M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, décarboner notre industrie et créer les conditions de notre souveraineté technologique constituent des objectifs dont la réalisation revêt un caractère d’urgence. Le réchauffement climatique ne cesse de nous le rappeler au gré des phénomènes climatiques extrêmes qui se multiplient et qui, depuis quelques années, sont devenus la norme.

L’enjeu est colossal. La question industrielle est au croisement de tous les défis – sociaux, environnementaux, technologiques – et les crises mondiales qui se succèdent nous l’ont démontré.

Ainsi, en pleine crise sanitaire, la France, le pays de Sanofi, a dû faire face à d’importantes pénuries de médicaments, qui d’ailleurs perdurent.

De même, en pleine crise géopolitique, à cause de la guerre déclarée à l’Ukraine par la Russie, la France et toute l’Europe subissent une pénurie de composants électroniques, qui sévissait déjà avant la crise sanitaire.

Ce constat doit nous pousser à nous interroger en profondeur sur nos modèles économiques. Ceux-ci ont atteint leurs limites et ne permettent pas de relever les défis immenses auxquels nos sociétés sont confrontées. Il est illusoire de penser que la souveraineté européenne pourrait être garantie par le seul jeu des lois du marché, dans un monde où les libertés d’entreprendre et d’investir régneraient en maître sur l’économie, sans contreparties ni maîtrise publique.

La Chine et les États-Unis, dont nous dépendons technologiquement, n’ont jamais retenu ce mode de fonctionnement. L’IRA, adopté cet hiver par les États-Unis, en constitue l’illustration la plus récente : plus de 400 milliards de dollars seront injectés dans l’économie pour doper la production locale, construire américain et, surtout, acheter américain.

Le levier utilisé par les États-Unis n’est donc ni la liberté d’entreprendre ni même celle d’investir. C’est bien le soutien à la consommation des ménages qui est au cœur de ce plan, ainsi que l’octroi d’aides publiques sous réserve de l’achat de produits issus du territoire. À court terme, les États-Unis débloquent des aides d’État ; à long terme, ils s’assurent une souveraineté technologique, industrielle, et énergétique.

La réponse européenne a été timide. Si la proposition de règlement européen Net-Zero Industry Act (NZIA) est adoptée, quelques aides d’État seront bien autorisées, mais la perspective reste centrée sur le court terme : l’objectif est d’attirer les investisseurs, mais sans réellement poser les bases de leur installation pérenne.

Le projet de loi que nous examinons s’inspire de ce règlement. Il ne fait, en réalité, que reprendre les recettes habituelles – un nouveau crédit d’impôt est sur les rails – qui n’ont guéri aucun des maux de l’industrie française : les cadeaux fiscaux octroyés sans contrepartie n’empêcheront pas les délocalisations.

Le Gouvernement n’a dressé aucun bilan de cette politique qu’il continue à mener, dans la continuité de ses prédécesseurs. Pour expliquer le retard industriel français, il a trouvé les parfaits coupables : les délais administratifs et les objectifs environnementaux de la France seraient les seuls responsables !

Alors que le Président de la République appelle à une « pause réglementaire européenne », le groupe CRCE souhaite que l’on pose les bonnes questions.

Combien de milliards d’euros d’exonérations fiscales aux entreprises ont-ils été accordés ? Pour combien de créations nettes d’emploi ? Quel est le réel bilan du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ?

Comment ce texte permettra-t-il de conserver la production en France, d’empêcher les délocalisations et la diminution des activités dites « moins rentables », comme la recherche et le développement ? Le Gouvernement annonce la création de 90 000 emplois industriels, mais, pour l’instant, messieurs les ministres, votre bilan se réduit plutôt à la vente des fleurons de notre industrie, comme celle de Technip, de la branche énergie d’Alstom à General Electric ou encore celle de Nokia.

Les objectifs de la réindustrialisation doivent être clairs. La question est simple : quelles usines, quelles filières et quels emplois veut-on pour la France ?

L’enjeu qui est soulevé par ce texte concerne non pas l’industrie verte, mais l’industrie de l’énergie verte. Dès lors, qu’adviendra-t-il de notre industrie en général, et de sa décarbonation ?

Pourquoi ne pas commencer par renforcer les industries qui existent ? Je ne comprends ainsi pas pourquoi EDF préfère acheter des panneaux photovoltaïques en Chine alors que sa filiale Photowatt en fabrique aussi !

