Sommaire
Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Intitulé de la proposition de loi
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
Produits du bois et responsabilité élargie du producteur dans le secteur du bâtiment
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
(À suivre)
Présidence de M. Alain Marc
vice-président
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Catherine Di Folco.
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Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, présentée par M. Philippe Folliot, Mme Marie-Lise Housseau et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 452, texte de la commission n° 585, rapport n° 584).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des moments où les peuples ont rendez-vous avec l'Histoire, avec leur histoire. Il en est de même des territoires.
Aujourd'hui est un jour important pour l'ensemble du bassin Castres-Mazamet et pour le sud du Tarn, car, au travers de la proposition de loi que Marie-Lise Housseau et moi-même vous soumettons, nous entendons répondre à une attente particulièrement forte de l'ensemble des acteurs de ce bassin d'emploi et, plus généralement, de ce territoire.
Je commencerai par rappeler les diverses particularités qui nous ont conduits à la situation actuelle.
L'agglomération de Castres-Mazamet fait partie d'un département de nature bicéphale, le Tarn. Pendant longtemps, les villes d'Albi et de Castres ont du reste été opposées. Aujourd'hui, elles s'inscrivent dans une logique de complémentarité à laquelle nous souscrivons complètement.
Pendant de nombreuses années, on a cherché à désenclaver tous les bassins d'emploi de l'ancienne région Midi-Pyrénées. Le désenclavement d'Albi par rapport à Toulouse a fait l'objet d'un consensus départemental. En raison de sa singularité, tel ne fut pas le cas de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet : même si celle-ci est plus peuplée qu'un certain nombre de départements voisins, tels que l'Ariège, le Lot et le Gers, et bien que la ville de Castres elle-même soit plus peuplée que les préfectures de Foix, d'Auch et de Cahors, elle n'a été désenclavée que par petites touches.
À tel point que, en 2010, avec Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'écologie, chargé des transports, nous étions arrivés au constat qu'au rythme des engagements de l'État vis-à-vis de ce bassin d'emploi il faudrait attendre 2070 pour que l'agglomération de Castres-Mazamet achève son désenclavement… Il s'agit pourtant de la seule agglomération française de 100 000 habitants à ne disposer ni d'autoroute, ni de gare desservie par le TGV, ni d'aéroport international.
C'est la raison pour laquelle le projet d'une autoroute a été lancé en 2010. Mais, comme les choses prennent du temps dans notre pays, il s'est écoulé une quinzaine d'années entre cette décision et aujourd'hui. Plusieurs étapes importantes ont été franchies. Je pense notamment au débat public auquel des milliers de personnes ont participé et dans le cadre duquel près des deux tiers d'entre elles ont exprimé leur envie de voir ce bassin désenclavé et ont approuvé le projet.
Des décisions importantes ont été prises. En 2019, la loi d'orientation des mobilités, dite LOM, a conféré au projet d'autoroute entre Castres et Toulouse le statut de projet d'intérêt général national. En 2021, la plus haute juridiction administrative de notre pays, le Conseil d'État, a validé l'utilité publique de cet itinéraire.
Ce projet a fait l'objet de multiples recours. S'il s'agit d'un droit dans notre démocratie, constatons que, jusqu'au mois de février dernier, la juridiction administrative les avait tous rejetés et avait autorisé la poursuite du chantier à pas moins de quatorze reprises.
Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une situation qui, à certains égards, est quelque peu ubuesque. Le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a en effet ordonné l'arrêt des travaux, ce qui a eu d'importantes conséquences sur le plan social – du jour au lendemain, 1 000 personnes ont perdu leur emploi –, ainsi que pour les décideurs économiques de ce bassin d'emploi, qui sont privés de perspectives d'investissement.
Ce jugement a également eu des conséquences pour les riverains. L'arrêt des travaux a laissé une balafre de cinquante kilomètres sur le territoire, et les habitants de certains villages sont empêchés de rentrer chez eux ; je pense au village de Saint-Germain-des-Prés, qui est coupé en deux.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer l'impact financier de cette décision judiciaire : le coût de l'arrêt des travaux s'élève à 5 millions d'euros. Plus 200 000 euros par jour ! Au vu de la situation de nos finances publiques, est-il acceptable de laisser faire les choses et de gaspiller ainsi l'argent public ?
Rappelons aussi qu'il existe un consensus politique départemental assez exceptionnel autour de ce projet. (Exactement ! au banc des commissions.) Qu'ils soient du nord ou du sud, de gauche, de droite ou du centre, la quasi-totalité des élus du département sont favorables à ce projet : (Rires ironiques sur les travées du groupe GEST.) l'unanimité des conseils départementaux, les deux intercommunalités traversées par l'autoroute, quatre parlementaires sur cinq, le président du conseil départemental et la présidente du conseil régional.
C'est un véritable pacte tarnais qui soutient ce projet !
De nombreux élus du département voisin, la Haute-Garonne, également concerné par la construction de l'autoroute, y sont favorables, de même que beaucoup d'élus du reste de la région Occitanie. Je les en remercie.
Au travers de cette proposition de loi de validation, nous accomplissons notre travail de parlementaires. Nous nous efforçons en effet de proposer une porte de sortie, afin que nous puissions mettre fin à cette situation ubuesque et stopper cette gabegie.
Je ne vais pas vous lire l'exposé des motifs que ma collègue Marie-Lise Housseau et moi-même avons soigneusement écrits. Ils reprennent tous les éléments propres à la situation et justifient, point par point, la constitutionnalité du texte. À cet égard, nous avons veillé à ce que les cinq critères dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel soient rigoureusement respectés.
Au-delà de ces éléments financiers, politiques et territoriaux, c'est un cri du cœur que je veux pousser devant vous, celui d'un territoire qui fait face à un certain nombre de difficultés, notamment une démographie en berne et des pertes d'emploi, en plus des obstacles liés à son enclavement historique.
Il n'empêche qu'il s'agit d'un territoire qui se bat, qui a envie de s'en sortir, qui n'accepte pas l'inéquité territoriale. Il refuse que des décideurs se trouvant très loin, dans de grandes métropoles ou agglomérations – qui, elles, disposent de tous les moyens pour être connectées au monde extérieur –, nous donnent des leçons de morale. (Absolument ! au banc des commissions.) Nous n'acceptons pas qu'ils nous disent, finalement, que ce projet n'est bon ni pour nous ni pour l'environnement.
La construction de l'autoroute est déjà achevée à 70 %. Arrêter un projet aussi avancé est une pure ineptie, y compris sur un plan environnemental ! Il y a un certain nombre de mesures de compensation environnementale pour lesquelles nous nous sommes battus – Marie-Lise Housseau y reviendra tout à l'heure. Or celles-ci sont stoppées à l'heure actuelle.
Compte tenu de ces enjeux, de la volonté qui est la nôtre, de l'objectif visé et de la situation que nous subissons, il nous paraît essentiel d'apporter une réponse politique. Dans notre pays, les décisions relatives au devenir des infrastructures doivent revenir aux élus qui détiennent leur légitimité du suffrage universel, et à personne d'autre ! C'est le fondement de la démocratie !
Aussi, mes chers collègues, nous espérons que vous serez nombreux à soutenir et à voter cette proposition de loi, tant attendue par un territoire, par un bassin d'emploi, par un département et, à certains égards, par le pays tout entier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDSE. – M. le président de la commission et M. Laurent Somon applaudissent également.)
M. Franck Dhersin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin afin d'examiner la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, déposée par nos collègues Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, et cosignée par une centaine d'entre nous.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a approuvé cette initiative législative, qui vise à répondre à une situation inédite mettant en péril des intérêts publics : la mise à l'arrêt, à seulement quelques mois de son achèvement, du vaste chantier de l'A69, une infrastructure structurante que les habitants du sud du Tarn attendaient depuis trente ans.
Cette interruption fait suite à l'annulation, le 27 février dernier, par le tribunal administratif de Toulouse, des deux autorisations environnementales dont faisait l'objet le projet d'A69, au motif que celui-ci ne répondrait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), condition pourtant requise pour l'obtention de la dérogation « espèces protégées ».
J'ai bien conscience que la démarche et le calendrier d'examen de ce texte suscitent des interrogations juridiques (Marques d'approbation sur les travées du groupe GEST.), auxquelles j'ai porté une attention particulière, d'abord, parce que cette proposition de loi vise à valider un acte administratif ayant été annulé par le juge administratif, ensuite, parce qu'une procédure d'appel est en cours, à la demande de l'État, qui a également sollicité un sursis à exécution de la décision du tribunal administratif de Toulouse.
Ces interrogations, qui touchent au principe de séparation des pouvoirs, appellent deux remarques préliminaires.
D'une part, les législateurs que nous sommes n'ont en aucun cas vocation à se substituer au juge administratif devant lequel une procédure est en cours. C'est clair !
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. Franck Dhersin, rapporteur. L'objet de la proposition de loi qui nous est soumise est ciblé : si elle valide l'autorisation environnementale du projet d'A69, en tant qu'il répond à une RIIPM, elle ne saurait fermer le droit au recours à l'encontre de cet acte administratif, et d'autres motifs pourront toujours être invoqués devant le juge pour la contester.
D'autre part, comme j'ai eu l'occasion de le rappeler en commission, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe de séparation des pouvoirs proscrit toute validation législative portant sur un acte ayant déjà été annulé par une décision de justice devenue définitive.
Or tel n'est pas le cas, puisque l'annulation a été ordonnée en première instance et qu'un appel est en cours.
Bien sûr, nul ne peut préjuger de l'analyse du Conseil constitutionnel en cas de saisine. Néanmoins, il me semble que l'intervention du législateur est, en l'espèce, légitime pour répondre à une situation exceptionnelle, dont les conséquences peuvent se révéler particulièrement dommageables pour le sud du Tarn, comme pour les pouvoirs publics.
En premier lieu, le projet d'A69 présente des atouts majeurs pour le territoire de Castres-Mazamet, d'un point de vue démographique, socio-économique et en matière de sécurité routière. Il s'inscrit dès lors dans le cadre de la politique nationale d'aménagement du territoire et de lutte contre l'enclavement et la désertification.
Le bassin de vie de Castres-Mazamet est le seul bassin d'Occitanie de cette importance situé à plus d'une heure du réseau autoroutier, du réseau de TGV et de Toulouse. En conséquence, sa population est à l'écart des grands équipements de la capitale régionale, à commencer par le centre hospitalier universitaire, l'aéroport international de Toulouse-Blagnac, les universités et grandes écoles.
Il faut en effet une heure dix pour rejoindre Toulouse depuis Castres via la route nationale 126 (RN 126). Cela place cette ville dans une situation très défavorable par rapport aux autres agglomérations situées à des distances équivalentes, voire inférieures de la capitale régionale, mais qui sont reliées au réseau autoroutier.
L'A69 mettrait ainsi les habitants de Castres sur un pied d'égalité avec ceux d'Albi et de Montauban, en leur faisant gagner entre vingt-cinq et trente-cinq minutes pour se rendre à Toulouse : ce n'est pas rien !
Compte tenu de cette situation d'enclavement, l'agglomération de Castres-Mazamet, contrairement aux dix agglomérations reliées à Toulouse par une autoroute, est la seule à avoir régulièrement perdu des habitants entre 1968 et 2021.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Ce manque d'attractivité est d'autant plus dramatique pour le sud du Tarn que sa population est vieillissante. En effet, les personnes de plus de 60 ans y représentent plus du tiers des habitants.
Ce contexte pénalise tout particulièrement l'activité économique du territoire : Castres-Mazamet est la seule agglomération dans laquelle le taux d'emploi a stagné entre 2010 et 2021, alors qu'il a progressé dans les bassins équivalents de la région, à l'instar du Grand Montauban – plus 14 points –, de Gaillac-Graulhet – plus 6 points – et de l'Albigeois – plus 6 points également–, ces trois agglomérations ayant l'avantage d'être reliées à Toulouse par les autoroutes A62 et A68.
Les entreprises et les établissements publics du territoire, comme le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet, sont en outre confrontés à des difficultés structurelles pour attirer des cadres et travailleurs qualifiés depuis Toulouse, compte tenu des mauvaises infrastructures de desserte existantes.
Le projet d'A69 répond enfin à des impératifs de sécurité routière – ce n'est pas rien ! De 2010 à 2020, 11 morts et 120 blessés, dont 65 personnes hospitalisées, ont été à déplorer sur la RN 126. Les reports de trafic des véhicules légers et des véhicules lourds vers l'A69 auront des effets positifs sur la sécurité routière, non seulement pour les usagers de la future autoroute, mais aussi pour ceux de la RN 126, qui sera déclassée en route départementale (RD).
J'ajouterai que, par sa nature même et son ampleur, le projet d'A69 dépasse l'échelle strictement locale. Dès lors que cette autoroute a vocation à rejoindre le domaine routier national, elle présente, en application du code de la voirie routière, un intérêt national et européen – je le précise.
L'ensemble des motifs d'intérêt général précédemment invoqués avaient en outre conduit le législateur à reconnaître le caractère structurant de ce projet dans le cadre de la LOM, dont l'exposé des motifs avait recensé l'A69 parmi les « grands projets routiers » devant être engagés dans les cinq ans.
Par ailleurs, l'abandon du projet d'A69 aurait des répercussions négatives pour le sud du Tarn et mettrait en péril des intérêts publics majeurs.
Tout d'abord, le chantier a été interrompu à un stade très avancé : les travaux sont réalisés à 80 % concernant l'A680, tandis que 54 % des volumes de terrassements et 70 % des ouvrages d'art sont déjà réalisés sur l'A69. À ce jour, les dépenses engagées s'élèvent à 300 millions d'euros pour l'A69, soit près de 70 % du coût prévisionnel, et atteignent 90 millions d'euros pour l'A680, soit 90 % du coût total envisagé.
La résiliation du contrat de concession de l'A69 impliquerait d'indemniser le concessionnaire, la société Atosca, à hauteur du coût des travaux déjà réalisés, soit 250 millions d'euros. En outre, elle supposerait une remise en état des terrains,…
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
M. Franck Dhersin, rapporteur. …opération complexe dont le coût représenterait un montant supplémentaire au moins équivalent.
Du reste, il est très probable que le concessionnaire demande à être indemnisé pour les coûts engendrés par l'interruption du chantier, qui dépassent déjà largement la dizaine de millions d'euros.
Ensuite, l'abandon du projet aurait des retombées socioéconomiques fâcheuses pour l'agglomération de Castres-Mazamet. Elles sont d'ailleurs déjà perceptibles depuis l'interruption du chantier, qui mobilisait près de 1 000 salariés, des centaines d'intérimaires et 67 contrats de sous-traitance. Plusieurs entreprises qui intervenaient sur le chantier risquent de déposer le bilan ou d'être confrontées à des difficultés sévères de trésorerie.
De nombreuses entreprises et collectivités territoriales sont en difficulté, parce qu'elles avaient investi en anticipant, légitimement, la mise en service imminente de cette infrastructure. Des investissements importants pour le territoire ont d'ailleurs dû être brutalement stoppés, et on ne peut que craindre que les entreprises qui misaient sur l'amélioration de la liaison avec Toulouse ne décident de quitter le territoire.
En outre, et de manière assez préoccupante, l'abandon du projet serait préjudiciable pour l'environnement. La résiliation du contrat de concession conduirait à remettre en cause les mesures de compensation environnementale qui étaient prévues (Protestations sur les travées du groupe GEST.), alors même que les travaux, et les atteintes à l'environnement qui en découlent, sont déjà en très grande partie effectifs. Il y aurait donc certainement des pertes nettes de biodiversité. (M. Ronan Dantec rit.)
M. Philippe Folliot. Bien sûr !
M. Franck Dhersin, rapporteur. La destruction des ouvrages déjà construits aurait elle-même un impact sur l'environnement qu'il convient de prendre en compte. En cas d'arrêt définitif du projet, un nouveau dispositif de compensation devra donc être recherché, au prix d'un travail lourd, complexe et assurément coûteux.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Évidemment !
M. Franck Dhersin, rapporteur. En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas non plus faire abstraction de l'impact politique qu'aurait pour le territoire de Castres-Mazamet un abandon définitif du projet, en raison des fortes attentes qu'il suscite. Surtout que ces dernières étaient sur le point de se concrétiser, compte tenu de l'avancement du chantier…
Au cours des auditions que j'ai menées, on m'a fait part du sentiment d'abandon et d'incompréhension profonde de la population locale face à une situation ressentie comme un immense gâchis humain, technique et financier.
J'ajoute que 400 hectares de terres agricoles ont fait l'objet d'une procédure d'expropriation pour mener à bien ce projet. Pour les centaines d'agriculteurs ayant vu leur exploitation amputée, un arrêt définitif du chantier constituerait une double, voire une triple peine, ces parcelles n'étant plus exploitables en l'état. Rétablir leur potentiel agronomique nécessiterait, là encore, des moyens colossaux s'inscrivant dans le long terme.
Voilà, mes chers collègues, l'ensemble des raisons qui ont conduit la commission à apporter son soutien à cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, cher Jean-François Longeot, monsieur le rapporteur, cher Franck Dhersin, mesdames, messieurs les sénateurs, je me présente aujourd'hui devant vous dans un contexte particulier. En tant que ministre des transports, je suis naturellement attentif aux enjeux que soulève le projet d'autoroute Castres-Toulouse, actuellement examiné par la cour administrative d'appel de Toulouse.
