Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Marie-Pierre Richer.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 30 avril 2025 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
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Frais bancaires sur succession
Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession (proposition n° 179, texte de la commission n° 561, rapport n° 560).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui répond à une préoccupation profondément humaine : soulager les familles dans les moments douloureux qui suivent la perte d'un proche.
En ces instants difficiles, nous devons veiller à faciliter leurs démarches, en particulier avec les établissements bancaires. À la peine de l'absence ne doivent pas s'ajouter des frais bancaires excessifs, souvent mal compris et peu lisibles pour nos concitoyens. Cette proposition de loi vise donc à encadrer ces frais de manière plus juste et plus transparente. Elle constitue une avancée pour protéger les familles et assurer la confiance dans le système bancaire lors des moments critiques qui suivent le décès d'un proche.
Je me réjouis de son examen au Sénat aujourd'hui et je tiens à saluer le travail rigoureux et l'engagement des parlementaires sur ce texte, en particulier celui de la députée Christine Pirès Beaune et du sénateur Hervé Maurey, dont l'investissement et la détermination pour le faire adopter dans les meilleurs délais sont salués par l'ensemble des acteurs. Qu'ils en soient remerciés !
Les pouvoirs publics se sont attachés depuis plusieurs années à mieux encadrer les frais bancaires, notamment pour protéger les publics les plus vulnérables. Je pense ici à trois étapes importantes.
Premièrement, en 2013, l'offre spécifique « clientèle fragile », à destination des personnes en situation de fragilité financière, a été introduite dans la loi. Ce dispositif limite les frais en cas d'incident de paiement et garantit des services bancaires de base à un coût encadré, plafonné à 3 euros par mois. Aujourd'hui, toutes les banques sont tenues de proposer cette offre.
Deuxièmement, en 2019, un décret est venu renforcer cet encadrement, permettant à plus de 4 millions de Français de bénéficier de protections accrues.
Troisièmement, et enfin, une charte d'inclusion bancaire et de prévention du surendettement, signée par tous les établissements de crédit et les entreprises d'investissement, a été homologuée en 2020. Cette charte constitue la pierre angulaire de notre action pour renforcer l'inclusion financière.
Ces mesures traduisent l'engagement continu du Gouvernement pour limiter les frais bancaires et protéger les plus fragiles. La présente proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de cette ambition.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur mon engagement, en ma qualité de ministre chargée de la protection des consommateurs et de la vie quotidienne des Français, pour faire avancer ce sujet difficile, mais nécessaire.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objectif de réduire et d'encadrer les frais bancaires liés aux successions, en assurant un équilibre.
Trois cas de gratuité sont prévus par la loi : la modestie des moyens du défunt ; la minorité du défunt ; la simplicité de gestion de la clôture du compte, c'est-à-dire l'absence d'opération complexe. Pour tous les autres cas, une tarification plafonnée est prévue, avec un double plafond : les frais ne peuvent pas dépasser 1 % des sommes totales détenues, et cela dans la limite d'un montant fixé par décret.
Je salue ici le travail de coconstruction réalisé en parfaite intelligence avec les rapporteurs, à l'Assemblée nationale et au Sénat, tout au long de la navette parlementaire, qui a permis d'élaborer un dispositif qui nous semble équilibré. Celui-ci protégera les intérêts des Français tout en prenant en compte les démarches accomplies par les banques, lesquelles fournissent en effet un certain nombre de services dans le cadre des successions.
Avant la clôture des comptes d'un défunt, les banques accomplissent des démarches importantes, comme l'accompagnement des familles, l'obtention des pièces justificatives et la vérification de l'authenticité de l'acte de décès. Elles réalisent aussi des opérations techniques, telles que le gel des avoirs, leur déclaration à l'administration fiscale ou encore le transfert des fonds aux héritiers selon les instructions du notaire.
Ces opérations mobilisent des services bancaires spécialisés, souvent composés de nombreux collaborateurs, en lien avec les notaires. Ces coûts ont justifié que l'option de la gratuité totale soit écartée dans les cas où l'opération est manifestement complexe. Il restait ainsi ce point à déterminer. Ces précisions ont été apportées lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
Les amendements de Mme la rapporteure ont permis d'atteindre un point d'équilibre. Une opération est manifestement complexe, notamment lorsqu'il y a un contrat de crédit immobilier en cours, lorsque le compte présente une nature professionnelle ou encore lorsque des sûretés sont constituées sur les comptes. Le texte renvoie à un décret d'application pour apporter les dernières précisions utiles.
