernières ne sont pas responsables des faits de harcèlement, mais constituent plutôt des vecteurs par lesquels celui-ci se matérialise.

Sur ce point, le rapport susmentionné comporte une série de préconisations, tout en rappelant la difficulté du cadre juridique national et européen.

Parmi les propositions figurait en particulier l’obligation faite aux réseaux sociaux de présenter de manière explicite, et compréhensible par de jeunes utilisateurs, des extraits des principales conditions d’utilisation, singulièrement celles relatives au cyberharcèlement. Figurait également l’obligation pour les réseaux sociaux de présenter périodiquement à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les bons usages du numérique, sur la prévention du cyberharcèlement et sur les moyens dont disposent les victimes pour réagir.

Sur cette seconde recommandation, un consensus semble émerger à la suite de l’adoption du Digital Service Act au niveau européen, lequel renforce la responsabilité des plateformes. D’ailleurs, ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens. Celle-ci étofferait utilement notre arsenal législatif et compléterait habilement la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle.

Monsieur le ministre, vous qui êtes sensible à la gravité de cette problématique et engagé contre le cyberharcèlement, y seriez-vous favorable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Robert, je vous remercie de vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier sur cette question. Je partage votre engagement.

À propos du cyberharcèlement, j’ai mentionné le 3018. J’ai également rappelé quelle était la responsabilité des plateformes. Je suis ouvert à toutes les propositions pour avancer sur cette question. Il est évident que l’État a une responsabilité en la matière. Je suis disposé à engager avec vous un travail commun pour progresser et réduire le fléau du cyberharcèlement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Nous aurons beaucoup à faire à l’avenir en matière de lutte contre le cyberharcèlement, singulièrement dans le domaine du numérique. Il y va de notre responsabilité collective d’avancer ensemble sur cette question.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la médiatisation récente de plusieurs suicides d’enfants a révélé à ceux qui l’ignoraient encore ce qu’était le harcèlement scolaire et ses effets à court terme.

Ce que l’on sait moins, c’est que la santé, le travail ou la parentalité de ceux qui auront subi, fait subir ou été témoins de ces violences en seront affectés pour toujours.

Anxiété sociale pour les victimes, abus de pouvoir au travail ou en famille pour les agresseurs, sentiment d’impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l’âge adulte. Dépressions, violences intrafamiliales, chômage, ses conséquences sanitaires, humaines et financières sont énormes pour la société.

L’éducation nationale a pris conscience de la nécessité d’agir, mais il semble à l’enseignante spécialisée que j’ai été que la mise en place de programmes tels que pHARe ne peut être efficace qu’à la condition que des personnels et des professionnels dédiés soient présents en appui des enseignants et auprès des élèves, pour bien connaître et suivre les situations individuelles.

Sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides, des méthodologies pour la plupart théoriques, souvent impossibles à mettre en œuvre, faute d’équipes spécialisées pour les accompagner.

Monsieur le ministre, si les écoles en zones prioritaires bénéficient de moyens encore considérables, les postes spécialisés sont supprimés l’un après l’autre dans la ruralité. On ne trouve quasiment plus nulle part de médecine scolaire, de psychologues, d’enseignants spécialisés.

Ceux qui restent sont submergés et peu reconnus pour ce qu’ils font. Ils sont également dans l’impossibilité de remplir leurs missions et de répondre à la masse des demandes d’aide. Il s’agit là d’un mauvais calcul, car ces économies à court terme ont déjà des conséquences humaines et sociales désastreuses. Je le constate chez moi, en pleine campagne, où les enseignants sont livrés à eux-mêmes et où les violences intrafamiliales explosent.

Monsieur le ministre, vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Vaut-il mieux créer des postes d’enseignants spécialisés ou des postes d’intervenants sociaux en gendarmerie ?

On nous dit que la France compte suffisamment d’enseignants. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la ruralité. Ce sont des territoires que l’on croit préservés ; or ils ne le sont en réalité plus du tout. Chez moi, dans le sud de l’Alsace, il ne reste que trois personnels spécialisés pour 108 communes. Les enseignants, les élus et les familles se sentent abandonnés. Je crains qu’ils n’aient raison… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Drexler, aucun territoire n’est abandonné, je puis vous l’assurer !

J’ai eu l’occasion de l’évoquer devant vos collègues, le Gouvernement a lancé un plan Ruralité avec un engagement pluriannuel à partir de cet automne pour donner de la visibilité en matière de postes sur trois ans dans les écoles. Nous allons donc offrir de la visibilité aux maires pour éviter d’une année sur l’autre des changements brutaux de la carte scolaire.

Par ailleurs, en matière de moyens humains, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains : du fait des questions d’éloignement, la densité dans les écoles est moindre. Le taux d’encadrement y est ainsi meilleur, même si cela ne répond pas entièrement à votre question sur le harcèlement.

Nous avons engagé des moyens, par exemple, en matière de formation. Or celle-ci, au niveau national comme au niveau académique ou départemental, a un coût. Nous sommes déterminés à proroger ces moyens, afin de réduire de manière absolument déterminante les situations de harcèlement.

Encore une fois, les territoires ruraux ne sont pas oubliés. Nous nous sommes engagés sur un chemin et nous nous y tenons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, dans certains secteurs en France, il n’y a même plus de psychologues scolaires pour évaluer les élèves pour lesquels on pressent une situation de handicap. Il n’y a plus d’enseignants spécialisés pour rattraper des enfants qui seraient pourtant rattrapables.

Quel gâchis et quels coûts à venir pour accompagner dans quelques années ces futurs adultes, qui seront dans l’incapacité de s’insérer dans la société. Ces coûts seront autrement plus élevés que les quelques postes économisés aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Toine Bourrat.

Mme Toine Bourrat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire blesse, broie, brise et vole ce que la vie offre de plus précieux : l’enfance, ce terreau fertile où poussent les goûts, l’apprentissage et les prémices de la conscience morale, civique et donc sociale.

Dans ce pays où l’on prétend combattre l’endémie d’un mal par un numéro vert, il est temps de mettre un coup d’arrêt à une spirale que le développement des technologies rend bien souvent infernale.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, c’est une culture de la vigilance qu’il nous faut instituer, une culture qui se pense et se déploie au plus près du terrain, c’est-à-dire des victimes potentielles ou avérées. Il s’agit de détecter rapidement, d’agir en local pour laisser les enfants le moins longtemps possible en situation de harcèlement. Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes, ils sont spectateurs ; libérons leur parole. Expliquons que l’idée est non pas de dénoncer un harceleur, mais de signaler un élève harcelé : c’est une assistance à personne en danger.

À cet égard, les applications intracollèges et lycées de type Pronote pourraient être utilisées comme plateformes internes d’alerte permettant aux témoins de signaler un élève en difficulté tout en préservant leur anonymat.

Premier rempart dans l’accompagnement psychosocial, nous devons également redresser une médecine scolaire en grand danger. Oui, j’y insiste, la médecine scolaire est abandonnée. Nous comptons seulement un médecin pour 12 000 élèves. C’est une situation que Dominique Bussereau qualifiait d’indigence devant le Sénat lors de sa dernière audition.

Plus encore, il convient de traiter ce fléau dans son intégralité. Le programme pHARe, dont vous avez annoncé le déploiement au lycée, n’est qu’une réponse partielle à un problème global. Ce qu’il nous faut, comme en Finlande depuis plusieurs générations, c’est un bouleversement culturel, l’avènement d’une société de grands témoins ; non de la suspicion, mais de l’attention portée aux autres où chacun est le maillon d’une chaîne de valeur trop souvent ignorée chez nous : le respect de l’autre, l’interaction sociale et la compréhension des émotions d’autrui.

Plus qu’un programme, la Finlande a développé cette culture de la vigilance que le temps long et surtout les moyens humains, comme financiers, font infuser au quotidien avec des résultats surprenants, marqués par la baisse de plus de 40 % du phénomène.

Enfin, comment peut-on penser lutter contre le harcèlement scolaire en faisant l’économie de son volet cyber ? Nous avons le devoir d’éviter la dissémination des comptes, la multiplication des identités factices et des comptes fantômes, qui prospèrent grâce à l’anonymat et au pseudonymat. Qu’attendons-nous pour corréler l’identité numérique à l’identité réelle des utilisateurs de réseaux sociaux ? Techniquement, c’est déjà possible.

Monsieur le ministre, les militaires, qui savent mieux que personne traiter l’urgence, ont une formule que je fais mienne : être à l’heure, c’est déjà être en retard. Du retard, nous en avons à rattraper. La France le peut, comme la Finlande l’a fait. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je partage évidemment vos préoccupations sur les questions de cyberharcèlement.

En Finlande, le programme KiVa a certes donné de bons résultats, mais cela a pris dix ans. Le programme que nous avons déployé en France est bien entendu beaucoup plus récent. Nous espérons obtenir des résultats plus rapidement. Les regards internationaux portés sur nos efforts saluent la qualité de notre action.

Le fait est que nous rencontrons pour l’instant un problème de déploiement, puisque nous ne sommes pas à 100 % de nos possibilités, loin de là. Quoi qu’il en soit, nous espérons mettre moins de dix ans pour parvenir à des résultats comparables à ceux de la Finlande. L’expérience internationale est évidemment très utile pour ce qui concerne notre action en direction des écoles, des collèges et des lycées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Toine Bourrat, pour la réplique.

Mme Toine Bourrat. Monsieur le ministre, les résultats du programme finlandais sont bien meilleurs au bout de dix ans que le taux de 40 % que j’ai cité, lequel a été atteint au bout de deux ans, voire de trois ans.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Sans avoir fait aujourd’hui le tour de cette question, et comment aurions-nous pu y parvenir, nous avons néanmoins abordé un certain nombre de sujets importants. Permettez-moi d’en récapituler quelques-uns.

La question de la formation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons concentré nos efforts sur les équipes au sein des écoles et des collèges. Notre objectif est effectivement de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation systématique des professeurs stagiaires a commencé. Nous mobiliserons encore davantage les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation ainsi que les écoles académiques de formation continue.

Nous devons aussi suivre qualitativement et quantitativement les actions menées. J’ai indiqué que nous avions encore des marges de progression, puisque 86 % des collèges et 60 % des écoles sont actuellement inscrits dans le programme. L’objectif est évidemment d’atteindre les 100 % et d’étendre pHARe aux lycées dès la rentrée prochaine.

Comme le recommandent les sénatrices Mélot et Van Heghe dans leur rapport d’information de septembre 2021, nous allons faire figurer à chaque rentrée scolaire les numéros d’urgence, 3018 et 3020, dans les carnets de correspondance et les supports numériques.

Enfin, si le rôle de l’éducation nationale est de prévenir, d’accompagner et de protéger les élèves, certaines situations – il faut le reconnaître – ne peuvent se régler qu’en séparant les élèves harcelés de leur harceleur. Souvent pour mettre fin rapidement aux souffrances causées par le harcèlement, les parents de l’élève harcelé font le choix de le changer d’établissement. Nous comprenons le sentiment d’injustice qui peut naître de cette situation.

Puisqu’il n’est pas possible de déplacer un élève dans une autre école sans l’accord des parents dans le premier degré, contrairement au second degré qui dispose d’un conseil de discipline, nous mettons en place des actions éducatives en fonction de la gravité de la situation, y compris dans le cas extrême d’un élève qui fait peser du fait de son comportement répété une menace grave sur la sécurité des autres élèves.

Nous allons faire évoluer les textes réglementaires pour instaurer une procédure permettant de déplacer dans une autre école un élève auteur de harcèlement, et ce sans l’accord des représentants légaux. C’est l’obligation de mise en sécurité de l’élève qui justifie cette exception.

Bien entendu, nous avons affaire à des élèves de six à dix ans. Nous devons donc être prudents, car nombre de cas de harcèlement ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. Pour autant, le déplacement de l’élève harceleur est essentiel, même si toute procédure d’exclusion doit être entourée des garanties indispensables aux droits de l’enfant, qu’il soit l’élève harcelé ou l’élève harceleur.

Je terminerai mon propos en ayant une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Notre débat leur rend hommage. Je sais que nous sommes tous ici pleinement engagés pour trouver des solutions afin de prévenir ce phénomène. Les drames qui se sont produits encore récemment viennent nous rappeler douloureusement qu’il nous reste encore beaucoup à faire.

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos conclusifs. Je salue d’ailleurs toutes les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours du débat. Elles ont été de nature à nourrir nos échanges.

Le groupe Les Républicains a eu raison de demander l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat. Il a entraîné un consensus bien compréhensible, ce qui ne sera peut-être pas tout à fait le cas pour la proposition de loi que nous allons examiner dans quelques instants.

M. Julien Bargeton. C’est clair !

M. Max Brisson. Je remercie Alexandra Borchio Fontimp d’avoir posé avec force les termes du débat et d’avoir largement repris, comme beaucoup d’entre vous, les travaux de la Haute Assemblée, notamment ceux de la mission d’information de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot.

Plusieurs drames sont, hélas ! venus rappeler récemment l’urgence qu’il y avait à intensifier la lutte contre ce fléau. Beaucoup ont parlé de Lucas, qui s’est suicidé après avoir été harcelé dans son collège et sur les réseaux sociaux en raison de son homosexualité. Je voudrais rappeler, pour ma part, ce lycéen qui, après avoir subi un harcèlement dans son ancien collège, a assassiné récemment son enseignante dans son nouveau lycée. S’il est hasardeux de faire la moindre corrélation entre les deux événements, le drame de Saint-Jean-de-Luz est dans toutes les têtes.

Beaucoup ont rappelé qu’au-delà de ces cas extrêmes qui émaillent l’actualité, il existe aussi une réalité ordinaire, quotidienne, vécue par de nombreux enfants. Beaucoup ont justement souligné que les effets du cyberharcèlement, dont les cas se multiplient depuis le confinement, se prolongent dans la sphère privée, y compris le week-end.

Pour autant, comme le soulignaient déjà les travaux de la mission sénatoriale, nous manquons d’enquêtes statistiques précises, récentes et régulières. Par ailleurs, il faudra aussi rapidement évaluer les effets du programme pHARe et du dispositif pénal issu de la loi du 2 mars 2022. Il s’agit d’un préalable essentiel pour un plan d’action plus efficace.

En 2021, notre mission pointait la détection comme un axe majeur. Pour progresser, nous avons fortement mis l’accent sur le besoin de formation des personnels. Le premier niveau de lutte contre le harcèlement passe, en effet, par la compréhension du phénomène et par la communication.

Le principe d’une formation initiale et continue de l’ensemble des acteurs concernés a été inscrit dans la loi du 2 mars 2022, mais semble loin d’être appliqué dans les faits, comme vous venez de le souligner. Deux tiers des enseignants dénoncent encore un manque de formation, ainsi qu’une absence de prise en considération par leur hiérarchie. Vous avez réagi voilà quelques instants sur l’expression « pas de vagues ». Admettez cependant que c’est un sujet qui dérange toujours ; parfois – et malheureusement ! – l’inertie prévaut encore.

Beaucoup ont dit de manière plus ou moins conciliante qu’il était nécessaire d’identifier plus rapidement les cas de harcèlement. Nous butons ici sur le manque criant de médecins scolaires, d’infirmières, de psychologues, pourtant les mieux à même de repérer la détresse de l’enfant et de recueillir sa parole. Nous attendons donc le plan que vous avez annoncé et sa mise en œuvre. Nous aurons des propositions à vous faire sur le sujet.

Après le repérage d’un cas de harcèlement, le traitement de la situation est essentiel. Les retours des associations et des familles montrent que des progrès peuvent encore être réalisés. Les victimes et leurs parents ne se sentent pas suffisamment écoutés et soutenus. Nous manquons de moyens humains et financiers pour généraliser le programme pHARe, qui repose sur des dispositifs qui ne sont pas encore assez explicites pour assurer une vraie prise en charge dans l’établissement scolaire et une meilleure orientation vers les intervenants extérieurs.

Nous avons aussi beaucoup parlé de la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier que nous soutenons fortement, comme l’a rappelé Alexandra Borchio Fontimp.

Vous venez de faire des annonces, monsieur le ministre ; elles sont les bienvenues. Nous attendons des mesures précises. L’essentiel est de régler la question.

En conclusion, monsieur le ministre, nous attendons que les recommandations du Sénat et que la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier soit réellement prises en compte dans le programme pHARe et qu’elles deviennent effectives sur le terrain. Nous serons donc particulièrement attentifs dans les prochains mois à la mise en œuvre de toutes les annonces que vous avez faites ce matin et que vous avez réitérées cet après-midi. La mobilisation ne doit pas fléchir. Le Sénat vous accompagnera. La sérénité de tous nos élèves à l’école est en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »

7

 
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Discussion générale (suite)

École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Rappel au règlement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, présentée par M. Brisson et plusieurs de ses collègues (proposition n° 320 rectifié, texte de la commission n° 501, rapport n° 500).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les pays de l’OCDE consacrent en moyenne 4,9 % de leur PIB à l’éducation de leur jeunesse, la France y consacre 5,2 %.

Il s’agit en effet de la première mission en volume. L’an dernier, nous votions un budget de 60 milliards d’euros. Pourtant la performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader : production d’inégalités, décrochage dans les classements internationaux, lacunes dans l’acquisition des savoirs fondamentaux. Les enquêtes et rapports nous alertent sur la dramatique baisse du niveau en mathématiques et en sciences ou sur les difficultés croissantes des élèves en lecture et en compréhension d’énoncés simples. Ces évaluations inquiètent un peuple tout entier.

Sans qu’on puisse les en blâmer, année après année, les parents qui en ont les moyens font fuir à leurs enfants les plus mauvais établissements. L’évitement est devenu un sport national.

Parallèlement, le nombre de candidats au métier d’enseignant fond. Le ministère recrute en urgence des contractuels bombardés professeurs en quarante-huit heures et affectés dans les établissements les plus difficiles. Le métier est de moins en moins attractif. Nous doutons, monsieur le ministre, que la seule revalorisation des salaires, aussi nécessaire soit-elle, puisse remplacer une réponse structurelle.

L’éducation nationale est en crise. Pourtant, l’attachement à notre école demeure. Son redressement est espéré. S’il existe des divergences, elles concernent les réponses à apporter. Pour la majorité des acteurs, elles sont essentiellement financières. Entre 2012 et 2017, la hausse du budget de l’éducation a été de 11 %. Entre 2017 et 2022, elle a atteint 21 %. Était-ce une nécessité ? Assurément. Les résultats ont-ils été à la hauteur ? Certainement pas !

Depuis trop longtemps, crédits et moyens supplémentaires sont les remèdes exclusifs à la dégradation de notre école. Ne nous y trompons pas, ils masquent l’impuissance à réformer un système trop vertical, trop uniforme et oublieux des particularités. On dépense beaucoup, alors qu’on ne repense jamais en profondeur l’organisation de notre système éducatif.

C’est une impuissance à laquelle la rue de Grenelle a trop souvent répondu par plus de contrôles, plus de procédures, plus de circulaires, plus de mainmise dans la vie des établissements et par une gestion des ressources humaines (GRH) qui, in fine, s’est coupée de la réalité des conditions d’exercice du métier d’enseignant.

Ces dernières années, aux rares lettres ministérielles qui, dans le passé, fixaient un cadre et des objectifs généraux ont succédé l’avalanche des circulaires, la multiplication des injonctions, l’enchevêtrement des contrats d’objectifs et – disons-le – le plaisir d’un verbiage plus ridicule que précieux.

Alors qu’en Europe la tendance générale conduisait à donner plus de souffle, plus d’autonomie au système d’éducation, en France, verticalité, centralisation, uniformisation épuisent désormais toutes les initiatives et découragent les meilleures idées. Tout cela, bien sûr, au nom des grands principes d’unité et d’égalité, alors que notre système scolaire produit ségrégation et inégalités.

Le cœur de cette proposition de loi est donc d’en finir avec cette asphyxie bureaucratique et d’engager une rupture avec le conservatisme ambiant, arc-bouté sur deux maximes qui font florès au ministère : « on l’a déjà fait » et « c’est impossible ».

Pourtant, rapport après rapport, la Cour des comptes nous le dit : les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative autour d’un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leurs performances et celle de leurs collègues.

Tout est dit : ce sont bien la liberté et l’autonomie qui font défaut !

À l’aune de ce constat, je vous propose de poser les fondations d’une plus grande autonomie des établissements scolaires à travers la création expérimentale, sur la base du volontariat, des établissements publics autonomes d’éducation.

Ces établissements auront la possibilité de contractualiser avec les recteurs et les collectivités territoriales pour ce qui est de leur organisation pédagogique, des dispositifs d’accompagnement des élèves, de l’affectation des personnels, de l’allocation et de l’utilisation des moyens, ainsi que du recrutement des élèves.

Il s’agira d’une contractualisation non pas pilotée par le haut, encadrée, corsetée, adepte du copié-collé, mais bel et bien initiée par les équipes pédagogiques pour s’adapter aux réalités de chaque établissement. Bref, le contraire de ce qui a été engagé jusqu’alors et qui se poursuit aujourd’hui.

En effet, monsieur le ministre, « l’école du futur », « notre école, faisons-la, ensemble », « le fonds d’innovation pédagogique » demeurent, malgré le discours présidentiel sur l’autonomie, marqués au fer rouge d’un pilotage par le haut.

Ces initiatives sont à leur tour empêtrées, limitées par une application restrictive, enserrée, rabougrie. Elles se trouvent parfois même en porte-à-faux avec l’objectif initial, en dépit d’une intention sincère, celle de donner plus de souplesse et de souffle aux établissements.

À l’inverse, l’expérimentation des établissements publics autonomes redonnera, elle, toute sa place, tout son sens, tous ses moyens aux projets pédagogiques des établissements, tout en continuant de les inscrire dans un cadre national, qui innerve depuis deux siècles notre système éducatif.

L’expérimentation s’appuiera également sur les contrats de mission, qui permettront d’aérer les carrières des professeurs, de rompre avec leur linéarité et, donc, de soutenir l’envie que beaucoup ont d’innover, de procéder à des changements au sein de l’institution, bref, l’envie de véritablement servir.

Mes chers collègues, nous sommes tous particulièrement sensibles dans cet hémicycle à la spécificité des territoires. Chacun d’entre nous sait d’expérience qu’aucune école, aucun collège, aucun lycée ne se ressemble.

Qui mieux que le professeur sait adapter ses enseignements aux élèves ? Qui mieux que le directeur, le principal ou le proviseur peut définir les besoins de l’établissement dont il a la responsabilité ?

Voilà l’esprit de cette expérimentation : donner une plus grande liberté aux écoles, aux collèges, aux lycées, aux directeurs, aux chefs d’établissement et aux professeurs. C’est incontournable pour promouvoir le mérite et l’égalité des chances. Je sais que le débat est clivant, et alors ?

L’autre mal auquel ce texte apporte un début de réponse est celui de l’acquisition des savoirs fondamentaux.

Celle-ci vacille parce que l’école s’éparpille. Le temps effectif consacré à l’enseignement de ces savoirs se réduit, alors que les programmes, bigarrés d’une multitude « d’éducation à », se densifient.

De l’institution scolaire on attend désormais moins l’instruction qu’une réponse aux multiples défis sociétaux ; nous sommes bien loin de « l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » que Jean Zay appelait de ses vœux.

Pour répondre à cette baisse de niveau, je vous propose de créer un service public de soutien scolaire et de généraliser l’accès de tous les élèves à des cours de soutien. Je ne veux plus de démarcation entre ceux dont les familles ont les ressources pour payer de tels cours et ceux qui ne les ont pas.

Le service public de soutien scolaire s’appuiera, entre autres, sur des professeurs volontaires, y compris retraités, réunis sous la forme d’une « réserve éducative ».

La question de la formation des professeurs doit également être posée. Enseigner dans le premier ou le second degré, ce n’est pas le même métier. La formation ne peut pas être identique. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit de dissocier la formation des enseignants du premier et du second degrés.

Il s’agit pour moi non pas de revenir sur la mastérisation ou le lien avec l’université, mais d’arrêter de se payer de mots et de redonner enfin la main à l’éducation nationale dans la formation des professeurs des écoles.

En dernier lieu, vous le savez, mes chers collègues, nous sommes vigilants sur la question de la laïcité.

L’école doit demeurer cet outil de rassemblement fondé sur une stricte laïcité. C’est le sens des dispositions sur la neutralité des accompagnateurs scolaires et sur le port d’une tenue d’établissement renforçant le sentiment d’appartenance et le vivre-ensemble.

J’espère que, sur ces sujets, comme sur les autres, nos débats seront à la hauteur des enjeux. Je crois qu’il nous faut être conscients de ce qui se joue dans les établissements, loin des postures dogmatiques.

Pour terminer, je veux saluer très chaleureusement notre rapporteur Jacques Grosperrin pour son travail et l’élaboration de ce texte, amendé lors de son examen en commission.

Mes chers collègues, nous n’avons certainement pas les mêmes solutions à proposer – les nombreux amendements déposés en témoignent.

J’émets le vœu que nos débats soient féconds et fertiles, car notre école le mérite. Soyez au moins assurés d’une chose : les propositions qui figurent dans ce texte reposent sur des convictions fortes et sur une passion immodérée pour l’école de la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Rappel au règlement

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat.

Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, les débats se sont concentrés sur deux articles, les articles 10 et 11, qui sont manifestement les plus importants, puisqu’ils ont fait l’objet du plus grand nombre d’interventions et, surtout, des interventions les plus passionnées. Cela s’explique, car ils traitent de la laïcité et comportent donc les dispositifs fondamentaux de ce texte.

Aussi, je suis quelque peu surpris que ces deux articles, les plus importants, donc, aient été placés à la toute fin. Mis à part l’article 7 du projet de loi sur les retraites, dont l’examen avait été, souvenez-vous en, décalé par le Gouvernement – ce mauvais exemple ne doit pas être reproduit ! –, il semble tout de même assez naturel que les dispositions les plus importantes viennent en discussion dès l’entame des débats.

Pour pallier ce problème, je demande donc l’examen en priorité des articles 10 et 11 de la proposition de loi.

Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Si cela vous convient, je propose que le Sénat examine votre demande de priorité à la suite des interventions de M. le rapporteur, Jacques Grosperrin, et de M. le ministre. (M. Jean Louis Masson acquiesce.)

Discussion générale (suite)

Rappel au règlement
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Demande de priorité

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte part d’un constat : l’institution scolaire est en souffrance.

Nombreux sont nos concitoyens à s’inquiéter : un Français sur deux pense que l’école fonctionne mal ; les deux tiers de nos concitoyens sont pessimistes quant à son avenir. Cette proportion atteint même 80 % chez les enseignants, ce qui traduit un mal-être profond.

L’école de la confiance a cédé la place à l’école de la défiance, parce que l’école n’arrive pas à atteindre les objectifs que lui assigne la Nation.

Tout d’abord, la France reste l’un des pays où l’origine sociale des élèves conditionne le plus le parcours scolaire.

Malgré les moyens importants en faveur de l’éducation prioritaire, les écarts entre les élèves scolarisés en REP ou REP+ et ceux qui sont scolarisés hors de ces réseaux varient peu.

La politique sur laquelle repose l’éducation prioritaire introduit également une dichotomie de moyens entre les établissements relevant de celle-ci et ceux qui n’en font pas partie. Or 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. Cela crée parfois un sentiment d’abandon chez tous ces élèves et la communauté pédagogique concernée.

Par ailleurs, l’école ne semble plus être capable de transmettre les savoirs fondamentaux : les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles en mathématiques et en sciences.

Les évaluations intergénérationnelles mettent également en lumière une baisse de la maîtrise des savoirs fondamentaux. Pour une même dictée, les élèves de CM2 de 2021 font significativement plus de fautes que leurs prédécesseurs de 1987 : près de 30 % font vingt-cinq erreurs, contre 7 % d’entre eux quarante ans plus tôt.

Troisième cause de défiance, l’éducation nationale a du mal à déployer une politique nationale qui tienne compte de la diversité des territoires.

Le rapport d’information de nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux sur les nouveaux territoires de l’éducation a révélé l’absence durable de la donnée « ruralité » dans les statistiques de l’éducation nationale. Cela a conduit à une politique scolaire rurale par défaut.

Or les parcours scolaires post-collège et post-bac d’une partie des jeunes ruraux sont marqués par des écarts à la moyenne, voire des difficultés d’ampleur comparable à celles qui caractérisent les élèves relevant de l’éducation prioritaire. Ne l’oublions pas : plus d’un Français sur cinq de moins de 20 ans vit aujourd’hui dans un territoire rural.

Monsieur le ministre, en juin 2022, votre circulaire de rentrée prônait une « école engagée pour l’excellence, l’égalité et le bien-être ». Mon groupe partage les mêmes objectifs. Les moyens pour les atteindre, en revanche, divergent.

Cette proposition de loi correspond à notre vision de l’école. Je tiens d’ailleurs à remercier son auteur, mon cher collègue Max Brisson.

Ce texte doit permettre au Sénat de débattre avec vous, monsieur le ministre, ainsi qu’avec l’ensemble des groupes politiques, projet contre projet, de l’avenir de l’école. Les nombreux amendements le montrent : l’école est une priorité partagée par chacun de nos groupes.

Ce texte s’articule autour de quatre axes.

Le premier axe vise à renforcer l’autonomie des établissements scolaires.

Aujourd’hui, l’uniformité nationale, formelle, s’accommode de larges inégalités réelles de traitement des élèves.

La politique éducative centralisée, descendante, en provenance du ministère, ne parvient pas à répondre aux besoins des élèves et des territoires.

L’article 1er ouvre la voie à une expérimentation permettant aux écoles et aux établissements scolaires volontaires de contractualiser avec le recteur, afin d’accroître leur autonomie. Les collectivités concernées peuvent également être associées au contrat.

Je précise que les écoles qui souhaitent participer à cette expérimentation doivent acquérir au préalable le statut d’établissement public. Chacun ici connaît le lien fort qui unit la commune à son école. Afin de répondre à l’inquiétude des élus locaux, la commission a rendu nécessaire l’accord préalable des conseils municipaux ou intercommunaux, lorsque la compétence scolaire a été transférée, avant tout changement de statut de l’école.

L’article 2 confère au directeur d’école une autorité hiérarchique sur les enseignants. Notre commission a souhaité limiter ce dispositif aux écoles d’une certaine taille. Le seuil de neuf classes me semble intéressant : la mesure concernerait ainsi environ 20 % des écoles publiques.

Aujourd’hui, les écoles accueillent plus d’élèves que certains collèges, dont les chefs d’établissement disposent, eux, de cette autorité hiérarchique.

En revanche, il nous a semblé opportun, à ce stade, que les directeurs des écoles plus petites, qui ont des équipes pédagogiques plus restreintes, conservent la seule autorité fonctionnelle.

J’en profite, monsieur le ministre, pour vous interroger sur la date de publication des décrets d’application de la loi Rilhac, votée il y a désormais plusieurs mois.

Deuxième axe, la présente proposition de loi vise à assurer l’égalité des chances entre les élèves.

Pour cela, elle crée un service public de soutien scolaire qui pourra s’appuyer sur la réserve éducative. Plusieurs amendements de la commission ont permis de préciser les conditions de participation à ce service public en termes de diplôme, de probité et de neutralité.

Le texte renforce la politique éducative en faveur des territoires ruraux.

Plutôt qu’un copié-collé des dispositifs existant dans les réseaux d’éducation prioritaire sur les écoles et établissements scolaires situés dans une zone de revitalisation rurale, nous préférons créer des territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers.

Notre commission fait ce choix, parce que les zones de revitalisation rurale sont un dispositif fiscal qui arrive à échéance à la fin de décembre 2023, et parce que le déploiement automatique des dispositifs relevant de l’éducation prioritaire dans les territoires ruraux aurait peu de sens. Je pense par exemple au dédoublement des classes de la grande section de maternelle au CE1.

En définitive, comme l’a montré le rapport de Pierre Mathiot et d’Ariane Azéma, la principale problématique des élèves des territoires ruraux est celle de l’orientation, de l’autocensure et de l’égalité des chances dans la poursuite des études, et ce plutôt dans le secondaire.

Nos collègues Max Brisson, Annick Billon et Marie-Pierre Monier, dans leur bilan sur les mesures éducatives du précédent quinquennat, ont montré combien la réforme du lycée était difficile à mettre en place dans les lycées de petite taille.

L’article 9 prévoit un accord du conseil municipal avant la fermeture d’une classe dans une commune rurale.

Monsieur le ministre, nous avons entendu vos annonces, ainsi que celles de la Première ministre, sur une éventuelle pluriannualité de la carte scolaire et une meilleure concertation avec les élus locaux. Enfin ! Cette prévisibilité pluriannuelle est demandée par les élus locaux depuis de nombreuses années. La commission de la culture et le Sénat seront particulièrement attentifs à la mise en œuvre de cette mesure.

Le troisième axe de cette proposition de loi est l’amélioration de la transmission des savoirs fondamentaux, à travers la réforme de la formation des enseignants du premier degré.

Le texte prévoit de transférer à des écoles supérieures du professorat des écoles, sous tutelle du ministère de l’éducation nationale, la formation des enseignants du premier degré. Enseigner dans le premier degré demande des compétences spécifiques en termes de pluridisciplinarité, de transmission des savoirs fondamentaux. « Faire classe » à des élèves de primaire diffère de « faire cours » à des collégiens ou à des lycéens.

De manière générale, je me réjouis que ce texte soit l’occasion de débattre avec vous des modalités de recrutement et de formation des enseignants.

La commission a souhaité sécuriser les jeunes préparant le concours d’enseignant du premier degré au sein de ces nouvelles écoles, et faciliter leur réorientation en cas d’échec au concours ou d’abandon de la formation.

Enfin, quatrième axe, le texte encourage le développement d’un sentiment d’appartenance dans les établissements, thème cher à notre collègue Céline Boulay-Espéronnier.

Il tend également à réaffirmer l’importance de la laïcité à l’école, notamment lors des sorties scolaires, lesquelles sont une projection de la classe hors les murs.

Il nous semble important que d’autres thématiques relatives à l’organisation du système scolaire soient débattues dans le cadre de cette proposition de loi.

Je pense à la question des jardins d’enfants, qui peuvent, à titre dérogatoire et uniquement jusqu’à la rentrée 2023-2024, prendre en charge l’instruction des enfants de 3 à 6 ans.

Déjà, lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, nous avions protesté, sur toutes les travées de cette assemblée, contre la fin des jardins d’enfants comme alternative reconnue à la maternelle. Nous ne comprenons toujours pas ce choix du Gouvernement.

Aussi, la commission propose de pérenniser, au-delà de la rentrée 2023-2024, la possibilité qu’ont les jardins d’enfants qui existaient avant l’entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance d’instruire les enfants de 3 à 6 ans.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Sur l’initiative de notre collègue Olivier Paccaud, nous avons également introduit un article relatif à la bivalence.

Un enseignant du secondaire volontaire pourrait enseigner dans deux matières. Bien évidemment, il bénéficierait d’une formation spécifique.

La bivalence offre de nouvelles perspectives de carrière. Surtout, elle permet de limiter les affectations de personnels partagées entre plusieurs établissements. Pour l’enseignant concerné, c’est moins de déplacements et une meilleure possibilité d’intégration au sein de l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mes chers collègues, ce texte, dont l’objet est de changer en profondeur l’école, se veut résolument ambitieux. Il témoigne également de la volonté du Sénat de continuer à faire de l’éducation la première priorité de la Nation ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi témoigne de l’intérêt que la chambre haute manifeste pour la politique publique d’éducation – je tiens ici à vous en remercier.

Le texte traite de sujets structurants et d’une grande actualité pour l’éducation nationale et, donc, pour l’ensemble de la Nation : la gouvernance des écoles et des établissements, la formation des professeurs, l’accompagnement aux apprentissages des élèves, les conditions de la continuité du service public de l’éducation nationale dans les territoires. Ce sont là des questions essentielles.

Nous partageons de nombreux constats, mais nos solutions pourront – nous allons le voir – ne pas être les mêmes.

S’agissant de l’autonomie des écoles et des établissements, d’abord, j’observe que la mesure proposée existe déjà très largement dans les faits pour le second degré.

En effet, les collèges et les lycées sont des établissements publics autonomes, qui contractualisent avec l’autorité académique.

Certes, il en va différemment des écoles, qui n’ont pas la personnalité juridique. Pour autant, je ne suis pas certain que nos maires soient prêts à renoncer à cette compétence patrimoniale de l’échelon communal, vieille de près de deux cents ans, puisqu’elle est issue de la loi Guizot du 28 juin 1833, qui imposait aux maires d’entretenir dans leur commune une école et d’y loger un ou plusieurs instituteurs, afin d’instruire tous les enfants.

J’ai vu que vous aviez avancé sur ce sujet en commission. Il ne me semble pas opportun en l’état d’aligner le fonctionnement de nos écoles sur celui des établissements du second degré. Il ne faut pas laisser croire à nos élus que nous les écarterions de décisions importantes qui concernent les enfants de leur commune.

Au passage, je me permets de rappeler mon attachement à faire vivre les communautés éducatives locales, via notamment la démarche entreprise par le Président de la République dans le cadre du Conseil national de la refondation.

Ne vous méprenez pas, cependant, sur la portée de mon propos : je ne suis nullement en train de vous dire que le Gouvernement n’est pas ouvert à une évolution de la gouvernance du premier degré, comme en témoigne la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d’école, mais il faut avancer progressivement si l’on souhaite voir ces réformes prospérer.

J’en profite pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur : les décrets d’application de la loi Rilhac seront prêts pour la rentrée, puisqu’ils ont été soumis aux organisations syndicales il y a dix jours et qu’ils le seront au comité social d’administration ministériel de l’éducation nationale (Csamen) le 16 mai prochain.

Pour ma part, je défends l’autorité fonctionnelle des directeurs d’école qui donne à ces derniers le rôle de pilote de leur école, tout en conservant l’esprit d’un travail collectif entre tous les professeurs. C’est un marqueur culturel fort de notre école primaire.

De la même façon, ma collègue Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même avons engagé une réflexion pour que nos professeurs des écoles soient mieux armés et formés pour répondre aux exigences des apprentissages.

Là encore, il me semble que nous ne différons pas substantiellement sur l’objectif. J’ai plusieurs fois eu l’occasion de m’exprimer en ce sens devant vous, mais je ne saurais pour autant souscrire totalement à votre proposition en l’état, car elle risque d’écarter les professeurs d’une formation universitaire et de l’obtention du diplôme du master.

Concernant l’accompagnement des élèves, là encore, nous partageons l’objectif d’un soutien scolaire à tout élève qui en éprouve le besoin. C’est dans ce sens que je poursuis la politique entamée par mon prédécesseur, et c’est dans ce sens que j’entends conduire la transformation du collège.

