M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est un vrai sujet ! (Mme Cécile Cukierman renchérit.)

M. Frédéric Buval. C’est notamment le cas des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), dont un avis préalable conforme est obligatoirement requis en outre-mer, dans des délais hélas trop courts, alors que, dans l’Hexagone, ces instances ne délivrent qu’un avis simple sur l’opportunité de certaines procédures d’urbanisme, au regard de l’objectif de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles.

Ma question est simple, monsieur le ministre : pourquoi maintenir cette doctrine discriminante ? L’obligation d’avis conforme en outre-mer suscite l’incompréhension des élus locaux et entraîne indubitablement de nombreux contentieux, sans résultats probants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.

M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, ce débat est pour nous l’occasion de vous soumettre plusieurs questions qui émergent au sein des régions, pleinement occupées à décliner les objectifs du ZAN dans leurs nouveaux schémas d’aménagement territoriaux.

La loi accorde à ces collectivités neuf mois de plus pour finaliser les Sraddet – l’échéance est ainsi reportée à novembre 2024 –, mais l’on constate de grandes différences dans le rythme d’avancement de leurs travaux, ce qui illustre les profondes disparités régionales en matière de taux d’artificialisation et de stratégie de réduction de la consommation foncière.

Deux points de vigilance semblent émerger.

Le premier porte sur le mode de décompte des grands projets.

Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, la liste des grands projets nationaux fournie par vos services, monsieur le ministre, comptabilise quatorze projets, pour une surface totale de 1 100 hectares. Or le mode de calcul retenu pose problème, notamment pour le grand projet ferroviaire du Sud-Ouest. (M. le ministre manifeste son désaccord.)

En effet, l’État ne prend en considération que 700 hectares de consommation foncière, quand le mode de calcul jusqu’ici en vigueur tenait compte de l’intégralité du foncier – lequel ne sera plus naturel, agricole ou forestier –, ce qui représente 2 000 hectares supplémentaires.

Les élus attendent le décret confirmant le changement de mode de calcul. Sans cette officialisation, les 2 000 hectares devront être mutualisés à l’échelon régional. Cette évolution entraînera donc une augmentation importante du taux moyen de réduction de la consommation foncière appliqué aux territoires.

Le second sujet de préoccupation a trait à l’articulation entre la stratégie de mise en œuvre des objectifs du ZAN et les politiques de développement de l’habitat, qui doit faire l’objet d’une réflexion à part entière.

L’habitat a été la principale cause de l’artificialisation des sols au cours des dix dernières années, puisque la majeure partie des espaces consommés (63 % en flux) ont été dévolus à la construction de logements.

Sur ce point, on relève encore une fois de criantes disparités dans les dynamiques de consommation de l’espace foncier et les opérations de construction.

Certaines régions comportent ainsi une majorité d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ayant très peu consommé, et ce de manière inefficace.

À l’inverse, les régions présentant une forte attractivité économique et touristique se distinguent par une surreprésentation des intercommunalités ayant beaucoup consommé, et souvent efficacement. Pour d’autres encore, le bilan de la répartition habitat-activité est plus contrasté.

Le degré d’urbanisation des territoires se révèle déterminant pour expliquer ces déséquilibres ; il est nécessaire de les étudier de près, tant ils sont riches d’enseignements.

En effet, les collectivités locales, en particulier les régions, consomment plus ou moins de foncier, non pas en vertu d’une stratégie établie, mais, souvent, en fonction de leurs contraintes géographiques ou économiques.

On observe parfois aussi des situations paradoxales. Au cours de ces dix dernières années, nous avons connu une nette augmentation de l’artificialisation liée au logement ; or, dans le même temps, le nombre de logements vacants a augmenté de 33 %…

On le sait, les territoires doivent faire face à des injonctions paradoxales. Il leur faut notamment concilier une stratégie de réduction drastique de la consommation foncière et leurs objectifs en matière de production de logements sociaux, notamment dans les grandes agglomérations, les zones touristiques ou à forte attractivité universitaire, afin d’accueillir des étudiants et des travailleurs saisonniers. Dans ces zones spécifiques, une telle ambition semble pour l’instant mission impossible.

Selon moi, plutôt que de réaliser de petits aménagements, il est urgent de rompre avec la façon dont l’urbanisation a été menée jusqu’à présent.