Un autre aspect essentiel est complètement absent de ce texte : il s’agit de la formation, qui a été mise à mal par vos réformes austéritaires. Je pense en particulier à la « casse » des centres de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

Or, sans formation, notre pays ne développera aucun des savoir-faire techniques et technologiques qui conditionnent toute reprise industrielle.

Quant aux travailleurs et aux travailleuses, que ce gouvernement a malmenés en leur imposant une réforme des retraites injuste et largement impopulaire, ils doivent être protégés et leurs droits doivent être renforcés, quelle que soit la place occupée dans la chaîne de production, des donneurs d’ordres aux sous-traitants. Là encore, ce texte ne comporte aucun engagement en la matière.

Nous déposerons des amendements pour enrichir celui-ci, et leur sort conditionnera notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Esther Benbassa et Michelle Meunier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons ce projet de loi dans un contexte mondial d’urgence : défis de production et de souveraineté, urgence climatique, etc.

Nous devons réussir à réindustrialiser de manière décarbonée la France. Les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act et investissent près de 370 milliards de dollars pour soutenir leur économie. Pendant ce temps, l’État chinois contrôle à lui seul les trois quarts de la production mondiale de batteries aux ions de lithium utilisées dans les voitures électriques. Ces faits sont alarmants.

Le poids de l’industrie dans l’économie française a été divisé par deux depuis 1970. Il se stabilise depuis six ans autour de 12 % du PIB, alors que ce taux atteint 23 % en Allemagne. Durant les cinq dernières années, l’industrie française a créé 90 000 emplois salariés et l’on dénombre 80 créations nettes d’usines en France en 2022.

Ces prémices d’un renouveau industriel doivent être encouragées et être conciliées avec de véritables stratégies de développement durable.

Le projet de loi que nous examinons est d’abord un texte technique, qui vise à renouveler le cadre juridique de manière opportune.

La « parallélisation » des procédures administratives et de consultation prévue à l’article 2 devrait ramener le délai réel d’implantation d’une usine de dix-sept à neuf mois.

Par ailleurs, l’inscription du principe de sortie du statut de déchet constitue un nouveau pas franchi dans le développement de l’économie circulaire.

Enfin, le nouveau plan d’épargne avenir climat permettra de mobiliser l’épargne des particuliers pour financer les industries vertes, même si ses modalités restent à préciser.

La commission des affaires économiques a apporté des modifications qui étaient nécessaires. Concernant le foncier, elle a veillé à l’articulation entre ce texte et la proposition de loi sénatoriale ZAN, à laquelle nous sommes attachés, afin que soient exclues des surfaces comptabilisées dans les comptes fonciers les surfaces des nouveaux projets.

Ce point est essentiel pour ne pas freiner le développement des industries vertes, précieuses pour réussir notre transition climatique.

Je salue ainsi notre rapporteur, qui a su relever le défi consistant à concilier le ZAN et l’industrie verte.

L’article 9 prévoit une procédure dérogatoire au droit commun permettant au préfet de modifier unilatéralement les documents d’urbanisme sans consulter les élus sur les grands projets d’intérêt national. Notre rapporteur a remis les élus au cœur de la procédure en instaurant une obligation d’avis conforme. Ce faisant, il préserve le rôle déterminant des élus locaux, qui sont le maillon idoine pour articuler les décisions nationales et leur application de proximité.

Au Sénat, le 31 mai dernier, vous affirmiez, monsieur le ministre Le Maire, que ce projet de loi était « décisif pour accélérer la réindustrialisation de notre pays et réussir la transition écologique ». Pourtant, au vu des travaux du Sénat, si ce projet de loi va dans le bon, ses contours sont flous et il manque d’une vision globale de la réindustrialisation.

En effet, il se restreint aux industries du Big Five, qui ont été citées. Se focaliser sur ces technologies, qui sont certes importantes, c’est faire l’impasse sur les nombreuses autres industries stratégiques qui contribuent elles aussi à la décarbonation de notre économie et aux défis de production.

Je pense aux filières de recyclage et de réemploi et aux matières premières biosourcées, qui sont incontournables dans un monde où les ressources en matières premières sont finies.