Aujourd’hui, ce cycle d’études n’est pas suffisamment capable de remédier aux principales difficultés scolaires, de lutter contre les inégalités et de cultiver l’excellence des élèves.

La classe de sixième sera transformée l’année prochaine, de sorte que les fragilités que certains élèves peuvent éprouver puissent être corrigées. Par ailleurs, je rendrai obligatoire, dès la prochaine rentrée scolaire, le dispositif « devoirs faits » : chaque élève doit pouvoir être, au-delà des heures de classe, soutenu dans ses apprentissages, accompagné pour réviser, s’entraîner et fixer les acquis vus en classe.

Cette égalité des chances à laquelle je viens de faire référence doit exister dans tous les territoires, y compris en ruralité.

Vous le savez, lors de notre déplacement dans la Nièvre il y a quelques jours, la Première ministre et moi-même avons annoncé des mesures qui ne sont pas si éloignées de vos propositions.

Mais, il faut bien reconnaître que le maintien de classes ouvertes contre vents et marées et contre la réalité de l’évolution démographique n’est pas pédagogiquement viable. Mon devoir en tant que ministre de l’éducation nationale est de garantir l’accès à l’enseignement à tous, partout sur le territoire, mais pas dans n’importe quelles conditions.

Pluriannualité des moyens, instance de dialogue associant préfet, directeur académique des services de l’éducation nationale et élus locaux, afin de coordonner l’action publique, valorisation des regroupements pédagogiques intercommunaux sont autant de propositions qu’attendent les territoires, les élus, les parents, les élèves et, évidemment – je l’espère –, vous, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous avez souvent évoqué ces questions avec moi.

À une solution égalitaire qui consisterait à geler les moyens partout, nous préférons une solution équitable et équilibrée qui prenne en compte, de manière pluriannuelle, l’éloignement, la qualité d’enseignement et la vie pédagogique.

Nous devons mettre fin aux incohérences qui opposent l’État, dans son rôle d’aménageur du territoire, à l’État qui organise l’instruction de nos enfants. Les deux sont intimement liés, car l’école, si elle doit être impérativement accessible à tous nos enfants, doit aussi être un lieu de vie pédagogique qui garantit la réussite de nos élèves.

Nous devons réaliser, avec tous les acteurs, élus, agents de l’État, un travail de dentelle, afin que l’organisation de l’école puisse répondre aux particularités de chacun des territoires.

Sur la question de l’application de la loi de 2004 aux parents accompagnateurs, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant que, de manière constante, tous les gouvernements se sont opposés à cette disposition.

Je rappelle que ces parents n’agissent pas en qualité d’agents de l’État. Le Conseil d’État s’est déjà prononcé sur le sujet : les parents accompagnateurs ne sont pas soumis au principe de neutralité, mais ils doivent évidemment s’abstenir de tout prosélytisme.

M. Max Brisson. On peut changer la loi !

M. Pap Ndiaye, ministre. De surcroît, je ne pense pas qu’éloigner les parents de l’école soit souhaitable, bien au contraire.

En ce qui concerne l’uniforme, et j’en terminerai par là pour que nous ayons le temps d’échanger – naturellement avec intérêt et plaisir –, c’est une possibilité qui existe déjà : ainsi, en outre-mer, les établissements qui l’ont souhaité l’ont inscrit dans leur règlement intérieur.

Le Gouvernement est opposé à une obligation nationale qui ne règle ni le sujet du harcèlement ni les différences sociales, et encore moins les atteintes à la laïcité. L’uniforme serait immédiatement contourné par différents accessoires.

Je ne veux pas uniformiser les élèves : je souhaite qu’ils comprennent les règles de vie des établissements, qu’ils y adhèrent, et, au-delà, qu’ils adhèrent aux valeurs et aux principes de la République. C’est par l’instruction et la pédagogie que notre école y parviendra. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

Demande de priorité

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Discussion générale

Mme la présidente. Conformément à l’article 44, alinéa 6, du règlement, je suis saisie par M. Jean Louis Masson d’une demande d’examen par priorité des articles 10 et 11, au début de la discussion des articles.

Quel est l’avis de la commission sur cette demande de priorité ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. On l’a dit tout à l’heure, ce sont la ruralité, la formation, l’expérimentation de l’autonomie des enseignants, le vivre-ensemble qui constituent le cœur du texte.

C’est pourquoi je pense qu’il est inutile d’examiner ces deux articles en priorité et qu’il convient de débattre de la proposition de loi dans l’ordre de discussion initialement prévu.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis défavorable.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’aucune explication de vote n’est admise.

Je mets aux voix la demande de priorité.

(La demande de priorité nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Demande de priorité
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 82 rectifié

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de loi qui porte sur une institution républicaine capitale pour le vivre-ensemble.

On le sait, l’école est un sujet sur lequel existent d’importants clivages politiques. Ce texte a le mérite de proposer très clairement une autre vision, inspirée de la réforme opérée en 2010 au Royaume-Uni. Évidemment, le consensus sera difficile à trouver !

Si nous pouvons faire nôtres une partie des constats justifiant cette initiative parlementaire, nous souhaitons nuancer le regard critique porté sur la performance globale, jugée « médiocre » – je cite l’exposé des motifs –, du système éducatif français.

Il faut tout de suite rappeler que les évaluations internationales auxquelles il est fait référence ne portent pas sur l’intégralité des missions dévolues à l’école. On les retrouve énumérées à l’article 4 de la proposition de loi.

J’en citerai quelques-uns seulement : apprentissage d’un socle commun de connaissances, protection de l’environnement – enfin ! –, intégration des élèves en situation de handicap, lutte contre les discriminations, prévention de la radicalisation, et laïcité, laïcité, encore laïcité…

Depuis sa fondation, l’école de la République est devenue le rempart face à tous les maux de la société, les enseignants constituant la ligne de front vers où convergent toutes les crises, et ce dans des conditions de travail connues de tous.

Je rappelle ainsi qu’en 2020 les élèves sont en moyenne 18,4 par enseignant dans l’enseignement primaire en France, contre 13,6 dans l’ensemble de l’Union européenne.

En remettant en perspective les résultats des enquêtes de comparaison internationale avec l’ensemble de ces missions, ainsi qu’avec les moyens alloués, on peut considérer que l’on ne s’en tire finalement pas si mal.

Pendant des décennies, le métier d’enseignant s’est complexifié, sans revalorisation substantielle de rémunération ni reconnaissance pour ceux qui l’exercent.

Monsieur le ministre, certaines des déclarations que vous avez faites devant l’Assemblée nationale tendent à coïncider avec certaines des propositions de nos collègues Les Républicains. Il en est ainsi sur l’annualisation ou la ruralité. S’agit-il d’une initiative partagée ou d’un test ? Puisque vous proposez d’amender ce texte, est-ce le signe que vous voulez l’inscrire à l’Assemblée nationale ?

Après les années Blanquer, il me semble absolument prioritaire de restaurer la confiance des enseignants dans l’institution. N’oublions pas que la dépression figure parmi les premières maladies professionnelles des enseignants.

Pour ce faire, nous proposions de créer une communauté enseignante plus unie, du primaire au secondaire, en y associant les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH).

Il faut, selon nous, multiplier les trajectoires de carrière et améliorer les perspectives professionnelles des personnels de l’éducation nationale les moins bien traités.

Nous souhaitions également discuter de la possibilité d’un système de tutorat qui permette aux enseignants de tout niveau et de toute fonction de bénéficier d’un soutien bienveillant tout au long de leur carrière.

Après la censure au titre de l’article 40 de la Constitution, il ne reste rien de nos propositions et nous ne pouvons que nous opposer, par exemple, à la création des écoles supérieures du professorat.

Je reste par ailleurs hostile au système d’autonomie des écoles prévu aux articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, et au système de contractualisation. Qu’y a-t-il d’autre à inscrire dans ces contrats que le contrat républicain consistant à donner à chaque enfant une égale chance d’épanouissement intellectuel ?

La question de la mixité sociale est insuffisamment traitée et l’existence de difficultés rurales n’est pas avérée, selon les syndicats enseignants. Je rappelle que, dans le secondaire, les REP+ concentrent les populations les plus défavorisées. Ces sujets nécessiteraient un véhicule législatif à part entière.

Enfin, après l’assassinat de Samuel Paty, il nous semble essentiel de préserver la vie scolaire en ne réactivant pas incessamment les polémiques autour du principe de laïcité : nous proposerons ainsi la suppression des articles 10 et 11.

À l’heure où le ministère n’est pas en mesure de garantir les remplacements, d’assurer des recrutements ou une formation continue de qualité qui réponde aux besoins des personnels, quel est le sens d’un tel texte ?

En conclusion, cette proposition de loi, qui oublie nos langues régionales,…

M. Max Brisson. Ah non ! Pas à moi !

Mme Monique de Marco. … menace le fragile équilibre de l’éducation nationale, accélérerait la privatisation, aurait un coût considérable à la charge des familles et creuserait les inégalités entre établissements. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. C’est le cas depuis 1981 !

Mme Monique de Marco. Parce que nous souhaitons une école coopérative et citoyenne, un service public juste et accueillant pour toutes et tous, nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on dépose une proposition de loi au Sénat, on a en général deux choix.

Premier choix : on fait un texte plutôt consensuel ou avec des possibilités de convergence, que l’on espère mener à son terme. En l’occurrence, on aurait pu proposer un texte sur les écoles dans la ruralité ou sur la formation des enseignants.

Second choix, celui que vous avez retenu : rédiger une proposition de loi vaste, qui retranscrit un programme politique. C’est noble, mais vous savez que ce texte ne prospérera pas…

M. Jérôme Bascher. Comme les projets de loi du Gouvernement !

M. Julien Bargeton. Vous l’avez d’ailleurs dit vous-même : cette proposition de loi se veut clivante. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) De fait, vous avez annoncé la couleur, si j’ose dire.

À partir de là, comme elle ouvre beaucoup de débats sur l’école, il y a eu beaucoup d’amendements : sur Parcoursup, sur les AESH, sur la formation continue, notamment venant du groupe UC, sur l’éducation sexuelle à l’école.

Le problème, c’est que ce texte prétend en vain embrasser l’ensemble des sujets. C’est un peu dommage, car je pense que nous aurions pu avancer ensemble sur certains points précis.

Ce faisant, il a eu pour conséquence de revenir sur certains débats récents : neutralité pour les accompagnants scolaires, enseignement en famille, port de l’uniforme à l’école. Je note que nos collègues de l’Union Centriste veulent supprimer l’article sur ce dernier sujet. À trop vouloir cliver, vous divisez aussi la majorité sénatoriale.

M. Max Brisson. C’est sûr, ce n’est pas du « en même temps » !

M. Julien Bargeton. Autre défaut de cette proposition de loi : elle n’attend pas les évaluations ou les concertations pour avancer, ce que vous regrettez habituellement à juste raison. C’est le cas sur l’autorité fonctionnelle issue de la loi Rilhac, que nous venons de voter, ou sur l’autonomie pédagogique des établissements, qui fait actuellement l’objet d’une expérimentation à Marseille. On pourrait attendre d’avoir les premiers résultats avant de revenir sur ces dispositifs.

D’ailleurs, notre rapporteur, dans sa grande sagesse, s’est senti obligé de restreindre la portée du texte dans ces deux cas, puisqu’il a réservé l’autorité fonctionnelle à certaines écoles, et qu’il a prévu d’associer les élus locaux sur l’autonomie, ce qui avait été oublié. Cela montre bien que ce texte veut trop en faire !

En outre, cette proposition de loi arrive dans un timing particulier. Le ministre l’a rappelé, un plan vient d’être annoncé pour les écoles rurales. Par ailleurs, le Sénat a lancé une mission d’information sur l’autonomie des établissements. Peut-être aurait-il fallu attendre…

M. Max Brisson. Cela fait cinq ans qu’on attend !

M. Julien Bargeton. Mon cher collègue, vous-même étant membre de cette mission d’information, vous auriez pu attendre les conclusions de vos propres travaux ! On a quand même l’impression que cette proposition de loi cherche à préempter, jalon après jalon, tous les sujets sur l’école, et ce de façon un peu précipitée et brutale, même s’il y a des choses intéressantes dans le texte.

Enfin, celui-ci ne répond pas à son objet.

Le titre mentionne l’égalité des chances, mais il y a quand même peu de dispositifs sur ce thème. Où est la mixité sociale ?

M. Max Brisson. Et le soutien scolaire !

M. Julien Bargeton. Certes, il y a un article sur le soutien scolaire. D’ailleurs, nous ferons des propositions sur ce sujet intéressant.

Au-delà, il n’y a rien dans vos propositions sur la mixité sociale dans l’urbain. D’autres sujets, comme l’enseignement privé, ne sont pas du tout abordés. Aussi, nos collègues déposent des amendements sur ces sujets, démontrant ainsi que le texte de la proposition de loi ne correspond pas à l’objet affiché.

Je voudrais juste rappeler, sinon personne ne le fera, que le dédoublement des classes dans les REP et REP+ en CP et en CE1 a concerné 300 000 élèves, et va se mettre en place dans les grandes sections de maternelle. Le programme « devoirs faits »…

M. Max Brisson. Pour quel résultat ?

M. Julien Bargeton. Le résultat, c’est dix points d’amélioration sur les mathématiques et le français dans les zones concernées !

M. Max Brisson. Seulement en CP !

M. Julien Bargeton. Nous avons aussi travaillé sur l’école inclusive, avec 430 000 porteurs de handicap concernés, contre 320 000 au début de 2017. Les « cordées de la réussite » permettent d’accompagner 200 000 élèves de la quatrième à la terminale.

Mes chers collègues, il faut bien évidemment toujours chercher à améliorer notre système scolaire, mais il est bon de rappeler ce qui a été fait et de partir de ce qui existe.

Je le répète, cette proposition de loi a une vocation politique. Elle est là pour ouvrir des débats, parfois des polémiques, alors que l’école mérite à mon sens de la confiance et de l’efficacité. C’est dans cet esprit que nous entrerons dans la discussion. Vous avez voulu faire de l’école un sujet clivant, mais nous devons plutôt faire en sorte qu’elle soit un lieu de rassemblement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 avril 1870, Jules Ferry prononçait les mots suivants dans l’enceinte du Palais-Bourbon : « Ma prétention est de vous montrer que l’égalité d’éducation n’est pas une utopie ; que c’est un principe ; qu’en droit, elle est incontestable, et qu’en pratique, […] cette utopie apparente est dans l’ordre des choses possibles. »

C’est d’abord à cette exigence d’égalité que nous devons nous attacher quand nous évoquons l’école de la République, et non pas à celle de la performance, trop souvent portée aux nues, comme si l’école était une entreprise.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est un condensé des propositions mises en avant par la droite depuis des décennies pour transformer une institution qu’elle estime défaillante : autonomie des établissements scolaires, renforcée jusqu’à l’extrême, autorité hiérarchique des directeurs d’école, remise en cause du cadre de la fonction publique pour les recrutements d’enseignants, uniforme obligatoire.

Je souhaite en premier lieu rappeler que, loin des discours alarmistes sur le sujet, la dernière étude de l’Insee, publiée en 2022, établit à 74 % le pourcentage de la population ayant confiance dans l’institution scolaire.

Bien sûr, tout ne va pas bien, mais nous considérons pour notre part que, pour bien fonctionner, notre école a besoin non pas de telles mesures, qui ont vocation à la faire basculer dans une logique libérale et concurrentielle, bien loin des principes républicains, mais de moyens à la hauteur de ses ambitions.

J’entends déjà mes collègues, du côté droit de cet hémicycle, me répondre que l’on donne déjà bien assez de moyens. Je souhaiterais à cet égard partager quelques éléments de comparaison.

À l’échelle européenne, d’abord : dans son rapport consacré à l’Europe de l’éducation, publié en décembre 2022, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) relève que la France est le pays de l’Union européenne dont les effectifs par classe sont les plus élevés. Les élèves scolarisés en élémentaire en France sont en moyenne 22 par classe, contre 19,3 dans le reste de l’Union européenne.

Au collège, l’effectif moyen approche 26 élèves, alors que la moyenne européenne se situe sous la barre des 21.

La France est aussi l’un des pays de l’Union européenne où les enseignants doivent assurer un nombre d’heures de cours parmi les plus élevés, et ce alors que leur salaire est inférieur à la moyenne européenne.

L’évolution de nos dépenses en matière d’éducation mérite également d’être scrutée avec plus d’attention, dans un contexte où l’on entend dire qu’il s’agit d’un puits sans fond.

La dépense intérieure d’éducation a atteint un pic à 7,7 % du PIB au milieu des années 1990. Elle évolue aujourd’hui en moyenne autour de 7 %, mais, depuis les années 1980, l’État s’est progressivement désengagé des dépenses au profit des collectivités territoriales, dont la part dans les dépenses d’éducation est passée de 14 % en 1980 à 23 % en 2021.

Quitte à nous poser des questions sur l’efficacité du budget alloué à l’éducation nationale, nous pourrions aussi nous interroger sur les sommes attribuées spécifiquement à l’enseignement privé sous contrat, financé à 73 % par de l’argent public. Est-il bien normal que, dans une ville comme Paris, les établissements privés disposent de plus d’heures d’enseignement rapportées au nombre d’élèves que ceux du public ?

J’en viens au détail des articles que contient ce texte. Plusieurs d’entre eux constituent pour notre groupe une ligne rouge. Aussi, nous aurons à cœur de défendre leur suppression tout au long de cet examen.

L’article 1er, qui prévoit l’expérimentation d’une autonomie renforcée des établissements scolaires des premier et second degrés, va à l’encontre de notre vision républicaine de l’école, qui doit être la même pour tous les élèves sur l’ensemble du territoire, et répondre aux mêmes programmes et objectifs. Le cadre expérimental dans lequel il s’inscrit est par ailleurs fragile juridiquement. En effet, il me semble impossible que les établissements publics autonomes de l’éducation puissent être créés pour une durée limitée.

L’article 2 vise à instaurer une autorité hiérarchique pour les directeurs d’école. Cette possibilité a été limitée en fonction du nombre de classes lors de l’examen en commission. Nous avions déjà eu l’occasion de l’affirmer lors de l’examen de la loi Rilhac : nous sommes attachés au fonctionnement collégial des écoles du premier degré. C’est le principe des « pairs parmi les pairs ». Nous reviendrons d’ailleurs par voie d’amendement sur la notion d’autorité fonctionnelle, votée dans cette loi, et qui a introduit une première brèche dans ce principe.

La mise en place des contrats de mission entre recteurs et enseignants, proposée à l’article 3, s’inscrit dans un cadre dérogatoire au droit commun de la fonction publique, ce qui n’est pas acceptable. Un tel dispositif, qui aura un impact sur l’ensemble du bassin de recrutement, bien au-delà des seuls établissements concernés, ne résoudra en rien le manque d’attractivité de certains établissements ou territoires.

L’article 10 étend le principe de neutralité et l’interdiction de port ostensible de signes religieux aux participants occasionnels du service public de l’éducation. Mon groupe s’est toujours opposé à une extension de ces obligations aux accompagnateurs et accompagnatrices de sorties scolaires.

J’ajouterai que le sujet de la laïcité à l’école mérite une autre approche, visant une meilleure adhésion de nos élèves à ce principe fondamental. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la formation des enseignants.

D’autres dispositions de ce texte, moins clivantes, ont le mérite de soulever des problématiques pertinentes, même si nous différons parfois sur les réponses apportées.

Si nous considérons que la formation initiale des enseignants du premier degré peut être revue et améliorée dans son déroulement, il ne nous semble pas opportun de mettre fin à la culture professionnelle commune entre premier et second degrés que permettent les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) et d’éloigner la formation des enseignants du premier degré du monde universitaire et de la recherche.

L’article 6 pose les jalons d’un service public de soutien scolaire : c’est un signal positif répondant à un besoin social fort, qui ne peut être laissé à la main du privé. Nous aurions souhaité l’encadrer davantage, afin de garantir la qualité de l’accompagnement proposé aux élèves : au regard des exigences de continuité dans les apprentissages nécessaires, nous considérons en effet qu’il doit être, pour le second degré, assuré uniquement par des professeurs, avec une intégration de ces heures dans leurs heures de service. Nos amendements en ce sens ont malheureusement été jugés irrecevables, en raison des charges supplémentaires engendrées. Il est vrai que tout bon service public nécessite un investissement de la part de l’État…

L’article 7, qui prévoit la mise en place d’une réserve éducative pour nourrir ce service public, nous paraît redondant avec la réserve citoyenne de l’éducation nationale déjà existante, dont il conviendrait plutôt de dresser le bilan.

L’article 8, fortement remanié en commission, porte sur les difficultés propres aux élèves scolarisés en milieu rural. Si son périmètre et sa portée sont devenus flous, il a le mérite d’aborder un sujet rarement évoqué, et pourtant crucial.

Nous partageons par ailleurs la préoccupation exprimée à l’article 9 : dans l’ensemble de nos territoires ruraux, les alertes se sont multipliées concernant les fermetures de classes prévues à la prochaine rentrée. Dans la Drôme, nous comptons plus de quarante fermetures, et les plus douloureuses sont dans des communes rurales.

Je ne peux que rejoindre mes collègues qui regrettent ces fermetures en raison de l’application d’une logique purement comptable. Je le répète, les choix faits en loi de finances ont des conséquences. J’espère donc pouvoir compter sur eux lors du vote du prochain budget pour revenir sur les suppressions de postes d’enseignant survenues ces dernières années.

Enfin, en ce qui concerne l’article 11, qui prévoit l’obligation d’une tenue vestimentaire uniforme, nous considérons qu’il n’est pas la bonne réponse à apporter aux inégalités sociales et scolaires : si nous souhaitons nous attaquer sincèrement à ces sujets, la mixité sociale constitue la bonne porte d’entrée.

Je me réjouis toujours de débattre au sein de notre hémicycle sur l’école, mais ce texte me laisse un goût amer. Il me semble que ses propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels est aujourd’hui confrontée notre école de la République, pourtant essentielle pour nos enfants et l’avenir de notre pays. Si nous souhaitons réellement être dans une approche moins verticale et plus proche du terrain, nous devrions en premier lieu écouter les préoccupations des personnels qui s’efforcent de la faire vivre au quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Esther Benbassa et Monique de Marco applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le seul et maigre mérite de cette proposition de loi est de montrer que de véritables projets de société sous-tendent la vision de l’école dans notre pays.

Pour notre part, nous portons une vision clairement de gauche : celle d’une école ayant pour objectif l’égalité des chances et la justice sociale ; celle d’une école qui offre le plus haut niveau de connaissances à des enfants, qui deviendront ainsi, quel que soit leur parcours ultérieur, des citoyens et des travailleurs conscients et responsables ; celle d’une école qui apporte plus à ceux dont le patrimoine culturel est moindre, ce qui est intrinsèquement lié à la condition sociale.

Et le temps n’émousse pas cette conviction, au contraire !

Face aux bouleversements technologiques et scientifiques, qui peut résumer l’éducation à un socle minimal de connaissances ? Face aux enjeux démocratiques, qui peut raisonnablement considérer que nos jeunes doivent être formés à l’obéissance plutôt qu’apprendre à développer leur esprit critique et leur capacité à se forger une opinion solide, éclairée par l’Histoire, par exemple ? À l’évidence, les auteurs de cette proposition de loi, dont la vision est clairement de droite, et même réactionnaire (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) : la blouse devient uniforme ; l’autorité devient hiérarchique ; le recentrage sur le lire-écrire-compter frappe jusqu’à la formation des enseignants.

La « main invisible du marché », son cortège de mises en concurrence, et l’idée selon laquelle seul ce qui relève du privé serait efficace ont également pris toute leur place dans ce texte.

Mes chers collègues, vous n’êtes pas à une contradiction près, votre proposition consistant, de fait, à créer une forme de séparatisme, alors qu’il faudrait renforcer l’école de la République. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

De même, vous dites vouloir libérer les énergies, susciter les innovations, alors que vous vous acharnez à encadrer les pratiques professionnelles des enseignants jusque dans les moindres détails.

Même à titre expérimental, la contractualisation que vous envisagez conduirait inévitablement à une école à la carte.

D’un service public national motivé par une obligation de moyens alloués par l’État, nous basculerions vers une myriade d’écoles sur le modèle des écoles privées, avec des objectifs particuliers qui conditionneraient programmes, moyens, horaires et recrutement des enseignants.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous voulons des obligations de résultat, ce n’est pas la même chose !

Mme Céline Brulin. Si l’on y ajoute votre obsession d’une réduction massive de la dépense publique, alors qu’il faudrait considérer l’éducation comme un investissement d’avenir, cela ne pourra que conduire à une mise en concurrence des établissements, ainsi que des disciplines.

Mais la France ne veut pas plus d’école à la carte que d’une République à la carte. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio sexclame.)

Contradiction, toujours : vous écartez la hausse des moyens comme réponse au besoin de renforcer l’école de la République, en pointant par exemple l’éducation prioritaire, pour finalement la revendiquer en ruralité. Ou encore, vous considérez que les sorties scolaires sont des temps de classe hors les murs afin de brider la liberté religieuse de parents de confession musulmane – pour les autres, cela vous gêne beaucoup moins –, mais refusez systématiquement nos propositions pour que ces sorties soient encadrées par des personnels pédagogiques.

En même temps, plutôt que de faire du soutien scolaire un objectif de l’éducation nationale, avec des moyens de rattrapage, des dispositifs individualisés, vous entendez le laisser dans les mains d’une réserve éducative. Inévitablement, cette mission pèsera sur les collectivités territoriales, tout particulièrement sur celles qui en font déjà beaucoup plus que d’autres en la matière, leurs habitants rencontrant davantage de difficultés sociales, culturelles et scolaires.

Vos prétendus remèdes sont finalement pires que le mal.

Depuis 1989, l’autonomie des établissements publics locaux d’enseignement ne cesse de croître. Cela a-t-il permis de résorber les inégalités ? Absolument pas ! La réforme du lycée, conduite récemment au nom de cette volonté d’offrir des marges de choix et de liberté, la renforce au contraire.

Vous le savez, vous qui avez, comme moi, dans vos départements, des lycées offrant tous les enseignements de spécialité ou presque, quand d’autres se contentent du minimum. Les uns sont plutôt situés dans l’hypercentre des grandes métropoles, les autres se trouvant plutôt dans les quartiers populaires ou les zones rurales.

Pensez-vous vraiment que c’est en faisant porter les responsabilités de l’ensemble de l’institution sur les agents de première ligne que l’on parviendra à faire face à la crise de recrutement des enseignants que nous connaissons aujourd’hui ? Poser la question, c’est déjà y répondre !

Quant aux contrats de mission, censés amener les enseignants les plus expérimentés dans les zones les plus difficiles, leur échec risque d’être aussi patent que celui du dispositif « Éclair »,… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Céline Brulin. … d’autant que le mouvement « postes à profil » ne semble rien résoudre, lui non plus. Cette proposition de loi est dangereuse et nous la combattrons comme il se doit. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, je voudrais tout d’abord remercier l’auteur du texte, Max Brisson, ainsi que le rapporteur, Jacques Grosperrin, du travail précis et riche qu’ils ont conduit. Celui-ci nous donne l’occasion d’avoir un débat de fond sur l’éducation.

Ce texte témoigne toute l’attention que nous portons à l’éducation nationale. Il traduit notre volonté d’élever notre école, nos élèves, nos enseignants.

Nous en avons bien besoin !

En effet, alors que les dépenses en matière d’éducation sont supérieures à la moyenne des pays de l’OCDE, le système éducatif français peine à produire des résultats satisfaisants. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social. Elle ne lisse plus, ne corrige plus les inégalités. Pire, elle les creuse parfois.

Sur le niveau des élèves, l’étude internationale TIMSS 2019 – Trends in Mathematics and Science Study – permet de constater que les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles : au lieu des 25 % attendus dans le quartile inférieur, ils sont 45 % en mathématiques et 41 % en sciences.

Par ailleurs, 15 % des élèves français, soit un sur sept, ne maîtrisent pas les compétences élémentaires en mathématiques, alors qu’ils sont seulement 6 % au niveau européen.

En janvier 2023, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé : Mobiliser la communauté éducative autour du projet détablissement. Le bilan d’égalité du système éducatif, les rapports sur la mixité scolaire dans les établissements tout comme les analyses des résultats aux examens nationaux démontrent à quel point l’uniformité nationale peut s’accommoder de larges inégalités.

L’institution scolaire est en souffrance et de nombreuses interrogations persistent sur sa capacité à répondre aux objectifs qui lui sont assignés.

Selon le rapport de notre collègue Jacques Grosperrin, plus d’un Français sur deux et trois enseignants sur quatre pensent que l’école fonctionne mal. Deux Français sur trois et huit enseignants sur dix sont pessimistes sur l’avenir de l’école.

Dans notre rapport d’information sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, avec mes collègues Marie-Pierre Monier et Max Brisson, nous avions déjà tiré le signal d’alarme, notamment sur la crise d’attractivité que connaît le métier d’enseignant, appelé encore voilà quelques années « le plus beau métier du monde ». Lorsque nous avions rendu nos conclusions, près d’un enseignant sur quatre se demandait s’il n’aurait pas dû choisir une autre orientation professionnelle.

Le constat est rude, et le texte que nous examinons aujourd’hui se veut une réponse à cette problématique.

Il tend à faire évoluer les dispositions sur de nombreux sujets, avec pour objectif, sinon pour ambition, de résoudre les difficultés de l’école et donner plus de liberté aux équipes éducatives.

Par exemple, il est proposé que l’autorité fonctionnelle des directeurs dont l’établissement compterait moins d’un certain nombre de classes soit transformée en autorité hiérarchique. Cela permettrait à l’école de mieux s’adapter à ses besoins spécifiques.

Les contrats de mission proposés à l’article 3 donneront plus de souplesse aux affectations d’enseignants et permettront aux établissements de répondre à des besoins qui leur sont spécifiques.

La formation des enseignants est également abordée.

La proposition de loi prévoit de séparer la formation des professeurs du second degré de celle de leurs collègues du premier degré, et ce afin de mieux préparer ces derniers aux apprentissages des savoirs fondamentaux.

Nous saluons également l’amélioration et la meilleure prise en compte des collectivités territoriales, avec la redéfinition de leur rôle dans l’élaboration des politiques relatives à l’éducation prioritaire.

Certains territoires ruraux, particulièrement en zone isolée ou subissant une crise industrielle ou postindustrielle, voient se cumuler des difficultés sociales, qui peuvent avoir des répercussions en matière scolaire.

Ces difficultés ont été accentuées par la crise sanitaire que nous avons traversée. Ces territoires ont des besoins spécifiques. Aussi, nous saluons la création par le rapporteur du dispositif de « territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers ». C’est d’ailleurs une revendication que notre commission émet depuis plusieurs années.

Le rôle des collectivités locales est également réaffirmé à l’article 9 du texte, qui tend à proposer une réflexion commune lorsque des classes doivent être fermées dans les territoires.

Nous nous réjouissons des améliorations apportées au texte au cours de son examen en commission. Nous avons notamment proposé qu’une condition de diplôme soit ajoutée aux critères de recrutement du personnel qui formera la réserve éducative. Désormais, le niveau baccalauréat sera requis.

Par ailleurs, nous avons souhaité renforcer le dispositif de formation des professeurs du premier degré, afin de l’aligner sur celui des professeurs du second degré.

De plus, nous souhaitons que les étudiants bénéficient, comme leurs homologues, d’actions de formation complétant leur formation initiale.

Le modèle des jardins d’enfants va perdurer, grâce à l’adoption en commission d’un amendement défendu par le président Hervé Marseille, visant à supprimer les dispositions de la loi de 2019 pour une école de la confiance.

Enfin, nous avons renforcé le rôle des collectivités locales en modifiant l’article 9 du texte. Nous avons transformé le moratoire d’un an initialement prévu en une période de trois ans pendant laquelle aucune fermeture de classe ne pourra intervenir si le conseil municipal vote contre la fermeture de classes.

Pour l’examen du texte en séance, nous avons déposé un amendement visant à supprimer l’article 11, qui est relatif au port de l’uniforme dans les établissements scolaires. La majorité de notre groupe n’est pas favorable à une telle disposition.

L’uniforme est souvent présenté comme l’un des leviers à actionner pour répondre au problème des inégalités sociales et pour favoriser la mixité scolaire. Or aucune étude ne vient confirmer ce postulat. Le port de l’uniforme n’est pas forcément la réponse à la bonne tenue, si je puis dire, de notre école !

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste, je le répète, est, dans sa majorité, opposé à ce dispositif.

Toujours est-il, mes chers collègues, que, convaincus de l’importance de ce texte, ses membres voteront en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Franck Menonville et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, nous discutons de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, issue, vous l’avez compris, de la droite sénatoriale. Si l’intitulé semble être porteur d’espoir et de renouveau, le contenu l’est moins.

Ainsi, dès l’article 1er, le ton est donné. Il est proposé d’accroître l’autonomie des établissements scolaires sous contrat, en leur offrant la possibilité de recruter leurs élèves, de choisir leur organisation pédagogique et de donner une liberté quasi totale au directeur d’établissement.

En proposant un tel mode de sélection des élèves, vous réduisez les chances de certains d’entre eux d’accéder à l’établissement scolaire de leur choix.

Par ailleurs, les inégalités entre élèves ne cessent de s’accentuer, et le poids de l’origine sociale se reflète inévitablement dans les résultats scolaires.

Le système éducatif français ne parvient plus à prendre en charge les élèves les plus faibles. Selon la dernière enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), parmi les pays membres de l’OCDE, la France affiche un très grand écart de réussite entre les enfants les plus défavorisés et ceux qui sont issus des familles les plus aisées et les plus éduquées.

Il est urgent de travailler sur ce chantier. Pourtant les mesures proposées sont insuffisantes et ne semblent pas répondre à cet impératif de réduction des inégalités scolaires.

D’autres marqueurs indélébiles de la droite sont intégrés dans ce texte, comme l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices scolaires à l’article 10 et le port obligatoire de l’uniforme à l’article 11. Encore une fois, le principe de laïcité est déformé. Aujourd’hui, la laïcité serait menacée partout en France et l’école serait mise en grave danger dans les assiettes servies à la cantine, lors des sorties scolaires, dans les cours de récré ou encore à la piscine… (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)

Tout prétexte est bon pour redéfinir le principe de laïcité à sa sauce et encourager le marché électoral – que vous avez fait vôtre – de l’islamophobie ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette stigmatisation permanente ne fait que renforcer le repli communautaire. C’est un engrenage vicieux que l’éducation nationale devrait endiguer à force de pédagogie, de formation à la laïcité, de dialogue entre professeurs et élèves, entre professeurs et parents.

Emmanuel Macron a déclaré le 16 mars dernier qu’il ferait de l’école sa priorité, de sorte qu’elle soit ouverte à tous, émancipatrice, libératrice et inclusive. Ce texte ne répond visiblement pas à cette ambition !

Je voterai contre celui-ci, clin d’œil fait à l’extrême droite et dont le contenu est suranné ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi la République n’est-elle plus perçue comme un idéal qui fait rêver ? Parce que la promesse républicaine n’est pas tenue !

Aussi ne nous étonnons pas que certains se tournent vers d’autres promesses et cèdent aux emprises idéologiques qui leur sont proposées.

Monsieur le ministre, voilà un mois j’ai rappelé, ici même, devant vous, les vœux du Président de la République : « La principale injustice de notre pays demeure le déterminisme familial, la trop faible mobilité sociale. Et la réponse se trouve dans l’école, dans l’orientation. »

Vous nous aviez annoncé pour la fin du mois de mars de nouvelles dispositions d’affectation des élèves plus équitables entre les écoles publiques et privées. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Cette proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité a pour objet de vous interpeller sur le constat accablant du modèle éducatif français, marqué par des classements internationaux catastrophiques et la crise du recrutement des enseignants. Contrairement aux déserts médicaux, les déserts de République – des zones de non-droit – ne doivent pas se développer !

Les vérités scientifiques sont contestées par des croyances révélées, les principes de la République sont ignorés et la laïcité est bafouée.

Nous ne pouvons pas laisser se dégrader ce pan essentiel de notre société, dont les ressources humaines sont la principale richesse ! L’éducation devrait être la priorité de nos investissements. À quoi bon vouloir relocaliser, réindustrialiser et investir, sans former des ressources humaines pour qu’elles soient à la hauteur et épanouies ?

Il faut également rétablir une autorité scientifique indiscutable, une autorité morale affirmée et, comme marqueur, l’autorité de compétence des maîtres qui enseignent sous l’autorité des directeurs, chefs d’établissement.

Cette absence de hiérarchie est l’un des handicaps de l’école publique par rapport à l’école privée.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Bernard Fialaire. Donnons de l’autonomie aux établissements ! L’égalité n’a jamais été l’uniformité ni l’unicité. Elle est au contraire l’adaptation au terrain et aux circonstances. Pour cela, elle doit associer les collectivités locales – les mairies, bien sûr, mais également les services médico-sociaux des départements, les services des régions chargés de l’orientation –, les parents d’élèves et l’éducation nationale, avec l’école pour chef de file.

L’expérimentation d’établissements publics autonomes d’éducation va dans ce sens, tout comme la proposition d’instituer une réserve éducative.

Le périscolaire, qui a été reçu par nombre de collectivités comme une contrainte précipitée, n’est pas partout à la hauteur de l’enjeu majeur que constitue le temps d’accompagnement des enfants. Ils ne doivent pas être livrés aux réseaux sociaux ni confrontés au désœuvrement, qui les exposent à nombre de risques !

L’encadrement des enfants par une communauté éducative doit être renforcé. Combien de parents font le choix de l’enseignement privé à cause de l’absentéisme non remplacé ?

Les enseignants doivent être soutenus et respectés financièrement et socialement.

Comme l’a dit Jacques Grosperrin, faire classe dans le primaire n’est pas la même chose que faire cours dans le secondaire. Il faut une formation spécifique et adaptée.

Les écoles supérieures du professorat des écoles, dont l’instauration nous est proposée pour succéder aux Inspé, lesquels ont eux-mêmes succédé aux Espé (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), qui avaient déjà succédé aux IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres), ne seraient-elles pas à l’image de nos regrettées écoles normales ?

M. Bernard Fialaire. Alors, appelons un chat un chat ! Revenons aux écoles normales… (M. Jean-Claude Requier marque son approbation.)

M. Olivier Paccaud. Très bien !

M. Bernard Fialaire. … auxquelles, d’ailleurs, le Président de la République ne serait pas hostile, pour enseigner les fondamentaux et affirmer les vérités scientifiques qui ne doivent plus être contestées ou menacées pas plus que ne doivent l’être ceux qui les professent.

Dans une enquête récente, Jean-Pierre Obin révèle que 50 % des enseignants, particulièrement les plus jeunes, s’autocensurent à cause des menaces et des craintes de représailles. L’humilité du savoir est vécue comme une faiblesse par ceux qui le contestent.

