Chapitre II
Renforcer la lutte contre l’emploi d’étrangers sans titre
Article 13
Après l’article 900-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 900-2 ainsi rédigé :
« Art. 900-2. – I. – À Mayotte, par dérogation à l’article 78-2-1, lorsque les lieux à usage professionnel mentionnés au premier alinéa du même article 78-2-1 sont situés dans un périmètre comportant des locaux et installations édifiés sans droit ni titre constituant un habitat informel au sens du deuxième alinéa de l’article 1-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement et formant un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d’assiette, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Mamoudzou peut, sur réquisition du procureur de la République, autoriser les agents mentionnés audit article 78-2-1, pour une période maximum de quinze jours, d’une part, à entrer dans ces lieux, y compris lorsqu’ils constituent un habitat informel, aux seules fins de procéder aux opérations prévues au même article 78-2-1 et pour la seule recherche des infractions mentionnées à cet article, d’autre part, à traverser, dans un périmètre défini, les locaux qui l’enclavent, qu’il s’agisse ou non de lieux d’habitation. La même autorisation est conférée aux fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire en matière de lutte contre le travail illégal.
« L’ordonnance du juge des libertés et de la détention comporte l’adresse ou l’identification par tous moyens des lieux dans lesquels les opérations de visite peuvent être effectuées, le cas échéant, le périmètre strictement nécessaire à l’intérieur duquel des locaux peuvent être traversés aux seules fins de rejoindre les lieux à visiter, les agents autorisés à procéder aux opérations de visite, les heures auxquelles ces opérations peuvent avoir lieu, la mention de la faculté pour l’occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix. L’exercice de cette faculté n’entraîne pas la suspension des opérations de visite.
« L’opération de contrôle se déroule en présence de l’occupant des lieux ou, en son absence, en présence de deux témoins.
« La visite s’effectue sous le contrôle du juge qui l’a autorisée. Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention. À tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite.
« L’ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute.
« Elle est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au dernier alinéa du même article 78-2-1. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’ordonnance est notifiée après la visite par lettre recommandée avec avis de réception. À défaut de réception, il est procédé à la signification de l’ordonnance par acte de commissaire de justice.
« Les délais et voies de recours sont mentionnés dans l’ordonnance.
« L’ordonnance peut faire l’objet d’un appel devant le président de la chambre d’appel de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion à Mamoudzou. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.
« Cet appel est formé dans un délai de quinze jours suivant les règles prévues par le code de procédure civile. Ce délai court à compter soit de la remise, soit de la réception, soit de la signification de l’ordonnance. Cet appel n’est pas suspensif.
« L’ordonnance du président de la chambre d’appel de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion à Mamoudzou est susceptible d’un pourvoi en cassation, selon les règles prévues par le code de procédure civile. Le délai de pourvoi en cassation est de quinze jours.
« Le procès-verbal prévu au dernier alinéa du même article 78-2-1 mentionne les lieux visités et, le cas échéant, ceux traversés.
« II. – Les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour connaître du contentieux indemnitaire résultant des mesures prises en application du présent article, dans les conditions prévues à l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. »
M. le président. L’amendement n° 109, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
quinze
par le mot :
deux
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous ne portons pas le même regard que vous sur la jeunesse. Le nôtre est beaucoup plus bienveillant. Nous sommes beaucoup plus tournés vers la prévention et l’éducation, vous êtes davantage dans la sanction, nous l’avons bien compris. On le voit dans ce texte comme dans l’ensemble des textes que nous examinons au Sénat.
Cet amendement vise à limiter la durée de l’autorisation prévue par cet article. Lorsque les locaux à usage professionnel situés au sein des bangas sont utilisés pour l’emploi de personnes en situation irrégulière, vous autorisez la traversée des habitats informels enclavant ces locaux afin de renforcer la lutte contre l’emploi de ces personnes.
Cette autorisation est prévue pour quinze jours, ce qui paraît particulièrement disproportionné. Le droit à la vie privée et familiale et le droit à la tranquillité des personnes qui vivent dans ces habitats informels, et qui sont déjà précaires, doivent tout de même être préservés.
Cet amendement a donc pour objet de réduire à deux jours la durée de l’autorisation de traverser les habitats informels donnée par le juge des libertés et de la détention afin de limiter l’atteinte aux droits de ces personnes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Les opérations de lutte contre le travail illégal permettent aux agents compétents, tels que les agents officiers de police ou ceux de l’Urssaf, sur réquisition du procureur de la République, de contrôler les locaux listés dans la réquisition. En métropole, le délai est d’un mois. Une durée de quinze jours à Mayotte nous paraît proportionnée.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 109.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 41 rectifié, présenté par Mme Briante Guillemont, MM. Masset et Gold, Mme Pantel et M. Daubet, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
jours
insérer les mots :
et lorsqu’il existe des indices sérieux à la réalisation d’une infraction visée à cet article
La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Cet amendement vise à mieux encadrer les opérations de contrôle dans les habitats informels. Il tend ainsi à prévoir que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention doit reposer sur des indices sérieux, laissant présumer la présence de travailleurs en situation irrégulière.
