M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.

Mme Céline Brulin. Cet article a suscité et suscite encore, pour notre part, beaucoup de mécontentement. Qui a bien pu avancer l’idée que l’on pourrait pratiquer des dépassements d’honoraires pour les patients qui souffrent déjà d’une pénurie de médecins ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Personne !

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Personne !

Mme Céline Brulin. Tant mieux si ce point est rectifié, mais il l’est seulement en partie, car quelqu’un devra bien payer ces tarifs spécifiques : l’assurance maladie ou les complémentaires santé.

Par ailleurs, lors de la négociation de la convention entre les organisations de médecins et l’assurance maladie en 2023, il me semble qu’il était déjà question de tarifs différenciés en fonction de l’implication des médecins dans les zones sous-denses. Cela s’est soldé par un échec. Je voudrais donc savoir ce qui conduit les auteurs de cette proposition de loi et la rapporteure à considérer que ce qui a échoué hier pourrait réussir aujourd’hui.

Une fois encore, dans une telle situation, la régulation nous semble s’imposer, car on ne saurait admettre une telle différenciation sans contrepartie.

Prenons l’exemple des enseignants, même s’il est très différent. Ceux d’entre eux qui vont enseigner en zone d’éducation prioritaire sont un peu mieux rémunérés que les autres. On pourrait imaginer un dispositif proche de cela. Toutefois, les enseignants ne choisissent pas où ils vont enseigner. Ils sont tenus d’aller devant les élèves dans le cadre des procédures, le mouvement, fixées par le ministère de l’éducation nationale.

C’est pourquoi, selon moi, ces différenciations de tarifs ne peuvent s’entendre sans régulation parallèle.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, sur l’article.

Mme Anne Souyris. Les propos de Mme Imbert me semblent rassurants, car, si j’ai bien compris, la caisse d’assurance maladie prendrait en charge ce tarif spécifique. Dans ce cas, il n’y aurait plus de dépassement et donc, même sans mutuelle ni complémentaire santé solidaire, les patients n’en paieraient, quoiqu’il arrive, aucun. Voilà qui me rassure.

La comparaison avec les enseignants est intéressante. En tant qu’ancienne enseignante, je peux témoigner que nous choisissons tout de même un peu où nous allons et nous pouvons décider, en fonction des points accumulés, d’exercer ou non dans certaines zones prioritaires. C’est à partir de cela que l’on peut choisir de prendre un risque, c’est-à-dire d’y aller pendant un certain temps.

Je trouve qu’une incitation financière est une bonne idée dès lors que son poids ne pèse en aucun cas sur les personnes les plus précarisées. Après, la suite du problème relèvera du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et nous le traiterons ultérieurement.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, sur l’article.

Mme Véronique Guillotin. Cet article revêt à mes yeux une importance particulière et j’ai quelques questions à poser. En fonction des réponses, je retirerai éventuellement mon amendement de suppression.

Nous étions revenus sur ce qui a été appelé par certains des dépassements d’honoraires, dont une part aurait été prise en charge par les mutuelles. Mais l’expression était écrite à un moment et cette sémantique n’était sans doute pas la plus appropriée.

Avec l’amendement proposé par la rapporteure, si j’ai bien compris, le patient qui consultera un médecin en zone sous-dense paiera le même tarif qu’un patient en zone normale ou surdense et bénéficiera du même remboursement. Il sera donc traité sur un pied d’égalité avec les autres patients.

Pour inciter les médecins à exercer dans ces zones, une rémunération forfaitaire leur sera versée, probablement par la sécurité sociale.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Et les mutuelles !

Mme Véronique Guillotin. C’est ce que j’ai compris de l’amendement de la rapporteure. Est-ce bien cela ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Tout à fait !

Mme Véronique Guillotin. Je retirerai donc mon amendement de suppression de l’article.

M. le président. Je suis saisi de six amendements identiques.

L’amendement n° 8 est présenté par Mme Lermytte, MM. Wattebled, A. Marc, Laménie, Chasseing et Rochette, Mme L. Darcos, MM. Grand, Chevalier et Brault, Mme Bourcier et M. Capus.

