Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces amendements de suppression.
Premièrement, la modification apportée par cette proposition de loi aux contrôles d’identité sur réquisition du procureur de la République est susceptible de créer une confusion entre les régimes judiciaire et administratif de contrôle d’identité.
Le cadre judiciaire concerne la recherche et la poursuite d’infractions. Ces missions relèvent exclusivement de l’autorité judiciaire. L’autorité administrative n’a aucune compétence sur celles-ci. On peut même se demander si la mesure qui nous est proposée ne représente pas une atteinte à la séparation des pouvoirs.
Deuxièmement, concernant les contrôles d’identité de la police administrative, l’article 2 restreint la possibilité pour les forces de l’ordre d’effectuer des contrôles aux seules fins d’assurer la sécurité d’un événement, d’une manifestation ou d’un rassemblement exposé à un risque d’atteinte grave à l’ordre public en raison de sa nature ou de son ampleur. Comme l’a indiqué le rapporteur, une telle restriction paraît largement excessive eu égard aux nécessités opérationnelles des forces de l’ordre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Ces dernières années, les contrôles sur réquisition sont devenus de plus en plus fréquents, probablement depuis que l’État a été condamné pour des contrôles administratifs, lesquels sont la porte ouverte à l’arbitraire.
La réalité, c’est que, dans beaucoup de cas, les préfets de police et les commissaires de police rédigent eux-mêmes les réquisitions et se contentent de demander au procureur sa signature.
L’objectif de cet article est d’appeler chacun à prendre ses responsabilités. Si le préfet de police de Paris estime nécessaire un contrôle par réquisition dans un espace et un temps limités, dans un objectif défini de lutte contre la délinquance, il pourra en faire officiellement la demande au procureur. Celui-ci devra ensuite valider la réquisition. Il lui sera en outre toujours possible de délivrer des réquisitions sur sa propre initiative – cela ne change pas.
Cette responsabilisation est nécessaire, car nous constatons des abus dans le recours aux contrôles sur réquisition.
Le rapport prévu par cet article s’inscrit dans la même logique : l’objectif est de nous assurer de l’atteinte des objectifs fixés. Aujourd’hui, nous ne disposons d’aucune donnée sur la réalité des contrôles. Sont-ils utiles ? Le mécanisme est-il fonctionnel ? Les actions dont nous chargeons la police sont-elles efficaces ?
Je le répète : les contrôles administratifs sont une porte ouverte à l’arbitraire et, donc, aux discriminations. Pendant les jeux Olympiques, en Seine-Saint-Denis, il y avait des policiers partout. Mais la population était très contente et tout se passait très bien, parce qu’il n’avait pas été demandé aux policiers de contrôler à tout va. Les rapports étaient bienveillants. C’est la preuve que nous sommes capables de faire autrement.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié et 6 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 283 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 206 |
Contre | 118 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3
I. Après l’article 78-2-2 du code de procédure pénale, sont insérés des articles 78-2-2-1 et 78-2-2-2 ainsi rédigés :
« Art. 78-2-2-1. – Toute personne dont l’identité est contrôlée en application des articles 78-2 et 78-2-2 se voit remettre une attestation qui mentionne :
« 1° Le fondement juridique et les motifs justifiant le contrôle d’identité, ainsi que, le cas échéant, les suites qui lui sont données ;
« 2° L’identité de la personne contrôlée ;
« 3° La date, l’heure et le lieu du contrôle ;
« 4° Le matricule, le grade et le service de l’officier ou de l’agent de police judiciaire ayant procédé au contrôle.
« Art. 78-2-2-2. – Après avoir été anonymisées, les données collectées sur le fondement de l’article 78-2-2-1 sont rendues accessibles dans un format ouvert et librement réutilisable. »
II. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, détermine les modalités d’application du présent article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l’article.
Mme Corinne Narassiguin. L’article 3 vise à instaurer les récépissés de contrôle d’identité.