Car, oui, l'État a fait appel pour confirmer la réalisation de cette infrastructure.
Nous avons des arguments à faire valoir pour valider la raison impérative d'intérêt public majeur de cette liaison autoroutière. Je souhaite ici en développer les points principaux, même si mes propos vous sembleront probablement quelque peu redondants après les excellentes interventions de l'auteur de la proposition de loi et du rapporteur.
Aujourd'hui, le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, avec environ 50 000 emplois et 132 000 habitants, est le seul bassin de cette importance qui n'est pas relié à la métropole toulousaine par une infrastructure autoroutière à deux fois deux voies aménagée ou en cours d'aménagement.
Il s'agit aussi du seul bassin de plus de 100 000 habitants en France à n'être desservi ni par une autoroute, ni par une gare TGV, ni par un aéroport international.
Les conséquences de cette situation sont durement ressenties sur le terrain. Le bassin de Castres-Mazamet est en décrochage par rapport aux agglomérations comparables de la région Occitanie, eu égard à la dynamique d'activité et de création d'emploi, à la croissance démographique et au vieillissement de la population. Rassurez-vous, monsieur le président Longeot, je ne pense pas forcément aux plus de 60 ans, d'autant que je sais que vous n'appréciez pas beaucoup cette référence… (M. le président de la commission s'esclaffe.) Et puis, à 60 ans, on n'est pas vieux, monsieur Dhersin ! (Sourires.)
Nier cette réalité est irresponsable, d'autant que l'attractivité du bassin toulousain n'est plus à prouver : Toulouse est devenue la troisième ville de France. Il faut donner à ce territoire les moyens d'accompagner cette évolution. (M. François Bonhomme opine.)
Ce projet d'autoroute est également un projet de territoire soutenu par les collectivités locales et les parlementaires, notamment dans le cadre du présent texte, mais aussi par le monde économique local. J'ai pu moi-même le constater en me rendant sur place, où j'ai vu de mes propres yeux l'état du chantier en cours.
L'objectif principal de cette autoroute est donc clair : désenclaver et accompagner le développement du bassin de Castres-Mazamet, et ce dans mon département d'origine, département que je connais et que j'aime.
En outre, ce projet offre un gain en termes de sécurité, avec un itinéraire cinq fois plus sécurisé que celui de la RN 126, tout en respectant les normes les plus récentes sur le plan environnemental : protection de la ressource en eau ; préservation de la biodiversité ; réglementation relative aux nuisances sonores et à la qualité de l'air, etc.
Au-delà de ce texte, la décision de justice rendue en février dernier et la jurisprudence relative à l'A69 doivent collectivement nous faire réfléchir à la meilleure manière de sécuriser juridiquement les grands projets d'infrastructures. Quoi que l'on puisse penser de cette autoroute, cela doit nous pousser à réagir pour éviter qu'une telle situation se reproduise à l'avenir.
Comment comprendre qu'une autoroute, dont la déclaration d'utilité publique (DUP) avait été validée après le rejet des recours devant le Conseil d'État, puisse voir son autorisation environnementale annulée pour défaut de raison impérative d'intérêt public majeur ? Comment accepter qu'après avoir été réalisé aux deux tiers ce projet puisse s'arrêter du jour au lendemain ?
Tel est précisément l'objet de l'amendement que nous avons déposé sur le projet de loi de simplification de la vie économique, et qui vise à caractériser le plus en amont possible des projets la raison impérative d'intérêt public majeur. J'espère que cette mesure sera adoptée par l'Assemblée nationale, lorsque cette dernière reprendra l'examen du texte, et qu'elle sera conservée dans le cadre de la commission mixte paritaire.
Au travers de cette proposition de loi, le soutien du Parlement à la réalisation de l'A69 sera, je l'espère, réaffirmé. Je rappelle que ce projet avait déjà été reconnu comme opération prioritaire d'aménagement du territoire dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités.
Il appartient en effet au Parlement d'exercer pleinement les prérogatives que lui confère notre Constitution, dans le respect de l'État de droit. Aussi, je tiens à saluer le travail réalisé par les parlementaires concernés par cette autoroute. Votre implication et votre engagement confirment ce que j'ai déjà évoqué : c'est un projet de territoire défendu et souhaité par l'immense majorité des acteurs locaux.
Néanmoins, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, je ne souhaite interférer ni dans la procédure juridictionnelle en cours ni dans le travail parlementaire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.) Dans ce contexte juridictionnel spécifique, le Gouvernement s'abstiendra de prendre position sur cette proposition de loi, laissant au Parlement l'entière liberté de ses travaux.
Le Gouvernement a défini un axe de travail clair pour les jours et les semaines qui viennent : obtenir le sursis à exécution, puis un jugement favorable en appel, pour que le chantier puisse reprendre au plus vite et être achevé.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Philippe Tabarot, ministre. Si nous ne pouvons qu'accueillir positivement un vote favorable de votre part, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a vocation à agir via la voie judiciaire pour obtenir gain de cause, pour faire valoir cette juste cause. Aussi, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi, ainsi que sur les amendements qui seront discutés aujourd'hui.
La conviction du Gouvernement de la nécessité d'achever la construction de cette autoroute n'est plus à prouver. Il se rangera donc au vote de votre Haute Assemblée sur la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et l'amendement de suppression de l'article unique, déposés par le groupe écologiste, lesquels mettraient tous deux fin à l'examen de ce texte.
Notre position sera identique concernant l'amendement du rapporteur. En revanche, nous émettrons un avis défavorable sur l'amendement par lequel le sénateur Dantec propose d'intituler ce texte : « Proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ». Cet amendement est en effet quelque peu excessif et provocateur – ce qui est très rare chez le sénateur Dantec ! (Sourires.) – envers les auteurs du texte, son rapporteur et le Gouvernement. (M. Ronan Dantec lève les bras au ciel.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte important pour nos territoires. Le Gouvernement, tout en respectant pleinement l'indépendance de la justice, continuera à défendre ce projet d'autoroute par la voie juridictionnelle, dans les jours et les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une série de sept décisions favorables entre 2010 et 2023, le jugement ahurissant du tribunal administratif de Toulouse, rendu en février 2025, soulève les plus vives inquiétudes.
La mobilisation qui l'a précédé, ainsi que les nombreuses contestations et recours nous invitent à réfléchir sur la faisabilité des futurs grands projets. Aujourd'hui, les autoroutes A69 et A680 sont concernées ; demain viendra le tour de la ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse, dont les opposants ont fait savoir qu'ils souhaitaient que la justice s'inspire de la décision contestée.
Mme Monique de Marco. En effet !
M. Pierre Médevielle. Que pourrons-nous entreprendre à l'avenir ? Plus aucun chantier d'ampleur, plus aucun projet d'envergure ne sera possible.
M. Philippe Folliot. Hélas !
M. Pierre Médevielle. Pourquoi pas plus d'usines, plus d'industries, plus d'agriculture ? Voulons-nous des champs de ruines, comme le souhaitent les « écolos-bobos » ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – Sourires sur les bancs des commissions et du Gouvernement.)
La protection de l'environnement et de la biodiversité est certes fondamentale, mais le développement économique et social, l'attractivité de nos territoires, la circulation et les échanges le sont tout autant. Ne les opposons pas !
Le régime de la dérogation espèces protégées, issu de la directive européenne de 1992, interdit la destruction d'espèces animales ou végétales et de leurs habitats. L'autorisation d'y déroger doit dès lors répondre à des conditions strictes, et c'est aux seuls juges, dont nous ne remettons évidemment pas en cause l'indépendance, qu'il appartient de réaliser cette balance des intérêts. De ce difficile exercice d'appréciation dépend l'avenir de grands projets structurants.
Cela étant, depuis l'affaire du « mur des cons », nous sommes en droit de nous interroger sur l'éventuelle dimension politique de telles décisions !
M. Franck Dhersin, rapporteur. C'est dit !
M. Pierre Médevielle. Dans le cadre de ce projet, des mesures compensatoires ont été prévues, des millions d'euros ont été investis dans la préservation de l'environnement, et des expertises de terrain ont été menées.
Cette infrastructure autoroutière, ce sont également 300 millions d'euros de dépenses déjà engagées, des travaux quasiment terminés et des emplois futurs ; elle est par ailleurs synonyme de dynamisme et de désenclavement d'un territoire. L'arrêt du chantier induit des coûts économiques, sociaux et environnementaux considérables.
En l'état, 200 000 euros ont été nécessaires pour sécuriser le site ; 1 000 emplois sont à l'arrêt ; il faut indemniser les concessionnaires, pour un coût journalier de 200 000 euros. Cela tombe bien : nous en avons les moyens !
Que dire aux habitants, aux entreprises et aux collectivités qui ont investi ? C'est toute la crédibilité de l'État qui est en jeu !
La présente proposition de loi adresse un message fort à un territoire qui attend ce projet depuis des années. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'indépendance de la justice ; la séparation des pouvoirs est garantie par le respect des décisions de justice, qui bénéficient de l'autorité absolue de la chose jugée. Ce n'est pas l'objet de ce texte.
Une autre question se pose : qui doit décider en matière de développement économique, touristique et social d'un territoire ? Des juges complètement hors sol (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)…
M. Ronan Dantec. C'est cela !
M. Pierre Médevielle. … ou des élus responsables, connaissant parfaitement les besoins de leur bassin de vie ?
Le bassin économique de Castres-Mazamet s'est construit grâce à des pionniers très attachés à leur terroir, qui ont surmonté les handicaps de l'enclavement. Aujourd'hui, nous savons que, sans infrastructures de transports jouant le rôle de catalyseur, ces bassins de vie sont voués à disparaître.
Qu'il me soit permis, à cet instant, d'avoir une pensée pour Pierre Fabre, pionnier de l'industrie pharmaceutique, qui a tant fait pour ce département et qui aurait aimé voir cette autoroute.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Pierre Médevielle. Nous refusons d'entendre que ce projet ne serait soudainement plus adapté aux attentes actuelles, sous prétexte qu'il repose sur des bilans socioéconomiques réalisés il y a quelques années. Le Conseil d'État a d'ailleurs reconnu son utilité publique en 2021, en se fondant sur les mêmes bilans.
Le seul élément que nous pouvons entendre est la nécessité de faire évoluer le cadre juridique pour l'avenir, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets.
M. Philippe Folliot. Malheureusement !
M. Pierre Médevielle. Si le rôle du juge est de vérifier que l'action de l'administration répond bien à une raison impérative d'intérêt public majeur, nous pouvons, de notre côté, nous interroger sur le déroulement global du processus : et si la déclaration d'utilité publique (DUP) valait autorisation environnementale ?
Cela permettrait d'éviter un certain nombre d'écueils, à commencer par le décalage temporel entre les études, la DUP et la réalisation effective du projet, mais aussi la multiplicité des recours qui s'acharnent à retarder des projets majeurs.
Si la DUP valait autorisation environnementale, nous pourrions aller plus vite et, surtout, sécuriser nos projets. Lorsqu'une décision est prise, qu'elle suive son cours ! Ne prenons pas les territoires en otage !
Il nous faut impérativement revenir à une position cohérente. Ce projet transpartisan, comme l'a rappelé Philippe Folliot, est un projet de territoire défendu par les habitants, les entreprises et les élus, qui le considèrent comme vital. Respectons la volonté profonde de tous les acteurs.
Les mots me manquent face à tant d'absurdités. Cessons d'être hors sol et déconnectés des réalités locales.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pierre Médevielle. Ce revers n'est pas une fatalité. Votons cette proposition de loi pour montrer que nous avons retrouvé la raison. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.) Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le tout net : cette proposition de loi revêt un caractère crucial pour l'avenir de notre territoire et pour l'équilibre de l'aménagement régional.
Rappelons ici que la question du désenclavement du sud du Tarn est très ancienne ; déclarée d'utilité publique par décret en 2018, cette liaison autoroutière est en fait en gestation depuis plusieurs dizaines d'années. Elle doit offrir aux habitants et aux entreprises une infrastructure moderne, sûre et efficace, constituant un axe essentiel pour le développement économique de cette partie du Sud-Ouest.
Malheureusement, le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés préfectoraux des 1er et 2 mars 2023 relatifs à cette liaison autoroutière, et, donc, l'autorisation environnementale – qualifiée d'illégale – de déroger à l'interdiction de destruction d'espèces protégées aux noms aussi émouvants qu'évocateurs : le trèfle écailleux, la mousse-fleurie, également dénommée crassule mousse, plante charnue aux délicats reflets carmin, la nigelle de France, aux reflets bleus et à la tige cannelée, ou encore la fritillaire pintade, à ne pas confondre avec la fritillaire impériale, dont le bulbe frêle est globuleux… (Sourires.)
Et ce, malgré l'engagement des aménageurs à respecter et à déplacer en des terres favorables toutes ces espèces végétales.
Il y a de quoi s'interroger au regard du long et lourd contexte juridique dans lequel cette décision a été prise.
Rappelons que ce jugement fait suite à une déclaration d'utilité publique du projet autoroutier A69 en 2017 et en 2018, que les recours contre cette DUP ont été rejetés par le Conseil d'État le 5 mars 2021 ; s'en sont suivies plusieurs ordonnances de référé prises par le juge du tribunal administratif de Toulouse, rejetant la suspension des travaux en cours.
Au bout de quatre ans de processus, alors que 60 % du chantier a déjà été réalisé, qu'au surplus 300 millions d'euros de financement public et privé ont été investis et que les entreprises et leurs personnels sont mobilisés, ce jugement de première instance gèle de manière ubuesque le chantier et risque d'en compromettre l'achèvement.
Heureusement, monsieur le ministre, l'État a légitimement fait appel de cette décision, et nous espérons qu'un sursis à exécution sera prononcé par la juridiction administrative le 21 mai prochain.
Oui, le cas de l'A69 doit amener le législateur à faire évoluer la loi pour mieux concilier à l'avenir les impératifs incontournables de sécurité juridique et de protection de l'environnement.
Pour l'heure, le chantier de l'A69 est à l'arrêt, comme les milliers de personnes qui y travaillent. Abandonner cette réalisation dans sa phase finale n'est pas envisageable.
Le Sénat entend aujourd'hui prendre ses responsabilités et sécuriser ce projet. Face à ce blocage juridique, la présente proposition de loi prévoit de valider rétroactivement les deux autorisations environnementales délivrées par les représentants de l'État. Je félicite le rapporteur pour son travail sur ce texte, fruit d'un effort collectif et d'un large engagement.
Certains évoquent l'existence de solutions alternatives ou la nécessité de moderniser les infrastructures existantes, bien que les études et les concertations menées depuis plus de vingt ans ont prouvé le contraire.
Je ne minore pas les inquiétudes exprimées, notamment sur le plan environnemental. Ce projet a déjà fait l'objet de nombreuses études d'impact, de consultations et de mesures compensatoires, comme en témoignent les autorisations environnementales délivrées en 2023. Notre responsabilité collective est d'intégrer aujourd'hui la transition et le souci écologiques, sans sacrifier l'équilibre territorial.
Le texte apporte enfin une réponse à ceux qui tentent de faire échouer ce projet pour des raisons purement idéologiques. Ce sont toujours les mêmes associations, qui s'autoproclament écologistes et sont trop subventionnées par les collectivités publiques, qui sont à la manœuvre ; ce sont ces activistes et autres rebelles institutionnels, dont on entend régulièrement parler, comme ce fut le cas lors de la mise en place de « zones à défendre » (ZAD) sur les sites de Notre-Dame-des-Landes, de Sainte-Soline, de Sivens, ou encore sur le chantier en cours de la LGV entre Bordeaux et Toulouse.
Le chantier de l'A69 a même suscité – quel honneur ! – la venue d'une icône médiatique, Greta Thunberg (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.), réussite marketing à la figure pouponne de la lutte pour le climat, pur produit des adultes consentants et jamais assez repentants à son égard, comme le secrétaire général de l'ONU en son temps, ou certains chefs d'État, tous penauds et prompts à faire acte de contrition devant elle.
Que penser lorsque des adultes responsables, ministres et chefs d'État, s'inclinent et se couvrent la tête de cendre devant cette jeune adolescente, gourou médiatique qui fait la leçon à tout le monde ?
C'est un spectacle affligeant, pitoyable, que de voir le monde adulte, dont le devoir est de défendre la vérité et de faire preuve de courage, se prosterner devant la version la plus gnangnan (Rires sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) de la propagande et de l'infantilisme climatique.
Et quand les gogos ne sont pas suffisamment nombreux, c'est dans les prétoires que l'activisme se poursuit, par la multiplication des contentieux.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !
M. François Bonhomme. Et quand cela ne fonctionne pas, ces associations radicales légitiment l'action violente de militants extrémistes, au nom de ce qu'ils appellent la désobéissance civile, qui n'est que l'autre nom du mépris de la majorité silencieuse. Ils en viennent même à théoriser le déchaînement de la violence contre les forces de l'ordre.
En octobre 2023, nombre de ces défenseurs du vivant autodésignés, en bons militants pacifistes, allaient manifester leur désaccord contre l'A69 en se munissant de barres de fer, de disqueuses, de casques, de pioches, de masques à gaz, de bidons d'essence et de boules de pétanque : le parfait attirail du manifestant cool et pacifique ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Mes chers collègues, au-delà des clivages, nous entendons défendre ici une certaine idée de l'intérêt général, le droit au transport, la politique d'aménagement de nos territoires, notamment des territoires les plus excentrés des métropoles.
