M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le rapport d’avancement annuel de cette année est, si l’on peut dire, de meilleur augure que le précédent, même s’il hérite d’une situation financière très dégradée.
Souvenez-vous : l’an dernier, quatre mois seulement après l’adoption de la loi de programmation des finances publiques, le programme de stabilité actait la caducité de ce texte. Et le dérapage de la cible de déficit par rapport à la loi de programmation reste considérable en 2025, à hauteur d’environ 50 milliards d’euros.
Cette année, le document dont nous débattons donne à voir un spectacle différent. La trajectoire de dépense nette, qui nous engage à l’échelle européenne, est tenue. La prévision de déficit pour 2025 est certes moins ambitieuse que dans le programme de stabilité, mais elle ne s’en éloigne pas trop et reste la même que celle qui figure à l’article liminaire de la loi de finances pour 2025.
Cela s’explique probablement davantage par la contrainte, à savoir les nouvelles règles budgétaires européennes, que par la vertu propre de ce gouvernement, même si celle-ci existe sans doute ! (Sourires.) En effet, s’écarter trop franchement de la trajectoire de dépense nette, qui coïncide pour notre pays avec la trajectoire de correction induite par la procédure de déficit excessif, se traduirait par des sanctions.
Pour autant, je ne me réjouis pas trop vite : si le rapport d’avancement annuel pour 2025 est un exercice de suivi du PSMT, il est aussi, d’une certaine manière, un exercice d’actualisation des prévisions pour l’année en cours, puisque nous ne sommes qu’à la fin du premier tiers de celle-ci.
Or la prévision de croissance pour 2025, actuellement de 0,7 %, ne cesse de reculer depuis six mois. Le Sénat est donc en droit de se demander, même si vous êtes resté optimiste, monsieur le ministre, si elle ne reculera pas encore davantage, notamment au gré des décisions et volte-face du président américain.
De fait, le FMI prévoit une croissance de 0,6 % pour la France, et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) envisage 0,5 %. Même si nous ne le souhaitons pas, bien sûr, il est donc à craindre que notre pays ne fasse un peu moins bien que prévu, les recettes étant en retrait par rapport à la prévision et le déficit légèrement plus élevé.
Dans ces conditions, la revalorisation de la prévision de rendement de certains impôts me paraît imprudente. En particulier, la prévision d’impôt sur les sociétés pour 2025 a été revue à la hausse de 2 milliards d’euros en raison de résultats meilleurs qu’attendu en 2024. Selon moi, il n’est pas opportun de prendre un tel risque, alors même que la prévision de rendement de cet impôt est toujours particulièrement incertaine du fait du cinquième acompte.
C’est devenu pour moi un leitmotiv que d’alerter sur les incertitudes qui entourent toujours les prévisions relatives à l’impôt sur les sociétés et qui incitent, de manière générale, à la prudence.
En résumé, je constate que les chiffres du rapport sont dans les clous de ce qui était prévu dans le PSMT, mais qu’il est encore bien trop tôt pour affirmer avec certitude qu’il en sera de même toute l’année.
Je précise que si la trajectoire de dépense nette effective se révélait conforme à celle qui était initialement prévue, cela s’expliquerait pour l’essentiel par les mesures nouvelles en matière de recettes adoptées dans le budget 2025.
Au passage, ce constat validerait la position que je défends depuis longtemps : un redressement des comptes publics ne peut en aucun cas passer uniquement par une diminution de la dépense publique, du moins pour un tel ordre de grandeur ; il doit impérativement s’accompagner d’un volet recettes. Je rappelle que le cumul des mesures relatives aux recettes prises depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République représente une perte annuelle de plus de 60 milliards d’euros…
Les mesures nouvelles dédiées aux recettes du budget 2025 étaient pensées pour être temporaires. C’est là que ce rapport d’avancement, où est indiquée une volonté de réaliser des économies à hauteur de 110 milliards d’euros d’ici à 2029 et où est repris le projet du Gouvernement d’en faire 40 milliards d’euros dès 2026, m’interpelle et me rend sceptique, voire méfiant. Il faut dire que nous avons des raisons de l’être depuis quelques années…
Bien que ce nouveau document n’ait pas la même vocation prospective à moyen terme que les anciens programmes de stabilité, je m’interroge sincèrement sur la capacité de ce gouvernement à tenir, pour l’année prochaine et les années à venir, ses engagements sans toucher aux recettes.