Je ne comprends pas le reproche qui nous est fait sur ce point. Certains estiment que l’idée serait saugrenue car nous souhaiterions procéder à un fichage, en enregistrant notamment la couleur de peau ou l’ethnie de la personne contrôlée. J’ai relu le texte, pour m’assurer que la rédaction ne prêtait pas à confusion : rien, dans cet article, ne laisse entendre une telle idée – sauf à penser qu’un policier pourrait considérer que le fait qu’une personne soit noire ou arabe est un motif justifiant le contrôle d’identité ! Dans ce cas, il y aurait un problème… (Mme la ministre déléguée se récrie.)
Je suis personnellement opposée aux statistiques ethniques. Je ne propose évidemment pas de procéder à un fichage ethnique : cela serait contraire à tous les fondements républicains.
Par ailleurs, les objections d’ordre technique qui sont faites à la mise en place des récépissés sont assez fallacieuses. Nous sommes confrontés à une véritable surabondance d’amendes forfaitaires délictuelles – un problème différent de celui dont il est question aujourd’hui. Or les policiers sont tout à fait capables, quand cela est nécessaire, d’enregistrer les coordonnées de la personne interpellée et les motifs de l’amende. Ils devraient donc pouvoir le faire lors d’un contrôle d’identité.
Les modalités précises seraient définies dans un décret, après un avis conforme de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) déterminant si l’identité doit uniquement figurer sur le récépissé envoyé à la personne contrôlée ou si elle doit également être stockée par la police.
Ces modalités ne sont pas définies dans la proposition de loi, car, j’y insiste, il serait préférable qu’elles soient précisées dans un décret pris après avis de la Cnil. Soyons raisonnables : la mise en place de ces récépissés est, d’une part, tout à fait possible et, d’autre part, absolument nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Depuis le début de cette discussion, on assiste à une forme de minoration de ce sujet fondamental que sont les contrôles au faciès de la part de la majorité sénatoriale et du Gouvernement.
D’ailleurs, cette minoration est telle que le ministre de l’intérieur n’a pas daigné participer en personne à ce débat au sein du Parlement, préférant des réunions liées au congrès de son parti… Or le sujet essentiel dont nous traitons mine le pacte social et républicain ! Tel est le premier déni gouvernemental.
Quand on est attaché à la police et à la sécurité publique, alors on éradique les contrôles au faciès et on agit en ce sens !
Puisque vous niez ce problème, nous nous proposons de partager avec vous de nombreux témoignages. J’évoquerai, par exemple, le cas de l’un de nos compatriotes d’origine tunisienne, qui est désormais parlementaire : il m’a confié que durant ses études à Sciences Po Paris, il avait été contrôlé – il a fait le décompte – 300 fois en un an (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s’exclame.), et ce sans aucun motif, et que ces contrôles s’étaient accompagnés de brimades, d’humiliations, de sacs renversés.
Pouvez-vous imaginer quel sentiment ces contrôles répétés font naître chez un jeune qui n’a commis aucun délit ? Car le seul délit était sa simple présence dans l’espace public !
J’aimerais que le Gouvernement condamne fortement de tels faits en agissant, comme l’ont fait les pays – le Royaume-Uni, l’Espagne, le Canada ; renseignez-vous ! – qui ont mis en place un récépissé similaire à l’attestation prévue à l’article 3.
La politique qui a été mise en place au Canada n’est pas compliquée : s’il est procédé à un contrôle, il faut justifier celui-ci. Et un contrôle ne peut être justifié qu’en cas de commission d’un délit ou d’intention avérée de commettre un délit.
C’est en agissant profondément en la matière que nous pourrons faire société,…
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
M. Yan Chantrel. … en ayant une police qui agit en faveur de la sécurité publique ; mais cela, vous ne le soutenez pas ! (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Catherine Conconne applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l’article.