Aussi, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi pour que la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse soit enfin reconnue pour ce qu'elle est : un projet d'avenir, porteur d'espoir et de progrès économique pour notre région.
Pour l'ensemble de ces raisons, notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis d'emblée, le groupe RDPI est favorable à cette proposition de loi déposée par nos collègues du Tarn, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, texte qui a également recueilli le soutien des députés tarnais Philippe Bonnecarrère et Jean Terlier. (M. Philippe Folliot et Mme Marie-Lise Housseau applaudissent.)
La présente proposition de loi revêt en effet une importance stratégique pour ce territoire.
Lorsque le chantier de l'A69 a été brusquement interrompu il y a quelques semaines, la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, a rappelé avec clarté et responsabilité ce que beaucoup d'élus, d'habitants et d'entreprises de terrain savent depuis longtemps : cette autoroute est nécessaire. Elle a affirmé sa volonté de défendre l'intérêt général, qui ne saurait être réduit à des oppositions ponctuelles ou idéologiques.
M. Philippe Folliot. Très bien !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Elle a ainsi déclaré : « Je continuerai d'être aux côtés des habitants et des entreprises du sud du Tarn qui ont besoin de cette liaison rapide, qui la soutiennent très largement, car elle est nécessaire au désenclavement du bassin de Castres-Mazamet. » La présidente Delga a raison, le désenclavement de ce territoire répond à une exigence d'équité territoriale et de dynamisme économique.
Ce lundi, nous évoquions ici même l'enjeu du désenclavement médical, notamment dans les zones rurales. Aujourd'hui, c'est la question de la mobilité, indissociable de l'accès aux soins, à l'emploi et aux services, que nous abordons. Elle est tout aussi essentielle.
Le soutien à ce projet est aussi celui de l'État, un soutien constant et transpartisan. Dès 2014, sous la présidence de François Hollande, l'État a déclaré l'utilité publique de ce projet autoroutier, qui concerne un linéaire de 53 kilomètres sur les 12 000 kilomètres du réseau national, destiné à relier Castres à Verfeil, au nord-est de Toulouse, où la future autoroute se connectera au périphérique via l'A680. Cette décision a permis d'engager les procédures administratives, techniques et foncières nécessaires au lancement du chantier.
Depuis lors, les gouvernements successifs n'ont cessé de confirmer leur engagement en faveur de cette infrastructure, qui a bénéficié de toutes les validations nécessaires. Cette position est partagée par les élus du Tarn, mais également par ceux de la Haute-Garonne, qui mesurent pleinement l'enjeu régional du projet. Aujourd'hui, le Sénat pourrait à son tour exprimer un soutien clair.
Pourtant, le 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a décidé l'annulation de l'autorisation environnementale de l'A69 et de l'A680. Ce jugement a eu pour effet l'arrêt immédiat du chantier, provoquant l'incompréhension d'une majorité d'acteurs locaux et économiques.
Monsieur le ministre, vous avez pris vos responsabilités.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Vous avez fait appel de cette décision devant la cour administrative d'appel de Toulouse, et vous avez demandé la suspension de son exécution afin de permettre une reprise rapide des travaux. L'examen de cette demande interviendra d'ailleurs dans les prochaines semaines.
Pour autant, le temps presse : chaque mois de retard est un mois de désenclavement reporté, un mois de croissance ralentie pour les entreprises locales, un mois d'attente pour les usagers de la route.
Permettez-moi d'avoir une pensée particulière pour mes compatriotes du Maroni, en Guyane, qui attendent depuis des décennies, avec espoir, la réalisation d'une route essentielle qui leur permettra enfin d'accéder plus aisément aux soins, à l'éducation et à une vie quotidienne digne et normale. J'en discuterai du reste avec vous très bientôt, monsieur le ministre, comme je l'ai déjà fait avec vos prédécesseurs.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Face à l'ancienneté du projet qui nous intéresse aujourd'hui, lancé il y a plus de vingt-cinq ans, soutenu par les majorités successives, mais ayant pâti de retards cumulés, ce texte vise à valider directement, par la loi, les arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale de la liaison autoroutière.
Il est notamment proposé de reconnaître la raison impérative d'intérêt public majeur, nécessaire à la réalisation de ces infrastructures. C'est ce que soutiendra notre groupe, j'y insiste.
La situation actuelle est incompréhensible pour nos concitoyens, qui ne peuvent concevoir qu'un projet soutenu de longue date puisse être remis en cause du jour au lendemain. Nous devons en tirer des leçons pour l'avenir en assurant plus de stabilité, de lisibilité et de sécurité juridique aux grands projets d'infrastructure publique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le chantier de l'autoroute A69 reliant Toulouse à Castres est à l'arrêt, à la suite d'une décision de justice. Je tiens d'emblée à rappeler notre attachement à l'État de droit, garant de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice.
M. Ronan Dantec. Très bien !
M. Christian Bilhac. Néanmoins, nous sommes confrontés à une situation qu'il convient de débloquer, car la suspension du chantier coûte chaque jour 180 000 euros à l'État. Si, dans la suite logique de cette suspension, devait être décidée la démolition des ouvrages déjà réalisés à 80 %, le coût pour l'État, c'est-à-dire pour le contribuable, serait bien supérieur à un milliard d'euros. Quel gâchis quand on connaît l'état de nos finances publiques !
M. Pierre Jean Rochette. Parfaitement !
M. Christian Bilhac. D'un côté, cette décision de justice s'appuie sur des conclusions fort négatives et sur une enquête publique qui ne l'est pas moins, puisqu'elle assure que la preuve qu'aucune alternative routière n'était meilleure n'a pas été apportée ; de l'autre, ce projet est soutenu par la quasi-totalité des élus locaux : les parlementaires, la présidente de région, les conseillers départementaux, les maires, etc.
M. Ronan Dantec. Non, pas tous les maires !
M. Christian Bilhac. Dans un tel contexte, il paraît judicieux de favoriser l'aboutissement de ce chantier.
À l'avenir, il conviendra de garantir le droit des citoyens d'intenter un recours en justice, car il s'agit d'un droit fondamental dans notre République, mais il faudra aussi raccourcir les délais des procédures.
Dans un monde en perpétuel mouvement, il est inexplicable qu'il faille attendre trente ans pour mener à bien l'élargissement d'une route nationale en une deux fois deux voies. Rendez-vous compte : la décision d'en faire une autoroute a été prise il y a quinze ans ! Il est inconcevable de continuer ainsi, alors que la Chine réalise ce type d'infrastructures en un mois. Je ne souhaite certes pas que nous adoptions le même fonctionnement que les Chinois, mais il me semble qu'il est possible de trouver un juste milieu entre les deux.
La logique veut que nous terminions ce chantier, car l'impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui engendre un gaspillage d'argent public qui doit cesser, et ce malgré l'erreur qu'a commise l'État d'autoriser le lancement des travaux avant que tous les recours soient purgés.
Le pragmatisme doit en tout cas nous conduire à faire évoluer la loi pour mieux concilier l'impératif de sécurité juridique et les réalités du terrain.
Prenons le cas de l'Hérault. Il y a quelques jours, nous débattions ici du mix énergétique : dans mon département, la moitié de la production éolienne est bloquée à la suite de recours des défenseurs des oiseaux – la moitié !
Autre exemple, le contournement nord de Montpellier, projet lancé également il y a plus de trente ans, ne s'achèvera que dans les deux ou trois ans à venir à cause des dizaines et des dizaines de recours qui ont été intentés ! Et je ne parle même pas du contournement ouest de Montpellier, absolument indispensable, qui est lui aussi suspendu à de possibles recours.
Il y a peu, nous avons aussi débattu du fret ferroviaire, du ferroutage, et tout le monde ici s'est accordé à dire qu'il s'agissait d'une bonne idée.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Exactement !
M. Christian Bilhac. Je suis héraultais, je vois passer des milliers de camions sur l'autoroute A9. Alors, permettez-moi de poser cette question : si l'on décide de mettre en place la liaison ferroviaire entre l'Espagne et Paris, ou le nord-est de la France, combien de temps cela prendra-t-il ? Cinquante ans ? Parce qu'entre la libellule que l'on trouvera à un endroit, le lézard un peu plus loin et la chauve-souris encore ailleurs (Sourires.), le ferroutage ne sera pas mis en œuvre avant au moins trente ans, alors que ce mode de transport est indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger l'environnement.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. C'est le bon sens même !
M. Christian Bilhac. Ceci étant dit, le groupe du RDSE votera majoritairement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Laurent Somon applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Laurent Somon applaudit également.)
Mme Marie-Lise Housseau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a presque trois mois, le 27 février 2025, la décision du tribunal administratif de Toulouse, qui a annulé les autorisations environnementales de l'A69 à dix mois de la mise en service de cette autoroute, qui devait relier Castres à Toulouse, a provoqué un véritable séisme, une onde de choc dans le Tarn et la Haute-Garonne, et, plus largement, dans la France entière.
Car chaque département peut être concerné par un projet d'infrastructure routière, ferroviaire, ou par un équipement plus modeste conçu dans l'intérêt public, et se retrouver sous le coup d'une annulation.
Au-delà du cas particulier de l'A69, au-delà, donc, de la situation inédite à laquelle nous devons faire face aujourd'hui, il me semble que le législateur devra sans tarder se pencher sur l'indispensable conciliation entre protection de l'environnement et sécurisation juridique des grands projets. Des pistes existent, et notre collègue Franck Dhersin n'a pas manqué de les évoquer dans son rapport.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne concerne que l'A69, un projet vieux de trente ans qui a donné lieu à un débat public en 2009-2010, qui a été reconnu d'intérêt public majeur par la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), une reconnaissance confirmée par le Conseil d'État en 2021.
Ce projet n'est pas un caprice : il répond à un réel besoin de désenclavement, de développement économique et de sécurité routière.
M. Philippe Folliot. Tout à fait !
Mme Marie-Lise Housseau. Il est par ailleurs voulu et soutenu par une large majorité de citoyens, d'acteurs économiques et sociaux, de collectivités et d'élus de toutes tendances politiques, de la région Occitanie, présidée par la socialiste Carole Delga, à la communauté d'agglomération Castres-Mazamet et à la métropole de Toulouse, présidées par les divers droite Pascal Bugis et Jean-Luc Moudenc, en passant par le conseil départemental du Tarn, présidé par le socialiste Christophe Ramond, sans oublier de nombreux maires et parlementaires, dont les deux députés du Tarn, Philippe Bonnecarrère et Jean Terlier, qui défendront ce texte à l'Assemblée nationale. Citons également nos collègues de Haute-Garonne Alain Chatillon, Brigitte Micouleau et Pierre Médevielle.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
Mme Marie-Lise Housseau. De plus, le chantier de l'A69 a été préparé collectivement à travers l'élaboration d'un projet de territoire qui a réuni tous les maires riverains, le département et les services de l'État. J'y ai moi-même participé pendant deux ans en tant que maire de Sorèze, un bourg situé à sept kilomètres de l'un des échangeurs de l'autoroute.
Enfin, ce projet est trop avancé pour être arrêté : trop d'argent a été dépensé ; aucun retour à l'état antérieur n'est possible.
La présente proposition de loi vise à valider les arrêtés des préfets du Tarn et de la Haute-Garonne des 1er et 2 mars 2023 portant autorisation environnementale, comme l'a si justement détaillé le rapporteur dans le cadre ses travaux.
Elle remplit les cinq conditions imposées à un texte de validation : le respect des décisions ayant force de chose jugée, le respect du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, une portée de la validation strictement définie, la non-méconnaissance par l'acte validé de règles ou principes de valeur constitutionnelle, et l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général justifiant cette validation.
Si celui-ci est voté, ce texte redonnera espoir aux habitants, aux entreprises et aux élus du bassin de Castres-Mazamet, ancien bassin industriel, qui aspire aujourd'hui à une renaissance autour de nouvelles activités comme la chimie fine, l'agroalimentaire ou le tourisme.
Dans le cas contraire, les dommages seront irrémédiables, sur les plans tant économique que psychologique pour ce département qui se sent humilié, méprisé et nié dans ses choix de développement.
Pensez-vous que, pour attirer de nouvelles entreprises, de nouveaux investisseurs, de jeunes médecins et de nouveaux habitants, un bassin de vie gagne à être désenclavé ?
M. François Bonhomme. Et ce n'est pas le seul !
Mme Marie-Lise Housseau. Pensez-vous qu'une autoroute est moins accidentogène qu'une route nationale bordée de platanes qui traverse des villages ?
Pensez-vous que nous préserverions mieux l'environnement en mettant en œuvre les seize millions d'euros de compensation environnementale, plutôt qu'en abandonnant ce chantier à la friche, après plus de deux ans de travaux ?
Pensez-vous, au vu de l'état désastreux de nos finances publiques, que les sommes nécessaires à l'arrêt définitif de l'A69, probablement plusieurs milliards d'euros, ne pourraient être plus utilement dépensées ?
Enfin, ne pensez-vous pas qu'à l'heure où la défiance de la population à l'égard de nos institutions atteint des sommets, un tel fiasco achèverait de nous décrédibiliser ?
M. Ronan Dantec. Eh si !
Mme Marie-Lise Housseau. C'est parce qu'à toutes ces questions notre groupe Union Centriste répond sans hésitation par l'affirmative qu'il votera avec assurance et détermination pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, et RDSE. – M. Laurent Somon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous la situation de l'A69. Celle-ci constitue un cas d'école et le restera. Les élus s'en souviendront longtemps à ce titre.
Comment un projet validé par l'État, bénéficiaire d'une déclaration d'utilité publique, peut-il finalement se trouver à l'arrêt du fait de l'annulation d'autorisations environnementales qui, dans un premier temps, avaient été accordées ?
Sur le fond, nous aurions préféré, comme notre collègue Christian Bilhac, que la liaison Castres-Toulouse puisse se faire via l'amélioration de la ligne ferroviaire. Le développement de la voiture individuelle comme du transport routier de marchandises est en effet contraire à nos objectifs en matière de réduction d'émissions de CO2. C'est mon côté « développement durable » ! (Sourires.)
Nous comprenons toutefois l'enjeu de désenclavement et l'intérêt économique qu'il y a à réduire la durée du trajet entre Castres et Toulouse, et, partant, à faciliter la liaison entre ces deux communes.
La proposition de loi dont nous débattons ce matin ne vise pas le fond du projet, même si elle reconnaît l'intérêt public majeur de cet axe autoroutier. Et pour cause : les travaux sont aujourd'hui interrompus et les autorisations environnementales annulées, alors que 45 % des terrassements sont déjà réalisés, que 70 % des ouvrages d'art sont construits et que près de 300 millions d'euros ont déjà été engagés.
Une telle situation et la présente proposition de loi, qui vise à y remédier, montrent que nous avons de véritables difficultés à régler : il nous faut en effet soit changer la loi afin de préciser la définition de l'intérêt public majeur et d'adosser sa reconnaissance à la déclaration d'utilité publique, soit ne pas changer la loi et veiller à ce qu'aucun chantier ne démarre avant que tous les recours soient purgés. C'est d'ailleurs ce qui est demandé aux citoyens français lorsqu'ils déposent une demande de permis de construire, car cela permet d'éviter des démolitions et des coûts inutiles.
En ce qui concerne l'A69, on pourrait chercher à savoir à la demande de qui et par qui le démarrage des travaux a été autorisé, alors même que la totalité des recours n'étaient pas purgés.
M. Ronan Dantec. Très bonne question !
M. Jean-Pierre Corbisez. Ce qui est certain, c'est que nous ne devons pas procéder à du cas par cas législatif, ce qui serait non seulement chronophage pour nous, parlementaires, mais aussi, comme l'a souligné notre collègue Philippe Folliot, source d'iniquité entre les projets et entre les territoires.
Mon groupe et moi-même sommes très attachés à la séparation des pouvoirs fondateurs de notre République, ainsi qu'au respect du pouvoir judiciaire, lequel a rendu une décision contre laquelle l'État fait désormais appel. On ne peut pas dire qu'un juge est hors sol…
Si la décision du tribunal administratif peut s'entendre, elle arrive très tardivement et elle risque d'être lourde de conséquences pour les finances publiques, alors même que le projet est déjà bien engagé et que plusieurs collectivités locales – cela a été rappelé – en sont parties prenantes.
Telles sont les raisons pour lesquelles, à titre personnel et comme ma collègue Marie-Claude Varaillas, je voterai cette proposition de loi. Mon groupe, en revanche, votera majoritairement contre, pour les raisons précédemment exposées.
M. Ronan Dantec. Cela me rassure !
M. Jean-Pierre Corbisez. J'appelle toutefois à ne pas poursuivre la fuite en avant.
Le 21 mai prochain, si la cour d'administrative d'appel accorde un sursis à exécution de l'annulation de l'autorisation environnementale et que, dans l'attente de la décision du tribunal au fond, le chantier peut théoriquement reprendre, j'estime qu'il sera malgré tout plus sage d'attendre la décision définitive pour reprendre les travaux, afin de ne pas courir le risque d'un gaspillage supplémentaire d'argent public. Au sein de cette assemblée, qui s'est toujours montrée particulièrement attentive à la dépense publique, il est de notre devoir d'y veiller, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui entend contourner deux décisions de justice en accordant un blanc-seing politique à un projet destructeur, la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
Il arrive que des décisions de justice déplaisent. C'est la vie démocratique. Ce n'est pas un problème, c'est même une preuve de bonne santé.
