Dossier législatif : projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022
Question préalable (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi, rejeté par l’Assemblée nationale, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2022 (n° 684, 2022-2023).

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré un refus argumenté par le Parlement l’année dernière, le Gouvernement décide, de nouveau, de nous soumettre le projet de loi de règlement de l’année 2021.

Par définition, il s’agit du même texte, car, c’est vrai, vous ne pouvez pas modifier le résultat en exécution du budget de notre pays, monsieur le ministre. Dont acte !

Vous avez tout de même fait fi des 235 votes contre du Sénat et des 68 abstentions exprimées l’année dernière. Vous avez également fait fi des 173 voix exprimées contre le texte en lecture définitive, entraînant son rejet par l’Assemblée nationale. Bien que la démocratie parlementaire se soit montrée défavorable à ce texte, vous persistez. Il n’est donc pas surprenant que ce projet ait été rejeté une nouvelle fois à l’Assemblée nationale en première lecture.

Monsieur le ministre, comment expliquez-vous que votre projet de loi de règlement ait été déposé hors délais, alors que c’est vous-même qui aviez décidé d’en avancer la date lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances ?

Certes, le projet de loi de règlement pour 2022, qui est le seul légitime à nous être soumis, a été déposé dans les temps. Cela étant, nous y retrouvons les mêmes caractéristiques qui nous obligent, par constance politique, à réitérer nos qualificatifs : c’est un budget exécuté et appliqué de façon insincère.

Cette motion de rejet, mes chers collègues, vise à envoyer un signal puissant. Nous ne pouvons plus nous contenter de rejeter les uns après les autres, depuis maintenant quatre ans – bientôt cinq –, les projets de loi de règlement qui nous sont soumis. Nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était. Il nous faut faire un geste fort.

Bien que nous fussions opposés à ces projets de loi, notre groupe n’avait jamais déposé de telle motion de procédure, même après la crise sanitaire, malgré des dérives budgétaires inédites. Pourtant, alors que la situation sanitaire est revenue à la normale, l’irresponsabilité budgétaire n’a pas cessé.

C’est une motion d’anticipation par rapport au prochain budget. C’est une question préalable qui vise à exprimer un « plus jamais ça » en matière de piétinement de l’autorisation budgétaire. C’est une question préalable d’intérêt général, placée sous le sceau de la sincérité et de la transparence. Ce parking politique ne peut plus durer. L’art de l’anticatastase doit cesser !

En effet, le projet de loi de finances pour 2021 et le projet de loi de finances pour 2022, tout comme les projets de loi de finances intervenus en cours d’année, agrègent des prévisions manifestement hors de propos avec la réalité en exécution, laissant ouverte la voie de l’insincérité budgétaire, doublée d’une insincérité politique. Je le dis et le répète, les finances publiques sont gérées à la petite semaine !

Le déficit public atteint avec vous 151,4 milliards d’euros, soit 4,7 %. Ce niveau est inférieur aux 6,5 % de l’année précédente, soit 19,3 milliards d’euros de moins. Ce montant est quasiment celui qui a été déterminé en loi de finances initiale, à 8 milliards d’euros près : des broutilles, même si c’est le niveau des recettes annuelles que vous prélevez sur les seuls travailleuses et travailleurs par votre contre-réforme des retraites… Eh oui, nous n’aurons jamais fini d’en parler !

Vous nous avez affirmé tout à l’heure que le Sénat s’était trompé d’exercice : après l’Assemblée nationale, le Sénat se trompe à son tour. Force est de constater, d’ailleurs, que nous nous trompons depuis des années… (M. Julien Bargeton s’exclame.)

Quoi qu’il en soit, le respect apparent des lois de finances initiales cache une sous-estimation massive des recettes fiscales : +27,5 milliards d’euros par rapport à 2021, +35,7 milliards d’euros par rapport au projet de loi de finances initial, +7,5 milliards d’euros par rapport au dernier collectif budgétaire.

Les rentrées fiscales sont donc extrêmement dynamiques, bien supérieures à ce que vous escomptiez : s’agit-il d’une erreur ou d’un tour de passe-passe ? Sommes-nous face à une forme d’aveuglement par rapport aux profits et autres dividendes ?

