M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la numérisation progressive de la société est inéluctable. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, c’est un fait qui s’impose à nous toutes et à nous tous : nous constatons la multiplication des réseaux sociaux et nous mesurons la massification de leurs usages, pour le meilleur et, parfois, pour le pire.

Nous sommes toutes et tous susceptibles d’être exposés numériquement, souvent de notre plein gré, mais parfois contre notre volonté. Il en va de même pour les mineurs, à ceci près que, en raison de leur vulnérabilité, ces derniers méritent une attention toute particulière de la part de ceux qui sont censés les protéger, à savoir leurs parents, mais aussi le législateur, qui doit prendre sa part et qui l’assume.

Cela s’est traduit ces dernières années par une multiplication d’initiatives parlementaires visant à faire évoluer notre législation et à l’adapter aux risques d’un genre nouveau. Madame la rapporteure a mis en avant les textes en question, tout à l’heure : je les citerai de nouveau.

Le 19 octobre 2020, la loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, plus communément appelée loi Enfants influenceurs, a été promulguée. Elle permet aux mineurs de demander l’effacement de leurs données personnelles et des images les concernant sans l’accord préalable de leurs parents. Hier, nous étudiions la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, nous débattons de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants. Le 23 mai prochain, nous devrons nous prononcer sur une autre initiative parlementaire, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.

Il est à noter que tous ces textes, en tant que propositions de loi, émanent de parlementaires, en l’espèce de députés de la majorité présidentielle. Face aux dangers pouvant être causés par ce nouvel environnement numérique, il est évidemment salutaire que le législateur se saisisse de cette thématique.

Pour autant, je rejoindrai là aussi Mme la rapporteure en m’adressant à M. le garde des sceaux : une législation véritablement protectrice ne saurait se bâtir par la multiplication de petites propositions de loi, au champ et à la portée limités, dont les objectifs non coordonnés pourraient être de nature à nuire à la cohérence d’ensemble de notre droit. Ces initiatives parlementaires sont certes les bienvenues, mais force est de constater qu’elles sont partielles et parcellaires.

Une fois n’est pas coutume, il nous semble que, pour faire preuve d’efficacité face à un sujet complexe, il eût été préférable que l’exécutif présente un projet de loi transversal et global. Vous savez, monsieur le garde des sceaux, que, pour rédiger ses projets de loi, l’exécutif dispose de moyens et d’une expertise sans commune mesure avec ceux dont disposent les parlementaires,…

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Exactement !

M. Hussein Bourgi. … ne serait-ce que pour l’élaboration des études d’impact.

Permettez-moi de rappeler que le dernier texte d’origine gouvernementale date de 2016 et avait été défendu à l’époque par Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique lors du quinquennat de François Hollande. Ces travaux de Mme Lemaire avaient abouti à l’adoption de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, comprenant la dernière grande avancée digitale pour les enfants, à savoir une amélioration substantielle du droit à l’oubli des mineurs sur le Net.

À l’ère des mutations numériques, 2016, c’est très loin ! Depuis, le cyberenvironnement a beaucoup évolué. Les problématiques qui y ont trait se sont encore multipliées, en particulier pour les personnes mineures. Un rapport de 2018 de Mme Rachel de Souza, commissaire à l’enfance pour le Royaume-Uni, peut nous éclairer sur l’ampleur du phénomène dont il est ici question. Selon cette étude, un enfant paraîtrait en moyenne sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses propres comptes, sur ceux de ses parents ou des proches de ces derniers.

Si le fait de poster des photos d’enfants sur les réseaux sociaux peut sembler anodin de prime abord, la situation devient plus grave lorsque celles-ci sont détournées à des fins sordides. Selon les rapports du Centre national pour les enfants disparus ou exploités, qui œuvre aux États-Unis, la moitié des photographies d’enfants s’échangeant sur les réseaux pédophiles et pédopornographiques ont été à l’origine postées sur le Net par leurs parents, par leur famille ou par leurs proches. Ces publications, innocentes dans l’intention, peuvent donc être source de détournements, mais aussi de cyberharcèlement.