Ne cédons rien sur la laïcité, sur ses principes et sur la neutralité qu’elle exige, en matière de tenue vestimentaire aussi bien des enseignants et des élèves que des accompagnants scolaires.

M. Olivier Paccaud. Très bien !

M. Bernard Fialaire. Si la proposition du port de l’uniforme à l’école nous semble excessive, elle réaffirme toutefois qu’aucune culture ni aucune expression religieuse ne peuvent porter atteinte à l’émancipation et à la liberté des femmes, par exemple.

Le curé, l’imam ou le rabbin ne peuvent remplacer l’instituteur. Je suis heureux que nous partagions enfin tous cette affirmation de l’école de la République.

Il faut revoir la participation des communes au financement des écoles privées. Dans le contexte de l’augmentation des charges, du coût de l’énergie et des salaires, une baisse d’effectifs d’une école pour cause démographique ou de mutation d’élèves dans le privé renchérit automatiquement la participation des communes. Elle divise leur coût fixe par un nombre moindre d’élèves et abonde ainsi les ressources de leurs concurrentes. Cela rend tout nouvel investissement supplémentaire encore plus pénalisant. Les charges devraient être divisées par le nombre de places potentielles et non par le nombre d’élèves effectif. Je vous ai déjà alerté sur ce sujet, monsieur le ministre.

Bien évidemment le groupe du RDSE soutient ce cri d’alerte qui vous est adressé pour rétablir l’excellence de l’école de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus que jamais, l’éducation est le pilier fondamental de notre société.

Le système éducatif français fournit un apprentissage de qualité à des millions d’élèves chaque année. Malgré cela, la crise de l’école est un constat qui ne fait plus débat : perte de confiance des familles et des élèves, manque de soutien auprès du personnel de l’éducation nationale, crise d’attractivité du métier d’enseignant, baisse du sentiment d’appartenance. Ce sont tout autant de manifestations d’une institution affaiblie, qui peine à trouver un nouveau souffle.

Il est clair que nous devons renforcer l’école. Davantage d’autonomie pour les établissements scolaires permettrait de mieux répondre aux besoins et aux attentes des élèves, des parents et des enseignants. Cela favoriserait l’innovation et l’expérimentation pédagogiques, en donnant aux établissements davantage de latitude pour adapter les méthodes d’enseignement aux particularités de leurs élèves et à leurs contextes spécifiques.

Tel est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Max Brisson, que nous partageons sans réserve.

Je souhaite également remercier chaleureusement le rapporteur, Jacques Grosperrin, pour l’ensemble du travail qu’il a réalisé.

À l’heure où l’intégration de nouveaux outils technologiques et l’influence des réseaux sociaux bouleversent les rapports à l’apprentissage et à la transmission des savoirs, je suis convaincue que nous devons concentrer nos efforts pour contribuer à améliorer l’égalité des chances.

Les mots « respect », « autorité », « fierté d’appartenance » et « altruisme » ne sont pas désuets. Il est temps de sanctuariser de nouveau l’école autour de ces valeurs. Il est temps de recentrer l’école sur les savoirs fondamentaux, au premier rang desquels se trouve le savoir-être, avec pragmatisme et loin des positions idéologiques.

L’article 11 de la proposition de loi vise à rendre obligatoire la tenue d’établissement scolaire. Je crois qu’il est temps de réévaluer le rôle de cette dernière dans l’éducation et de la considérer sous un nouveau jour dans l’école de 2023 ; ce serait même un gage de modernité et d’efficacité.

Je m’explique : nous avons choisi le terme de tenue d’établissement plutôt que celui d’uniforme, car il met en avant l’autonomie des établissements dans la mise en application de cette obligation. Elle sera réalisée en concertation avec les parents, la communauté éducative et les élèves, en fonction des particularités géographiques, sociales et économiques locales, soit, en somme, en fonction des spécificités des territoires !

Cette question a suscité beaucoup de débats en métropole ces dernières années. Je précise toutefois que les partisans de la tenue d’établissement au sein de l’école républicaine sont majoritaires en France. En effet, un sondage CSA diffusé le 12 janvier 2023 révèle que près de 60 % des Français y sont favorables. D’ailleurs, la tenue d’établissement a fait ses preuves dans les outre-mer. Elle permet de renforcer l’entraide et le sentiment d’appartenance. Pourquoi ce qui fonctionne dans le cas d’une association ou d’une équipe sportive ne fonctionnerait-il pas à plus grande échelle ?

Par ailleurs, elle sera un moyen de préparer les élèves à la vie professionnelle. L’enfant qui franchit le seuil de son école devient un élève et entre dans une situation de travail. La tenue, comme dans d’autres professions, aide au respect des règles. En matière de sécurité – ce point est à prendre en compte –, elle réduit le risque d’éventuelles intrusions dans l’enceinte des établissements.

Par ailleurs, la tenue d’établissement scolaire permet d’évacuer la question du port de signes ostensibles d’appartenance religieuse ou communautaire, assurant ainsi une pleine application du principe de laïcité. C’est un outil de simplification au service de la communauté éducative, à qui est soumise l’interprétation de tenues susceptibles d’être à caractère prosélyte.

Monsieur le ministre, sur ce point nous sommes en désaccord : nier les vertus de la tenue obligatoire reviendrait à priver les enseignants d’un outil qui les protège. (Mme Esther Benbassa sexclame.) Pour preuve, en novembre dernier, les services de votre ministère ont fait savoir que, depuis la rentrée scolaire 2022, les atteintes à la laïcité étaient en forte hausse, sans parler de toutes celles qui ne sont pas signalées !

Dernier point, et non des moindres : la tenue d’établissement scolaire est une mesure sociale. Elle permettra de limiter le diktat des marques coûteuses pour les familles, pouvant conduire l’élève au racket, au harcèlement et à l’exclusion.

Concernant le financement, l’État abondera pour les familles ne disposant pas de ressources suffisantes par le biais de l’allocation scolaire. Cette mesure aussi pourrait profiter à nos entreprises françaises et mettre en avant le made in France, par exemple. À mon sens, il faudra explorer cette piste.

Pour conclure, ma conviction est que la tenue d’établissement est un outil efficace. Bien sûr, il ne suffira pas à résoudre tous les maux de l’école ; il n’en a d’ailleurs pas la prétention. Ce n’est pas non plus une potion magique ! Cette tenue contribuera néanmoins à renforcer une culture commune fondée sur le respect, qui est le ciment indispensable de l’école.

La majorité des acteurs de l’éducation et des élèves que j’ai interrogés m’ont confortée dans cette conviction. Chère Annick Billon, cher Julien Bargeton, pour moi la meilleure évaluation, c’est la consultation à grande échelle !

Notre groupe, vous l’avez compris, votera la proposition de loi de notre collègue Max Brisson, car elle a l’ambition de proposer de véritables solutions à des difficultés indéniables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la gravité de la crise que traverse notre école est réelle. Une défiance s’installe peu à peu. Le niveau d’ensemble baisse. Le métier d’enseignant attire de moins en moins.

Pourtant, l’école et ses enseignants sont en première ligne pour transmettre à notre jeunesse les grandes valeurs de la République. La citoyenneté, la laïcité et la culture de l’engagement sont au cœur des missions de l’école, qui est un acteur majeur de l’égalité des chances. Ce contrat liant la République à ses enfants et futurs citoyens est aujourd’hui à renouveler.

L’école a aujourd’hui besoin d’un nouveau souffle et de perspectives renouvelées.

C’est tout l’objet de cette proposition de loi, qui s’attelle à ce vaste chantier, notamment sur l’égalité des chances, tout d’abord, en proposant la création d’un service public de soutien scolaire. En effet, nous constatons que c’est un véritable sujet de fracture sociale au sein des familles ; il a d’ailleurs été exacerbé pendant la crise sanitaire et le confinement en 2020.

Ensuite, en ce qui concerne les savoirs fondamentaux, le texte tend à réarmer les enseignants du premier degré en améliorant leur formation. Il est prévu de créer des écoles supérieures du professorat des écoles, qui prépareraient aux concours et qui formeraient les enseignants stagiaires. Cela représenterait une véritable avancée pour mieux préparer les enseignants du premier degré à l’apprentissage des savoirs fondamentaux.

Cette proposition de loi vise également à accroître l’autonomie des établissements par voie d’expérimentation. Il est en effet essentiel de donner aux établissements la capacité d’initiative et d’innovation qui s’impose. Cela participe aussi à la motivation des enseignants. Peut-être faudrait-il s’inspirer du système éducatif des pays nordiques, qui repose sur l’autonomie des professeurs, et sur celui du Portugal, qui tend à décentraliser le processus de recrutement et à octroyer davantage d’autonomie aux établissements.

De plus, il faut aller plus loin, me semble-t-il, en réformant le statut de directeur d’école, afin de renforcer son rôle, notamment dans les écoles les plus importantes.

L’auteur du texte n’a pas non plus oublié la ruralité. Une approche différenciée est défendue en matière scolaire. Les territoires ruraux nécessitent des critères spécifiques et adaptés aux défis auxquels ils doivent faire face.

Ce texte prévoit également qu’une décision de fermeture de classe sera soumise à l’avis du conseil municipal ou intercommunal. Il est absolument essentiel d’associer davantage les élus locaux dans ce processus, car les conséquences tant humaines que financières d’une telle décision sont lourdes pour les territoires.

En matière de laïcité, cette proposition de loi vise à étendre notamment aux accompagnateurs le principe de neutralité politique et religieuse lors de sorties scolaires. La laïcité est l’un des grands principes qui doivent être réaffirmés dans l’école de la République.

En 2021, l’Ifop a publié une étude pour la fondation Jean-Jaurès et Charlie Hebdo, quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty. L’enquête souligne un fait important : 34 % des professeurs en réseau d’éducation prioritaire ont témoigné de perturbations lors des cérémonies d’hommage. Par ailleurs, selon le rapport de Jean-Pierre Obin, la moitié des professeurs déclarent s’être autocensurés pour éviter des incidents avec certains élèves.

Ces chiffres doivent nous alerter et nous pousser à agir au plus près des difficultés dont témoignent les enseignants et à les soutenir dans l’exercice de leur noble mission. Nous devons cesser les petits renoncements du quotidien qui font reculer la République et son idéal.

Mes chers collègues, nous devons, ensemble, engager un grand chantier pour refonder les bases de notre école républicaine. Elle doit être émancipatrice, préparer nos enfants aux défis de demain et les guider sur le chemin ardu de la connaissance.

Nous devons mener une véritable réforme structurelle pour que les établissements disposent d’une plus grande autonomie et le personnel, de plus de liberté et de capacité d’initiative, afin de mieux s’adapter aux besoins des élèves.

Le mérite de cette proposition de loi est de poser quelques premières pierres et d’ouvrir la porte à d’autres améliorations.

C’est un très bon signal que notre assemblée s’empare de ce sujet qui nous tient à cœur et qui est le moteur de l’espérance républicaine.

C’est pour cela que je salue le travail de l’auteur de cette proposition de loi, Max Brisson, et du rapporteur, Jacques Grosperrin. Notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école passionne. Elle est parfois clivante. Elle peut susciter la caricature. Caricaturer notre pauvre Max Brisson en vieux réactionnaire, ce n’était pas très gentil, chère Céline Brulin ! (Sourires.)

M. Pierre Ouzoulias. C’est vous qui clivez !

M. Olivier Paccaud. Je ne dirais tout de même pas que vous êtes une bolchevique rose ! (Mme Céline Brulin sourit. – Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Réjouissons-nous de débattre et de ne pas penser la même chose. Réjouissons-nous d’avoir des visions différentes ! La démocratie, c’est le débat !

M. Pierre Ouzoulias. Encore faut-il vouloir débattre !

M. Olivier Paccaud. Après la pause du dîner, nous débattrons de visions et de propositions différentes pour insuffler un nouvel élan à cette école qui en a tant besoin.

L’école est le sanctuaire républicain par excellence. La République française y est pour ainsi dire née. Son idéal y a été cultivé, s’y est affermi et s’est propagé à l’ensemble du corps social. Chez nous, l’école et la République sont consubstantielles.

Hélas ! ce cœur battant de la République, cet organe essentiel de notre démocratie, celui-là même qui est censé insuffler toute sa vitalité et sa cohésion à notre société, est malade. Il souffre depuis trop longtemps de maux nombreux, souvent niés. Faute de diagnostics effectués à temps, l’affection qui ronge l’école est devenue générale. Toutes ses fonctions sont atteintes.

Le tableau symptomatologique, si je puis dire, de cette maladie de l’école n’est guère reluisant. Et pour cause ! Là où elle obtenait des résultats pédagogiques excellents, donnant une instruction vaste et ferme à des générations entières de jeunes, l’école peine aujourd’hui à inculquer à ses élèves les fondamentaux : lire, écrire, compter. Et je n’évoque même pas tous ceux qui sortent du système sans bagage ni diplôme. La dégringolade de notre pays dans les différents classements internationaux n’en est que l’insigne illustration, cela a été mentionné.

L’école est devenue l’institution où apparaît la première lézarde sur la cuirasse de l’autorité. La volonté de s’affranchir des règles communes y devient courante. La figure tutélaire de l’enseignant est méprisée. Or comment attendre des générations futures qu’elles respectent notre État et ses lois, si elles ne sont déjà plus capables d’obéir aux enseignants censés les faire venir à la citoyenneté ?

Par ailleurs, l’école, cela a été rappelé précédemment, est devenue un lieu de souffrances et de violences pour les élèves. La cloche qui sonne la fin de la récréation n’interrompt plus la tragédie du harcèlement scolaire, devenu permanent sous sa forme cyber. Brimades, moqueries et autres persécutions ne sont plus contenues par les grilles fermées de l’école. Elles cheminent à travers les écrans ; elles sont colportées par les réseaux sociaux et s’insinuent jusque dans l’intimité du foyer, ne laissant plus la moindre trêve à leurs malheureuses victimes.

Le tableau brossé jusqu’à présent est déjà bien sombre, mais comment pourrait-il en être autrement quand les chevilles ouvrières de l’institution scolaire sont si mal considérées ? Je veux bien évidemment parler des professeurs. Comment exiger d’eux qu’ils accomplissent ce qui s’apparente à un véritable sacerdoce républicain dans des conditions si navrantes ? Leurs rémunérations les classent parmi les enseignants les moins bien payés en Europe. Un constant opprobre est jeté sur une profession bien souvent ingrate et aux difficultés mal connues.

Les sessions de recrutement hâtives, parfois par la voie douteuse du job dating, les concours qui comptent deux à trois fois moins de lauréats que de postes à pourvoir sont d’autres symptômes inquiétants de la crise dans laquelle s’enlise notre modèle éducatif.

Se trouvera-t-il encore suffisamment d’enseignants compétents et dévoués devant nos enfants à la fin de la décennie ?

Enfin, que dire de l’abandon des territoires ruraux par les politiques éducatives ? Si d’aucuns ont pu dire, de façon caricaturale, qu’il existait une école à deux vitesses en opposant un enseignement public en difficulté à un enseignement privé prisé pour avoir conservé les qualités évanouies du premier, alors force est de constater qu’il existe également un enseignement prioritaire à deux vitesses ! Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont choyés au détriment des non moins déshéritées zones rurales.

En politique d’éducation comme en tout, c’est encore une fois les métropoles ou les agglomérations et le « désert français » !

Une répartition plus équitable des ressources de l’enseignement prioritaire ne serait que justice et permettrait à l’école de retrouver certaines des pièces mécaniques manquantes permettant de relancer le fameux ascenseur social disparu.

N’oublions jamais ce chiffre édifiant et accusateur pour notre école : près de 70 % des élèves relevant de l’éducation prioritaire n’en bénéficient pas. Depuis six ans, on nous annonce une réforme de la carte de l’éducation prioritaire qui ne vient pas. Or la République c’est l’égalité des chances, partout et pour tous, mais ce n’est plus le cas !

Face à cette situation alarmante, la présente proposition de loi tend à prescrire un début de remède et à administrer les premiers soins sans toutefois se contenter d’expédients. Son auteur s’y attelle avec courage et ambition. On ne pourra que se réjouir des mesures qu’il propose : la création d’un service public de soutien scolaire, un partenariat réel avec les collectivités pour l’établissement de la carte scolaire, une attention particulière portée aux territoires ruraux défavorisés, la possibilité pour les professeurs d’élargir leurs horizons via l’encouragement de la bivalence, le respect d’une laïcité vigilante et cohérente, et la volonté de rasséréner le climat scolaire par le port d’une tenue vestimentaire commune.

Une occasion nous est offerte d’enrayer la maladie de l’école, afin de rétablir cette dernière dans la noblesse de ses missions et la vigueur de ses succès. Tâchons de nous en saisir, car c’est dans l’école d’aujourd’hui et de demain que se forme la société à venir et que l’égalité des droits, et surtout des chances, peut prendre forme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. Max Brisson. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité.

Organisation des travaux

Mme le président. Mes chers collègues, 67 amendements sont à examiner sur ce texte.

Nous pourrions prolonger nos débats au-delà de minuit. Si nous ne les avions pas achevés à une heure trente cette nuit, nous pourrions, en accord avec le Gouvernement et la commission, fixer la suite de l’examen de ce texte à demain soir, mercredi 12 avril, à l’issue du débat sur la pollution lumineuse.

Il n’y a pas d’observation ?…

Il en est ainsi décidé.

Je vous rappelle que la discussion générale est close. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 1er

Avant l’article 1er

Mme le président. L’amendement n° 82 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, est complétée par les mots : « et à faire naître chez eux un esprit de coopération ».

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Légiférer sur l’école nécessite avant toute chose de se poser la question de la société que l’on veut construire demain.

Pendant des décennies, l’école républicaine a été fondée sur un système méritocratique, destinée à développer davantage l’esprit de compétition que de coopération entre les élèves.

Les apprentissages et les exercices alternatifs défendant des valeurs plus coopératives ont toujours existé au sein de l’école républicaine, sur l’initiative des enseignants.

Nous proposons aujourd’hui d’en faire l’une des missions de l’éducation nationale face aux enjeux qui attendent les générations futures.

L’éducation nationale peut jouer un rôle important dans le développement de l’esprit de coopération des élèves. En effet, l’apprentissage de la coopération peut être intégré aux différentes matières et activités, en favorisant la collaboration, la communication, la solidarité et l’entraide. Les enseignants peuvent encourager les élèves à travailler en groupe, à résoudre les problèmes ensemble, à partager leurs connaissances et à se soutenir mutuellement.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Je souscris à l’importance de développer la coopération entre les élèves.

On sait que les petits Français, collégiens ou lycéens, sont ceux qui coopèrent le moins au niveau de l’Union européenne.

Cependant, dans la mesure où l’article L. 111-1 du code de l’éducation précise que le service public de l’éducation « favorise la coopération entre les élèves », nous considérons que l’amendement est satisfait.

Par conséquent, nous sollicitons le retrait de l’amendement. À défaut, nous émettrons un avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme le président. Madame de Marco, l’amendement n° 82 rectifié est-il maintenu ?

Mme Monique de Marco. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme le président. L’amendement n° 82 rectifié est retiré.

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 82 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 29

Article 1er

I. – À titre expérimental, pendant une durée de cinq ans à compter de la publication du décret mentionné au VI, les recteurs de région académique peuvent passer avec des écoles dotées de la personnalité morale, en application du IV, ou avec des établissements d’enseignement scolaire publics volontaires relevant du titre Ier ou du chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’éducation, ainsi qu’avec leur collectivité de rattachement lorsqu’elle souhaite y être partie, un contrat portant sur :

1° Le ressort de l’établissement ;

2° L’affectation des personnels, y compris enseignants ;

3° L’allocation et l’utilisation des moyens budgétaires ;

4° L’organisation pédagogique ;

5° Les dispositifs d’accompagnement des élèves.

Le contrat fixe notamment des objectifs pluriannuels en matière de réussite et de mixité scolaires. Chaque année, un dialogue de gestion entre les parties permet de vérifier l’atteinte des objectifs. Si nécessaire, les parties au contrat peuvent convenir d’avenants qui ne peuvent, sauf circonstances exceptionnelles dûment justifiées, remettre en cause l’équilibre général du contrat et, notamment, les objectifs pluriannuels en matière de réussite et de mixité scolaires.

Si les objectifs ne sont pas atteints durant deux années consécutives, le recteur peut, après avoir recueilli l’avis de l’établissement et, le cas échéant, de la collectivité, résilier le contrat.

Le fait qu’une école ou qu’un établissement soit partie à un contrat mentionné au présent I ne fait pas obstacle à la possibilité de conduire en son sein des expérimentations pédagogiques dans les conditions prévues à l’article L. 314-2 du code de l’éducation. Le cas échéant, les stipulations de ce contrat qui portent sur un objet donnant lieu à une expérimentation en application du même article L. 314-2 sont soumises à une concertation préalable avec les représentants de la communauté éducative et les équipes pédagogiques de l’école ou de l’établissement.

Le projet de contrat et, le cas échéant, tout projet d’avenant sont soumis à l’avis de l’équipe pédagogique de l’école ou du conseil pédagogique de l’établissement ainsi que des représentants de la communauté éducative, qui disposent de trente jours pour formuler des observations.

Le conseil d’administration de l’école dotée de la personnalité morale, en application du IV du présent article, ou de l’établissement d’enseignement scolaire public volontaire relevant du titre Ier ou du chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’éducation se prononce sur ce projet de contrat, ainsi que sur tout projet d’avenant, après présentation par le chef d’établissement.

II. – Les établissements parties à un contrat mentionné au I ne peuvent, dans une même région académique, ni excéder 10 % de l’ensemble des établissements ni rassembler plus de 20 % des élèves.

III. – Les contrats mentionnés au I peuvent, en tant que de besoin, déroger aux articles L. 421-3 à L. 421-5 et L. 421-11 à L. 421-16 du code de l’éducation.

Ils peuvent prévoir des modalités d’affectation des personnels dans les établissements parties qui dérogent aux lignes directrices de gestion fixées en application de l’article L. 413-3 du code général de la fonction publique.

IV. – Les écoles maternelles ou élémentaires participant à l’expérimentation doivent, préalablement à leur adhésion au contrat mentionné au I du présent article, obtenir le statut d’établissement public, après accord du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale, lorsque la compétence relative au fonctionnement de l’école a été confiée à un établissement public de coopération intercommunale. La demande tendant à obtenir ce statut est formulée par le conseil d’école. Cet établissement public est régi par les articles L. 421-1 à L. 421-4 et L. 421-10 à L. 421-19 du code de l’éducation. Pour l’application de l’article L. 421-2 du même code, selon l’importance de l’établissement, le conseil d’administration de l’école devenue établissement public est composé de douze, quinze, dix-huit, vingt-et-un, vingt-quatre ou trente membres. Le décret prévu au VI du présent article précise les conditions dans lesquelles est accordé ce statut ainsi que les conséquences qu’il emporte pour l’école, notamment sur ses droits, ses obligations et son organisation administrative, budgétaire et comptable.

V. – Au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique réalise l’évaluation de cette dernière afin de déterminer les conditions appropriées pour son éventuelle généralisation. Le rapport évalue notamment les effets de l’expérimentation sur la réussite des élèves et la mixité scolaire. Il est transmis au Parlement et au Gouvernement.

VI. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les dispositions qui figurent obligatoirement dans le contrat et les documents supports du dialogue de gestion.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, sur l’article.

Mme Sylvie Robert. Cet article consacre la logique de contractualisation, qui est en constante progression dans le domaine de la politique publique éducative, au risque, désormais, de morceler l’éducation nationale. Rappelons tout de même que l’objectif premier est de permettre la réussite de chaque élève, et non de quelques-uns.

Une autonomie favorisée des établissements garantirait-elle de meilleures conditions d’études pour les élèves et de meilleures conditions de travail pour le personnel éducatif ? Depuis la loi Fillon de 2005, nous disposons de quelque recul et de fragments de réponse : l’autonomisation des établissements n’est en rien un facteur de réussite des élèves – c’est empirique.

Les dernières études en matière éducative démontrent, globalement, que l’école française n’a jamais été aussi inégalitaire, qu’elle amplifie les inégalités scolaires et sociales et qu’elle n’assure plus autant aujourd’hui la mobilité sociale.

Or que prônez-vous, mes chers collègues, avec cet article ? Un modèle qui va renforcer les inégalités territoriales, qui va installer une concurrence féroce entre les établissements scolaires et qui ne se préoccupe nullement de mixité scolaire et sociale : en somme, un modèle qui va accentuer les carences et les failles de notre système scolaire, au nom d’une idéologie, de présupposés, et non d’une réalité tangible, concrète et étayée par des faits.

Cet article matérialise la fin de l’ambition républicaine sur l’ensemble du territoire pour tous les élèves. Au moment où l’école publique devrait être soutenue, parce qu’elle en a besoin, c’est une dérégulation et une libéralisation de l’école que vous proposez.

Avec cet article, vous risquez de l’ébranler encore plus et de détruire définitivement l’idéal qui la sous-tend. (M. Patrick Kanner applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.

M. Yan Chantrel. D’après l’exposé des motifs, les auteurs de la proposition de loi s’inspirent, dans cet article 1er, « de la réforme d’ampleur du système éducatif britannique engagée à partir de 2010, visant à favoriser l’autonomie des établissements ».

Cette réforme a généralisé la transformation de nos écoles publiques en académies. Je vais vous en parler, mes chers collègues…

Ces fameuses académies sont des établissements dirigés par des trusts, des fondations à but non lucratif inscrites au registre des entreprises et soumis au droit des sociétés.

Ces trusts, qui s’occupent généralement de plusieurs écoles à la fois, sont gérés par des sponsors, des entreprises, des organismes confessionnels ou des associations, qui investissent en capital et sont financés par le gouvernement, sur la base d’un contrat d’objectifs signé avec le ministère de l’éducation. Il faut tout de même savoir de quoi on parle quand on propose de s’inspirer de ce modèle !

Le contrat de financement type n’exige pas que les enseignants soient qualifiés ni que les académies soient contraintes de respecter les conditions salariales de la convention collective nationale des enseignants.

Les académies n’ont pas l’obligation de respecter le programme national ; elles doivent seulement offrir un programme large et équilibré. En outre, elles fixent leurs propres politiques d’admission des élèves.

Voilà où vous voulez emmener l’école publique au travers de cet article 1er, chers collègues : vers le tout-privé, soumis aux méthodes du New Public Management, loin des idéaux de l’école républicaine.

Au demeurant, cette académisation à marche forcée de l’école publique britannique n’est absolument pas un succès, puisque l’on observe des résultats très nuancés en matière de performances des élèves et une baisse de la mixité sociale à l’école.

Pis, non seulement l’académisation s’est révélée coûteuse pour les finances de l’État, mais elle a aussi soulevé des doutes sérieux sur l’utilisation des deniers publics faite par les trusts.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Je veux d’abord rassurer mes collègues : je ne suis pas le descendant de Margaret Thatcher !

M. Max Brisson. Je nourris quelque espoir d’être celui de Tony Blair, qui est largement à l’origine du décor que vous venez de décrire et qui fleurait bon l’apocalypse…

Monsieur Chantrel, un peu plus de sérieux dans nos échanges ne nuira pas à la qualité de nos débats !

M. Stéphane Piednoir. Cela va demander un effort…

M. Max Brisson. Nos collègues des travées de gauche de l’hémicycle vont nous dire, toute la soirée, que tout va bien. Circulez, il n’y a rien à voir…

M. Yan Chantrel. Pas du tout !

M. Max Brisson. Eh bien non ! Le système actuel est celui de la ségrégation et de l’inégalité. Notre système centralisé a produit et produit plus d’inégalités que ceux des pays européens voisins.

Avec toutes ses imperfections, que M. Bargeton s’est efforcé de recenser, ce texte essaie d’offrir une autre voie, pour 10 % d’établissements volontaires – quand vous avez dit que je voulais tout privatiser, tout brader.

Il essaie d’offrir, dans le cadre d’un contrat avec la collectivité territoriale et avec l’éducation nationale, un peu de liberté, un peu moins de circulaires, un peu moins d’injonctions, un peu moins de copié-collé, et davantage de confiance pour les profs.

Chers collègues de gauche, le système que vous défendez est, aujourd’hui, dans l’impasse. Il est en crise. Pour en avoir largement été les porteurs, vous êtes en grande partie responsables de la crise de notre école. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.

M. Stéphane Piednoir. Je vais reposer les questions que j’ai soulevées en commission la semaine dernière.

Considérons-nous tous ici que le système actuel est satisfaisant ? Considérons-nous que les résultats scolaires, que le niveau des élèves qui sortent de l’enseignement primaire sont à la hauteur de la pratique qui consiste, année après année, à déverser de l’argent public dans quelque chose qui ressemble à un puits sans fond et qui ne fonctionne pas ? Il faut oser se l’avouer ! Et c’est un enseignant qui a fait toute sa carrière dans l’enseignement public qui vous le dit.

J’entends M. Chantrel parler de libéralisation, de privatisation… Je ne vois pas ce qui, dans l’article 1er, lui fait penser cela ! Mais peut-être veut-il simplement polémiquer pour polémiquer…

Pour ma part, je vois, dans cet article, le contraire de la centralisation évoquée par Max Brisson. J’y vois un peu de souplesse, j’y vois un peu d’autonomie donnée aux chefs d’établissement, aux responsables d’établissement, qui connaissent les réalités locales et qui, loin de nier la mixité sociale ou de l’accentuer, sont capables de faire avec – parfois, les solutions envisagées dans un quartier ne seront pas les mêmes que dans le quartier voisin.

En gros, ce que nous vous proposons, à travers cette proposition de loi, que les membres de notre groupe ont largement cosignée, c’est du sur-mesure, en faisant confiance aux chefs d’établissement et aux enseignants, qui sont à même de mieux utiliser l’argent public. Nous n’avons aucune arrière-pensée !

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, sur l’article.

M. Cédric Vial. Je veux exprimer une position personnelle, puisque, une fois n’est pas coutume, je ne partage pas complètement l’avis de l’auteur de la proposition de loi sur l’autonomie des établissements, notamment dans l’enseignement primaire.

En effet, la configuration, dans les écoles primaires, est très particulière et ne correspond pas aujourd’hui, selon moi, à celle des établissements de l’enseignement secondaire, ni par le personnel, ni par les capacités de gestion, ni par la taille critique.

En voulant créer des établissements autonomes, en voulant créer des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) dans l’enseignement primaire – c’est un vieux serpent de mer –, il me semble que l’on essaie aujourd’hui de privilégier une certaine liberté, ambition que je partage avec Max Brisson, sur une politique d’aménagement du territoire qui garantisse des établissements de proximité dans nos territoires les plus ruraux.

Je crains que cela ne soit opposable. Même si je partage la volonté d’une plus grande autonomie, d’une plus grande liberté, je pense qu’il existe peut-être d’autres moyens d’y arriver, même si c’est de manière moins efficace.

Pour ces raisons, comme je m’étais déjà opposé au projet de regroupement des établissements secondaires avec les établissements primaires, porté par votre prédécesseur, monsieur le ministre, je ne voterai pas l’article 1er ni l’article 2.

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.

M. Julien Bargeton. Non que je m’y sente invité par Max Brisson, mais je veux revenir sur les imperfections que j’ai citées.

Certaines concernaient cet article – M. le ministre répondra et nos collègues réagiront.

Ne risque-t-il pas de remettre en cause les compétences communales ? C’est une question que je me pose. J’observe, d’ailleurs, que M. le rapporteur a essayé d’en circonscrire un peu la portée, notamment, me semble-t-il, pour tenir compte de cette préoccupation, en faisant intervenir les élus. Je ne sais pas si cela y répond parfaitement.

Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’une expérimentation est menée, avec « l’école du futur », à Marseille. N’a-t-on pas parfois intérêt à attendre l’évaluation de certains dispositifs avant de les généraliser directement ? Cette question aussi peut être posée. Il convient peut-être de laisser davantage prospérer les expérimentations en cours, en menant une concertation plus poussée, notamment sur l’articulation avec les compétences communales.

Voilà les interrogations que nous inspirait cet article.

M. Max Brisson. Il n’y a pas de généralisation !

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.

Mme Céline Brulin. Je veux d’abord remercier la majorité sénatoriale d’avoir refusé que l’on change l’ordre d’examen des articles : je pense, en effet, que l’article 1er est le cœur de cette proposition de loi, et je suis ravie que l’on en discute en premier.

C’est peut-être là que va s’arrêter le consensus. (Sourires.)

En effet, je viens d’entendre que l’école était un « puits sans fond » pour l’argent public, qui est dilapidé à son profit – je reconnais que j’en rajoute un peu…

M. Max Brisson. Un tout petit peu ! (Sourires.)

Mme Céline Brulin. Un tout petit peu… (Mêmes mouvements.)

Il se trouve que, si la France consacrait aujourd’hui à l’éducation la même part du PIB qu’en 1995 – ai-je besoin, chers collègues, de vous rappeler qui présidait la France en 1995 ? –, il y aurait 25 milliards d’euros d’investissements de plus pour l’école. On est donc vraiment loin d’un puits sans fond !

Ensuite, j’ai cru entendre s’exprimer une droite décomplexée, avant qu’on ne nous dise que nous ne devions pas nous inquiéter, que cela ne concernera que 10 % des établissements,…

M. Max Brisson. C’est dans le texte depuis le début !

Mme Céline Brulin. … que c’est expérimental, sur la base du volontariat…

En réalité, ce projet pour l’école ne recueille aucun soutien dans le pays, hormis sur les travées de droite de cet hémicycle. Alors que l’on vient d’évoquer les maires, je rappelle que l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) y est hostile – des amendements font d’ailleurs suite à ses réactions. Personne, ni aucun syndicat ni les parents d’élèves, ne soutient ce projet.

Je crois que celui-ci est vraiment le calque d’un modèle anglo-saxon. Si vous me permettez cette question, que reste-t-il de gaulliste parmi vous ? (M. Max Brisson sexclame.)

Enfin, la Cour des comptes est convoquée à l’envi, mais, quoi que l’on pense de cette institution, il me semble qu’il ne lui appartient pas de définir la politique éducative de notre pays.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Céline Brulin vient presque de m’ôter les mots de la bouche ! « À titre expérimental » sont les trois premiers mots de l’article 1er.

Comme Stéphane Piednoir, j’ai fait toute ma carrière d’enseignant dans l’école publique. Je suis le pur produit de la méritocratie républicaine. Mes parents comme mes grands-parents étaient instituteurs ; mon épouse est directrice d’école. Je suis vraiment dans le moule.

J’aime l’école de la République, mais, comme beaucoup d’enseignants, je suis malheureux de voir toutes les difficultés qu’elle traverse aujourd’hui. On a besoin d’une sorte d’électrochoc.

Je ne parlerai pas de « puits sans fond », mais il est incontestable que, depuis des années, notamment sous le gouvernement précédent, on y a mis beaucoup de moyens – les chiffres ont été avancés tout à l’heure dans la discussion générale.

Les problèmes ont-ils été résolus ? Non ! Dès lors, ne faut-il pas tenter autre chose ? Oui, bien évidemment.

Céline Brulin l’a très bien dit : l’expérimentation ne pourra concerner plus de 10 % de l’ensemble des établissements ni plus de 20 % des élèves dans une même région académique. Ne doit-on pas tenter une expérience de ce type quand on voit, malheureusement, que le système, aujourd’hui, ne fonctionne pas ?

Je ne dirai pas que je suis un pur jacobin, mais je crois en l’éducation « nationale ». Néanmoins, aujourd’hui, il faut tenter autre chose.

C’est pourquoi cet article présente des vertus. (M. Thierry Meignen applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Je n’ai pas l’intention d’intervenir sur tous les articles du texte, mais il me semble important d’intervenir sur l’article 1er, qui me semble l’article principal de la proposition de loi. Je ne dis pas que les autres n’ont pas d’importance, mais celui-là est peut-être le plus structurant pour notre école.

Je n’appartiens ni à la famille gaulliste ni à vos familles, chers collègues de gauche. J’appartiens à une autre famille politique, qui a toujours prôné la subsidiarité, qui a toujours mis en avant la recherche de l’échelon où l’action est la plus efficace et où les décisions doivent être prises. Il me semble que la proposition de Max Brisson correspond parfaitement à cette vision des choses. Elle est tout à fait en cohérence avec un principe que personne ne remet en cause, surtout dans cet hémicycle : le principe de décentralisation d’une partie de la compétence scolaire aux communes et aux intercommunalités.

Il y a, à l’article 1er, quelque chose qui ressemble, en fait, à un phénomène de déconcentration, à un échelon plus local. Le chef d’établissement n’est évidemment pas laissé seul : un certain nombre de garde-fous sécurisent le dispositif.

Je vois un second intérêt à cet article.

Voilà un an, nous étions en période de campagne présidentielle, et plusieurs candidats, dont celui qui a été élu Président de la République, ont déclaré qu’ils voulaient aller dans le sens d’une autonomie des établissements.

Le calendrier est ce qu’il est ; il est complexe sur le plan législatif. À cet égard, il me semble que l’article 1er va vous permettre, monsieur le ministre, de préciser vos intentions en la matière.

L’article 1er va assez loin dans le principe d’autonomie : il part de la pédagogie et va jusqu’au ressort de l’établissement.

Il nous serait utile, pour notre réflexion collective et pour voir si nous pouvons cheminer avec le Gouvernement sur ces questions, que vous nous indiquiez ses intentions en matière d’autonomie des écoles.

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 27 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 56 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 83 rectifié est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour présenter l’amendement n° 27.

Mme Marie-Pierre Monier. L’article 1er ouvre la possibilité d’expérimentations d’établissements publics autonomes d’éducation, sur décision des seuls recteurs d’académie contractant avec des établissements scolaires publics.

Les possibilités d’expérimentations dérogatoires sont vraiment très nombreuses : carte scolaire, autonomie de recrutement des personnels, organisation et accompagnement pédagogique. Il semble qu’elles puissent être cumulées – le texte est muet sur cette question.

Une fois le champ de l’autonomie précisé, l’établissement pourra s’affranchir de très nombreuses dispositions légales s’appliquant à la gestion d’un établissement scolaire : la nomination du chef d’établissement par l’État, la présidence de l’organe délibératif de l’établissement par celui-ci, l’existence d’un conseil pédagogique dans chaque établissement, sa présidence par le chef d’établissement.

De telles dérogations sont extrêmement dangereuses. Rappelons que les objectifs et projets d’un établissement scolaire doivent avant tout être axés autour de la pédagogie. Entre autres dérogations possibles, certaines pourront porter sur les règles budgétaires et sur celles qui s’appliquent à la répartition des dépenses, ainsi que sur le régime financier et comptable, ce qui permettra à l’établissement de déroger aux règles des marchés publics.