Comment est-il possible de mettre fin à des mesures temporaires induisant des recettes tout en faisant en moins de cinq ans des économies de l’ordre de 110 milliards d’euros ? Peut-être pourrez-vous, madame, monsieur les ministres, éclairer le Sénat sur ce point. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis la réforme du pacte de stabilité de l’année dernière, le rapport d’avancement annuel du plan budgétaire et structurel de moyen terme se substitue aux programmes de stabilité.
Dans le cas des finances sociales, ce rapport constitue un recul important de l’information disponible pour le Parlement. J’ai déjà souligné ce problème pour le PSMT lui-même lors de notre débat du 30 octobre dernier. J’espérais que le présent rapport d’avancement permettrait de corriger cette lacune. Tel n’est malheureusement pas le cas.
En effet, les programmes de stabilité comprenaient dans les annexes un tableau indiquant, pour chaque année jusqu’à la fin de la programmation, la capacité de financement prévisionnelle par sous-secteur, en particulier pour les administrations de sécurité sociale. Ces données n’étaient pas disponibles pour des périmètres plus restreints de la sécurité sociale, mais c’était déjà une base !
Or cette programmation à moyen terme du solde des administrations de sécurité sociale n’existe plus, ni dans le PSMT ni dans le rapport d’avancement annuel.
Certes, comme le souligne le Haut Conseil des finances publiques, le rapport d’avancement annuel « se différencie des anciens programmes de stabilité, en se voulant dans l’esprit du législateur européen, un rapport de suivi du PSMT. En conséquence, il peut ne porter que sur les années passées et en cours ».
Il s’agit toutefois, dans le domaine des finances sociales, d’un recul majeur de l’information du Parlement d’autant plus dommageable qu’il n’existe aucune programmation de ces dernières : la loi de programmation des finances publiques de décembre 2023 est devenue caduque à peine votée et les tableaux pluriannuels annexés aux lois de financement de la sécurité sociale ne sont que des prévisions à droit constant, qui indiquent une aggravation à venir du déficit de la sécurité sociale.
Je souhaite donc, madame, monsieur les ministres, vous poser la question suivante : prévoyez-vous de réintroduire dans les prochains rapports d’avancement la répartition des besoins de financement prévisionnels entre sous-secteurs d’administrations publiques, laquelle figurait dans les programmes de stabilité ?
À défaut, serait-il possible de réintroduire une telle répartition dans un autre document, comme le rapport économique, social et financier annexé aux projets de loi de finances ?
Le rapport d’avancement comprend toutefois quelques informations relatives aux finances sociales pour les prochains exercices, en particulier dans son tableau – soyons précis ! – de la page 56.
Pour la réforme des allégements généraux, il y est mentionné la mise en place prochaine d’un « comité de suivi, placé auprès du Premier ministre ». Cette instance a, en effet, été instaurée par l’article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, sur l’initiative de la commission des affaires sociales du Sénat. Elle doit publier un rapport avant le dépôt de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), du PLFSS pour 2026 au PLFSS pour 2030.
Pouvez-vous, madame, monsieur les ministres, nous indiquer où en est la mise en place de ce comité de suivi ?
Toujours en matière de réforme des allégements généraux, le tableau de la page 56 indique que le Gouvernement ne souhaite pas en rester à la réforme contenue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 et juge nécessaire d’aller plus loin.
Il est précisé : « Le Gouvernement reste déterminé à réaliser une réforme globale des allégements généraux. Tout en garantissant la soutenabilité des comptes des administrations de la sécurité sociale, cette réforme renforcera l’efficacité du dispositif des allégements généraux de cotisations sociales et encouragera également la mobilité salariale et la productivité pour les travailleurs rémunérés autour du Smic ».
Madame, monsieur les ministres, pouvez-vous nous indiquer ce que le Gouvernement a concrètement l’intention de faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les différents gouvernements suivent un fil directeur depuis la sortie des crises covid : ils témoignent de constance, pour ne pas dire d’entêtement, dès qu’il s’agit d’afficher un discours musclé, tout en agissant de manière inverse dans les faits !
