Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 7 rectifié est présenté par Mme Narassiguin, M. Omar Oili, Mmes Artigalas et Le Houerou, MM. Lurel, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 80 est présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 144 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié.

Mme Corinne Narassiguin. Avec cet amendement, nous entamons les débats sur le durcissement des conditions d’accès au séjour à Mayotte.

L’article 2 du texte franchit une étape supplémentaire dans ce domaine, puisqu’il vise à conditionner l’obtention des titres de séjour « parent d’enfant français » ou « liens personnels et familiaux » à une entrée régulière sur le territoire. Concrètement, cette mesure signifie qu’un étranger, père ou mère d’un enfant mineur français, ne pourra jamais être régularisé au motif qu’il serait entré à Mayotte sans visa ou avec un simple visa de court séjour.

Cet article aura pour seul effet de multiplier les cas de « ni-ni » : les étrangers qui ne peuvent être ni régularisés ni éloignés. Cette mesure précarisera donc des familles entières et invisibilisera des milliers de personnes, privées de toute perspective d’avenir. Comment peut-on croire que c’est ainsi que l’on refondra Mayotte ?

Un tel article est particulièrement inacceptable, parce qu’il vise entre autres des parents étrangers d’enfants français. Comment peut-on sérieusement considérer qu’une mère ou un père étranger, parent d’un enfant français et qui a fait la preuve qu’il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation de son enfant, n’a pas sa place en France ? Comment peut-on considérer que la vocation du parent d’un enfant français soit d’être maintenu dans la précarité, sans papiers, ou d’être expulsé ? Avec cet article, non seulement vous ne réglerez rien, car les liens familiaux seront toujours plus forts que les obstacles administratifs que vous aurez mis en place, mais vous aurez gâché la vie de familles entières.

En outre, cet article repousse de deux années la délivrance d’une carte de résident pour les parents étrangers d’enfants français. C’est tout à fait indigne…

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour présenter l’amendement n° 80.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Au travers de cet amendement de suppression, nous nous opposons fermement à un nouveau durcissement des conditions d’accès au séjour à Mayotte.

Cet article durcit notamment les conditions pour l’obtention d’un titre de séjour « parent d’enfant français » ou « liens personnels et familiaux ». Il fait écho aux mesures adoptées en 2018 et en mars dernier visant à durcir l’application du droit du sol. Or aucun rapport n’a démontré que les mesures de ce type avaient endigué les flux migratoires à Mayotte depuis 2018. Cet article aura donc pour seule conséquence de maintenir en situation d’irrégularité de nombreuses familles établies sur le territoire, dont des milliers d’enfants, qui sont les premières victimes de ce système dérogatoire pour Mayotte.

L’absence d’accompagnement de ces familles vers le droit commun est un obstacle à l’accès aux droits des enfants reconnus par la convention internationale des droits de l’enfant. Ces mesures renforcent la précarité des familles concernées et les condamnent à l’errance administrative.

Dans son rapport intitulé Établir Mayotte dans ses droits, le Défenseur des droits indique que la restriction des droits dans ce territoire contribue à maintenir les étrangers qui s’y trouvent dans une situation d’insécurité juridique et de précarité administrative permanente, freinant leur perspective d’intégration et pesant sur le développement de l’île.

S’en prendre aux familles, c’est tourner le dos à nos valeurs humanistes, qui font le socle de notre société. Nous ne voulons pas devenir un État qui déteste les étrangers, y compris quand ceux-ci sont des enfants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 144.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Par ces amendements, vous proposez, mes chers collègues, de supprimer l’article 2 du projet de loi, qui renforce les conditions de délivrance des titres de séjour en qualité de parent d’enfant français ou au titre des liens personnels et familiaux.

La situation à Mayotte est intenable : en 2024, sur les 320 000 habitants – chiffre de l’Insee sans doute sous-estimé –, la moitié étaient de nationalité étrangère, dont 50 % en situation irrégulière. L’Insee estime que, sans inflexion majeure des flux migratoires, la population pourrait plus que doubler d’ici à 2050, pour atteindre 760 000 habitants, majoritairement de nationalité étrangère. Les trois quarts des enfants nés à la maternité de Mamoudzou – première maternité de France en nombre de naissances – ont une mère étrangère.