Aussi, face à ces risques et à ces dangers aux multiples facettes, nous devons nous interroger sur la pertinence, sur l’utilité et sur l’efficacité du texte que nous étudions aujourd’hui.

Il semble que, dans sa forme initiale, cette proposition de loi était dotée d’une portée normative limitée. En effet, ses articles 1er, 2 et 3 semblaient relativement superflus, car déjà plus ou moins satisfaits par le droit positif. Tout au plus garantissaient-ils une meilleure lisibilité de notre législation. L’article 4, relatif à la délégation partielle, sous contrainte, de l’autorité parentale, concernait principalement des cas rares, ce qui prédestinait cette mesure à être peu usitée.

En raison de ces faiblesses, le texte tel qu’il a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale pouvait davantage être considéré comme une proposition de loi déclarative, visant à sensibiliser l’opinion et notamment les parents aux risques auxquels sont exposés les enfants faisant l’objet de publications sur internet.

Déclarer, déclamer, proclamer, c’est bien ; avoir le souci de l’efficacité, c’est mieux. Je sais, madame la rapporteure, que vous avez une appréciation similaire au sujet de cette initiative parlementaire. Vous avez donc souhaité amender ce texte afin d’en garantir une meilleure application et une plus grande efficacité. Je vous en remercie.

Cependant, tous les apports et toutes les modifications effectués par la commission ne sont pas de nature à nous convaincre totalement.

Nous soutenons évidemment la suppression de l’article 2, dont l’apport n’était pas nécessaire, répétant simplement des dispositions déjà en vigueur dans le droit.

Nous nous montrons davantage circonspects quant aux réécritures des articles 1er et 3. Dans les deux cas, il semble que les rédactions choisies puissent donner lieu à interprétation et compliquer, dans la pratique, le travail du juge. Le mérite initial de ces articles était pourtant d’assurer aux professionnels du droit une plus grande clarté de notre législation.

Le nouvel article 5 suscite également quelques interrogations. Celui-ci est venu conférer au président de la Cnil, par voie de référé, le droit d’ordonner aux juridictions compétentes toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la vie privée d’un mineur sans que soient requis des critères de gravité ou d’immédiateté, comme c’est le cas actuellement. Le concept même du référé est intrinsèquement lié au caractère urgent d’une situation : il nous semble donc contradictoire d’autoriser une procédure en référé sans que la considération d’urgence du cas d’espèce entre en ligne de compte. De grâce, ne banalisons pas la notion de référé !

Enfin, nous nous montrons plutôt défavorables à la suppression de l’article 4 de cette proposition de loi. En effet, son dispositif ayant été encadré à l’Assemblée nationale et ne devant concerner que de rares affaires, cette nouvelle mesure aurait pu trouver sa place au sein de notre arsenal législatif.

Ces doutes étant exprimés, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra malgré tout cette initiative parlementaire. Lacunaire, ne couvrant qu’un pan extrêmement restreint de la thématique que ses auteurs souhaitent traiter, cette proposition de loi ne permettra sans doute pas à elle seule de protéger les mineurs des dangers d’internet. Elle a cependant pour mérite de mettre en lumière ces nouveaux risques liés à l’univers numérique, en particulier pour les enfants, et elle ouvrira certainement de nouveaux débats en la matière.

Aussi, je forme le vœu que le Gouvernement se saisisse pleinement de ce sujet afin que nous puissions rapidement nous doter d’une législation encore plus volontariste et plus protectrice pour toutes et pour tous. La balle est désormais dans le camp de l’exécutif. S’il juge le sujet digne d’intérêt, ce que je crois, il saura saisir l’occasion. (Mmes Valérie Boyer, rapporteure, et Esther Benbassa applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la protection de l’enfant est une question fondamentale – cela a été rappelé – qui doit être constamment prise en compte dans nos sociétés. L’ambition de tout parent est d’assurer la sécurité et le bien-être de son enfant, tant sur le plan physique et émotionnel que psychologique.