L’amendement n° 10 est présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 26 est présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

L’amendement n° 76 rectifié bis est présenté par Mme Guillotin, MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère et MM. Grosvalet, Guiol, Masset, Roux et Daubet.

L’amendement n° 104 rectifié bis est présenté par M. Fichet, Mmes Le Houerou et Poumirol, MM. Uzenat, Gillé et Kanner, Mmes Conconne, Canalès et Féret, M. Jomier, Mmes Lubin et Rossignol, MM. Mérillou, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 107 rectifié est présenté par Mme Nadille, M. Rambaud, Mme Phinera-Horth, M. Buval et Mmes Nédélec et Muller-Bronn.

Ces six amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour présenter l’amendement n° 8.

Mme Marie-Claude Lermytte. Je le retire pour les raisons que vient d’évoquer Mme Guillotin.

M. le président. L’amendement n° 8 est retiré.

La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 10.

Mme Céline Brulin. Pour notre part, nous maintenons notre amendement.

Tout à l’heure, une collègue a invoqué le serment d’Hippocrate. Au nom de quoi devrait-on pratiquer des tarifs supérieurs pour les zones sous-denses ou leur appliquer une tarification spécifique ? En réalité, il s’agit ici de faire supporter à l’assurance maladie la faillite de la liberté d’installation. Cela me pose problème.

Je songe par avance à tous nos collègues qui, dans quelque temps, nous proposeront des réductions du déficit de l’assurance maladie, eux qui ont parfois adopté ou soutenu des déremboursements de médicaments… Je ne reviendrai pas sur tous les débats que nous avons eus lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

De surcroît, nous risquons d’en arriver à une situation que nous connaissons dans d’autres domaines : l’installation d’une forme de mercenariat, comme c’est déjà le cas à l’hôpital. Nous essayons pourtant, les uns et les autres, de trouver des moyens de réguler ce phénomène.

C’est pourquoi nous maintenons cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour présenter l’amendement n° 26.

Mme Anne Souyris. Une garde, un effort particulier, un travail de nuit est toujours mieux payé, cela ne me paraît pas anormal. C’est d’ailleurs le cas dans d’autres professions : tout effort supplémentaire mérite une reconnaissance financière.

L’essentiel, à mes yeux, est de parvenir à trouver des solutions incitatives et efficaces. C’est pourquoi je retire cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 26 est retiré.

La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 76 rectifié bis.

M. le président. L’amendement n° 76 rectifié bis est retiré.

La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour présenter l’amendement n° 104 rectifié bis.

M. Jean-Luc Fichet. Cet article prévoit des tarifs spécifiques, des honoraires, des rémunérations et des frais accessoires pour les médecins qui s’engagent à exercer à temps partiel dans une zone sous-dotée.

Si cette mesure peut sembler incitative sur le papier, permettre les dépassements d’honoraires dans ces zones revient, dans les faits, à aggraver les inégalités d’accès aux soins.

Ces dépassements constituent une barrière financière bien réelle. Certes, ils sont en partie couverts par les complémentaires santé, mais près de 10 % des personnes les plus pauvres n’en bénéficient pas. En outre, 38 % des plus modestes ont déjà renoncé à des soins pour des raisons financières. Ces chiffres sont alarmants.

Pendant ce temps, le nombre de médecins généralistes en activité continue de baisser, avec cinq cents de moins au 1er janvier 2022 selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Quant aux spécialistes exerçant en secteur 2, donc autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires, ils sont de plus en plus nombreux : leur proportion est passée de 38 % en 2003 à près de 55 % en 2021. Le taux moyen de dépassement atteint même près de 45 %.

Selon une étude de l’UFC-Que Choisir réalisée en 2021, plus de 70 % des gynécologues, 66 % des ophtalmologues et près de 50 % des pédiatres pratiquaient des dépassements d’honoraires. Pendant ce temps, les déserts médicaux ne cessent de s’étendre : près de 70 % des femmes en font l’expérience pour les gynécologues, plus de la moitié des enfants pour les pédiatres.