L’exposé des motifs du projet de loi de règlement est extrêmement clair sur les raisons de l’envolée des rentrées fiscales : « Les recettes d’impôt sur le revenu net sont en ressaut de 6,6 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale, essentiellement en lien avec le dynamisme de la masse salariale et des dividendes. »

La seconde cause invoquée est l’explosion de l’impôt sur les sociétés, en augmentation de 45 % par rapport à 2019 : « les recettes d’impôt sur les sociétés net sont supérieures de +22,1 milliards d’euros par rapport à la prévision initiale. »

Voici la première insincérité politique : la négation de l’augmentation des profits des entreprises pour feindre de ne pas savoir ce qu’est un profit ou un superprofit !

C’est une omission coupable, dont les prévisions budgétaires n’ont été qu’un support. Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment publié des éléments en ce sens, qui témoignent que « la hausse des bénéfices des entreprises a été le principal moteur de l’inflation en Europe au cours des deux dernières années, les entreprises ayant augmenté leurs prix au-delà de la flambée des coûts de l’énergie importée ». (M. Éric Bocquet approuve.)

Je m’adresse en cet instant au Gouvernement et à mes collègues : il faut cesser, nous vous le disons depuis le retour de l’inflation sur le sol européen, d’ériger la terrible guerre en Ukraine et la folie des marchés de l’énergie fondée sur des règles politiques absurdes en seules responsables de l’envolée des prix ! Nommez les véritables coupables, à savoir la cupidité de ceux qui s’enrichissent sur la guerre et se servent de prétextes relayés ici ou là pour enrayer l’ardente ambition redistributive.

Non seulement il a été refusé de mettre les entreprises à contribution, mais il nous a fallu les aider massivement face au prix de l’énergie, tout en préservant les marges de celles qui se sont gavées !

Le bouclier tarifaire sur l’électricité a représenté une dépense supplémentaire de 18,3 milliards d’euros, soit le surplus phénoménal des dépenses budgétaires. La compensation indue aux fournisseurs d’électricité des pertes liées à cette baisse de prix atteste de cette folie dépensière au service du capital.

Les aides aux ménages supplémentaires par rapport à 2021 font pâle figure par rapport à l’arrosage tous azimuts d’argent public pour pallier la folie des marchés.

L’État providence s’est transformé en 2022 en un État ambulance des victimes de la marchandisation de la société et en un État complice de la hausse des profits sans partage !

Au total, toutes recettes supplémentaires – 43 milliards d’euros – et toutes dépenses supplémentaires – 47,5 milliards d’euros – représentent in fine 59,8 % du déficit constaté pour l’année 2022. C’est peu dire qu’il y a de l’argent !

Comme nous vous le disions, nous sommes passés du « quoi qu’il en coûte » au « quoi qu’il advienne » ! Les dépenses publiques ont augmenté de 109,6 milliards d’euros par rapport à l’avant-pandémie. Pour quelles utilités sociales et pour quels progrès sociaux ? Il n’y a eu que des rabots ici et là, au détriment de l’intérêt des classes moyennes et populaires, qui, en 2022, ont eu droit à un chèque, « l’aide exceptionnelle de solidarité » pour les plus précaires, créant 1,3 million d’« oubliés » qui n’ont pu le percevoir. C’est insuffisant et révoltant !

L’insincérité budgétaire et politique se manifeste également par des pratiques d’affichage dont le plan de relance est l’un des révélateurs.

Le plan de relance est supplanté par un autre plan : celui de la communication. La diminution de 7,3 milliards d’euros des crédits est imputable en grande majorité aux aides exceptionnelles versées à France Compétences ou à Pôle emploi, lesquelles n’avaient rien à voir avec la relance.

En effet, 3,7 milliards d’euros de cette économie fictive ont consisté à basculer les aides à l’alternance visant à créer une main-d’œuvre gratuite vers un autre programme budgétaire, tout en faisant coexister les dispositifs d’activités partielles sur plusieurs programmes. Le plan de relance a financé des dépenses qui n’avaient rien à avoir avec la relance…

Le plan de relance est aussi le symbole des annonces non suivies d’effets. En 2021, quelque 24,9 % des crédits n’ont pas été consommés et, en 2022, ce taux s’élevait à 34,1 %, selon la Cour des comptes, « en raison de dispositifs au financement plus complexes que prévu ou qui ne trouvent pas leur public », entraînant 6 milliards d’euros pour chacune de ces deux années de reports de crédits sur les années suivantes.