Nous sommes également parvenus à un accord sur la date d'entrée en vigueur du dispositif prévu par la proposition de loi, qui a été fixée à six mois après sa promulgation.
Enfin, le texte prévoit qu'un rapport devra être rendu par le Gouvernement au Parlement dans le délai d'un an, afin d'évaluer les effets de ce texte sur l'évolution des frais bancaires appliqués. Je suivrai ce sujet de très près, afin que nous puissions dresser le bilan de cette proposition de loi et mesurer ses impacts.
Monsieur le président de la commission des finances, je sais que vous transmettrez mes remerciements à M. le rapporteur Hervé Maurey, ainsi qu'à toutes les équipes qui se sont mobilisées, pour le travail accompli et pour leur écoute, qui ont permis de faire avancer ce dossier avec rigueur et équilibre.
Ce dispositif, une fois voté, représentera une avancée importante en matière de protection des Français et, tout comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'en réjouis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances, en remplacement de M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances, en remplacement de M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'interviens en remplacement de notre collègue Hervé Maurey, rapporteur de la commission des finances sur la proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.
Aussi, je vous présente l'analyse du rapporteur et la position défendue par la commission des finances sur sa proposition.
Nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture cette proposition de loi, un an après son examen en première lecture par notre assemblée, qui l'avait adoptée à l'unanimité avec modifications.
Les frais appliqués dans le cadre des opérations de succession se distinguent des autres frais bancaires par leur disparité et leur manque de transparence.
Pour mémoire, selon une étude de l'UFC-Que Choisir, avec une moyenne de 291 euros en 2023, les frais bancaires facturés en France, pour une succession de 20 000 euros, seraient trois fois supérieurs à ceux qui sont pratiqués en Belgique et en Italie, et même quatre fois plus élevés qu'en Espagne. Ces frais présentent des disparités importantes entre banques, atteignant jusqu'à 527,50 euros dans certains établissements, contre seulement 80 euros dans d'autres.
Cette question a notamment été médiatisée lorsque des parents se sont vu réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé en mai 2021, ce qui avait créé une vive et légitime émotion. Plusieurs questions écrites ont ainsi interpellé l'exécutif.
Dès novembre 2021, Hervé Maurey lui-même avait attiré l'attention du ministre Bruno Le Maire sur ce sujet, l'interrogeant sur les mesures qu'il comptait prendre. En l'absence de solution rapidement dégagée par l'exécutif, notre collègue avait aussi déposé en janvier 2022 une proposition de loi visant à encadrer les frais bancaires sur succession, puis, en janvier 2023, un amendement sur la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants portée par nos collègues Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier.
Le dispositif proposé prévoyait la gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée et instituait, dans les autres cas, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement.
Cet amendement, tout comme celui, identique, qui avait été déposé par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, avait été adopté par le Sénat, malgré l'avis défavorable donné par le Gouvernement. Le ministre Jean-Noël Barrot avait alors annoncé, pour se justifier, la conclusion sous un mois d'un accord de place qui devait « engager pleinement les banques ».
De fait, la perspective d'un tel accord de place s'est révélée illusoire, notamment au regard de sa non-conformité avec le droit de la concurrence, qui prohibe tout accord tarifaire.
Aussi, la position de l'exécutif a finalement connu un revirement en février 2024, lorsque Bruno Le Maire a annoncé par un tweet – c'est moderne ! (Sourires.) – son soutien à la présente proposition de loi déposée par notre collègue députée Christine Pirès Beaune.
À cet égard, il convient de souligner la détermination sur ce sujet de Christine Pirès Beaune – vous l'avez rappelée, madame la ministre –, qui a pris l'initiative, avec ses collègues députés socialistes, de porter de nouveau cette question devant le Parlement. Ses échanges avec Hervé Maurey tout au long de la navette parlementaire ont permis d'aboutir à un compromis équilibré et sécurisé au plan juridique.
Compte tenu de ces éléments, la commission des finances défend donc une adoption conforme de la version issue de la deuxième lecture par l'Assemblée nationale, votée à l'unanimité. Cette version conserve l'essentiel des apports du Sénat en première lecture. Il conviendra de s'assurer que ce dispositif législatif, une fois adopté, soit mis en œuvre rapidement et dans le respect de ce qu'a voté le législateur.