Toutefois, avec l’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux, l’exposition des enfants sur internet est un phénomène en constante augmentation. Il est de notre responsabilité de moderniser notre législation pour mieux protéger leur vie privée.

Je m’associe aux propos tenus par notre rapporteure et par M. Bourgi : nous aurions pu, au regard des enjeux qui se profilent pour les prochaines années, dans le cadre d’une semaine réservée par priorité au Gouvernement, espérer un véritable projet de loi en la matière. Celui-ci devrait appréhender de façon plus générale les défis auxquels sont confrontés nos enfants, et auxquels ils le seront plus encore à l’avenir si nous n’agissons pas.

La rapidité des développements technologiques au cours des dernières décennies a créé de nouveaux défis pour la protection des mineurs. Tout comme l’ont dénoncé la Défenseure des droits et le Défenseur des enfants dans leur dernier rapport annuel sur la protection des droits des enfants, l’utilisation généralisée des écrans et des réseaux sociaux signifie que les enfants sont plus exposés que jamais à des risques tels que le harcèlement en ligne, la cyberintimidation et la violation de leur vie privée.

Nous, parents, devons prendre conscience de ces dangers et prendre des mesures pour protéger nos enfants. Nous, législateurs, devons moderniser la loi, y compris le code civil, pour protéger la vie privée des enfants dans le contexte du développement du numérique.

Certains pourraient s’inquiéter que des changements dans la loi puissent limiter la liberté des parents d’éduquer leurs enfants comme ils l’entendent. Cependant, il convient de rappeler que l’intention des auteurs de cette proposition de loi n’est pas de restreindre cette liberté, mais plutôt de renforcer la protection des mineurs contre les risques liés à une exposition en ligne. Il est important de souligner que les atteintes à la vie privée des enfants ne sont pas toutes le fait d’intentions malveillantes. Beaucoup n’ont pas conscience des dangers que représentent les réseaux sociaux pour les plus jeunes.

Nous regrettons que la proposition de loi actuelle ne contienne pas de mesures de sensibilisation des parents. Nous devons nous assurer que les intéressés soient pleinement conscients des dangers de publier des photos ou des vidéos de leurs enfants en ligne, même si ces actions sont bien intentionnées. Nous devons les aider à comprendre les risques afin qu’ils prennent des décisions éclairées quant à la façon dont ils exposent leurs enfants.

Il est important de souligner que la protection de la vie privée et de l’image des enfants sur internet est une question qui ne peut être résolue par la législation seule. Les entreprises qui fournissent des plateformes en ligne et les réseaux sociaux ont également une responsabilité dans la protection de la vie privée des plus jeunes. Elles doivent mettre en place des politiques efficaces pour prévenir le harcèlement en ligne, la cyberintimidation et la violation de la vie privée de ce public. Elles doivent également s’assurer qu’ils ne soient pas exposés à des contenus inappropriés.

Il est crucial que nous ayons une compréhension claire et nuancée de la façon dont les enfants utilisent internet et les réseaux sociaux. Les recherches montrent qu’ils ont souvent des comportements en ligne qui peuvent les exposer à des risques, mais qu’ils sont également capables de gérer ces risques s’ils sont correctement informés. Nous devons également tenir compte des différents âges et du développement des enfants lors de l’élaboration de politiques de protection de la vie privée en ligne, parce que, inévitablement, les problématiques ne sont pas les mêmes.

En l’état, nous voterons en faveur de cette proposition de loi, mais nous demeurons convaincus qu’il reste encore beaucoup à faire. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 300 millions, c’est le nombre de photographies qui sont diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux.