D’autres le souligneront peut-être après moi, toutes ces dépenses annoncées ne bénéficieront pas aux collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, vous avez comparé à plusieurs reprises les comptes administratifs de l’État et ceux des collectivités territoriales : croyez-vous que toutes les collectivités territoriales de France ont les moyens administratifs de l’État ? Connaissez-vous beaucoup de collectivités territoriales ayant mis en débat des comptes administratifs insincères, avec un tel niveau de reports et de telles prévisions erronées ? Je vous mets au défi de me citer un seul exemple !

Cette année encore, 14,3 milliards d’euros ont été reportés, laissant perdurer ce que je qualifierai de politique de la cagnotte. Les contre-vérités budgétaires, les manœuvres dilatoires et autres négations de la réalité comptable aggravent la situation des finances publiques.

Mes chers collègues, cette motion de rejet est un outil que nous mettons à votre disposition pour envoyer un message clair : le Gouvernement est défaillant dans ses prévisions, dans sa conception et dans ses réalisations budgétaires. Cette défaillance s’appuie sur une volonté politique d’insincérité.

Votons cette question préalable, pour que le prochain projet de loi de finances soit différent. Votons cette question préalable, parce que les erreurs d’hier font les déficits de demain, l’endettement d’après-demain et l’impossibilité d’investir pour la transition écologique et les services publics maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. La commission a émis un avis défavorable, et cela pour plusieurs raisons.

Si nous pouvons partager, les uns ou les autres, certains des arguments qui viennent d’être développés, nous avons aussi envie de débattre de ces deux projets de loi de règlement, plutôt que de couper court à toute discussion.

Je veux également redire au ministre qu’il n’est pas tout à fait possible de comparer, comme il l’a fait, sur un ton gentiment professoral, mais professoral tout de même, les différents comptes administratifs. Un compte administratif, ce n’est pas qu’une exécution budgétaire, monsieur le ministre !

M. Éric Bocquet. Tout à fait. Soyons sérieux !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je vous ai cité quelques exemples de non-respect par le Gouvernement de mesures qui ont été votées par le Sénat.

En outre, le sujet des reports n’est pas mineur. De notre point de vue, c’est aussi une manière d’interroger le Gouvernement. Comment cela s’explique-t-il ? Pourquoi garder autant de réserves ? Tout cela semble pour le moins manquer de bonne exécution budgétaire, de sobriété, de rigueur.

C’est pourquoi le débat que nous proposons d’avoir aujourd’hui nous paraît utile.

J’émets donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Monsieur le rapporteur général, si j’ai tracé un parallèle avec le compte administratif d’une commune, ce n’est pas de façon professorale, mais en m’appuyant sur mon expérience, que je partage avec beaucoup d’entre vous ici, de conseiller municipal.

J’entends que cela vous dérange,… (Marques dironie sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Aucunement !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … car il est difficile de justifier le rejet d’un texte qui ne vise qu’à présenter une photographie de l’exécution des comptes de l’année précédente !

S’il en avait été autrement, si cela avait été un véritable texte budgétaire, comment expliquer que le rejet l’an dernier du projet de loi de règlement pour 2021 n’ait eu aucune incidence dans la procédure ? N’est-ce pas la preuve que de tels textes ne font que traduire une photographie des comptes de l’année précédente ?

Vous décidez de rejeter aujourd’hui ces projets de loi de règlement, si ce n’est à l’issue du vote de cette motion, du moins, à en croire le sens de vos propos, à l’issue de l’examen de ces textes. Assumez-le : nous sommes en démocratie, nous ne saurions vous en faire le procès !

Permettez-moi néanmoins d’exprimer mon incompréhension, qu’il s’agisse de ces deux textes ou du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2022, qui sera examiné ultérieurement.

Le Gouvernement est évidemment défavorable à cette motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 322 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 279
Pour l’adoption 27
Contre 252

Le Sénat n’a pas adopté.

Question préalable (début)
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Article liminaire

Discussion générale commune (suite)

 
 
 

M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Pierre Mauroy disait que la rigueur, c’est l’austérité plus l’espoir. En termes mathématiques, cela revient à l’opération suivante : l’espoir, c’est la rigueur moins l’austérité.