Le constat est clair : cette mesure ne répond pas au problème. Pire, elle risque d’aggraver la situation. Elle crée une médecine à deux vitesses : d’un côté, celles et ceux qui peuvent assumer financièrement des dépassements, et de l’autre, celles et ceux qui, pour des raisons économiques, devront renoncer aux soins. À la fracture géographique s’ajoute une fracture sociale.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons souscrire à cet article.

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour présenter l’amendement n° 107 rectifié.

Mme Solanges Nadille. Permettez-moi de vous exposer ma situation. Je vis sur un archipel. Nous avons déjà expérimenté des mesures incitatives et j’estime que cela ne fonctionne pas.

Lorsque l’on invoque la solidarité, comme le fait le pacte du Gouvernement, on ne saurait inciter financièrement les médecins afin de les pousser à prendre conscience de la situation. Je ne souscris pas à ce point de vue.

C’est pourquoi je maintiens mon amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Je tiens à remercier nos collègues qui ont retiré leur amendement de suppression.

Ce que je puis dire aux auteurs des autres amendements, c’est qu’à aucun moment le président Mouiller n’a souhaité permettre de dépassement d’honoraires. Il s’agit d’une mauvaise interprétation de ses intentions. Si – j’en conviens – l’instauration de tarifs spécifiques peut emporter un reste à charge de quelques euros pour 3 % à 5 % de la population, il n’est pas question de dépassement d’honoraires, qui sont tout autre chose que des tarifs spécifiques.

J’estime en revanche que tout engagement – l’obligation d’exercice à temps partiel en zone sous-dense en contrepartie de la liberté d’installation en est un – mérite une reconnaissance. Tel est l’objet de l’amendement n° 132 de la commission, que nous examinerons dans un instant.

L’avis est défavorable sur les trois amendements de suppression restant en discussion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. J’ai bien entendu votre présentation, monsieur Fichet. Je n’y reviendrai pas, car votre proposition est l’exact inverse de celle de Mme la rapporteure.

Madame Brulin, volontairement ou non, vous confondez les tarifs spécifiques et les dépassements d’honoraires. Or ce n’est pas du tout la même chose.

Mme Cathy Apourceau-Poly. On ne confond rien du tout ! Ne nous prenez pas pour des imbéciles !

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne me le permettrai pas, madame la sénatrice. Je m’étonne du reste que vous me parliez sur ce ton.

Le dispositif proposé constitue non pas un dépassement d’honoraires, mais une prime incitative à l’exercice dans les zones sous-dotées.

Un certain nombre de parlementaires ont bien compris que, lorsque l’on demande un effort supplémentaire à des professionnels, qu’il s’agisse de professionnels de santé ou de tout autre corps de métier…

M. Yannick Neuder, ministre. Le fait de sortir de son cabinet, c’est-à-dire de sa zone de confort, pour exercer deux jours par mois à trente kilomètres de celui-ci constitue un engagement, madame la sénatrice.

En sus de la rémunération des actes, il faut bien que l’obligation collective qui leur est faite s’accompagne d’une incitation.

S’il n’est donc pas question de dépassements d’honoraires qui emporteraient de nouvelles inégalités d’accès aux soins, car certains patients ne pourraient pas faire face à cette augmentation des tarifs, j’estime en revanche qu’il convient de valoriser cet « aller vers », qui entraînera du reste pour les médecins des frais supplémentaires, notamment de déplacement.

Cet encouragement consiste en un forfait. Je rappelle que l’assurance maladie finance déjà ce type d’encouragement à exercer en zone sous-dense au travers de la convention médicale, et cela grâce à une disposition adoptée par le Parlement en loi de financement de la sécurité sociale.

Les médecins qui exercent dans les zones sous-denses n’apprécieraient sans doute guère que vous jugiez que les actes qu’ils y effectuent n’appellent pas une valorisation et un encouragement, madame la sénatrice. Au fond, ne pas assimiler ce forfait incitatif à des dépassements d’honoraires relève du respect.

