M. Guy Benarroche. Ce n’est pas une posture. C’est le respect du droit !

M. David Margueritte, rapporteur. L’article 1er de la loi du 24 août 2021 le souligne de manière très claire : les associations chargées d’une délégation de service public sont soumises, dans le cadre de leur mission, à un strict devoir de neutralité. Cette obligation ne remet nullement en cause la liberté d’expression de ces associations ou l’action de plaider qu’elles déploient par ailleurs.

Toujours est-il que, selon certaines d’entre elles, la politique d’éloignement pratiquée par les gouvernements successifs constitue un problème en soi : une telle posture militante pose nécessairement question. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) On s’interroge notamment sur la nature des recours formés, sur les conditions d’exercice des missions confiées à ces associations et sur le véritable objet de leur mission d’assistance juridique, dans l’intérêt même des personnes retenues.

Or la systématisation des recours se poursuit et s’accélère. La Chancellerie estime à 48 000 le nombre de recours formés devant le juge judiciaire l’année dernière. Le volume de ces derniers a bondi de plus de 30 % en deux ans et, devant le juge administratif, le contentieux de l’éloignement suit une trajectoire comparable : l’augmentation constatée à ce titre est de 18 % entre 2019 et 2023.

Je précise d’ailleurs que le taux de succès de ces recours est très aléatoire, ce qui tend à prouver la fragilité d’un certain nombre d’entre eux.

Très concrètement, quelle est la procédure prévue pour une personne qui, aujourd’hui, arrive dans un centre de rétention administrative ?

Tout d’abord, cette personne se voit notifier ses droits par les responsables du CRA. Puis, les représentants de l’Ofii se chargent de l’informer sur les conditions matérielles de son retour et ses conditions d’existence le temps de la rétention. C’est alors que l’association compétente intervient, souvent à l’aide de formulaires préremplis, en cochant tous les motifs de légalité externe ou interne. Or – les juridictions le signalent de manière régulière – les moyens soulevés sont souvent lacunaires, en fait comme en droit.

Les avocats interviennent en fin de chaîne, découvrant la plupart du temps le dossier lors de l’audience et ne produisant presque jamais de mémoire complémentaire. La requête, sauf exception, a été rédigée par d’autres…

C’est à ce titre que l’on peut s’interroger sur l’efficacité de la dépense et sur l’effectivité du droit au recours. En effet, dans les centres de rétention administrative, les permanences d’avocats se raréfient, à rebours d’une préconisation formulée par notre commission des lois voilà maintenant dix ans.

Or l’aide juridictionnelle a vocation à couvrir toutes les diligences effectuées au titre des recours. Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si l’État ne paie pas deux fois sa politique d’assistance : une première fois aux associations, qui rédigent le projet de recours, voire le recours lui-même intégralement ; et une seconde fois à l’avocat, qui assure la mission de représentation.

Le budget de l’aide juridictionnelle elle-même connaît d’ailleurs une forte progression. En 2024, il atteignait 6,5 millions d’euros, si l’on s’en tient au juge judiciaire ; si l’on y ajoute les procédures formées devant le juge administratif, il avoisinait même les 10 millions d’euros.

Troisièmement – nous avons pu nous en convaincre au fil des nombreuses auditions menées par la commission des lois, ainsi que lors de nos visites de centres de rétention administrative –, divers incidents émaillent, ici ou là, le travail de ces associations.

Ils mettent au jour la perméabilité entre leur action militante et leur mission d’assistance juridique stricto sensu. On peut penser aux affichages militants constatés dans certains centres de rétention administrative, aux recours rédigés à la hâte ou même signés à blanc. Dans certains cas, l’effectivité de la mission semble sujette à caution.

En conséquence, notre collègue propose de simplifier la procédure en vigueur dans les centres de rétention administrative.