Messieurs les ministres, pourquoi ne pas avoir proposé une loi globale sur l’industrie plutôt qu’un texte technique, sectoriel et parcellaire ? À trop cloisonner, on crée des incompatibilités, voire des contradictions comme celles, qui ont été évoquées, entre la loi ZAN et la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, contradictions qui sont préjudiciables aux actions et à la bonne compréhension locale de ces dispositions sur le terrain.

En matière d’industrie, une vision globale, ambitieuse et consolidée s’impose sur l’ensemble des secteurs, mais aussi dans la durée. Or rien n’est dit sur l’innovation et la recherche ; rien n’est dit sur la formation et le défi du recrutement ; rien non plus concernant l’avenir de nos PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), pourtant essentielles au Big Five dans la mondialisation compétitive.

Les membres du groupe Union Centriste proposeront plusieurs amendements : le président Marseille souhaite mieux associer les collectivités territoriales, notamment dans la configuration des Sraddet ; Michel Canévet reviendra pour sa part sur les obligations pour l’État de promouvoir la formation des ingénieurs et des techniciens.

Nous estimons que ce texte constitue tout de même une première avancée. Le groupe Union Centriste votera donc en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « en même temps » : pour une fois, nous sommes d’accord avec la formule. Réindustrialiser, oui, mais pas n’importe comment !

Les objectifs du texte que nous examinons aujourd’hui sont clairement annoncés dans l’exposé des motifs : « Produire en France, c’est produire de façon propre, grâce à notre mix énergétique décarboné. » Il y est également indiqué ceci : « Chaque relocalisation contribue à réduire l’impact de nos activités à l’échelle mondiale. L’atteinte de nos objectifs économiques et climatiques passe par une nouvelle étape d’accélération des implantations industrielles […] pour attirer les industries vertes. Cette ambition s’accompagne également d’une volonté portée par le Gouvernement de former tous les talents indispensables au développement industriel en France. »

Parmi vos objectifs, le groupe RDSE souhaiterait vous voir éclaircir trois paramètres, car, si les intentions sont bonnes, la méthode est un peu floue.

Tout d’abord, vous souhaitez réduire nos impacts à l’échelle mondiale. Le constat est partagé : la désindustrialisation a eu pour conséquences économiques et sociales, en France, la perte de millions d’emplois, mais aussi d’un savoir-faire et d’une expertise. Pour autant, nous ne pouvons pas reconquérir les marchés n’importe comment.

L’état des lieux du réchauffement climatique et les rapports consternants du Giec sur la disparition de milliers d’espèces animales et végétales nous obligent à faire preuve de raison et d’anticipation. Nous avons la responsabilité de faire face à ces défis.

Au-delà du drame humain, le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi les deux années de la crise covid nous rappellent que la France se trouve dans une situation de dépendance. La nécessité d’œuvrer de manière transversale au triptyque du développement durable – le social, l’environnement et l’économie – n’est donc plus à prouver.

Il serait opportun de réaliser une analyse post-covid. Prenons l’exemple des masques : des usines en France se sont transformées pour en fabriquer et constituer une nouvelle filière, car la Chine exportait moins. Quelques mois plus tard, nombre de commandes se sont reportées vers les pays qui produisent à moindre coût – et sont loin de répondre aux préoccupations environnementales –, ce qui a mis les usines françaises en difficulté.

Idem pour les agriculteurs : de nombreux Français ont découvert le marché local et la vente directe pendant les confinements et les ont oubliés quelques mois plus tard. Ils ont repris leurs habitudes en faisant leurs courses en grande surface, retenant le prix comme seul critère d’achat.

Quelles solutions sont-elles prévues pour pérenniser les activités et les rendre compétitives dans un marché mondial concurrentiel ?

Par ailleurs, comment connaître l’impact carbone lorsque les évaluations et les labels ne sont pas identiques ? À l’heure où les groupes ont compris l’intérêt d’une image verte, comment lutter contre le greenwashing ? Il est primordial de faire évoluer les marchés publics et de les affiner.

Enfin, allez-vous prévoir, avec l’Union européenne, des taxes fortes à l’arrivée en France quand les produits étrangers ont un bilan carbone négatif ? Même lorsqu’ils affichent – ce qui est rare – des procédés de fabrication respectueux de l’environnement, les milliers de kilomètres parcourus par ces produits les pénalisent à cet égard.