M. Guy Benarroche. J’espère que le rapporteur donnera un avis défavorable sur les amendements de suppression déposés sur cet article. Cela signifiera que l’auront convaincu, non pas nos interventions, mais les arguments qui ont été développés – je le rappelle – par le Conseil d’État, la Commission européenne et le Défenseur des droits, lesquels estiment nécessaire de connaître a minima le nombre de contrôles effectués, les motifs pour lesquels ils ont été réalisés, ainsi que leur efficacité.
Nous demandons que soient apportées des réponses aux questions suivantes, finalement assez simples : combien de contrôles sont-ils effectués ? Sont-ils motivés par des raisons précises ? Sont-ils efficaces ? Rendent-ils service à la police et aux citoyens ? Permettent-ils d’obtenir des renseignements ?
On nous rétorque, tout d’abord, non pas que ces interrogations ne sont pas pertinentes, mais que les policiers sont d’ores et déjà suffisamment attaqués… Comme si la mise en place de récépissés pouvait causer une augmentation des attaques contre la police !
On nous répond, ensuite, qu’il n’est pas possible techniquement de mettre en œuvre cette mesure. Comme si nous n’avions pas l’habitude, dans notre pays, de recueillir des données et de les traiter ! Aujourd’hui, la police, la justice et la gendarmerie sont capables de recueillir et de traiter des données correctement sans être, de ce fait, pénalisées ou gênées dans leur travail.
Si le présent article pouvait avoir pour effet de réduire le nombre des contrôles qui ne servent à rien, ce que les statistiques permettraient de prouver, alors la police gagnerait du temps et son action serait beaucoup plus efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, sur l’article.
M. Adel Ziane. Je souhaite insister sur le caractère vertueux et efficace de la mesure prévue à l’article 3.
Le droit à l’information introduit par cet article, au travers de la mise en place du récépissé, ne peut que renforcer le lien entre la police et la population, dans la mesure où ce document éclairera la personne contrôlée sur la portée légale d’une procédure qu’il peut considérer comme injuste.
Loin d’aller à l’encontre de la simplification, cette mesure y participe en permettant d’encadrer les contrôles d’identité, et donc en limitant les contrôles abusifs, inutiles et chronophages, comme l’a rappelé Yan Chantrel. Il s’agit de concentrer l’action policière là où elle est réellement nécessaire – un objectif régulièrement évoqué par nos collègues.
Moins de contrôles injustifiés – le chiffre de 32 millions de contrôles effectués chaque année a été cité –, cela signifie une charge de travail moins lourde pour les agents, davantage de temps pour lutter efficacement contre la délinquance, et une action publique plus lisible et plus juste.
Par ailleurs, concernant la protection des données, l’article 3 prévoit qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Cnil, déterminera les modalités d’application dudit article. La Cnil étant saisie, le risque est donc limité.
Il convient enfin de rappeler qu’en 2023 le Conseil d’État avait reconnu que les contrôles d’identité discriminatoires existaient en France, et que cette situation ne se résumait pas à quelques cas isolés. Ce constat lucide est partagé par des milliers de nos concitoyens.
Face à cette réalité, il faut redire que le récépissé de contrôle est un outil de transparence, qui peut être numérique, permettant de documenter des pratiques, de responsabiliser les agents, de protéger nos concitoyens mais aussi les policiers contre des accusations infondées. Il s’agit non pas d’une contrainte, mais d’une garantie !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L’instauration de l’attestation de contrôle d’identité est un sujet que je défends depuis bien longtemps.
Alors, je vous écoute depuis le début de cette discussion, mes chers collègues, et je vous regarde.
J’ai entendu le récit absolument effrayant, rapporté par Yan Chantrel, de ce compatriote d’origine tunisienne, qui est désormais l’un de nos collègues parlementaires, lequel a été contrôlé 300 fois en une seule année… Et je me demande, en vous regardant, quand, pour la dernière fois, vous avez été contrôlés par la police.