L’objectif est de prévenir les dérives liées à des contrôles dits exploratoires, qui porteraient atteinte à la vie privée des habitants sans fondement probant. Dans un contexte déjà tendu à Mayotte, où les opérations de police administrative dans les quartiers précaires peuvent exacerber les tensions, il est essentiel de maintenir un haut niveau de justification des interventions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Il nous semble que les interventions du JLD sont toujours justifiées par des raisons sérieuses, qui permettent de préserver les droits des personnes.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État. Même avis.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 41 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 13.
(L’article 13 est adopté.)
TITRE IV
FAÇONNER L’AVENIR DE MAYOTTE
Chapitre Ier
Garantir aux Mahorais l’accès aux biens et aux ressources essentiels
Article 14
I. – Par dérogation aux deuxième et dernier alinéas du VI de l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, à Mayotte, les enquêtes de recensement :
1° Sont exhaustives pour toutes les communes de Mayotte en 2025 et peuvent s’étendre sur l’année 2026 ;
2° Ne sont pas réalisées au titre de l’année 2026.
Un décret définit les modalités d’organisation de ces enquêtes.
II. – Par dérogation au X de l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 précitée, le premier décret authentifiant, en application du VIII du même article, les chiffres de la population de Mayotte est publié en 2026.
III. – Au dernier alinéa du IV de l’article 252 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, l’année : « 2025 » est remplacée par l’année : « 2026 ».
M. le président. L’amendement n° 77 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 121, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
.… – Les résultats des enquêtes de recensement sont communiqués aux collectivités compétentes et intégrés par ces dernières aux diagnostics d’accès à l’eau sur leur territoire afin d’identifier les personnes en situation de précarité en eau et de déterminer les mesures à mettre en œuvre en application des articles L. 1321-1 B du code de la santé publique et R. 2224-5-5 et suivants du code général des collectivités territoriales.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. L’article 14 prévoit des mesures relatives au recensement de la population, notamment le début de la collecte des informations à la fin de l’année 2025. Nous sommes d’accord, une telle démarche est nécessaire.
Par cet amendement, nous proposons que ce recensement soit également l’occasion d’identifier les personnes en situation de précarité, notamment de précarité hydrique. Il s’agit d’articuler le recensement général avec un diagnostic territorial d’accès à l’eau.
Nous l’avons dit à plusieurs reprises au cours de l’examen de ce texte, l’accès à l’eau est l’un des enjeux essentiels sur le territoire. Le diagnostic territorial d’accès à l’eau est obligatoire pour les collectivités compétentes en matière de service public local de l’eau potable. Notre objectif est la coordination et l’optimisation de ces deux dispositifs – le recensement et le diagnostic –, ce qui permettra d’identifier les situations de précarité en matière d’accès à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Bitz, rapporteur. Le diagnostic territorial d’accès à l’eau pourra être réalisé par les collectivités territoriales compétentes immédiatement après le recensement, à partir de la cartographie des habitations et des chiffres de la population.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État. Même avis.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 121.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 14.
(L’article 14 est adopté.)
Article 15
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de rendre applicable à Mayotte, sous réserve d’adaptations tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières du territoire, la législation en vigueur en métropole dans les matières relatives :
1° Aux prestations de sécurité sociale, à l’exception de l’aide médicale d’État, à l’aide sociale et à la prise en charge des frais de santé ;
2° Aux cotisations, contributions et impositions affectées au financement des régimes de sécurité sociale ;
3° À l’organisation et à la gestion des régimes de sécurité sociale ;
4° Aux règles applicables à l’offre de soins ;
5° Aux contrôles et à la lutte contre la fraude, aux échanges d’informations et aux contentieux relatifs à la sécurité sociale et l’aide sociale.
Ces ordonnances procèdent aux modifications nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes, améliorer la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l’état du droit, remédier aux erreurs et insuffisances et abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, sur l’article.
Mme Silvana Silvani. Il y a près de quinze ans, en 2011, Mayotte est devenue le cent unième département français. Pourtant, depuis lors, les Mahorais ne bénéficient toujours pas des mêmes droits sociaux que les Français de la métropole.
La départementalisation a étendu le système de protection sociale, mais les règles applicables à Mayotte ne sont pas les mêmes qu’à La Réunion ou à Paris. Aujourd’hui, le Smic à Mayotte équivaut à 75 % de celui qui est en vigueur en métropole, le revenu de solidarité active à 50 %. Quant à l’aide médicale de l’État (AME), elle ne s’applique toujours pas. Ce système à deux vitesses est entretenu par la France depuis des décennies.