De telles taxes feraient augmenter les coûts et instilleraient de la loyauté dans la concurrence, car on ne peut pas imposer toujours plus de critères de qualité et de normes environnementales aux entreprises françaises tout en faisant entrer en France et en Europe des produits qui n’y satisfont pas.

Côté fiscal, la France enregistre un déficit commercial sur les biens de 160 milliards d’euros et accumule chaque année près de 150 milliards d’euros de taxes, impôts et cotisations supplémentaires par rapport à ses voisins de la zone euro – sans parler des normes. Difficile, dans ces conditions, d’être compétitif !

Nous considérons qu’un éclairage doit également être apporté sur la formation des talents. Là encore, comment allez-vous procéder ? Quelles nouvelles filières comptez-vous créer ? Selon quel phasage ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour la voie professionnelle, qui doit être une partie intégrante de votre projet ?

Je vous avoue ma surprise de voir l’un des amendements que j’ai déposés être considéré comme un cavalier législatif. C’est bien de construire des entreprises, mais sans expertise humaine, l’intérêt est moindre…

Nous nous interrogeons enfin sur la méthode. Il est beaucoup question de simplification, de démocratie participative et de procédures publiques innovantes. À l’issue de la mission d’information que j’ai présidée sur la démocratie représentative, participative et paritaire, qui a débouché sur le rapport d’information de notre collègue Philippe Bonnecarrère Décider en 2017 : le temps dune démocratie « coopérative », ce dernier et moi-même avons proposé de créer une procédure continue de consultation du public qui couvre toutes les phases du projet d’infrastructure, sous l’égide d’un garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP).

Cette recommandation est adaptable aux projets d’implantation d’industrie verte, car les réunions publiques que vous citez ne relèvent en rien de la coconstruction. En général, les projets sont déjà ficelés lorsqu’ils sont présentés aux habitants, lesquels le savent bien.

Messieurs les ministres, vous l’avez compris, de nombreuses questions demeurent à la lecture de ce texte. J’espère que le débat que nous allons avoir nous aidera à y voir plus clair. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque Laurent Somon a présenté son excellent rapport la semaine dernière devant les membres de la commission des affaires économiques, j’ai été frappé par l’une de ses remarques, qui illustre à mon sens les limites du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

Il pointait le paradoxe de ce texte. En effet, d’un côté, le Gouvernement dit vouloir accélérer les implantations industrielles et affirme, à cet égard, se préoccuper de la mobilisation du foncier industriel. D’un autre côté, ce projet de loi ne comporte pas un mot sur l’objectif ZAN, qui, de l’avis d’une large majorité des acteurs locaux, constitue pourtant le principal obstacle à la disponibilité du foncier en France.

Cette anomalie me laisse perplexe, d’autant plus qu’elle ne fait pas figure d’exception dans ce texte selon moi inachevé. Une fois de plus, l’exécutif raisonne par petits bouts, sans chercher de cohérence globale.

Évidemment, comme nous tous, je soutiens l’accélération des procédures administratives et les mesures facilitant les implantations industrielles vertes. Toutefois, pourquoi réserver ces objectifs majeurs à un seul type d’activité ? Pourquoi réserver la simplification des normes et des procédures à certaines entreprises ?

Je pense à l’immense majorité des entreprises dans nos territoires : les PME, et ses petits patrons, qui n’ont ni les moyens de gérer la complexité ni la chance de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.

Faute d’une vision systémique de la simplification administrative, pourtant prônée par les auteurs de ce projet de loi, nous manquons, une fois de plus, notre cible.

Il ne faut pas seulement simplifier la construction des usines, mais englober toute la chaîne de valeur dans une démarche de simplification. Sinon, les PME sous-traitantes des gigafactories que les ministres ne manqueront pas d’inaugurer (Sourires au banc des commissions.) seront toujours engluées dans la complexité !

Au nom de la délégation aux entreprises du Sénat, j’ai présenté la semaine dernière un rapport d’information sur la simplification des normes et des règles applicables aux entreprises. Mes collègues rapporteurs Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga et moi-même martelons sans relâche cet effrayant diagnostic : le fardeau normatif coûte 60 milliards d’euros par an, soit 3 % de notre PIB, dont 28 milliards d’euros rien que pour nos ETI.