Deux articles restaient en discussion sur les trois adoptés en première lecture. Je concentrerai mon propos sur l'article 1er, qui porte le dispositif d'encadrement des frais prélevés, au titre des opérations liées aux successions, par les établissements teneurs des comptes ou auprès desquels sont ouverts les produits d'épargne. L'article 2 prévoit en effet un simple rapport d'application.
Le nouvel article L. 312-1-4-1 introduit au sein du code monétaire et financier par l'article 1er de la proposition de loi a fait l'objet d'une réécriture complète sur l'initiative du Sénat en première lecture. Il était nécessaire d'améliorer l'intelligibilité et la sécurité juridique du dispositif proposé, ainsi que de prévoir au niveau législatif un plafonnement à 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne du défunt pour les cas non couverts par la gratuité.
De même, le Sénat a précisé les critères relatifs au cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, avec l'énumération de quatre critères d'appréciation de la complexité des opérations de succession : l'absence d'héritiers en ligne directe ; le nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer ; la constitution de sûretés ; enfin, l'existence d'éléments d'extranéité, pour les successions présentant un caractère international.
Par ailleurs, concernant le cas de gratuité relatif aux successions les plus modestes, nous avons substitué au seuil de 5 000 euros en valeur absolue une référence directe au seuil fixé par l'arrêté mentionné au 2° de l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier, relatif à la procédure de clôture des comptes simplifiée, indexé annuellement sur l'inflation, afin d'assurer son adaptation automatique dans le temps.
Enfin, nous avons prévu un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, afin de sécuriser la date d'entrée en vigueur du dispositif.
Lors de la deuxième lecture du texte à l'Assemblée nationale, plusieurs précisions ont été introduites, sur l'initiative de la rapporteure Christine Pirès Beaune, afin de renforcer encore davantage la pertinence et la sécurité juridique du dispositif d'encadrement et de gratuité. Ces modifications ont donné lieu à des échanges approfondis entre les rapporteurs des deux chambres, ainsi qu'avec les services du ministère de l'économie, auxquels nous adressons nos remerciements au travers de votre personne, madame la ministre.
D'une part, la liste des produits d'épargne réglementée exclus de l'application du dispositif d'encadrement a été précisée, avec l'ajout, en plus des plans d'épargne en actions (PEA), des plans d'épargne en actions PME (PEA-PME), des comptes PME innovation et des plans d'épargne avenir climat (Peac). En effet, ces plans d'épargne et ces comptes se rapprochent des caractéristiques des PEA dans la mesure où la valorisation des avoirs peut fluctuer de manière importante en fonction des périodes.
D'autre part, les critères relatifs à l'appréciation de la complexité, permettant de délimiter le champ d'application du cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, ont été complétés par l'ajout de deux critères supplémentaires : la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès et la nature professionnelle du compte à clôturer.
Le critère portant sur le nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer, adopté par le Sénat en première lecture, mais considéré comme moins pertinent pour constituer un élément de complexité, a été supprimé.
Enfin, outre quelques modifications rédactionnelles, le délai d'entrée en vigueur du dispositif a été porté de trois mois à six mois, afin de permettre l'adaptation des grilles tarifaires et des procédures des établissements concernés.
De fait, cette version maintient l'essentiel des apports du Sénat en première lecture.
Il s'agit, en premier lieu, de l'institution d'un plafonnement à 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne pour les cas non couverts par la gratuité. Il faut bien évidemment l'entendre comme un maximum, destiné à encadrer le barème dégressif en fonction du montant total des soldes qui sera déterminé par le décret d'application.
Il s'agit, en second lieu, de l'énumération au niveau législatif des critères pris en considération pour l'appréciation de la complexité des opérations liées aux successions, avec la conservation de trois critères sur les quatre introduits par le Sénat et l'ajout de deux critères complémentaires.
Mes chers collègues, la commission des finances vous propose donc l'adoption conforme de la version issue de la deuxième lecture par l'Assemblée nationale, pour consacrer enfin au niveau législatif un encadrement équilibré et sécurisé des frais bancaires sur succession.