J’ajoute que vous nous auriez sans doute reproché de ne pas proposer un tel dispositif, car alors les médecins seraient incités à demander des dépassements d’honoraires, ce que nous avons précisément souhaité éviter.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. L’article 5 posait des difficultés, mais, comme Mme Souyris, je donne acte au Gouvernement et à la commission de la clarification à laquelle ils se sont livrés : le dispositif proposé n’emportant ni de dépassements d’honoraires ni de tarifs spécifiques, il ne pose plus de difficultés.

Comme l’a indiqué M. le ministre, les médecins qui, comme moi, exercent en zone sous-dense bénéficient déjà de rémunérations forfaitaires. Je ne vois donc pas où est le problème.

La question qui se posera sera toutefois celle de l’articulation entre les différents dispositifs prévus par la convention : cette rémunération forfaire, le dispositif visant les médecins participant à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), le dispositif visant les médecins qui exercent au sein d’un cabinet de groupe, etc.

Par ailleurs, la rémunération forfaitaire emportera une charge supplémentaire nécessitant soit un abondement soit un rattrapage sur un autre poste de dépense. Nous en débattrons lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

En tout état de cause, j’estime que l’article 5, s’il est modifié comme la commission et le Gouvernement le proposent par l’amendement n° 132 et le sous-amendement n° 135, ne pose plus de difficulté.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Mme Émilienne Poumirol. J’estime au contraire que cet article continue de poser problème, car même si le principe d’une rémunération forfaitaire figure déjà dans la convention, à mes yeux, la solidarité ne se monnaie pas et je suis choquée que l’on puisse penser l’inverse.

A-t-on oublié le serment d’Hippocrate, que Céline Brulin évoquait tout à l’heure ? Celui-ci précise que les médecins doivent soigner les riches comme les pauvres, quelle que soit la couleur de peau, la religion, etc.

Certains d’entre nous ont certes déjà voté en faveur de la mise en place d’un tel dispositif, mais je rappelle qu’il s’ajoute au stock de mesures incitatives : parmi les cinq types de contrats institutionnels, je citerai simplement les contrats d’aide à l’installation des médecins (CAIM) en zone sous-dense, qui emportent une aide de 50 000 euros par an, et c’est sans compter les aides apportées par les collectivités locales, y compris les départements et les régions.

Les nombreuses mesures incitatives instaurées depuis des années n’ont rien réglé : nous constatons au contraire que la désertification va croissant.

En tout état de cause, j’estime que le principe même d’une telle proposition est choquant.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour explication de vote.

Mme Laurence Muller-Bronn. Je suis moi aussi perturbée par tout ce que j’entends.

J’estime que deux jours d’exercice par mois en territoire sous-dense, que ce soit à la campagne ou dans un milieu semi-rural, ne peuvent qu’enrichir la pratique d’un médecin de ville.

Je pense moi aussi au serment d’Hippocrate, car je trouve que nous parlons fort peu des patients, qui doivent parcourir trente, et parfois jusqu’à cent kilomètres. Nous avons évoqué le cas de ces femmes enceintes qui sont « invitées » à passer les quinze derniers jours de leur grossesse à l’hôtel lorsque leur département n’a plus de maternité. Il nous faut partir du patient, mes chers collègues !

J’ajoute que les médecins installés dans des territoires de campagne ou semi-ruraux ont plaisir à soigner leurs patients.

Il existe des subventions, des participations des collectivités locales et même des start-up qui aident à l’installation. Une start-up a ainsi reçu plus de 10 millions d’euros de fonds propres de l’État via la Caisse des dépôts et consignations et le fonds stratégique des transitions. En dépit de ces nombreuses aides, les territoires demeurent sous-denses.

Je ne crois donc pas à l’efficacité de ces incitations financières et j’estime qu’il n’est pas opportun d’aborder ce type de sujet avec des étudiants qui s’engagent dans des études de médecine. Comprenez qu’il est choquant d’entendre que l’argent serait la seule solution pour garantir que les gens soient soignés !

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.

Mme Véronique Guillotin. Ayant retiré mon amendement, je voterai bien évidemment contre les amendements identiques restant en discussion.

Il me paraît en effet essentiel, et ces points sont acquis, que les patients bénéficient d’une égalité de traitement et que les patients des zones sous-denses ne rencontrent pas d’obstacles financiers supplémentaires pour se soigner.