Les rares garde-fous apportés au dispositif ne changeront pas le caractère inégalitaire d’un tel régime. Au contraire, en fixant un seuil de 10 % des établissements et de 20 % des élèves d’une même région académique bénéficiant de la dérogation, on crée une arme à deux tranchants, qui légalise, au sein d’un même territoire, un système à deux vitesses.

Nous sommes hostiles à ces dérogations, qui vont rompre l’unicité de l’école de la République et faire entrer des disparités d’enseignement et de moyens selon les territoires.

Cette expérimentation rappelle le projet de « l’école du futur ».

Monsieur le ministre, comme vient de le faire le président de notre commission, je vous interpelle à mon tour : quelle est votre position sur ce point, vu que vous n’avez pas déposé d’amendement de suppression de cet article ?

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 56.

Mme Céline Brulin. La description de l’école que font certains me paraît complètement erronée. Si nous voulons un débat serein, nous devons partir de la réalité telle qu’elle est.

L’école n’est pas du tout uniforme et d’un seul bloc aujourd’hui. Des tas de dispositifs ont été développés au fil des années : territoires éducatifs ruraux, cités éducatives, Marseille en grand, mais aussi le fonds d’innovation pédagogique, la réforme du lycée – je l’ai évoquée lors de la discussion générale –, ou encore les contrats locaux d’accompagnement, qui sont censés remplacer l’éducation prioritaire.

Je m’interroge : quels sont les critères qui fondent cette différenciation ? Tout le monde l’a dit, et nous pouvons, sur ce point, nous rejoindre : l’école française est très inégalitaire. Elle reproduit les inégalités au lieu de les corriger. Si l’on veut faire de la différenciation, c’est pour réduire ces inégalités, non pas pour les aggraver !

Or des recteurs ont décidé, par exemple, d’exclure des contrats locaux d’accompagnement les écoles de moins de 100 élèves. Où est le critère de justice sociale de réduction des inégalités dans cette décision ? D’autres ont décidé de ces contrats en fonction de l’ancienneté des professeurs. Où est, là encore, la réduction des inégalités ?

Je ne vois pas bien non plus, puisque l’on parle là des écoles élémentaires et maternelles, comment on peut régler des questions de mixité sociale à cette échelle : on parle là d’un quartier, parfois même d’un morceau de quartier.

Donner à l’école la responsabilité d’atteindre des objectifs de mixité quand on connaît la réalité sociologique et sociale de notre pays, je crois que c’est vraiment faire erreur.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 83 rectifié.

Mme Monique de Marco. L’article 1er va à l’encontre du principe fondateur de l’école de la République, en accentuant l’autonomie des établissements.

Cette proposition repose sur la transposition pure et simple du modèle britannique à la France, sans considération des différences essentielles qui existent entre les deux systèmes scolaires.

Il faut se méfier des biais statistiques derrière les comparaisons internationales, comme l’a indiqué mon collègue Yan Chantrel.

Il est étonnant que les modèles anglo-saxons soient toujours pris en exemple, alors que d’autres modèles européens existent et sont tout aussi performants, mais avec une autre logique budgétaire, il est vrai. Je pense notamment aux exemples scandinaves, mais aussi au Portugal, où les programmes de lutte contre les inégalités et le décrochage scolaire ont fait leurs preuves.

Pour toutes ces raisons et celles qu’ont évoquées mes collègues avant moi, nous demandons la suppression de cet article.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. L’article 1er est au centre de cette proposition de loi, en ce qu’il permet une expérimentation tendant à plus d’autonomie dans les écoles et les établissements scolaires qui le désirent.

Par ailleurs, je veux rappeler à ceux qui ont quelques craintes que ce dispositif est très encadré.

Premièrement, l’expérimentation sera limitée à un certain nombre d’établissements au sein d’une même académie.

Deuxièmement, elle sera ouverte sur cinq ans.

Enfin, je le dis pour rassurer Julien Bargeton, une évaluation sera conduite à l’issue.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à ces trois amendements de suppression.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. L’article 1er vise à renforcer l’autonomie des établissements.

Il importe ici de distinguer entre les établissements scolaires et les écoles.

La finalité de cet article rejoint certaines préoccupations du ministère, mais le cadre législatif et réglementaire actuel permet déjà aux établissements scolaires – aux collèges et aux lycées – de développer leur autonomie, que ce soit en matière de personnel, d’utilisation des moyens budgétaires ou même d’organisation pédagogique, ainsi que dans les dispositifs d’accompagnement des élèves. L’essentiel des champs prévus par cet article est donc déjà couvert par les textes existants.

En revanche, ces marges n’existent pas du tout pour les écoles, puisque celles-ci ne disposent pas de la personnalité morale. Or faire des écoles des EPLE, alors qu’un tiers d’entre elles comptent entre une et trois classes et que les compétences des communes seraient en cause, n’apparaît pas souhaitable.

Je rappelle, à cet égard, que la démarche du Conseil national de la refondation pour l’éducation, le CNR Éducation, qui rencontre un vif succès, avec plusieurs milliers d’écoles et d’établissements qui s’y sont engagés, offre la possibilité aux équipes éducatives de construire leur projet pédagogique, avec un financement apporté par le fonds d’innovation pédagogique et des marges de manœuvre tout à fait importantes. Il me semble donc que, pour les écoles, le CNR répond à cette demande d’autonomie.

C’est la raison pour laquelle nous avons regardé avec autant d’intérêt l’expérience marseillaise, y compris s’agissant des postes à profil qui y sont attachés – nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler.

Pour ces raisons, j’émets un avis favorable sur ces amendements de suppression de l’article 1er.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre Monier. L’autonomie ne doit pas être considérée comme une recette miracle permettant d’améliorer les résultats de nos élèves.

Mon collègue a parlé tout à l’heure du Royaume-Uni, où l’autonomie s’est développée plus précisément à partir de 2010, avec de nouvelles écoles autonomes, dites free schools, et la conversion d’une partie des écoles publiques en académies recevant leur financement directement du pouvoir central et gérant l’intégralité de leur budget. Il ne semble pas que les élèves des académies aient bénéficié, à court terme, d’un effet significatif sur leurs résultats par rapport aux élèves scolarisés dans les écoles publiques de niveau similaire.

Une autre expérience s’inscrivant dans une même démarche a été engagée en Suède. Elle a conduit à une baisse des résultats et à une forte augmentation des disparités entre les collectivités et les établissements, notamment du fait de la formation hétérogène des enseignants.

Ensuite, je veux évoquer l’école du futur, dont un premier bilan est en cours – vous en avez parlé, monsieur le ministre.

Une délégation du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat s’est déplacée à Marseille en septembre dernier. Je dois vous avouer que nous y avons trouvé des projets qui, en effet, peuvent répondre à des besoins, auxquels on a donné des moyens humains et financiers supplémentaires et qui bénéficient d’un soutien réel de la hiérarchie, mais qui suscitent aussi une forte inquiétude chez les parents, parce que les autres projets ne reçoivent rien.

On est là en plein dans l’inégalité que nous dénonçons et qui, de fait, est entretenue.

Je répète, l’autonomie est, selon nous, contraire aux principes républicains, qui sont le socle de notre école publique. En effet, elle s’appuie sur une logique trop libérale, qui donne seulement à celles et à ceux qui ont demandé et favorise une concurrence entre les écoles, au lieu de chercher d’abord à identifier les besoins de chacune d’entre elles, pour garantir une répartition juste et égalitaire des moyens, afin d’être fidèle à la promesse républicaine d’offrir à chaque enfant les mêmes chances.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. N’étant pas le grand libéral de service, je ne répondrai pas à Mme Monier. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger longuement sur ces questions. Je vais plutôt répondre à M. le ministre sur les deux points qu’il a abordés.

Monsieur le ministre, vous nous dites tout d’abord que, pour les établissements du second degré, notre demande est satisfaite. Les textes leur donnent effectivement une large autonomie. C’est vrai sur le papier, mais seulement sur le papier. La réalité est bien différente.

Depuis la première circulaire relative, qui date de 1973, on n’a cessé d’insister, texte après texte, sur la grande autonomie et la grande liberté que possèdent les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Ils disposent d’un conseil d’administration élu et d’un budget. Mais la Cour des comptes vous répondra que cette autonomie vaut pour à peine 2 % des décisions qu’ils prennent.

Mes chers collègues, on en vient à se demander si de tels dispositifs sont nécessaires : à quoi sert l’élection de représentants des parents, à quoi sert la représentation des collectivités territoriales si l’autonomie réelle est de 2 % ?

Si l’on ne rompt pas avec la pratique en vigueur depuis trente-cinq ans, tout continuera comme avant, et les EPLE n’auront qu’une autonomie de papier. (M. le rapporteur acquiesce.)

Ce que je vous propose, c’est d’aller progressivement, par le biais d’une expérimentation, vers une réelle autonomie, en rompant avec les pratiques par lesquelles, peu à peu, l’administration a enserré la gestion de ces établissements.

Nous aurons l’occasion de revenir sur le second point, les écoles primaires, lors de l’examen d’un prochain amendement. Mais, de grâce, ne faites pas peur aux maires ! Pourquoi vouloir procéder par mimétisme avec ce qui s’est passé en 1982, lorsque les bâtiments de l’État ont été transférés aux régions et aux départements ?

Pour les maires qui le voudront et qui auront reçu l’accord de leur conseil municipal, on pourra très bien, par décret, donner de l’autonomie aux écoles qui le souhaitent, en particulier pour les plus grandes d’entre elles, sans remettre en cause le statut des bâtiments. Certes, il faudra un peu d’imagination. Mais ce texte vous invite précisément à en faire preuve. Je suis sûr que, contrairement à ce que vous dites, à Marseille, vous butez sur l’absence de personnalité morale des écoles. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Depuis quarante ans, on additionne les réformes de l’éducation nationale, on les superpose, on les empile, et tout va de mal en pis. C’est une véritable catastrophe ! Un bachelier d’aujourd’hui ne serait même pas capable d’avoir le certificat d’études d’il y a quarante ans.

Il me semble complètement aberrant d’ajouter encore une réforme à la réforme. Commençons par nous inspirer de ce qui marchait bien dans le temps pour que le système actuel fonctionne mieux !

Les seuls articles de cette proposition de loi qui méritent d’être votés sont ceux qui portent sur la laïcité. Les autres ne valent pas un clou ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, en tant que conseiller départemental, je siège au conseil d’administration d’un collège des Hauts-de-Seine. C’est le département qui gère la totalité du budget de ce collège. Je vous assure que l’autonomie du chef d’établissement est extraordinairement faible.

Monsieur Brisson, vous parlez d’une autonomie de papier : elle est entièrement voulue par le conseil départemental. Je ne crois pas que vous puissiez, par un tel texte, le forcer à moduler les budgets qu’il confie aux collèges pour renforcer leur autonomie.

L’État n’est pas seul en cause. Je connais beaucoup de collectivités territoriales qui gèrent leurs collèges et lycées d’une main de fer.

Il faut donc pousser le débat plus avant. L’autonomie de papier est une réalité, mais qui en est le responsable ? Je pense que ce sont surtout les collectivités.

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce que vous interrogez, c’est, en somme, le contenu de l’autonomie. Vous abordez les modalités et les objectifs qui la régissent, mais parlez-vous d’autonomie en matière de programmes ? De recrutement des professeurs ? D’horaires ou d’organisation pédagogique ?

Telle est, si je puis me permettre, la faiblesse de cet article. (M. Max Brisson sexclame.) Il se contente d’invoquer une autonomie dont il ne précise pas la teneur. Je n’ai rien contre cette notion en tant que telle, mais nous gagnerions à débattre plus avant des modalités, du contenu et des objectifs de l’autonomie dont nous parlons.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 27, 56 et 83 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après l’article L. 111-2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 111-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-2-1. – Les élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées portent une tenue vestimentaire uniforme au sein de leur établissement. Les caractéristiques de cette tenue vestimentaire, comprenant le choix d’une tenue sportive uniforme, sont précisées par le règlement intérieur de chaque établissement. L’obligation mentionnée au présent alinéa n’est pas applicable aux spectacles, y compris les répétitions, joués par les élèves et aux événements qui leur sont liés.

« Le présent article est applicable aux établissements liés à l’État par contrat mentionnés aux sections 3 et 4 du chapitre II du livre IV du présent code. »

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Ainsi que je l’ai dit à l’instant, à mon avis, les seuls articles intéressants de cette proposition de loi sont ceux qui se trouvent à la fin. Voilà pourquoi je suggère de les faire figurer au début. Nous aurions ainsi un article 1er plus pertinent.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Cet amendement tend à remplacer l’article 1er par l’article 11, relatif à la tenue vestimentaire des élèves. La commission y est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Sautarel et D. Laurent, Mme Lassarade, M. Burgoa, Mmes Puissat et Goy-Chavent, MM. Chaize et Bouloux, Mme Imbert et MM. Bouchet, Sido, Houpert et Rapin, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Supprimer les mots :

avec des écoles dotées de la personnalité morale, en application du IV, ou

II. – Alinéa 15

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Stéphane Sautarel.

M. Stéphane Sautarel. Cet amendement a spécifiquement pour objet les écoles.

Le lancement d’une expérimentation visant à transformer les écoles primaires publiques volontaires en établissements publics tend à modifier considérablement le cadre de l’organisation territoriale de l’école. L’examen des amendements de suppression a permis de le rappeler.

En outre, alors que les écoles primaires sont financées par les communes ou les intercommunalités compétentes, cette disposition est susceptible de complexifier les processus de prise de décision. Communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) risqueraient de ne plus maîtriser les budgets alloués.

Une telle évolution dans la gestion de l’école publique nécessite une concertation préalable et approfondie avec les collectivités territoriales concernées, compte tenu de ses lourdes incidences pour celles-ci comme sur le maillage territorial de l’école.

Une telle faculté ne doit pas conduire à accentuer le déséquilibre des offres éducatives entre les territoires. Or je crains qu’une telle expérimentation ne tende à la concentration. J’y insiste : en imposant une taille critique aux établissements d’enseignement primaire, l’on menacerait le maillage de nos écoles publiques.

En conséquence, je propose de supprimer cette disposition en l’absence de concertation préalable. Le présent amendement vise ainsi à exclure les écoles primaires du champ de l’expérimentation.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement tend à exclure les écoles primaires de l’expérimentation prévue par l’article 1er.

Vous relevez qu’une concertation est nécessaire au niveau local. Nous l’entendons. Nous l’avons même fort bien entendu. Pour preuve, en commission, nous avons prévu l’accord préalable obligatoire du conseil municipal ou du conseil intercommunal, si la compétence scolaire a été transférée, pour autoriser l’école à devenir un établissement public et, ce faisant, à participer à l’expérimentation.

D’ailleurs, pour éviter tout déséquilibre, le présent texte encadre clairement l’expérimentation prévue. Il fixe un nombre maximum d’établissements et d’élèves pouvant être engagés dans cette expérimentation à l’échelle d’un territoire.

Des objectifs de réussite et de mixité scolaires sont également prévus.

Le travail d’expérimentation permettra d’évaluer les effets concrets d’une telle mesure à l’échelle d’un territoire et donc les éventuels déséquilibres qui pourraient se faire jour dans les écoles primaires.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Les écoles primaires ne disposent pas de la personnalité morale et, à ce stade, le Gouvernement n’envisage pas de les en doter, même à titre expérimental.

Monsieur le sénateur Sautarel, comme vous le soulignez, toute évolution en ce sens exigerait au préalable une concertation approfondie avec les collectivités concernées et avec l’ensemble de la communauté éducative. Avis défavorable.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Mon cher collègue Stéphane Sautarel, je tiens à vous rassurer.

Tout d’abord, je suis d’accord avec vous sur deux points. Premièrement, avec cette proposition de loi, je fais le choix de la rupture : c’est une évidence ; vous l’avez salué, et je vous en remercie. Deuxièmement, il faudra du temps et de la concertation.

Cette expérimentation concernera au maximum 10 % des écoles et 20 % des élèves. Elle nous permettra de tirer toute une série de conclusions sur les questions, ô combien légitimes, que vous avez abordées.

Vous insistez avec raison sur la situation particulière des petites écoles rurales. Il faudra du temps pour l’améliorer. Mais il existe aussi de très grandes écoles primaires, beaucoup plus importantes que de petits collèges, qui, eux, disposent de l’autonomie. Ils ont ainsi un conseil d’administration et des services administratifs renforcés. Il serait tout à fait regrettable qu’elles ne puissent pas participer à une telle expérimentation. Elles auraient sans doute beaucoup à y gagner.

Bref, je tiens à vous rassurer quant à la méthode. L’expérimentation nous laissera le temps de mener toutes les concertations nécessaires, que nous ne pouvions évidemment pas conduire dans le cadre de cette proposition de loi.

Sur le fond, nous pourrons aussi faire preuve d’originalité. Une nouvelle fois, gardons-nous du mimétisme : il ne s’agit pas de dupliquer les EPLE qui existent dans le second degré. Les bâtiments de ces nouveaux établissements publics auront, par exemple, un statut totalement différent. Nous ne sommes pas du tout dans le contexte de la décentralisation de 1982 : il ne s’agit pas de bâtiments que l’État transfère, mais d’un patrimoine historique des communes, remontant aux lois de Jules Ferry. Dans mon esprit, il n’a jamais été question de changer cela.

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. Je soutiens l’amendement de M. Sautarel même si je ne l’ai pas cosigné. Une telle mesure exigerait bel et bien une vaste concertation. J’ajoute qu’elle appelle des études d’impact.

Ces dispositions constituent le cœur de l’article 1er, dont je n’approuve pas la philosophie. Par cohérence, je voterai cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour explication de vote.

M. Stéphane Sautarel. Je salue une nouvelle fois l’initiative de Max Brisson, car je crois, comme lui, à davantage d’autonomie et de liberté pour les établissements scolaires. De même, je crois qu’il faut faire le choix de la rupture si l’on veut réellement réformer notre système. Pour autant, j’attire l’attention sur la situation des élèves de nos écoles primaires et sur celle des élus locaux.

L’école, c’est d’abord des élèves et, pour assurer un égal accès à l’école, il faut commencer par garantir la proximité. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 9 : le maillage territorial est un enjeu essentiel. On peut inventer tous les systèmes éducatifs et toutes les pédagogies que l’on veut. Sans la proximité, il n’y aura pas d’égalité.

Ce que je défends avec cet amendement, c’est tout simplement l’intérêt des élèves et, bien sûr, celui des communes, que le Gouvernement malmène déjà tellement ! Elles perdent peu à peu leur autonomie. On leur inflige des contraintes qui, chaque jour, vont croissant. Le Sénat ne cesse de le dénoncer.

Dans un tel contexte, il serait un peu paradoxal de retirer cette compétence aux communes. Bien sûr, on peut en débattre ; on peut encourager un certain nombre de démarches qui existent déjà dans les territoires. M. Brisson insiste aussi, avec raison, sur les grandes écoles primaires, dont la taille dépasse celle de certains collèges. Peut-être faudrait-il réécrire ces dispositions pour prendre en compte leur cas spécifique. Mais je me dois d’attirer l’attention sur le risque qu’elles représentent, en l’état, pour les élèves comme pour les communes.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote sur l’article.

M. Patrick Kanner. L’article 1er donne lieu à un débat fondamental et pour cause : il est la véritable base idéologique de cette proposition de loi, que clarifient encore les prises de position des uns et des autres.

Nos discussions me rappellent ce qu’un ancien député socialiste du Nord malheureusement disparu, Alain Cacheux, disait souvent à propos du logement : « Faire venir les pauvres dans les quartiers des riches, c’est assez simple. Faire venir des riches dans les quartiers des pauvres, c’est beaucoup plus difficile. »

Le même phénomène sociologique s’observe pour l’école de la République. Malheureusement, il s’impose à nous : l’ancien ministre de la ville que je suis sait qu’il faut donner plus à ceux qui ont moins pour tenter de rétablir l’égalité républicaine.

Monsieur Brisson, au sujet de l’article 1er, la question est la suivante : l’expérimentation que vos collègues et vous-même proposez résoudra-t-elle les questions que je viens d’évoquer ? La réponse est non.

Le socle de la République une et indivisible, c’est l’école primaire. Avec de telles mesures, vous fragilisez ce socle et vous ne réglez en rien les problèmes de ségrégation sociale que connaissent nos territoires.

Nous voterons contre l’article 1er, car nous sommes globalement contre les dispositions de votre proposition de loi. Nous combattrons ce texte sur un plan politique, car il est bel et bien de nature idéologique.

Tout à l’heure, on vous a qualifié, et je le regrette, de réactionnaire. Non, vous n’êtes pas réactionnaire ; vous êtes révolutionnaire : révolutionnaire libéral ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous contestons votre projet de société.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote sur l’article.

M. Max Brisson. Je crains de décevoir beaucoup de monde dans cet hémicycle : je ne suis ni réactionnaire, ni révolutionnaire, ni même tout à fait libéral.

Depuis le commencement de nos débats, qui portent sur une expérimentation n’ayant pas encore eu lieu, j’entends des avis on ne peut plus définitifs. Certains semblent déjà savoir ce qu’elle va donner. Cette expérimentation, si elle est tentée, donnera bien sûr lieu à une évaluation.

Monsieur Kanner, le fondement de cet article, c’est un contrat, qui ne sera pas le même partout et qui tiendra compte de la réalité des territoires dans leur diversité et de la capacité, pour les équipes pédagogiques, de s’y adapter.

Dans vos rangs, on résume souvent la mixité au fait de mélanger des élèves de différentes catégories sociales. Ce que je prône est un peu différent : que les meilleurs professeurs, les plus chevronnés, aillent dans les quartiers les plus difficiles, dans les établissements où ils seront les plus utiles ; nous en reparlerons lors de l’examen d’un autre article.

Mes chers collègues, je vous invite tous à voter l’article 1er. Nous n’avons jamais tenté une telle expérience. Si nous votons ces dispositions et si le présent texte prospère – j’ai décidé d’être optimiste ce soir ! –, nous verrons si M. Kanner a raison ou pas. Ce que je sais dès à présent, c’est que le système unitaire et l’école centralisée à laquelle il a une nouvelle fois fait référence produisent beaucoup d’inégalités.

Tentons de sortir des sentiers battus ; empruntons d’autres voies pour aller vers plus d’égalité ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. J’ai entendu à plusieurs reprises que l’école produisait des inégalités. Non !

M. Max Brisson. Et les inégalités scolaires ?

M. Pierre Ouzoulias. C’est la société qui produit des inégalités ! Le problème, c’est que l’école ne peut plus les corriger. Elle l’a fait par le passé, mais, aujourd’hui, elle ne peut plus le faire.

Monsieur Brisson, permettez-moi de citer une nouvelle fois l’exemple des Hauts-de-Seine. Cette expérimentation, si elle est engagée, ne pourra prendre que le département pour cadre. C’est à l’échelle du département que vous pouvez, à la rigueur, corriger ces disparités sociales. Si vous agissez à l’échelle d’une ou de deux communes, je peux vous dire tout de suite que les résultats seront nuls : cette formule a déjà été tentée.

M. Kanner, fort de son expérience comme ministre de la ville, l’a suggéré à l’instant, et j’en suis moi-même convaincu : nous demandons trop à l’école. Aujourd’hui, pour la réformer, il faudrait commencer par transformer la manière d’habiter la ville.

Pour réformer l’école, il faut d’abord réformer notre politique de la ville pour résorber les inégalités sociales en matière d’habitat. C’est fondamental. Nous n’y arriverons pas si nous ne commençons pas par là.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Monsieur Kanner, vous avez abordé la problématique de la mixité sociale sous l’angle de la géographie urbaine.

Dans le nord de la France, c’est sans doute comme dans l’Oise : la mixité sociale n’existe malheureusement quasiment plus, et ce n’est pas du fait de l’école publique.

Que font les parents lorsqu’ils ne se sentent pas satisfaits ? Ils retirent leurs enfants de l’école publique et les inscrivent à l’école privée. Face à cela, l’école publique est impuissante.

L’expérimentation que propose Max Brisson n’aura peut-être pas les effets escomptés,…

M. Olivier Paccaud. … mais comment le savoir sans l’avoir tentée ?

M. Patrick Kanner. C’est le pari de Pascal…

M. Olivier Paccaud. Tout ce que l’on sait, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a plus de mixité sociale dans nos territoires. Vous le vivez dans le Nord comme je le vis à Beauvais ou à Compiègne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote sur l’article.

Mme Céline Brulin. Le constat a été dressé à de nombreuses reprises, et il me semble que nous sommes tous d’accord sur ce point : on demande beaucoup à l’école. On lui demande même énormément. Mais – je le souligne à mon tour – les inégalités sont d’abord le produit de la société.

Ce que nous souhaitons tous, du moins je l’espère, c’est que l’école, avec l’appui de la Nation tout entière, tente de résorber ces inégalités.

M. Paccaud vient d’insister sur la ségrégation, sur les disparités sociales – chacun décrit la situation avec ses mots – très profondes que connaît notre pays. Comment peut-on demander à l’école seule de résoudre tous ces problèmes ?

Qui plus est, ce n’est pas à l’éducation nationale que cet article assigne une telle mission, mais aux agents de la première ligne, à ceux qui sont dans les établissements scolaires. Vous les chargez d’accomplir ce qu’une succession de ministres de l’éducation nationale et de la ville, ce que des gouvernements entiers, ce qu’une Nation dans son ensemble ne sont pas parvenus à faire !

Monsieur Brisson, c’est ainsi que vous comptez revaloriser le métier d’enseignant ? Vous pensez vraiment soutenir cette profession en la rendant responsable de tout cela, alors que les enseignants sont en première ligne, au front, alors qu’il y a tant de choses à changer dans le pays ?

Avec une telle expérimentation, vous risquez d’aggraver encore la crise de recrutement des enseignants. Or, ce dont ils ont besoin, c’est du soutien de la Nation entière, dans toutes les politiques publiques que l’on peut mener.

Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 269 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 219
Contre 121

Le Sénat a adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 71

Après l’article 1er

Mme le président. L’amendement n° 29, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La cinquième phrase de l’article L. 411-1 du code de l’éducation est supprimée.

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. Cet amendement vise à supprimer une phrase sujette à interprétation, selon laquelle le directeur d’école dispose d’une autorité fonctionnelle dans le cadre des missions qui lui sont confiées.

La notion d’autorité fonctionnelle du directeur d’école a été introduite par la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d’école. Elle est floue et dangereuse.

Ce dispositif, auquel les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’étaient déjà opposés à l’époque, ne précise pas sur qui s’exerce cette autorité fonctionnelle : enseignants, personnels ou communauté éducative.

Il nous semble dangereux que le directeur exerce une quelconque autorité sur les enseignants, qui sont ses pairs, puisqu’il est issu du même corps qu’eux.

Les termes d’autorité fonctionnelle mériteraient d’être véritablement définis. Que recouvrent-ils ? Quant aux missions confiées au directeur d’école, s’agit-il de celles que lui attribue par délégation de compétence l’inspecteur d’académie, mentionné au précédent article du code de l’éducation ? S’agit-il des missions confiées par la loi ?

Pour l’ensemble de ces raisons, cette phrase nous semble source de malentendus et de contentieux. Le postulat sur lequel elle repose ne correspond pas à notre vision des fonctions de directeur d’école. Elle est tellement vague que le décret d’application de la loi de 2021 n’est toujours pas paru : ce texte est actuellement soumis à concertation et, a priori, ne reprend nulle part les termes d’autorité fonctionnelle.

Nous demandons la suppression de cette disposition récente, qui ne sert à rien sauf à créer des malentendus et des contentieux.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Ma chère collègue, alors qu’avec ce texte, nous allons traiter de l’autorité hiérarchique du directeur d’école, vous voulez supprimer son autorité fonctionnelle.

Certes, les décrets d’application ne sont pas encore publiés. Mais, tout à l’heure, M. le ministre nous a rassurés en nous rappelant ses rencontres du 29 mars dernier avec les syndicats.

Nous avons bien compris, avec la loi Rilhac, pourquoi le directeur d’école doit être en mesure de résoudre les problèmes administratifs. En outre – je le répète –, nous allons assortir cette autorité fonctionnelle d’une autorité hiérarchique dans les écoles comptant un grand nombre de classes.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. La notion d’autorité fonctionnelle du directeur d’école a été largement débattue au Parlement au mois de décembre 2021. Au terme de ces discussions, le législateur a trouvé un point d’équilibre : il s’agit de conférer au directeur des compétences permettant de conforter sa place au sein de l’école comme primus inter pares, parmi les différents personnels qui y exercent.

Les décrets d’application de la loi du 21 décembre 2021 vont être publiés prochainement, comme je l’ai indiqué. Ces textes, qui reprennent bien la notion d’autorité fonctionnelle, vont clarifier les compétences des directeurs.

Si la publication de ces décrets a été retardée, c’est parce qu’ils doivent s’articuler avec les nouvelles missions qui seront proposées aux professeurs des écoles dès la rentrée prochaine.

Le Gouvernement confirme donc les objectifs fixés par la loi du 21 décembre 2021, qui conforte la place et les missions des directeurs d’école, et s’attache à concrétiser au mieux les avancées qu’elle contient.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Je saisis l’occasion de me réconcilier avec M. Bargeton, qui, sur ce point au moins, ne pourra qu’approuver le présent texte !

Nous reviendrons tout à l’heure sur les notions d’autorité fonctionnelle et d’autorité hiérarchique. Nous pourrions passer la nuit à débattre de ces termes, tant leur exégèse est complexe, et nous aurons peut-être quelques difficultés à établir clairement la différence entre ces deux formes d’autorité. Sans doute nos collègues siégeant à la gauche de l’hémicycle iront-ils en ce sens.

Monsieur le ministre, il me semble bien important de rappeler que le directeur, primus inter pares, joue un rôle d’animateur pour construire le projet pédagogique de l’école. Mais il doit aussi assumer des responsabilités de plus en plus nombreuses, en particulier en matière de sécurité.

Voilà pourquoi le directeur doit disposer de l’autorité fonctionnelle. Il en a besoin pour dire, par exemple, que les portes de l’école doivent être fermées à dix-huit heures et que cette décision ne se discute pas, car c’est une mesure de sécurité.

Cette autorité, fonctionnelle ou hiérarchique, est aujourd’hui exercée par un inspecteur de l’éducation nationale (IEN), qui, en zone rurale, est souvent à vingt-cinq, trente, voire quarante kilomètres de l’établissement et qui gère une vingtaine ou une trentaine d’écoles.

Comme la loi Rilhac, l’article dont nous débattrons tout à l’heure est gage de proximité. D’ailleurs, le maire, les autres élus locaux et les parents pensent d’ores et déjà que le directeur de l’école dispose de l’autorité fonctionnelle, voire de l’autorité hiérarchique.

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.

M. Julien Bargeton. Nous avions travaillé sur la loi Rilhac. Les décrets ont mis un peu de temps à sortir, mais le ministre vient de nous rassurer. Dont acte. Il est normal qu’il y ait eu des concertations. Nous pouvons peut-être attendre de voir comment la loi Rilhac va s’appliquer avant d’opter pour l’autorité hiérarchique.

L’exemple que vous prenez sur la sécurité montre bien qu’il y a une différence entre autorité fonctionnelle et autorité hiérarchique. Nous avons avancé ensemble sur l’autorité fonctionnelle. Prenons-en acte et voyons comment elle s’applique. L’autorité fonctionnelle avait d’ailleurs été demandée par des associations de directeurs d’école que nous avions rencontrées. Ce n’est pas le cas de l’autorité hiérarchique. Pourquoi remettre de la tension en introduisant l’autorité hiérarchique, alors même que l’autorité fonctionnelle était souhaitée par les représentants des directeurs d’école ? Nous avons avancé avec l’autorité fonctionnelle. Maintenant qu’elle s’applique, ce n’est pas le moment de rouvrir le débat sur l’autorité hiérarchique, dont vous avez montré qu’elle était très différente.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 29
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 2

Mme le président. L’amendement n° 71, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin, M. Bacchi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l’article L. 912-1-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« Les élèves, leurs parents ou leurs représentants légaux ne peuvent porter atteinte à cette liberté. »

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. La liberté pédagogique de l’enseignant est garantie par l’article L. 912-1-1 du code de l’éducation, dont le deuxième alinéa est très surprenant : « Le conseil pédagogique […] ne peut porter atteinte à cette liberté. » Je doute pourtant que les atteintes à la liberté pédagogique des enseignants soient le fait du conseil pédagogique… Je vous propose donc de remplacer cet alinéa par le suivant : « Les élèves, leurs parents ou leurs représentants légaux ne peuvent porter atteinte à cette liberté. » Cela correspondrait un peu mieux à la réalité.

Dans ce canton de l’hémicycle, nous sommes extrêmement favorables à la liberté des enseignants. Au cours du précédent quinquennat, nous nous étions fortement insurgés contre l’avalanche de circulaires ministérielles qui avaient noyé les enseignants. Souvenez-vous : il y avait même une circulaire qui expliquait aux enseignants comment devait être tenu le crayon ! Chers collègues, je ne me souviens pas qu’à l’époque, vous ayez été de notre côté contre le ministre Blanquer, qui submergeait les enseignants de circulaires.

M. Max Brisson. Notre dernier débat avec lui montre le contraire !

M. Pierre Ouzoulias. Oui, mais seulement vers la fin… Au début, vous étiez très contents de la reprise en main du ministre Blanquer, et vous vous félicitiez de ses circulaires.

M. Max Brisson. C’est de la réinterprétation, de la réécriture !

M. Pierre Ouzoulias. Nous le réaffirmons : nous sommes pour une liberté pédagogique extrêmement large, y compris contre les ministres.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Monsieur Ouzoulias, n’agacez pas Max Brisson, car nous pourrions changer notre avis ! (Sourires.) Plus sérieusement, comme vous, nous sommes attachés à la liberté pédagogique. Beaucoup d’élèves et de parents d’élèves s’immiscent dans cette liberté pédagogique et remettent en question soit les contenus de l’enseignement soit les méthodes pédagogiques.

C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur Ouzoulias, par votre amendement, vous soulevez une question importante, celle de la protection des professeurs contre les remises en cause, qui ne sont évidemment pas tolérables, de leur enseignement et de leur liberté pédagogique.

Mais les textes sont assez précis. Le code de l’éducation prévoit que le lien entre les familles et le service public de l’éducation « implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire. »

De même, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dispose : « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la fonction d’enseignant est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Cet arsenal juridique me semble suffisant pour protéger les professeurs de toute menace ou atteinte à leur intégrité pédagogique. Les dispositions relatives au conseil pédagogique sont justifiées, car celui-ci a pour objectif de favoriser la concertation entre les professeurs, concertation qui doit s’effectuer dans le respect de la liberté pédagogique. Il me semble donc que la rédaction actuelle se justifie pleinement. Voilà pourquoi, bien que partageant votre préoccupation sur le fond, je suis défavorable à votre amendement.

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote sur l’amendement n° 71.

M. Cédric Vial. M. Ouzoulias s’étonne de la phrase qui figure dans la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, dite loi Fillon. Celle-ci avait été ajoutée à la demande des syndicats enseignants – il y avait de la concertation, à l’époque –, qui craignaient que ce nouvel outil, le conseil pédagogique, ne remette en cause leur liberté pédagogique. Cela peut sembler surprenant aujourd’hui, car le conseil pédagogique ne le ferait en aucun cas, mais la mention avait été inscrite pour rassurer les enseignants, à la demande de leurs syndicats.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 71.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 71
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 2 rectifié ter

Article 2

Après l’article L. 411-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 411-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 411-1-1. – À partir d’un nombre de classes au sein d’une école défini par décret, le directeur de l’école dispose d’une autorité hiérarchique dans le cadre des missions qui lui sont confiées et participe, en lien avec l’inspecteur de l’éducation nationale, à l’évaluation des enseignants de son école. »

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Nous avons déjà beaucoup débattu du métier de directeur d’école.

Monsieur le ministre, dans l’exposé des motifs de votre amendement de suppression de l’article 2, vous écrivez qu’un consensus aurait été trouvé. Cela a été vrai dans la navette pour aboutir à un accord sur la loi Rilhac, parce qu’il fallait bien avancer ! J’avais d’ailleurs le sentiment que l’administration de l’éducation nationale n’y était guère favorable. À preuve, le temps mis pour sortir les décrets : un an et trois mois, pour des choses aussi simples !

Mais, durant les débats, nous n’avons jamais caché que notre position était plutôt favorable à l’autorité hiérarchique et qu’il y avait un accord sur l’autorité fonctionnelle, pour en sortir. Nous sommes donc constants.

Seul M. Bargeton, dont je salue les qualités d’exégèse, est capable de nous expliquer véritablement les différences entre autorité hiérarchique et autorité fonctionnelle. Pour en avoir beaucoup débattu avec Sylvie Robert, elle et moi avons beaucoup de mal à trouver la différence (Mme Sylvie Robert sesclaffe.).

Faisons plus simplement, parlons avec le vocabulaire de tout le monde et disons les choses telles qu’elles sont : l’autorité hiérarchique, tout le monde comprend, c’est simple ; l’autorité fonctionnelle nécessite toute l’exégèse de M. Bargeton !

On nous objecte souvent que les directeurs ne voudraient pas de l’autorité hiérarchique. Mais j’en connais qui en veulent. Et puis la représentation syndicale est globalement une représentation d’enseignants, puisque les directeurs n’ont pas de statut.

M. Julien Bargeton. Il y a une association !

M. Max Brisson. Il y a, certes, une association et quelques collectifs, mais le discours dominant n’y est à l’évidence pas favorable.

Je suis persuadé que de nombreux directeurs vont s’emparer de l’autorité fonctionnelle lorsque les décrets seront enfin parus et qu’ils s’empareraient aussi de l’autorité que je propose.

Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, sur l’article.

Mme Sonia de La Provôté. L’autorité fonctionnelle est le fruit d’un très large consensus, à la suite de nombreuses concertations et auditions de syndicats, mais aussi de professionnels présents dans les écoles. Contrairement à Max Brisson, je connais de nombreux directeurs qui veulent de l’autorité fonctionnelle, mais pas de l’autorité hiérarchique.

Avoir une autorité reconnue par l’éducation nationale, c’était le consensus que nous avions trouvé avec l’autorité fonctionnelle, notamment vis-à-vis des collectivités territoriales. À cette époque, nous sortions de la covid-19 ; il y avait des protocoles : les directrices et directeurs d’école, véritables « couteaux suisses » de l’école de la République, avaient besoin d’avoir un rôle particulier et identifié. Tous nous ont dit qu’ils voulaient rester des pairs parmi leurs pairs, ne pas être des chefs qui « cheffent », mais qui accompagnent, structurent et répondent aux attentes, dans la collégialité, dans l’interaction et l’organisation de l’école, sans pour autant être les petits patrons des enseignants de leur équipe pédagogique. Je voterai donc contre cet article.

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.