Ainsi, du gouvernement d’Élisabeth Borne à celui de François Bayrou, il est tout à fait paradoxal d’entendre des propos qui relèvent tous de la doxa fiscale de non-augmentation des impôts et de voir, en pratique, le taux de prélèvement obligatoire augmenter encore !
Ce décalage complique l’efficience de la gestion. En effet, en bloquant idéologiquement tout débat global, même pragmatique, donc les réformes structurelles sur les recettes, vous empêchez dans les faits l’État d’être plus efficace dans son action économique et plus juste en matière d’égalité devant l’impôt. Votre approche, qui consiste à faire à bas bruit le contraire de vos discours, confine en quelque sorte à la schizophrénie.
Finalement, ceux qui ont largement bénéficié de l’aide de l’État pendant le covid n’auront pas à renvoyer l’ascenseur. Ce constat est créateur de tensions dans le pays et le sera de plus en plus au moment où la France s’apprête à rembourser ses emprunts.
Car, oui, il faut les rembourser. Il faut le faire alors même que l’augmentation non maîtrisée des dépenses à la sortie du covid et à la suite de la guerre en Ukraine a haussé considérablement pour la France les taux d’intérêt. Entre 2022 et 2030, la charge de la dette doublera presque, atteignant plus d’un cinquième des recettes de l’État.
Puisque nous avons besoin d’argent, il faut ouvrir un débat transparent et pragmatique sur les recettes. Or rien n’est documenté sérieusement dans le PSMT.
Le Trésor ayant commis, il y a quelques années, une étude sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), nous savons que le rendement de cette dernière baissera d’un tiers entre 2022 et 2030 : par quoi cet argent en moins sera-t-il compensé ? Rien n’est défini. Sera-t-il compensé par la suppression des niches fiscales sur le gasoil professionnel et le gasoil agricole, ou par l’augmentation de la TVA, comme certains le suggèrent ? Nous ne le savons pas.
Pis encore, cette absence de débat et ce refus de réformes structurelles de la fiscalité coïncident avec les problèmes de calculette à Bercy, comme l’ont souligné les précédents orateurs. Cela fait maintenant trois ans que nous vivons la même séquence : d’abord, un budget erroné, puis de nécessaires arbitrages en catimini, quelques semaines seulement après la tenue du débat démocratique sur les finances de notre pays.
En définitive, votre politique est claire : renvoyer les arbitrages budgétaires au seul volet des dépenses. Malgré nos désaccords en la matière – c’est normal en démocratie ! –, nous pourrions nous attendre à des débats portant sur des réformes structurelles en la matière, au moins sur celles qui sont inscrites dans le PSMT. Pourtant, il n’en est rien.
Alors que le budget pour 2026 s’annonce comme la quadrature du cercle, telle sœur Anne, depuis janvier dernier, nous ne voyons rien venir à l’ordre du jour du Parlement. Au contraire, le Gouvernement appuie des deux pieds sur la pédale du statu quo : les séances de travail parlementaire sont réduites au strict minimum et nous sommes saisis de textes sur les processus électoraux ou la sécurité, mais rien n’est proposé en matière de réorganisation du pays.
Si, d’un côté, nous ne voyons rien venir, de l’autre, nous en voyons beaucoup dans les médias : tous les jours, quand nous allumons notre poste de télévision, nous découvrons une idée lancée ici pour sonder le terrain, là pour proposer une modification structurelle. Dans les faits pourtant, nous n’entendons aucune annonce, nous ne voyons aucun texte ni projet.
Autrement dit, nous sommes comme un alpiniste face à l’Himalaya : d’un côté, tout nouvel apport nutritionnel nous est refusé, de l’autre, notre charge est intégralement maintenue. Un tel mode de gestion est curieux, car nous savons d’ores et déjà que cela ne fonctionnera pas… Se pose donc la question de la sincérité budgétaire.
De facto, nous voyons mise en œuvre la technique du rabot : rabot des niches fiscales, des dépenses… C’est la solution la plus terrible ! En effet, en rabotant, les choix vont au plus facile : les budgets d’investissement deviennent la cible. France 2030, transition écologique, recherche et enseignement supérieur, aide au développement… Voilà votre façon de préparer l’avenir : supprimer les dépenses d’investissement. Vous rabotez budget après budget tout ce qui pourrait nous aider à relever les défis à venir.