Aussi, il faut envisager d’améliorer la densité des opérations d’aménagement et, surtout, privilégier les espaces déjà artificialisés, comme les logements vacants ou sous-utilisés, les zones d’activité en déclin et, bien sûr, les friches, industrielles ou commerciales, dont il faut établir urgemment un inventaire quantitatif et qualitatif précis, afin d’évaluer avec pertinence les moyens nécessaires à leur reconquête. Sur ce point, plusieurs propositions ont été faites lors de nos discussions budgétaires en fin d’année dernière.

Si l’on veut encourager le recours au foncier bâti existant, on ne pourra pas faire l’économie d’une forte incitation fiscale, car, même si elles représentent bien sûr des ressources essentielles pour les collectivités locales, la taxe sur le foncier bâti ou la cotisation foncière des entreprises (CFE) n’incitent pas à la sobriété foncière. De même, il faudrait réviser la fiscalité du foncier non bâti, dont la rentabilité est très faible et qui, de ce fait, favorise l’artificialisation.

Précisément parce que l’utilisation des espaces varie d’une région à une autre, je ne puis que rappeler une nouvelle fois le rôle essentiel de la territorialisation dans la mise en œuvre des objectifs du ZAN. C’était l’une des principales recommandations du Sénat dans ses tout premiers travaux sur le sujet.

Monsieur le ministre, vous l’avez compris, il nous semble indispensable d’étudier de près les dynamiques territoriales pour répondre à toutes les exigences qu’impose légitimement le ZAN. Il faudra impérativement appliquer des taux de réduction de la consommation foncière tenant compte des efforts déjà réalisés.

Enfin, on constate sur le terrain que les objectifs du zéro artificialisation nette sont loin d’être une préoccupation centrale à tous les échelons des collectivités, non pas parce que ces dernières s’en désintéresseraient, mais plutôt en raison d’un manque d’outils et d’accompagnement spécifiques.

Monsieur le ministre, six mois après son adoption, la loi suscite de nombreuses questions. Je remercie le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky de nous avoir permis de les aborder aujourd’hui ; nous attendons maintenant vos réponses ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de remercier à mon tour Cécile Cukierman d’avoir permis l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. J’en profite également pour saluer l’ensemble de nos collègues qui travaillent sur le ZAN depuis très longtemps et tous ceux qui sont présents cet après-midi.

Monsieur le ministre, nous pensions avoir réglé ensemble le sujet du ZAN mais, apparemment, comme le dit la chanson, « ça s’en va et ça revient »… (Sourires.) Certes, « c’est fait de tout petits riens », mais nous pensions tout de même avoir fait le plus dur.

Je rappelle qu’à l’origine nous avions regretté la démarche descendante dans laquelle s’inscrivait la loi Climat et résilience – du moins s’agissait-il de notre impression. C’est d’ailleurs pourquoi les décrets signés par l’une de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, nous avaient tant fâchés !

Heureusement, à votre nomination – sans doute parce que vous êtes un élu local et un maire –, vous les avez suspendus et avez ainsi permis d’engager un dialogue, ce dont le Sénat s’est largement félicité. Nous avons alors, me semble-t-il, su construire ensemble un nouveau texte, celui qui a été voté au mois de juillet dernier ; les décrets d’application ayant été publiés dans la foulée, ses mesures sont progressivement déclinées localement. On les retrouve d’ailleurs dans un guide et dans des fascicules élaborés par votre ministère.

Ce texte vise à faciliter la mise en œuvre de l’objectif ZAN.

Pour l’essentiel, la loi allonge les délais imposés aux territoires, notamment aux régions, leur permettant ainsi d’avoir davantage de temps pour dialoguer avec les services de l’État. Comme nos collègues l’ont rappelé, elle instaure également une nouvelle gouvernance ; elle améliore la définition, ainsi que la façon de comptabiliser les « grands projets » ; elle institue une garantie universelle symbolisée par le « droit à l’hectare » – nous en avons parlé, et c’est d’ailleurs la mesure qui fait le plus gloser ; enfin, elle prévoit de nouveaux outils juridiques : le sursis à statuer, le droit de préemption, etc.