Aujourd'hui, nous débattons de la frontière entre le législatif et le judiciaire, et de la légitimité d'un Parlement à se substituer aux juges à une semaine de leur prise de décision. Pire, le législateur crée un précédent grave. En tentant d'influencer une cour de justice à quelques jours de son audience, le Gouvernement, lui, perturbe le cours du droit.
Cette proposition de loi répond non pas à une urgence ni même à une nécessité sociale ou environnementale indiscutable, mais à une forme d'entêtement. Surtout, elle fait primer une volonté politique sur l'État de droit, en bafouant le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février 2025.
Les magistrats ont en effet estimé que le projet « ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions du c) de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ». Ces dispositions sont claires : une atteinte aux espèces protégées ne peut être tolérée qu'en présence d'un intérêt économique ou social majeur.
Le juge motive sa décision point par point – aucun critère de dérogation n'est éludé, les critères étant cumulatifs. Je vous en donne lecture, mes chers collègues : « les bénéfices d'ordre social que le projet litigieux est susceptible d'apporter, lesquels sont, somme toute limités, ne sauraient caractériser une raison impérative d'intérêt public majeur » ; « les motifs économiques avancés pour justifier un tel projet ne sauraient caractériser l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur » ; « les motifs de sécurité avancés ne sauraient davantage caractériser l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur ».
M. Franck Dhersin, rapporteur. Plus de vingt morts !
M. Jacques Fernique. Vous avez bien entendu : social, économique, de sécurité. C'est bien plus large, mon cher collègue François Bonhomme, que quelques chiroptères ou autres libellules. (M. François Bonhomme rit.)
Que fait notre rapporteur ? De fait, cher Franck Dhersin, vous balayez d'un revers de la main l'avis du tribunal, et ce sans produire d'analyse environnementale ni d'étude économique détaillée. Vous affirmez sans vraiment démontrer, vous avancez sans vraiment prouver.
À la rigueur juridique du tribunal, vous opposez des justifications politiques vaguement ébauchées, si peu argumentées et à peine assumées.
Et puis, nous découvrons que les mesures de compensation environnementale prendront fin une fois les travaux terminés. C'est un comble ! Autrement dit, on détruit, on compense tant bien que mal et, dès que le bitume est coulé, la nature peut se débrouiller seule. Ce n'est pas seulement inefficace, c'est irresponsable ! Allez donc voir sur le terrain, dans le département dont je suis élu, en Alsace, l'état actuel accablant des compensations du grand contournement ouest de Strasbourg.
Que dire, par ailleurs, de l'argument économique ? Aucune étude sérieuse ne démontre que cette autoroute favorisera le développement durable des territoires traversés.
Alors oui, l'État, censé incarner la puissance publique et la neutralité de la justice, a choisi de commencer les travaux avant même que le recours ne soit purgé. C'est une entorse grave au principe de séparation des pouvoirs. Faut-il vraiment importer le modèle trumpiste de mépris des contre-pouvoirs ? (M. François Bonhomme ironise.)
Quant au coût supposé d'un arrêt des travaux, nous avons encore une fois été mal informés, voire trompés. En réalité, ce projet coûte déjà cher en biodiversité, en argent public, en crédibilité démocratique.
Pourquoi une telle proposition de loi ? Pour gagner quelques mois, selon les mots mêmes des promoteurs du texte. Quelques mois, alors que ce projet est en gestation depuis plus de quinze ans ! C'est un texte à visée occupationnelle pour les politiques que nous sommes et un signal adressé aux partisans de l'autoroute.
Notre époque a fait de la simplification et du détricotage ses mots d'ordre. Vous y ajoutez les atteintes à l'État de droit, mes chers collègues.
En validant cette proposition de loi, vous créez un dangereux précédent. Vous instaurez les conditions pour que, demain, n'importe quel projet contesté en justice puisse passer en force.
Je reviendrai enfin sur le gentleman's agreement en vertu duquel les textes examinés dans le cadre de niches parlementaires sont soit des textes spécifiques dont l'objet, restreint, est relativement consensuel, soit des textes d'affirmation politique qui n'ont pas vocation à aboutir. Or ce texte par lequel vous tentez de contourner la loi n'est ni l'un ni l'autre. C'est une première, quasi historique.
Cette proposition de loi ne pouvant pas relever de notre gentlemen's agreement, nous avons déposé une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi aux implications profondes tant sur les plans économique, financier et juridique que dans le domaine institutionnel.
Il ne s'agit pas ici d'un débat pour ou contre l'A69. Ce n'est pas un débat sur la pertinence ou la non-pertinence d'une infrastructure ni sur la réalité des attentes locales. C'est un débat sur le respect de l'État de droit, sur la place du juge dans notre démocratie et sur les limites qu'impose notre Constitution au pouvoir législatif lui-même.
M. Guy Benarroche. Absolument !
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
M. Hervé Gillé. Ce texte comporte un article unique visant à valider rétroactivement deux arrêtés, l'un interdépartemental, l'autre préfectoral, qui ont été suspendus par le juge administratif en février dernier, au motif que le projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, condition indispensable à toute dérogation au régime de protection des espèces et habitats protégés.
Cette décision du tribunal administratif n'est pas isolée. Elle s'inscrit dans le cadre très clair posé par le code de l'environnement transposant la directive européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive Habitats.
Le droit est clair : lorsqu'un projet porte atteinte à des espèces protégées, trois conditions strictes doivent être réunies pour que l'État puisse accorder une dérogation : l'absence d'alternatives, la préservation de l'état de conservation des espèces et, surtout, la démonstration d'une raison impérative d'intérêt public majeur.
M. Philippe Folliot. C'est ce qu'on a fait !
M. Hervé Gillé. Or le juge – et c'est son rôle – a estimé que cette dernière condition n'était pas remplie en l'espèce, malgré la déclaration d'utilité publique prononcée en 2018, laquelle a été confirmée par le Conseil d'État en 2021.
Le juge a opéré une distinction entre utilité publique et intérêt public majeur, lesquels relèvent de deux procédures différentes. Une telle distinction est conforme au droit.
La présente proposition de loi entend contourner cette décision de justice en validant a posteriori, par la loi, des autorisations administratives devenues illégales. Est-ce le rôle du Parlement de se substituer au juge lorsque l'on n'est pas satisfait d'une décision de justice ? Est-ce notre rôle de créer un précédent en validant rétroactivement un acte administratif suspendu, alors même que des recours sont en cours d'instruction ?
Sauf report éventuel, la cour administrative d'appel de Toulouse devrait se prononcer le 21 mai prochain. Nous verrons bien.
Le calendrier d'examen de cette proposition de loi, présentée en urgence, avant même que la justice ait terminé son travail, envoie un message trouble, celui d'un Parlement qui interviendrait pour sauver un projet juridiquement en difficulté, au mépris du principe de séparation des pouvoirs.
Sur le fond, le texte soulève d'importants risques constitutionnels. Dans une décision du 5 mars dernier, le Conseil constitutionnel a clairement rappelé que l'intérêt public majeur ne peut être reconnu par la loi que pour certains projets spécifiques, notamment les projets relevant de la souveraineté nationale ou de la transition écologique, les projets de production d'énergies renouvelables ou nucléaire ou des projets comme la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Nous en sommes loin ! En tout état de cause, les projets d'infrastructures routières ne relèvent pas de cette catégorie.
Si elle était adoptée, cette proposition de loi pourrait donc être censurée par le Conseil constitutionnel, ce qui créerait encore davantage de confusion juridique, d'incertitude et d'instabilité pour l'ensemble des parties prenantes du projet.
À ceux qui évoquent les coûts de suspension du chantier, les risques d'indemnisation ou encore les inquiétudes économiques, je réponds clairement que ces inquiétudes sont légitimes. Mais ce risque n'a été créé ni par le droit ni par le juge. Il est la conséquence de la décision de commencer les travaux avant l'épuisement des recours. La prudence aurait dû prévaloir. Or la responsabilité d'une telle précipitation ne peut pas être reportée sur le Parlement.
Le Gouvernement devrait du reste être à l'origine de cette initiative. Je tiens à saluer votre position courageuse, monsieur le ministre : vous n'en avez rien fait ! Vous laissez au Parlement le soin de le faire, sans vous positionner. Il faut reconnaître que cela interroge.
M. Hervé Gillé. Au stade où en est ce chantier, un retour en arrière serait lourd de conséquences. Sans doute faudra-t-il donc le poursuivre.
Cette affaire montre la nécessité de réfléchir de manière apaisée et constructive à une amélioration de la sécurité juridique des projets, pour l'ensemble des parties prenantes. Lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, il avait été proposé que la raison impérative d'intérêt public majeur puisse être reconnue plus tôt, dès le stade de la déclaration d'utilité publique, pour éviter que les projets ne soient arrêtés en plein chantier. Ce débat légitime est devant nous. Il nous revient de le rendre possible, mes chers collègues, et ce à plus forte raison que, n'ayant pas défini clairement cette raison impérative d'intérêt public majeur, nous avons laissé au juge le soin d'en apprécier le périmètre. Nous sommes donc les premiers fautifs.
Certains collègues estiment que les juges seraient hors sol. Si l'on me propulsait juge administratif, je serais particulièrement hors sol, car je méconnaîtrais mon sujet ! Les juges administratifs, eux, connaissent leur sujet, et c'est parce que nous n'avons pas défini clairement dans la loi la notion de raison impérative d'intérêt public majeur qu'il leur est revenu d'en apprécier le périmètre !
Plutôt que la présente proposition de loi, monsieur le rapporteur, nous devrions donc examiner une proposition de loi visant à clarifier la notion de raison impérative d'intérêt public majeur et à qualifier les projets qui en relèvent ou non le plus en amont possible, de manière à éviter les recours successifs.
M. Franck Dhersin, rapporteur. C'est ce que nous faisons !
M. Hervé Gillé. En l'occurrence, l'État est responsable, car il a volontairement mobilisé la raison impérative d'intérêt public majeur pour tenter d'accélérer les procédures, ce qui a ouvert la porte à de nouveaux recours et à de nouvelles interprétations juridiques.
Pour toutes ces raisons, le groupe SER, dans sa grande majorité, ne prendra pas part au vote. Si nous pouvons entendre et comprendre les intérêts des parties prenantes à ce projet, nous estimons en effet que toute procédure parlementaire visant à fragiliser l'État de droit est avant tout un signe de fragilité politique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Dantec, Fernique, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse (n° 585, 2024-2025).
La parole est à M. Ronan Dantec, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme Jacques Fernique vient de le rappeler, « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Or nul ne connaît mieux la Constitution qu'un sénateur, puisque celui-ci fait toujours sienne la phrase que le président Larcher aime à rappeler, selon laquelle « il ne faut toucher à la Constitution que d'une main tremblante » !
Je ne sais pas si la main des auteurs de cette proposition de loi a tremblé au moment de l'écrire ou de la déposer. Il me paraît qu'à tout le moins ils ne devaient pas avoir en tête l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui est le socle de la Constitution de 1958, comme cela est précisé dans la première phrase de son préambule.
Comme l'indiquait Hervé Gillé, la question qui nous est posée ce matin n'est pas la suivante : « Êtes-vous pour ou contre le doublement de la route existante entre Toulouse et Castres par une autoroute payante ? » Mais bien celle-ci : « Sommes-nous respectueux des principes mêmes de la Constitution ? »
En toute liberté, et de manière très étayée dans son délibéré, le tribunal administratif de Toulouse a considéré, par deux jugements en date du 27 février 2025, que deux projets, parmi lesquels la création d'un axe autoroutier entre Castres et Toulouse, ne répondaient pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, telle que la loi la définit, et a donc annulé les deux autorisations environnementales de ces projets.
Pour étayer sa décision de ne pas retenir la qualification de raison impérative d'intérêt public majeur – on ne le souligne pas suffisamment –, le tribunal administratif s'est référé à la définition des infrastructures prioritaires introduite par la proposition de loi sénatoriale visant à faciliter le désenclavement des territoires, votée à la quasi-unanimité par le Sénat en 2019, qui précise qu'« aucune partie du territoire français métropolitain continental [ne doit être] située soit à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile d'une unité urbaine de 1 500 à 5 000 emplois, d'une autoroute ou d'une route aménagée pour permettre la circulation rapide des véhicules ».
Castres étant, selon Waze, à 48 kilomètres de l'A68, et une vitesse de 63 kilomètres par heure étant aujourd'hui accessible à la plupart des véhicules, cette liaison ne satisfait donc pas aux critères d'une infrastructure prioritaire tels que le Sénat les avait définis.
Je ne doute pas que, pour forger leur conviction, les juges du tribunal administratif ont tenu compte de cette définition, par laquelle, un an après la déclaration d'utilité publique de 2018, les sénateurs, dans leur sagesse légendaire et à la quasi-unanimité, ont exclu la liaison Castres-Toulouse du périmètre des infrastructures prioritaires. De nombreux sénateurs d'Occitanie – je dispose de la liste – défendaient alors ce texte.
Aussi, il paraît délicat d'affirmer aujourd'hui que le Sénat doit inscrire dans la loi que ce projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, quand un grand nombre de sénateurs, dont certains soutiennent aujourd'hui la présente proposition de loi, pensaient l'inverse six ans plus tôt.
Pensez-vous vraiment que, dans de telles conditions, le Conseil constitutionnel jugera qu'il s'agit finalement d'un motif d'intérêt général impérieux, mes chers collègues ? Je ne crois pas, du reste, que ce caractère impérieux ait été justifié à ce stade – je crois même que le mot n'a pas encore été prononcé –, mais je ne doute pas que notre collègue Rochette le fera dans un instant. J'attends son intervention avec intérêt.
M. Pierre Jean Rochette. Oui, j'arrive !
M. Ronan Dantec. Nous ne sommes qu'au début d'un festival de trouvailles législatives à faire sursauter dans leur tombe les pères de la Constitution et à faire saliver d'envie tous les avocats spécialistes du droit constitutionnel.
Prenez par exemple l'utilisation de la loi de validation pour tenter d'effacer des tablettes la décision du tribunal administratif, mes chers collègues.
Historiquement, une loi de validation a pour objet de prévenir l'annulation, par le juge administratif, de certaines décisions entachées d'un vice de forme mineur, et, donc, d'éviter une annulation aux conséquences disproportionnées. En l'occurrence, nous avons passé le stade de la prévention…
On détourne donc le principe même de la loi de validation en intervenant après la première décision du tribunal administratif, sur un sujet qui – ce n'est rien de le dire – ne fait pas consensus.
De nombreux maires du territoire – j'en ai aussi la liste – ont toujours manifesté leur refus de ce projet. C'est un dossier qui divise politiquement, nous le savons. Utiliser une loi de validation, prévue par le législateur comme un texte consensuel pour régler des difficultés spécifiques, crée de manière évidente un très grave précédent.
Cela veut-il dire, monsieur le rapporteur – votre avis nous intéresse –, que, dès qu'un projet sera annulé par le tribunal, le Parlement déposera aussitôt une loi de validation ? On voit bien la fuite en avant qui se profile et l'engorgement du Parlement qui s'ensuivra.
Ce n'est pas sérieux, mes chers collègues.
Monsieur le rapporteur, sur quelles lois de validation de même importance vous êtes-vous appuyé pour considérer qu'il ne s'agissait pas, en l'espèce, d'un détournement du principe même des lois de validation, lequel est pourtant clairement précisé par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 14 février 2014 ?
De plus, et surtout, une loi de validation doit, par principe, respecter la Constitution, notamment l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et, partant, le principe de séparation des pouvoirs. Telle est à mes yeux la question majeure : intervenir, à quelques jours d'une décision de justice, par une loi de rectification d'urgence, n'est-il pas constitutif d'une grave remise en cause du principe socle de l'article 16 de notre loi fondamentale ?
Dois-je rappeler, par ailleurs, que l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice ?
Il ne manquerait plus qu'un sénateur prétende que les juges administratifs sont hors sol ! (Sourires.) Heureusement, personne n'a rien dit…
Ces questions nous taraudent, mes chers collègues, et nous aurions pu interroger le rapporteur sur les sentiments que suscitait chez lui cette urgence à convoquer le Parlement, mais ce n'est plus nécessaire, car il nous a déjà répondu.
En proposant, par l'amendement n° 4, d'introduire les termes « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée », M. le rapporteur, que je salue, nous a déjà répondu que, face au méga-problème qui se présente à lui, il tente de colmater la brèche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. François Bonhomme. C'est du mauvais esprit !
M. Loïc Hervé. Ce n'est pas le cas !
M. Ronan Dantec. Des esprits mal intentionnés pourraient voir, dans une telle proposition, une forme de fébrilité, voire de bricolage législatif, mais, pour ma part, j'estime que votre honnêteté vous honore, et je vous en remercie, monsieur le rapporteur. (Sourires.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Je ne me prends pas pour un juge constitutionnel, moi !
M. Ronan Dantec. Certains opposants à l'A69 m'en voudront peut-être de lancer l'alerte de la sorte. En tout état de cause, chers défenseurs de cette autoroute payante, si vous voulez éviter d'alerter le Conseil constitutionnel pour rien, ne mettez pas vous-mêmes des phrases d'excuse dans le texte. C'est un peu comme si Maradona, après avoir éliminé l'Angleterre d'un but de la main, était allé voir l'arbitre pour lui dire : « Tu as vu ? J'ai triché, mais c'est la main de Dieu ! » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Loïc Hervé. C'est clair !