La commission vous invite donc à voter cette proposition de loi, et cela peut-être même à l'unanimité, comme à l'Assemblée nationale. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession ayant été votée en première lecture par le Sénat dans des termes sensiblement différents de ceux de l'Assemblée nationale, une deuxième lecture a été nécessaire. Nous espérons, nous aussi, que celle-ci sera conclusive, grâce à une adoption conforme.
Le groupe socialiste s'est attaché ces dernières années à mieux encadrer les frais bancaires. J'avais d'ailleurs rappelé, lors de la première lecture, nos différentes initiatives tendant à protéger les plus modestes de nos compatriotes face aux frais bancaires trop élevés.
Le texte de notre collègue députée socialiste Christine Pirès Beaune, que nous étudions aujourd'hui en deuxième lecture, faisait suite à de nombreuses initiatives appelant à la régulation des frais bancaires sur les successions : des études d'associations de consommateurs sur le sujet, des dizaines de questions écrites de parlementaires de divers groupes adressées au Gouvernement et une proposition de loi de janvier 2022 du rapporteur Hervé Maurey.
La question qui nous intéresse aujourd'hui, celle des frais bancaires appliqués à la suite d'un décès, ne concerne, certes, qu'une petite partie de l'ensemble des frais bancaires, mais elle revient régulièrement dans l'actualité, à l'occasion de cas très injustes, qui ont parfois ému l'opinion.
Opaques, souvent disproportionnés, toujours imprévisibles, les frais bancaires prélevés lors de la clôture du compte d'une personne décédée cumulent en effet tous les griefs, comme l'ont rappelé Mme la ministre et M. le président de la commission des finances. Très variables d'un établissement à l'autre, ils auraient augmenté de 50 % en douze ans, selon l'UFC-Que Choisir.
Nous ne pouvons donc que nous réjouir de l'examen de ce texte d'initiative parlementaire, soutenu par le Gouvernement et qui, après tant d'années, permet enfin de légiférer.
Le cœur de la proposition de loi, son article 1er, vise à prévoir l'exonération des frais bancaires pour les comptes de dépôt, les comptes de paiement, les livrets et l'ensemble des produits d'épargne, à l'exception des PEA, et ce dans trois cas : lorsque la succession est très simple, lorsque le montant du compte n'excède pas 5 000 euros et lorsque le défunt était mineur.
Pour toutes les autres successions, le prélèvement des frais ne pourra pas dépasser 1 % du montant total du solde du compte et de la valorisation des produits d'épargne, comme l'avait proposé le rapporteur au Sénat lors de la première lecture.
Les députés ont introduit en deuxième lecture des amendements visant à élargir le champ d'application de la proposition de loi à l'ensemble des opérations bancaires liées aux successions, et non aux seules clôtures de comptes, mais aussi à exclure, en plus des PEA, certains produits d'épargne dont la valorisation des avoirs peut rendre difficile l'appréciation de leur montant total.
Cette proposition de loi permet ainsi l'application des frais bancaires de succession uniquement en cas de montants importants et de montages complexes, ces derniers ne représentant pas la majorité des comptes en banque. Elle protège les Français modestes, le secteur bancaire n'ayant pas été capable de s'accorder lui-même sur des règles communes le permettant.
Il s'agit d'un réel enjeu de justice sociale, là où les établissements bancaires sont accusés, à juste titre, de recourir à des pratiques trop souvent antisociales pour la gestion des comptes, particulièrement ceux qui sont détenus par des personnes en difficulté financière.
En conséquence, le groupe socialiste soutiendra cette proposition de loi modifiée, dont il faut saluer le caractère consensuel à la suite du travail de coproduction mené par son auteure, Christine Pirès Beaune, le Gouvernement et le Sénat.
Il faut également saluer l'approche très constructive des commissaires aux finances, qui permet d'aboutir aujourd'hui à un dispositif efficient. En effet, ne nous y trompons pas : l'objectif ici est non pas de remettre en cause la liberté de commerce du secteur bancaire, mais bien de remettre de l'ordre et de l'équité dans l'univers opaque des frais que les banques facturent aux héritiers lors des successions.