Ce texte comporte certes de nombreux dispositifs mais, depuis quelque temps, au gré des cérémonies de vœux et des polémiques nationales, les inquiétudes qu’il suscitait font leur retour. Aussi faut-il les prendre très au sérieux.

Vous vous en souvenez sans doute, j’ai pu m’en émouvoir lors des questions d’actualité au Gouvernement à propos des conférences des parties (COP) régionales, démarche à laquelle nous ne nous opposons pas – bien au contraire ! Il s’agit en réalité d’un problème de méthode : nous avons l’impression que rien n’est fait pour que cette territorialisation – nous l’appelons de nos vœux depuis le début – soit réellement mise en œuvre.

Par ailleurs, les services du ministère, au travers du guide et des fascicules que j’évoquais, présentent certains éléments comme faisant partie de la réforme, alors qu’ils n’ont pourtant pas pu être votés. Pour le dire trivialement, il y a un risque d’entourloupe !

De nouveau, le ZAN suscite un malaise, une « peur sur la ville », si j’ose dire, qui pourrait mettre en jeu la confiance des élus.

Ce malaise résulte également de la crise de l’immobilier sans précédent que traverse notre pays. Aujourd’hui encore, la presse économique s’est fait l’écho du nombre élevé de faillites d’agences immobilières, lequel a été multiplié par deux en un an. Plusieurs articles universitaires ont fait état de la difficulté de mettre sur le marché 7,8 millions de logements d’ici à 2050, un besoin pour notre pays dont on entend parler ici et là. Sans compter les artisans qui craignent l’essoufflement du marché de la rénovation.

C’est dans ce contexte que le Sénat s’interroge sur une planification écologique menée à coups de présentations PowerPoint. Celle-ci se fait, ou plutôt devrait davantage se faire avec les élus, et non les exclure.

Ajoutons que la loi de finances instaure un prêt à taux zéro (PTZ) traduisant un certain modèle de société, à savoir la fin programmée du modèle pavillonnaire, du bureau, de la voiture, de la piscine, de l’accès à la propriété, une évolution qui inquiète les élus, et dont le ZAN – débat récurrent – serait le nom.

En toile de fond, la crise démographique s’accentue ; or, en la matière, les 3,1 millions de logements vacants suffiraient largement à répondre à nos futurs besoins.

Nombre d’élus se sont exprimés publiquement au sujet du ZAN. Je ne reviendrai pas sur les propos de Laurent Wauquiez d’autant que, tribune après tribune, le débat se judiciarise. En revanche, je tiens à citer, sans avoir malheureusement le temps de les exposer plus longuement, les déclarations de M. Rivenq, président de la communauté d’agglomération d’Alès, et de M. Pélieu, président du conseil départemental des Hautes-Pyrénées. Il me semble qu’il faut véritablement s’en soucier.

Le livre blanc du groupe Scet, mentionné par notre collègue Ronan Dantec, rappelle que les élus doivent s’approprier toutes ces règles et que les besoins en ingénierie sont très importants.

La réponse apportée par le Sénat à toutes ces questions, dont le présent débat est le point de départ, nous conduira à lancer une nouvelle mission de suivi, ainsi qu’une réflexion sur le volet financier et fiscal du ZAN, pour évaluer les mesures adoptées et faire en sorte qu’elles soient mieux accueillies.

Les outils juridiques instaurés par la loi, le droit à l’hectare notamment, fonctionnent-ils ? Les modes de financement et la fiscalité sont-ils efficaces ? Nos travaux permettront, j’en suis sûr, d’aboutir à des propositions fortes.

À ce titre, je veux remercier le président Larcher, ainsi que les différents présidents de groupe, d’avoir permis l’organisation d’une telle mission. Du reste, celle-ci devra aussi se pencher sur les enjeux fonciers et environnementaux, en particulier la santé des sols à travers l’hydrologie régénérative.

Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous faut tout de suite écrire la fin de l’histoire : nous marchons sur un fil, sans savoir de quel côté nous allons tomber ; il serait vraiment dommage de nous écarter du long chemin que nous avons déjà parcouru ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment du vote de la loi Climat et résilience, j’avais souligné les contraintes que les articles consacrés au ZAN pourraient faire peser sur le développement de nos territoires dans les années à venir.

Loin de remettre en cause l’esprit et l’objet de ces articles, que nous partageons totalement, les sénateurs du groupe Les Indépendants avaient proposé des pistes, afin d’en faciliter l’application.

Nombre d’entre elles n’ont pas reçu l’accueil qu’elles méritaient, alors qu’elles auraient pourtant permis une meilleure acceptation du texte. Les élus locaux n’ont pas tardé à faire remonter leurs vives inquiétudes vis-à-vis de dispositions qui constitueraient une entrave au développement de leurs territoires.

Sur l’initiative du Sénat, et avec le soutien du Gouvernement, certaines corrections ont pu être apportées grâce à la loi du 20 juillet 2023.

En effet, pour renouer avec la souveraineté industrielle de notre pays, nous devons faciliter l’implantation de nouvelles unités, en accompagnant les acteurs de terrain.

Grâce à une collaboration étroite avec les collectivités locales, nous avons pu faire voter un texte, qui est sans doute imparfait, mais qui rend les règles applicables plus souples, plus justes et, surtout, qui les adapte davantage aux spécificités de chaque territoire. Tel est précisément l’objet de la différenciation.

Les sénateurs du groupe Les Indépendants se sont beaucoup impliqués sur certains points saillants du texte : les interactions pondérées entre l’objectif ZAN et l’industrialisation, la surface minimale de développement communal, la prise en compte des spécificités des territoires soumis au recul du trait de côte, aux lois Montagne ou Littoral, pour n’en citer que quelques-uns.

La publication des décrets était attendue avec une certaine impatience. Ces derniers ont fait taire les peurs, même si certaines zones d’ombre demeurent.

Avant d’aller plus loin, je veux saluer votre engagement, monsieur le ministre, ainsi que celui du Gouvernement, car, tout au long de l’examen de ce texte, de la proposition de loi initiale à la publication des décrets, vous avez fait preuve d’écoute et de bon sens, nous permettant ainsi de rendre le texte plus satisfaisant.

Le bon équilibre n’est pas facile à trouver. Aussi, nous allons devoir poursuivre nos efforts, afin de respecter les objectifs que nous nous sommes fixés.

Néanmoins, je suis surpris que nous débattions si rapidement de l’application d’une loi adoptée en juillet dernier, les décrets venant tout juste d’être publiés.

Patience : laissons la loi produire ses premiers effets ! Je reste très optimiste à ce sujet.

Durant l’interruption des travaux parlementaires, en fin d’année dernière, j’ai pu, au cours de mes nombreuses visites sur le terrain, constater l’acceptation par les élus de ces nouvelles contraintes. Ces derniers conviennent tous de la nécessité de reconquérir de nombreux espaces ruraux et urbains.

S’agissant du dispositif à proprement parler, la première période consacrée à la réduction de moitié de la consommation d’Enaf, qui s’achèvera en 2031, doit retenir toute notre attention. Concentrons-nous sur cette première échéance, ne brûlons pas les étapes : nous nous occuperons plus tard de la seconde période ; un pas après l’autre !

Il nous reste à traiter certains sujets d’intérêt local : je pense à la possibilité de mutualiser la garantie rurale au niveau intercommunal, à la reconnaissance d’un droit à l’expérimentation en matière de mise en œuvre du ZAN, à l’évaluation des surcoûts liés à la lutte contre l’artificialisation des sols, à la nécessité de travailler sur les questions de compensation et de renaturation, ainsi que sur nos capacités à les valoriser, ou encore à la réorientation de certains dispositifs fiscaux.

Monsieur le ministre, la mise en œuvre des objectifs du ZAN n’est pas totalement aboutie, mais on y vient !

Il reste, comme vous le savez, des questions en suspens : comment garantirez-vous une application pragmatique de la nouvelle réglementation ? Comment ferez-vous en sorte de fournir aux élus locaux l’assurance d’une ingénierie suffisante pour compenser leur manque criant de moyens financiers ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Guislain Cambier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’acronyme ZAN fait son chemin auprès des élus locaux. Pourtant, sa mise en œuvre est marquée du sceau de l’interrogation, voire de l’imprécision.

Le ZAN comprenait une série de malfaçons originelles illustrant une déconnexion par rapport aux préoccupations des élus locaux. Suscitant l’ire et l’inquiétude des collectivités locales, les questions étaient alors légion : comment allions-nous accueillir de nouveaux sites industriels ? Comment allions-nous assurer aux collectivités rurales qu’elles bénéficieraient toujours de ressources foncières pour se développer ? Comment concilier deux stratégies contradictoires : transition énergétique et consommation foncière ? Ou encore, comment résoudre la crise du logement et de la construction à l’heure où la sobriété foncière doit être une priorité ?

Sur l’initiative bienvenue de Valérie Létard, présidente, et de Jean-Baptiste Blanc, rapporteur, une commission spéciale du Sénat s’est saisie de ces questions et a répondu à certaines d’entre elles – tout comme le Gouvernement l’a fait au travers des décrets d’application.

Cependant, certaines zones d’ombre persistent.

Premièrement, la mise en œuvre de la garantie rurale est source d’incompréhensions, sinon de préoccupations. La possibilité de mutualiser ce « droit à l’hectare » à l’échelle de l’EPCI doit être précisée. Les plus petites communes ne doivent pas être laissées à la merci d’une contractualisation réalisée par les communes de plus grande taille. Les représentants de l’État, monsieur le ministre, ne doivent pas non plus saisir cette occasion pour obliger certaines communes à rejoindre une intercommunalité. La libre administration doit être non pas une fiction juridique, mais une réalité politique.

Deuxièmement, il faut tenir compte des « coups partis ». Les élus n’avaient, à l’époque, pas été sensibilisés au ZAN. La situation est aujourd’hui intenable pour certaines communes, dont les droits à artificialiser pour la période 2021-2031 ont d’ores et déjà été consommés. Le calendrier retenu est incompréhensible pour les élus locaux.

Il serait pertinent de reporter la date de début de la comptabilisation au 1er janvier 2024. Après tout, la mi-parcours évoquée avant l’échéance de 2050 est en 2035 et non en 2030…

Le calendrier pose d’ores et déjà de grandes difficultés dans nos territoires, en particulier pour les communes et les intercommunalités engagées dans une procédure de révision de leurs documents d’urbanisme. Dans mon département, le Nord, certaines lettres de cadrage transmises par l’État laissent apparaître un chiffrage du droit à artificialiser qui anticipe largement l’application du ZAN. Je suis surpris que l’État annonce à l’avance des décisions qui relèvent exclusivement de la compétence des collectivités locales.

Troisièmement, la liste des projets d’envergure nationale et européenne est aujourd’hui connue. Elle suscite cependant des interrogations légitimes : sur quels principes d’aménagement du territoire a-t-elle été conçue ?

Le rôle de l’État est pourtant d’assurer un équilibre légitime à l’échelle nationale, s’il ne veut pas conforter la fracture territoriale. Certains territoires sont plus « servis » que d’autres : la région Bretagne, pour ne citer que cet exemple, accueillera ainsi trois fois moins de projets que la région Grand Est. Ce constat suscite des interrogations : quelle est la clé de cette répartition ?

Quatrièmement, nous partageons l’objectif de mobiliser nos friches en priorité. Ce type d’opération, louable, est plus complexe, plus coûteux, et nécessite une ingénierie qui n’existe pas toujours. Se pose donc la question des nouveaux moyens que l’État doit mettre à disposition.

Le fonds vert, consacré à ces opérations, est notoirement insuffisant, comme dans les Hauts-de-France où les 500 millions d’euros annoncés ont été, dans les faits, réduits d’un bon tiers.

Cinquièmement et enfin, il reste à inventer le volet fiscal du ZAN. Quelle péréquation imaginer pour les territoires subissant les effets connexes d’un développement dûment autorisé ? Quelle solidarité souhaitons-nous entre pôle de développement et auréole territoriale, et quels en seront les effets ? Quelle réflexion devons-nous mener sur l’imposition foncière ?

Ce n’est rien de moins que votre vision de l’aménagement du territoire et, donc, la vision stratégique de l’État qu’il vous faut définir, monsieur le ministre.

Sur ces cinq enjeux, nous attendons donc vos réponses ; celles-ci contribueront à faciliter la mise en œuvre du ZAN. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen.

M. Sébastien Fagnen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, nous constatons chaque jour que le ZAN est sur toutes les lèvres et dans les esprits de tous les élus locaux. Il suscite de nombreuses questions et des craintes quant à l’avenir de nos communes, notamment rurales.

Depuis la parution du célèbre ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et le vote des grandes lois de décentralisation des années 1980, rarement notre pays aura connu un tel changement de paradigme dans sa façon d’aménager le territoire national. Nous sommes désormais confrontés à l’un des plus grands défis territoriaux du XXIe siècle.

Pour répondre à cette grande transformation aux côtés des élus locaux, nous devons faire preuve d’audace, de courage et de pragmatisme.

Si l’horizon du ZAN s’inscrit dans le cadre d’une nomenclature enfin stabilisée, il nous faut sans cesse interroger, débattre et faire preuve d’agilité quant à sa mise en œuvre. Celle-ci doit tenir compte du contexte dans lequel la France évolue, tout particulièrement en matière de logement et d’industrie.

En effet, notre pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise du logement qui entraîne, avec elle, des milliers de nos concitoyens. Nous faisons face à une baisse historique de la construction et l’ensemble du parc immobilier, social comme privé, est touché de plein fouet.

Face aux besoins, qui s’élèvent à 300 000 logements par an en moyenne, il faut adapter sans tarder les outils dont nous disposons afin de soutenir les ménages dans leurs projets de primo-accession à la propriété, tout en répondant aux objectifs du ZAN. Il faut qu’une nouvelle vision du prêt à taux zéro pour la construction individuelle s’impose ; or elle fait aujourd’hui cruellement défaut.

La question des friches, aussi, sera centrale. Les obstacles juridiques constituent à ce jour le principal frein à la reconquête du foncier délaissé. Nous devrons créer de nouveaux outils, afin de faciliter l’acquisition et la densification de milliers d’hectares qui sont en jachère au cœur de nos communes. C’est là un impératif écologique et une alternative concrète au mitage des espaces agricoles et naturels.

Les friches seront essentielles dans la mobilisation du foncier nécessaire au développement des énergies renouvelables et à la réindustrialisation du pays, indispensable à la conciliation du temps économique et du temps de l’aménagement.

Il est donc indispensable de s’atteler, dans la mise en œuvre du ZAN, à toujours mieux répondre aux spécificités locales au travers d’une déclinaison territoriale toujours plus aboutie.

Toutefois, la question de l’équité entre les territoires doit être mieux apprivoisée. Une récente étude du groupe Scet, qui a été citée à plusieurs reprises, souligne que les territoires sont inégalement préparés face au ZAN, leur degré de préparation étant fonction de l’ingénierie disponible, et alerte sur le risque d’émergence de déséquilibres territoriaux.

Je pense en particulier aux nombreuses communes littorales qui sont confrontées dès à présent au recul du trait de côte : les évolutions législatives vouées à y parer demeurent par trop balbutiantes.

Tel était le sens de l’amendement au projet de loi de finances pour 2024 qu’avait déposé le groupe socialiste et qui visait à accroître l’aide de l’État en matière d’ingénierie : nous proposions la création d’un fonds spécifique pour les communes rurales qui mènent des opérations de reconversion du bâti en logements destinés à la location à prix maîtrisé ou à l’accession sociale à la propriété.

Aux côtés de partenaires essentiels comme les agences d’urbanisme, qui restent encore aujourd’hui insuffisamment réparties sur le territoire national, et l’ordre des architectes, pour ne citer qu’eux, il s’agit surtout de renforcer l’administration territoriale de l’État en matière d’accompagnement à l’ingénierie locale.

Des acteurs tels que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou le Cerema jouent un rôle essentiel en fournissant des prestations d’ingénierie à certaines collectivités locales, mais ce système descendant et l’« agencification » afférente continuent de poser question.

Il nous faut ancrer des interlocuteurs pérennes dans les départements, en renforçant les moyens des directions départementales des territoires (DDT) et des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), et sortir de la logique de l’appel à projets permanent, laquelle obère la vision de long terme dont les collectivités locales ont impérativement besoin pour relever avec succès le défi du ZAN.

Aussi la question majeure est-elle la suivante : comment le Gouvernement entend-il développer les capacités d’ingénierie au cœur même des collectivités territoriales, afin qu’aucun territoire ne soit laissé pour compte ? (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K.)