Le travail d’information serait assuré par l’Ofii, qui, j’y insiste, y est déjà présent. On se contenterait d’étendre les missions de l’office. Quant à l’assistance juridique, elle serait confiée aux avocats, dont nul ne saurait remettre en cause l’impartialité et l’indépendance. D’ailleurs, avant même la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2024, rendue sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il était acquis que les étrangers, même en situation irrégulière, avaient droit à cette assistance, y compris à l’aide juridictionnelle.

L’intervention de l’Ofii ne poserait réellement aucun problème d’indépendance ou d’impartialité : on se contenterait de déléguer à cet office la mission d’information. Quant aux avocats, je le répète, ils seraient chargés d’assurer l’assistance juridique.

Ce système serait à la fois plus simple et plus efficace. Il ne se heurterait à aucun obstacle légal, qu’il soit conventionnel, constitutionnel ou même jurisprudentiel.

Dans un arrêt du 3 juin 2009, le Conseil d’État relève que les personnes retenues doivent avoir accès à des personnes morales présentant des garanties d’indépendance et de compétence suffisantes. Quant à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), elle mentionne, dans son article 5, une information large et adaptée, que garantit le présent texte.

De même, cette proposition de loi ne remet absolument pas en cause l’article 13 de la directive Retour, qui, dans les mêmes termes, traite de la représentation juridique et de l’assistance garanties aux étrangers.

Ce système, en vertu duquel la mission d’information est assurée par un service public et où les avocats exercent quant à eux l’assistance juridique, est déjà en vigueur dans d’autres pays. Je pense notamment à l’Allemagne, à l’Espagne et aux Pays-Bas.

Enfin, la commission a amendé le présent texte pour assurer la pleine cohérence des différentes missions : désormais, on précise clairement que les représentants de l’Ofii interviennent au cours de la procédure au côté des avocats, en s’alignant sur les dispositions relatives aux zones d’attente.

En l’état, cette proposition de loi nous semble donc apporter toutes les garanties nécessaires. L’Ofii est un acteur connu et reconnu, à même de fournir une information éclairée ; et, devant notre commission des lois, son directeur général a assuré qu’il était tout à fait prêt à accepter cette mission, à condition d’obtenir les équivalents temps plein (ETP) nécessaires.

Nous avons, enfin, amendé le présent texte, afin de permettre son entrée en vigueur à partir de 2026. Nous serons donc au rendez-vous pour assurer une assistance juridique digne de ce nom et une information éclairée des personnes retenues. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à remercier Marie-Carole Ciuntu, auteure du présent texte, lequel fait suite à un excellent rapport, dont je me souviens très bien qu’elle l’avait rédigé au nom de la commission des finances.

Évidemment, je soutiens ce texte.

M. Guy Benarroche. Bien sûr. Vous auriez pu l’écrire !

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Je le soutiens avec force, parce que nous en avons besoin pour mettre fin à une situation qui révolte une grande partie de nos compatriotes. Je pense évidemment aux immenses difficultés auxquelles nous nous heurtons pour éloigner les étrangers retenus en CRA.

Je le répète, cette situation est révoltante pour bon nombre de Français, qui plus est après tous les drames que nous avons vécus – Mme Ciuntu a cité, à ce titre, le cas de la jeune Philippine. Je rappelle que plus de 90 % des personnes retenues dans les CRA présentent des profils dangereux et qu’elles constituent, en ce sens, une menace pour l’ordre public.

Nos compatriotes ne comprennent pas que ces individus dangereux, qui n’ont rien à faire en France, puissent se retrouver dans la nature et constituer, dès lors, une menace pour eux.

Pour que cesse cette situation, nous menons actuellement plusieurs chantiers. On a déjà cité le vaste travail dédié à la délivrance des laissez-passer consulaires dans un certain nombre de pays. Pour ma part, je m’arrêterai sur la triple faille constatée au sujet des centres de rétention administrative. Pour le dire en peu de mots, non seulement le nombre de places en CRA est insuffisant, mais le temps de rétention est trop court et, surtout, la cohérence de notre politique laisse, en la matière, cruellement à désirer.