Pis encore, vous empêchez la France d’être au rendez-vous de son défi budgétaire : la procrastination aboutit à renvoyer à d’autres les arbitrages, qui seront forcément plus douloureux demain. Est-ce responsable ? Nous ne le pensons pas.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Grégory Blanc. Non seulement vous ne parviendrez pas, avec ce mode de gestion fonctionnant par non-choix, à boucler le budget, mais encore vous créez les conditions de l’instabilité politique. C’est le principal problème à nos yeux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aborde l’examen du rapport d’avancement annuel du PSMT 2025-2029 avec une double exigence : il faut, d’une part, être lucide face aux déséquilibres budgétaires, et, d’autre part, faire preuve de conviction, car les choix budgétaires doivent impérativement servir la justice sociale et la transition écologique.
En effet, derrière les chiffres du déficit, ce sont des défis concrets qui se jouent : la qualité de nos services publics, le pouvoir d’achat des Françaises et des Français et notre capacité collective à relever les grands défis du siècle.
Commençons par dresser un constat. Les chiffres sont sévères : le déficit est de 5,8 % du PIB en 2024, bien au-delà des prévisions ; la dette publique dépasse allègrement les 110 % ; les prévisions de croissance sont systématiquement revues à la baisse. La Cour des comptes parle d’une « dérive inédite » et d’une « année noire » pour 2024. Force est de constater que cette perte de contrôle budgétaire illustre une forme d’improvisation permanente, incompatible avec la nécessité d’une stratégie claire et de long terme.
Face à ce constat alarmant, le Gouvernement nous présente aujourd’hui une trajectoire corrigée pour les années à venir. Désormais, l’objectif est de ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, puis, progressivement, à 4,1 % en 2027 et à 3,4 % en 2028, et de maintenir le cap des 2,8 % en 2029. Inutile de rappeler que cette trajectoire s’écarte largement de la loi de programmation des finances publiques, aujourd’hui en grande partie obsolète.
La charge de la dette, quant à elle, est estimée à 53 milliards d’euros en 2025, mais sa trajectoire reste indécise. La volatilité des taux d’intérêt, nourrie par les incertitudes internationales, ouvre un champ des possibles instable et potentiellement dangereux. Dans ces conditions, l’inversion du ratio dette/PIB annoncée pour 2028 nous paraît, là encore, très aléatoire.
S’agissant des hypothèses de croissance, reconnaissons qu’elles sont plus réalistes que celles des précédents gouvernements, qui frôlaient l’aveuglement avant de se heurter au mur de la réalité.
Le Gouvernement table désormais sur 0,7 % pour 2025, entre 1,2 % et 1,4 % les années suivantes. Selon le Haut Conseil des finances publiques, la prévision de croissance est « légèrement supérieure à celle du consensus des économistes », mais les premières leçons ont été tirées des erreurs passées.
Personnellement, je regrette toutefois que le Gouvernement table de nouveau sur une fourchette haute, malgré l’accumulation des risques. En effet, il faut rester lucide : ni la conjoncture internationale, ni le poids croissant du dérèglement climatique sur notre économie, ni les tendances démographiques actuelles ne justifient un optimisme excessif. « Quoi qu’il arrive », la prudence devrait rester de mise, car, si nous savons toujours quoi faire des bonnes surprises, nous avons bien plus de mal à gérer les mauvaises.
Sur les économies annoncées, à savoir 40 milliards d’euros d’ici à 2026, le flou reste trop important. Les mesures concrètes font cruellement défaut et les tableaux de suivi restent désespérément vides. En réalité, nous sommes invités à débattre d’une trajectoire dont les fondements restent à établir.
Pis encore, les rares mesures identifiées frappent toujours les mêmes : réforme de l’assurance chômage, de l’assurance maladie et des retraites… Autant de reculs sociaux que le Gouvernement, avec cynisme, préfère présenter sous le label « soutien à l’emploi » !
Aucun chiffrage précis des économies attendues n’est d’ailleurs avancé, ce qui nuit gravement à la transparence de ce rapport d’avancement et empêche toute évaluation sérieuse de la trajectoire présentée.
Plus fondamentalement, le Gouvernement ne prend pas la mesure de la gravité de la crise budgétaire qu’il a lui-même provoquée. Il persiste à écarter toute réponse sérieuse, qu’il s’agisse de remettre en cause les dépenses fiscales inefficaces ou de faire davantage contribuer les grandes entreprises et les ultra-riches, sur le modèle de la taxe Zucman. Une fois encore, il préfère reporter l’effort sur celles et ceux qui sont déjà durement touchés par les reculs sociaux.