Tous autant que vous êtes, vous n’avez pas dû faire l’objet d’un tel contrôle depuis fort longtemps, peut-être depuis votre jeunesse – ce dernier point me concerne également –, un âge où des personnes peuvent avoir une apparence dérangeante…
Je suis frappée par le fait que le pouvoir d’État ne sait pas comment imposer un certain nombre de règles à la police, contrairement à ce qui a pu être le cas dans le passé : dans les années 1980, avec l’introduction de l’article 78-2 du code de procédure pénale, et donc de l’encadrement pénal du contrôle d’identité, qui n’existait pas auparavant ; mais aussi sous le gouvernement de François Hollande, avec la mise en place du RIO puis des caméras-piétons. Et cela s’est arrêté là !
Comme vous ne vous sentez pas capables de proposer un dispositif plus clair, vous êtes dans le déni et vous prétendez que ce problème n’existe pas. Je me demande si ce n’est pas là le sujet le plus grave…
Il est vrai que l’absence des deux ministres de l’intérieur interroge, même si nous sommes ravis de retrouver au banc du Gouvernement notre ancienne collègue Sophie Primas, dont je sais qu’elle a parfois mal au ventre avant le conseil des ministres ; peut-être est-elle plus détendue lorsqu’elle se trouve parmi nous ? (Sourires.)
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je suis quelque peu consternée par votre position, mes chers collègues.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié quinquies est présenté par Mme Aeschlimann, MM. Bruyen, Bouchet, Rapin et Meignen, Mme Borchio Fontimp, M. Naturel, Mme Drexler, MM. Klinger, Panunzi, H. Leroy et J.P. Vogel, Mme Lassarade, MM. Levi et Saury, Mme Bellurot et MM. Savin et Courtial.
L’amendement n° 3 rectifié bis est présenté par M. Haye, Mme Guidez, MM. Bonneau et Canévet, Mmes Billon, Gacquerre, Patru, Romagny et Perrot, M. J.B. Blanc, Mme de La Provôté et M. Cambier.
L’amendement n° 7 rectifié ter est présenté par Mme Belrhiti, MM. Paccaud, Piednoir, Reichardt et Sido, Mmes P. Martin et Gosselin et MM. Rojouan, Lefèvre, Milon et Brisson.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié quinquies.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Le présent amendement vise à supprimer l’article 3, qui instaure l’obligation de remettre un récépissé à toute personne faisant l’objet d’un contrôle d’identité.
La délivrance systématique d’un tel document allongera de manière significative la durée de chaque contrôle, ce qui dissuadera mécaniquement les forces de l’ordre d’en réaliser, au détriment de l’efficacité de leur action sur le terrain, en particulier dans les quartiers où la délinquance, petite et moyenne, mine le quotidien des habitants.
De plus, dans un contexte de forte attente de nos concitoyens en matière d’autorité et de sécurité, à laquelle le Sénat s’efforce de répondre, il serait incompréhensible que le législateur choisisse d’alourdir les contraintes pesant sur les forces de l’ordre et d’entraver leur action, plutôt que de les soutenir dans leur mission.
En outre, la mesure proposée contribue à nourrir la défiance à l’égard des forces de l’ordre, ce qui est contraire à l’ambition affichée par les auteurs de cette proposition de loi.
Enfin, je souhaite rebondir sur le débat que nous venons d’avoir. J’ai discuté la semaine dernière de cette proposition de loi avec mes deux fils, qui sont âgés respectivement de 21 et 23 ans. L’un d’eux a été contrôlé deux fois l’an dernier. Faut-il en déduire quelque chose ?…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Qu’il s’en est bien sorti ! (Mme la ministre déléguée rit.)
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il s’en est en effet bien sorti parce qu’il se comportait bien, qu’il n’avait rien à se reprocher et qu’il a présenté ses papiers d’identité ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est cela, oui…
Mme Marie-Do Aeschlimann. Cela me semble répondre à votre interrogation. Il arrive à tout le monde d’être contrôlé (On le nie sur les travées du groupe SER.) ; il suffit de s’y plier de la bonne façon. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié bis.