Mme Céline Brulin. Oui, l’autorité fonctionnelle résulte d’un compromis – pas forcément d’un consensus – entre ceux qui, comme vous, voulaient une autorité hiérarchique et la masse des directeurs, qui n’en voulaient pas et n’en veulent toujours pas. Inutile de rappeler le cheminement quelque peu baroque de la proposition de loi Rilhac ; nous nous en souvenons tous assez précisément.

Max Brisson nous dit qu’il connaît des directeurs qui sont pour l’autorité hiérarchique. Mais, dans les enquêtes commandées par le ministère, les directeurs et leurs équipes disent massivement qu’ils n’en veulent pas. Si, aujourd’hui, pas plus qu’hier, ils ne veulent de cette autorité, qu’elle soit fonctionnelle ou hiérarchique, c’est qu’il y a eu l’expérience du covid-19. Plutôt que d’être pris en étau entre le ministère de l’éducation nationale et leurs propres collègues, ils ont été des pairs parmi leurs pairs, mettant en place les protocoles sanitaires du dimanche pour le lundi et faisant l’infaisable. Tous ont témoigné que leur positionnement particulier était plutôt un atout. Et l’on rencontre plus de directeurs disant avoir besoin d’un soutien de leur hiérarchie que de directeurs indiquant vouloir exercer un pouvoir hiérarchique.

Quant à l’argument consistant à demander qui va fermer l’école à dix-huit heures s’il n’y a pas d’autorité hiérarchique, j’en ai connu de meilleurs dans cet hémicycle…

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 28 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 52 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 84 rectifié est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Lucien Stanzione, pour présenter l’amendement n° 28.

M. Lucien Stanzione. Cet amendement tend à supprimer l’autorité hiérarchique du directeur d’école et la coévaluation par celui-ci des professeurs de son école.

Le directeur doit rester un pair au sein des pairs. La collégialité doit demeurer la règle. L’IEN doit rester l’autorité extérieure, neutre, qui procède à l’évaluation. Le dispositif déresponsabilise l’administration de l’éducation nationale.

Un récent questionnaire adressé aux directeurs par un syndicat d’enseignants a fait apparaître clairement que ceux-ci ne souffrent d’aucun problème de reconnaissance de leur autorité. L’objectif est donc éminemment politique : il s’agit sans doute d’évaluer ceux qui acceptent des missions supplémentaires.

Notre rapporteur a par ailleurs constaté les limites du dispositif en cas d’écoles à classe unique ou à deux classes et a fait adopter un amendement en commission visant à limiter le champ d’application de l’article aux écoles à partir d’un certain « nombre de classes », non précisé par le texte. Loin de clarifier le nouveau dispositif, une telle condition le complexifie : les personnels d’un même corps, celui des directeurs d’école, n’auront pas la même compétence selon le nombre de classes de leur école. Il ne s’agit pas de compétences anecdotiques ; il s’agit d’une autorité hiérarchique, donc d’un éventuel pouvoir disciplinaire et d’une compétence d’évaluation.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 2.

Mme le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 52.

M. Pap Ndiaye, ministre. L’autorité fonctionnelle des directeurs d’école, conférée par la loi du 21 décembre 2021, est un point d’équilibre satisfaisait et résout un certain nombre de difficultés.

Nous ne sommes pas favorables à l’autorité hiérarchique des directeurs d’école : l’autorité hiérarchique appartient aux inspecteurs de l’éducation nationale. Il n’y a aucun consensus sur le sujet. L’autorité hiérarchique créerait plus de difficultés qu’elle n’en résoudrait. En outre, les décrets de la loi du 21 décembre 2021, dont celui tendant à clarifier les missions des directeurs, vont bientôt paraître.

Au-delà de cette position de fond, la modification législative proposée interviendrait alors que le Gouvernement s’attache à concrétiser au mieux les avancées de la loi du 21 décembre 2021.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 84 rectifié.

Mme Monique de Marco. Je demande également la suppression de l’article. L’autorité hiérarchique ne répond pas aux demandes de la profession ou, du moins, de la majorité des directeurs d’école, qui souhaitent rester des pairs parmi leurs pairs ; or on leur demanderait d’évaluer leurs collègues.

Ainsi que nous l’avons vu dans les consultations et les enquêtes du ministère de l’éducation nationale, les directeurs souhaitent unanimement des renforts humains, du temps de formation et une aide administrative pérenne.

L’autorité fonctionnelle est le point d’équilibre que nous avions trouvé. Attendons la publication du décret, son application, et nous ferons ensuite le bilan de l’interprétation qui en a été faite dans les établissements, car cela risque d’être compliqué à expliquer…

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Chacun aura compris que vous voulez supprimer l’autorité hiérarchique. En commission, nous en avons limité la portée aux écoles les plus grandes. Le seuil qui avait été proposé, et qui nous semblait intéressant, était de neuf classes. Il serait ensuite fixé par décret.

Mettre un directeur hiérarchique dans les petites écoles – quand il y a deux, trois ou quatre classes – n’aurait pas de sens. C’est pourquoi il nous semble préférable d’appliquer la mesure à partir de neuf classes.

Je n’entends pas la même chose que vous. Dans les territoires, je rencontre des directeurs qui ont beaucoup de classes, de douze à quinze classes, soit près de 350 élèves, ce qui est comparable à un collège ou un petit lycée. Mais ceux que l’on entend, ce sont les professeurs des écoles qui ne veulent pas de cette autorité hiérarchique, alors que les directeurs qui ont plus de neuf classes la souhaitent véritablement.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.

M. Philippe Tabarot. Très bien !

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 28, 52 et 84 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 11, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. » ;

2° Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et ces établissements publics locaux d’enseignement. »

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Cet amendement a le même objet que mon amendement précédent. Étant défavorable à l’article 2 tel qu’il résulte des travaux de la commission, je propose de le remplacer par un dispositif portant directement sur le sujet fondamental de la laïcité.

Mme le président. L’amendement n° 57, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 411-1 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« Art. L. 411-1. – Un directeur veille à la bonne marche de chaque école maternelle ou élémentaire ; il assure la coordination nécessaire entre les maîtres. Un décret en Conseil d’État fixe les conditions de recrutement, de formation et d’exercice des fonctions spécifiques des directeurs d’école maternelle et élémentaire. Le directeur de l’école préside le conseil d’école qui réunit les représentants de la communauté éducative et donne son avis sur les principales questions de la vie scolaire. La composition et les attributions du conseil d’école sont précisées par décret. La participation des parents se fait par le biais de l’élection de leurs représentants au conseil d’école chaque année. »

La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Le pilotage du premier degré s’appuie sur un supérieur hiérarchique direct et un collectif de travail. Ce mécanisme a fait ses preuves. Lorsqu’il dysfonctionne, les raisons sont majoritairement étrangères à cette organisation.

La gouvernance du système éducatif a beaucoup changé ces dernières années : on est passé d’une hiérarchie qui connaissait ses équipes et impulsait des dynamiques locales à une hiérarchie donneuse d’ordre.

L’absence de statut pour les directeurs et directrices est une protection. Leur transférer de nouvelles responsabilités les placerait en extériorité du collectif de travail, coincés entre les enseignants et le corps d’inspection. Cette volonté politique d’instaurer une autorité hiérarchique dans l’école est récurrente alors même que les personnels des écoles s’y sont toujours opposés. Toutes les enquêtes, même récentes, qu’elles viennent des organisations syndicales, d’instituts de sondages ou du ministère lui-même, montrent que l’autorité hiérarchique est très majoritairement rejetée. Les équipes pédagogiques ont besoin non pas de plus d’autorité, mais de plus de moyens pour bien faire leur métier, avec une hiérarchie en soutien au quotidien et des moyens permettant de répondre aux inégalités scolaires.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. L’amendement n° 11 de M. Masson vise à remplacer le texte de l’article 2 par celui de l’article 10. Or l’article 2 est consacré aux directeurs d’école. Le débat sur les signes religieux aura lieu tout à l’heure, lors de l’examen de l’article 10. Avis défavorable.

L’amendement n° 57 tend à retirer l’autorité fonctionnelle aux directeurs d’école. Or ceux-ci sont des interlocuteurs privilégiés, aux missions diverses, auprès des équipes, des parents d’élèves, des élus locaux : l’autorité fonctionnelle leur est nécessaire et leur confère une autorité décisionnelle pour l’exercice de leurs missions administratives et organisationnelles. Avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis que la commission sur l’amendement n° 11.

L’amendement n° 57 concerne l’autorité fonctionnelle des directeurs d’école, qui est largement attendue ; les organisations syndicales y étaient favorables. Or c’est au moment où nous la mettons en œuvre qu’interviendrait la modification législative proposée. Avis défavorable.

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, vous travaillez effectivement sur les décrets. Mais, contrairement à ce que vous venez d’indiquer, tous les syndicats ne sont pas, tant s’en faut, favorables à l’autorité fonctionnelle.

L’avènement de l’autorité fonctionnelle devait être assorti de décharges de classes, afin de leur laisser davantage de temps pour régler les problèmes administratifs. Mais c’est là que ça coince ! Et le rapporteur ne nous rassure pas en affirmant que le dispositif serait réservé aux plus grandes écoles, de neuf classes ou de douze classes.

Ça coince aussi sur le fait que l’ensemble des chargés d’école, qui demandent à être reconnus comme directeurs, ne le sont pas.

Ça coince encore sur des histoires d’avancement accéléré.

Le temps mis à publier les décrets en dit long sur l’opposition qui demeure. Revenons-en à ce qui existait auparavant : il n’y avait aucun dysfonctionnement.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 57.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 46 rectifié

Après l’article 2

Mme le président. L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Retailleau, H. Leroy et Tabarot, Mme V. Boyer, M. Genet, Mme Schalck, M. C. Vial, Mme Pluchet, MM. Belin et Calvet, Mmes Del Fabro, Drexler et Dumont, MM. Favreau et Laménie, Mmes Micouleau, Muller-Bronn et Noël, MM. Paccaud, Piednoir et Savin et Mme Thomas, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 131-5 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :

« L’autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants : » ;

2° Le 4° est ainsi rédigé :

« 4° Un projet éducatif personnalisé, adapté aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, dans le respect de son droit à l’instruction tel que défini à l’article L. 131-1-1. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif et l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française. » ;

3° Au neuvième alinéa, après la deuxième phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Elle peut être demandée en cours d’année scolaire. » ;

4° Après le neuvième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans l’attente de l’avis de l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, la demande d’autorisation d’instruction en famille déposée par les responsables d’un enfant bénéficie d’un accord provisoire dès le dépôt du dossier.

« Par dérogation, l’autorisation prévue au premier alinéa est accordée de plein droit, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l’année scolaire précédente et pour lesquels les résultats du contrôle organisé en application du troisième alinéa de l’article L. 131-10 ont été jugés suffisants. » ;

5° Le quatorzième alinéa est supprimé.

La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. L’instruction en famille est une liberté fondamentale que la loi Séparatisme – pardon, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République – est venue remettre en cause sous couvert de lutte contre le séparatisme.

Commençons par un constat : 97 % de contrôles positifs en 2020, 90 % de refus en 2022 dans certaines académies. Cette loi promettait pourtant de protéger les familles qui font bien l’école à la maison et de ne s’attaquer qu’aux dérives. Finalement, dans les faits, c’est l’inverse qui se produit.

Pour garantir l’exercice de cette liberté dans le respect des choix parentaux, conformément au principe constitutionnel de la liberté d’enseignement, cet amendement tend à revenir à une formulation simple. Dans un souci de simplification administrative, les familles ayant fait l’objet donc d’un contrôle positif l’année précédente bénéficieraient d’une autorisation de plein droit.

Cet amendement vise donc à simplifier le régime de mise en œuvre pour qu’aucune famille ne soit la victime collatérale de la défaillance de l’État dans sa lutte contre le séparatisme.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Cet amendement tend à assouplir les conditions de l’instruction en famille tout en maintenant les autorisations. Avis favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Cet amendement tend à beaucoup trop assouplir les conditions de l’instruction en famille. Sur les 59 000 demandes instruites, 90 % ont fait l’objet d’une décision d’autorisation, avec – je vous l’accorde – des variations selon les académies.

Je ne peux donc pas souscrire à votre proposition de modifier le motif 4° en l’élargissant à un projet éducatif personnalisé, ce qui reviendrait à ouvrir l’instruction en famille à tous ceux qui le souhaitent.

De même, il n’est pas souhaitable de sortir du champ de l’autorisation les enfants ayant fait l’objet d’un contrôle au résultat satisfaisant l’année précédente, car, dès lors, il n’y aurait plus à justifier d’un motif s’opposant à la scolarisation.

Enfin, je rappelle que l’autorisation peut être demandée pendant l’année en cas d’urgence, par exemple en cas de menace à l’intégrité physique ou morale d’un élève, ou pour un motif qui surviendrait après le dépôt du dossier, par exemple un motif de santé ou d’éloignement géographique. Avis défavorable.

Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. Ce débat a déjà eu lieu longuement dans cet hémicycle, à l’occasion de l’examen de la loi évoquée tout à l’heure. Il est dommage de revenir sur ce qui avait été assez difficile à mettre en place : que l’école soit l’école de la République, et non pas l’école des parents ! Les parents ne sont pas des enseignants. Même s’ils sont très bons pour inculquer certains savoirs à leurs enfants ou à ceux de leurs voisins – certaines catégories socioprofessionnelles peuvent se le permettre –, ce n’est pas l’école publique.

Et il n’y a pas de mixité sociale, alors que l’école publique est aussi faite pour cela, même si cette proposition de loi n’en parle pas beaucoup… La mixité sociale est un objectif de l’école publique.

L’école à domicile, pour nous, n’était pas la vraie école. C’est pourquoi nous avions soutenu la loi voulue par le Président de la République. Il n’est pas souhaitable de l’assouplir.

Il est plus facile d’examiner sérieusement le cas de certaines familles qui souhaitent, méritent ou ont besoin de cette instruction en famille, pour les raisons prévues dans la loi. Il était en revanche très difficile de contrôler chaque année les quelque 60 000 enfants et plus qui étaient en instruction à domicile avant le vote de la loi.

Avec mon groupe, je soutiens donc la loi votée précédemment, qu’il n’est pas souhaitable d’assouplir.

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. Je vois que M. Magner veut refaire le match et essayer de gagner sur tapis vert. Mais le match a déjà été joué et n’a pas donné ce résultat-là.

Nous avons eu un débat sur l’instruction en famille ici. À l’époque, un compromis avait été trouvé : l’autorisation devait prendre en compte la situation propre de l’enfant.

Mais, aujourd’hui, dans un certain nombre de recours, l’éducation nationale parle non plus de « situation propre motivant » l’autorisation d’instruction à domicile, mais de « situation particulière justifiant » l’autorisation d’instruction à domicile, ce qui est tout de même très différent !

Nous avions pourtant changé cela dans la loi : hier, on parlait de « justification » ; aujourd’hui, on parle de « motivation ». On parle de « situation propre », et non plus de « situation particulière ». C’est très différent !

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, dans 90 % des cas, l’autorisation est accordée. Oui, parce que nous sommes encore dans une vague d’autorisations glissantes jusqu’à la fin de l’année. Mais 47 % – et non pas 10 % ! – des demandes au titre du motif 4° sont refusées, et 39 % après recours des familles. Dans leurs justifications, les rectorats interprètent la loi dans un sens qui n’est pas celui que nous avons voté ici. Or il n’existe malheureusement aucun texte du ministère de l’éducation nationale, ni circulaire, ni note de service, ni directive : toutes les consignes ont été données oralement. Comme si le ministère attendait que la jurisprudence des tribunaux réécrive la loi.

Mais nous sommes ici au Parlement. Nous avons voté un texte et trouvé un compromis avec le ministère et les collègues parlementaires. Il serait dangereux de laisser M. Magner ou la jurisprudence réécrire la loi.

Adoptons des dispositions qui soient conformes à ce qui a été voté précédemment.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Ce texte devait cliver : c’est réussi ! Nous revenons sur des débats que nous avons déjà eus. Au groupe Les Républicains, nous sommes constants. Comme nous l’avons toujours dit, nous sommes profondément attachés à la liberté d’enseignement et à un système équilibré depuis Jules Ferry. Je pourrais également évoquer Victor Hugo, qui a eu des paroles fortes sur la liberté d’enseignement.

Nous avions indiqué au ministre de l’époque que son texte ne s’attaquait pas vraiment au séparatisme – nous serions sans doute tous d’accord pour lutter contre ce fléau –, mais irait en réalité contre des personnes ayant fait le choix particulier de l’instruction en famille. C’est bien ce qui est en train de se produire.

Vous avez reconnu vous-même, monsieur le ministre, qu’il existait de grandes inégalités selon les académies. Vous les traitez de manière un peu technocratique. Mais, derrière elles, il y a des élèves et des familles en souffrance confrontés à des inspecteurs qui, comme l’a très bien décrit Cédric Vial, vont bien au-delà de ce que le législateur a voulu.

Il se passe exactement ce que nous avions craint. L’administration de l’éducation nationale fait une interprétation très restrictive du texte, parce qu’on lui a ouvert la porte.

Je suis déçu, monsieur le ministre. Je savais qu’il n’y avait aucune chance que votre prédécesseur nous écoute lorsque l’on parlait de liberté d’enseignement. Je pensais que, compte tenu de ce que vous êtes et de votre passé, vous seriez ouvert à cette notion de liberté d’enseignement et que vous entendriez le drame des parents concernés et de leurs enfants. Ils sont souvent de bonne foi et très éloignés de ce que le texte de M. Blanquer visait à combattre. Les séparatistes ne craignent pas cette loi. En revanche, des familles de braves gens se retrouvent en difficulté face à une interprétation et à une application trop strictes, avec en plus une grande inégalité sur le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera cet amendement. En réalité, l’éducation en famille a besoin, comme le démontrera notre collègue Stéphane Piednoir dans son amendement suivant, de transparence et d’information.

Certes, les débats ont eu lieu et ont abouti à une position équilibrée : la simplification administrative me semble une bonne solution. Toutefois, il faut s’y tenir sans tomber dans le laxisme. Les contrôles persisteront. Ils sont légitimes et doivent être faits sans a priori.

Je considère que l’éducation nationale gagnerait à se poser la question de savoir pourquoi l’instruction en famille se développe autant. Peut-être que l’école présente quelques failles et que, dans certains endroits, elle ne donne plus de solution aux familles, qui trouvent alors une réponse dans cette forme particulière d’instruction ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre. Nous sommes restés fidèles à la notion de situation propre, dont le Conseil d’État a d’ailleurs précisé la portée. Je reconnais très volontiers que nous devons en quelque sorte balayer devant notre porte, parce qu’il y a des inégalités entre les académies, qui sont plus ou moins ouvertes sur le sujet, en particulier quand il s’agit du motif 4. Nous tiendrons au ministère de l’éducation nationale un grand séminaire le 5 mai prochain pour établir des règles communes et éviter les disparités entre académies, que vous avez justement notées.

Par ailleurs, nous avons gagné quasiment tous les contentieux au tribunal administratif qui se sont accumulés depuis la rentrée. Cela signifie que les tribunaux administratifs nous ont donné raison. Nous ne faisons donc pas une interprétation trop restrictive de la loi, en particulier du motif 4. Nous devons simplement veiller à une équité territoriale et, bien entendu, à accepter les demandes quand elles sont fondées. Nous acceptons d’ailleurs 90 % d’entre elles en tenant compte des quatre motifs.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié ter.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 2 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 2 - Amendement  n° 45 rectifié

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.

L’amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Reichardt, Courtial et Pellevat, Mme Garriaud-Maylam, M. Détraigne, Mme Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti, Billon et Gosselin, M. Meurant, Mme Gatel, MM. Mizzon, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mme Estrosi Sassone, M. Bouchet, Mme Lopez, MM. Lefèvre, P. Martin, Houpert, Gremillet, Rapin, Klinger et Moga et Mme Borchio Fontimp, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’autorité de l’État compétente en matière d’éducation publie chaque année le nombre de demandes d’autorisation formulées au titre de l’article L. 131-5 du code de l’éducation ainsi que celui des autorisations accordées.

La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Nous sommes régulièrement interpellés sur les conséquences de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République s’agissant de l’instruction en famille. Des taux de pourcentage d’acceptation ont été cités. Mon collègue Cédric Vial l’a rappelé, s’il est vrai qu’en année glissante, on peut atteindre le chiffre que vous avez annoncé, monsieur le ministre, on constate en réalité que les disparités sont très fortes d’une académie à l’autre. Nous avions d’ailleurs prévu ce risque d’écart, et nous l’avions signalé lors du vote du texte.

Dans un souci de transparence, cet amendement, qui ne révolutionne en rien le régime d’autorisation pour l’instruction en famille, vise à faire en sorte que les rectorats publient chaque année le nombre de demandes d’instruction en famille formulées, ainsi que le nombre d’autorisations accordées. Nous pourrons ainsi établir, académie par académie, s’il y a des raisons non pas de s’inquiéter, mais d’aller plus avant dans la considération des motifs. Si tout est clair, je suis sûr qu’il n’y aura aucune difficulté pour que chaque rectorat publie ses chiffres.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Cet amendement est très intéressant, parce qu’il vise à rendre public le nombre d’autorisations et de refus. Cela permettra un suivi sur le temps long. En effet, on a rappelé que des autorisations étaient accordées dans certaines régions académiques, mais refusées dans d’autres. Nous pourrons également constater l’évolution sur une année du nombre d’enfants scolarisés en famille, à l’échelle nationale. Avis favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Cet amendement est satisfait, puisque toute personne peut obtenir ces données concernant les autorisations accordées ou refusées, dès lors qu’elle les demande au rectorat, sous réserve, bien entendu, des dispositions relatives à la communication des documents administratifs. Par conséquent, je sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis du Gouvernement serait défavorable.

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. On a en effet besoin de transparence. Et quand le dispositif est nouveau, il faut pouvoir l’évaluer ; cela vaut pour d’autres mesures, comme certains l’ont dit. Nous avons donc besoin de tels chiffres.

Mais, monsieur le ministre, je me permets d’insister sur le fait que nous avons aussi besoin de directives. Le ministère de l’éducation nationale doit jouer son rôle à l’échelle nationale, en expliquant aux rectorats les règles sur lesquelles ils doivent s’appuyer pour fixer les autorisations.

Vous avez mentionné, à raison, les différences qui peuvent exister entre les rectorats. Ainsi, celui de Toulouse prononce 90 % des refus d’autorisation au titre du motif 4. Certes, à l’échelle nationale, 90 % des demandes sont acceptées, comme vous l’avez dit. Mais, encore une fois, ce chiffre s’explique par l’inertie quant aux autorisations données lors de la vague de demandes précédente.

Il faudrait préciser ces statistiques en se concentrant sur le taux de refus au titre du motif 4, soit 47 % ou 39 % si l’on s’en tient au chiffre du ministère tout recours purgé au titre de ce motif. Dans certaines fratries, les aînés ont bénéficié des 80 % d’autorisations accordées lors de la vague précédente, mais, pour leurs cadets, soumis aux conditions du nouveau dispositif, c’est un refus alors même que les motifs de la demande sont vraisemblablement identiques. On ne peut pas nier le problème.

Sans extrapoler, il me semble que, dans certaines académies, on fixe le nombre d’autorisations en fonction du nombre de contrôles que l’on est capable de faire. En effet, les inspecteurs qui assurent le contrôle dans les familles sont aussi ceux qui donnent les autorisations, de sorte qu’ils finissent par les attribuer en fonction de la charge de travail qu’ils pourront assurer dans le courant de l’année. Ce n’est pas acceptable. Il faut des directives claires. Nous avons besoin d’une circulaire écrite du ministère, faute de quoi la jurisprudence risque de remplacer la loi. Le monde de l’oralité ne doit pas avoir cours à ce niveau dans l’éducation nationale.

Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. Il me semble que l’on fait la part belle à un phénomène tout à fait minoritaire. Certes, 60 000 élèves, ce n’est pas rien, mais il faut rapporter ce chiffre aux 5 millions d’élèves qui vont à l’école, publique ou privée.

L’instruction en famille relève du séparatisme, pas forcément religieux, mais d’une forme de séparatisme. Je connais bien ces familles qui veulent garder leurs enfants à la maison. J’ai l’impression qu’elles sont de plus en plus nombreuses depuis que l’on a légiféré sur le sujet. Plusieurs d’entre elles se sont manifestées cette année pour faire une demande, alors que jusqu’à présent l’idée ne les avait pas effleurées. Plus l’on débattra sur l’instruction en famille, plus on en fera la publicité et plus l’on mettra en difficulté l’école publique. Il me semble que ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi.

Nous devons d’abord défendre l’école, notamment publique. Ensuite, si des cas particuliers justifient que les enfants ne puissent pas aller à l’école – je ne dis pas qu’il n’y en a pas –, il faut en tenir compte.

Toutefois, prenons l’exemple de la phobie scolaire, qui est à la mode, et ce quelle que soit la classe, de sorte que l’on trouvera bientôt des cas même en maternelle : c’est une folie ! Sous couvert de phobie scolaire, certaines familles croient bien faire en gardant leurs enfants à la maison. Je suis certain que c’est le plus mauvais service qu’elles puissent rendre à leurs enfants.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour explication de vote.

M. Stéphane Piednoir. Notre collègue Jacques-Bernard Magner semble dire que l’on ne doit pas s’occuper des minorités au motif qu’elles sont minoritaires dans notre pays. (M. Jacques-Bernard Magner proteste.) C’est un raisonnement que je réfute.

M. le ministre m’invite à étayer mon amendement. Je veux revenir sur les taux de pourcentage qui ont été cités.

Monsieur le ministre, vous avez donné le chiffre de l’éducation nationale, qui recouvre le taux d’autorisations accordées à l’échelle nationale. Les autres chiffres qui ont été mentionnés dans le débat proviennent des associations, qui font elles-mêmes le calcul, à partir des données que leur fournissent les familles.

L’objet de mon amendement est très simple. Nous disposons dans notre pays d’un outil administratif suffisamment puissant pour que les rectorats soient en mesure de publier eux-mêmes leurs chiffres. Il n’y a rien là d’insurmontable, car le nombre de dossiers n’est pas si important. Il me semble donc possible de traiter cette petite statistique académie par académie.

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Pour ma part, je conteste le terme de « minoritaires ». Vous avez cité le chiffre de 60 000 élèves. Cela signifie-t-il que ces élèves minoritaires seraient autant d’élèves dont on ne s’occuperait pas ?

M. Jacques-Bernard Magner. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !

Mme Annick Billon. Bien entendu, nous sommes ici pour défendre l’école et l’instruction de tous les enfants, quels qu’ils soient.

Je veux remercier notre collègue Stéphane Piednoir d’avoir déposé cet amendement, parce qu’il met en exergue le problème de l’opacité de l’instruction en famille. On a besoin, dans ce domaine, de transparence et d’information, ce que nous n’avons pas aujourd’hui.

En 2020, beaucoup de mandats municipaux ont été renouvelés. Quelle n’a pas été ma surprise de constater, en allant dans les communes, que les maires n’avaient aucune information sur ce qu’étaient leurs devoirs et obligations par rapport à l’instruction en famille ! Oui, il y a de l’opacité et il faut voter cet amendement de notre collègue Stéphane Piednoir.

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Lors de l’examen du texte visant à conforter les principes de la République, il n’a pas été simple pour la commission de définir sa position sur cet article. Nous n’y étions initialement pas favorables, car nous étions attachés au système de déclaration. Puis, nous avons évolué, notamment à la suite d’un certain nombre de témoignages établissant que, pour lutter contre le phénomène du séparatisme, il était nécessaire de renforcer le dispositif.

Dans notre esprit, le dispositif vise deux cibles particulières : le séparatisme et les dérives sectaires. Pour le reste, la majorité sénatoriale considère que c’est la liberté des parents qui prévaut. La publication des chiffres permettrait simplement de vérifier que le dispositif mis en place est utile pour atteindre les deux cibles que nous avions définies ensemble, à savoir le séparatisme et les dérives sectaires, sans entraver la liberté des parents.

Monsieur le ministre, vous nous avez confirmé que les comportements pouvaient différer d’un rectorat à l’autre. Grâce à davantage de transparence, nous pourrions mieux appréhender la mise en œuvre du dispositif et surtout vérifier qu’elle correspond à l’accord qui avait été esquissé lors de l’examen du texte.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 46 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 46 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 2 bis (nouveau)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.

L’amendement n° 45 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Reichardt, Courtial et Pellevat, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti et Gosselin, MM. Meurant, Mizzon, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mmes Estrosi Sassone et Garnier, MM. Bouchet, Lefèvre, P. Martin, Houpert, Gremillet, Rapin, Klinger et Moga et Mme Borchio Fontimp, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l’article L. 131-10 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À la demande des personnes responsables de l’enfant, ce second contrôle peut être effectué par des personnes différentes de celles chargées du premier contrôle. »

La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Cet amendement s’inscrit dans le prolongement de la loi visant à conforter le respect des principes de la République sans revenir sur le régime d’autorisation qui avait été adopté. Il vise à garantir que les décisions rendues soient objectives et justes.

Pour l’instant, le résultat des contrôles motive en grande partie la reconduction de l’autorisation d’instruction en famille. Il s’agit de vérifier dans ce cadre que le motif de la demande répond bien à l’un des cas prévus dans le code de l’éducation.

Cet amendement vise à faire en sorte que si l’inspecteur ayant effectué un premier contrôle donne un avis négatif à la poursuite de l’instruction en famille, un second contrôle doit intervenir dans un laps de temps défini, avec un inspecteur différent, pour valider définitivement la reconduction de l’autorisation.

Cette mesure n’est pas insurmontable à mettre en place. Elle se pratique déjà dans le cadre de l’inspection des enseignants. Il s’agit d’une demande légitime qui permet d’éviter des conflits de personne à personne et d’éventuels désaccords.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Cet amendement est intéressant dans la mesure où l’on gagnera en clarté et en transparence. La possibilité pour la famille de demander un second contrôle est une évolution positive, d’autant que lors de l’examen du projet de loi visant à conforter les principes de la République, nous avions largement débattu sur le sujet. Une telle mesure pourrait contribuer à apaiser les relations entre les familles et les rectorats. Avis favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur Piednoir, votre amendement est tellement légitime qu’il est satisfait. En effet, le vade-mecum que nous avons envoyé aux rectorats précise qu’en cas d’avis négatif ou réservé lors du premier contrôle, le second contrôle devra être effectué par une personne différente. Je suis donc tout à fait en accord avec vous, mais la mesure relève en l’espèce du règlement plus que de la loi.

Je vous propose de retirer votre amendement, faute de quoi le Gouvernement y serait défavorable, même si je suis d’accord avec vous sur le fond.

Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. Il est bien entendu qu’il ne s’agissait pas pour moi de dire qu’il ne fallait pas s’occuper des enfants qui reçoivent une instruction en famille, même s’ils constituent une forme de minorité par rapport au plus grand nombre de ceux qui vont à l’école. Je n’aime pas beaucoup que l’on déforme mes propos et que l’on me fasse dire ce que je n’ai pas dit ou ce que je n’ai pas voulu dire ; excusez-moi si je me suis mal exprimé.

En effet, certains enfants ont besoin de l’instruction en famille, et il faut traiter leur cas. Toutefois, les mesures qui ont été votées et qui figurent dans la loi me semblent suffisantes. Elles prévoient de déterminer ce qui justifie que tel ou tel enfant n’ira pas à l’école de son quartier ou de son village et restera chez lui, et de vérifier que ses parents feront bien le travail qu’ils doivent faire auprès de lui.

Le sujet est sensible, parce qu’il donne lieu à des dévoiements, que vous connaissez tout comme moi. Certaines familles considèrent que les enfants seront mieux protégés, recevront un meilleur enseignement et vivront mieux s’ils restent chez eux plutôt que s’ils vont se confronter à leurs pairs dès le plus jeune âge, à la maternelle, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire ou pas. Or, notre rôle est de leur faire comprendre, sauf pour les cas pathologiques ou problématiques qui justifient une instruction en famille, que l’intérêt de l’enfant est bien de vivre avec ses pairs, et non pas avec ses parents toute sa vie depuis son plus jeune âge jusqu’à sa majorité.

Au principe de toute éducation ou formation, il y a l’idée que l’instruction doit se faire avec ses pairs.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 45 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.

Article additionnel après l'article 2 - Amendement  n° 45 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 3

Article 2 bis (nouveau)

I. – Après l’article L. 131-2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 131-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 131-2-1. – Par dérogation à l’article L. 131-2, l’instruction obligatoire peut être donnée aux enfants âgés de trois à six ans dans un établissement d’accueil collectif recevant exclusivement des enfants âgés de plus de deux ans dit “jardin d’enfants” géré, financé ou conventionné par une collectivité publique, ou associatif, ouvert à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.

« Les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation d’instruction prévue à l’article L. 131-1 déclarent au maire et à l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, dans les conditions prévues à l’article L. 131-5, qu’elles l’inscrivent dans un établissement mentionné au premier alinéa du présent article.

« L’autorité de l’État compétente en matière d’éducation prescrit le contrôle des établissements mentionnés au même premier alinéa afin de s’assurer que l’enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l’article L. 131-1-1 et que les élèves de ces établissements ont accès au droit à l’éducation tel que celui-ci est défini par l’article L. 111-1.

« Ce contrôle est organisé selon les modalités prévues aux deuxième et troisième alinéas du III, ainsi qu’aux IV, V et VI de l’article L. 442-2. »

II. – L’article 18 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance est abrogé.

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud, sur l’article.

M. Rémi Féraud. Cet article a été introduit en commission de la culture, et je tiens à saluer l’ensemble de ses membres pour leur travail transpartisan sur les jardins d’enfants pédagogiques.

Le sujet est important dans un certain nombre de territoires et de communes, notamment en Alsace – je salue notre collègue Claude Kern –, mais aussi à Paris. Avec de nombreux élus locaux et des collectifs de parents, nous nous mobilisons depuis des mois pour sauver les jardins d’enfants pédagogiques à partir de la rentrée de septembre 2024, alors que la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance est venue fragiliser leur modèle, l’obligation de scolarité à 3 ans ne prenant pas en compte leurs spécificités.

Une dérogation avait été obtenue pour quelques années, mais elle touche à sa fin – vous le savez, monsieur le ministre –, de sorte que l’on ne peut pas envisager d’inscription dans les jardins d’enfants pour la rentrée 2024, en tout cas dans les conditions actuelles de leur fonctionnement.

Je tiens à le rappeler, les jardins d’enfants sont un fruit de l’histoire sociale et associative, notamment à Paris, la mixité sociale y est bien réelle, l’accueil des enfants en situation de handicap y est proportionnellement bien plus important que dans les écoles maternelles, et ils jouent un rôle utile et historiquement inscrit dans la ville, notamment dans les quartiers populaires.

Je tiens donc, avant de devoir prendre la parole de nouveau – je dirais presque « malheureusement » – sur l’amendement de suppression du Gouvernement, à saluer le travail transpartisan qui a été mené par la commission, en espérant qu’il permettra aux jardins d’enfants de poursuivre leur activité, que ce soit au travers de cette proposition de loi si elle prospère ou d’un autre texte.

M. Claude Kern. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, sur l’article.

Mme Elsa Schalck. Je veux à mon tour saluer le fait que, par cet article, la commission de la culture et le Sénat permette aux jardins d’enfants de continuer d’exister.

Les jardins d’enfants, vous le savez, sont malheureusement voués à disparaître à la rentrée 2024, depuis que l’on a instauré dans la loi pour une école de la confiance l’instruction obligatoire à 3 ans. Les jardins d’enfants ont été touchés indirectement par cette loi.

Comme mon collègue vient de le souligner, on constate que cet article traduit la volonté transpartisane, qui existe bel et bien aujourd’hui en 2023, de sauver les jardins d’enfants, qu’ils soient gérés, financés ou conventionnés par une collectivité publique ou bien associatifs.

On mesure en effet combien ces structures particulières, très présentes à Paris et en Alsace, sont importantes. Les parents y sont très attachés : nous l’avions dit au Sénat, et des propositions de loi ont été déposées en ce sens à l’Assemblée nationale.

Les jardins d’enfants existent depuis plus de cent ans. Ce sont des structures pédagogiques originales et reconnues comme telles, qui connaissent un très grand succès. Ils concourent également – c’est un élément essentiel – à l’intégration des enfants présentant un handicap. J’ai en tête l’exemple précis d’un jardin associatif de Strasbourg.

Mes chers collègues, il est essentiel d’éviter que les jardins d’enfants ne disparaissent. Ils sont à la fois une alternative et une solution complémentaire des écoles maternelles. Ils répondent à de réels enjeux de notre système éducatif et permettent d’offrir un accueil adapté à chaque enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Kern. Très bien !

Mme le président. L’amendement n° 53, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre. Je reconnais l’existence ancienne des jardins d’enfants et leur ancrage social, particulièrement à Strasbourg et à Paris.

Dans la situation actuelle, plusieurs voies d’évolution articulées au développement des modes d’accueil du jeune enfant sont possibles pour les jardins d’enfants. Une première possibilité consiste à ce qu’ils demeurent comme tels en se recentrant sur la tranche d’âge des 2 ans et 3 ans, de manière à offrir une passerelle douce, en quelque sorte, vers l’école. Tout cela concerne particulièrement Paris, dans le contexte d’une baisse très accélérée des effectifs scolaires, notamment dans les écoles maternelles et élémentaires.

Une autre possibilité consiste à ce que ces jardins d’enfants deviennent des établissements d’accueil collectif pour les enfants de 0 à 3 ans, soit des crèches collectives, comme c’est déjà le cas pour une partie des jardins d’enfants de la ville de Strasbourg.

Une troisième possibilité consiste à ce que ces jardins d’enfants deviennent des écoles maternelles privées, ce qui permettrait la vérification des conditions minimales nécessaires à un établissement d’enseignement sous contrat, puis, le cas échéant, et selon les dispositifs en vigueur, sous contrat avec l’État.

Chaque structure peut évoluer vers la forme juridique qui lui convient tout en continuant d’accueillir de jeunes enfants.

Les échanges avec les municipalités de Paris et de Strasbourg doivent se poursuivre, et les recteurs de ces deux villes y travaillent.

Je sais que le temps court. En signe de bonne volonté, je suis disposé à accorder aux jardins d’enfants une année supplémentaire pour évoluer vers le statut qui leur convient.

M. Claude Kern. Retirez votre amendement !

M. Pap Ndiaye, ministre. Il s’agirait donc de reporter leur suppression à la rentrée 2025, au lieu de la rentrée 2024.

Néanmoins, le Gouvernement, pour les raisons qui ont déjà été indiquées, est défavorable à cet article, qui revient sur un principe de la loi du 26 juillet 2019. L’année supplémentaire que je propose devrait permettre de parvenir à un compromis.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Monsieur le ministre, nous comprenons que vous faites un premier geste en proposant cette année supplémentaire. Mais c’est un geste qui ne sera pas suffisant.