Cette appétence pour le partage de contenus témoigne certainement de la capacité du numérique à créer et entretenir du lien social avec nos proches et nos moins proches. Toutefois, nul n’ignore, de nos jours, que toute notre activité en ligne, même la plus anodine, est enregistrée, analysée, décortiquée et finalement monétisée. Ces traces, que l’on croyait éphémères et restreintes, sont en réalité visibles par le plus grand nombre et pour longtemps.

En outre, on estime qu’un enfant apparaît, en moyenne, sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches. Il s’agit de l’un des principaux risques d’atteinte à la vie privée des mineurs, principalement du fait de la difficulté à contrôler la diffusion de son image.

En effet, 50 % des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux. Pis, les informations diffusées sur le quotidien des enfants peuvent permettre à des individus d’identifier leurs lieux et habitudes de vie à des fins de prédation sexuelle.

Enfin, au-delà du risque pédophile, les contenus mis en ligne sont susceptibles de porter préjudice à l’enfant à long terme, sans que celui-ci puisse obtenir leur effacement définitif.

À ces questions s’ajoutent des considérations économiques. En effet, prenant exemple sur leurs aînés, il existe désormais de véritables « bébés influenceurs », comme en témoigne le succès des vidéos mettant en scène des mineurs, seuls ou avec leur famille.

Il s’agit donc d’enjeux économiques forts, à la fois pour les marques, en quête de relais auprès d’un jeune public, et pour les parents. Dès lors, ces derniers doivent assumer un double rôle : celui de gestionnaire et celui de protecteur de l’image de leur enfant.

Ces enjeux peuvent parfois donner lieu à un arbitrage délicat, car les parents peuvent entrer en conflit avec leur enfant en raison des avantages financiers, sociaux ou émotionnels que l’exploitation de l’image de l’enfant peut apporter. L’enfant peut alors être confronté à un conflit de loyauté entre ses propres aspirations et la volonté de ses parents. D’ailleurs, selon une étude, 40 % des adolescents estiment que leurs parents les exposent trop sur internet.

Enfin, l’exposition excessive des enfants au jugement de tiers sur internet et la course aux likes et autres appréciations peuvent engendrer des problèmes psychologiques, en particulier dans l’acceptation de soi et de son image. Nous voyons parfois les ravages de ce phénomène sur des adultes, alors imaginez sur des enfants… En outre, le cyberharcèlement y trouve un terreau fécond.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il est utile de légiférer sur ce sujet. Or si le constat dressé apparaît inquiétant et nécessite une intervention de notre part, le texte que nous examinons privilégie nettement la pédagogie, la sensibilisation des parents et les mesures consensuelles.

Certes, la puissance publique ne doit pouvoir se substituer aux parents qu’en dernier recours, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, mais peut-être aurait-il fallu faire preuve d’un peu plus d’ambition. En l’état, nous ne pouvons qu’espérer que ce texte suffise.

En attendant, notre commission – et je salue le travail de notre rapporteure, Valérie Boyer – a fait le choix d’enrichir et de rendre plus efficace le texte qui nous est proposé, avec pour principal objectif d’éduquer et de sensibiliser les parents.

Ainsi, l’article 1er introduit la notion de vie privée de l’enfant dans la définition de l’autorité parentale, pour mieux faire prendre conscience aux parents qu’il leur appartient d’assurer le respect de la vie privée de leur enfant dans le cadre de leur obligation de protection et de préservation de ses intérêts.

L’article 2 ne faisant que reprendre des dispositions déjà consacrées dans le code civil et précisées par l’article 1er, notre commission a choisi de le supprimer.

L’article 3 précise que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée d’un enfant nécessite l’accord des deux parents, ce qui évitera toute divergence d’approche entre juridictions pour décider s’il s’agit d’un acte usuel ou non usuel. J’entends, monsieur le garde des sceaux, votre désaccord sur ce point, mais je pense qu’il n’y a aucune raison urgente de diffuser des images de son enfant et que nous avons donc le temps de demander aux deux parents leur accord pour faire une telle chose.