Ce document est une démonstration supplémentaire de la poursuite de la politique conduite depuis sept ans : un « ni-ni » qui se veut équilibré, mais qui, en réalité, défend les intérêts des plus puissants, tout en exigeant toujours plus de ceux qui supportent déjà l’essentiel du fardeau.
La question du partage de l’effort budgétaire entre les ménages et les entreprises reste également en suspens. L’évolution du taux de prélèvements obligatoires, à savoir une hausse sur les revenus des ménages et une stagnation pour les entreprises, soulève de sérieuses interrogations quant à l’équité de notre système fiscal et à son efficacité pour soutenir la demande intérieure, moteur pourtant essentiel de notre croissance.
Plus généralement, il est permis de douter de l’efficacité d’une politique de l’offre qui, malgré un endettement record, ne semble pas avoir restauré la confiance des investisseurs dans notre économie. Nous pouvons également regretter l’absence de détails concernant les niches fiscales visées par le Gouvernement.
Par ailleurs, plusieurs pages sont consacrées dans le rapport d’avancement à une analyse par sous-secteurs des administrations publiques. On y lit que les collectivités territoriales seraient responsables d’une large part du dérapage. C’est une lecture partielle, voire erronée. En réalité, comme nous le savons dans cet hémicycle, cette situation résulte principalement de l’accélération des investissements locaux en amont des municipales, accélération récurrente et nécessaire à ce moment du cycle électoral.
Ces dépenses sont non pas des dérives, mais bien des investissements d’avenir : équipements publics, transition énergétique, services de proximité. Les collectivités jouent leur rôle essentiel d’aménageurs du territoire et de rempart social.
Aussi, je l’affirme clairement : il est temps d’arrêter d’opposer l’État et les collectivités. Madame la ministre, le redressement durable des comptes passera par une mobilisation conjointe et un respect de l’autonomie locale.
Je consacrerai la dernière partie de mon intervention à une question essentielle : les marges de manœuvre dont l’État doit impérativement disposer pour réussir la transition écologique et la réindustrialisation du pays.
Il est pour le moins préoccupant de constater que la priorité affichée en faveur de la réindustrialisation peine à se traduire en actes. L’annonce récente par ArcelorMittal de la suppression de centaines de postes en France en est une illustration éclatante, juste après l’abandon de Vencorex : nous assistons à la poursuite de la désindustrialisation. La fragilité de notre appareil productif traduit un manque d’ambition en matière d’investissements.
De même, concernant la transition écologique, aucune indication n’est donnée sur la trajectoire des investissements à réaliser dans les années à venir. Pourtant, s’il existe une dette irréversible, c’est bien la dette écologique. Madame la ministre, chaque investissement retardé, chaque engagement repoussé nous rapproche inexorablement du point de non-retour.
En conclusion, j’ajouterai que ce rapport d’avancement révèle l’échec d’une politique budgétaire qui accumule les paradoxes : elle creuse la dette sans relancer l’investissement et elle aggrave les inégalités sans redresser les comptes. L’analyse du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est sans appel : cette spirale négative ne sera brisée que par un changement de cap.
De fait, le nécessaire redressement de nos finances publiques ne peut se faire au détriment des investissements. Nous devons donc oser investir massivement dans notre appareil productif, notre formation professionnelle, notre défense et les transitions écologique et numérique. En effet, c’est précisément l’absence d’investissements qui condamne notre économie à la stagnation et nos finances publiques au déficit chronique.
Cette relance exige une réforme fiscale courageuse, mettant fin aux rentes qui privent l’État de ressources nécessaires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme pour les années 2025 à 2029 est un document technique, qui pourrait s’intituler Un Déficit public trop élevé, mais une trajectoire de dépense nette tenue. La commission des finances l’a examiné ce matin. À ce titre, je salue le travail de M. le rapporteur général et de l’ensemble des services de la commission.
Le Gouvernement soumettra un tel dossier à Bruxelles pour montrer aux institutions européennes que, même si la France ne respecte pas les règles budgétaires que les États membres ont fixées en commun, elle fait preuve de bonne volonté et se met en action. Tous les sénateurs connaissent les règles européennes : le déficit public annuel ne doit pas dépasser les 3 % du PIB, tandis que la dette publique doit rester inférieure à 60 % du PIB.