D’abord, Elsa Schalck a rappelé que les jardins d’enfants fonctionnent très bien depuis plus d’un siècle et sont une alternative aux écoles maternelles.

Ensuite, on constate que dans les pays de l’Europe du Nord, ce type de structure fonctionne très bien avec un personnel spécialisé. Au 1er juin dernier, on comptait à peu près 260 jardins d’enfants en France et 8 300 enfants scolarisés, ce qui montre qu’ils répondent à une demande.

Enfin, nous demandons seulement que les jardins d’enfants qui existaient avant la promulgation de la loi pour une école de la confiance puissent continuer d’accueillir les enfants entre 3 ans et 6 ans. Il ne s’agit pas de recréer des jardins d’enfants sous des acceptions différentes.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je l’avoue, quand cet amendement a été déposé, j’ai été très déçu. Certes, vous venez d’accorder une année supplémentaire : « Encore un instant, monsieur le bourreau ! »

Dans cet hémicycle, nous avons eu l’impression que le ministère découvrait les jardins d’enfants lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Nous avons alors organisé le sauvetage des jardins d’enfants, car il me semble que le ministère les avait passés par pertes et profit. À l’issue des discussions, dans le cadre de la navette parlementaire et de la commission mixte paritaire, nous étions convenus de nous donner cinq ans pour trouver des solutions, celles-ci ne devant pas obligatoirement consister à dire : « Les jardins d’enfants, c’est fini ! »

Vous nous accordez un an de plus. Au moins, ce texte aura produit une annonce intéressante, celle que vous venez de faire ce soir.

Mais au-delà, vous ne traitez pas la question de fond. Je le regrette, car je pensais que vous auriez une attitude différente de celle de votre prédécesseur.

Pour notre part, nous sommes plutôt favorables à la diversité des situations, car elles résultent de constructions historiques. Il existe une construction parisienne, une construction alsacienne, et même une construction réunionnaise en matière de jardin d’enfants.

De votre côté, vous êtes l’héritier d’un ministère – je pensais que vous seriez différent de vos prédécesseurs – qui ne veut voir qu’une seule tête, qui souhaite que tous les systèmes soient identiques au modèle imposé par le haut, celui d’une seule et unique école maternelle, et qui n’accepte aucune solution en dehors de ce cadre-là.

Pourquoi rompre avec des solutions qui fonctionnent et qui ont fait leurs preuves dans le passé, des constructions qui ont conduit des enfants vers la socialisation chère à Jacques-Bernard Magner, une scolarisation de qualité ? Je m’étais interrogé au banc des commissions devant votre prédécesseur : pourquoi casser ce qui fonctionne et mettre tout au cordeau et à l’équerre ? Nous vous invitons, monsieur le ministre, à encourager cette diversité, car je sais que vous y êtes attaché.

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. Monsieur le ministre, j’ai entendu, comme l’ensemble de mes collègues, votre proposition de prolonger la dérogation d’une année de plus.

Cependant, je ne sais pas comment vous entendez mettre en œuvre cette mesure, puisque, pour le moment, votre seule réponse sur le sujet, c’est cet amendement de suppression de l’article 2 bis.

Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi vous l’avez déposé, tant il envoie un signal extrêmement négatif. Il a cependant un mérite, celui de clarifier les réponses de chacun.

En effet, lorsque vous avez été auditionné par la commission de la culture du Sénat au mois de juillet dernier, vous vous êtes montré ouvert à une solution juridique. Vous avez également demandé aux élus locaux de manifester leur intérêt pour les jardins d’enfants.

Au mois de novembre dernier, la maire de Paris, après vous avoir rencontré, vous a écrit une lettre, rendue publique, vous informant qu’elle souhaitait que les jardins d’enfants pédagogiques de Paris puissent continuer à exister. Il s’agit non pas de remplacer les écoles maternelles par ces jardins, mais de permettre à ceux qui existent depuis près d’un siècle de poursuivre leur activité.

L’article 2 bis constitue, d’une certaine manière, une réponse juridique à la problématique actuelle. C’est un article d’appel pour que vous en repreniez le dispositif dans un autre véhicule législatif ; je sais que plusieurs textes ont été déposés à l’Assemblée nationale.

Or vous défendez ce soir, à la manière d’un rouleau compresseur, cet amendement de suppression : vous refusez de faire une exception à la loi pour une école de la confiance qui, en l’occurrence, se justifierait.

Je rappelle qu’à un moment donné, on prétendait, dans le cadre du débat politique local – je ne sais pas si c’était le cas à Strasbourg, mais ça l’était à Paris –, que c’était la faute de la municipalité si la situation n’évoluait pas, tout simplement parce que celle-ci ne demandait pas de dérogation au Gouvernement.

Au moins, aujourd’hui, les choses sont claires : le Gouvernement entame le débat en défendant la suppression de l’article 2 bis ! Personnellement, je le regrette, et je ne m’y résous pas.

Monsieur le ministre, j’entends votre discours, qui est plus ouvert que vos actes. Peut-être pourriez-vous retirer votre amendement de suppression et nous expliquer comment vous envisagez de mettre en œuvre la prolongation d’une année de cette dérogation à l’obligation de scolarisation, afin de continuer à chercher une solution ?

M. Claude Kern. Faites un geste, monsieur le ministre !

Mme le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, pour explication de vote.

Mme Elsa Schalck. J’avoue que je ne comprends pas, moi non plus, l’amendement de suppression du Gouvernement.

Malheureusement, nous faisons face à un nouvel épisode du « en même temps », monsieur le ministre, puisqu’à l’Assemblée nationale, vous indiquiez vous-même « devoir trouver un chemin pour préserver les jardins d’enfants ».

La preuve est faite – je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point – qu’il faut préserver cette spécificité, cette réussite, comme le disait mon collègue Max Brisson.

D’où ma question : pourquoi vouloir supprimer ce qui fonctionne dans notre pays ?

La balle est dans votre camp, monsieur le ministre. Nous entendons le message positif que vous nous envoyez, en proposant de reporter cette dérogation d’un an, mais ce n’est pas une solution pérenne. Nous vous entendons, mais vous attendons vraiment sur le sujet.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 53.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 2 bis.

(Larticle 2 bis est adopté.)

Article 2 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 4

Article 3

Le chapitre II du titre Ier du livre IX du code de l’éducation est complété par un article L. 912-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 912-5. – Par dérogation aux articles L. 512-18 à L. 512-22 du code général de la fonction publique, l’affectation d’un enseignant peut procéder d’un engagement réciproque conclu avec l’autorité de l’État responsable en matière d’éducation pour une durée déterminée, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. »

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 30 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 58 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 85 rectifié est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour présenter l’amendement n° 30.

Mme Marie-Pierre Monier. Avec cet amendement, nous proposons de supprimer la possibilité offerte aux recteurs de passer un contrat de mission à durée déterminée avec les enseignants.

Pour nous, une telle mesure est tout simplement inutile et dangereuse.

Elle est inutile, parce qu’il existe déjà des tas de dispositifs : des POP aux PAP (postes à profil), en passant par les PEP et les Pepap (postes à exigence particulière).

S’agit-il, à l’inverse, de généraliser ce dispositif ? Pour l’instant, l’article 3 n’ouvre qu’une simple faculté. Peut-être s’agit-il de relancer le programme Éclair (écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite), vite tombé aux oubliettes, faute de candidats – il n’y en avait que pour les grandes villes, et non là où il y en avait besoin.

Cette mesure est également dangereuse, parce qu’elle ouvre de très larges brèches dans le droit commun de la fonction publique d’État s’appliquant aux affectations et aux mutations.

De telles dérogations favoriseront tous les abus, en raison de l’opacité la plus totale des critères prévalant pour l’attribution de ces contrats de mission : plus de prise en compte des besoins de service, plus de priorité en fonction des situations familiales, des éventuels handicaps, de l’affectation en quartier sensible, des intérêts d’un département ou d’une collectivité d’outre-mer.

Les postes à mission n’ont pas à tenir compte des besoins de service, ce qui pose la question des critères selon lesquels ils seront octroyés.

La durée des missions sera-t-elle précisée par décret ? Sera-t-elle identique pour l’ensemble des missions ou les missions seront-elles exercées selon une durée laissée à l’appréciation des recteurs, sorte de variable d’ajustement en fonction du budget disponible ?

Les contrats de mission vont de pair avec l’autonomie des établissements, ce qui accentuera un système à deux vitesses : les enseignants continueront de rechercher des postes dans les établissements élitistes. Ce dispositif n’apportera donc rien de plus, sinon une aggravation des différences de traitement entre enseignants et entre établissements.

Mme le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour présenter l’amendement n° 58.

M. Jérémy Bacchi. Les règles de mobilité doivent être transparentes et équitables, principe incompatible avec les postes à profil ou les contrats de mission, dont les règles d’attribution restent malheureusement trop opaques.

Le premier bilan sur le mouvement des postes à profil mis en place à titre expérimental en 2022 dans le premier degré montre que le profilage ne règle en rien les difficultés à pourvoir certains postes dans des territoires peu attractifs, pas plus qu’il ne résout les problèmes de mobilité.

L’article 3 crée une dérogation à l’article L. 512-18 du code général de la fonction publique, qui dispose que l’État « procède aux mutations des fonctionnaires en tenant compte des besoins du service ». Or cette disposition est essentielle pour se prémunir de la création de déserts éducatifs.

Cet article conduit donc à une contradiction entre ce qu’il prétend mettre en place et ses implications sur le terrain.

Enfin, les auteurs du texte, dans leur exposé des motifs, affirment avec solennité une ambition égalitaire, sans rien proposer d’autre pour y parvenir qu’une réforme de l’affectation des enseignants laissée au choix des directrices et des directeurs d’école.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 85 rectifié.

Mme Monique de Marco. Pour compléter l’argumentation de mes collègues, je précise que l’article 3 vise à permettre de déroger aux règles d’affectation des enseignants, en prévoyant que les directeurs d’établissement puissent recruter par contrat.

Il s’agit d’une proposition récurrente, dont la mise en œuvre s’est souvent soldée par un échec. Ce fut par exemple le cas du dispositif Éclair mis en place en 2011 dans les quartiers prioritaires. Ce que l’on a appris de telles initiatives, c’est que l’obligation de réaffectation de l’enseignant à son poste d’origine, à l’issue du contrat, est très contraignante.

Il ne nous semble absolument pas souhaitable de généraliser ce système. Faute de solution satisfaisante, nous nous opposons donc à une telle disposition.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Nous pensons à l’inverse que ces contrats de mission sont intéressants, parce qu’ils résultent d’un engagement réciproque entre l’intéressé, le professeur, et son administration.

On parle aujourd’hui de désertification enseignante, autant en ruralité que dans certaines zones urbaines. Il n’y a pas si longtemps, il y a même eu recrutement par Pôle emploi : ce type de procédure n’est pas acceptable.

La bonification dont pourraient bénéficier les enseignants qui accepteront d’exercer leur métier, pendant un certain nombre d’années – par exemple, cinq ans –, les incitera peut-être à rester dans ces territoires spécifiques. En tout cas, le dispositif leur permettra de retrouver des postes ailleurs.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. La mobilité des enseignants, qu’il s’agisse de mobilité académique ou de mobilité nationale, dans le premier degré comme dans le second degré, est organisée selon un mouvement qui tient compte de l’ancienneté et de la situation personnelle des agents.

Cependant, il existe, parallèlement à ces mouvements au barème, des recrutements qui apparient les compétences de l’enseignement et certaines caractéristiques des postes à pourvoir. Dans le premier degré, par exemple, il existe des mouvements spécifiques sur profil et sur spécialisation. Cela concerne au total 60 000 professeurs des écoles.

Parallèlement, depuis l’année dernière, nous expérimentons certains postes à profil dans le cadre des mobilités nationales.

Cette procédure permet de pourvoir des postes, dont les caractéristiques territoriales et pour lesquels les compétences requises justifient un engagement et un profil particuliers. Je souligne l’importance de ces postes à profil, par exemple en outre-mer. Par ailleurs, les professeurs retenus pour ces postes s’engagent à rester trois ans dans leur affectation.

Vous le voyez, le Gouvernement a déjà développé des méthodes qui vont dans le sens que vous souhaitez – ; nous comptons d’ailleurs poursuivre dans cette voie. Il émet donc un avis favorable sur les amendements de suppression d’une disposition qui est déjà largement satisfaite dans les faits.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Selon moi, l’article 3 est très important.

Ce contrat de mission figurait déjà dans un rapport que j’ai élaboré avec Françoise Laborde voilà quelques années. Il s’agissait même de l’une des mesures phares.

Un tel contrat remet en cause le système très linéaire du barème et de l’ancienneté, critères sur lesquels repose une grande partie de la gestion des ressources humaines de l’éducation nationale, et qui ont pour conséquence que l’on nomme aujourd’hui les professeurs les moins formés, les moins chevronnés, les moins bien payés, les jeunes en somme, aux postes les plus difficiles.

On assiste en conséquence à un turn-over extrêmement important, aussi bien dans les établissements difficiles que dans les territoires de grande ruralité. Autrement dit, on soumet clairement au bizutage de jeunes professeurs en les envoyant dans les établissements les plus difficiles, et ce au moment où ils entament leur carrière et leur vie professionnelle.

Cela étant, ce contrat de mission n’équivaut pas au poste à profil, monsieur le ministre.

Le poste à profil permet une adéquation entre les postes et les professeurs et leur cursus. Ce dispositif est un plus. Sauf que, dans ce cadre, on ne se préoccupe pas de la sortie : l’éducation nationale n’a pas la mémoire du service rendu, parfois même du service rendu à la République.

Ce que je propose aujourd’hui est différent : c’est un vrai contrat gagnant-gagnant, un contrat entre l’éducation nationale, qui a des besoins éducatifs particuliers dans certains territoires, qui a besoin des professeurs les plus chevronnés, les mieux formés, ceux qui sont en phase avec ces besoins éducatifs spécifiques, et des enseignants dont il faut préparer la sortie.

Si vous leur arrangez une sortie convenable du dispositif, vous verrez qu’il y aura beaucoup plus de candidats. Si ces contrats de mission constituent vraiment un accélérateur de carrière, il y aura davantage de professeurs prêts à servir là où l’école de la République en a besoin.

Je vous invite à rejeter ces amendements et à voter l’article 3, mes chers collègues.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 30, 58 et 85 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 4 - Amendement  n° 60

Article 4

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’intitulé du chapitre unique du titre II du livre IX, qui devient le chapitre Ier, est ainsi rédigé : « Dispositions générales » ;

2° Le même titre II est complété par un chapitre II ainsi rédigé :

« CHAPITRE II

« Les écoles supérieures du professorat des écoles

« Art. L. 922-1. – Dans chaque région académique, est créé un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de l’éducation, dénommé école supérieure du professorat des écoles.

« Cet établissement est administré par un conseil d’administration présidé par le recteur de région académique et dirigé par un directeur nommé par arrêté du ministre chargé de l’éducation. Le conseil d’administration comprend des représentants de l’État, des personnalités qualifiées, des représentants des collectivités territoriales ainsi que des représentants élus du personnel et des professeurs des écoles stagiaires. Il est assisté par un conseil pédagogique.

« Un décret en Conseil d’État fixe les attributions, les modalités d’organisation et de fonctionnement, ainsi que la composition du conseil d’administration de cet établissement.

« Art. L. 922-2. – Les écoles supérieures du professorat des écoles exercent les missions suivantes :

« 1° Elles organisent et assurent les actions de formation initiale des professeurs des écoles dans le cadre des orientations définies par l’État. Elles organisent des formations de préparation aux concours de recrutement de professeur des écoles. À cette fin, elles concluent des conventions avec des établissements d’enseignement supérieur afin de prévoir des rapprochements dans les domaines pédagogique et de la recherche et de faciliter les parcours de formation de leurs élèves. Les élèves inscrits dans une école supérieure du professorat des écoles sont également inscrits dans une formation proposée par l’établissement d’enseignement supérieur ayant conclu une convention avec cette école, selon des modalités précisées par décret. Cette convention définit notamment les modalités selon lesquelles un diplôme de master peut leur être délivré ;

« 2° Elles organisent des actions de formation continue des professeurs des écoles, notamment au cours des trois années qui suivent leur titularisation afin de compléter leur formation initiale ;

« 3° Elles participent à des actions de coopération internationale.

« Dans le cadre de leurs missions, elles assurent le développement et la promotion de méthodes pédagogiques innovantes. Elles forment les professeurs des écoles stagiaires à la maîtrise des outils et ressources numériques, à leur usage pédagogique ainsi qu’à la connaissance et à la compréhension des enjeux liés à l’écosystème numérique et à la sobriété numérique.

« Elles préparent les professeurs des écoles stagiaires aux enjeux du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, à ceux de l’éducation aux médias et à l’information. Elles organisent des formations de sensibilisation à l’enseignement des faits religieux, à la prévention de la radicalisation, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations, à la manipulation de l’information, à la lutte contre la diffusion de contenus haineux, au respect et à la protection de l’environnement ainsi qu’à la transition écologique, à la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, dont les élèves en situation de handicap ou atteints de pathologies chroniques et les élèves à haut potentiel, ainsi que des formations à la prévention et à la résolution non violente des conflits. Elles préparent les professeurs des écoles stagiaires aux enjeux de l’entrée dans les apprentissages et à la prise en compte de la difficulté scolaire dans le contenu des enseignements et la démarche d’apprentissage. Elles forment les professeurs des écoles stagiaires à la promotion des activités physiques et sportives comme facteurs de santé publique. Elles préparent aux enjeux d’évaluation des connaissances et des compétences des élèves et forment les professeurs des écoles stagiaires au principe de laïcité et aux modalités de son application dans les écoles ainsi que pendant toute activité liée à l’enseignement. Elles préparent les professeurs des écoles stagiaires aux enjeux du plurilinguisme et à la scolarisation des enfants allophones.

« Dans le cadre de la formation continue, elles organisent des formations sur le principe de laïcité et ses modalités d’application dans les écoles ainsi que pendant toute activité liée à l’enseignement. Elles organisent également des formations de sensibilisation à l’enseignement des faits religieux et à la prévention de la radicalisation ainsi qu’au dialogue avec les parents.

« Un arrêté du ministre chargé de l’éducation précise le cahier des charges des contenus de la formation initiale spécifique concernant la scolarisation des enfants en situation de handicap ainsi que de la formation spécifique concernant le principe de laïcité. »

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Je sais que le présent article est un peu disruptif et qu’il a créé quelques remous.

D’abord, ce texte est perfectible ; je l’ai indiqué. Je remercie d’ailleurs le rapporteur d’avoir réparé une erreur concernant l’université, qui n’était pas intentionnelle : l’article 4 n’avait en effet pas pour objet de revenir sur la mastérisation.

Mais dites-vous bien que, quand le rapporteur a corrigé les imperfections de mon texte, il l’a fait après que nous avons largement discuté ensemble.

Pourquoi me semble-t-il important de dissocier la formation des enseignants du premier degré de celle des enseignants du second degré ?

C’est parce que ce n’est pas le même métier : apprendre à lire, à écrire, à compter à des enfants est sûrement le plus beau métier du monde, mais c’est un métier très particulier, un métier que moi qui ai travaillé comme professeur pendant de longues années, je n’aurais pas su exercer.

Ces dernières années, on a regroupé de plus en plus de formations au nom d’un certain égalitarisme. Or on a constaté une sorte de corrélation entre la mise en place des IUFM puis des Inspé (instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) et la dégradation des résultats de nos élèves pour ce qui concerne le « lire, écrire, compter », les savoirs fondamentaux.

Dans les écoles normales, cher Bernard Fialaire, les maîtres, les instituteurs apprenaient avant tout le cœur de leur métier, c’est-à-dire qu’ils acquéraient les savoirs fondamentaux.

Bien sûr, il faut que leur formation ait un lien avec l’université et la recherche. Mais leur métier reste particulier.

Surtout, les ministres successifs n’ont cessé de dire, depuis la création des IUFM, qu’il leur fallait reprendre la main. Dans cet hémicycle, Jean-Michel Blanquer l’a dit haut et fort : la transformation des Espé en Inspé correspondait à une reprise en main de l’éducation nationale qui, comme tous les ministères, devait assurer la formation de ses agents.

On a changé une lettre, mais il n’est même pas sûr que, sur les campus, on ait changé les panneaux. La transformation des Espé en Inspé n’a rien changé : nous vous proposons, par cet article, de reprendre la main !

Mme le président. L’amendement n° 31, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Nous nous opposons à la séparation de la formation des enseignants du premier degré et de celle des enseignants du second degré.

Le système en vigueur dans les Inspé est peut-être imparfait, mais il a le mérite de créer une culture commune entre les enseignants du premier degré et ceux du second degré, ainsi qu’un sentiment d’appartenance à la grande famille des enseignants.

Cette proposition de loi prévoit une séparation des formations, qui se traduit par la création des écoles supérieures du professorat des écoles. Ce dispositif, destiné à former les enseignants du premier degré, n’est pas loin de s’apparenter – ce que notre collègue Max Brisson vient finalement de nous dire – à un retour aux écoles normales.

Non seulement c’est un retour en arrière – après tout, certains sont peut-être nostalgiques –, mais c’est aussi l’abandon d’une formation plus ambitieuse s’appuyant sur la recherche et les savoirs universitaires, puisque les futures écoles supérieures du professorat, contrairement aux Inspé, ne seront plus adossées à un établissement d’enseignement supérieur.

Dans le texte initial, ces écoles ne pouvaient passer des conventions qu’avec des établissements d’enseignement supérieur, dans le seul objectif de préparer aux concours de recrutement.

Notre rapporteur a trouvé une solution en demi-teinte pour tenter de remédier à ce nivellement par le bas, à la fois en permettant à ces écoles de conclure des conventions avec les établissements d’enseignement supérieur, afin de prévoir des rapprochements dans les domaines pédagogique et de la recherche, et de faciliter les parcours de formation de leurs élèves, et en prévoyant une double inscription des élèves des écoles à l’université, sans que l’obtention du master soit pour autant de droit à l’issue de leurs études.

Il conviendra, je pense, que la convention précise ce dernier point.

De notre côté, nous souhaitons le maintien d’une formation exigeante pour les futurs enseignants du premier degré et ne voulons pas de cette formation aux contours flous. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 4.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Ma chère collègue, nous ne sommes pas d’accord. Il nous paraît important de différencier la formation des enseignants du premier et du second degré. Max Brisson l’a fort bien expliqué tout à l’heure : faire cours, ce n’est pas faire classe. Il s’agit bien de deux métiers différents.

La création des écoles supérieures du professorat des écoles constitue par ailleurs un moyen pour le ministère de reprendre la main sur ses fonctionnaires. Il s’agit également d’une occasion de réfléchir à de nouvelles modalités de formation : on pourrait imaginer un concours de niveau bac+3, en licence, suivi de deux années de formation et d’une titularisation après un examen plus pratique ou plus pédagogique.

En outre, la commission a introduit dans le texte une disposition qui vise justement à renforcer le lien, que vous mentionnez, entre ces écoles et les établissements d’enseignement supérieur, à l’instar de ce qui se passe pour les classes préparatoires.

C’est pourquoi nous émettons un avis défavorable sur votre amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Le métier de professeur constitue en effet un enjeu bien connu en termes d’attractivité. Nous devons également prendre en compte l’enjeu de l’amélioration de leurs formations initiale et continue.

C’est la raison pour laquelle j’ai engagé, avec ma collègue Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, un travail, une réflexion sur le recrutement au niveau bac+3, suivi de deux années de formation solide et rémunérée, des élèves au professorat. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de développer cette idée devant vous.

Pour autant, il convient de conserver le cadre de la mastérisation, de l’obtention du master, ce que le projet de convention que vous envisagez, monsieur le sénateur Brisson, ne garantit pas. Nous avons besoin à la fois d’un recrutement au niveau bac+3 et d’une solidification, en quelque sorte, de la mastérisation.

C’est dire si, à ce stade, votre proposition manque de maturité, même si je reconnais que notre réflexion, elle, n’a pas non plus encore abouti sur le sujet.

Bien qu’il partage l’idée, la philosophie, en quelque sorte, de l’article 4, le Gouvernement émet un avis favorable sur votre amendement de suppression, madame la sénatrice Sylvie Robert, tout en étant en désaccord avec les propos que vous avez tenus.

Mme le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. La création des Espé en 2013, à la suite de la suppression des IUFM sous le quinquennat précédent, avait pour objet d’associer la formation professionnalisante sur le terrain et la formation universitaire. Comme l’a dit Sylvie Robert, la formation délivrée dans les Espé permettait aux professeurs des écoles et aux enseignants de l’enseignement secondaire de bénéficier de la recherche universitaire et de s’yadosser.

Malheureusement, on constate aujourd’hui que le master, même si c’est une bonne chose pour la profession, prive l’éducation nationale d’un vivier, celui des écoles normales. J’ai connu ces écoles pour y avoir été recruté à la fin des années 1960 : elles accueillaient les enfants des classes populaires.

Aujourd’hui, il est difficile de recruter les jeunes issus des familles les plus modestes au niveau du master, car les conditions pour y accéder diffèrent de celles auxquelles on recrutait les élèves à l’époque. Ces derniers étaient formés durant trois ans dans une école normale, avant de suivre pendant trois nouvelles années une formation professionnelle.

Le mieux n’est pas toujours le plus simple, et le plus simple n’est pas toujours le plus profitable en matière de formation.

La formation dans les Inspé souffre d’un manque de pédagogie : les élèves au professorat demandent à être mieux formés dans ce domaine, le plus difficile à conquérir pour les nouveaux enseignants. Ces derniers auront toujours la possibilité d’acquérir des savoirs fondamentaux et livresques, mais pas celle de maîtriser les pratiques pédagogiques.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Monsieur le ministre, j’ai apprécié votre intervention, ainsi que vos propositions. On avance sur le sujet, et je pense que l’on partage à la fois le constat de difficultés communes et la volonté de trouver des solutions.

Je suis un peu chagriné d’avoir entendu Sylvie Robert parler tout à l’heure de nivellement par le bas en évoquant ma proposition de loi. Je ne pense pas que les instituteurs formés dans les écoles normales avaient ce sentiment, tant s’en faut.

L’idée d’avancer le recrutement et de différencier les formations va certainement dans le bon sens.

Je veux bien croire que le lien entre les écoles de formation des enseignants et la recherche soit unanimement considéré comme la principale raison de l’appariement de ces écoles avec l’université. Mais combien de professeurs d’université enseignent dans les Inspé ? Combien de patrons de laboratoires consacrent du temps aux Inspé ? Très peu ! Sur le papier, la relation existe. Mais, dans la réalité, on se paie de mots, car ce lien est relativement ténu.

Nous avançons sur le sujet, monsieur le ministre, et nous devrions trouver un accord qui conduira le Sénat à vous soutenir.

Cela étant, je tenais à cet article, parce que je constate que l’une des mesures phares de la loi de Jean-Michel Blanquer en matière de formation, qui prévoit que les professeurs des écoles enseignant vraiment face à des élèves assurent la formation dans les Inspé, n’est pas appliquée trois ans après sa promulgation : le seuil de 30 %, qui a été fixé dans la loi, n’est toujours pas atteint.

Il existe aujourd’hui une résistance au nom de l’autonomie des universités : vous n’avez plus la main, et on ne vous permet pas d’engager un nombre suffisant de praticiens pour offrir aux futurs professeurs des écoles la formation pratique dont ils ont besoin.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 74 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 5 et 9

Remplacer les mots :

supérieures du professorat des écoles

par les mots :

normales primaires

II. – Alinéas 6 et 10

Remplacer les mots :

supérieure du professorat des écoles

par les mots :

normale primaire

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Il faut revenir à des choses simples : on le voit bien, une formation particulière est nécessaire pour un type d’enseignement particulier, celui dans le primaire.

Je propose d’appeler les choses par leur nom : l’école supérieure du professorat des écoles devrait s’appeler « école normale ». Contrairement à ce que j’ai entendu, il ne s’agit pas d’un retour en arrière.

J’ai moi-même commencé mes études supérieures dans une unité de formation et de recherche (UFR), sous la responsabilité d’un directeur, avant que cela ne redevienne une faculté dirigée par un doyen : je ne suis pas sûr que l’évolution de cette dénomination ait constitué une régression très importante.

Tout au contraire, un changement de nom apporterait davantage de clarté, ce dont la formation a besoin aujourd’hui.

La formation des professeurs a également besoin de davantage d’efficacité et de repères. Que les étudiants qui entament leur cursus dans ces écoles normales – je souhaite vraiment qu’on les appelle ainsi – puissent valider, après des formations supplémentaires, un diplôme de niveau master, c’est important, mais ne perdons pas de vue l’essentiel : la formation de ces maîtres dont notre école publique a besoin.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Il nous semble préférable de continuer à les qualifier d’« écoles supérieures du professorat des écoles », même si chacun connaît toute la philosophie qui vous empreint, mon cher collègue. Du reste, nous ne les appellerons pas non plus « écoles supérieures Max Brisson »… (Sourires.)

L’appellation retenue dans le texte permet de redonner leurs lettres de noblesse à ces écoles. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Par cohérence avec la position que j’ai défendue sur cet article 4, j’émets un avis défavorable sur le présent amendement, tout en réitérant ma proposition de travailler plus avant pour améliorer l’articulation entre recrutement au niveau bac+3, mastérisation et contrôle plus poussé de l’éducation nationale sur la formation des professeurs des écoles.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 74 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Mme le président. Mes chers collègues, il est bientôt minuit.

Je vous propose de continuer l’examen de la présente proposition de loi jusqu’à une heure trente.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 5

Après l’article 4

Mme le président. L’amendement n° 60, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant l’opportunité d’ouvrir un dispositif de pré-recrutement dès la licence, afin de faire bénéficier les élèves-professeurs d’une formation de deux ans comme fonctionnaire-stagiaire, assortie d’une obligation de dix ans de service au sein de l’éducation nationale.

La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Si la situation n’est pas nouvelle, l’importance du nombre des postes vacants à la rentrée 2022 et l’absence d’anticipation de la part du Gouvernement provoquent dans les familles, parmi les élèves, mais aussi au sein des équipes pédagogiques, de profondes inquiétudes.

Les chiffres sont éloquents : à la rentrée 2022, plus de 4 000 postes dans l’enseignement secondaire et plus de 1 800 postes dans l’enseignement primaire restaient à pourvoir. Environ 8 % des postes dans le secondaire sont actuellement vacants, alors même que 7 900 postes d’enseignants dans le second degré ont été supprimés durant le précédent quinquennat, ce qui correspond en proportion à la fermeture de 175 collèges.

Cette pénurie s’explique par le manque de candidates et de candidats aux concours du professorat. Selon les chiffres du ministère de l’éducation nationale, le taux de postes pourvus dans le premier degré atteint 83 % en 2022 au niveau national, alors qu’il était de 94 % en 2021. Dans le second degré, ce taux s’élève à 83 % cette année, alors qu’il était de 94 % en 2021.

Afin de répondre aux besoins les plus immédiats, nos efforts doivent d’urgence porter sur l’embauche de 30 000 enseignants. Cela implique de mettre en place un prérecrutement des candidats en licence, qui auraient le statut d’élèves fonctionnaires et seraient titularisés au niveau bac+5. Ils recevraient ainsi une formation complète à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Il est défavorable, conformément à la position constante du Sénat sur les demandes de rapport.

Toutefois, monsieur le ministre, nous prendrions connaissance avec beaucoup d’intérêt de tout document administratif que vous pourriez nous transmettre concernant le prérecrutement et un éventuel concours à bac+3.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Il est défavorable, non parce que le recrutement à bac+3 pour le professorat des écoles nous paraît être une mauvaise idée, bien au contraire – j’ai précédemment expliqué pourquoi –, mais parce que nous avons besoin d’établir un calendrier des modalités de travail sur ces questions, en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur.

Le présent amendement n’étant pour le moment pas compatible avec les modalités de travail que nous avons retenues, j’en demande le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 60.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement  n° 60
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 6

Article 5

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° À l’intitulé du titre II du livre VII ainsi qu’aux intitulés des chapitres Ier et II du même titre II, après le mot : « professorat », sont insérés les mots : « du second degré » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 721-1, après le mot : « professorat », sont insérés les mots : « du second degré » ;

3° L’article L. 721-2 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « professorat », sont insérés les mots : « du second degré » ;

b) Au 2°, les mots : « des premier et second degrés » sont remplacés par les mots : « du second degré » ;

c) La quatrième phrase du neuvième alinéa est supprimée ;

d) À la première phrase du dixième alinéa, les mots : « les écoles, » sont supprimés ;

4° Au premier alinéa du I et à la première phrase du V de l’article L. 721-3, après le mot : « professorat », sont insérés les mots : « du second degré ».

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 32 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 91 rectifié est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 32.

Mme Sylvie Robert. Cet amendement tire la conséquence de l’amendement de suppression que nous avons présenté à l’article 4.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 91 rectifié.

Mme Monique de Marco. Comme nous l’avons dit lors de l’examen de l’article 4, nous ne sommes pas favorables à une distinction entre la formation des futurs enseignants du primaire et celle des enseignants du secondaire, entre l’enseignement des Espé et celui des Inspé.

Nous considérons, au contraire, que le continuum de formation est de nature à favoriser l’évolution de carrière d’enseignants du primaire souhaitant évoluer vers le secondaire, ou inversement.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Par cohérence avec sa position défavorable sur l’article 4, le Gouvernement est favorable à ces amendements identiques de suppression de l’article 5.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 32 et 91 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. L’amendement n° 33, présenté par Mmes S. Robert et Monier, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’article L. 721-2 est ainsi modifié :

a) À la dernière phrase du huitième alinéa, après les mots : « écosystème numérique », sont insérés les mots : «, à la protection des données personnelles » ;

b) À la dernière phrase du neuvième alinéa, après le mot : « laïcité », sont insérés les mots : « , aux méthodes pédagogiques qui favorisent sa compréhension par les élèves » ;

c) Au dixième alinéa, après le mot : « laïcité », sont insérés les mots : « , sur les méthodes pédagogiques qui favorisent sa compréhension par les élèves » ;

2° Le cinquième alinéa de l’article L. 721-3 est complété par les mots : « sur proposition du conseil de l’école ».

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Plutôt que de mettre fin à la culture commune de formation des enseignants du premier et du second degrés – on ne va pas refaire le débat ! –, nous proposons plusieurs modifications pour l’améliorer et pour être constructifs en la matière.

Premièrement, au regard du développement rapide des outils numériques et de l’intelligence artificielle – ChatGPT, par exemple –, nous souhaitons sensibiliser les enseignants à la protection des données personnelles. Les risques en la matière étant évidents et exponentiels, il est essentiel de les expliquer et de les faire comprendre aux élèves. La prise en compte de cet enjeu est aussi une manière d’agir pour favoriser un usage raisonné des réseaux sociaux par ces derniers.

Deuxièmement, pour renforcer la formation au principe de laïcité, qui est fondamental, il est nécessaire de lui conférer une coloration plus concrète et opérationnelle. Elle ne saurait se résumer à des injonctions peu mobilisables en cas de difficultés d’enseignement en classe. C’est pourquoi il serait utile de la compléter par des modules relatifs aux méthodes pédagogiques favorisant la compréhension du principe de laïcité par les élèves.

Troisièmement, nous souhaitons en revenir à la situation antérieure à 2019, en décentralisant de nouveau l’initiative en matière de nomination des directrices et des directeurs d’Inspé. Pour le dire plus clairement, il s’agit de faire aujourd’hui davantage confiance aux équipes qui administrent au quotidien ces instituts via le conseil de l’école, plutôt que de centraliser ce pouvoir d’initiative, comme l’avait prévu votre prédécesseur, monsieur le ministre.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Nous souhaitons, pour notre part, que le ministère ait la main sur la nomination du directeur de l’Inspé.

Pour cette raison, l’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis, pour le même motif.

Pour ce qui concerne la protection des données personnelles, j’ajoute que les textes en vigueur prévoient déjà une formation à la maîtrise des outils et ressources numériques. Ces précisions me semblent suffisantes à ce stade.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 33.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 5.

(Larticle 5 est adopté.)

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 7

Article 6

Après l’article L. 311-3-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 311-3-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 311-3-2. – Un service public de soutien scolaire contribue à la réussite des élèves sur tout le territoire de la République. Le ministre chargé de l’éducation nationale en assure l’organisation. Ce service public s’appuie notamment sur des professeurs volontaires, sur la réserve éducative, sur des fondations et sur des associations.

« Les conditions prévues à l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles s’appliquent pour la participation des personnes à ce service public. Elles sont également tenues par l’obligation de neutralité.

« Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. »

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. Nous sommes très favorables à la création d’un service public de soutien scolaire.

Un tel service mettrait fin au creusement des inégalités entre les enfants dont les parents ont les moyens de financer un soutien par des petits cours ou via l’adhésion à une académie privée, et ceux, souvent les plus en difficulté, dont les parents n’ont ni les moyens matériels ni les compétences pour les aider dans leurs apprentissages. Encore faut-il que ce soutien soit bien effectué, et donc bien organisé.

La solution prévue dans cet article, complété lors de l’examen du texte en commission, ne nous satisfait que partiellement. Nous aurions souhaité mieux l’encadrer, mais nos amendements sur le sujet ont malheureusement été déclarés irrecevables.

Nous sommes bien évidemment d’accord pour que des enseignants fassent du soutien : ils ont toutes les compétences requises pour le faire. Nous considérons d’ailleurs que, pour le second degré, le soutien devrait rester de la compétence exclusive des enseignants, compte tenu du niveau de spécialité exigé. Mais selon quelles modalités et sur quels horaires ?

Nous ne souscrivons pas à la logique selon laquelle les enseignants devraient effectuer des tâches supplémentaires en dehors de leur service déjà existant. Le soutien doit donc être inclus dans leur service.

Les fondations, ajoutées par le rapporteur à la longue liste des personnes habilitées à assurer ce service public de soutien, représentent pour notre part une ligne rouge. Pourquoi intégrer des structures de ce type, d’ailleurs souvent adossées à de grandes multinationales pour lesquelles il s’agit avant tout d’un levier de défiscalisation ?

Quant à la réserve éducative, nous sommes perplexes… Il existe en effet actuellement une réserve citoyenne de l’éducation nationale, qui semble être tombée en désuétude. Pourquoi ne pas la réactiver, au lieu d’en créer une nouvelle ?

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.

M. Julien Bargeton. J’ai voté contre les articles précédents, sur lesquels je n’ai pas pris la parole pour ne pas ralentir les débats. En revanche, le présent article me paraît intéressant. J’avais moi-même souhaité, en lien avec le Gouvernement, déposer un amendement prévoyant un accompagnement gratuit d’aide aux devoirs pendant toute la scolarité.