M. Ronan Dantec. Je ne suis pas certain que la cour administrative d'appel aujourd'hui et, demain, le Conseil constitutionnel, apprécieront l'intervention de la main, même tremblante, du Sénat. Vous me pardonnerez cette métaphore footballistique, qui, sur ce projet situé en pays de rugby, n'était sans doute pas du meilleur goût, mes chers collègues ! (Sourires.)
Voulez-vous d'autres arguments juridiques ? Savez-vous par exemple que le Conseil constitutionnel refuse les lois de validation totale ? Si la cour d'appel voulait se montrer chafouine après cette intervention du pouvoir politique – qui n'a, heureusement, pas qualifié sa décision d'ubuesque (Sourires.) –, pourrait donc évoquer d'autres motifs pour maintenir l'annulation de l'autorisation environnementale. J'espère que l'on vous a informés de cette petite difficulté supplémentaire, mes chers collègues.
Comme il me reste un peu de temps, je ferai enfin un peu de publicité pour le bassin économique de Castres-Mazamet. (Sourires.)
Je citerai tout d'abord le document de référence que constitue le jugement du tribunal administratif : « le bassin de Castres-Mazamet ne saurait être qualifié, sur le plan du dynamisme démographique, comme étant en situation de décrochage. […] Si le bassin de Castres-Mazamet est le seul de cette importance à ne pas être relié à la métropole toulousaine par une infrastructure de type autoroutière, il résulte de l'instruction qu'il dispose de tous les services des gammes de proximité et intermédiaire, d'un centre hospitalier, de formations primaires à universitaires, d'équipements de tourisme, d'hypermarchés, de laboratoire de recherches, notamment, qui lui permettent une certaine autonomie. […] Dans ces conditions, le bassin de Castres-Mazamet dispose de services et d'équipements de qualité, qui, s'ils ne sont pas du niveau de ceux offerts au sein de la métropole toulousaine, ne sont toutefois pas, sur un plan qualitatif, significativement moindres. »
Sans la campagne de dénigrement systématique orchestrée par les partisans de l'autoroute A69 dont ce bassin d'emploi fait l'objet, on aurait presque envie d'y vivre ! Mais il faut dire qu'avec autant de promoteurs, ce territoire n'a pas besoin d'ennemis ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Folliot. C'est scandaleux !
M. Ronan Dantec. Bien que seule une route départementale aussi peu goudronnée que les ribines des courses cyclistes du Tro Bro Leon relie Castres à la civilisation toulousaine, il ne semble pas, au vu des chiffres de l'Insee, que cette commune soit en situation d'effondrement économique et démographique. Nous voilà donc rassurés !
M. Philippe Folliot. Quelle honte !
M. Ronan Dantec. En bref, en rejetant tout de suite ce texte dangereux et mal ficelé, nous gagnerons du temps, de l'énergie et de la sérénité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, contre la motion.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien entendu, je m'opposerai à cette motion déposée par les sénateurs du groupe écologiste, et, pour ce faire, je répondrai de manière très factuelle, en quatre points, aux arguments avancés par ses auteurs.
Ces derniers affirment premièrement que, par cette proposition de loi, il serait procédé à un détournement de la fonction des lois de validation, lesquelles ne viseraient en principe que des motifs d'annulation de minime importance, tels que des vices de forme.
Si, traditionnellement, les lois de validation ont en effet été fréquemment utilisées pour prévenir des annulations résultant de vices de procédure, il est tout à fait admis qu'elles puissent porter sur des motifs de fond. La jurisprudence du Conseil constitutionnel compte d'ailleurs de nombreux exemples de cet usage des lois de validation, y compris en matière de projets d'infrastructures.
Une disposition de validation relative à la déclaration d'utilité publique du projet de tramway de Strasbourg avait par exemple été adoptée dans la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Le juge administratif avait alors prononcé l'annulation de cette déclaration d'utilité publique pour des motifs tenant notamment aux insuffisances pointées dans le travail de la commission d'enquête publique.
S'agissant du motif d'intérêt général devant justifier l'intervention du législateur, il va de soi que le juge constitutionnel examine avec une exigence renforcée les dispositions de validation relatives à des motifs de fond. J'y reviendrai ultérieurement, mais il me semble qu'en l'espèce la robustesse de ces motifs est bien démontrée.
De manière plus générale, le recours à des lois de validation est une pratique courante qui permet, dans certains cas particuliers et à condition de respecter strictement les exigences fixées par la Constitution, de conforter la sécurité juridique de situations déjà constituées et de prévenir les conséquences dommageables d'annulations contentieuses.
Le deuxième argument des auteurs de la présente motion a trait à l'articulation de cette proposition de loi avec la procédure juridictionnelle en cours.
Le texte proposé n'a nullement pour but d'influer ou de faire pression sur le dénouement du litige devant le juge d'appel, comme le soutiennent les auteurs de la motion, que ce soit au fond ou dans le cadre du sursis à exécution sollicité par l'État.
Comme cela a été rappelé, le législateur ne saurait substituer son analyse à celle du juge d'appel, et j'estime qu'il est en l'occurrence pleinement dans son rôle, puisqu'il s'efforce de prévenir la mise en péril d'un intérêt public majeur en cas d'arrêt définitif du projet d'A69, d'une part, et de concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement et le développement économique et le progrès social, d'autre part.
La réalisation du projet d'A69 s'inscrit en outre pleinement dans le cadre fixé par le législateur dans la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM).
J'ajoute que si la disposition en cause neutralise le motif tiré de l'absence présumée de raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) du projet d'autoroute A69, l'autorisation préfectorale dont il fait l'objet demeure attaquable devant le juge administratif pour tout autre motif, y compris les deux autres conditions exigées par le code de l'environnement au titre de la dérogation « espèces protégées ». Le contrôle juridictionnel de l'acte validé demeure donc possible, comme l'exige la jurisprudence constitutionnelle.
Enfin, le Conseil constitutionnel n'interprète pas le principe de séparation des pouvoirs comme proscrivant par principe le recours à des lois de validation lorsqu'une annulation a été prononcée en première instance. En effet, sa jurisprudence est constante : ce principe interdit au législateur de remettre en cause des décisions de justice ayant force de chose jugée. Or ce n'est pas le cas de cette proposition de loi.
Je reviens à la décision du Conseil constitutionnel relative au chantier du tramway de Strasbourg : la disposition en cause a finalement été censurée au motif que sa portée était trop large et que les motifs d'intérêt général invoqués étaient insuffisants, et non pas parce qu'une procédure d'appel était pendante.
Troisièmement, comme le soulignent les auteurs de la motion, seuls d'« impérieux motifs d'intérêt général » peuvent justifier le recours à une loi de validation. Or, en l'espèce, ces motifs sont bien démontrés, tant du point de vue des bénéfices attendus du projet qu'au regard des conséquences dramatiques qu'emporterait son abandon définitif pour l'intérêt général.
Ces motifs sont avant tout d'ordre démographique. Nous ne sommes pas tous d'accord sur la question, mais, pour ma part, j'ai plutôt tendance à croire les sénateurs qui vivent sur le territoire concerné.
M. Philippe Folliot. Merci !
M. Pierre Jean Rochette. Le chantier de l'autoroute A69 est un projet structurant. Il répond à un objectif de développement équilibré et de désenclavement du sud du Tarn et produira des effets bénéfiques sur le long terme.
Le phénomène de métropolisation est connu : les métropoles telles que Toulouse exercent une forte attraction. Les territoires dits périphériques ont donc besoin de leur être raccordés.
Comme l'a souligné le rapporteur, le sud du Tarn est lésé par le manque de fiabilité et de rapidité des infrastructures de transports desservant actuellement Toulouse. Il faut une heure dix pour rejoindre la capitale régionale en voiture depuis Castres via la RN 126. Certains prétendent réaliser ce trajet beaucoup plus vite ; je les invite à respecter les limitations de vitesse – et je sais de quoi je parle ! (Sourires.)
Ce temps de trajet place la population de Castres à l'écart des grands équipements toulousains. Il en résulte un décrochage démographique du bassin de Castres-Mazamet, qui ne s'observe pas dans les autres pôles de cette région, notamment Albi, Montauban et Gaillac, lesquels disposent de solutions de mobilité fiables et régulières depuis et vers la métropole. (M. Philippe Folliot surenchérit.)
Naturellement, les entreprises et les établissements publics de Castres-Mazamet pâtissent également de cet enclavement, qui engendre d'importantes difficultés de recrutement. Chacun sait que les problèmes de mobilité sont un frein à l'emploi.
Comme l'a rappelé un précédent orateur, le projet d'A69 répond également à des impératifs de sécurité : entre 2021 et 2024, dix-huit accidents ont causé la mort de six personnes sur la RN 126. Je rappelle que 60 % des accidents de la route ont lieu sur le réseau hors agglomération. Seuls 8 % des accidents interviennent sur les autoroutes, qui sont plus sécurisées et plus sécurisantes.
Mes chers collègues, les conséquences d'un arrêt définitif du chantier de l'A69 seraient dramatiques à la fois pour le territoire de Castres-Mazamet et pour les pouvoirs publics. L'indemnisation d'Atosca s'élèverait à 500 millions d'euros. J'espère que nous n'aboutirons pas à cette extrémité, mais le coût total d'un tel arrêt pourrait ainsi atteindre le milliard d'euros. Dans le contexte actuel, je vois mal comment nous pourrions justifier auprès de nos concitoyens que nous nous apprêtons à dilapider une telle somme pour mettre fin à un projet qui est déjà réalisé à plus de 80 %… (M. Thomas Dossus s'exclame.)
Au-delà de ses répercussions sur nos deniers publics, un arrêt de ce projet aurait des conséquences socioéconomiques très préjudiciables. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Écoutez-moi, mes chers collègues, il y a des choses intéressantes !
M. Ronan Dantec. Enfin ! (Sourires.)
M. Pierre Jean Rochette. Le territoire de Castres-Mazamet se prépare à accueillir cette infrastructure depuis des années. Je rappelle que ce projet répond à une demande des élus locaux et que ce n'est pas une décision parisienne… Les acteurs du territoire, publics comme privés, ont lourdement investi en conséquence.
Pour les acteurs économiques qui misaient sur l'amélioration de la connexion avec Toulouse, l'arrêt du chantier constituerait une véritable perte de chances, a fortiori à seulement quelques mois de son achèvement. Cela fragiliserait l'attractivité économique du territoire ; surtout, cela remettrait en cause le maintien du tissu économique existant. En effet, il est malheureusement prévisible que de nombreuses entreprises quitteraient Castres-Mazamet au profit de territoires voisins mieux desservis.
Quatrièmement, la reconnaissance par la loi de la raison impérative d'intérêt public majeur à laquelle répond un projet n'est pas inédite : le législateur a déjà adopté ce type de disposition en 2023 dans le cadre de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et dans celui de la loi relative à l'industrie verte.
Dans sa décision du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel a admis la possibilité de reconnaître la raison impérative d'intérêt public majeur indépendamment de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, dans la mesure où la réduction de l'incertitude juridique pesant sur certains projets constitue « un objectif d'intérêt général » et où cette reconnaissance ne concerne que des projets précisément identifiés et revêtant une importance particulière.
En l'espèce, ces critères semblent bien respectés : il s'agit d'une mesure ciblée, qui vise à préserver un projet d'importance nationale, que ce soit par sa nature, par ses dimensions ou par les enjeux qu'il revêt pour l'aménagement du territoire.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je vous invite à rejeter massivement cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, ce qui nous permettra de poursuivre l'examen de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Mes chers collègues écologistes, en défendant cette motion, vous souhaitez mettre fin à l'examen de cette proposition de loi. (Marques d'approbation sur les travées du groupe GEST.) Jusqu'ici, je suis sûr d'avoir tout bien compris.
Comme l'a très justement rappelé notre collègue Pierre Jean Rochette , ce texte ne constitue pas un détournement de la pratique des lois de validation et, contrairement à ce que vous indiquez, il ne vise pas à faire pression sur le dénouement judiciaire de l'appel et de la demande de sursis à exécution qui sont en cours.
Vous nous accusez de nous prendre pour le juge administratif ; tâchez de ne pas vous prendre pour le juge constitutionnel ! Les lois de validation ne sont pas une entorse à l'État de droit. Cette pratique est à la fois reconnue par le Conseil constitutionnel et rigoureusement encadrée par sa jurisprudence, et ce depuis 1980 !
Le juge constitutionnel a défini cinq conditions, sur lesquelles je ne reviendrai pas, pour apprécier la conformité d'une loi de validation à la Constitution.
M. Ronan Dantec. Justement, revenez-y, car il y a un sujet !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Or il me semble, comme l'expose le rapport de la commission, que ces cinq conditions sont bien respectées en l'espèce.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Il nous appartient, en tant que législateurs, de répondre à un double impératif. D'une part, nous nous devons d'améliorer, grâce à l'A69, la desserte du bassin de Castres-Mazamet depuis Toulouse dans un objectif d'équité territoriale. « Équité territoriale » : ces mots ont-ils un sens pour vous ? D'autre part, il nous faut éviter le préjudice pour l'intérêt général d'une mise à l'arrêt définitive de ce chantier de grande ampleur, qui était très proche d'être achevé et pour lequel des moyens considérables ont déjà été engagés.
La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Tabarot, ministre. En plus de donner mon avis sur cette motion, je répondrai à quelques points soulevés lors de la discussion générale.
Tout d'abord, je tiens à souligner la compétence de mes anciens collègues auteurs de ce texte, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, qui connaissent très bien le droit et qui sont compétents sur ces questions.
M. Thomas Dossus. Et nous non ?
M. Philippe Tabarot, ministre. De même, les députés Jean Terlier et Philippe Bonnecarrère, qui défendront le texte à l'Assemblée nationale, sont des juristes reconnus. Je tiens à rappeler que ce dernier était reconnu comme une figure importante de la commission des lois du Sénat et l'un des meilleurs juristes de cette assemblée jusqu'à récemment. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. Philippe Tabarot, ministre. Ensuite, si nous devions attendre la fin de tous les recours pour engager un chantier, la situation deviendrait impossible : les gens en déposeraient en permanence et l'autorisation environnementale deviendrait caduque avant que le Conseil d'État n'ait pris l'ultime décision au bout de plusieurs années. En l'occurrence, les habitants du sud du Tarn attendent l'autoroute depuis trente ans !
Monsieur Dantec, je ne veux pas croire que nos débats soient de nature à influencer les magistrats de la cour administrative d'appel de Toulouse.
M. Guy Benarroche. On tente de les influencer !
M. Ronan Dantec. Bien sûr…
M. Philippe Tabarot, ministre. Je précise qu'hier le rapporteur public du Conseil d'État a demandé de rejeter l'une des autres nombreuses requêtes des opposants au projet d'A69 qui concerne notamment la durée de la concession.
Monsieur Gillé, il est assez extraordinaire de vous entendre m'accuser de ne pas me positionner sur le sujet, alors que votre groupe ne prendra pas part au vote ! (Rires sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Daniel Gueret. Bravo !
M. Philippe Tabarot, ministre. Du reste, nous ne parvenons toujours pas à comprendre votre position sur le fond du projet.
M. François Bonhomme. On est perdus ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Tabarot, ministre. De Faure à Delga et de Delga à Faure, il ne faudrait pas que d'autres considérations viennent troubler votre positionnement sur le sujet…
Je suis en revanche d'accord avec vous sur un point : le législateur n'a pas été suffisamment clair sur la définition de la raison impérative d'intérêt public majeur. Le Gouvernement tâchera de clarifier les choses lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de simplification de la vie économique.
Si la décision du 27 février dernier n'est pas ubuesque, la situation qu'elle a créée l'est bel et bien. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Varaillas. Mon collègue Jean-Pierre Corbisez ayant indiqué que je voterai pour cette proposition de loi, il me semble important d'apporter quelques explications.
La juridiction administrative a déjà annulé à plusieurs reprises une décision administrative nécessaire à la réalisation de travaux d'infrastructure. Toutefois, ces décisions sont généralement intervenues alors que le projet en était au stade de la déclaration d'utilité publique, et rarement au moment où les travaux sont sur le point de s'achever, comme c'est le cas de l'A69.
Ce dossier me remémore bien sûr l'annulation par la cour d'appel de Bordeaux de l'arrêté de la préfète de la Dordogne autorisant la réalisation des travaux d'aménagement du contournement du village de Beynac-et-Cazenac, sur le territoire des communes de Castelnaud-la-Chapelle, Vésac et Saint-Vincent-de-Cosse, arrêté qui avait pourtant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique.
La cour avait alors enjoint au département de la Dordogne de procéder à la démolition des travaux déjà réalisés et de remettre les lieux en état. Les coûts de ces opérations ont été respectivement évalués à 40 millions d'euros et à plus de 20 millions d'euros. (MM. François Bonhomme, Philippe Folliot et Laurent Somon renchérissent.)
Comme vous, mes chers collègues, je suis très attachée à la séparation des pouvoirs. Ce fut mon métier toute ma vie. Mais je pense que nous avons le devoir de faire évoluer la loi, car, derrière ces situations quelque peu inédites, il y a l'argent des contribuables. Or, dans un contexte plus que contraint, nous sommes comptables des derniers publics.