M. Ludovic Haye. L’instauration d’un récépissé de contrôle d’identité entraînerait une charge administrative considérable et contre-productive. En effet, le temps de travail effectif des agents serait mobilisé au détriment de leur mission première de terrain, sans gain évident en termes de respect des droits ou de transparence. Et je rappelle que les contrôles d’identité sont d’ores et déjà strictement encadrés.
Par ailleurs, la création systématique de récépissés, notamment sous forme numérique, qu’il s’agisse de SMS ou de courriels, soulève des interrogations légitimes quant à la protection des données personnelles.
Dans ces conditions, il apparaît plus opportun de supprimer cet article, afin de préserver l’efficacité des forces de l’ordre et d’éviter d’alourdir inutilement les dispositifs existants.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié ter n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Ces amendements identiques visent à supprimer l’article 3, qui contient le principal dispositif de cette proposition de loi : la création d’un récépissé.
Tout d’abord, l’objectif de traçabilité visé dans cet article pose des difficultés importantes, voire insurmontables. En effet, cette mesure alourdirait considérablement les procédures administratives, et affaiblirait les capacités opérationnelles de la police et de la gendarmerie – elle aussi concernée – puisque celles-ci devraient potentiellement délivrer 47 millions de récépissés.
Ensuite, sur le plan technique, ce dispositif supposerait nécessairement de créer un fichier de masse recensant toutes les personnes contrôlées. On peut s’interroger sur la proportionnalité de cette mesure au regard de l’objectif.
Enfin, cet objectif pourrait être atteint au travers de divers moyens techniques sans que le législateur ait à intervenir, comme l’ont rappelé la Cour des comptes et le CEDPN. Il suffirait, ainsi, d’ajuster l’architecture du fichier des personnes recherchées (FPR) afin de tracer la consultation dudit fichier réalisée dans le cadre d’un contrôle d’identité.
Je souhaite également répondre à nos collègues qui sont intervenus : M. Chantrel, qui nous a reproché de minorer le problème, M. Durain qui a affirmé que tout le monde réclamait ce récépissé – c’est évident !… –, et Mme de La Gontrie, qui a évoqué un déni généralisé de notre part.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que plusieurs débats ont eu lieu sur ce sujet, ici et à l’Assemblée nationale, lorsque vous étiez aux affaires !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ils portaient seulement sur la caméra-piéton et le RIO !
M. François Bonhomme. Les faits sont têtus : lorsque vous étiez majoritaires, vos ministres de l’intérieur successifs et le groupe socialiste avaient abandonné cette idée.
Ainsi, Manuel Valls avait dit clairement à l’Assemblée nationale, quand il était ministre de l’intérieur, que ce dispositif n’apportait pas de solution concrète au problème des contrôles au faciès. Il avait même ajouté que l’existence de tels contrôles n’était pas une question de formation, de déontologie ou de paperasserie, et conclu en qualifiant cette proposition de « mesure gadget ». Tout était dit !
Le dispositif proposé, s’il n’appelle pas, à mon avis, de nouveaux débats, entretient a contrario la confusion des esprits et la victimisation contre laquelle vous dites vouloir vous battre !
L’avis est donc favorable sur ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Le Gouvernement a le même avis que la commission, pour les raisons qui viennent d’être exprimées.
Je souhaite revenir sur le sujet de la collecte d’informations, que j’ai évoqué précédemment et qui ne figure pas, bien sûr, dans cette proposition de loi.
Je réagissais alors aux interventions des orateurs qui se sont succédé lors de la discussion générale. J’ai entendu MM. Benarroche et Brossat parler de « contrôles au faciès » susceptibles d’entraîner des discriminations. Selon moi, les implications du dispositif proposé, en termes de collecte d’informations, ne sont ni souhaitables, ni constitutionnelles, ni dans l’esprit de la loi. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin le contestent.)
Vous avez dit, monsieur Chantrel, que des dispositifs similaires existaient dans d’autres pays, notamment en Espagne et en Grande-Bretagne. Or, justement, ces pays pratiquent la collecte d’informations ethniques, ce que, pour notre part, nous refusons – et vous aussi, si j’en crois vos propos, madame Narassiguin. Vous avez fait référence à des mentalités et à des outils qui diffèrent des nôtres !