L’immigration familiale depuis les Comores constitue l’un des principaux flux migratoires. En 2024, plus de 15 000 titres « parent d’enfant français » ou « liens personnels et familiaux » ont été délivrés à Mayotte, soit 80 % des titres délivrés, contre 17 % pour la France métropolitaine.

En outre, ces titres sont très majoritairement délivrés à des étrangers en situation irrégulière : 84 % pour le titre « parent d’enfant français » et 93 % pour le titre « liens personnels et familiaux ». Ils contribuent ainsi à alimenter une immigration clandestine massive, dans l’espoir d’une régularisation rapide au titre d’un motif familial, qui ne protège en rien ni ces familles ni leurs enfants.

Il est donc primordial de freiner ces flux en limitant les possibilités de régularisation. L’article 2 y contribue.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Mesdames les sénatrices, eu égard au caractère exceptionnel de la situation migratoire de Mayotte par rapport aux autres départements français, notamment hexagonaux, il est de mon point de vue parfaitement justifié d’adopter des mesures qui visent à limiter l’attractivité des titres de séjour « parent d’enfants français » et « liens personnels et familiaux ». J’ai déjà eu l’occasion de le dire lors de la présentation des deux projets de loi.

Je comprends vos arguments, mais je veux souligner que la mesure envisagée ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), car il s’agit en pratique d’une formalité déjà mise en œuvre dans les postes consulaires ; le Conseil d’État lui-même le souligne dans son avis.

La condition de durée de résidence en France, portée de trois à cinq années, a pour objectif de renforcer l’intégration de l’étranger dans le pays au sein duquel il a formulé le souhait de résider dans la durée. L’administration reste en droit de délivrer un titre de séjour et de procéder ainsi à la régularisation du séjour d’un étranger, lorsque l’examen de sa situation personnelle le justifie, dans des cas qui doivent rester exceptionnels.

Tout refus de séjour assorti d’une mesure portant obligation de quitter le territoire français est édicté après vérification du droit au séjour, mais également en tenant compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français – à Mayotte en l’occurrence –, de la nature et de l’ancienneté des liens avec la France, et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit.

Dès lors, la disposition visant à conditionner la délivrance du titre de séjour « liens personnels et familiaux » ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale.

Voilà pourquoi le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

Ce texte prévoit, c’est vrai, toute une série de dispositions visant à lutter contre l’immigration clandestine, irrégulière, massive, qui déséquilibre la société mahoraise : il y a évidemment des dispositifs de sécurité, de prévention et de détection, mais nous avons aussi évoqué la nécessité de faire évoluer notre relation avec la république des Comores sur ce sujet. Il s’agit donc d’un ensemble qui vise à améliorer, à rendre le plus efficace possible, tous nos dispositifs.

Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Nous nous heurtons toujours au même problème : ce présupposé selon lequel le durcissement des conditions de régularisation entraînera une réduction des flux migratoires illégaux vers Mayotte.

Or cela n’est toujours pas démontré. Nous voyons bien que des milliers et des milliers de personnes viennent à Mayotte en sachant très bien qu’elles seront en situation irrégulière, mais qui préfèrent tout de même vivre ainsi que de rester dans leur pays d’origine, où la situation est trop difficile. L’efficacité de telles mesures pour contrer cette attractivité, qui constituerait en quelque sorte un appel d’air, n’est toujours pas démontrée.

Par ailleurs, même si l’administration garde la possibilité de régulariser des personnes, nous savons qu’il y aura une pression politique, liée au durcissement de la loi, pour ne pas délivrer ces titres de séjour ; on voit donc mal comment la préfecture pourrait répondre favorablement à ces demandes de régularisation.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 rectifié, 80 et 144.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L’amendement n° 32 rectifié, présenté par Mme Briante Guillemont, MM. Masset, Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Pantel et M. Daubet, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le 15° de l’article L. 441-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.