M. Philippe Folliot. Très juste !
Mme Marie-Claude Varaillas. Alors que des chantiers en cours ont dû être arrêtés, il devient évident que la raison impérative d'intérêt public majeur doit intervenir plus tôt dans la vie des projets et, en tout état de cause, avant le lancement des travaux. De plus, les critères d'application de cette notion issue du droit européen n'ont pas été suffisamment précisés pour encadrer la décision du juge.
Enfin, je ne doute absolument pas de la nécessité de réduire l'artificialisation des sols pour préserver, notamment, l'agriculture – et je m'y emploie. Toutefois, nos départements ruraux sont amenés à résoudre des problèmes de sécurité routière, ce qui implique des déviations. C'est ce qui s'est passé pour Beynac-et-Cazenac, qui fut, en son temps, classé « plus beau village de France »…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Claude Varaillas. Par ailleurs, ils doivent se projeter en matière de développement économique, sauf à ce que nous considérions qu'ils soient condamnés à n'être rien de plus que le poumon des métropoles.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Marie-Claude Varaillas. Ces territoires ruraux, qui sont en première ligne pour engager la transition écologique, entendent légitimement rester innovants et attractifs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gueret, pour explication de vote.
M. Daniel Gueret. La présente proposition de loi vise à reconnaître clairement la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) du projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, après l'annulation par le tribunal administratif de Toulouse des autorisations environnementales délivrées.
Cette annulation, fondée sur l'absence de RIIPM, a brutalement interrompu un chantier dont 60 % des travaux étaient déjà réalisés, pour un investissement de près de 300 millions d'euros.
Pourtant, compte tenu de la nécessité d'améliorer l'accessibilité et la sécurité routière de ce bassin, mais aussi de renforcer l'attractivité économique du sud du Tarn, ce projet a fait l'objet d'un soutien massif et constant des collectivités locales, des acteurs économiques et de la population.
Ce texte vise non pas à contourner le droit, mais à remédier à une insécurité juridique qui met en péril un projet d'intérêt général dont le Conseil d'État a déclaré l'utilité publique et la loi d'orientation des mobilités (LOM) a reconnu le caractère prioritaire. Il s'agit de garantir la cohérence de l'action publique et de respecter la volonté démocratique qui s'est exprimée localement par le biais de nombreux votes et marques de soutiens.
Enfin, refuser d'examiner ce texte, ce serait ignorer des enjeux de désenclavement, de développement territorial et de sécurité routière qui concernent directement des milliers d'habitants et d'entreprises de la région Occitanie.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Daniel Gueret. Il n'est nullement question de nier les enjeux environnementaux, mais il importe de trouver un équilibre entre la protection de la biodiversité et la nécessité de répondre à l'intérêt général dans un cadre légal et transparent.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Nous appelons à un débat parlementaire serein et responsable sur le fond de ce texte essentiel pour l'avenir des territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Tout d'abord, je tiens à m'adresser aux sénateurs du territoire concerné par le chantier de l'A69 : si vous ne voulez pas de l'avis des parlementaires issus des grandes métropoles, ne présentez pas de proposition de loi devant le Parlement ! Nous sommes des élus nationaux, et il est normal que nous défendions notre position sur les textes qui nous sont soumis.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas détaillé les cinq critères qui justifient une loi de validation, et pour cause : vous ne le pouvez pas, car ce texte ne les remplit pas !
Mes chers collègues, vous n'avez eu de cesse de nous appeler à faire preuve de crédibilité. Mais comment être crédibles en tant que parlementaires en piétinant aussi radicalement la séparation des pouvoirs ? Comment être crédibles en lançant de si coûteux travaux sans attendre que les recours soient purgés ? Le fait accompli n'est pas une politique crédible !
Par ailleurs, les conséquences financières que vous répétez vouloir éviter sont le fait des promoteurs qui ont lancé ce chantier à marche forcée.
Enfin, nous vous entendons régulièrement regretter l'affaissement de l'autorité et sa remise en cause permanente dans notre société. Pourtant, en tenant, en tant que législateurs, des propos extrêmement durs envers les juges, vous affaiblissez gravement la parole politique, l'État de droit et la République.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour explication de vote.
M. Serge Mérillou. Ce texte dépasse le seul projet d'infrastructure autoroutière qui nous intéresse aujourd'hui. Il cristallise un difficile équilibre entre deux exigences fondamentales de notre République : d'un côté, la justice environnementale ; de l'autre, le respect de la parole des élus locaux, la continuité de l'action publique et la reconnaissance des territoires ruraux comme parties prenantes du destin national. Ces deux impératifs ont pour dénominateur commun le respect de l'état de droit.
La notion de raison impérative d'intérêt public majeur, issue de la directive européenne dite Habitats, nous invite à assurer cet équilibre. Il ne s'agit pas d'opposer les défenseurs de l'environnement aux élus de terrain comme s'ils représentaient deux France inconciliables. Il s'agit de trouver le point d'équilibre, celui où la République tient parole et tient ensemble.
Dans bien des territoires – comme, Marie-Claude Varaillas l'a rappelé, à Beynac-et-Cazenac, en Dordogne –, l'incompréhension est forte. Il s'y propage la lourde impression que tout projet d'infrastructure d'ampleur et ses millions d'euros d'investissement sont voués à des contentieux intarissables, systématiquement défavorables et sans égard pour les habitants ni pour ceux qui les représentent. Ce sentiment d'abandon nourrit la défiance et creuse le lit des populismes.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !
M. Serge Mérillou. Oui, ce texte peut en effet apparaître comme le dernier sursaut d'une République qui aménage ses territoires plutôt que de les figer. À nous de faire en sorte qu'il ne soit pas un simple baroud d'honneur et qu'il envoie un signal à ceux que nous n'avons pas le droit d'oublier ! À nous de modifier la loi – c'est notre mission ! – et de préciser et d'encadrer cette notion de raison impérative d'intérêt public majeur pour ne pas la laisser à la seule appréciation du juge.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Serge Mérillou. « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu'elle est juste. » Vous l'aurez compris, cette phrase n'est pas de moi, elle est de Montesquieu.
Je voterai en faveur de la proposition de loi, mais je ne prendrai pas part au vote sur cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Monsieur Dossus, vous n'avez manifestement pas lu le rapport, car toutes les réponses à votre question s'y trouvent.
Monsieur Dantec, vous êtes président depuis 2019 du mouvement politique Ensemble sur nos territoires, dont l'un des principaux objectifs est de « s'appuyer sur les dynamiques territoriales et les élus locaux, socle de notre démocratie ». Les élus du Tarn apprécieront… (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Ronan Dantec. Quel rapport ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. En février 2015, le journal Libération vous a consacré un portrait dans lequel vous déclariez que « le monde entier ne pense pas comme Paris ou Nantes », et qu'il fallait « savoir écouter ce que disent les autres » territoires. « Moi, je suis plutôt dans la position du médiateur », affirmiez-vous également.
M. Ronan Dantec. C'est ce que je fais !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Dommage que vous ne jouiez pas ce rôle aujourd'hui !
Le 18 décembre 2024, devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese), vous déploriez le fait que l'« on ne [faisait] pas confiance aux territoires sur leur capacité à mettre en cohérence l'ensemble de leurs politiques publiques ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Aïe aïe aïe !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Vous concluiez de la sorte : « On sent la volonté de fliquer les territoires. » (Oh ! sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Je regrette que vous n'agissiez pas en conséquence.
Monsieur Fernique, onze morts et cent vingt blessés, ce n'est pas rien ! Par ailleurs, je rappelle que quatorze juges ont validé ce projet d'A69. Un seul a dit non !
Monsieur Gillé, on sent le PS pour le moins gêné aux entournures. Est-ce le rôle du Parlement de légiférer ? Bien évidemment ! Le temps de la contestation contre les projets est permanent. En ce qui nous concerne, notre main n'a pas tremblé ; en revanche, la langue du PS semble quelque peu liée… (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Mes chers collègues, gardons les pieds sur terre et posons-nous les bonnes questions.
J'ai la chance d'être le sénateur d'un territoire bien desservi, par des lignes à grande vitesse et par une autoroute.
Moi qui bénéficie d'infrastructures qui fonctionnent correctement, de quel droit me permettrais-je de dire à des élus de territoires mal desservis que je ne suis pas d'accord avec eux ? De quel droit me permettrais-je de leur dire qu'ils n'ont qu'à se débrouiller ? De quel droit me permettrais-je de leur dire, en égoïste que je suis, que je n'ai aucun problème pour me déplacer et qu'ils auront beau pleurer, cela ne changera rien ? De quel droit me permettrais-je de leur dire que si leur économie va mal et que leurs habitants quittent les territoires, eh bien, ma foi, ce n'est pas très grave ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. C'est l'inverse !
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je vous prie de me laisser parler ! Je n'ai interrompu personne !
Au-delà de la question juridique que nous essayons de traiter, la commission que je préside s'intitule « commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ». Si nous voulons mettre fin à la méfiance de nos concitoyens à notre encontre, nous devons être capables d'aménager nos territoires tout en respectant l'environnement.
Je ne peux pas concevoir que l'on nous demande d'ajouter des délais aux délais. J'entends beaucoup d'entre vous déplorer le fait que certains maires de leur circonscription ont mis deux mandats pour réaliser un simple projet. Je ne dis pas que nous devons aller aussi vite que la Chine, mais entre la vitesse de la Chine et la lenteur dont nous faisons preuve, il y a de la marge !
Aujourd'hui, nous mettons tout en œuvre pour que rien n'avance. Nous avons certes adopté un projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, mais j'ai le sentiment que nous nous sommes trompés de pédale et que nous sommes en train d'appuyer sur la pédale de frein ! Tout est caution à ce que l'on ne fasse rien et que l'on n'avance plus dans ce pays. Et cela, je le regrette franchement ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 280 :
Nombre de votants | 276 |
Nombre de suffrages exprimés | 276 |
Pour l'adoption | 32 |
Contre | 244 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission
proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre castres et toulouse
Article unique
Sont validés l'arrêté interdépartemental des préfets de la Haute-Garonne et du Tarn du 1er mars 2023 portant autorisation au titre de l'article L. 181-1 et suivants du code de l'environnement concernant la liaison autoroutière de Verfeil à Castres – A69 et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 2 mars 2023 portant autorisation environnementale au titre de l'article L. 181-1 du code de l'environnement de mise à 2x2 voies de l'A680 entre Castelmaurou et Verfeil en tant qu'ils reconnaissent une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, au projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Dantec, Fernique, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Au vu de la faiblesse des arguments qui ont été opposés à notre motion sur le fond, cet amendement de suppression de l'article unique me semble d'autant plus justifié.
Contrairement à ce qu'a affirmé le rapporteur, aucune analyse n'étaye le fait que les critères établis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel seraient remplis.
Par ailleurs, vous êtes nombreux à avoir argué du motif économique. Le rapporteur ayant omis de le faire, je vous signale que ce motif n'est pas considéré comme un motif impérieux par le Conseil constitutionnel…
Notre collègue Rochette a beau dire que le projet de tramway de Strasbourg a été annulé pour un vice de forme, c'est la première fois qu'une proposition de loi de validation se positionne sur le fond et non sur un vice de procédure. Nous sommes totalement en dehors des clous !
Le débat a démontré la faiblesse insigne de l'argumentaire juridique justifiant cette proposition de loi. De ce point de vue, le Sénat a fait son œuvre en éclairant le débat public et en soulignant le peu d'arguments juridiques qui nous étaient opposés.
En outre, le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur des questions environnementales. Il a considéré que ce projet n'était pas viable, car il aurait mieux valu améliorer la route actuelle qu'en construire une nouvelle, et surtout pas par le biais d'une concession !
Ce projet est le résultat de la faillite des discussions entre l'État et les élus locaux. Ces derniers n'ayant pas réussi à convaincre l'État de financer intégralement les travaux, ils ont choisi de passer par une concession privée. Au bout du compte, il faudra payer 16 euros le trajet entre Castres et Toulouse, ce qui veut dire que nombre d'habitants continueront d'emprunter la nationale sur laquelle ils circulent aujourd'hui ! Cette autoroute ne changera donc rien au caractère accidentogène du trajet.
Voilà les arguments avancés par le tribunal administratif pour remettre en cause le motif d'intérêt public majeur ! Il ne s'agissait pas de protéger des chauves-souris ou des plantes rares ; vous vous trompez !
Vous avez voulu masquer la faillite du dialogue entre l'État et les élus du territoire. Or, étant, comme l'a indiqué le rapporteur, le président d'un mouvement nommé Ensemble sur nos territoires, j'y suis particulièrement sensible ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Avis défavorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Dhersin, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Au début
Insérer les mots :
Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée,
La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. En vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le législateur ne peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé qu'à la condition que cette modification ou cette validation respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée.
En l'espèce, cette condition est implicitement remplie : les deux autorisations environnementales dont fait l'objet le projet de l'A69 ont été annulées en première instance et un appel est en cours. Par précaution, il convient néanmoins de mentionner expressément la réserve tenant au respect des décisions de justice passées en force de chose jugée.
Mes chers collègues, j'ai à cœur de respecter le Conseil constitutionnel : respectons-le tous. En particulier, gardons-nous de nous exprimer à sa place avant qu'il n'ait pris sa décision.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. M. le rapporteur nous propose à présent d'écrire dans la loi ce qui s'impose à nous tous, comme s'il avait besoin de se rassurer lui-même : ce réflexe, tout de même assez étrange, est à mon avis de l'ordre du psychanalytique. (Sourires sur les travées du groupe GEST. – Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Pas plus dans mon cas que dans le vôtre !
M. Ronan Dantec. Il faudra en parler à un professionnel. (Nouveaux sourires.)
Toutefois, ce qui me semble le plus intéressant – et c'est aussi de l'ordre du psychanalytique –, ce sont les silences de M. le rapporteur. J'observe notamment que, depuis le commencement de ce débat, il n'a pas dit un mot de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Avec cet amendement, il se contente de rappeler que, la procédure judiciaire étant en cours, l'affaire n'est pas définitivement jugée, et que l'on peut donc intervenir. Je répète qu'une telle précision est absolument superfétatoire, puisqu'elle ne fait que rappeler la loi ; et, quoi qu'il en soit, ce n'est pas le sens de la Convention européenne des droits de l'homme.
Je suis étonné que ni M. le rapporteur ni M. Rochette n'ait mentionné ce point, qui a toute son importance : la Convention européenne des droits de l'homme interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice. Le législateur ne peut donc pas s'immiscer dans le processus délibératif lui-même. Or cette proposition de loi constitue bien une intervention politique cherchant à influer le cours de la justice, y compris en remettant en cause l'intégrité du juge, précédemment qualifié d'« hors sol », sa décision étant quant à elle déclarée « ubuesque ». De tels procédés contreviennent totalement à l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.
Sans faire durer éternellement les débats, peut-être pourrait-on rectifier le présent amendement afin de citer également la Convention européenne des droits de l'homme. Dès lors, ces dispositions seraient bel et bien consolidées ; mais ce n'est évidemment pas le cas…
Nous devons donc nous préparer à une longue période de contentieux supplémentaires grâce à l'intervention volontariste du Sénat !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Monsieur Dantec, si je n'ai pas cité la Convention européenne des droits de l'homme, c'est parce qu'elle renvoie à des motifs impérieux d'intérêt général, exactement comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette précision vaut pour la première comme pour la seconde ! Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter une telle mention.
M. Ronan Dantec. Je vous parle d'ingérence !
M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié.
(L'article unique est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Dantec, Fernique, Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Chers collègues de la majorité sénatoriale, il s'agit là d'un amendement de cohérence, que je présente somme toute pour vous aider. (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
Le Sénat est clairement en train de faire de la politique politicienne, d'adopter une posture (Protestations sur les travées du groupe UC.), en passant des messages qui n'ont strictement rien à voir avec le fond même de la décision rendue par le tribunal administratif.
Les élus locaux ne sont pas parvenus à obtenir de l'État un investissement direct en faveur de l'amélioration de la liaison existante. Il a donc fallu passer par une concession, ce qui coûte très cher à tout le monde.
Selon vous, mieux vaut camoufler cet échec en le mettant sur le compte des écolos… Mais il faut appeler un chat un chat : nous sommes face à un texte de posture.
Loin de moi l'idée de faire un procès d'intention ou même d'exercer une quelconque pression, même légère, sur qui que ce soit : pour ma part, je respecte l'indépendance de la justice. Je propose simplement un titre permettant de « potentialiser » au mieux l'effort politique que traduit cette proposition de loi.
Pour une raison qui m'échappe, Franck Dhersin est allé chercher certaines de mes déclarations anciennes ; mais, finalement, j'en suis assez fier. Le mouvement Ensemble sur nos territoires reçoit rarement une telle publicité dans notre hémicycle ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.) Plusieurs de nos collègues présents en séance ce matin en sont d'ailleurs membres, et je tiens à les saluer. Il s'agit d'un mouvement à la fois écologiste et social particulièrement attaché aux territoires.
Je pourrais vous parler de bien des routes, en particulier de nombreuses voies express, qui n'ont jamais fait l'objet du moindre contentieux. Je pense notamment aux axes financés par le plan routier breton (PRB) : nous étions tous d'accord pour en reconnaître la nécessité.