En 2024, le déficit français fut de 5,8 % et notre dette représentait 113 % du PIB. C’est dire si le chemin à parcourir est long !
Mes chers collègues, le respect les engagements auxquels notre pays est soumis nous paraît un rêve inatteignable ; il fait penser à la tâche de Sisyphe, qui roule un rocher au sommet d’une montagne, d’où celui-ci finit toujours par retomber.
Pourtant, si l’on compare le déficit français et notre dette à ceux de nos amis européens, qui sont soumis aux mêmes règles, on constate immédiatement qu’une grande partie des pays parvient à respecter leurs engagements budgétaires. Pour ne prendre que cet exemple, seize des vingt-sept États membres de l’Union européenne ont eu en 2023 des déficits inférieurs à 3 % du PIB. Mieux encore, quatre ont affiché un excédent public.
Rappelons-nous, mes chers collègues, de la crise financière de 2008, puis de la crise des dettes souveraines. À l’époque, des détracteurs anglo-saxons avaient accusé quelques pays européens d’être en grande partie responsables de la crise continentale par leur manque de sérieux budgétaire. Il s’agissait du Portugal, de l’Italie, de l’Irlande, de la Grèce et de l’Espagne. À l’époque, les commentateurs mal intentionnés les appelaient les « Piigs »…
Laissez-moi donc vous parler, près de vingt ans plus tard, de la situation budgétaire de ces pays.
Le Portugal a été en 2024 en excédent budgétaire pour la deuxième année consécutive, et les analystes projettent que l’année 2025 finira de la même manière.
L’Irlande a eu un excédent de 23 milliards d’euros, soit 4,7 % de son PIB en 2024, après une année 2023 au cours de laquelle elle a déjà dégagé 10 milliards d’euros.
Comme la France, l’Italie ne respecte pas les traités, mais elle peut s’appuyer sur une balance commerciale que notre pays lui envie.
Après des années particulièrement compliquées, la Grèce et l’Espagne respectent désormais les traités en ayant des déficits inférieurs à 3 %.
Qu’ont fait ces pays pour changer la donne ? Rien que nous ne puissions faire : des réformes économiques, un allégement du poids de l’État et une baisse des prélèvements pesant sur le tissu entrepreneurial. Mes chers collègues, il n’y a aucune fatalité en matière de gestion budgétaire : celui qui est le mauvais élève aujourd’hui pourra montrer le bon exemple demain !
Le Sénat a donc étudié avec attention ce rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme. Le lecteur y apprend, parmi de nombreuses informations, que le Gouvernement a engagé cet automne, avec l’aide des sénateurs, des mesures de redressement budgétaire à hauteur de 50 milliards d’euros, afin de ramener le déficit à 5,4 % en 2025, après une année 2024 au cours de laquelle le pays a connu un déficit à 5,8 %.
La nécessaire baisse de nos dépenses publiques est désormais une évidence pour tout le monde, et les Français soutiennent les élus en ce sens. Les économies engagées en 2025 sont un bon début, mais il ne faudra pas s’arrêter là. Le chemin à parcourir sera dur et long, mes chers collègues, mais il nous faut avancer pas à pas, sans jamais faire demi-tour. Comme vous l’avez rappelé, madame, monsieur les ministres, c’est à ce prix que la France pourra, à son tour, rentrer dans les clous, faire preuve de bonne gestion budgétaire et respecter ses engagements envers ses partenaires européens.
Enfin, baisser les dépenses, particulièrement celles de fonctionnement – vous l’avez rappelé, madame la ministre – et certains budgets fondamentaux comme ceux de la sécurité sociale et de l’État, revient, bien au-delà du simple respect des engagements budgétaires, à rendre à notre pays des marges de manœuvre, qui permettront d’agir là où l’action est nécessaire, quand elle nécessaire.
Je pense au remboursement d’une dette qui atteint 113 % de notre PIB et au financement de mesures essentielles en faveur de l’éducation nationale, du réarmement, de la sécurité, de la santé et de la transition écologique, sans oublier le soutien en direction des collectivités territoriales. Ces missions sont fondamentales. Tel est le point de vue du groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Michel Canévet applaudit également.)