Nous devons réagir vite et collectivement. Dans le respect des prescriptions environnementales et des équilibres sociaux, notre effort de simplification doit impérativement être pensé de façon systémique, constante, déterminée et, surtout, pour toutes nos entreprises ! Or le périmètre de ce texte, qui regorge de mesures très techniques et très ciblées est, au contraire, beaucoup trop restreint.

C’est pourquoi les amendements que je défendrai visent à étendre le processus accéléré d’implantation à toutes les PME qui participent, de façon directe ou indirecte, aux chaînes de valeur des secteurs concernés par le projet de loi.

Messieurs les ministres, je compte sur votre bon sens pour émettre sur eux un avis favorable.

Seule une acception large permettra de transformer l’ensemble de nos chaînes de production. Seule une démarche systémique aura un véritable impact sur la décarbonation de notre économie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « ce changement confronte notre espèce, et la nature, à leurs dernières extrémités ; parce qu’il nous approche du bord de nos modes de vie, de nos ressources ; parce qu’il nous pousse tout au bout des contradictions de nos économies centrées sur la consommation », écrivait la semaine dernière Jérôme Fenoglio, le directeur du journal Le Monde.

Si la sobriété fut à l’honneur l’hiver dernier, non seulement par peur d’un black-out, mais aussi en raison du coût, devenu insoutenable pour bon nombre de Français, de l’énergie, il nous appartient désormais de promouvoir une forme de sobriété heureuse. Car c’est fait, nous avons, pour reprendre le titre d’un livre paru l’an dernier, « mangé la terre » : à force de produire toujours plus et mal en utilisant toujours plus de matière, d’eau et d’énergie, le grand écosystème est à son point de bascule – c’est grave !

Nous devons parvenir à définir clairement ce que vous entendez par l’oxymore « industrie verte ». En effet, tout progrès doit maintenant être envisagé dans les limites planétaires. Il s’agit d’une nécessité absolue, qui engage notre responsabilité envers ceux qui viendront après nous. Le vert ne peut pas être un effet d’aubaine ; il nous oblige !

Oui, il est indispensable de produire en France le fameux Big Five. Il eût même fallu le faire il y a quinze ou vingt ans. Toutefois, le champ de ce texte est trop restreint. Nous avons urgemment besoin d’une loi de programmation pluriannuelle de l’industrie, voire de l’écologie, à revoir tous les cinq ans, pour nous adapter efficacement à ce qui vient.

De plus, quel sera le coût réel de notre production en matière de dégradation de la santé et d’effondrement de la biodiversité ? Évoquer une industrie verte doit être l’occasion de prévoir la satisfaction de nos besoins essentiels et de remettre à l’honneur – pourquoi pas – la manufacture et l’artisanat, qui sont les seules véritables expressions de l’industrie, au sens de l’inventivité humaine.

Autrement, l’industrie verte ne sera qu’un avatar sémantique de plus. Nous devons, comme l’écrit le romancier Jean Rouaud, « sortir de la centrifugeuse infernale du consumérisme ».

Combien d’années faudra-t-il pour que soit pris à bras-le-corps le problème de la fast fashion ? Nous sommes dans un égarement total : des vêtements en plastique, fabriqués à des milliers de kilomètres, sont portés une ou deux fois, puis exportés en tant que vêtements et deviennent instantanément, en arrivant en Afrique, des déchets. Nous avons une énorme responsabilité.

Comment expliquer que le chapitre dédié à l’économie circulaire soit si pauvre ? C’est dommage ! Quelle occasion manquée, alors qu’il y a tant à faire sur le sujet ! Pour trouver une voie alternative entre la Chine et les États-Unis et nous émanciper de la polarisation exacerbée qui gagne la planète, nous devons accroître la coopération européenne et nous appuyer sur le tissu démocratique solide de notre continent.

L’examen du texte en commission a permis d’obtenir des avancées.

À l’article 2, nous avons ajouté à la consultation numérique la consultation par voie postale, qui est absolument indispensable, sachant qu’un Français sur trois est concerné par l’illectronisme.

À l’article 4, nous avons allongé le délai dont dispose le ministre pour sanctionner un transfert illicite de déchets, ainsi que le plafond de l’amende, pour la rendre suffisamment dissuasive. S’agissant d’un sujet particulièrement préoccupant, cela nous paraît être la moindre des choses.