La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Cet amendement vise à rétablir à Mayotte une possibilité de régularisation fondée sur des motifs exceptionnels, en supprimant une dérogation au droit commun du séjour.

Actuellement, les étrangers présents à Mayotte ne peuvent pas bénéficier d’une admission exceptionnelle au séjour, contrairement à ce qui est prévu sur l’ensemble du territoire.

Cette exclusion pose des difficultés, notamment juridiques : comme l’a rappelé le Conseil d’État, l’article 8 de la CEDH et le deuxième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 imposent le respect de la vie privée et familiale. Aussi, même sans base légale, des régularisations fondées sur l’intérêt supérieur de l’enfant ou des attaches fortes sont déjà imposées par la jurisprudence.

Ce paradoxe alimente l’opacité et l’insécurité juridique. Au travers de la disposition que je propose, le législateur créerait une voie claire, lisible et encadrée pour ces situations exceptionnelles.

Ce dispositif n’a pas vocation à ouvrir une voie massive à la régularisation ; il vise à permettre de répondre humainement à des cas limites, tout en assurant la cohérence de notre droit.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’avis est défavorable, et ce pour trois raisons.

D’abord, la disposition proposée ne paraît pas opportune eu égard à la situation migratoire exceptionnelle que je vous ai décrite précédemment.

Ensuite, elle renforcerait encore, nous en sommes convaincus – contrairement à vous, peut-être –, l’attractivité de Mayotte auprès des candidats à l’immigration irrégulière, alors que, au travers de ce texte, notre souhait est d’endiguer les flux migratoires importants, en provenance notamment des Comores, mais pas seulement.

Enfin, comme le rappelle le Conseil d’État dans son avis, en l’absence de dispositions sur les régularisations exceptionnelles, le préfet peut toujours, si nécessaire, régulariser à titre discrétionnaire les étrangers en situation irrégulière.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 32 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 33 rectifié, présenté par Mme Briante Guillemont, MM. Masset, Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Pantel et M. Daubet, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 5 à 8

Supprimer ces alinéas.

II. – Alinéa 10

Supprimer les mots :

et de manière ininterrompue

La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Je retente ma chance…

Cet amendement a pour objet d’établir une voie de régularisation humanitaire, en autorisant l’admission exceptionnelle au séjour qui s’applique sur le reste du territoire, mais en faisant un compromis : nous proposons de maintenir les restrictions prévues à l’article 2 dans sa version initiale.

D’une part, une telle mesure éviterait de bloquer toute situation familiale méritant une régularisation et de ne devoir compter que sur le pouvoir discrétionnaire du préfet pour éviter des atteintes disproportionnées à la vie privée et familiale.

D’autre part, l’exigence d’une présence ininterrompue sur une période donnée semble poser particulièrement problème, car elle ne tient pas compte des réalités de vie à Mayotte, des déplacements familiaux, de l’instabilité des parcours migratoires ou encore des obstacles administratifs fréquents.

Une telle disposition permettrait d’éviter une rigidité excessive dans les conditions de séjour exigées pour la régularisation d’un étranger.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Mon cher collègue, il y a un décalage entre l’objet de votre amendement et ses effets réels.

Votre amendement vise en effet à supprimer les deux mesures supplémentaires ajoutées par la commission à l’article 2 : d’une part, pour la délivrance de la carte de séjour temporaire « parent d’enfant français », le renforcement du mécanisme de la double contribution lorsque le demandeur n’est pas l’auteur de la reconnaissance de paternité de l’enfant, pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses ; d’autre part, l’exigence d’une résidence ininterrompue pour la délivrance de la carte de résident.

L’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 33 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte
Après l’article 2 bis

Article 2 bis (nouveau)

Dans un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les dispositions dérogatoires en matière d’immigration et de nationalité applicables à Mayotte.

Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par Mme Narassiguin, M. Omar Oili, Mmes Artigalas et Le Houerou, M. Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Un rapport d’étape est remis avant le 31 décembre 2026.

La parole est à Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin. Notre groupe est tout à fait favorable à l’article 2 bis, introduit par la commission des lois, qui prévoit la transmission au Parlement par le Gouvernement, dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi, d’un rapport évaluant les dispositions dérogatoires en matière d’immigration et de nationalité applicables à Mayotte. Enfin !