Chaque texte budgétaire que nous examinons confirme l’« équation Mauroy ». Lois de finances initiales, rectificatives, de règlement des comptes et autres lois de programmation : tous ces textes suivent des procédures millimétrées, présentent des tableaux, des études d’impact, des prévisions et des ajustements. Ils respectent des règles et les carcans imposés par nos engagements européens. Bref, tous ces textes, que je qualifie de Canada dry, ont la couleur de la rigueur budgétaire, sans le goût de l’austérité. Ainsi entretiennent-ils, année après année, l’espoir d’une amélioration prochaine… Convenons qu’il s’agit plutôt d’une ivresse des profondeurs.

Je n’en tiens pas rigueur, si je puis dire, au Gouvernement, en tout cas pas à vous, monsieur le ministre, car je sais toute l’énergie que vous déployez pour maîtriser les comptes.

Je sais aussi tout l’attachement de notre commission des finances, et singulièrement de notre rapporteur général, à la diminution des dépenses et de la dette publiques, mais je crois sincèrement que nous devons prendre acte, mes chers collègues, d’un échec collectif : notre approche, pour rigoureuse qu’elle paraisse, ne nous permet pas de changer la donne. Pour reprendre le contrôle de nos comptes, il nous faut changer de logiciel et nous astreindre à la rigueur. Ce changement impliquerait une approche intégrant l’impératif de transformation écologique dans la comptabilité budgétaire, donc une analyse en valeur plutôt qu’en coût – mais c’est là un autre débat.

J’en reviens à la rigueur et je vais illustrer mon propos par un exemple très précis. En 2022, la charge de la dette a augmenté de 12 milliards d’euros. La hausse sur cette seule année est d’un montant supérieur à celui des crédits de la mission « Plan de relance » sur le même exercice. Autrement dit, le poids de notre endettement bride notre capacité à préparer l’avenir. Ne pas réduire nos dépenses publiques, c’est nous empêcher d’investir à la fois dans nos services publics essentiels, dans les technologies de rupture et dans la transformation écologique.

Pour regagner des marges de manœuvre, il nous faut diminuer drastiquement d’autres dépenses. C’est tout le paradoxe à surmonter.

Ces équations difficiles sont des questions d’arbitrage. Il ne s’agit pas seulement de pointer du doigt telle ou telle dépense ; l’enjeu est bien d’indiquer des préférences, de raisonner de façon globale et, en définitive, de faire des choix.

C’est précisément ce que nous faisons chaque automne. Le vote du budget est un moment fort de la vie parlementaire et l’une des prérogatives essentielles du Parlement. La Constitution de la Ve République ne prévoyait d’ailleurs à l’origine que deux sessions : l’une budgétaire, à l’automne, et l’autre législative, aux beaux jours. Justement, il me semble de bonne politique de réserver les débats budgétaires à l’examen des projets de loi de finances, et, le cas échéant, des projets de loi de finances rectificative.

Un projet de loi de règlement n’est pas censé être l’objet de querelles politiques. Il est de bonne gestion d’arrêter, en année n, les comptes de l’année n-1. Il ne me semble pas opportun de s’opposer à la clôture des comptes.

Un projet de loi de règlement des comptes n’a pas vocation à devenir un règlement de comptes politiques.

Adopter ce texte ne revient pas à souscrire aux orientations budgétaires et politiques qu’il sous-tend : c’est simplement prendre acte des décisions passées, en responsabilité et dans le respect de nos institutions.

J’ai moi-même indiqué les réserves de notre groupe quant à la situation de nos finances publiques. Toutefois, je doute que nous améliorions les choses en rejetant ce texte.

Notre seule préoccupation doit être de faire repasser nos dépenses en deçà de nos recettes, et de limiter le taux de nos prélèvements obligatoires pour préserver la compétitivité du site France. C’est la condition sine qua non pour réindustrialiser notre pays et garder notre souveraineté.

J’espère que le Gouvernement nous soumettra les économies récemment annoncées et que notre commission des finances sera également force de propositions. En tout cas, le groupe Les Indépendants le sera. En attendant, nous soutenons les deux projets de loi de règlement de budget et d’approbation des comptes pour les années 2021 et 2022. (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Monsieur le ministre, je vous donne acte que les rejets des projets de loi de règlement disent bien quelque chose de notre démocratie mal en point, mais ils n’ont rien de pavlovien.