En ce qui concerne l’article 7, la compensation environnementale, qui consiste à créer des sites naturels de restauration et de renaturation, doit conduire non pas à organiser la pollution, mais à réduire cette dernière jusqu’à la faire disparaître.

S’agissant du volet dédié à la commande publique, nous proposerons des amendements pour en faire un véritable levier de progrès.

Vous l’aurez compris, messieurs les ministres, nous attendons davantage, bien davantage, car les défis sont colossaux. Réindustrialisons, mais faisons-le bien : l’argent public doit être mieux utilisé, et, surtout, les collectivités territoriales, qui sont parfaitement légitimes, doivent garder la main !

Nous serons vigilants sur l’article 9, dont la rédaction initiale était inacceptable et pourrait constituer une ligne rouge. Ce serait folie que d’ignorer l’expertise et les synergies territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur pour avis de la commission de laménagement du territoire applaudit également.)

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, annoncée avec fracas par le Président de la République, la relance de la réindustrialisation de notre pays devait être amorcée par le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

Mais cette révolution aura-t-elle bien lieu ? Attendu comme la pierre angulaire d’une nouvelle dynamique industrielle, ce projet de loi répond à des objectifs louables, que tous, sur ces travées, nous partageons.

La réindustrialisation de notre pays et la décarbonation de notre industrie doivent permettre à la France de devenir un champion international des technologies décarbonées, tout en réduisant drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

À l’échelle planétaire, la concurrence fait rage ; nous devons être à la hauteur du défi. Le protectionnisme économique chinois et les milliards de l’Inflation Reduction Act sont autant de symboles de ce contexte international concurrentiel, d’une densité inédite.

Les enjeux sont clairement identifiés et les besoins connus. Nous ne pouvons que saluer les mesures de simplification salutaires qui sont introduites par ce texte. Elles feront chuter le délai réel d’implantation des usines sur notre territoire.

En effet, cependant que l’Allemagne met entre quatre et douze mois pour implanter une usine, ce projet de loi doit nous permettre de réduire ce délai de dix-sept à neuf mois. Il s’agirait d’un bond en avant non négligeable, qui devra toutefois se matérialiser dans nos territoires.

Le développement de l’économie circulaire est également au cœur de ce texte et nous ne pouvons que partager la volonté d’inscrire dans la loi le principe de sortie du statut de déchet implicite.

De même, le déploiement du dispositif « sites industriels clés en main » va dans le bon sens en vue de faciliter l’implantation d’unités industrielles, à l’exemple des gigafactories dans le Dunkerquois, cher à Valérie Létard.

Pourtant, un fossé regrettable existe entre l’ambition affichée par le Gouvernement et le contenu de ce texte. Nous restons au milieu du gué quant à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de nos industries. Texte technique, ce projet de loi relatif à l’industrie verte a tout du fourre-tout et ne constitue en rien la révolution attendue.

Aux côtés de nos rapporteurs Laurent Somon, Fabien Genet, Jean-Yves Roux et Christine Lavarde, que je remercie profondément de leur engagement, nous avons œuvré pour enrichir ce texte, le sécuriser et en faire un véritable atout pour notre industrie, plutôt qu’un simple signal pour les investisseurs étrangers.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et le Sénat ont pris toute leur part pour ajuster ce texte. La protection du principe pollueur-payeur, la préservation du rôle primordial de la participation du public au sein de la procédure d’autorisation environnementale ou la création de projets territoriaux d’industrie circulaire sont autant de garanties apportées par le Sénat en matière environnementale.

L’extension du champ de l’article 13 aux contrats de concession améliorera l’efficacité de ce texte en couvrant les deux grands types de contrats de la commande publique. De plus, l’ouverture de la mutualisation des Spaser aux plus petites collectivités permettra aux élus de s’appuyer sur un outil juridique innovant afin de verdir, à leur échelle, la commande publique.

En effet, le verdissement de la commande publique ne doit pas être l’apanage des grosses collectivités. Il s’agit d’un enjeu majeur pour l’ensemble des acteurs publics.

Texte nécessaire, ce projet de loi ne répond donc que partiellement aux attentes majeures qu’il avait suscitées. Pourtant, en responsabilité, le Sénat l’a enrichi et ajusté de manière significative afin de permettre à notre industrie de franchir une nouvelle étape sur le chemin de la compétitivité.

À ce titre, mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)