Si le projet dont nous parlons mobilise tant de personnes contre lui, c'est tout simplement parce qu'il est aberrant. Resteront sur la route nationale tous ceux qui n'ont pas les moyens de payer 16 euros une autoroute privée qui, au passage, sera en partie financée par l'État.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Quand les écologistes soutiennent d'importants projets nantais d'infrastructures, leurs associations fétiches se gardent évidemment de les attaquer…
Je me sens tout à fait cohérent avec moi-même en émettant un avis défavorable sur cet amendement. (M. Daniel Gueret rit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Tabarot, ministre. Défavorable sans sagesse ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.
M. Philippe Folliot. Mon cher collègue Dantec, on pourrait vous répondre sur le ton de l'humour ; mais, pour ma part, je parlerai avec une extrême gravité.
On ne peut opposer, dans cet hémicycle, des sénateurs vertueux, respectueux de l'État de droit, et des sénateurs cherchant en fait à s'en affranchir.
Les propos que vous avez tenus au sujet de ce territoire constituent, pour nous, une forme d'insulte…
M. Ronan Dantec. Pourquoi ?
M. Philippe Folliot. Ils sont une insulte envers les auteurs de cette proposition de loi ; une insulte envers le président du conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond ; une insulte envers le président de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet, Pascal Bugis ; une insulte envers le président de la communauté de communes Sor et Agout, Sylvain Fernandez ; une insulte envers le président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc ; une insulte envers la présidente de la région, Carole Delga ; une insulte envers nos collègues députés, qu'il s'agisse de Jean Terlier, présent dans nos tribunes, ou de Philippe Bonnecarrère.
À l'évidence, vous nous méprisez ! Vous méprisez les habitants de ce territoire…
M. Jean-Pierre Corbisez. Ces polémiques ne servent à rien !
M. Philippe Folliot. Vous méprisez celles et ceux qui, là-bas, se battent depuis des décennies pour leur désenclavement.
Un tel mépris nous insupporte : vous devriez faire preuve de plus de modestie dans vos jugements.
Je le répète, on ne peut pas laisser entendre que, face aux sénateurs vertueux que vous seriez,…
M. Jean-Pierre Corbisez. Il est temps de voter !
M. Philippe Folliot. … siégeraient sur nos travées je ne sais quels sous-sénateurs,… (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. C'est vous qui le dites !
M. Philippe Folliot. … opposés à l'État de droit. Cette caricature n'est pas acceptable !
Pour notre part, nous nous battons pour ce territoire. Nous nous battons pour l'intérêt général. Nous nous battons pour que ce pays ne soit pas mis sous cloche. Nous nous battons pour le développement économique et social. Nous nous battons pour les 1 000 personnes qui ont perdu leur emploi à la suite de cette décision, et pour lesquelles vous n'avez eu ni un mot ni une pensée ! (Nouvelles protestations.)
M. Guillaume Gontard. C'est n'importe quoi !
M. Philippe Folliot. Vos propos et vos sous-entendus sont proprement inacceptables ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Monsieur Folliot, on ne peut effectivement pas opposer « sénateurs vertueux » et « sous-sénateurs ». Ce texte fait tout simplement l'objet d'un débat politique : nous nous y opposons par conviction, sans mépriser personne, mais en avançant des arguments de droit.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, quand j'ai été élu sénateur, il y a cinq ans, l'humanité traversait une grave crise climatique. Nous allions dans le mur. On émettait trop de gaz à effet de serre, on dévorait beaucoup trop de terres agricoles et d'espaces naturels en les bétonnant. Mais nous avions pris des engagements mondiaux et mis en œuvre un certain nombre de stratégies, parmi lesquelles la stratégie nationale bas-carbone. Nous cherchions, à l'époque, à éviter la moindre tonne de CO2 supplémentaire.
Aujourd'hui, j'apprends avec joie que tous ces efforts sont derrière nous ! Visiblement, on peut tout recommencer comme avant, construire de nouvelles autoroutes, bitumer à tout-va des espaces naturels et agricoles.
En outre, depuis le début de mon mandat, on ne cessait de nous mettre en garde : le budget de la France allait dans le mur, notre dette battait sans cesse de nouveaux records et il fallait chercher des économies partout. Or le recours formé a révélé une information majeure, et c'est aussi l'une de ses vertus : les pouvoirs publics – je suis heureux de l'entendre ! – vont prendre en charge un tiers du péage de cette autoroute. Il faudra prévenir le rapporteur général de la commission des finances qu'il n'a plus à se faire de souci : visiblement, les caisses sont de nouveau pleines, puisqu'on peut se permettre pareille dépense…
Enfin – cela m'inquiète un peu plus –, je constate, alors que mon mandat approche de son terme, que la séparation des pouvoirs n'est plus qu'une illusion. De fait, il suffit de connaître quelques parlementaires pour tenter de contourner une décision de justice.
Prenez garde, mes chers collègues : les réalités physiques de cette véritable catastrophe qu'est le changement climatique sont en train de nous rattraper, et les générations futures vous jugeront.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Chers collègues de la majorité sénatoriale, j'ai comme l'impression que vous perdez votre sang-froid…
Pour revenir au fond du débat, je citerai un autre des éléments sur lesquels le tribunal administratif a fondé sa décision, à savoir les hypothèses de fréquentation de cette autoroute, que l'Autorité de régulation des transports (ART) elle-même a pu qualifier d'optimistes – n'est-ce pas, monsieur le ministre ?
Je vous renvoie au compte rendu de la commission d'enquête parlementaire sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute A69 en date du 2 mai 2024 : ces hypothèses paraissent très en deçà des seuils justifiant la construction d'une autoroute à deux fois deux voies.
Hors abonnement, la liaison autoroutière Castres-Toulouse coûtera environ 16 euros. Ce prix élevé est de nature à relativiser les estimations issues de l'étude de trafic.
Monsieur Folliot, soyez bien certain que je n'insulte personne. En revanche, depuis deux heures, vous pratiquez en quelque sorte l'insulte à rebours en refusant le vrai débat de fond.
Vous n'avez pas réussi à convaincre l'État, alors que beaucoup d'élus locaux préféraient que l'on améliore la liaison actuelle, ce qui était la logique même.
Évidemment, cette autoroute n'est pas rentable. Elle sera même encore moins rentable que ce qui était prévu : nous sommes face à un très mauvais usage de l'argent public.
À cet égard, je reprends ma casquette de président d'Ensemble sur nos territoires. Ce débat est éminemment politique et, en la matière, vous faites une erreur politique. Ce qui importe, c'est que ces millions d'euros – nous parlons de sommes considérables ! – aillent aux services du bassin Castres-Mazamet.
Cette autoroute ne fera que renforcer les mouvements pendulaires vers Toulouse. Vous allez aggraver encore la dévitalisation du territoire ! (M. Philippe Folliot manifeste son désaccord.)
C'est moi qui défends le territoire de Castres-Mazamet,…
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Mais c'est merveilleux ! (Sourires sur les travées du groupe UC.)
M. Ronan Dantec. … c'est moi qui indique où est son avenir, pas vous ! Pour votre part, vous vous efforcez de faire entrer cet avenir dans des cadres anciens et dépassés ! Les villes moyennes, c'est nous qui les défendons, pas vous, avec de tels projets d'autoroutes ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Maintenant, votons !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau, pour explication de vote.
Mme Marie-Lise Housseau. Monsieur Dantec, nous aurions bien sûr été ravis d'obtenir des autoroutes gratuites, comme vous en avez en Bretagne,…
M. Daniel Gueret. Absolument !
Mme Marie-Lise Housseau. … mais c'était impossible ! Le plan routier breton date d'il y a plus de cinquante ans : à l'époque, la raison impérative d'intérêt public majeur n'existait pas. Sans doute le plan routier breton n'a-t-il pas fait non plus l'objet d'études environnementales.
M. Daniel Gueret. Voilà !
Mme Marie-Lise Housseau. Nous devons faire avec les règles existantes. J'y insiste, nous avons tenté d'obtenir la gratuité de cette autoroute ; mais notre département n'est pas riche – il n'est, au titre de ses revenus, qu'en soixante-treizième position des départements français. Nous n'avions pas les moyens de rendre cet axe gratuit. Si nous avons opté pour la concession, c'est parce que nous n'avions pas d'autre choix.
Certes, 16 euros, c'est cher, mais c'est le tarif aller-retour. Pour accomplir le même parcours, le billet de train coûte 18 euros par personne, et une voiture peut transporter toute une famille.
J'y ajoute un autre argument. Il se trouve que mon mari avait une entreprise d'ébénisterie. Comme vous le savez sans doute, c'est un secteur où les accidents du travail sont fréquents. Des doigts, voire des mains, sont parfois coupés. Tous les menuisiers-ébénistes de la région le savent : en cas d'accident, ils doivent tout de suite mettre le doigt sectionné ou la main coupée dans une poche plastique, puis partir à Purpan, de l'autre côté de Toulouse. En pareil cas, gagner vingt minutes, c'est primordial !
Ne serait-ce que pour l'accessibilité des soins, nous avons besoin de cette autoroute.
Vous revenez avec insistance sur le prix du trajet : eh bien, on fait avec ce que l'on a. Je vous signale, de plus, que les abonnés bénéficieront de tarifs spécifiques, à l'instar des véhicules électriques. Enfin, le département, la région et les communautés de communes vont participer pour faire baisser le montant du péage.
Je vous en prie, laissez-nous vivre ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Monsieur Dantec, l'A69 voit passer 14 000 véhicules par jour. L'A28, entre Rouen et Alençon, en totalise 8 900 par jour. Sur l'A79, portion de la route Centre Europe Atlantique (RCEA), c'est 11 000 à 13 000 véhicules par jour ; sur l'A66, 12 300 véhicules par jour ; sur l'A837, 11 800 véhicules par jour ; sur l'A77, 10 900 véhicules par jour – je pourrais vous citer bien d'autres exemples encore !
En l'occurrence, les estimations dépassent de loin la fréquentation de bien des autoroutes déclarées d'utilité publique et exploitées aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre. Monsieur Dantec, je confirme les chiffres fournis à l'instant par M. le rapporteur.
En outre, le tarif que vous mentionnez ne correspond pas à la réalité. Demain, si le chantier peut être mené à son terme, le prix réel sera de 6,5 euros, selon l'avenant conclu par les différentes collectivités territoriales concernées.
M. Ronan Dantec. C'est un gouffre financier !
M. Philippe Tabarot, ministre. Non, monsieur le sénateur : le gouffre financier ne viendra que des recours intentés par vos amis. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.
M. Patrick Chaize. Bien sûr, dans un tel débat, chacun doit défendre ses idées. Mais je m'étonne que l'on s'arc-boute aujourd'hui sur des éléments de nature juridique.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Tout à fait !
M. Patrick Chaize. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces travaux sont déjà réalisés à hauteur de 60 %. On ne peut plus faire comme si l'on pouvait tout effacer pour tout recommencer – ou alors, il faut nous donner la méthode…
Mes chers collègues, soyons pragmatiques. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 281 :
Nombre de votants | 290 |
Nombre de suffrages exprimés | 285 |
Pour l'adoption | 252 |
Contre | 33 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Produits du bois et responsabilité élargie du producteur dans le secteur du bâtiment
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à retirer les produits du bois de la responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB), présentée par Mme Anne-Catherine Loisier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 242, texte de la commission n° 592, rapport n° 591).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi.
Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la responsabilité élargie du producteur (REP) pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) s'appuie sur un système d'écocontributions, qui finance le tri, la collecte et la valorisation des déchets issus dudit secteur. Ces contributions visent à responsabiliser les producteurs quant aux répercussions environnementales des matériaux utilisés et à favoriser de meilleures performances en matière de tri, de collecte, de recyclage ou de réemploi.
Soumise aux écocontributions depuis 2023, l'industrie française du bois fait donc face à des surcoûts. Or ceux-ci sont d'autant moins compréhensibles que les bénéfices environnementaux du bois, que ce soit en matière de stockage de carbone ou de performances de valorisation, ne sont pas pris en compte. Le bois est ainsi soumis aux mêmes contraintes que des matériaux plus polluants.
La France est le seul pays européen à avoir intégré le bois-construction dans une telle filière REP. Mais à l'heure où notre pays manque de logements et où la réindustrialisation est le mot d'ordre général, cette surtransposition pénalise nos entreprises et renchérit les coûts de construction. Elle dégrade la compétitivité de la France en matière d'exportations sur un marché international du bois au niveau duquel nos proches voisins sont particulièrement offensifs. Elle détériore également notre balance commerciale, déjà déficitaire. D'ailleurs, entre 2022 et 2024, les services des douanes notent un recul de 20 % des exportations de bois-construction.
Les montants des écocontributions bois prévus par la REP PMCB évoluent de manière exponentielle. Ils sont ainsi passés de 7,6 euros par tonne de bois, chiffre de 2023 retenu par la commission, à 24 euros en 2025, selon les éco-organismes. Sans refondation de la filière et sans solidarité entre les producteurs de matériaux, ce montant pourrait même atteindre 85 euros par tonne en 2030.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, vous vous êtes emparée, à juste titre, de ce dossier et avez proposé un moratoire, ce que je salue. (Mme la ministre opine du chef.) Cependant, la suspension de l'abattement sur le bois, dans le cadre dudit moratoire, est un mauvais signal.
En effet, la trajectoire actuelle des écocontributions est insoutenable, comme nous le savons tous, pour les entreprises concernées. Or ces dernières tirent toute la filière. La situation est injuste au regard des performances des autres matériaux et discriminatoire pour notre industrie, alors que celle-ci est en concurrence avec celle de nos proches voisins européens.
La filière bois dégage 30 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit 1 % de notre PIB, ce qui n'est pas négligeable en ces temps de disette financière, et 77 milliards d'euros de chiffre d'affaires, essentiellement liés à la production industrielle. Si le bois-construction était maintenu dans une REP, il devrait alors absolument être tenu compte de ses performances de valorisation, actuellement bien supérieures à celles des autres matériaux, ainsi que des avantages environnementaux induits par sa nature biosourcée.
Selon le rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de juillet 2024, sur environ 8,7 millions de tonnes de déchets bois produits chaque année, 7,4 millions de tonnes, soit 80 %, sont collectées et recyclées. Un taux comparable n'est observé que pour le seul acier. En outre, 5,8 millions de tonnes sont déjà valorisées par recyclage matière ou par valorisation énergétique. Enfin, 1,6 million de tonnes sont exportées, ce qui suscite des interrogations, vers la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, et même la Suède.
La valorisation du bois-construction en fin de vie est donc parmi les plus performantes, parce que ce matériau s'inscrit déjà dans une bioéconomie circulaire dynamique. Il n'est en fait pas un déchet, mais une matière première de plus en plus convoitée par les panneautiers, par exemple, lesquels utilisent de plus en plus de matériaux recyclés, mais aussi par les industriels qui cherchent à se décarboner. N'oublions pas non plus les 8 millions de foyers français qui se chauffent au bois, première énergie renouvelable (EnR) en France.
Comment ignorer le rôle déterminant du bois dans la lutte contre le changement climatique et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), sa capacité à capter le CO2 durant sa croissance et à le stocker jusqu'à la fin de sa vie, en l'occurrence dans le bâtiment ? Ainsi, chaque mètre cube de bois utilisé dans la construction permet de stocker une tonne de CO2 pendant toute la durée de vie de l'édifice. Utiliser plus de bois, c'est donc soutenir une filière essentielle, qui stocke 87 millions de tonnes de CO2 au total chaque année, soit environ 20 % des émissions annuelles de notre pays.
Étant biosourcé, le bois présente un impact carbone plus faible que celui des autres matériaux, dans la mesure où il consomme bien moins d'énergie lors de sa transformation. Utilisé dans la construction, il se substitue à des matériaux à haute intensité carbone, réduisant ainsi l'impact global des bâtiments.
Tel est le sens de l'ambition de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et du plan ambition bois-construction 2030, qui visent à favoriser les matériaux biosourcés dans la construction, notamment pour se rapprocher de nos voisins allemands, qui ont plus de 22 % de bois dans leurs constructions résidentielles quand la France plafonne à 7 %...
Afin de corriger les déséquilibres qui affectent actuellement la filière REP PMCB, il est nécessaire d'introduire des abattements en fonction des performances de valorisation, comme nous en avons posé le principe avec le rapporteur, Bernard Pillefer, que je salue pour son travail et son écoute.
Je vous propose de préciser par amendement ce principe de solidarité entre matériaux, et de récompenser les plus performants par un système de bonus-malus. Le ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en fixerait, par décret, les modalités et l'équilibre pour les éco-organismes. Cet abattement a vocation à diminuer au fur et à mesure de l'amélioration de la performance des autres matériaux.
Parallèlement, il est pertinent d'introduire un principe d'écomodulation en fonction de la nature même des matériaux biosourcés, afin d'inciter à leur usage. Dans la perspective du « zéro émission nette » en 2050, je vous propose donc d'introduire par amendement un mécanisme de nature à « favoriser les produits meilleurs pour l'environnement » et à « réduire le prix des produits vertueux », objectifs consacrés la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec. Là encore, le ministère en fixerait les modalités par décret.
En conclusion, mes chers collègues, votre soutien est déterminant. Ajuster l'écocontribution du bois-construction, c'est soutenir une bioéconomie locale performante aux multiples bénéfices pour la transition écologique et énergétique. Prendre en compte la nature biosourcée des matériaux de construction, tels que le bois, dans le calcul des écocontributions, c'est favoriser des matériaux à faible impact carbone et œuvrer en faveur de la stratégie nationale bas-carbone.