Comme je ne suis pas sûr que nous nous retrouvions au prochain projet de loi de finances – j’ai eu écho de rumeurs de remaniement ministériel (Sourires.) –, je dois vous dire une nouvelle fois ma conviction profonde sur vos choix budgétaires : ils ne répondent ni aux défis climatiques ni aux défis sociaux de notre pays.

L’accroissement de la dette et de la charge de celle-ci ne constitue pas une bonne nouvelle, d’abord parce que cela diminue la capacité à agir de l’État. Les 13 milliards d’euros de hausse de la charge de la dette auraient largement suffi à éviter cette réforme injuste des retraites que vous avez imposée aux Français malgré leurs protestations constantes.

La dette n’est pas mauvaise en soi dès lors qu’elle est consacrée à des investissements qui vont réduire notre dépendance aux fossiles et notre déficit extérieur. C’est la raison pour laquelle nous soutenons les constats et les propositions du rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz. Toutes les dettes ne sont pas bonnes, mais celles pour l’investissement pour le climat le sont. S’endetter pour isoler tous les logements du pays, pour décarboner les transports, pour installer éoliennes et panneaux solaires aurait un impact bénéfique immédiat.

De plus, nous nous privons, ou plutôt, vous nous privez de recettes, puisque vous avez réduit de 50 milliards d’euros la TVA au bénéfice de l’État, afin de compenser les recettes amputées des collectivités, la suppression de la redevance de l’audiovisuel public, ou encore celle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et ce sans contrepartie.

C’est un très mauvais scénario : vous diminuez la capacité à agir de l’État et des collectivités, la qualité dans les services publics, puis vous pleurez que la dette augmente et vous faites dire aux usagers via votre plateforme En avoir pour mes impôts que les services publics ne sont pas bons.

Ne nous privez plus de recettes, monsieur le ministre, pour nous permettre, comme le réclame le rapport de M. Pisani-Ferry et de Mme Mahfouz, de relever le défi climatique. L’exécution budgétaire reflète des petits pas et des demi-mesures, quand les dérèglements avancent, eux, à grands pas, provoquant de forts bouleversements, jusqu’à menacer la ressource en eau de notre pays. Qui eût prédit cela ?

Il nous faut entre 25 milliards d’euros et 34 milliards d’euros de financements publics par an d’ici à 2030 pour lutter contre le dérèglement climatique et s’y adapter. Vous avez écarté d’un revers de main notre ISF (impôt de solidarité sur la fortune) climatique. Entendez la proposition qui vous est faite d’appeler à une contribution exceptionnelle les 10 % les plus aisés, qui sont aussi les plus pollueurs, quand les plus modestes sont ceux qui subissent le plus durement les conséquences.

Comme le Réseau Action Climat, nous estimons qu’il faut « davantage détailler l’analyse des politiques de transition écologique sur les inégalités sociales et la pauvreté » et avancer vers un budget vert et sensible aux inégalités.

La Cour des comptes a d’ailleurs qualifié le budget vert annexé au projet de loi de règlement de « démarche inaboutie ». C’est le moins que l’on puisse dire, puisque le bouclier tarifaire de 45 milliards d’euros n’a pas été intégré dans les dépenses défavorables au climat, alors qu’il constitue une aide à la consommation d’énergies fossiles.

Donnons-nous les moyens de réellement évaluer nos actions et de les infléchir. Notre groupe renouvelle sa demande d’une loi de programmation des financements de la transition écologique, car il y a urgence. Face au covid, vous aviez pris des mesures exceptionnelles. D’autres mesures exceptionnelles sont aujourd’hui indispensables face à la crise climatique, dont la gravité n’est pas moindre.

Notre groupe défend également le service public, qui est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

L’affaiblissement continu des services publics dans les territoires ruraux, comme dans les quartiers populaires, aboutit à un sentiment d’abandon et de désespérance que les « gilets jaunes » et la crise actuelle révèlent avec violence. Il y a urgence de plus et mieux de service public. Surtout, la solidarité est indispensable, alors que l’inflation, en grande partie spéculative, attaque le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Enfin, et ce sera mon dernier point, il y a une insincérité des documents présentés : je pense à tous les reports de crédits et à tous les écarts, dans des proportions historiques, qui malmènent les droits du Parlement sur l’élaboration du budget et le contrôle de son exécution.