Enfin, l’article 5 permet à la Cnil de saisir les juridictions compétentes pour demander le blocage d’un site internet en cas d’atteinte aux droits des mineurs.

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Dominique Vérien. Elle pourra ainsi agir en référé dès lors que les droits de personnes mineures sont concernés, sans condition de gravité ou d’immédiateté de l’atteinte. Tous ceux qui travaillent à protéger les enfants ne peuvent que se réjouir de cette avancée.

En conclusion, il s’agit d’un texte pédagogique et de prévention que le groupe Union Centriste votera. (M. Yves Détraigne applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la moitié des photographies échangées sur les réseaux pédopornographiques avaient initialement été publiées sur les réseaux sociaux par des parents, ceux-ci les croyant banales.

Mais ce n’est pas le seul danger auquel sont exposés ces enfants : mises en scène dégradantes pour faire rire, influenceurs qui font commerce de leur vie de famille… Ces pratiques favorisent le harcèlement scolaire et les problèmes liés à l’intimité, l’acceptation de soi et de son image.

Un enfant apparaît en moyenne sur 1 300 photos publiées avant l’âge de 13 ans, alors qu’il n’a pas encore la maturité nécessaire pour y consentir. Selon une étude menée en 2019, près de 40 % des enfants sont en désaccord avec l’utilisation que font leurs parents de leur image et, une fois adultes, ils leur demandent des comptes.

La protection de leur vie privée manque cruellement à ces enfants et la proposition de loi que nous examinons n’augure pas de progrès majeur. Certes, elle devient un devoir des détenteurs de l’autorité parentale. Pour autant, ce texte est-il suffisant pour responsabiliser les parents, de plus en plus nombreux, dont les intérêts entrent clairement en conflit avec celui de leurs enfants ?

Cette proposition de loi aurait pu suffire il y a quelques années encore, mais la situation actuelle est tout autre : l’avènement des réseaux sociaux, par-delà la simple image des enfants, conduit à exposer des comportements et de nombreux autres aspects de leur personnalité, qui pourront un jour leur porter préjudice.

Ce texte ouvre la voie à des relations conflictuelles aussi bien entre les parents et leurs enfants qu’entre les parents eux-mêmes. Le respect de la vie privée de l’enfant devant toujours rester notre priorité, des propositions complémentaires seraient nécessaires afin de mieux sensibiliser aux conséquences de cet exercice du droit à l’image.

Lorsque cette image est exploitée par des parents qui en font leur fonds de commerce, peut-être serait-il juste, par exemple, que ces enfants perçoivent une rémunération appropriée à leur majorité.

Si nous ne devons pas nous satisfaire de cette proposition de loi, elle a toutefois le mérite de poser les fondements d’une protection du droit à l’image des enfants.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si chacun s’accorde à voir dans l’essor du numérique une chance, notamment pour la jeunesse – en matière d’éducation, de loisir, d’information… – il représente un défi, en cela qu’il charrie des risques n’épargnant pas les plus jeunes. Nous pensons, par exemple, au cyberharcèlement ou à la collecte de données.

Il va sans dire que la protection de l’enfance intéresse, naturellement, le Sénat – et la commission des lois en particulier – au-delà de la seule question des nouvelles technologies. En 2020, nous avons d’ailleurs rendu, Catherine Deroche, Marie Mercier, Michelle Meunier et moi-même, un rapport d’information sur l’obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs.

Comme nous l’avions souligné dès les premières lignes de ce rapport d’information : « Les violences sur mineurs, qu’elles soient de nature physique, sexuelle ou psychologique, ou les privations qui leur sont infligées, parce qu’elles concernent les plus fragiles d’entre nous, sont devenues insupportables dans notre société. »

De plus, j’ai défendu, dans mes rapports réalisés à l’occasion de l’examen des précédentes lois de finances, une augmentation des moyens pour la protection judiciaire de la jeunesse.