Tout d’abord, il y a trop peu de places dans les CRA. C’est la raison pour laquelle leur nombre total sera porté à 3 000 dans quelques années. L’an prochain, trois nouveaux CRA verront le jour, à Bordeaux, à Dunkerque et à Dijon. Nous allons accélérer ces constructions.

Ensuite, nous disposons de trop peu de temps : le dispositif prévu par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio nous permettra d’aligner le régime des individus les plus dangereux, notamment les délinquants sexuels, sur celui des terroristes. La période de rétention pourra ainsi être portée à 210 jours au maximum et les préfets disposeront d’un droit d’appel suspensif contre les décisions du juge des libertés et de la détention de libérer une personne retenue. C’est fondamental.

La troisième faille que vient combler la présente proposition de loi concerne les intervenants, le manque de cohérence et, plus précisément, la nécessité, à laquelle je souscris, de confier à l’Ofii le rôle dévolu aujourd’hui aux associations.

Très rapidement après ma prise de fonction au ministère de l’intérieur, j’avais mis ce sujet sur la table, ayant été sensibilisé sur ce point par la commission des finances du Sénat, notamment par Marie-Carole Ciuntu, rapporteure spéciale de la mission « Immigration, asile et intégration ». Cela a pu susciter, je le sais, des polémiques ; nous devons les assumer collectivement, ce que je fais à titre personnel, car je veux dire la vérité aux Français, à savoir que des associations, auxquelles l’État a confié des missions de service public en les rémunérant avec l’argent du contribuable, outrepassent les limites desdites missions qu’elles retournent contre l’État en entravant son action par pur militantisme. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)

Comme l’ont très bien dit M. le rapporteur et Mme Ciuntu, ces associations combattent l’idée même du retour, inscrite dans la loi de la République, et de l’éloignement des étrangers placés en CRA. (M. Guy Benarroche sexclame.)

Elles le font de diverses façons, souvent au travers de recours systématiques et, surtout, indifférenciés contre les décisions de placement ou d’allongement. Elles multiplient également les demandes dilatoires de référé et d’asile sans même que les étrangers concernés les aient formulées ou en soient avertis, ce qui est proprement scandaleux ! C’est documenté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Narassiguin et M. Guy Benarroche protestent.)

Comme le souligne le rapport de la commission des finances du Sénat, il est permis de s’interroger sur le fait même de déléguer une telle mission d’assistance juridique à des associations.

Pour ma part, alors que l’on parle beaucoup des agences et des opérateurs, je pense que nous sommes allés, en France, beaucoup trop loin dans le démantèlement de l’État.

M. Pascal Savoldelli. C’était Sarkozy !

M. Guy Benarroche. À quoi pensez-vous ? À l’OFB et à l’Ademe, au hasard ?

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’État doit retrouver des leviers pour mener, au nom de la démocratie française, au nom de nos compatriotes, les politiques publiques pour lesquelles nous avons été élus. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)

J’assume le fait de vouloir établir un double équilibre, comme cela est proposé au travers de cette proposition de loi. Il s’agit tout d’abord d’un équilibre entre l’information des personnes sur leurs droits et la neutralité, comme l’impartialité de ceux qui ont la mission de les informer, parce que ces derniers concourent à une véritable mission de service public.

Lorsqu’une association expose, dans la salle de pause du personnel d’un CRA, des affiches arborant des slogans militants tels que « La France déporte », est-ce approprié ?

M. Roger Karoutchi. Scandaleux !

M. Bruno Retailleau, ministre dÉtat. Faire l’amalgame entre l’éloignement des étrangers dangereux et ce que nous avons connu lors des heures les plus sombres de notre histoire est scandaleux ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Un autre slogan encore : « Contre la double peine et les centres de rétention »… Je rappelle qu’il s’agit de la loi de la République ; de telles actions ne sont tout simplement pas acceptables.

L’Ofii est le mieux à même de garantir cet équilibre. Depuis 2001, cet organisme intervient régulièrement en matière d’information, de soins, de soutien moral et psychologique, ainsi que d’aide à préparer les conditions matérielles des départs. Lui confier la mission d’information juridique est donc cohérent, puisque l’Office dispose de la compétence, de l’expérience et de la légitimité pour l’exercer. Je vous rappelle que les membres de son personnel, comme tout agent public, comme tout fonctionnaire, sont astreints au devoir de neutralité et à l’obligation de réserve.