À cet égard, la loi que nous allons voter représente véritablement un progrès dont nous pouvons nous féliciter, en espérant que ce texte soit mis en œuvre rapidement. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « tout travail mérite salaire » : cet adage, issu de l'Ancien Testament et popularisé au Moyen Âge en Europe, constitue l'un des fondements de l'éthique du travail telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Nous débattons cet après-midi des frais bancaires sur succession, en privilégiant, comme l'ont rappelé les collègues qui sont intervenus avant moi, le volet humain de ce sujet, qui exige respect et reconnaissance.
À première vue, nous pourrions tout à fait comprendre que la clôture des différents comptes, livrets et produits d'épargne d'un défunt puisse réclamer de la main-d'œuvre et des coûts pour les établissements bancaires, qui les répercuteraient sous forme de frais à leurs clients. Mais si l'on y réfléchit vraiment, on se dit qu'il s'agit en fait d'une double imposition sur la mort.
Le banquier, puis l'État, récupère une partie de l'épargne qu'une personne récemment décédée s'est constituée au fil de sa vie, au détriment de ses descendants. Par ailleurs, on a du mal à comprendre que ces frais soient si importants en France, alors qu'ils n'existent pas en Allemagne et qu'ils sont trois à quatre fois moins importants en Italie, en Belgique ou en Espagne.
En 2021, l'UFC-Que Choisir nous alertait sur l'importance du montant des frais bancaires sur succession en France. À l'époque, plusieurs initiatives parlementaires avaient éclos, dont l'une était lancée par ma collègue du groupe Les Indépendants – République et Territoires, Vanina Paoli-Gagin.
Ces initiatives se sont concrétisées par l'adoption en 2023 de deux amendements déposés lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants. Mais à l'époque, le Gouvernement s'y était opposé, arguant qu'il avait entamé une démarche conventionnelle avec les banquiers. Or cet accord de place entre les acteurs, qui était pourtant souhaitable, n'a pas abouti.
Il faut reconnaître que le législateur avait laissé du temps au Gouvernement et aux banquiers pour qu'ils régulent d'eux-mêmes le montant de ces frais bancaires. C'est la raison pour laquelle le Parlement a repris le sujet en mains en février 2024, avec le dépôt à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi qui connaît aujourd'hui son troisième trajet entre la Chambre basse et la Chambre haute.
Cette proposition de loi sera peut-être définitivement adoptée ce jour,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C'est souhaitable !
M. Marc Laménie. … si nous suivons la recommandation de la commission de voter conforme le texte issu de l'Assemblée nationale.
Les dispositions du texte restant en discussion interdisent notamment aux établissements bancaires de prélever des frais dans le cadre des successions qui ne présentent pas de complexité manifeste : aucuns frais ne pourront être prélevés lorsque l'héritier justifie de sa qualité auprès de la banque, lorsqu'il s'agit d'une petite succession ou encore lorsque le détenteur des comptes est mineur. Dans tous les autres cas, les opérations liées à la succession pourront faire l'objet de frais – cependant encadrés et limités – imposés par l'établissement qui tient les comptes.
Mes chers collègues, j'aurais préféré qu'il ne soit pas nécessaire de faire aboutir cette proposition de loi et que la régulation permanente ne soit pas la solution pour empêcher certains frais bancaires excessifs... Car la réalité, c'est que ces frais bancaires sur succession, nous les paierons de toute façon !
En effet, comme je le rappelais en introduction de ce propos, tout travail mérite salaire : si les employés de banque qui s'occupent de clore les comptes des défunts ne sont plus payés via les frais bancaires sur succession, alors ils seront rémunérés au travers des frais bancaires classiques. Ce dernier dispositif est d'ailleurs également assez complexe, comme le rappelait le président de la commission des finances, puisque les frais varient d'une banque à l'autre.
La majorité des sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront cette proposition de loi, tout en regrettant, j'y insiste, qu'aucune autre solution n'ait pu aboutir. Il y va en effet des valeurs humaines de bon sens, de respect et de reconnaissance. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les successions ont toujours fait l'objet d'une attention particulière dans le cadre des politiques économiques, en raison de leur impact significatif sur l'évolution des inégalités, mais aussi sur la fluidité de l'épargne.
En France, la part de la fortune héritée dans le patrimoine total a fortement augmenté au cours des dernières décennies. Elle en représente aujourd'hui environ 60 %, contre seulement 35 % au début des années 1970.