L’objet de cette proposition de loi pourrait donner le sentiment d’être plus léger que les violences sur mineurs. Ce n’est évidemment pas le cas, car, d’une part, rien n’est léger quand il est question des plus jeunes et, d’autre part, l’ampleur des difficultés rencontrées avec le numérique ne doit pas être sous-estimée.

De manière générale, et avant de parler du fond, je partage les regrets exprimés par certains de mes collègues : ce texte appelle à faire davantage. Traiter le sujet des enfants et du numérique exige un travail d’envergure, mêlant un ensemble de questions particulièrement complexes touchant, au fond, toutes les générations.

D’ailleurs, la Cnil nous alerte depuis plusieurs années sur ces sujets et nous incite à prendre en compte le point de vue et les droits de l’enfant dans la conception des services et l’élaboration des réglementations.

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Maryse Carrère. Il nous faut aussi protéger les enfants contre l’exploitation commerciale de leurs données. De même, nous devons soutenir le rôle fondamental d’accompagnement des parents et des acteurs de l’éducation.

En effet, si les contenus par lesquels les enfants sont souvent happés sur les réseaux sociaux sont parfois un danger en soi, l’ignorance des parents et la méconnaissance de certains outils en sont d’autres.

Aussi avons-nous le sentiment que cette proposition de loi, qui va certes dans la bonne direction, est insuffisante. J’en veux pour preuve le fait que nous allons examiner dans quelques jours une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.

Ces sujets devraient être traités d’un seul tenant, de sorte que nos rapports et nos analyses tiennent compte des dangers tentaculaires qui guettent notre jeunesse lorsqu’elle s’initie aux mondes faussement virtuels des réseaux sociaux et autres plateformes numériques.

Malgré ces regrets sur la démarche adoptée, je salue la position de notre rapporteure sur le texte que nous examinons aujourd’hui. Celle-ci s’est montrée constructive, notamment en maintenant l’article 1er, qui intègre à la définition de l’autorité parentale le respect de la vie privée de l’enfant.

Je pense que chacun a déjà, d’expérience, vu des parents partager une photo de leur enfant, livrant l’intimité de celui-ci, qui n’a pas lieu d’être exposée. Or introduire la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale soulignera l’importance que les parents doivent accorder à cette question, au même titre qu’ils doivent veiller à la sécurité, à la santé ou à la moralité de leur enfant.

D’aucuns doutent qu’une telle disposition puisse produire des effets efficaces et concrets, mais elle indique la bonne démarche.

De la même manière, la nouvelle rédaction de l’article 3 semble satisfaisante : la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l’enfant devra être l’objet d’un accord de chacun des parents. J’entends toutefois vos réserves, monsieur le garde des sceaux.

Enfin, l’article 5, ajouté par notre rapporteur, permet à la Cnil d’agir en référé pour demander le blocage d’un site internet en cas d’atteinte aux droits et aux libertés d’un mineur. Il s’agit d’une bonne disposition, qui présente surtout l’intérêt de montrer combien le sujet mobilise des acteurs variés et combien il mériterait d’être élargi.

En conclusion, malgré ces quelques remarques, le groupe RDSE est favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la protection des mineurs dans un univers numérique devenu omniprésent constitue un défi majeur pour notre société. Il s’agit d’un enjeu à la fois pour les familles, en premier lieu les parents, et pour les institutions, en matière d’éducation et de santé publique.

À l’heure où les réseaux sociaux inondent notre quotidien, plus de 300 millions de photos y étant diffusées chaque jour, et où le like est devenu une valeur de référence, le phénomène de surexposition sur internet est une réalité. Cette réalité présente de multiples dangers, souvent pas ou peu connus des parents et toujours largement sous-estimés.