Il s’agit aussi de trouver un équilibre entre les missions d’information juridique et de représentation devant les juridictions, notamment dans le cadre des recours. M. le rapporteur en a très bien parlé. Je rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2024, rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, selon laquelle nous savons désormais que les étrangers, même en situation irrégulière, ont droit à l’aide juridictionnelle (AJ).

Dès lors, les choses sont claires : ce qui concerne le recours et l’exercice des droits du retenu relèvera de l’avocat. L’aide juridictionnelle sera prévue dès lors que l’étranger n’aura pas les moyens de payer son avocat. Dans ces conditions, le recours aux acteurs du monde associatif pour remplir ces différentes missions ne sera plus nécessaire.

Oui à la défense des droits, non à la contestation militante du devoir de l’État de faire respecter ses lois. C’est ce que nous demandent les Français, nos compatriotes. Il s’agit ainsi, pour moi comme pour les signataires de cette proposition de loi, non pas d’un marqueur idéologique, mais d’une question d’ordre public. Je rappelle en effet que la plupart des étrangers – plus de 90 % – placés en CRA le sont parce qu’ils constituent une menace, un risque pour l’ordre public, parfois même un grand danger. (Mme Corinne Narassiguin et M. Thomas Dossus protestent.)

Ma mission est de protéger les Français, tous les Français. L’adoption de cette proposition de loi, je vous en remercie, madame Ciuntu, y contribuera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Brossat, Mme Margaté et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues.

La parole est à M. Ian Brossat, pour la motion.

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer mon intervention en vous adressant nos remerciements chaleureux.

Il faut en effet reconnaître aux partisans de cette proposition de loi une rare qualité dans le débat public : celle de la franchise. Pas de faux-semblants, pas d’enrobage, tout est dit clairement. Il n’y a aucun doute sur l’intention derrière ce texte : mettre à mal les principes fondamentaux de notre État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Il a osé !

M. Ian Brossat. Madame la sénatrice Ciuntu, vous avez d’ailleurs eu le mérite de la transparence, la semaine dernière, dans Paris Match. Selon vous, « nous avons toute une série de freins qui empêchent d’agir. Ce sont les juges, les jurisprudences et les associations ».

Mme Marie-Carole Ciuntu. Ce n’est pas ma citation !

M. Ian Brossat. Mais ce que vous appelez des « freins », ce sont en réalité les piliers mêmes de notre démocratie : les juges, qui appliquent le droit ; les jurisprudences, qui protègent ; les associations, qui alertent. Sans contre-pouvoirs, il n’y a plus de République, il ne reste que l’arbitraire.

Et si, comme vous l’affirmez, monsieur le ministre d’État, « l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré », si l’État de droit devient négociable, alors plus rien ne nous protège.

Cette proposition de loi n’est, hélas ! pas une surprise. Depuis plusieurs mois, cet hémicycle est monopolisé par les débats liés à l’immigration. Pour le vérifier, rien de plus simple que de regarder l’ordre du jour : à chaque journée, à chaque semaine son nouveau texte sur l’immigration.

Le fil conducteur est clair : après des textes portant sur la remise en cause des accords franco-algériens, la suppression des prestations sociales aux étrangers en situation régulière ou encore l’interdiction du mariage aux personnes sans papiers, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de retirer aux associations leur rôle d’information juridique dans les centres de rétention administrative. C’est une atteinte grave, j’y insiste, à notre État de droit, raison pour laquelle notre groupe a déposé une motion d’irrecevabilité.