C’est prendre un raccourci que de dire que nous ne proposons que des mesures incitatives et que nous ne parlons que d’argent, mes chers collègues.

L’effort que nous demandons aux médecins en instaurant une obligation d’exercer deux jours par mois en zone désertifiée peut s’accompagner d’une mesure incitative. Une telle démarche me paraît positive, car elle constituera une aide à ce déplacement, qui pourra ainsi s’effectuer dans des conditions plus acceptables. Il n’est pas évident de quitter son cabinet pour aller exercer à x kilomètres, dans un territoire que l’on connaît moins et auprès de patients dont les dossiers, à défaut d’en avoir l’historique en main, sont parfois plus difficiles à comprendre. J’estime que cela mérite d’être valorisé.

Des études ont du reste prouvé que, sous réserve que les montants octroyés soient suffisants, les mesures incitatives fonctionnent.

Pour toutes ces bonnes raisons, je voterai contre ces amendements de suppression et pour l’article modifié comme le proposent la commission et le Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec, pour explication de vote.

Mme Anne-Marie Nédélec. Je souhaite revenir sur un certain nombre d’arguments qui ont été donnés.

Il est très désagréable, pour ceux qui, comme moi, habitent dans un territoire rural, d’entendre dire que venir nous soigner constitue un tel effort que cela justifie l’instauration d’une tarification particulière. Nous avons le sentiment d’être des citoyens à part, je ne dirai pas de seconde zone, mais qui vivent au beau milieu d’une pampa qu’il faudrait défricher à la machette pour nous rejoindre.

Mme Anne-Sophie Romagny. Cela n’a rien à voir !

Mme Anne-Marie Nédélec. Je le prends très mal, et j’estime que c’est insultant pour les populations.

Je rejoins du reste notre collègue Poumirol : les nombreuses incitations financières mises en place n’ont pas réglé les difficultés et, pourtant, nous persévérons dans ce sens. La sécurité sociale peut-elle seulement se le permettre ?

Comme ma collègue Muller-Bronn, j’estime que tous les patients, où qu’ils habitent, méritent d’être soignés. Nous sommes en passe de créer des secteurs, mes chers collègues !

Je ne me fais pas trop d’illusions, mais peut-être que sans régler tous les problèmes, une régulation douce – je sais bien que la seule mention de ce terme fait se dresser les cheveux de beaucoup d’entre nous – améliorerait au moins un peu la situation, d’autant que la majeure partie de notre territoire se trouve en zone sous-dense, ce qui laisse tout de même un très grand nombre de possibilités d’installation.

Le territoire dans lequel je réside se trouve à plus de cent kilomètres d’une zone bien dotée. Je ne crois donc pas du tout que des médecins installés dans une zone bien dotée viendront soigner les pauvres ruraux au milieu de leur brousse quelques jours par semaine ou par mois. (Mmes Catherine Conconne et Cathy Apourceau-Poly renchérissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. Il faut admettre que nous parlons beaucoup d’argent, mes chers collègues. Or, si depuis dix à quinze ans de nombreuses incitations financières ont été mises en place, leurs effets restent à démontrer.

Un point n’a par ailleurs été évoqué que rapidement hier soir par M. le ministre : qui paiera le cabinet secondaire, son installation et ses équipements ? Quel sera le coût des transports et par qui sera-t-il assumé ?

Si j’ai bien compris, ces frais d’installation d’un cabinet secondaire, qui sera nécessairement partagé par plusieurs médecins, seront pris en charge non pas par les médecins, mais par la sécurité sociale avec le concours des communes ou des intercommunalités concernées.

Mais que se passera-t-il si les communes et intercommunalités qui ont le plus besoin de ce dispositif n’ont pas les moyens, ou pas les locaux nécessaires ?

L’installation d’un cabinet secondaire entraîne évidemment une surcharge et je note que M. le ministre a clairement indiqué hier soir que les collectivités locales seraient invitées à assumer cette charge.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. J’ai évoqué les dépassements d’honoraires non pas pour vous être désagréable, monsieur le ministre, mais parce que ces derniers étaient mentionnés dans l’exposé des motifs de cet article. Or les auteurs de cette proposition de loi nous ayant expliqué qu’ils avaient travaillé sur ce texte une année durant, il paraît peu probable que cela ait échappé à leur vigilance.