Le dispositif Devoirs faits, je l’ai dit lors de la discussion générale, fonctionne bien. Énormément d’élèves sont concernés : plus de 700 000, soit 20 % environ d’entre eux. Ce type de dispositif nous paraît donc utile.

Nous voulons bien nous inscrire dans une réflexion sur cet article, mais à condition que l’amendement du Gouvernement reçoive un accueil favorable, ce qui nous permettra d’avancer sur ce point, lequel est peut-être le plus consensuel de cette proposition de loi.

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, sur l’article.

Mme Monique de Marco. La rédaction de l’article 6, qui prévoit la création d’un service public de soutien scolaire, est extrêmement floue. Aussi avions-nous déposé des amendements destinés à clarifier son mode de financement. Finalement, les irrecevabilités financières prononcées contre nos amendements nous éclairent…

Cet article prévoit que des enseignants participent au service public de soutien scolaire, sans que les conditions de leur participation soient précisées. Bien que gagée, la proposition que nous avions faite en vue d’une rémunération a été déclarée irrecevable. Cela prouve qu’il n’est peut-être pas question d’une telle rémunération !

Mme le président. L’amendement n° 61, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Cette initiative s’inscrit dans l’idéologie néolibérale des territoires apprenants, qui décrète que l’on peut apprendre et se former partout ailleurs qu’à l’école, ce qui participe à diluer l’importance d’un service public d’éducation de qualité. Il s’agit ni plus ni moins d’une délégation du service public de l’éducation à des acteurs privés.

De plus, faire peser le fonctionnement d’un tel service sur des associations nous expose au risque d’une fragmentation de la qualité de celui-ci en fonction des territoires, les tissus associatifs n’étant pas les mêmes selon que l’on se trouve en zone urbaine ou rurale.

Les moyens accordés aux dispositifs d’aide hors temps scolaire, qui ne sont pas destinés à l’ensemble des élèves, ne sont pas une solution. Lors de la mise en place des temps d’activité périscolaire (TAP), des différences sont très vite apparues en fonction des moyens des collectivités, mais aussi de la ressource des personnels intervenants.

Néanmoins, nous sommes conscients que la création d’un tel service public de soutien est une demande des usagers pour pallier les difficultés scolaires. Pour cela, des solutions existent ; elles passent, selon nous, par un renforcement des moyens de l’institution scolaire.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Cet article prend justement en compte une réalité, celle des associations et des fondations qui interviennent pour assurer du soutien périscolaire ou extrascolaire.

L’article 6 permet surtout de mettre en cohérence l’ensemble des actions et de garantir un accès au soutien scolaire, quels que soient les territoires.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Des dispositifs au service de la réussite des élèves existent déjà : les stages de réussite, les vacances apprenantes, le dispositif Devoirs faits qui a été généralisé aux classes de sixième et rendu obligatoire depuis la dernière rentrée.

Toutefois, je suis favorable à ce que la loi prévoie que tout élève puisse bénéficier d’un dispositif de soutien aux devoirs sur le temps de scolarité obligatoire, comme le prévoit l’amendement suivant n° 94 présenté par le Gouvernement. Cette disposition constituerait la consécration d’un droit ouvert à nos élèves.

Je demande donc le retrait du présent amendement au profit de celui qu’a déposé le Gouvernement.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 61.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 94, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après l’article L. 311-3-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 311-3-… ainsi rédigé :

« Art. L. 311-3-…. – Un accompagnement aux devoirs est proposé aux élèves tout au long de la scolarité obligatoire. »

La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre. Défendu.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Nous préférons la rédaction de l’article 6 proposée par la commission. En effet, soutien scolaire et aide au devoir ne se recoupent pas totalement.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 94.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 38, présenté par Mme S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Au détour d’un amendement adopté en commission, une phrase, qui passerait presque inaperçue, tend à revenir sur le droit en vigueur en soumettant des intervenants occasionnels du soutien scolaire à une obligation de neutralité.

La jurisprudence administrative est extrêmement claire sur ce point : les collaborateurs occasionnels du service public – nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 10 – ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité, puisque celle-ci ne s’applique qu’aux agents du service public, qu’ils soient titulaires ou contractuels.

Dès lors, alors même que vous souhaitez faire entrer dans l’exercice du soutien scolaire des membres d’associations, de fondations ou d’une réserve éducative dont la nature des membres reste à définir, on ne voit pas comment une obligation de neutralité pourrait leur être opposée pour quelques heures de collaboration hebdomadaire.

Si vous aviez réservé l’exercice de ce soutien scolaire, comme nous vous l’avions proposé préalablement, aux seuls professeurs, la question de la neutralité ne se poserait pas.

Soit le service public est assuré par des personnels de l’éducation nationale et cette question n’est pas un sujet, soit vous le confiez à toutes sortes de collaborateurs occasionnels et il ne saurait être question de leur imposer une telle obligation, au risque – vous le savez – de vous attirer les foudres du Conseil constitutionnel.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. C’est justement parce que nous créons un service public qu’il faut prévoir une obligation de neutralité.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 38.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 est adopté.)

Article 6
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 7 bis (nouveau)

Article 7

I. – Après l’article L. 911-6-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 911-6-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 911-6-2. – Est instituée une réserve éducative dont les membres sont chargés de contribuer au service de soutien scolaire gratuit dans les écoles et les établissements d’enseignement du second degré.

« Les conditions de recrutement, de formation et d’intervention des membres de la réserve éducative sont fixées par voie réglementaire.

« Seules les personnes majeures peuvent être admises dans la réserve éducative. Elles sont titulaires du baccalauréat.

« La réserve éducative fait partie de la réserve civique prévue par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Elle est régie par le code de l’éducation et, pour autant qu’ils n’y sont pas contraires, par les articles 1er à 5 et 7 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 précitée. »

II. – Après le 4° de l’article 1er de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, il est inséré un 4° bis ainsi rédigé :

« 4° bis La réserve éducative mentionnée à l’article L. 911-6-2 du même code ; ».

Mme le président. L’amendement n° 63, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Nous souhaitons supprimer l’article 7 relatif à la réserve éducative.

Le soutien scolaire et l’accompagnement des enfants le plus en difficulté sont bien sûr un sujet, mais nous pensons, pour notre part, qu’il faut améliorer ces dispositifs dans le cadre de l’éducation nationale. Or nous assistons à la disparition et au retrait progressif des mesures visant spécifiquement à atteindre cet objectif. Je pense notamment aux réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), qui sont de plus en plus démunis, pour ne pas dire inexistants, et au dispositif « Plus de maîtres que de classes ».

Peut-on imaginer que l’on va remplacer tous ces dispositifs par une réserve éducative dont on ne connaît pas vraiment la typologie des membres, même si quelques indications ont été données ? Ainsi, je ne suis pas certaine, dans la période de crise du recrutement que nous connaissons, que beaucoup d’enseignants soient volontaires pour rejoindre cette réserve éducative – et je ne parle pas des associations qui sont déjà fortement mises à contribution pour répondre à nombre de tâches qui ne sont pas exécutées.

Votre projet risque de peser lourd sur les collectivités locales, puisqu’il faudra accorder à cette réserve des moyens et des locaux. Il nous paraît donc être une très mauvaise idée.

Peut-être ai-je été inattentive en cette heure tardive, mais il me semble qu’avait été adopté en commission un amendement visant à prévoir un certain nombre d’exigences touchant à la réserve éducative. Or je n’en retrouve pas trace dans le texte qui nous est soumis. Je voudrais comprendre pourquoi.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. La réserve éducative est l’un des piliers sur lesquels repose le service public de soutien scolaire, et nous avons prévu en commission les conditions de probité et de diplôme y afférentes.

Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même si nous comprenons que l’on veuille mobiliser des moyens pour assurer le travail de soutien scolaire, l’article 7 est en l’état trop imprécis pour être opérationnel.

Par ailleurs, je rappelle qu’il revient en premier lieu aux professeurs d’assurer cette mission qui s’inscrit pleinement dans l’accompagnement pédagogique qu’ils assurent déjà.

Je suis donc favorable à cet amendement de suppression.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 63.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 39, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 911-6-1 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Avant le 31 décembre 2023, un rapport est remis par le Gouvernement au Parlement sur la mobilisation de la réserve citoyenne de l’éducation nationale, le nombre de personnes y participant et ses modalités d’intervention. Il précise dans quelles conditions cette réserve pourrait contribuer au service public de soutien scolaire. »

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. Il est ressorti de nos auditions que la réserve citoyenne de l’éducation nationale, mise en place par la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017, semble ne pas être utilisée.

Nous demandons donc un rapport de bilan sur son utilisation, qui constituerait un préalable à la mise en œuvre de cette réserve pour les besoins du service public de soutien scolaire. La réserve existant déjà, on comprend mal l’intérêt de créer un nouveau dispositif.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. La commission est défavorable à toute demande de rapport.

En revanche, monsieur le ministre, nous aimerions obtenir ultérieurement des informations s’agissant de cette réserve citoyenne : nombre d’inscrits, profil de ses membres et recours qu’y font les établissements.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis.

Nous aurons l’occasion, avec M. le rapporteur, de prolonger nos échanges sur la réserve citoyenne.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 39.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 7.

(Larticle 7 est adopté.)

Article 7
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 7 ter (nouveau)

Article 7 bis (nouveau)

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le 1° de l’article L. 721-2 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans ce cadre, ils permettent aux étudiants qui le souhaitent l’acquisition de compétences bivalentes ; »

2° L’article L. 911-2 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il prévoit des mesures favorisant le recrutement, sur la base du volontariat, d’enseignants bivalents. » ;

3° La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 912-1-2 est complétée par les mots : « permettant notamment l’acquisition de compétences bivalentes ».

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Puisque j’avais proposé en commission l’amendement qui, une fois adopté, est devenu article 7 bis, je voudrais expliquer pourquoi je souhaite permettre aux enseignants volontaires de bénéficier d’une bivalence.

Je dois rendre à César ce qui est à César, et citer parmi mes inspirateurs un jeune député du Doubs, Jacques Grosperrin (Sourires.), qui avait commis il y a quelques années un rapport sur la bivalence.

M. Pierre Ouzoulias. Il est très bivalent ! (Nouveaux sourires.)

M. Olivier Paccaud. La bivalence existe – et je ne dis pas « existait ».

Nous allons examiner des amendements de suppression identiques, fondés sur le refus de rétablir un corps s’apparentant à celui des anciens professeurs d’enseignement général de collège (PEGC). Or les PEGC n’existent plus et il ne s’agit pas de les ressusciter.

Le corps des PEGC fonctionnait bien… Mais, en l’occurrence, la bivalence existe et elle marche bien. Par exemple, un professeur enseigne deux matières différentes, comme l’histoire et la géographie.

L’enseignement par le même professeur de l’histoire et de la géographie est une spécificité française et républicaine depuis cent cinquante ans. L’Espagne est le seul autre pays à marier ces deux matières.

La bivalence, qui fonctionne aussi pour la physique et la chimie, ou pour le français et le latin, ouvre des horizons pour certains enseignants qui ne veulent pas se limiter à une seule matière. Sur le plan de la gestion des ressources humaines, elle peut aussi permettre à certains enseignants de ne pas se partager entre deux, voire trois établissements. Elle facilite aussi de faciliter la gestion des emplois du temps de l’établissement scolaire, notamment lorsque des professeurs manquent.

Monsieur le ministre, les mots « transversalité » et « interdisciplinarité » sont très présents dans les programmes. Autant fonder cette interdisciplinarité sur des professeurs qui maîtrisent deux matières. Voilà pourquoi la bivalence peut être particulièrement profitable et rimer avec excellence.

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 51 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 62 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Lucien Stanzione, pour présenter l’amendement n° 51.

M. Lucien Stanzione. L’article 7 bis ouvre la possibilité de recruter des enseignants bivalents et de prévoir des formations en conséquence.

L’une des modifications prévues concerne l’article L. 911-2 du code de l’éducation, qui dispose : « Un plan de recrutement des personnels est publié, chaque année, par le ministre chargé de l’éducation. Il couvre une période de cinq ans et est révisable annuellement. »

Le nouveau dispositif qui nous est proposé prévoit des mesures favorisant le recrutement, sur la base du volontariat, d’enseignants bivalents. Il conviendra donc de favoriser le recrutement des bivalents : il faudra être volontaire pour augmenter les chances de réussite, mais le volontariat ne protège qu’à la marge…

Je rappelle que le corps des PEGC a été créé en 1969 dans un contexte très différent : massification rapide et prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 16 ans ; transformation des cours complémentaires en collèges d’enseignement général ; présence au sein du second degré d’enseignants issus du premier degré et dotés d’une formation polyvalente. L’enseignement supérieur, dans son format de cette époque, ne pouvait pas produire suffisamment de licenciés pour répondre à ces nouveaux besoins de l’éducation nationale.

L’évolution de ce corps a démontré que ces personnels aspiraient à la monovalence et qu’ils avaient obtenu in fine de n’enseigner que deux disciplines voisines, dont l’une était dominante. Certains enseignaient même, statutairement, une seule matière, ce qui était déjà le cas en pratique pour nombre d’entre eux.

Le progrès, en termes de démocratisation du second degré, de l’accès à l’enseignement supérieur a rendu caduc le recours à ces personnels. La référence des compétences bivalentes ne correspond plus à aucune réalité actuelle. On peut acquérir des compétences dans plusieurs disciplines,…

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Lucien Stanzione. … mais la formation universitaire permettant de former à des compétences bivalentes…

Mme le président. Vous avez épuisé votre temps de parole.

La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 62.

Mme Céline Brulin. Nous connaissons actuellement une grave crise de recrutement. Ceux qui ont passé récemment les concours ont pu constater une légère amélioration, mais la tendance est loin d’être inversée. Dans ce contexte, je ne suis pas certaine que le fait d’en demander toujours plus aux enseignants permettra de faire face à cette crise.

Au travers du précédent article, vous leur demandez de rejoindre une réserve éducative pour faire du soutien scolaire. Pour votre part, monsieur le ministre, vous souhaitez qu’ils assument des missions supplémentaires, en échange d’une petite augmentation de salaire. Or on a déjà vu le nombre d’heures supplémentaires obligatoires croître, justement pour pallier le manque d’enseignants.

Il faut le savoir, les enseignants travaillent en moyenne dans notre pays 43 heures par semaine. À ce jour, il n’a pas été démontré que la bivalence était un levier de réussite pour les élèves.

Pour cette raison, nous demandons la suppression de cet article.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Olivier Paccaud a fort bien expliqué l’intérêt de cet article.

L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Il convient de distinguer entre deux choses – je m’adresse là au sénateur Paccaud.

Tout d’abord, le développement de concours bivalents dans le second degré est un chantier qui pose de nombreux problèmes en termes tant de cursus universitaires que d’épreuves de concours, et nous n’y sommes pas favorables.

Par ailleurs, la réglementation actuelle permet déjà l’intervention d’un enseignant dans le cadre d’un complément de service dans une autre discipline que celle de son recrutement. Cette solution, souple en termes de gestion, offre beaucoup d’avantages et permet de répondre à certains besoins. J’y suis favorable.

Par conséquent, j’émets un avis favorable sur ces amendements de suppression, tout en partageant les propos qui ont été tenus sur l’intérêt de la bivalence.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. Ma chère collègue Céline Brulin a laissé entendre que la bivalence serait une obligation. Pas du tout : elle est fondée sur le volontariat ! Je pense que des professeurs seraient heureux de pouvoir renforcer certaines de leurs compétences. Un professeur de lettres qui accroîtrait ses connaissances en histoire, par exemple, serait un professeur encore plus formidable…

Une Axonaise ici présente pourrait vous dire que l’on comprend beaucoup mieux les Fables de La Fontaine à la lueur de la connaissance du Grand Siècle et de l’absolutisme louis-quatorzien. N’empêchons pas ceux qui veulent enrichir leur bagage théorique de le faire ; ce sont leurs élèves qui en bénéficieront !

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. L’amendement Paccaud, devenu article 7 bis, n’a pas besoin que je vole à son secours. Je souhaite toutefois rappeler quelques points sur la bivalence.

Ce débat n’est pas nouveau, puisqu’il date de 2005 : la bivalence avait été instaurée par Gilles de Robien, alors ministre de l’éducation, puis suspendue par un gouvernement de droite, lorsque Nicolas Sarkozy était président de la République.

Il s’agissait tout simplement non pas de contraindre, mais de permettre à un enseignant, sur la base du volontariat, de passer une mention complémentaire, qui s’ajoute à sa discipline principale. C’est un choix qui lui appartient, pour des raisons intellectuelles ou pédagogiques, comme l’a dit Olivier Paccaud, mais aussi pragmatiques lorsqu’il préfère travailler dans un seul établissement, faire partie d’une communauté pédagogique, en enseignant deux matières – français et anglais ; mathématiques et physique. C’est déjà le cas dans l’enseignement privé, et l’on ne peut pas dire que les résultats y soient moins bons que dans l’enseignement public à cause de la bivalence…

Ce système permet une meilleure gestion des ressources humaines, quand il correspond au souhait de l’enseignant. Encore une fois, il s’agit d’un acte volontaire qui lui permet de percevoir une rémunération complémentaire, et de voir reconnaître – en l’occurrence, une reconnaissance pécuniaire – son métier d’enseignant. C’est une logique gagnant-gagnant !

Seule la FSU (Fédération syndicale unitaire) s’était opposée à l’époque à cette mesure. Je retrouve d’ailleurs dans les propos de certains de nos collègues des arguments purement syndicaux. Or nous sommes ici au Parlement ! Ils ont peur, si les enseignants sont trop polyvalents et ont trop de compétences, qu’on leur fasse faire tout et n’importe quoi… Ce n’est pas vrai !

Il s’agit de permettre à ceux qui ont des compétences de les exprimer et d’obtenir leur reconnaissance au travers d’une mention complémentaire, c’est-à-dire un diplôme, et d’une rémunération.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Je salue cette « bivalence Paccaud » !

Pour compléter les propos de Cédric Vial, ce dispositif réglerait bien des problèmes dans les tout petits collèges. Aujourd’hui, en effet, des professeurs passent beaucoup de temps dans leur voiture pour se rendre d’un collège à l’autre, alors qu’ils ont souvent une formation complémentaire, une licence, qui leur permettrait d’enseigner deux disciplines proches.

Si nous voulons que les professeurs se sentent bien, en particulier dans les territoires ruraux dont nous reparlerons lors de l’examen des articles 8 et 9, qu’il y ait moins de turn-over et que les jeunes professeurs, à peine arrivés dans leur nouveau poste, n’aient pas pour unique envie de repartir, il faut donc leur proposer des perspectives intéressantes ; la bivalence en fait partie.

Alors, monsieur le ministre, vous nous dites que cela existe déjà, mais c’est la formule habituelle du 110, rue de Grenelle ! Chaque fois qu’une proposition nouvelle est faite, on nous répond soit que c’est impossible soit que cela a déjà été fait. L’amendement d’Olivier Paccaud qui a donné lieu à cet article permet de préciser davantage les choses, en faisant de la bivalence – sur la base du volontariat, comme il l’a bien dit – un moyen de construire un métier quelque peu différent : cela serait fort utile, en particulier dans les collèges ruraux.

Mme le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour explication de vote.

Mme Micheline Jacques. Je rejoins parfaitement le propos de mon collègue Max Brisson et voterai cet article. Je pense à mon petit territoire de 21 kilomètres carrés qui n’a qu’un seul collège : les enseignants sont parfois à cheval, si vous me passez l’expression, entre l’île de Saint-Martin et celle de Saint-Barthélemy. La bivalence serait la bienvenue chez nous pour pérenniser les équipes et diminuer le bilan carbone.

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre. J’apporterai simplement une précision. Je suis d’accord avec les propos qui ont été tenus. Le décret de 2014 sur les obligations de service des enseignants permet non pas de créer un corps d’enseignants bivalents, mais d’offrir – pour les raisons que vous avez indiquées, monsieur le sénateur Brisson – aux enseignants la possibilité, en particulier dans les petits collèges ruraux, d’enseigner, s’ils le souhaitent, deux disciplines.

J’insiste sur le fait que cette possibilité existe déjà. Nous devons certainement insister sur ce point auprès des professeurs, mais il n’est en tout cas pas nécessaire de prévoir un article de loi.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 51 et 62.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 7 bis.

(Larticle 7 bis est adopté.)

Article 7 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 8

Article 7 ter (nouveau)

Après le cinquième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’égalité des chances passe par le respect de la personne des élèves et des étudiants. » – (Adopté.)

Article 7 ter (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 8 - Amendement n° 42

Article 8

Après le sixième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les territoires ruraux éducatifs à besoins particuliers, définis par les recteurs d’académie, bénéficient de moyens et de dispositifs spécifiques. »

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Je suis très heureux de la rédaction de cet article issue des travaux du rapporteur et de la commission.

En deux lignes, tout est dit ! Oui, il y a des territoires ruraux qui ont des besoins éducatifs particuliers, des territoires dans lesquels le turn-over des professeurs est important, des territoires marqués par des résultats scolaires qui témoignent de l’enclavement, de l’éloignement et parfois d’une réelle pauvreté, des territoires touchés par des fermetures de classes et d’écoles. Stéphane Sautarel rappelait combien une fermeture de classe ou d’école pouvait être dramatique, compte tenu de l’éloignement de l’école dans laquelle l’élève est dorénavant obligé d’aller.

Comme l’avait indiqué le président Lafon dans son rapport d’information rédigé avec Jean-Yves Roux, il est nécessaire que l’éducation nationale ait une approche différenciée. Vous me répondrez une fois encore, monsieur le ministre, que cela a déjà été fait, avec l’expérimentation des territoires éducatifs ruraux.

Au travers des articles 8 et 9 de ce texte, nous voulons envoyer un message, celui de la nécessité d’une approche différenciée, d’un regard particulier. L’éducation nationale doit enfin prendre en compte la ruralité dans sa diversité, ce qui nécessite qu’elle adopte une approche particulière, comme dans les territoires de l’éducation prioritaire – elle sait le faire !

Nous avons évoqué la question de la pluriannualité de la carte scolaire, du dialogue avec les élus locaux. Je pense que, dans les territoires ruraux, ces questions ont une résonance particulière : j’y insiste, c’est le sens des articles 8 et 9.

Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. Au travers de l’article 8, c’est une volonté de justice territoriale, mais aussi d’équité professionnelle et d’efficacité éducative qui s’exprime.

Je prendrai un exemple, monsieur le ministre : dans mon département de l’Oise, une petite école à Janville, à huit kilomètres de Compiègne, comprend deux classes pour un total de cinquante-six élèves, avec une classe quintuple du CP au CM2 de vingt-huit élèves cette année – trente l’année prochaine. Et on n’a pas prévu d’ouverture de classe ! À huit kilomètres de là, une école en REP+ a des classes dédoublées, avec douze élèves en CP.

L’article 8 permet de donner plus de moyens, pour une meilleure justice territoriale. Nous n’avons pas pu faire figurer une mesure dans ce texte parce qu’elle relève du domaine réglementaire, et non législatif : il s’agit de la prime de multiples niveaux. Cette mesure est attendue, monsieur le ministre : vous pouvez, vous devez, le faire !

Vous avez parlé de ce qui existe. Dans le secondaire, par exemple, il existe une prime pour les effectifs lourds – plus de trente-cinq élèves. Là, je parle de trente élèves sur cinq niveaux, et le professeur n’a rien de plus ! Et, juste à côté, en zone REP+, avec douze élèves, le professeur est beaucoup mieux payé pour un travail moins important, qui nécessite moins de préparation. Il faut tenir compte de ces différences. C’est ce que fait cet article 8, mais il faudra que vous alliez plus loin, et vous savez ce qu’il faut faire !

Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione, sur l’article.

M. Lucien Stanzione. Nous sommes toutes et tous d’accord ici sur le fait que les élèves de nos territoires ruraux, qui ont trop longtemps été dans l’angle mort de nos politiques publiques, méritent une attention spécifique.

Au sein de la délégation aux droits des femmes, nous avions ainsi pointé dans notre rapport, intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de légalité, les freins auxquels sont confrontés les jeunes vivant dans ces territoires, particulièrement les jeunes femmes : choix d’orientation scolaire et universitaire plus restreints, manque d’informations sur les carrières et formations accessibles…

La récente réforme du baccalauréat a également pénalisé les lycées implantés dans ces territoires, qui ne disposent pas des dotations horaires suffisantes pour proposer aux élèves les enseignements optionnels qu’ils souhaiteraient, restreignant, de fait, les possibilités qui leur sont offertes.

Si nous comprenons l’esprit de cet article, il nous apparaît toutefois important de réaffirmer que toute politique publique éducative doit répondre à un cadre national : à ce titre, la mention de « définition par les recteurs d’académie » nous interpelle.

Le cadre qui nous est ici proposé s’inscrit en réalité pleinement dans les territoires éducatifs ruraux (TER) mis en œuvre depuis 2021 par voie d’expérimentation dans trois académies et dont le Gouvernement a récemment annoncé la généralisation dans la précipitation, avec l’impact que l’on connaît en termes de charge de travail sur les équipes qui doivent appliquer ces directives.

Pour être efficace, une telle politique doit s’inscrire dans la durée et bénéficier des moyens humains et financiers à la hauteur des ambitions proposées, ce qui n’est actuellement pas le cas. L’État doit par ailleurs pleinement y jouer son rôle d’impulsion et de régulation.

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Mes chers collègues, il est minuit trente-huit, et il reste 34 amendements. Vous l’avez dit, madame la présidente, si chacun est raisonnable, nous pouvons espérer finir l’examen du texte ce soir. J’invite donc chacun des intervenants à être le plus synthétique possible.

Mme le président. L’amendement n° 64, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Je vais essayer de répondre à la consigne donnée par le président de la commission, mais ce n’est pas facile !

Oui, il faut vraiment prévoir des dispositifs pour les territoires ruraux, mais ce qu’évoque Olivier Paccaud c’est le besoin de postes et la nécessité de ne pas fermer des classes quand les effectifs sont surchargés.

Certains territoires ruraux devraient, me semble-t-il, être en REP, sur la base des mêmes critères d’indice de position sociale (IPS) et de résultats scolaires des établissements.

Chaque fois que la carte de l’éducation prioritaire est revue, refondée, on y fait entrer des territoires qui en ont absolument besoin, comme la Guyane et Mayotte. Mais comme cela se fait à moyens constants, on en fait sortir d’autres, sans raison. Ce que je reproche à cet article – et c’est la raison pour laquelle nous proposons sa suppression –, c’est qu’il semble opposer la question territoriale et la question sociale, puisqu’il prévoit que, dans les territoires ruraux, les besoins seront définis par les recteurs.

Il existe des problèmes sociaux dans les territoires ruraux : ils doivent être pris en compte comme sur le reste du territoire. Il faut plutôt viser l’élargissement de l’éducation prioritaire à tous les territoires qui en ont besoin.

Pour conclure, la solution que vous préconisez existe déjà pour partie. Dans mon département de la Seine-Maritime, la ville d’Eu bénéficie du dispositif des territoires éducatifs ruraux, et pourtant on y constate des fermetures de classes et des suppressions de postes. J’en profite, monsieur le ministre, pour vous interpeller sur cette situation, même si je l’ai déjà fait par écrit.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Ma chère collègue, il s’agit non pas d’opposer la question des territoires ruraux et la question sociale, mais simplement de garantir l’égalité entre tous les élèves.

L’IPS, qui est publié par le ministère, permet justement de prendre en compte les informations que vous évoquez pour les établissements scolaires situés dans les territoires qui connaissent des difficultés.

Mon avis est donc défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur Paccaud, nous allons examiner la situation de l’école dont vous avez parlé. J’ai spontanément pensé aux contrats locaux d’accompagnement (CLA), des dispositifs qui permettent à des établissements défavorisés d’être soutenus avec des moyens renforcés et ciblés.

Je sais que vous avez supprimé en commission la référence aux moyens de l’éducation prioritaire qui ne sont pas nécessairement adaptés aux milieux ruraux, qui connaissent des difficultés d’une autre nature. Il faut se pencher sur la question. Avec la Première ministre, j’ai annoncé l’extension des territoires éducatifs ruraux, qui tendent à créer des coopérations entre les différents acteurs – scolaire et périscolaire, premier et second degrés. Ces TER méritent d’être étendus au-delà des trois académies dans lesquels ils existent pour le moment.

Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 64.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 8.

(Larticle 8 est adopté.)

Article 8
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 8 - Amendement n° 41

Après l’article 8

Mme le président. L’amendement n° 42, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La première phrase du premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation est complétée par les mots : « , inscrites dans l’horaire global annuel des élèves ».

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. La tenue de séances sur l’éducation à la sexualité est, il est vrai, une obligation prévue par la loi du 4 juillet 2001. Mais sur le terrain, le compte n’y est pas. Trois associations – le Planning familial, SOS homophobie et Sidaction – ont d’ailleurs attaqué l’État en justice le 1er mars dernier pour le mettre face à ses responsabilités.

Le rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche publié en juillet 2021 a objectivé la situation en révélant que, à l’école primaire et au lycée, moins de 15 % des élèves bénéficiaient de ces trois séances, et moins de 20 % au collège. Ce rapport pointe le caractère flou de la mention de « temps consacré à l’éducation à la sexualité » qui figure dans l’article du code de l’éducation cadrant cette obligation. Il préconise de compléter cet article afin que ces séances figurent bien dans l’emploi du temps des élèves des écoles, des collèges et des lycées.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. La circulaire du 30 septembre 2022 a rappelé la nécessité que ces heures soient effectives. L’amendement est donc satisfait.

Par ailleurs, il semble peu opportun de prévoir une telle inscription dans la loi, car cela pourrait conduire à des demandes pour d’autres matières.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 42.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 8 - Amendement n° 42
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 9

Mme le président. L’amendement n° 41, présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le quatrième alinéa de l’article L. 442-5 est complété par les mots : « et ne peuvent excéder le ratio de dépense par élève constaté dans l’enseignement public » ;

2° Le premier alinéa de l’article L. 442-9 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles ne peuvent excéder le ratio de dépense par élève constaté dans l’enseignement public »

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

IV. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.

Mme Marie-Pierre Monier. Cet amendement vise à inscrire dans la loi que les moyens accordés à l’enseignement privé sous contrat d’association ne peuvent être supérieurs à ceux qui sont octroyés par élève scolarisé dans l’enseignement public.

La période récente a mis au jour des disparités dans le financement de l’enseignement privé sous contrat et de l’enseignement public au détriment de ce dernier. Il a ainsi été récemment révélé qu’à Paris les moyens d’enseignement par élève attribués par le rectorat sont supérieurs dans les lycées généraux privés à ceux de leurs homologues du public, à effectifs et composition sociale équivalents.

Ces éléments s’inscrivent dans le sillage de politiques récentes favorisant le financement de l’école privée. Je pense à la loi pour une école de la confiance qui instaure l’instruction obligatoire à partir de 3 ans, dont nous saluons le principe, mais qui a entraîné un transfert estimé à 150 millions d’euros vers le secteur privé sans contrepartie. Et cela dans un contexte où les importantes fermetures de classes prévues pour la rentrée prochaine vont porter un coup supplémentaire à l’attractivité de l’enseignement public…

Rappelons que l’enseignement privé sous contrat est subventionné à 73 % par de l’argent public, financement auquel il faut ajouter ses fonds propres, et qu’il accueille deux fois plus d’élèves socialement très favorisés que les établissements publics et deux fois moins d’élèves défavorisés. Là où l’enseignement privé encourage une logique sélective et parfois élitiste, seul l’enseignement public est pleinement attaché à prodiguer un enseignement accessible à tous et à faire vivre au quotidien l’égalité des chances.

Il est donc de notre devoir de lui garantir les moyens dont il a besoin pour fonctionner dans de bonnes conditions.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Cet amendement revient sur l’équilibre trouvé par la loi Debré sur le financement de l’enseignement privé sous contrat. L’article L. 442-5 du code de l’éducation précise bien que les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que pour les classes de l’enseignement public.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 41.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 8 - Amendement n° 41
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Après l’article 9

Article 9

I. – Le I de l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans les communes n’appartenant pas à une unité urbaine ou appartenant à une unité urbaine de moins de 5 000 habitants, la fermeture d’une classe fait l’objet d’un avis préalable du conseil municipal. L’avis du conseil municipal doit être sollicité au plus tard le 15 janvier de l’année précédant la rentrée scolaire à compter de laquelle est prévue la fermeture de la classe. Le conseil municipal dispose d’un mois pour se prononcer. À défaut, son avis est réputé favorable.

« En cas de vote défavorable du conseil municipal, aucune fermeture de classe ne peut intervenir durant les trois années suivantes. »

II. – L’article L. 212-1 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« “Dans les communes n’appartenant pas à une unité urbaine ou appartenant à une unité urbaine de moins de 5 000 habitants, la fermeture d’une classe fait l’objet d’un avis préalable du conseil municipal. L’avis du conseil municipal doit être sollicité au plus tard le 15 janvier de l’année précédant la rentrée scolaire à compter de laquelle est prévue la fermeture de la classe. Le conseil municipal dispose d’un mois pour se prononcer. À défaut, son avis est réputé favorable.

« “En cas de vote défavorable du conseil municipal, aucune fermeture de classe ne peut intervenir durant les trois années suivantes.” »

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. L’article 9 permet aux communes rurales de prendre une délibération en conseil municipal pour s’opposer à une fermeture de classe. Une fois cette délibération prise, toute fermeture sur la commune serait impossible pendant trois ans.

Sur le principe, l’intention est louable. Ces derniers mois, nous avons assisté à la constitution de la carte scolaire dans nos départements : les fermetures de classes sont nombreuses et les plus douloureuses ont lieu en ruralité. Dans la Drôme, malgré la bonne volonté des services départementaux de l’éducation nationale, le constat est le même qu’ailleurs : alors que la moyenne nationale est de vingt-deux élèves par classe, dans certaines communes elle est bien supérieure. Ainsi, à Saint-Laurent-en-Royans, qui a 1 300 habitants, les classes restantes compteront vingt-cinq élèves après la fermeture d’une classe. Je pense à Montmeyran, Saillans, Châtillon-en-Diois et Taulignan, des communes qui ont connu des fermetures les années précédentes : dans chacune d’elles, les classes sont multiniveaux et une fermeture implique souvent une augmentation du nombre de niveaux par classe.

Cet article prévoit un outil pour protéger nos écoles rurales. Nous allons donc voter pour, mais je crains malgré tout qu’il y ait là une contradiction avec certains choix politiques que vous avez faits.

Finalement, j’ai un peu le sentiment d’être Cassandre dans cette histoire. Lors de l’examen du projet de loi de finances, j’avais indiqué que, si nous supprimions des postes, il y aurait un prix à payer – mais vous ne m’avez pas crue – et que si nous ne créions pas les postes dédiés nécessaires à la mise en place du doublement en REP, il y aurait, là aussi, un prix à payer – et vous ne m’avez pas crue. Vous avez voté contre nos amendements qui tendaient à créer des postes.

Aujourd’hui, vous proposez un nouveau dispositif parce que vous vous êtes aperçu que ce sont nos territoires ruraux qui payent le prix de vos choix politiques, mais il n’est pas raisonnable de croire que nous pourrons créer ce dispositif à moyens constants.

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il nous reste encore 31 amendements à examiner.

L’amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Sautarel, Mme Goy-Chavent, MM. Saury, Burgoa, Bascher et D. Laurent, Mme Thomas, MM. Milon, Anglars, B. Fournier, Frassa et Panunzi, Mme Dumont, MM. Mandelli et Bouchet, Mme Raimond-Pavero, MM. Cadec, Somon, de Nicolaÿ et Chaize, Mme Drexler, M. Laménie, Mmes Ventalon et F. Gerbaud, MM. Belin, Mouiller et Le Rudulier, Mmes Bellurot et Puissat, MM. Rietmann, Perrin, Babary et Bouloux, Mme Imbert, MM. Sido et Houpert, Mme Pluchet et M. Rapin, est ainsi libellé :

I. - Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Un conseil municipal saisi en application du premier alinéa dispose d’un délai de deux mois à compter de sa saisine ou, si elle est postérieure, de l’information des parents d’élèves pour émettre un avis. À défaut, son avis est réputé favorable.

II. - Après l’alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« “Un conseil municipal saisi en application du premier alinéa dispose d’un délai de deux mois à compter de sa saisine ou, si elle est postérieure, de l’information des parents d’élèves pour émettre un avis. À défaut, son avis est réputé favorable.

La parole est à M. Stéphane Sautarel.

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, je vous propose de présenter en même temps mes trois amendements nos 13 rectifié, 16 rectifié et 14 rectifié bis afin de gagner du temps – j’essaierai même d’ajouter un commentaire.

Je me félicite de la rédaction proposée par la commission pour les articles 8 et 9. Je précise qu’il s’agit non pas toujours d’une question de moyens, mais de choix d’orientation et d’affectation, y compris de choix entre un poste de professeur devant des élèves ou un autre type de poste.

Les trois amendements tendent à l’ajout de précisions complémentaires.

L’amendement n° 13 rectifié fixe à deux mois le délai dans lequel le conseil municipal doit rendre son avis. L’amendement n° 16 rectifié établit à huit élèves le seuil à partir duquel une fermeture de classe peut être envisagée. Quant à l’amendement n° 14 rectifié bis, il prévoit une information renforcée en direction des parents d’élèves, au-delà de l’affichage qui peut être fait dans la mairie et les salles de classe.

Je n’ai pas pu prendre la parole sur l’article 7 ter, aussi je profite des quelques instants qui me restent pour remercier la commission d’avoir pris en compte un de mes amendements pour intégrer dans le texte que l’égalité des chances passe par le respect de la personne, des élèves et des étudiants.

Cet amendement me permet de rebondir sur un point qui n’a absolument pas été évoqué ce soir et qui ne le sera pas – les amendements que j’avais déposés sur le sujet ont été rejetés. Quand on parle d’égalité des chances et de respect des élèves et des étudiants, comment ne pas évoquer Parcoursup ? Je n’en dis pas plus.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. L’amendement n° 13 rectifié tend à allonger d’un mois le calendrier d’élaboration de la carte scolaire, ce qui entraîne des conséquences sur les mouvements de personnel : connaissance des postes, candidatures, affectations. Il est important de ne pas faire trop glisser ce calendrier vers la fin de l’année. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu un délai d’un mois.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 48 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Courtial et Pellevat, Mme Garriaud-Maylam, M. Détraigne, Mme Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti et Gosselin, MM. Meurant, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mme Estrosi Sassone, MM. Bouchet, Lefèvre et Houpert, Mme Guidez, MM. Rapin, Klinger et Moga et Mme Borchio Fontimp, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 6

Remplacer les mots :

aucune fermeture de classe ne peut intervenir durant les trois années suivantes

par les mots :

un moratoire est prononcé pour la prochaine année, et est reconductible une fois

La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Je me félicite à mon tour que l’article 9 prévoie de solliciter les conseils municipaux lorsqu’une fermeture de classe est envisagée dans la commune. Plutôt qu’un moratoire de trois ans qui me paraît un peu excessif, je propose une autre modalité : que l’avis du conseil municipal, éventuellement défavorable, entraîne de manière automatique un moratoire d’un an, reconductible une fois.