Le présent texte porte une atteinte manifeste à nos libertés fondamentales, en particulier au droit au recours effectif, pourtant garanti par la Constitution et par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans la lignée de ce que vous appelez « maîtrise migratoire », vous ne proposez ni plus ni moins qu’un affaiblissement supplémentaire de l’État de droit.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : sous couvert d’efficacité – terme maintes fois employé depuis le début de la discussion en cours –, c’est une véritable régression, un recul organisé, assumé, du droit des personnes enfermées à disposer d’une information juridique indépendante, neutre et effective.

Votre objectif est de rendre le droit non pas plus clair, mais moins accessible. Moins de recours, moins de contre-pouvoirs, moins de transparence : telle est la logique profonde qui sous-tend cette proposition de loi.

Le texte est court, mais ses conséquences sont lourdes. Il est prévu – là encore, vous avez été très clair – de confier à l’Ofii, organisme sous tutelle directe du ministère de l’intérieur, la mission d’informer sur leurs droits les personnes retenues. Ce que vous proposez donc, en confiant cette mission à l’Office, c’est d’en finir avec la présence d’acteurs indépendants dans les CRA.

Ces acteurs, ce sont la Cimade, Forum réfugiés, France terre d’asile, l’Assfam ou encore Solidarité Mayotte, autant d’associations qui, depuis plus de quarante ans, assurent cette mission essentielle avec rigueur et engagement. Loin d’être des structures marginales, elles sont les seuls acteurs présents au quotidien dans les centres de rétention.

Pourquoi voulez-vous les en faire sortir ? Pourquoi les écarter ? Pas parce qu’elles font mal leur travail : aucun rapport de contrôle, aucune décision de justice ne le dit.

Pas parce qu’elles coûtent trop cher : leur intervention revient à moins de 7 millions d’euros par an, soit 0,4 % du budget consacré à la politique d’éloignement.

Pas non plus parce qu’elles manqueraient à leurs obligations. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, elles agissent dans le cadre d’un marché public conclu avec l’État.

Ce que vous leur reprochez, c’est leur indépendance. Ce que vous ne tolérez plus, c’est qu’elles puissent contester, alerter, dénoncer, qu’elles soient encore, malgré tout, des vigies citoyennes dans des lieux où l’arbitraire menace. Et cela, manifestement, vous est devenu insupportable.

Contrairement à ce que vous laissez croire, ces associations ne sont pas là pour faire barrage à l’État ou à la loi non plus que pour empêcher l’application de cette dernière. Elles sont là pour une seule chose : garantir le fait que, même dans un centre de rétention, les droits continuent d’exister et de s’exercer.

Elles accompagnent les personnes enfermées. Elles analysent leur situation. Elles les aident à comprendre les décisions qui les concernent, à saisir un juge, à entamer une procédure de demande d’asile, à contacter un avocat ou un proche. Elles traduisent. Elles expliquent. Elles écoutent.

Et ce travail, elles le font dans des conditions extrêmement difficiles et des délais très courts : quarante-huit heures pour contester une mesure d’éloignement, quatre-vingt-seize heures pour la décision sur une prolongation de rétention.

Sont concernées des personnes souvent non francophones, qui ont besoin d’être éclairées, ce que font les associations. Ces dernières, d’ailleurs, ne se substituent pas aux avocats, pas plus qu’elles ne les concurrencent, elles travaillent avec eux. Et les avocats, dans leur immense majorité, le reconnaissent : sans les associations, il leur est impossible d’assurer leur rôle.

Alors, pourquoi les remplacer ? Pourquoi confier cette mission à l’Ofii ? Organisme chargé de l’exécution des mesures d’éloignement, l’Office organise les retours dits volontaires et agit en lien avec les préfectures. Comment imaginer qu’un organisme chargé d’appliquer une décision puisse accompagner juridiquement la personne qui veut la contester ? Comment imaginer que la même main enferme et informe le mieux sur le moyen de se défendre ? Voilà qui s’inscrit en violation de toutes les règles nationales et européennes en matière d’accès au droit. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs dit lui-même, dès 2009 : l’accompagnement juridique en rétention doit être assuré par des personnes morales indépendantes.