La nécessité d’une évaluation de ces dispositions dérogatoires, qui se sont multipliées au cours des dernières années, nous n’avons de cesse de l’affirmer, texte après texte. Voilà deux mois, lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, nous avions défendu une évaluation des dispositions dérogatoires applicables à Mayotte en matière de nationalité, évaluation à laquelle la commission des lois s’était opposée ; il faut croire qu’il y a les mauvais rapports, ceux qui sont demandés par l’opposition, et les bons, qui le sont par la majorité sénatoriale…

Que cette demande soit aujourd’hui reprise par la commission des lois est une bonne chose. Cependant, l’échéance de trois ans nous paraît trop lointaine. C’est pourquoi nous demandons qu’un rapport d’étape nous soit remis d’ici environ dix-huit mois, plus précisément avant le 31 décembre 2026.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Bitz, rapporteur. Ma chère collègue, je pense que vous avez mal interprété la position de la commission sur la proposition que vous aviez formulée il y a quelques semaines : la commission a estimé que votre demande n’était pas assez ambitieuse, car elle ne portait que sur le droit de la nationalité. (Mme Corinne Narassiguin rit.)

Pour notre part, nous demandons un rapport sur l’ensemble des dispositions dérogatoires dans le domaine migratoire et la nationalité.

En revanche, l’échéance de trois ans que nous avons fixée nous semble raisonnable. Nous craignons qu’un délai de dix-huit mois ne permette pas de disposer du recul nécessaire pour analyser l’effet des mesures que le Gouvernement nous propose au travers de ce projet de loi.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2 bis.

(Larticle 2 bis est adopté.)

Article 2 bis (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte
Article 3

Après l’article 2 bis

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 104, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 2 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 441-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre II…

Supprimer les dispositions spécifiques du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile propres à Mayotte

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Cet amendement traite de la question déjà évoquée à maintes reprises de la fin de la territorialisation des titres de séjour à Mayotte.

Vous le savez, mes chers collègues, en l’état du droit, les titres de séjour délivrés par le préfet de Mayotte ne donnent droit au séjour qu’à Mayotte. Leurs titulaires doivent donc présenter un visa pour se rendre dans un autre département.

Cette dérogation entraîne un grand nombre de conséquences néfastes : elle limite la circulation vers l’Hexagone des enfants de parents étrangers en situation régulière ; elle complexifie le parcours de nombreux jeunes majeurs, qui doivent entamer des démarches supplémentaires pour continuer leurs études dans un autre département ou pour travailler ailleurs en France ; elle peut influencer les choix d’orientation des jeunes et les dissuader de s’inscrire dans un cursus scolaire ou dans une formation qui nécessiterait un déplacement dans un autre département ; elle condamne à l’errance un grand nombre de jeunes, qui se retrouvent piégés à Mayotte sans solution.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a déjà dénoncé la situation des jeunes laissés dans une précarité administrative, et donc financière, totale après le baccalauréat : « Ils sont doublement sanctionnés, durant leur minorité et à leur majorité, subissant injustement les effets de la carence des pouvoirs publics. Des centaines de jeunes majeurs, au parcours scolaire brillant, sont ainsi dans l’impossibilité d’obtenir une carte de séjour dès l’obtention de leur baccalauréat pour poursuivre leurs études, les poussant à réaliser une ou deux années blanches. »

La fin de la territorialisation des titres de séjour est un angle mort du projet de loi et cette mesure fait face à un refus obstiné de la part du Gouvernement, mais nous, parlementaires, devons prendre nos responsabilités, conformément aux revendications des élus locaux : nous devons voter la fin de la territorialisation des titres de séjour.

J’ajoute qu’il est particulièrement méritant d’avoir un parcours scolaire exemplaire, brillant, et de réussir dans les conditions que nous avons décrites jusqu’à présent. Il nous faut donc être au rendez-vous.

Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 6 rectifié est présenté par M. Omar Oili, Mmes Narassiguin, Artigalas et Le Houerou, M. Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 19 rectifié bis est présenté par Mme Ramia, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne, Duranton et Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

L’amendement n° 151 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 2 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 441-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.

La parole est à M. Saïd Omar Oili, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.

M. Saïd Omar Oili. Cet amendement a un objet proche du précédent, puisqu’il vise à abroger l’article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile instituant la délivrance à Mayotte de titres de séjour territorialisés, qui bloquent leurs détenteurs sur le territoire du cent unième département.

Nous en avons déjà parlé lors de l’examen de notre amendement sur le rapport annexé, ce régime dérogatoire, spécifique à Mayotte, engendre une pression migratoire sur notre territoire. Or les capacités d’absorption de celui-ci sont depuis longtemps atteintes. Cette situation crée un trouble manifeste à l’ordre public, participe à la prolifération des bidonvilles et à la saturation des services publics de la santé, de l’éducation nationale, des réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement. La fin de ce confinement migratoire à Mayotte aurait dû être un préalable à cette refondation, puisqu’il est l’une des principales causes du déclassement de notre territoire.

Pourtant, le Gouvernement refuse de supprimer les visas territorialisés, prenant prétexte de l’attractivité de Mayotte. Or, la géographie étant ce qu’elle est, Mayotte, si pauvre soit-elle, restera pour longtemps encore un territoire plus riche que ses voisins. Cela signifie-t-il que ces visas ne seront jamais supprimés ?

Le Gouvernement doit sortir de ses discours d’évitement. Il indique un jour que ces visas seront supprimés quand les causes de l’immigration irrégulière auront été réglées, un autre qu’ils le seront quand une révision constitutionnelle abolissant le droit du sol aura été adoptée. Bref, à chaque fois, de nouveaux prétextes sont convoqués pour ne pas les abroger !

Cette situation n’est plus tenable pour Mayotte. La République a un devoir de solidarité avec notre territoire. L’État ne peut pas nous laisser seuls en première ligne.

Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié bis.

Mme Salama Ramia. Je commencerai mon propos par un mot : équité. En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on évoque la suppression du titre de séjour territorialisé à Mayotte.

Ce titre, tel qu’il existe aujourd’hui, crée une situation unique dans la République. Des personnes en situation régulière, disposant d’un titre de séjour valide, ne peuvent pas franchir les frontières intérieures de leur pays d’accueil. Elles sont confinées, bloquées, assignées à résidence sur un territoire qui traverse lui-même d’immenses difficultés.

Je suis convaincue que cette territorialisation n’est plus tenable, non pas par idéologie, mais parce qu’elle est devenue contre-productive. Elle entrave la mobilité, fragilise les parcours d’insertion et alimente une forme d’impasse sociale. Nous ne pouvons pas défendre une République une et indivisible si nous acceptons qu’une catégorie de résidents soit assignée à un territoire.

Je veux répondre à ceux qui s’inquiètent de l’effet d’appel d’air de cette suppression. Cette préoccupation est légitime, mais elle ne peut pas servir à justifier indéfiniment une restriction aussi lourde de conséquences. Le développement de Mayotte ne peut pas passer par l’enfermement de ses résidents. Il passera par la sécurisation réelle des frontières, une coopération régionale renforcée et des politiques migratoires maîtrisées. Le levier principal, c’est le contrôle aux frontières, non le blocage des mobilités internes.

Enfin, je veux rappeler que cette situation pèse lourdement sur les Mahorais eux-mêmes. Ce sont eux qui, les premiers, doivent quitter leur île pour soigner un proche ou suivre des études. Ce sont eux qui voient leur hôpital, leur école, leur service public saturés. La solidarité nationale ne peut pas s’arrêter à la porte de l’océan Indien !

Je plaide donc pour une évolution sereine, maîtrisée, mais déterminée. Supprimer ce titre, ce n’est pas céder, c’est rétablir une forme de normalité républicaine et permettre à Mayotte de respirer, de circuler, de se projeter.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Salama Ramia. Je sais que cette position peut réunir au-delà des clivages, car elle parle à la fois de justice, de responsabilité et d’efficacité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 151 rectifié.