Nous ne sommes qu'au début de ce débat, puisque le moratoire commence. Je souhaite, madame la ministre, mes chers collègues, que les discussions qui s'engagent permettent véritablement de trouver un équilibre qui préserve l'avenir à la fois des industries de la filière forêt-bois et notre économie, tout en prenant en compte les enjeux de valorisation des déchets, d'économie circulaire et de stratégie bas-carbone. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Marc Laménie et Michel Masset applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Marc Laménie, Michel Masset et Jacques Fernique applaudissent également.)
M. Bernard Pillefer, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de m'exprimer, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur la proposition de loi visant à retirer les produits du bois de la responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, déposée par notre collègue Anne-Catherine Loisier, que je salue.
Le bois constitue une véritable richesse pour la France. Il s'agit d'une ressource de proximité, renouvelable, recyclable, valorisable et qui stocke le carbone. La filière bois est au cœur de la transition écologique et industrielle de notre pays, et joue un rôle stratégique pour nos territoires. Elle contribue pleinement à leur vitalité économique, au travers de l'implantation de nombreuses scieries et d'un réseau particulièrement dense d'artisans du bois.
En outre, le bois constitue un atout pour la décarbonation de nombreux secteurs, en particulier le bâtiment, secteur qui nous préoccupe aujourd'hui à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi. La part du bois dans les matériaux de construction doit considérablement augmenter si nous souhaitons respecter l'ambitieuse trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée pour le secteur du bâtiment à l'horizon 2030.
Enfin, au sein du secteur du bâtiment, le bois est un bon élève en matière d'économie circulaire : il s'agit de l'un des matériaux de construction les plus collectés et valorisés. Dans le cadre général de la gestion des déchets du bâtiment, il tire la moyenne de la classe vers le haut, si vous permettez cette métaphore scolaire à l'ancien enseignant que je suis. (Sourires.)
La présente proposition de loi traduit une préoccupation légitime des professionnels de la filière du bois-construction. Le contexte est le suivant : à l'horizon 2027, la totalité du coût de traitement des déchets du bâtiment sera transférée à ceux qui mettent en marché les produits du secteur.
Cependant, nous constatons avec inquiétude une montée en charge rapide et déséquilibrée de la contribution financière appliquée au bois-construction par les entreprises agréées pour le traitement de ces déchets. Ainsi, son montant par tonne est aujourd'hui, en moyenne, plus élevée pour le bois-construction que pour des matériaux concurrents moins vertueux sur le plan environnemental. La situation est paradoxale : on pénalise, au nom de l'environnement, un matériau durable.
Une fois ce constat sectoriel posé, je souhaite élargir le propos et rappeler les caractéristiques du cadre général de la gestion des déchets du bâtiment. Celui-ci, créé en 2020 par la loi Agec, entre progressivement en vigueur depuis janvier 2023. C'est un dispositif jeune comparé, par exemple, au cadre de la gestion des déchets de l'ameublement, entré en vigueur il y a dix ans, désormais arrivé à maturité et ayant atteint son rythme de croisière. En ce qui concerne les déchets du bâtiment, l'embarquement est plus récent et connaît, en particulier pour le bois, de nombreux flottements…
Ce cadre général porte un nom technique : la filière à responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment. Si le sigle « REP PMCB » peut paraître abstrait, il est la traduction d'un principe très concret, celui du pollueur-payeur : celui qui met sur le marché un produit destiné à devenir un déchet assume le coût de sa gestion.
Ce dispositif, attendu de longue date par les élus locaux, aura à terme des conséquences opérationnelles souhaitables pour nos communes et leurs groupements chargés du service public de traitement des déchets. En effet, chaque année, les dépôts sauvages de déchets issus du secteur du bâtiment coûtent près de 400 millions d'euros aux collectivités territoriales.
Au-delà de cet aspect financier, ces dépôts sont aussi à l'origine de très vives tensions locales. Mes auditions m'ont permis d'entendre la colère des élus locaux, bien souvent démunis face à la mauvaise gestion des déchets du bâtiment. Nous avons ainsi tous en mémoire le drame de Signes en 2019, lorsque le maire de la commune a perdu la vie alors qu'il tentait de faire respecter l'interdiction de tels actes.
Le cadre créé en 2020 vise notamment à lutter contre ce fléau en structurant un maillage de points de collecte sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales.
J'en viens maintenant à la proposition de loi qui nous est soumise. La démarche initialement proposée par son auteure avait le mérite de la simplicité : elle prévoyait d'exclure le bois-construction du cadre général de traitement des déchets du secteur, le dispensant ainsi de toute obligation de contribuer au financement de la gestion des déchets issus de ses produits.
Toutefois, il m'est apparu, au fil de mes travaux, qu'une sortie pure et simple du bois de la filière REP PMCB ne semblait adaptée ni pour les collectivités territoriales ni pour l'économie circulaire en général.
En particulier, l'exclusion du bois, qui, selon l'Ademe, représente 10 % des matériaux retrouvés dans les dépôts sauvages de déchets du bâtiment, risquerait de fragiliser le maillage des points de dépôts de proximité, au détriment de la protection du cadre de vie, de l'environnement, des équipements stratégiques que constituent les déchèteries publiques et, plus largement, des finances publiques locales.
Par ailleurs, en matière d'économie circulaire, le bois est certes un bon élève, mais il a encore des progrès à faire, notamment en matière de recyclage, comme le montrent les dernières statistiques de l'Ademe.
De surcroît, ce retrait porterait atteinte au principe même de la responsabilité élargie du producteur. Si l'on commence à accepter des exemptions pour un matériau, en l'occurrence le bois-construction, comment refuser, demain, les demandes de retrait d'autres matériaux, comme les ont déjà formulées certains professionnels pour le métal ou le plâtre ? Cela pourrait même avoir des conséquences sur les autres filières REP, qui réclameraient une exemption similaire. Le principe pollueur-payeur ne peut fonctionner que s'il est appliqué de manière universelle et cohérente.
Tout au long de mes échanges avec l'ensemble des parties prenantes, j'ai été guidé par le souci de trouver le juste équilibre et de préserver l'équité entre les uns et les autres. Ma conviction est la suivante : pour tendre vers l'économie circulaire, qui est celle du XXIe siècle, il existe un chemin entre le statu quo et les dysfonctionnements actuels du système, d'une part, et l'exclusion totale du bois-construction de la filière REP PMCB, d'autre part. C'est ce chemin que je vous propose d'emprunter aujourd'hui.
Le texte que nous avons adopté à l'unanimité en commission substitue à l'exclusion proposée initialement des alternatives permettant de mieux proportionner les contributions financières aux performances environnementales du bois, tout en renforçant la lutte contre la fraude aux contributions.
Ainsi, l'article 2 instaure un mécanisme de répartition des charges entre les filières des différents matériaux de construction, au bénéfice de celles qui sont les plus performantes en termes de valorisation des déchets, parmi lesquelles celle du bois.
Le dispositif est simple et équitable : sur le plan quantitatif, le bois-construction contribue plus que les autres matériaux à l'atteinte des objectifs environnementaux de la filière REP ; par conséquent, sur le plan financier, sa contribution sera réduite.
La consécration législative de ce mécanisme de répartition a pour objet de le sécuriser juridiquement et d'en assurer l'application. Elle permet également de protéger le mécanisme d'éventuels revirements réglementaires, dans un contexte de hausse prévue des contributions, liée à la montée en charge de la filière à responsabilité élargie du producteur.
Quant à la fraude aux contributions financières, elle fragilise l'acceptabilité par les producteurs du cadre de gestion des déchets, en créant une concurrence déloyale : les fraudeurs, qui n'assument pas le coût du dispositif, sont favorisés par rapport aux entreprises qui remplissent leurs obligations. L'article 3 prévoit ainsi deux dispositifs visant respectivement à favoriser la communication entre administrations, pour mieux cibler les contrevenants, et à permettre un meilleur recouvrement des contributions des entreprises établies hors de France.
Le dispositif d'équilibre que je vous propose d'adopter aujourd'hui vise un objectif crucial : celui de l'acceptabilité et de la robustesse de l'ensemble du système. Nos objectifs ambitieux en matière d'économie circulaire rendent nécessaire l'adhésion de tous les acteurs.
Enfin, je souhaite saluer la qualité de ma collaboration, tout au long de mes travaux préparatoires, avec l'auteure de la proposition de loi, notre collègue Anne-Catherine Loisier, et l'esprit d'écoute réciproque qui m'a permis d'enrichir le texte sans en trahir l'esprit. Je souhaite également remercier les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui ont adopté cette proposition de loi à l'unanimité, ce dont je me réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jacques Fernique et Michel Masset applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le président Longeot, monsieur le rapporteur Pillefer, madame la sénatrice Loisier, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour discuter d'un sujet important pour le secteur du bâtiment et pour nos collectivités : celui de la filière à responsabilité élargie des producteurs pour les produits et matériaux de construction du bâtiment.
Lors de sa création, en 2022, l'objectif de la REP PMCB était clair : améliorer la valorisation des déchets et, surtout, lutter contre les dépôts sauvages, lesquels, vous le savez, sont un fléau.
Un fléau financier pour les collectivités, tout d'abord, qui dépensent 400 millions d'euros par an pour gérer ces dépôts. Un fléau écologique, ensuite, compte tenu de leur impact sur notre environnement. Un fléau en matière d'ordre public, enfin, car, derrière ces déchets abandonnés, c'est une économie parallèle qui prospère. Personne n'a oublié ici le décès, en 2019, de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, renversé par une camionnette dont le conducteur venait d'être pris en flagrant délit de dépôt sauvage.
La création de cette filière REP répondait donc à une nécessité forte. Depuis, elle a permis l'ouverture de plus de 6 000 points de reprise gratuits pour les déchets du bâtiment, ce qui est une avancée indéniable.
Ce chiffre ne doit toutefois pas masquer les dysfonctionnements, que vous avez été nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à déplorer. Ils ont d'ailleurs conduit mes services à modifier cinq fois le cadre réglementaire de la filière, rien que pour l'année 2024 !
Pourtant, le compte n'y était toujours pas, et cette filière REP était jugée trop coûteuse par les producteurs qui la financent et insuffisamment efficace par les professionnels du bâtiment qui doivent en bénéficier. C'est pourquoi, le 20 mars dernier, j'ai annoncé la refondation complète de cette filière pour 2026.
Là encore, l'objectif est clair : revenir aux priorités initiales du dispositif, c'est-à-dire lutter contre les dépôts sauvages, améliorer la valorisation des déchets et encourager l'écoconception et le réemploi.
Cette refondation est, bien évidemment, menée en étroite concertation avec l'ensemble des parties prenantes. En outre, afin de laisser le temps à cette concertation de se dérouler dans un cadre serein, j'ai décidé qu'elle s'accompagnerait d'un moratoire sur certaines dispositions prévues pour 2025, lesquelles étaient à l'origine de difficultés particulières pour l'ensemble des acteurs.
La filière bois, en particulier, qui joue un rôle important dans le stockage du carbone, fait face à des barèmes élevés et difficiles à absorber compte tenu de ses équilibres économiques. Ce paradoxe exige une action corrective. Je suis pleinement mobilisée pour faire évoluer ce volet dans le cadre de la refondation plus large de la filière.
Toutefois, je vous le dis clairement : la sortie pure et simple du bois de la REP PMCB n'est pas la bonne solution. Cela ferait courir de nombreux risques aux collectivités ; cela nuirait aussi à l'équilibre de la filière et à l'environnement, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, ce retrait fragiliserait tout le système de la REP, y compris au détriment de la filière bois. Vous le savez, la responsabilité élargie du producteur repose sur les principes de mutualisation des moyens et d'économie d'échelle à partir de flux massifiés. La sortie du bois priverait donc la filière des moyens mobilisés grâce à la REP, et l'affaiblirait en lui faisant perdre la cohérence d'une solution globale.
Deuxièmement, cela entraînerait une perte significative de financements pour les collectivités locales. La raison en est que, aujourd'hui, les déchets bois sont les plus collectés en volume. Le soutien apporté à ce titre aux collectivités représente déjà 9 millions d'euros par an, et pourrait atteindre 18 millions d'euros à terme. Aussi, supprimer le bois de la REP priverait les communes de cette ressource, tout en leur imposant, en parallèle, une réorganisation des déchèteries, à leurs frais.
Troisièmement, cette suppression pourrait susciter un renouveau des dépôts sauvages. En effet, le mécanisme de la REP PMCB a permis de simplifier le dépôt des déchets, grâce à une collecte mutualisée pour l'ensemble des matériaux couverts par la filière. En exclure le bois, qui constitue 10 % des matériaux retrouvés dans les dépôts sauvages, c'est faire peser un risque réel de recrudescence de ces pratiques illégales.
Vous l'avez compris, je suis défavorable à cette suppression. Elle constituerait un recul préoccupant pour la protection de notre cadre de vie, la préservation de nos équipements publics et, plus largement, les finances de nos collectivités locales. C'est pourquoi je salue le travail de la commission, et en particulier celui de M. le rapporteur Pillefer, que je remercie pour son choix responsable de revenir sur cette sortie du bois de la REP PMCB.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire, bien au contraire. Je partage les conclusions de la commission quant à la nécessité de réviser le mécanisme pour organiser une montée en charge plus progressive, efficace, organisée, soutenable et lisible pour les parties prenantes, en particulier les acteurs de la filière bois-construction.
S'agissant plus précisément de certains amendements qui ont été déposés, je souhaite apporter quelques éléments de réflexion, non sans vous avoir remerciée au préalable, madame la sénatrice Loisier, de nous permettre de débattre de ce sujet important.
Vous proposez, par l'amendement n° 6 rectifié bis, que les réductions de charges applicables à un secteur puissent être compensées par des augmentations de charges pour les matériaux moins bien collectés et valorisés, le tout en prévoyant que cet équilibre soit défini par voie réglementaire. Je m'en remettrai à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Autre enjeu, la nécessité d'agir plus fermement contre la fraude aux contributions. Je comprends, bien évidemment, le message que vous souhaitez adresser aux professionnels du bois-construction, que l'évolution à la hausse des écocontributions inquiète, notamment du fait de la concurrence entre certains matériaux.
Néanmoins, inscrire aujourd'hui dans la loi des mesures précises, alors que je viens de lancer une concertation avec tous les acteurs de la filière des produits et matériaux de construction, ce serait manquer de respect aux professionnels du bâtiment comme à ceux de la gestion des déchets. Je me suis engagée à avancer avec eux, en défendant une vision globale du dispositif REB PMCB, au-delà de la problématique propre à la filière bois-construction.
Je présiderai une réunion d'arbitrage à visée conclusive fin juin. Elle sera suivie de consultations, cet été, sur les projets de textes réglementaires issus de ces travaux. Le temps de la concertation est indispensable pour refonder une filière PMCB plus juste, plus efficace, capable de corriger ses défauts, afin d'être mieux acceptée de tous.
Soyez certains, mesdames, messieurs les sénateurs, de ma pleine mobilisation pour que cette refondation aboutisse dans les meilleures conditions au service de la transition écologique, des filières professionnelles concernées, et ce dans une approche économique, ainsi que de nos collectivités locales. (Mme Jocelyne Antoine, MM. Michel Masset et Jacques Fernique applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gueret. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Daniel Gueret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les filières à responsabilité élargie du producteur partent du principe selon lequel les producteurs sont responsables du financement ou de l'organisation de la prévention et de la gestion des déchets issus des produits en fin de vie. Elles sont donc la traduction législative du principe pollueur-payeur.
La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, a d'ailleurs permis de porter à vingt-cinq le nombre de ces filières. Celles-ci jouent un rôle essentiel dans la réduction de l'impact environnemental des produits, en favorisant le réemploi, la réutilisation, le recyclage ou encore la réparation.
Pour autant, quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi Agec, la mise en place de certaines de ces filières soulève encore de nombreuses difficultés. C'est pourquoi la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est saisie du sujet en lançant une mission d'information sur l'application de cette loi. Les travaux de nos collègues rapporteurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique sont en cours. Je suis certain que leur rapport, attendu d'ici l'été prochain, permettra de rétablir la confiance dans l'économie circulaire.
Depuis plusieurs semaines, les acteurs de la filière bois nous alertent sur les difficultés posées par la filière REP PMCB, en vigueur depuis mai 2023. Ils s'inquiètent, en particulier, de la trajectoire ascendante du montant de l'écocontribution, qui menace l'avenir de certaines entreprises. Ce montant est d'autant moins acceptable qu'il est plus élevé que pour des matériaux concurrents moins vertueux.
La version initiale du texte que nous examinons aujourd'hui tendait à retirer, purement et simplement, les produits du bois de cette filière REP. Si les inquiétudes des professionnels sont légitimes, cette solution paraissait extrême et posait de nombreuses difficultés opérationnelles. Il était donc important d'étudier les solutions alternatives.
C'est pourquoi je me réjouis que les travaux de la commission et de son rapporteur aient permis d'aboutir à un texte équilibré et consensuel. Il ne s'agit plus d'exclure le bois-construction de la filière REP PMCB, mais de réajuster la répartition de l'effort financier. Le texte modifié par la commission tend ainsi à une répartition plus juste, tenant compte de la performance des matériaux.
Vous l'aurez compris, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
(À suivre)