Parce qu'elle est extrêmement concentrée, cette évolution, que le Conseil d'analyse économique (CAE) qualifie de « retour de l'héritage », nourrit un renforcement des inégalités patrimoniales fondées sur la naissance, dont l'ampleur est beaucoup plus élevée que celle des inégalités relatives aux revenus du travail.
Face à cette tendance, il devient nécessaire de repenser, avec pragmatisme et efficacité, les instruments de taxation ou de redistribution du flux successoral, dans une logique de réduction des inégalités et de promotion de la méritocratie républicaine.
Le système français se distingue déjà par un barème très progressif, ciblant particulièrement les transmissions les plus élevées et, de facto, les ménages des derniers déciles.
Toutefois, ce seul levier, agissant sur les taux de taxation implicite et leur répartition entre les ménages, semble aujourd'hui insuffisant pour garantir une équité intergénérationnelle accrue, pour corriger les déséquilibres patrimoniaux ou pour encourager une allocation plus productive de l'épargne. Dès lors, d'autres pistes méritent d'être explorées.
C'est dans cet esprit que le rapporteur général, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, a proposé une mesure incitative : l'exonération de droits de succession à hauteur de 100 000 euros par donateur et de 300 000 euros par donataire, conditionnée à une donation destinée à l'acquisition d'un logement neuf ou à des travaux de rénovation énergétique.
Cette approche vise à concilier justice sociale et efficacité économique, en orientant les transmissions vers des usages socialement utiles et en soutenant les politiques de transition écologique et de relance du secteur immobilier.
C'est dans cette même perspective que s'inscrit la présente proposition de loi, sur l'initiative de la députée Christine Pirès Beaune, qui vise à instaurer un encadrement des frais bancaires imputés aux opérations de succession, sans distinction de revenu ou de niveau de patrimoine.
En l'état actuel du droit, ces frais sont librement fixés par les établissements de crédit détenant les comptes du défunt, au titre des opérations administratives de clôture et du transfert des avoirs aux héritiers. Ils échappent à toute forme de régulation ou de plafonnement, ce qui conduit à des pratiques tarifaires souvent élevées, en hausse continue et sans justification ou fondement opérationnels.
Chaque année, les frais bancaires facturés en France dans le cadre des successions représentent entre 125 millions et 200 millions d'euros, soit un coût moyen par succession avoisinant les 300 euros, bien supérieur à ceux qui sont observés dans la majorité des pays européens.
En l'absence de toute possibilité de mise en concurrence pour les successibles, qui n'ont pas la liberté de choisir l'établissement bancaire du défunt, les banques bénéficient d'un effet de verrouillage pouvant, dans certains cas, s'apparenter à un abus de position dominante. Ce phénomène se reflète dans la trajectoire haussière des frais, marquée par une augmentation de 25 % entre 2021 et 2023 et de 50 % depuis 2012.
Plus encore, ces frais semblent souvent décorrélés des coûts effectivement supportés par les établissements bancaires. Le Conseil supérieur du notariat (CSN) souligne ainsi que certaines des opérations facturées par les établissements seraient redondantes avec celles qui sont accomplies par les notaires, ce qui soulève une question de légitimité économique.
Dans ce contexte, faute d'un accord de place qui aurait permis d'aboutir à un engagement collectif de modération tarifaire, cette proposition de loi, reprenant l'initiative de notre collègue Hervé Maurey en 2022, apparaît à la fois nécessaire et opportune.
Au-delà de ses mérites économiques et sociaux, ce texte a suscité un large consensus politique, et ce, tout d'abord, entre les deux chambres. En effet, le rapporteur du Sénat a enrichi le texte transmis par l'Assemblée nationale en en respectant pleinement l'esprit, tandis que la deuxième lecture à l'Assemblée a permis de confirmer et de préciser les apports sénatoriaux.
Ensuite, un consensus s'est établi entre les groupes politiques. Le souhait du rapporteur de parvenir à un vote conforme a été largement partagé par les commissaires aux finances, la semaine dernière. Les groupes parlementaires, toutes sensibilités confondues, se sont unanimement prononcés en faveur du texte, qui a fait l'objet d'un dialogue et d'un consensus avec le Gouvernement, indépendamment de la coloration politique de son auteure.
Il est sain et précieux, sur un sujet aussi sensible et structurant que les successions, que le Parlement soit encore en mesure de suivre une voie de tempérance et de concorde, à la faveur de l'intérêt général et du temps long.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)