Dans un contexte d’urgence climatique et d’augmentation des inégalités, les budgets de 2021 et 2022 ont été des occasions manquées, pour les services publics comme pour la transition. Les profits et les dividendes records auraient pu servir au financement d’une véritable bifurcation environnementale et sociale. Par votre politique budgétaire, vous nous privez de recettes fiscales, mais la crise climatique ne repassera pas les plats et l’insuffisance de l’action aujourd’hui se traduira par l’aggravation des crises demain. C’est pourquoi nous désapprouvons ces projets de loi de règlement.

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer d’être bref, non pas pour abréger nos souffrances, mais parce que j’ai conscience que j’aurai du mal à vous convaincre quand M. le ministre a échoué. Je vais tout de même essayer.

Il n’y a jamais eu de rejet par les deux chambres des projets de loi de règlement depuis 1833, soit 190 ans. L’Assemblée nationale et le Sénat avaient alors rejeté les comptes de Baron de Montbel, ministre des finances au moment des Trois Glorieuses. Depuis, la France a vécu des périodes politiques autrement plus compliquées et tendues que l’actuelle, aux XIXe et XXe siècles. Pour autant, jamais les deux chambres n’ont voté ensemble contre des projets de loi de règlement.

Je ne peux donc y voir qu’un acte politique, comme l’on peut en voir parfois – mais pas toujours ! – dans les collectivités locales. Il se trouve que j’ai été adjoint aux finances d’une grande collectivité locale. Les oppositions avaient à cet égard des attitudes différentes. Il y a eu des moments où elles n’ont pas voté les comptes administratifs, mais, à d’autres, des opposants très déterminés et virulents au moment du vote du budget – je pense par exemple à une personne devenue depuis députée LFI –, choisissaient de faire la part des choses en votant le compte administratif, considérant qu’il retraçait la façon dont nous avions fait appliquer par les services notre projet politique.

Ce n’est pas le choix que vous faites, ce qui me conduit, j’y insiste, à en faire une lecture politique. C’est d’ailleurs honorable, mais ne sous-estimez pas cette attitude en la banalisant. Ne prétendez pas non plus qu’il y a des raisons de fond derrière votre décision. Je le répète : cela fait 190 ans que les deux chambres n’ont pas fait ensemble un tel choix.

Sur le fond, vous comprenez que j’approuve ces deux projets de loi de règlement. En 2021, nous avons eu le plan de la relance, mais aussi le fonds de solidarité, les allocations chômage, le soutien aux ménages, les programmes d’investissements d’avenir (PIA) doublés. En 2022, nous avons eu le budget de la lutte contre les conséquences de l’inflation. Je ne peux que me réjouir que le Gouvernement ait fait tout ce qu’il a fait, notamment avec le chèque carburant, pour limiter l’impact de l’inflation sur nos concitoyens.

Au-delà, je rappelle que la baisse de l’impôt sur les sociétés a paradoxalement permis d’engranger 22 milliards d’euros de plus que ce qui était prévu. C’est la preuve qu’un moindre taux peut rapporter plus de recettes.

En 2022, la croissance a été de 2,6 %, comme l’a rappelé M. le rapporteur général. Dans un tel contexte international, j’y vois les effets des actions entreprises par le Gouvernement.

Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera ces deux textes, car nous partageons les constats dressés par le Gouvernement.

Pour autant, comme certains l’ont déjà dit, c’est une photographie administrative. Il me semble que s’abstenir ou ne pas prendre part au vote, comme le font beaucoup d’oppositions dans les collectivités, permettrait d’envoyer un message politique tout en laissant passer les textes, qui sont utiles au Gouvernement pour régler des questions administratives. L’exécutif n’aurait ainsi pas à chercher d’autres solutions pour faire approuver le bilan.

C’est dommage d’en arriver là, parce que, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, la Cour des comptes a certifié les comptes. Elle ne parle nulle part d’« insincérité », terme que certains ont employé à tort. Il n’y a pas d’insincérité particulière qui justifierait un acte politiquement fort, à savoir le rejet par les deux chambres, inédit depuis 1833, de ces projets de loi de règlement.

Le moment me semble peu pertinent pour manifester votre opposition, alors que le débat budgétaire à l’automne permet d’avoir ce débat démocratique et de s’opposer aux projets gouvernementaux quand on ne les partage pas.

Je regrette la position du Sénat aujourd’hui, tout en espérant que le Gouvernement trouvera les solutions pour régulariser la situation comptable de l’État et éviter un certain nombre de difficultés qui risqueraient de se produire au bout de quelques années.