Cette modalité de consultation me semble plus appropriée aux réalités du terrain.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Le travail sur la carte scolaire doit s’inscrire dans une perspective pluriannuelle, sans être remis en cause par un moratoire reconductible qui constituerait un élément de rigidité.

L’avis est défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 48 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par MM. Sautarel, D. Laurent et Burgoa, Mmes Puissat et Goy-Chavent, MM. Chaize, Babary, Bouloux et Anglars, Mme Imbert et MM. Bouchet, Sido, Houpert et Rapin, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 6

Compléter ces alinéas par les mots et une phrase ainsi rédigée :

si la classe compte au moins huit élèves à la date à laquelle est émis l’avis. Cet avis doit être pris par une délibération motivée au regard de la nécessité de garantir, notamment par un encadrement pédagogique suffisant, l’effectivité du droit à la formation scolaire de tout enfant et la poursuite dans de bonnes conditions des objectifs mentionnés à l’article L. 111-2 du code de l’éducation, mais aussi des perspectives de développement offertes au niveau de la commune.

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. L’avis est défavorable, parce que les classes de moins de huit élèves sont des classes uniques : la fermeture de la classe coïncide avec la fermeture de l’école, pour laquelle un accord de la commune est nécessaire.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

M. Stéphane Sautarel. Je le retire !

Mme le président. L’amendement n° 16 rectifié est retiré.

L’amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Courtial, Mme V. Boyer, MM. Charon, Perrin, Rietmann, Mouiller, Tabarot, Guerriau, Chasseing et Menonville, Mme Lopez, MM. Allizard, Klinger et Chatillon, Mme Pluchet, MM. Regnard et H. Leroy, Mmes Dumont et Drexler, MM. Daubresse, Saury, Sido, Laménie, Cigolotti et B. Fournier, Mme Belrhiti, MM. Gremillet et Moga, Mme Garriaud-Maylam et M. Cadec, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« À l’occasion de la fermeture d’une classe, une consultation est organisée à laquelle prennent part un représentant de l’État dans le département et celui de l’Éducation nationale, les sénateurs du département, le député et les conseillers départementaux du ressort de la commune, le maire de la commune et éventuellement son adjoint, les autres maires concernés en cas de regroupement scolaire et les associations de parents d’élèves, afin d’établir une perspective du nombre de classes prévues lors des trois prochaines années à l’échelle de la commune et des communes voisines. »

La parole est à Mme Sabine Drexler.

Mme Sabine Drexler. Cet amendement a été déposé par mon collègue Édouard Courtial.

L’un des fléaux pour une commune, surtout rurale avec des moyens limités, est l’incertitude qui pèse chaque année sur le devenir de ses classes, alors même que les élus mettent en place des projets pour les années à venir.

L’article 9 de la proposition de loi prévoit que, en cas de vote défavorable du conseil municipal, un moratoire pour l’année suivante soit prononcé. Cette disposition répond à l’urgence, mais ne suffit pas à améliorer la visibilité pour la commune.

Le présent amendement tend à créer un espace d’échange avec tous les acteurs afin de permettre un nécessaire travail de prospective pour les prochaines années.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. L’avis est défavorable, parce que les parents d’élèves sont déjà informés des projets de fermeture de classe. Il ne paraît pas nécessaire de l’inscrire dans la loi.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme Sabine Drexler. Je retire l’amendement, madame la présidente.

Mme le président. L’amendement n° 12 rectifié est retiré.

L’amendement n° 14 rectifié bis, présenté par M. Sautarel, Mme Goy-Chavent, MM. Saury, Burgoa et D. Laurent, Mme Thomas, MM. Milon, Anglars, B. Fournier et Frassa, Mme Dumont, MM. Mandelli et Bouchet, Mme Raimond-Pavero, MM. Cadec, Somon, de Nicolaÿ et Chaize, Mme Drexler, M. Laménie, Mmes Ventalon et F. Gerbaud, MM. Belin et Mouiller, Mmes Bellurot et Puissat, MM. Rietmann, Perrin, Babary et Bouloux, Mme Imbert, MM. Sido et Houpert, Mme Pluchet, M. Rapin et Mme Del Fabro, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice de la possibilité pour les services compétents de l’État de recourir à tout autre procédé approprié, l’information des parents d’élèves prévue dans le présent article est regardée comme effectuée dès lors qu’elle donne lieu à un affichage en mairie et dans l’école. »

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« “Sans préjudice de la possibilité pour les services compétents de l’État de recourir à tout autre procédé approprié, l’information des parents d’élèves prévue dans le présent article est regardée comme effectuée dès lors qu’elle donne lieu à un affichage en mairie et dans l’école.” »

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Même avis.

M. Stéphane Sautarel. Je retire mon amendement !

Mme le président. L’amendement n° 14 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 69, présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Le 1° de l’article L. 421-2 du code de l’éducation est complété par les mots : « et dans les collèges, les délégués départementaux de l’éducation nationale ».

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement tend à faire siéger de droit les délégués départementaux de l’éducation nationale dans les conseils d’administration des collèges.

Nous avions voté ici au Sénat le même amendement, qui avait été ensuite rejeté en commission mixte paritaire (CMP) pour des raisons que j’ignore.

Je me permets de vous le proposer de nouveau, en espérant qu’il connaisse le même sort que lorsque nous l’avions examiné la première fois.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Le Sénat persiste et signe, et reste fidèle à sa position. Avis favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Les missions des délégués départementaux de l’éducation nationale portent sur le premier degré. L’adjonction de ces délégués dans les conseils d’administration des collèges et lycées n’a pas de sens, puisque leur mission ne concerne pas le second degré. Avis défavorable.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Un petit correctif : ces délégués siègent dans les conseils départementaux de l’éducation nationale (CDEN), qui sont aussi compétents pour les collèges. Il n’y a pas de raison de les écarter.

Je siège au CDEN de mon département et j’y vois les délégués départementaux de l’éducation nationale.

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur, en effet, ils y siègent, mais au titre du premier degré et non du second degré.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 69.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 9, modifié.

(Larticle 9 est adopté.)

Article 9
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 10

Après l’article 9

Mme le président. Les amendements nos 3 et 7 ne sont pas soutenus.

Après l’article 9
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 10 - Amendement  n° 79 rectifié

Article 10

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. » ;

2° Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et ces établissements publics locaux d’enseignement. »

Mme le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sur l’article.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je voulais tout d’abord remercier mon collègue Max Brisson d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi pour « une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité », et de m’y avoir associée, en particulier à l’article 10.

En effet, je tiens à le rappeler, le 29 octobre 2019, le Sénat votait ma proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation, qui a été transmise à l’Assemblée nationale, laquelle n’a pas jugé bon de l’inscrire à son ordre du jour.

Cette même proposition a été également adoptée par le Sénat lors de l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République en 2021, mais a malheureusement été rejetée par l’Assemblée nationale, qui comme d’habitude est toujours dans le déni sur ces sujets.

Deux ans plus tard, où en sommes-nous, monsieur le ministre ? La laïcité est de plus en plus remise en cause. Le nombre d’atteintes à la laïcité s’est encore aggravé depuis la dernière rentrée et le port des qamis et des abayas s’est invité dans le débat – c’est une réalité. Dans les Yvelines, la semaine dernière, des lycéens ont même fait circuler une pétition pour demander l’autorisation de porter ces vêtements religieux, parce que personne ne peut contester le fait que c’est bien ce dont il s’agit.

Alors, monsieur le ministre, je voudrais profiter de cette occasion pour attirer votre attention sur cet entrisme rampant, qui fragilise le cadre scolaire aujourd’hui. Je suis désolée de vous le dire, mais votre absence de clarté et de fermeté sur ce sujet ouvre la porte à toutes les revendications communautaires.

L’école de la République doit préserver à tout prix la liberté de conscience, la laïcité, tous ces facteurs d’émancipation qui donnent un socle commun à tous les enfants de la République.

Je terminerai mon intervention par une phrase du Clemenceau : « Toute tolérance devient à la longue un droit acquis. »

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Cet article me pose problème. Monsieur Brisson, j’ai bien compris que vous proposiez d’étendre à tous les personnels participant au service public les principes de laïcité et de neutralité religieuse.

Mais vous condamnez les services d’aumônerie ! Les aumôniers sont proposés par l’éducation nationale et font partie du service public : je ne vois pas comment un aumônier peut être soumis au principe de laïcité et à la neutralité religieuse.

Pour ce qui est de l’Alsace-Moselle, c’est la même chose. L’enseignement religieux fait partie du service public, aux termes du décret du 17 mai 1881. Vous n’excluez pas l’Alsace-Moselle de ce texte. Il faut que vous m’expliquiez comment la neutralité religieuse pourrait être imposée à des enseignants de la religion. Votre texte porte atteinte à des principes essentiels.

Je trouve que vous y allez un peu fort ; personnellement, je défendrai un amendement plus anodin. Votre proposition est radicale : vous faites tomber d’un seul coup tout le droit local ! (M. Claude Kern sexclame.)

De façon plus générale, je considère, comme mon groupe, que l’école hors les murs relève du service public de l’éducation nationale. En tant que tel, celui-ci est tout simplement assuré par du personnel de l’éducation nationale. Que les accompagnateurs soient habillés de telle ou telle manière, peu importe : il faut que les activités soient encadrées par des fonctionnaires, ce qui rend la situation plus facile pour tout le monde.

Mme le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.

M. Yan Chantrel. Cet article, qui dénature le principe de neutralité et le devoir de réserve, représente la quatrième offensive de la droite sénatoriale sur le sujet en quatre ans. On peut constater une véritable obsession de la part de certains collègues… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Non, c’est de la constance !

M. Yan Chantrel. Je souligne le risque d’inconstitutionnalité de la mesure. En effet, dans son étude du 19 décembre 2013, qui fait autorité, le Conseil d’État reconnaît que la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié, outre les agents et les usagers, une troisième catégorie, celle de collaborateurs ou participants, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse ; les parents accompagnateurs ne sont pas considérés comme des agents auxiliaires du service public et ne sont donc pas soumis à ce principe. Autrement dit, une femme qui porte le voile peut accompagner une classe en sortie à condition qu’elle ne se livre pas à de la propagande ou à du prosélytisme, ce qui vaut pour toutes les religions.

Même s’ils peuvent parfois, pour des raisons pratiques liées aux assurances et parce qu’ils sont bénévoles, être appelés « collaborateurs occasionnels du service public », les parents n’exercent pas une mission de service public de l’éducation : celle-ci ne peut être exercée que par l’enseignant. Un parent accompagnateur de sortie scolaire aide à la logistique et non, par exemple, à commenter un tableau dans un musée lors d’une visite. Il reste un usager du service public et n’est donc pas soumis au principe de neutralité comme le sont les agents publics et tous ceux qui exercent une mission de service public. La charte de la laïcité dans les services publics exclut l’application du devoir de réserve et du principe de neutralité aux usagers.

Ce type de propositions peut avoir un effet d’engrenage : l’organisation des sorties scolaires risque d’être rendue plus difficile dans certains établissements. On affaiblit ainsi l’école en créant des obstacles à l’apprentissage et à l’ouverture au monde. On réduit l’égalité des chances. Jusqu’où irez-vous ? Imposerez-vous aussi ce principe de neutralité au conseil d’administration de l’école ? aux fêtes d’école ?

La dérive est totale…

Mme le président. Votre temps de parole est épuisé.

La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Ce débat a eu lieu de nombreuses fois…

M. Thomas Dossus. En effet !

M. Max Brisson. Nous sommes constants, parce que nous sommes désormais obligés de suppléer une gauche qui ne défend plus la laïcité dans le creuset même où celle-ci s’est développée et a construit la République. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Stéphane Piednoir. Exactement !

M. Max Brisson. Nous en sommes ainsi réduits à vous remplacer et à porter à votre place des valeurs profondément républicaines.

L’école exige depuis longtemps un degré de neutralité supplémentaire. Je suis surpris de lire dans l’objet de l’amendement du Gouvernement que la neutralité ne s’impose pas aux usagers : elle s’impose aux élèves, donc aux usagers. C’est la spécificité de la laïcité à l’école. C’est bien ce qui différencie l’école de beaucoup d’autres services publics.

Nous notons bien que vous avez abandonné, à gauche, un héritage qui était noble.

M. Thomas Dossus. N’importe quoi !

M. Max Brisson. Vous avez décidé d’emprunter d’autres voies… Pour notre part, nous conserverons cet héritage et nous le porterons haut et fort.

Il y a bel et bien une exigence de laïcité supplémentaire à l’école, un supplément d’âme, depuis les origines. Elle a été confortée par le texte de 2004 : à l’école, la neutralité s’impose aux agents et aux usagers. Nous souhaitons qu’elle s’impose à celles et à ceux qui font la classe – nous le répéterons lors de l’examen des amendements de suppression –, car une sortie scolaire n’a de raison d’être que pédagogique. Dans la classe hors les murs comme dans la classe dans les murs, il me paraît nécessaire que les enfants soient protégés de tout prosélytisme et de toute forme d’expression religieuse. La neutralité doit être la règle.

Mme le président. Je suis saisie de cinq amendements identiques.

L’amendement n° 22 est présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

L’amendement n° 43 est présenté par Mme S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 54 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 66 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 75 est présenté par M. Cabanel.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 22.

M. Thomas Dossus. Nous retombons – cela a été répété – dans une lubie idéologique de la droite à l’égard de l’éducation, mais plus globalement de la laïcité, qui est instrumentalisée en permanence à des fins discriminatoires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un classique !

L’article 10 vise concrètement à étendre le principe de neutralité religieuse aux accompagnantes scolaires. En effet, la droite vise les accompagnantes, puisque l’objectif est d’interdire le voile à ces personnes.

Actuellement, le port du voile, comme l’a précisé Max Brisson, est déjà réglementé par la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ostentatoires aux élèves des établissements et par les articles L. 121-1 à L. 121-11 du code général de la fonction publique qui obligent les agents publics à être neutres et à ne pas manifester leurs opinions religieuses.

Les accompagnantes ne sont ni des élèves ni des agents du service public : elles sont uniquement présentes pour aider le personnel éducatif à encadrer les sorties scolaires. Elles ne prennent pas part à l’activité pédagogique en tant que telle. Au nom de quoi voulons-nous imposer des contraintes liées à une fonction à des personnes qui ne l’exercent pas ?

Je m’inscris en faux contre ce que vient d’affirmer Max Brisson sur le prosélytisme. Les textes sont très clairs : « le professeur en charge de la classe au moment de l’activité garde la responsabilité pédagogique permanente », ce qui protège les enfants face aux éventuelles interférences des parents accompagnants.

La vérité est que vous cherchez au travers de cet article et d’un texte portant sur l’école à instrumentaliser une nouvelle fois la laïcité pour discriminer nos compatriotes de confession musulmane. Un petit fumet de racisme permanent entoure vos propositions sur la laïcité. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est scandaleux !

M. Thomas Dossus. La loi de 1905 est claire et robuste. La laïcité doit nous rassembler, pas nous diviser. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 43.

Mme Sylvie Robert. Je ne céderai pas à la provocation de Max Brisson à notre encontre. Je lui répondrai tout de même que nous avons déjà débattu quatre fois de ce sujet dans cet hémicycle. Après 2018, 2019, 2021 et 2022, la proposition de loi de notre collègue Max Brisson n’échappe pas, en 2023, à cette série.

Dès lors, qu’ajouter à ce qui a déjà été amplement développé ? En réalité, rien ! Nous avons déjà débattu de ce sujet – j’ai fait les comptes – pendant plus d’une dizaine d’heures. Nous connaissons parfaitement vos raisonnements et vos conclusions – la preuve ! – et vous connaissez parfaitement nos arguments et notre positionnement.

M. Philippe Mouiller. Vous pouvez vous rasseoir, alors…

Mme Sylvie Robert. La seule différence entre nous est de taille : le droit est de notre côté. Ne voulant pas l’accepter, vous décidez à chaque texte portant sur l’éducation de rejouer la scène comme s’il était possible d’en changer l’issue.

Mes chers collègues, malgré tous vos efforts et votre entêtement, vous ne changerez pas les conclusions du Conseil d’État. Vous ne changerez pas non plus le fait que les parents qui accompagnent les sorties scolaires sont des collaborateurs occasionnels du service public ; en conséquence, n’exerçant pas une mission de service public, ils ne sont donc pas soumis au principe de neutralité. En revanche, ils doivent bel et bien s’abstenir de provoquer tout trouble à l’ordre public et de tout prosélytisme, ce qui est évidemment essentiel.

À l’inverse de ce que vous postulez, notre droit n’est pas perméable : il est simplement équilibré, juste et conforme à la philosophie de la laïcité.

Mme le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 54.

M. Pap Ndiaye, ministre. Le Gouvernement n’est pas favorable à cette disposition, conformément à la position constante de tous ses prédécesseurs, aux observations du Conseil d’État et aux arguments de fond qui viennent d’être énoncés.

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 66.

Mme Céline Brulin. Les parents d’élèves sont des usagers du service public. Ils ne peuvent donc être soumis aux mêmes règles que celles qui s’appliquent aux fonctionnaires de l’État et aux agents des services publics.

Nous voulons tous lutter contre le séparatisme et les obscurantismes, quels qu’ils soient ; pour cela, il ne faut éloigner personne de l’école. Elle est le lieu consacré à cet objectif.

Je confirme : vous avez déjà fait revenir quatre fois en dix ans, par voie d’amendement ou de proposition de loi, cette disposition. Malgré la campagne que vous menez, la présence dans l’espace public de ce que vous considérez comme des signes religieux – ils le sont en partie – est en progression. Votre stratégie n’est donc pas tout à fait la bonne face à ce que vous prétendez combattre…

Nous savons tous ici que les citoyens préfèrent l’original à la copie. Penser reconquérir de cette manière-là le terrain politique que vous avez perdu est donc non seulement inefficace, mais aussi extrêmement dangereux. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 75.

M. Henri Cabanel. J’ajouterai que cette disposition nie la réalité toujours plus présente au sein de nos territoires du manque d’accompagnateurs. Elle va à l’encontre de la promesse de réussite et d’égalité des chances faite par l’école de la République. Vous savez, chers collègues, que vous priverez tout simplement certains élèves de sortie.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Nous ne retomberons pas dans une polémique : les débats ont déjà eu lieu de nombreuses fois. L’avis est défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22, 43, 54, 66 et 75.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 23, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Cette interdiction ne s’applique pas aux personnes qui ne sont ni fonctionnaires, ni agents publics contractuels, lorsqu’elles concourent occasionnellement et bénévolement au service public de l’éducation sans participer à la mission d’enseignement, notamment lorsqu’elles accompagnent des sorties scolaires. »

La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Il s’agit d’un amendement de repli. Au contraire de ceux qui considèrent qu’un flou justifierait d’intégrer certaines lubies à notre corpus juridique, notre amendement vise à rappeler le droit, tout le droit, rien que le droit en matière de port de signes religieux. Plutôt qu’étendre le principe de neutralité à des personnes qui – rappelons-le – ne sont ni fonctionnaires ni agents contractuels, nous souhaitons affirmer que les accompagnantes de sorties scolaires sont des citoyennes comme les autres, qui sont soumises aux mêmes règles que celles qui s’appliquent à l’ensemble des usagers du service public. Ni plus ni moins !

Les accompagnantes sont des parents qui viennent aider bénévolement l’école de la République. Si le respect du principe de neutralité vous obsède, je peux vous suggérer une solution de substitution, qui a déjà été évoquée par mon collègue Ouzoulias : recruter des agents pour le service public de l’éducation. Ne décourageons pas les personnes qui viennent donner un coup de main bénévolement !

Nous proposons donc de clarifier les responsabilités de chacun et les limites imposées par le principe de neutralité.

Mme le président. L’amendement n° 70, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin, M. Bacchi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après l’article L. 141-6 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 141-… ainsi rédigé :

« Art. L 141-…. – L’enseignement religieux est facultatif dans les écoles, collèges et lycées publics des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. »

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Je le répète : si vous adoptez l’article 10, vous mettez fin à l’enseignement religieux en Alsace-Moselle. À vous de prendre ensuite vos responsabilités auprès des Alsaciens et des Mosellans… Pour l’éviter, il aurait fallu préciser cette exception dans le texte.

Je propose quelque chose de beaucoup moins radical, même si, contrairement à ce que vous avancez, chers collègues, j’ai défendu à plusieurs reprises la laïcité sur des terrains où vous n’avez pas souhaité me suivre, notamment la suppression du concordat en Alsace-Moselle ou du régime dérogatoire de la Guyane. Nous pourrons en discuter de nouveau…

Je vous propose, par cet amendement, de rendre facultative l’obligation actuelle d’enseignement religieux qui est fondée sur la loi de l’administration allemande du 9 juin 1871. Actuellement, en Alsace, moins de 50 % des élèves et moins de 10 % des lycéens suivent cet enseignement. Pour la Moselle, c’est pire : la participation à ces cours est inférieure à 10 % des élèves au collège. Dans tout ce département, seuls neuf élèves suivent les cours d’enseignement religieux au lycée. Neuf élèves ! Je trouve donc raisonnable de rendre cette discipline facultative, ce qui évitera aux professeurs, en début d’année d’établir le rôle de tous les parents qui ne souhaitent pas que leur enfant suive cet enseignement.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. L’objet de l’amendement n° 23 est à l’opposé de celui de l’article 10. L’avis est donc défavorable. Il l’est également sur l’amendement n° 70, car il modifie le droit local.

M. Pierre Ouzoulias. Vous le faites aussi !

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. L’avis est identique à celui du rapporteur sur l’amendement n° 70. En ce qui concerne l’amendement n° 23, le Gouvernement considère qu’il ne faut pas revenir sur l’équilibre de la loi de 2004. L’avis est donc défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.

M. Claude Kern. Une fois de plus, M. Pierre Ouzoulias se livre à une attaque en règle contre le droit local : je ne peux pas ne pas prendre la parole. Je ferai une petite mise au point par rapport à l’amendement n° 70.

Il faut savoir que les enfants de ces départements bénéficient d’un enseignement religieux de qualité qui a depuis toujours fait ses preuves. J’apporte le témoignage d’une jeune femme que j’ai interrogée : ma jeune collaboratrice en circonscription. Elle a grandi en Alsace et atteste que, lorsqu’elle était enfant, suivre l’enseignement religieux au sein de son école lui a permis d’en apprendre davantage non seulement sur sa propre religion, mais aussi sur celles de ses camarades. Elle a ainsi pu découvrir les grandes dates associées aux religions évoquées en classe, les rites et coutumes qui ponctuent la vie des croyants, et les personnages marquants.

Ce savoir offert aux enfants leur donne tous les outils pour mieux appréhender leurs différences et leurs similarités. Apprendre la religion des autres, c’est apprendre le « bien vivre ensemble ». Cet apprentissage me semble indispensable au développement des adultes de la société de demain. Pour ceux qui souhaitent en être dispensés, le cours de religion est remplacé par un cours de morale qui – je le pense – s’avère à l’heure actuelle très utile. Je ne soutiendrai donc pas cet amendement relatif au droit local.

Mme le président. Avant de donner la parole, je tiens à m’exprimer. Il sera bientôt une heure vingt et il reste 18 amendements à examiner. Personnellement, rester ne me dérange pas, mais ceux qui prennent la parole maintenant ne seront certainement pas ceux qui seront là demain soir. Au nom du respect des uns et des autres, allons au bout de l’examen de ce texte.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. La loi allemande dispose qu’il faut enseigner « la » religion : elle ne précise pas laquelle. Il faudrait les enseigner toutes. Si, à l’avenir, des parents musulmans exigeaient une éducation à leur religion dans les établissements publics, vous ne consentiriez plus, je pense, à ce que cette instruction soit obligatoire… (M. Claude Kern proteste.)

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 70.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 6 n’est pas soutenu.

L’amendement n° 77 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mme Guillotin et M. Roux, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces personnes s’abstiennent par ailleurs de porter tout signe vestimentaire ostensiblement réservé aux femmes.

II. – Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces personnes s’abstiennent de porter tout signe vestimentaire ostensiblement réservé aux femmes.

La parole est à M. Bernard Fialaire.

Mme le président. L’amendement n° 77 rectifié est retiré.

L’amendement n° 5 n’est pas soutenu.

Je mets aux voix l’article 10.

(Larticle 10 est adopté.)

Article 10
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 80 rectifié

Après l’article 10

Mme le président. L’amendement n° 79 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l’article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 111-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 111-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 111-1-. – La charte de la laïcité est affichée de façon visible dans tous les établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat. »

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. La commission a demandé le retrait de cet amendement. Je le retire donc tout de suite pour gagner un peu de temps.

Article additionnel après l'article 10 - Amendement  n° 79 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 78 rectifié

Mme le président. L’amendement n° 79 rectifié est retiré.

L’amendement n° 80 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l’article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 111-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 111-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 111-1-. – La charte de la laïcité est signée par les enseignants de tous les établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat, ainsi que par les parents des enfants instruits en famille ou scolarisés dans les établissements précités. Les modalités de cette signature sont définies par décret. »

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Cet amendement a également reçu un avis défavorable en commission. Je n’insisterai donc pas davantage : je le retire.

Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 80 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 76 rectifié

Mme le président. L’amendement n° 80 rectifié est retiré.

L’amendement n° 78 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l’article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 551-1 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le projet éducatif territorial souscrit aux objectifs de la charte de la laïcité ainsi qu’au respect du principe d’égalité des chances entre citoyens. »

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Je vous prie de bien vouloir accepter cet amendement. Dans l’esprit de cette proposition de loi, qui tend à promouvoir le respect des valeurs de la République dans le cadre des missions de l’éducation nationale, cet amendement vise à inclure clairement dans les objectifs des projets éducatifs territoriaux le respect et la valorisation de la charte de la laïcité, du principe d’égalité des chances, du principe d’égalité des citoyens et de celui d’égalité entre les hommes et les femmes.

Il s’agit ainsi d’apporter un appui dans ses grandes lignes à la proposition de loi qui entend réaffirmer les valeurs de la République pour faire de l’école le lieu où s’expriment la liberté, l’égalité des chances et la laïcité.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Il ne peut être que favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. L’avis est défavorable, madame la présidente, puisque l’égalité des chances qui est mentionnée par M. le sénateur Fialaire n’est pas un principe du droit français, au contraire du principe d’égalité des citoyens devant la loi, si bien que la portée de l’engagement que vous proposez de faire souscrire se trouve être très incertaine.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 78 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 78 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 11

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 10.

L’amendement n° 76 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l’article 10

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur l’application du principe de laïcité au sein des établissements scolaires des premier et second degrés.

Ce rapport évalue notamment le renforcement de la formation initiale et l’instauration d’une formation continue de la totalité des personnels de l’éducation nationale à la laïcité et aux valeurs de la République.

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Je vous épargnerai cet amendement : je le retire.

Mme le président. L’amendement n° 76 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 10 - Amendement n° 76 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article additionnel après l'article 11 - Amendement n° 47 rectifié

Article 11

Après l’article L. 111-2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 111-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 111-2-1. – Les élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées portent une tenue vestimentaire uniforme au sein de leur établissement. Les caractéristiques de cette tenue vestimentaire, comprenant le choix d’une tenue sportive uniforme, sont précisées par le règlement intérieur de chaque établissement. L’obligation mentionnée au présent alinéa n’est pas applicable aux spectacles, y compris les répétitions, joués par les élèves et aux événements qui leur sont liés.

« Le présent article est applicable aux établissements liés à l’État par contrat mentionnés aux sections 3 et 4 du chapitre II du livre IV du présent code. »

Mme le président. Je suis saisie de cinq amendements identiques. Je vous informe d’ores et déjà qu’une demande de scrutin public a été formulée.

L’amendement n° 24 est présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

L’amendement n° 25 rectifié bis est présenté par Mme Billon, MM. Lafon, Hingray et Kern, Mme Morin-Desailly, M. Laugier, Mmes Férat et Saint-Pé, MM. J.M. Arnaud, Canévet, Duffourg et Henno et Mme Sollogoub.

L’amendement n° 44 est présenté par Mme S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 55 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 68 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 24.

M. Thomas Dossus. C’est un amendement de suppression. L’uniforme est une autre lubie idéologique. D’habitude, elle est plutôt celle d’éditorialistes conservateurs qui regrettent une école qui n’a jamais vraiment existé, comme si la priorité actuelle était de gommer fictivement les inégalités au travers de l’obligation du port de l’uniforme.

Deux valeurs sont avancées pour justifier cette mesure : le respect et l’égalité. Je vous avoue que je n’arrive pas à percevoir en quoi l’uniforme serait un signe de respect : vous semblez confondre respect et autoritarisme. Concernant l’égalité, je me dois de vous faire remarquer que le port de l’uniforme n’abolit pas les inégalités. Au mieux, il les gomme fictivement ; en réalité, il les déporte. D’une part, les élèves trouveront toujours un autre moyen d’affirmer leur statut. D’autre part, cet uniforme n’est que le reflet d’une conception de la République totalement hors-sol.

Nous lui préférons une République en actes, dont le principe cardinal d’égalité doit conduire à une réduction réelle des inégalités, à une lutte contre la pauvreté et non à des artifices qui ne dupent personne.

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 25.

Mme Annick Billon. À l’heure actuelle, le port de l’uniforme est souvent présenté comme une des réponses aux inégalités et comme un levier en faveur de la mixité sociale. Or aucune étude ne vient le confirmer. L’idée semble séduisante sur le papier, mais paraît véritablement déraisonnable.

D’abord, le port de l’uniforme n’est évidemment pas le gage d’une bonne tenue de l’école en raison du coût : à qui incombe ce dernier ? Pour mémoire, dans les pays anglo-saxons, le coût d’un tel vêtement représente environ 400 euros par élève par année. Pour 5 millions d’élèves, le montant serait de 2 milliards d’euros. Je pense que nous avons d’autres investissements à faire pour l’école, pour les enfants et pour les enseignants.

De plus, l’uniforme n’a jamais été dans notre culture, à la différence du sweat, du tee-shirt ou même de la blouse. Son port ne permettra jamais d’éviter la différenciation : il y aura toujours pour cela les téléphones, les baskets, les montres, les sacs…

Enfin, le port de l’uniforme peut déjà être mis en place dans les établissements scolaires : il suffit que les chefs d’établissement l’indiquent dans leur règlement intérieur.

Le groupe Union Centriste votera contre cet article et en faveur de l’amendement.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 44.

Mme Sylvie Robert. Annick Billon a tout dit : nous souscrivons en tout point à ses raisons.

Mme le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 55.

M. Pap Ndiaye, ministre. Madame la sénatrice Billon a été très éloquente. Le Gouvernement s’inscrit en tout point dans la lignée de ses explications.

Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 68.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Avis défavorable.

Mme le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. Je ne voterai pas en faveur de ces amendements de suppression. À une époque où la dictature de l’apparence conduit les enfants à se comparer à partir de leurs vêtements, l’uniforme me semble une façon d’amoindrir les différences sociales. Il me semble essentiel de régler cette question, car l’uniformisation des cerveaux se fonde toujours plus sur l’apparence. Pour ma part, je préférerais que les accords et les différences acceptables entre enfants passent par autre chose que par leurs vêtements.

Mme le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour explication de vote.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Je souscris tout à fait à ce que vient d’indiquer Mme de La Provôté.

Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, l’État, par le biais de l’allocation de rentrée scolaire, abonderait les dépenses liées à l’uniforme pour les familles les plus modestes. Cela résout la question du coût à laquelle nous sommes sensibles.

Concernant l’accusation de M. Dossus, je ne vois pas comment nous pourrions être nostalgiques d’un temps qui n’a jamais existé…

Quant à l’argument selon lequel le port de l’uniforme peut être décidé dans le règlement des écoles, l’idée n’est pas d’étendre un droit, mais de donner une impulsion par la loi et de mettre en place une obligation que j’estime importante.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24, 25, 44, 55 et 68.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 270 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l’adoption 177
Contre 145

Le Sénat a adopté. (MM. Yan Chantrel et Thomas Dossus applaudissent.)

En conséquence, l’article 11 est supprimé et les amendements nos 4 et 26 rectifié bis n’ont plus d’objet.

Article 11
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Article 12

Après l’article 11

Mme le président. L’amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Reichardt, Courtial et Pellevat, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti et Gosselin, MM. Levi, Meurant, Mizzon, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mme Estrosi Sassone, MM. Bouchet, Lefèvre, P. Martin, Houpert et Gremillet, Mme Guidez, MM. Rapin, Klinger et Moga, Mme Borchio Fontimp et M. Cadec, est ainsi libellé :

Après l’article 11

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 312-2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 312-2-… ainsi rédigé :

« Art. L. 312-2-… – Les médecins de santé scolaire sont destinataires des certificats médicaux lorsqu’une inaptitude d’une durée supérieure à un mois est constatée. »

La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Il s’agit de reprendre une disposition votée à l’occasion de l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République pour lutter les certificats médicaux de complaisance.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Beaucoup d’élèves ne vont pas aux cours d’éducation physique et sportive (EPS). Or nous souhaiterions qu’ils fassent du sport. Avis favorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pap Ndiaye, ministre. Le contrôle du certificat médical constatant l’inaptitude de l’élève à la pratique sportive de plus de trois mois par le médecin est déjà prévu par le code de l’éducation. Cette disposition relève davantage du pouvoir réglementaire que du domaine de la loi. Avis défavorable.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 47 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 11.

Article additionnel après l'article 11 - Amendement n° 47 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Intitulé de la proposition de loi

Article 12

I. – Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

II. – Les conséquences financières résultant pour l’État du I sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. – (Adopté.)

Article 12
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

Mme le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Masson, n’est pas soutenu.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. En début de débat, M. le ministre a affirmé qu’il souhaitait avancer progressivement et plus lentement sur certains passages du texte. Nous sommes inquiets, car c’est aussi ce que disait régulièrement le Gouvernement à propos de l’amendement sur le report de l’âge de la retraite défendu par la majorité sénatoriale à l’occasion de l’examen des différents projets de loi de financement de la sécurité sociale. Puis le Gouvernement s’est saisi de l’idée, ce qui l’a mis dans l’impasse actuelle.

Le Gouvernement étant à présent incapable depuis quelques semaines de proposer des textes structurants, la droite est passée à l’offensive, ce qu’on ne peut lui reprocher. On le constate, c’est une offensive très conservatrice, puisqu’elle nous présente aujourd’hui un texte visant à démanteler complètement et de manière méthodique l’école ainsi que le service public universel, et « garni » de petites lubies réactionnaires, pour reprendre les propos de ma collègue Céline Brulin.

Nous allons voter contre cette proposition de loi, mais nous sommes inquiets du destin que connaîtra ce texte. Fera-t-il partie d’un futur deal entre la droite sénatoriale ou la droite en général et le futur gouvernement ? Nous nous faisons du souci à propos du destin de l’école qui transparaît au travers de cette proposition.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Les débats sur l’éducation sont rares dans cet hémicycle, compte tenu de l’importance du champ réglementaire.

M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Max Brisson. Le premier budget de l’État donne rarement lieu à autant d’heures de discussion qu’il le mériterait. Le dernier débat en date doit remonter à l’examen du projet de loi pour une école de la confiance.

Je me réjouis donc de nos échanges aujourd’hui. Permettez-moi, madame la présidente, d’y consacrer encore un peu de temps.

Le débat a été certes clivant, je m’y attendais, mais il a aussi été noble. Deux visions de l’école se sont opposées. Il y a eu des dérapages, voire quelques propos assez insupportables.

M. Philippe Mouiller. Tout à fait !

M. Max Brisson. Non, il n’y a pas de racistes sur ces travées. (M. Thomas Dossus sexclame.) Vous pouvez chercher, vous n’en trouverez pas !

En revanche, nous avons défendu une vision beaucoup plus décentralisée de l’école, organisée de manière différente et rompant avec une logique certes honorable et respectable, mais que notre pays ne saurait accepter plus longtemps. Nous ne pouvons plus continuer à consacrer autant de moyens, même s’ils sont nécessaires, sans obtenir de résultats. Voilà l’idée !

Face à la dégradation de nos résultats, nous avons proposé quelques pistes afin de mettre un terme à cette logique. Elles ont été rejetées par une partie de l’hémicycle, comme on pouvait s’y attendre. Quoi qu’il en soit, nous sommes néanmoins parvenus à certains consensus. M. le ministre a également donné quelques orientations intéressantes dont nous aimerions débattre de nouveau dans cet hémicycle.

Madame Brulin, cette proposition de loi n’est pas le faux nez d’un texte gouvernemental. J’espère que vous êtes rassurée sur ce point. En revanche, un certain nombre de pistes ébauchées par le Gouvernement méritent d’être examinées de plus près, car elles paraissent aller dans le bon sens, même si j’aurais souhaité moins d’amendements de suppression de sa part…

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Je remercie Max Brisson d’avoir déposé cette proposition de loi qui a suscité des engouements, même si nous ne sommes pas tous d’accord.

Je salue l’ensemble des sénateurs présents ce soir, qui ont su concilier rapidité des débats et utilité. Je remercie également M. le ministre. Il était important que le Sénat puisse l’entendre ce soir, à un moment un peu trouble dans l’histoire de notre République.

Enfin, je remercie notre présidente de séance, qui a su gérer ce soir nos débats d’une main de maître.

Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.

M. Julien Bargeton. Que les choses soient claires, le RDPI votera contre cette proposition de loi. Certains lui reprochent d’être une commande du Gouvernement quand d’autres déplorent le nombre d’amendements de suppression déposés par le Gouvernement : la contradiction est évidente ! Par ailleurs, notre groupe a voté contre quasiment tous les articles.

M. Michel Savin. Comme la gauche !

M. Julien Bargeton. C’est une chose de parler de pistes de travail, mais il faut de la clarté. Notre vote sera bien défavorable, ce qui ne nous empêche pas, par ailleurs, de dire ce que nous pensons de tel ou tel sujet.

Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 271 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l’adoption 220
Contre 118

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
 

8

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée aujourd’hui, mercredi 12 avril 2023 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Débat d’actualité sur le thème « Impacts économique, social et politique de l’intelligence artificielle générative » ;

Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l’ordre déployées sur tout le territoire national, présentée par M. Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (texte n° 479, 2022-2023) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions (texte de la commission n° 497, 2022-2023) ;

Débat sur la pollution lumineuse.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 12 avril 2023, à une heure quarante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER