compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

M. Mickaël Vallet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du Bureau du Sénat, j’appelle chacun d’entre vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

situation agricole et reculs sur l’environnement

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, lors de votre déclaration de politique générale, vous avez décidé de hurler avec les loups en évoquant une « écologie de la brutalité », nouvelle stratégie de diversion estampillée McKinsey.

Vous faites ainsi vôtre le propos de ceux qui, à droite et à l’extrême droite, n’ont jamais eu la moindre ambition écologique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. C’est le président Pompidou qui a créé le premier ministère de l’environnement !

M. Guillaume Gontard. Votre unique objectif, qui n’a rien de populaire, est de préserver coûte que coûte la capacité des plus aisés à polluer et à émettre trois fois plus de CO2 que les plus modestes.

Pourtant, le président en campagne avait déclaré : « Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas. » Monsieur le Premier ministre, quand le quinquennat démarrera-t-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Gontard, les débats au sein de cet hémicycle comme dans le pays sont toujours légitimes, même si nos visions, nos propositions sont parfois opposées ou différentes. C’est le propre de la démocratie que de pouvoir les confronter.

Cependant, il est certaines choses que je ne comprends pas totalement,…

M. Akli Mellouli. Ça c’est sûr !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … voire pas du tout.

Pourquoi vous est-il impossible de mettre en avant les progrès que nous obtenons en matière de défense de la planète et de l’environnement ? Avant 2017, les émissions de CO2 diminuaient à un rythme moyen annuel de 1 % ; au cours du premier quinquennat, nous en étions à 2 % ; et sur les neuf premiers mois de l’année dernière, nous enregistrons 5 % de baisse. Je ne comprends pas que vous, groupe écologiste, ne puissiez pas vous en réjouir !

Ce succès n’est pas celui du seul Gouvernement ou de la seule majorité : c’est celui des industriels, qui ont changé leurs modes de production ; celui des agriculteurs, qui ont fait des efforts en matière de conversion ; celui de toute une société qui se mobilise pour défendre la planète.

Je ne comprends pas davantage pourquoi les élus écologistes, que j’ai vus et entendus ces dernières semaines sur les barrages, aux côtés des agriculteurs, déclarer qu’ils épousaient les revendications de leur mouvement et qu’ils les soutenaient, critiquent aujourd’hui méthodiquement chacune des solutions et des perspectives que nous avons trouvées voilà quelques jours en lien avec nos agricultrices et nos agriculteurs.

M. Yannick Jadot. Quelles solutions ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je ne le comprends pas. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Vous critiquez la position qui est la mienne et celle de mon gouvernement, telle qu’exposée dans ma déclaration de politique générale. Je vous confirme, monsieur le président Gontard, que l’écologie, pour nous, ne peut être un facteur d’opposition entre les ruraux et les urbains, entre la droite et la gauche.

M. Guillaume Gontard. Pour nous non plus !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. J’appartiens à un gouvernement de dépassement politique. (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Je le dis très sincèrement ! La planète est trop importante pour devenir l’otage de positionnements politiciens tels que celui que vous venez d’adopter.

Moi, je reconnais le travail réalisé par le passé, y compris par des majorités de droite, par M. Jean-Louis Borloo, par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet,…

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … par des ministres de l’écologie qui se sont engagés, quelles que soient les majorités, pour permettre à notre pays d’avancer.

Je vous confirme que nous ne nous livrerons pas à une opposition entre ruraux et urbains,…

M. Yannick Jadot. Nous non plus !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … entre les Français qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler, ou tout simplement pour vivre, et les Français qui peuvent s’en passer, entre les agriculteurs et la planète.

Je n’accepterai jamais les discours…

M. Akli Mellouli. Et les actes ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. … qui visent en permanence à culpabiliser, à punir, à sanctionner, à brutaliser.

L’écologie à laquelle je crois – et vous devez aussi le respecter – est une écologie qui investit, qui accompagne, qui soutient, parce que nous irons plus loin pour la planète et pour notre pays en suivant cette ligne-là plutôt qu’en dressant les uns contre les autres, comme vous le faites. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE et UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, le clivage, c’est vous ! Ce que je vous reproche, c’est la brutalité de votre immobilisme ! (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Jean-René, 50 ans, est décédé dans les Côtes-d’Armor après avoir respiré le sulfure d’hydrogène émis par les algues vertes lors d’un jogging : brutal !

Théo, 16 ans, a subi cinquante-quatre interventions sous anesthésie générale pour reconstruire ses systèmes digestif et respiratoire. Une bataille de chaque instant pour respirer, manger et parler. Le glyphosate en est le responsable avéré : brutal ! (Marques dagacement sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Marie, apicultrice bio dans le Trièves, voit ses abeilles disparaître année après année, avec un taux de mortalité de 35 %. Les pesticides sont la première cause de cette hécatombe : brutal !

Marius, agriculteur dans l’Anjou, ne peut plus consommer l’eau de son robinet, polluée par des solvants : brutal !

Noémie, en Guadeloupe, veut un enfant. Elle sait cependant que le chlordécone, trente ans après son interdiction, affectera le cerveau de son bébé : brutal !

Lucas, 6 mois, issu d’une famille modeste habitant au bord du périphérique, (Les marques dagacement redoublent sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) a été hospitalisé en urgence pour une bronchiolite sévère due à la pollution : brutal !

Cette brutalité, ces punitions aveugles, cette décroissance du vivant, cette injustice érigée en dogme entre ceux qui peuvent tout et ceux qui subissent, c’est votre bilan. Voilà la brutalité ! Et la brutalité, c’est votre renoncement ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

financement des centres hospitaliers universitaires

M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Khalifé Khalifé. Monsieur le Premier ministre, vous avez consacré une bonne partie de votre discours de politique générale à la santé.

Permettez-moi cependant d’appeler votre attention sur la dégradation des finances des trente-deux centres hospitaliers régionaux universitaires (CHRU), et plus largement des établissements publics de santé.

Cette situation brutale vient mettre en péril l’embellie constatée aujourd’hui sur le plan de l’attractivité et de la fidélisation des personnels soignants.

Ces difficultés sont liées à plusieurs facteurs externes, bien identifiés, sur lesquels les établissements n’ont pas de prise. Le déficit est évalué à 1,2 milliard d’euros à la fin de l’année 2023 ; il a triplé en un an.

Les conséquences se font ressentir dans les territoires, notamment avec un allongement des délais de paiement des fournisseurs locaux et une fragilisation profonde des opérations d’investissement.

Des mesures d’urgence, monsieur le Premier ministre, permettront sûrement de rectifier cette tendance négative. De plus, la mise en place d’une stratégie de financement à long terme, pour continuer à investir, innover et soigner est nécessaire. Nos hôpitaux ont été un bouclier sanitaire pendant la crise récente. Ils resteront le socle de notre système de soins.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous activer tous les leviers nécessaires pour aider nos établissements de soins à évoluer avec sérénité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir bien voulu rappeler toute l’importance que le gouvernement de M. Gabriel Attal attache à la santé, particulièrement à l’hôpital.

La semaine dernière, dans son discours de politique générale, M. le Premier ministre a rappelé combien l’hôpital était notre joyau. Hier, je recevais le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) et sa directrice générale : ensemble, nous avons fait un tour d’horizon de tous les sujets relatifs à l’hôpital. Comme vous, j’ai pris connaissance du courrier adressé par les élus, puisque ce sont les maires qui président les conseils de surveillance des établissements.

Je partage en grande partie vos propos, en particulier sur le rôle de l’hôpital dans notre pays, l’implication des personnels et le retour d’attractivité. À ce dernier égard, l’année 2023 a été très significative. La meilleure preuve en est l’augmentation du nombre de recrutements, notamment d’infirmières.

Toutefois, nous sommes effectivement confrontés à un problème financier. Le Gouvernement avait déjà apporté des réponses au travers du Ségur de la santé, qui a consacré la revalorisation des personnels, et dans le cadre du volet investissement, avec le lancement de travaux de modernisation.

Pour autant, une question demeure : même si nous ne disposons pas encore de la clôture définitive de l’exercice 2023, nous savons qu’il faut soutenir les hôpitaux. C’est la raison pour laquelle M. le Premier ministre nous a accompagnés, nous et nos équipes : dans les jours qui viennent, nous serons en mesure d’apporter des réponses en matière de sous-exécution comme en matière financière. Ces réponses permettront, d’une part, d’assumer les charges, y compris vis-à-vis des fournisseurs locaux ; d’autre part, de mettre en œuvre l’investissement pour plus de modernisation, c’est-à-dire de meilleures conditions de travail et plus d’accessibilité aux soins dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour la réplique.

M. Khalifé Khalifé. Je vous remercie, madame la ministre, pour cette réponse qui me convient parfaitement. Vous appliquez ici une règle que j’aime beaucoup : les amours, c’est bien ; les preuves d’amour, c’est mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

application des lois égalim

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Monsieur le ministre, nous partageons tous ici une conviction : l’agriculture est constitutive de notre identité. Nous sommes fiers de nos agriculteurs, de leur engagement passionné, et nous ne pouvons qu’être à l’écoute de leurs revendications légitimes.

Dans mon département du Haut-Rhin, j’ai rencontré, comme chacun d’entre nous, de nombreux agriculteurs qui m’ont fait part de leurs difficultés, et surtout de leur sentiment de ne pas être entendus. Freins administratifs, concurrence déloyale et surtout faiblesse de leurs revenus… Tel est le ras-le-bol qu’ils ont exprimé. En trente ans, ce revenu a chuté de 40 % en France, bien loin de refléter les efforts, la passion et le travail qu’ils fournissent au quotidien.

Avec les lois Égalim 1 et 2, que le Gouvernement a courageusement portées, nous avons répondu à une partie des inquiétudes de nos agriculteurs en inversant la construction du prix. Cependant, l’application de ces textes n’est pas satisfaisante.

Monsieur le ministre, mon groupe a accueilli avec satisfaction l’annonce du doublement des contrôles que votre administration va mener. Toutefois, les sanctions envers ceux qui ne respectent pas les règles ne changeront pas à elles seules la situation de nos agriculteurs.

Nous devons veiller à l’application pérenne des lois Égalim. Nous le devons à nos agriculteurs, pour améliorer leur quotidien et faire en sorte que leur travail soit justement reconnu.

Monsieur le ministre, comment renforcer l’application des lois Égalim, afin que les négociations commerciales soient équilibrées et que chacun puisse vivre dignement de son travail ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Madame la sénatrice,…

Une voix à droite. Il est là !

M. Jean-François Husson. « Je suis né en 1989 ! » (Sourires.)

M. Bruno Le Maire, ministre. … je partage totalement ce que vous venez de dire sur le revenu des producteurs : c’est, bien évidemment, le combat essentiel. Je l’ai mené comme ministre de l’agriculture pendant trois ans ; je le mène aujourd’hui comme ministre de l’économie et des finances, avec M. le Premier ministre et avec le ministre de l’agriculture, M. Marc Fesneau.

Il n’y a pas d’agriculture sans paysans et il n’y a pas de paysans sans revenus décents. Ce revenu décent doit être garanti par le strict respect des lois Égalim.

Nous avons annoncé, à l’issue des négociations commerciales, le 31 janvier, un doublement des contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur 1 000 contrats, qui concernent 75 des plus gros industriels et les 5 distributeurs.

Sur ces 1 000 contrats, 124 ne respectent pas, pour des raisons de calendrier notamment, les dispositions de la loi Égalim. J’ai donc adressé des injonctions à l’ensemble des distributeurs et des industriels qui ne respectent pas les règles : ils ont quinze jours pour fournir des explications ou se conformer à la loi, faute de quoi chacun encourra une sanction de 5 millions d’euros par infraction.

Croyez-moi, nous n’aurons pas la main qui tremble : les sanctions tomberont sur tous les distributeurs et sur tous les industriels qui n’auraient pas respecté strictement et rigoureusement les dispositions de la loi Égalim.

Ces dispositions s’appliquent à toutes les négociations, qu’elles aient eu lieu en France ou par l’intermédiaire des centrales d’achat européennes. Un produit vendu en France doit respecter toutes les dispositions de la loi Égalim, même s’il a été négocié par l’intermédiaire de ces fameuses centrales d’achat européennes. J’y veillerai aussi, raison pour laquelle j’ai également doublé les contrôles sur ces centrales et sur les négociations qui s’y tiennent.

Enfin, nous veillons particulièrement à protéger le consommateur de toute tromperie, qui est aussi un vol du producteur. Un poulet produit à l’étranger, mais arborant un étiquetage avec un drapeau tricolore représente bien une tromperie du consommateur et un vol du producteur, lequel s’échine à travailler, à cultiver, à produire en France, sur le territoire français, selon les normes et les réglementations françaises.

Encore une fois, nous avons multiplié les contrôles. Les industriels qui s’amusent à mettre des drapeaux tricolores sur des produits qui viennent de l’étranger s’exposent à une sanction qui pourra aller jusqu’à 15 % de leur chiffre d’affaires. Là aussi, les sanctions tomberont et personne ne passera entre les mailles du filet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

industrie de la défense

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le Président, monsieur le ministre des armées, mes chers collègues, « Vous devez comprendre que si l’Europe est attaquée, nous ne viendrons jamais pour vous aider et vous soutenir » : ces propos surprenants sont ceux que le président américain Donald Trump a tenus en 2020 à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.

En rappelant ces paroles, M. Thierry Breton ne pouvait inciter davantage les Européens à bâtir la défense européenne. L’une des conditions sine qua non à la réalisation de cette ambition est d’avoir une France forte et capable sur le plan militaire.

L’on dit que Poutine a ressuscité l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) en envahissant l’Ukraine. Il est vrai que deux pays scandinaves ont manifesté leur souhait de rejoindre l’organisation et qu’un effort budgétaire massif s’opère partout en Europe après des décennies de désengagement.

Toutefois, dans quelques mois, si Donald Trump gagne une nouvelle fois les élections, que vaudra encore l’Alliance atlantique ?

Au-delà des nouvelles adhésions, nous devons absolument nous pencher sur nos capacités. La question des munitions est un enjeu crucial de la guerre de haute intensité.

Chaque jour, les Ukrainiens tirent entre 5 000 et 8 000 obus, quand les Russes en tirent exactement le double. Les États européens se sont engagés à soutenir l’effort de guerre ukrainien et à livrer à Kiev 1 million d’obus, c’est-à-dire, au mieux, six mois de munitions.

Nous ne tiendrons pas cet engagement. Nous espérons tout juste pouvoir atteindre la moitié et livrer un peu plus de 500 000 obus avant la fin du mois de mars. Pourquoi ? Non parce que nous n’en produisons pas assez, mais parce que nous continuons collectivement d’en exporter au bénéfice de pays qui en ont bien moins besoin que l’Ukraine.

Monsieur le ministre, il est grand temps d’intensifier le soutien de notre pays à l’Ukraine et de nous réarmer. Où en est l’économie de guerre annoncée par le président Macron ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des armées.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Rochette, nous aurons l’occasion de revenir sur l’Otan dans le cadre des travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, puisque le président Perrin, à la suite du président Cambon, a décidé de revenir sur la question de la place de la France au sein de l’Organisation.

Il faut prendre une réalité en compte : nous devons travailler avec nos différents partenaires européens, y compris avec la Grande-Bretagne, en raison de son modèle d’armée et de son apport à la dissuasion nucléaire pour tout l’ensemble continental. Il nous faudra aussi continuer de nous réarmer – c’est le sens de la loi de programmation militaire que vous avez votée.

Sur la question de l’aide à l’Ukraine et de notre économie de guerre, nous sommes passés d’une logique de cession des stocks de nos armées à une logique de production, pour continuer de soutenir l’armée ukrainienne dans la guerre qu’elle mène à la suite de l’agression russe.

Cette remontée en puissance est indispensable, y compris pour nous-mêmes, au regard des différents conflits que nous pouvons connaître.

Cette perte de muscles industriels s’expliquait non seulement par le contexte stratégique lié à la fin de la guerre froide, mais aussi, malheureusement, par la diminution des crédits budgétaires alloués aux forces armées pendant plus de quinze ans, qui a conduit à une baisse de commandes et donc à une réorganisation dans le mauvais sens de notre industrie. Bien que les crédits augmentent depuis 2017, monter en puissance prend du temps.

Pour répondre précisément à votre question, l’économie de guerre – en tout cas la reprise de la production par nos industries – est en cours. Elle profite très directement à l’Ukraine.

Un certain nombre de résultats sont d’ores et déjà visibles : l’entreprise Thales, par exemple, produit un radar en six mois contre vingt-quatre mois auparavant ; MBDA produit les missiles Mistral, pour la défense sol-air, en quinze mois et non plus vingt-quatre ; les résultats autour du canon Caesar Nexter sont à saluer, avec un délai de production divisé par deux, soit quinze mois au lieu de quinze.

Je souhaite vivement remercier les équipes de ces entreprises : ces améliorations sont non seulement le fruit de dispositions organisationnelles, mais aussi d’une augmentation du temps de travail et des rotations en trois-huit pour des salariés, des ouvriers et des ingénieurs pleinement engagés pour relever ce défi. Concernant les munitions, les résultats sont également au rendez-vous, notamment pour les obus de 155 millimètres.

Il s’agit maintenant d’avancer sur les équipements qui ont pris du retard, notamment les missiles complexes, dont les missiles Aster 15 et Aster 30, qui sont indispensables à l’Ukraine pour protéger son ciel. J’aurai l’occasion d’y revenir devant vous prochainement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour la réplique.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. Nous comptons sur vous pour maintenir cet effort et continuer de soutenir l’Ukraine. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

question des sans-abri

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. En 2017, le chef de l’État s’était engagé à ce que plus personne ne dorme dans la rue. Six ans plus tard, les derniers chiffres de la Fondation Abbé Pierre sont alarmants : ils font état de 330 000 sans-abri, dont une proportion croissante de femmes et d’enfants.

Il est primordial de comprendre les parcours de vie qui conduisent ces personnes à se retrouver sans domicile fixe. Les raisons peuvent être multiples : perte d’un emploi, difficultés financières, problèmes de santé mentale, ruptures familiales ou encore situations de violence domestique.

Ces personnes vulnérables se retrouvent exposées à l’insécurité de la rue et à des conditions de vie très précaires.

Les centres d’hébergement sont surpeuplés, les services sociaux sont débordés et les programmes d’aide sont insuffisants. Environ une personne sur deux qui contacte le 115 ne se voit proposer aucune solution d’hébergement. Ayant moi-même pris l’initiative d’appeler le 115, en quête d’une solution pour une personne en grande difficulté, je n’ai malheureusement obtenu aucune proposition concrète.

Cette situation souligne les lacunes de notre système actuel. Il est du devoir de l’État de trouver des solutions et de mobiliser les ressources nécessaires pour résoudre cette crise sociale grandissante.

Nous devons augmenter de manière significative le nombre d’hébergements d’urgence et envisager de réquisitionner les logements vacants, afin de fournir une solution d’urgence et temporaire pour les sans-abri et prévenir les situations d’extrême vulnérabilité.

Il est primordial de coordonner les actions des différents acteurs impliqués – services sociaux, associations caritatives et collectivités locales –, qui se retrouvent souvent seuls sur le terrain.

M. le Premier ministre, lors de son discours de politique générale, n’a fait aucune mention de cette problématique majeure : voilà qui soulève des interrogations.

J’aimerais donc obtenir des informations concernant les mesures spécifiques que le Gouvernement compte prendre pour remédier à cette situation. Quels sont les projets en cours ou à venir visant à augmenter le nombre de places dans les hébergements d’urgence ? Que comptez-vous faire pour renforcer les programmes d’aide aux sans-abri et améliorer l’accès aux services sociaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Amel Gacquerre et M. Stéphane Demilly applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, votre question fait écho au vingt-huitième rapport sur l’état du mal-logement présenté par la Fondation Abbé Pierre, la semaine dernière, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de l’appel lancé en 1954.

Nous connaissons les chiffres présentés dans ce rapport : il y a 330 000 personnes non pas sans abri, mais mal-logées ou sans domicile.

L’État a mis en place des moyens sans précédent : 3 milliards d’euros, avec deux types de dispositifs, soit 203 000 places d’urgence – un record – et 114 000 places dans le cadre du dispositif national d’accueil. Si l’on additionne ces deux chiffres pour les rapprocher des 330 000 personnes évoquées, l’écart représente une dizaine de milliers de places.

Si M. le Premier ministre n’en a pas parlé, c’est parce que le 8 janvier dernier, M. Patrice Vergriete avait annoncé le déblocage, au nom du Gouvernement, d’une nouvelle enveloppe de 120 millions d’euros, représentant l’équivalent d’une dizaine de milliers de places.

Monsieur le sénateur, je n’ai pas entendu dans votre question la volonté d’obtenir des réponses arithmétiques. Ce que vous avez évoqué, ce sont bien des situations humaines. Il y va du désarroi des travailleurs sociaux, pour lesquels ne pas trouver de solution n’est pas satisfaisant, et de ces femmes, de ces hommes, de ces histoires d’errance et de ces difficultés, avec, au-delà des statistiques, une attente qui n’est pas seulement celle d’avoir un toit pour une nuit, mais celle de trouver des solutions pérennes.

Avec le plan Logement d’abord, 550 000 logements ont pu être construits ces dernières années. Plus de la moitié ont été attribués à des personnes qui étaient sans domicile. Nous devons certes continuer d’agir avec le tissu d’acteurs, mais aussi regarder en face le fait que, pour accueillir mieux, nous devons sans doute accueillir moins.

C’est la suite à la fois de décisions qui ont été prises, de textes qui ont été votés et de ce que nous aurons à mettre en œuvre dans les prochaines semaines et les prochains mois. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)