En outre, le droit européen, dont le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, impose que les structures chargées d’informer et d’accompagner les demandeurs d’asile n’aient aucun conflit d’intérêts avec l’administration. Or l’Ofii dépend du ministère qui ordonne l’enfermement et détermine la politique d’éloignement. Cela est complètement incohérent et contraire à tous les principes élémentaires de notre droit.

Par ailleurs, soyons clairs : l’Ofii n’a pas les moyens d’assumer cette mission, alors qu’aujourd’hui, déjà, il peine à remplir celles qui lui sont confiées. Ainsi, sur près de 47 000 personnes passées en CRA en 2023, l’Ofii a mené seulement neuf évaluations de vulnérabilité !

Non seulement l’Office n’a ni les équipes, ni la logistique, ni l’expertise nécessaires, mais surtout, il n’a pas la confiance des personnes enfermées. Là où les associations agissent avec neutralité, humanité et continuité, l’Ofii apparaîtra comme l’exécutant d’une politique répressive : la vôtre, que vous assumez comme telle, d’ailleurs.

Vous prétendez que les avocats compenseront. C’est faux : les avocats ne sont pas présents en continu dans les CRA. Ils n’ont ni les moyens, ni le temps, ni la possibilité d’assurer le rôle d’accompagnement en amont. Sans les associations, le droit devient de fait théorique, illusoire, inaccessible. Qui va préparer le recours ? Qui va rassembler les pièces ? Qui va traduire ? Qui va rédiger ?

Vous nous parlez également d’optimisation, de lisibilité, de clarification. Mais la vérité, c’est que vous voulez moins de recours et, pour ce faire, vous supprimez les conditions qui permettent de les exercer.

Vous invoquez aussi des raisons budgétaires, mais celles-ci ne tiennent pas davantage : si vous transférez cette mission aux avocats, il faudra plus de moyens, pour moins de résultats. C’est un non-sens tant économique que juridique.

Surtout, ce que vous nous présentez n’est pas une réforme, c’est un effacement : l’effacement des recours ; l’effacement des témoins ; l’effacement de tout regard indépendant dans ces lieux d’enfermement.

Car c’est aussi cela que vous visez : faire taire celles et ceux qui documentent la réalité des CRA. Les associations publient des rapports, alertent sur les violations de droits, témoignent. Elles rendent compte. Alors, vous supprimez leur présence. Vous les remplacez. Vous les effacez.

Mais ce que vous effacez surtout, c’est un principe fondamental : même étranger, même enfermé, un être humain a droit à une défense.

Je vous invite à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que ce texte est non pas une amélioration, mais une régression. Il ne protège rien : il affaiblit, il abîme, il détruit. Mes chers collègues, la République ne devrait pas s’arrêter aux portes des centres de rétention. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. David Margueritte, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le droit effectif au recours ne se mesure pas à la quantité de recours, qui relève parfois de l’inflation, avec de nombreuses démarches de piètre qualité. Je vous renvoie au témoignage de magistrats, qui découvrent des dossiers rédigés à la hâte par les associations avec, parfois, des motifs de légalité externe et interne cochés précipitamment, sans aucun rapport avec la situation individuelle de la personne retenue.

Par ailleurs, nul ne remet en cause l’indépendance et la capacité de liberté d’expression de toutes les associations : ces dernières disent exactement ce qu’elles veulent, tenant parfois les propos les plus virulents contre la politique migratoire et d’éloignement. Je vous rappelle toutefois qu’une association est tenue, lorsqu’elle est délégataire d’une mission de service public, comme le prévoit l’article 1er de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, à la neutralité.

M. Guy Benarroche. C’est le cas !

M. David Margueritte, rapporteur. Or, aujourd’hui, bien des procédures sont entachées par des postures militantes, aboutissant à la systématisation de recours qui n’ont parfois aucune chance d’aboutir.

Sur la question de l’Ofii, je suis toujours surpris de ce que j’entends. Il s’agit d’un établissement public soumis, à ce titre, à la règle de neutralité du service public. Je renvoie à la référence, chère à beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, d’Anicet Le Pors.