Il convient de rappeler que diffuser une photo, donc la rendre publique, au vu et au su de tous, revient à s’exposer au risque qu’elle soit détournée, notamment s’il s’agit d’une photo d’enfant. Les fins de ces détournements d’images sont malheureusement nombreuses et dramatiques : harcèlement – c’est devenu un véritable fléau dans nos écoles –, exploitation commerciale, usurpation d’identité, pédocriminalité…

Je rappelle que la moitié des images qui se trouvent sur les sites pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents. Par ailleurs, en moyenne, avant l’âge de 13 ans un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne, et un tiers des enfants ont une existence sur internet avant même d’être nés.

Ces chiffres expliquent les nombreuses initiatives législatives sur ce sujet et je partage les propos de plusieurs intervenants qui m’ont précédé : il est dommage qu’elles soient examinées de manière séparée.

Pour ce qui concerne le texte qui nous intéresse aujourd’hui, je salue le travail de mon collègue alsacien Bruno Studer, qui s’était déjà mobilisé en déposant et en faisant adopter, en 2020, une proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne.

Notre droit interne et notre droit européen consacrent et protègent le droit à la vie privée. Toutefois, les textes ne concernent pas spécifiquement la vie privée des mineurs, dont la vulnérabilité doit être prise en considération. Au reste, l’examen de la jurisprudence nous démontre que cette question est déjà soumise aux juridictions, notamment en cas de conflit entre les parents.

Je salue le travail mené par la commission des lois, en particulier par notre collègue rapporteure Valérie Boyer, dont je sais l’engagement de longue date sur le sujet. Comme l’a indiqué cette dernière, la vocation de ce texte est avant tout pédagogique, afin de sensibiliser, informer et alerter les parents sur les dangers que peut présenter un tel affichage de leur enfant.

Les parents appartenant de plus en plus à une génération du tout-numérique, le partage des photos peut leur paraître anodin tant cet acte est simple et quotidien. Pourtant, un tel acte peut avoir des conséquences durables, dont nous ne mesurons pas encore pleinement la portée – il n’y a qu’à voir les questions que pose l’intelligence artificielle quant à l’exploitation et au détournement des images.

Alors oui, cette proposition de loi vaut davantage pour sa dimension pédagogique que pour son réel apport juridique. Mais voyons en ce texte une première étape, car sans pédagogie, sans explication et sans information, aucune politique publique ne peut être efficace. C’est d’autant plus vrai que les parents sont les premiers éducateurs des enfants.

Cette proposition de loi appelle donc à une prise de conscience collective : au regard de l’ampleur du défi que constitue le respect de la vie privée à l’heure des réseaux sociaux, il appartient au Gouvernement de mener une véritable politique publique en la matière.

En ce sens, je partage l’avis de notre rapporteure, dont le travail a également permis de formuler des recommandations que je salue, notamment la création d’une page dans le carnet de santé sur l’exposition aux écrans.

Par une approche constructive du texte, la commission a choisi d’intégrer la notion de vie privée à la définition de l’autorité parentale. À cet égard, je me réjouis du retour à la rédaction initiale du texte de la proposition de loi. Cette référence explicite à la vie privée met en lumière cet enjeu, même si nous savons que son respect incombe déjà aux parents dans le cadre de l’autorité parentale.

De même, j’approuve la suppression par la commission de l’article 2, puisque le droit à l’image est d’ores et déjà exercé en commun par les deux parents, ainsi que la suppression de l’article 4, qui ouvrait une délégation forcée de l’exercice du droit à l’image, qui peut être jugée inefficace au regard de ce que peut d’ores et déjà décider le juge des enfants dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative.

Par ailleurs, la réécriture de l’article 3 de manière à inscrire dans la loi que la diffusion de contenus relatifs à la vie privée d’un enfant nécessite l’accord des deux parents évitera des interprétations multiples sur la notion d’acte usuel.

Enfin, l’article 5 permet à la Cnil d’agir en référé en cas d’atteinte aux droits des mineurs. Je salue cet ajout de la part de notre rapporteure et de la commission. En effet, il paraît important qu’une autorité comme la Cnil puisse solliciter le blocage d’un site internet qui ne répondrait pas aux demandes d’effacement.