Vous estimez qu’une prime incitative à l’exercice de la médecine en zone sous-dense n’a rien de choquant, monsieur le ministre. Je vous répondrai que, s’il y a aujourd’hui des zones sous-denses, c’est parce qu’on a tout misé sur la liberté d’installation et que l’on a considéré que l’exercice libéral allait s’autoréguler.

Constatant que cela ne fonctionne pas, vous proposez d’instaurer de nouvelles incitations, alors que toutes les incitations – nous le savons bien – ont été peu ou prou des échecs.

Comme je l’indiquais tout à l’heure, j’ai parfois l’impression que certains tirent argument de la pénurie et de la désertification médicale pour exiger des rémunérations supérieures. Je suis suffisamment familière du rapport de force pour ne pas m’étonner d’une telle situation.

Vous ne pouvez toutefois pas nous rétorquer que le dispositif dont nous débattons est déjà prévu par l’assurance maladie, alors que 87 % du territoire de notre pays est classé en zone sous-dense, monsieur le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Mais si !

Mme Céline Brulin. Du reste, ce dispositif pourrait sans doute être déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

Par ailleurs, je ne demanderai pas de nouveau que nous écrivions les décrets en séance publique, mais il serait fort utile que l’on nous éclaire sur la dépense qu’un tel dispositif emportera. À raison de 2 euros par consultation pour les 6,5 millions de patients qui peinent à trouver un médecin, le calcul est vite fait…

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10, 104 rectifié bis et 107 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 132, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Remplacer les mots :

tarifs spécifiques des honoraires, rémunérations et frais accessoires applicables

par les mots :

rémunérations forfaitaires modulées en fonction de l’activité réalisée par les médecins

II. – Alinéa 5

Remplacer les mots :

tarifs spécifiques mentionnés

par les mots :

rémunérations forfaitaires mentionnées

et les mots :

aux tarifs spécifiques

par les mots :

aux rémunérations forfaitaires

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. Compte tenu de mon intervention sur l’article, il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 135, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Amendement n° 132

I. – Alinéa 5

Remplacer les mots :

l’activité réalisée par les médecins

par les mots :

la part de la patientèle

II. – Alinéas 7 à 14

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Vous l’aurez compris, ce sous-amendement vise à préciser l’amendement de Mme la rapporteure. Car oui, j’estime qu’il n’est pas illégitime de mieux rémunérer les médecins qui font cet effort.

Vous assimilez les déserts médicaux aux zones rurales, madame Nédélec, mais il y a aussi des déserts médicaux dans des villes, des métropoles ou des zones de montagne.

J’habite pour ma part dans une zone très rurale et je n’ai pas le sentiment de vivre dans une sous-zone pour autant. Il ne faut pas, à mon avis, voir les choses de la sorte.

Dans le système hospitalier, les médecins qui exercent sur plusieurs sites bénéficient, dans le cadre d’un forfait, d’une prise en charge des frais, notamment de déplacement, qu’emporte un tel engagement.

Selon vous, madame Brulin, les déserts médicaux sont la conséquence de la liberté d’installation. Vous êtes en droit de ne pas vouloir comprendre, mais, comme je l’ai déjà indiqué, nous formons de nos jours le même nombre de médecins qu’en 1970, alors que la population de notre pays a augmenté de 15 millions d’habitants et que le rapport au travail des médecins a changé.

Ayez du moins l’honnêteté de reconnaître que la liberté d’installation n’est pas seule en cause et que la situation actuelle est aussi le fruit du nombre insuffisant de places de formation ouvertes pendant toutes ces années. Dans les années 1990, nous ne formions que 3 500 médecins par an. Nous pouvons débattre pendant des heures, mais il est clair que nous n’avons alors pas préparé l’avenir.

Vous indiquez par ailleurs que la consultation coûterait 2 euros de plus. Je ne sais pas d’où vient ce montant…