La police n’agirait pas, selon vous, pour lutter contre les discriminations. J’estime, pour ma part, qu’elle le fait. Il existe dans le droit positif des outils qui permettent d’y procéder, qui sont utilisés et continuellement améliorés dans cet objectif.
Considérant que l’article 3 doit être rejeté, le Gouvernement émet un avis favorable sur les amendements identiques nos 1 rectifié quinquies et 3 rectifié bis.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Il est bizarre que vous invoquiez, pour défendre ces amendements de suppression de l’article 3, des arguments qui ne sont pas cohérents.
Tout d’abord, vous dites que la police et la gendarmerie devront potentiellement contrôler 47 millions de personnes, qu’il faudra donc faire des récépissés dans tous les sens et que cela ne sera pas gérable…
Vous considérez donc par principe qu’il convient, dans le cadre de certaines lois et pour certains faits, d’établir un contrôle généralisé de la population – vous le mettez d’ailleurs en place régulièrement –, mais qu’en l’occurrence ce n’est pas possible, car cela reviendrait à contrôler le travail de la police ; c’est ce que vient de dire M. Bonhomme.
Or il s’agit non pas, selon nous, de contrôler le travail de la police, mais de faire en sorte que la police puisse mieux travailler !
Réaliser 47 millions de contrôles n’est pas logique, car ceux-ci sont motivés non par des faits réels, mais par des a priori – pour ne pas parler de contrôles au faciès.
Instaurer la remise d’un récépissé permettra à la police de mieux travailler, de disposer de statistiques et de réduire drastiquement ce chiffre de 47 millions de contrôles d’identité. Sur ce plan, en effet, notre pays doit être champion du monde !
Ensuite, nous vous avons entendu dire que ces contrôles étaient utiles dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic. Or je puis dire, pour l’avoir vécu sur le terrain – je ne suis pas le seul – que les services qui travaillent dans ce domaine et mènent des enquêtes sur le terrain demandent très souvent que l’on réduise le nombre de contrôles d’identité effectués dans la rue, car ceux-ci leur nuisent. En effet, les personnes ne sont pas contrôlées au motif qu’elles pourraient commettre telle ou telle action,…
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. … mais en fonction de ce qu’elles sont en apparence !
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Le groupe socialiste a organisé aujourd’hui un colloque sur ces questions, en introduction duquel ont témoigné deux personnes qui sont à l’origine de recours ayant abouti à la condamnation de l’État pour faute lourde en raison de contrôles discriminatoires, dits aussi contrôles au faciès. Ces faits sont donc bien établis ! Je précise que les contrôles au faciès n’ont certainement pas pour objectif d’enregistrer l’origine ethnique de personnes en vue de les ficher.
Ces deux personnes nous ont expliqué qu’elles avaient pu porter plainte du fait d’un concours de circonstances. Elles étaient en effet, dans le cadre d’une sortie scolaire, accompagnées par leur enseignante, laquelle a contacté un avocat qui a bien voulu les défendre pro bono. Cette convergence assez exceptionnelle a permis qu’une telle procédure aboutisse.
En effet, en temps normal, si l’on est contrôlé de manière abusive par la police, on ne porte pas plainte auprès de la police, et ce d’autant moins que l’on ne dispose pas d’un récépissé prouvant que l’on a été contrôlé de cette façon.
Ces récépissés sont utiles pour prouver l’existence de contrôles discriminatoires et répétés, et pour permettre aux personnes ayant fait l’objet de ces contrôles de porter plainte.
Ils sont utiles, aussi, pour fournir des statistiques, car nous avons besoin de savoir si ces contrôles sont efficaces, et de disposer de données permettant d’évaluer la qualité et l’utilité du travail des policiers.
Les policiers eux-mêmes sont en souffrance : ils ont besoin de retrouver le sens de leur travail, des missions qui leur sont confiées. Ils veulent mener des actions utiles !