En 2022, la Cour des comptes a estimé que l’État dépensait à Mayotte 6 000 euros par habitant et par an, soit le montant le plus bas dans les départements dits d’outre-mer, alors que c’est le territoire qui en a le plus besoin.
Avant le passage du cyclone Chido, on estimait que 25 % des Mahorais vivaient dans des bidonvilles. Cette situation fait dire au journaliste Rémi Carayol que la situation coloniale perdure à Mayotte, notamment en raison de ces différences de traitement.
Le Gouvernement propose d’accélérer le processus de convergence des droits en le faisant passer de 2036 à 2031. C’est un petit pas, même si nous tenons à signaler cette avancée. Nous souhaitons que cela s’accompagne d’une généralisation de l’ensemble des droits pour que les Mahorais puissent enfin sortir de la précarité et vivre dignement.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, sur l’article.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. La commission des affaires sociales a exclu l’aide médicale de l’État des prestations sociales visées à l’article 15, prestations dont le Gouvernement s’est engagé à harmoniser les conditions d’accès à Mayotte avec celles qui sont en vigueur sur le territoire métropolitain.
Nous regrettons profondément cette décision, qui est contraire aux recommandations formulées en 2021 par la commission des affaires sociales dans son rapport d’information intitulé Mayotte : un système de soins en hypertension.
Les auteurs de ce rapport d’information – l’ancienne présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, notre ancienne collègue Laurence Cohen et nos collègues Jean-Hugues Fichet et Dominique Théophile – préconisaient alors de « conduire la réalisation des engagements relatifs au droit à l’assurance maladie [, d’]envisager l’extension à Mayotte de la protection universelle maladie (PUMa) et [de] réaliser rapidement l’arrivée de la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire) et des exonérations de ticket modérateur selon le revenu ». Enfin, ils suggéraient d’« engager une réflexion sur le droit applicable concernant la prise en charge des frais de santé des personnes en situation irrégulière et sur la possibilité d’accorder l’aide médicale de l’État lors d’une résidence constatée de plus de trois mois ».
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à soutenir notre amendement, mais aussi à réfléchir à l’ensemble de nos travaux ce soir.
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, sur l’article.
Mme Annie Le Houerou. À Mayotte, l’égalité des droits est encore lointaine. Le montant des allocations familiales n’est pas encore aligné sur celui qui est en vigueur ailleurs, sauf pour les magistrats et les fonctionnaires d’État mutés provisoirement à Mayotte.
Sur l’île, les allocations perçues par une famille mahoraise sont trois à quatre fois inférieures à celles dont bénéficie une famille réunionnaise ou métropolitaine. Cette disparité contribue à maintenir un taux de pauvreté élevé et des inégalités importantes sur l’île. Par exemple, à Mayotte, 94 % des familles monoparentales, principalement des mères isolées avec leurs enfants, sont pauvres.
Cette prise de parole sur l’article me permet d’alerter sur deux inégalités criantes.
D’abord, à Mayotte l’allocation de soutien familial n’est pas versée, alors que, dans les autres départements, son montant s’élève à 195,86 euros par enfant à charge pour le parent élevant seul un enfant et à 261,06 euros par enfant à charge si l’enfant est privé de ses deux parents.
Ensuite, la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) y est partiellement versée. La prime à la naissance et la prime à l’adoption ne sont pas versées, contrairement à ce qui prévaut dans les autres régions. De plus, les autres composantes de cette prestation sont soit non servies, soit versées pour des montants inférieurs, preuve que, dans ce territoire, le soutien apporté aux jeunes parents est insuffisant.
Cette situation est incompatible avec le principe d’égalité de notre République française. Comment justifier que, sur un seul et même territoire, subsistent de telles inégalités, particulièrement dans ces périodes de fragilité et de vulnérabilité que sont la naissance et la petite enfance ? Laisser des familles françaises dans de telles situations est inacceptable. La convergence des droits sociaux et des prestations sociales est en cours depuis 1996. Il faut à présent réellement accélérer le processus !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.
Mme Raymonde Poncet Monge. Nous entamons l’examen des articles relatifs aux affaires sociales, qui représentent seulement quatre articles sur les trente-quatre du texte initial, alors qu’ils auraient dû en constituer l’essentiel. La refondation de Mayotte aurait en effet dû permettre l’adoption de mesures sociales fortes.
Nous nous trouvons plutôt face à un projet de loi dont le contenu est principalement composé de propositions antimigratoires. D’un côté, on l’a vu, ce texte durcit les conditions d’accès au séjour des parents d’enfants français et prévoit de retirer leur titre de séjour aux parents dont les enfants mineurs présentent un trouble à l’ordre public ; de l’autre, il ne prévoit pas d’aligner rapidement les montants des prestations familiales sur ceux de l’Hexagone et des autres départements d’outre-mer. La priorité du Gouvernement n’est pas l’égalité des droits.
Selon l’Insee, le système redistributif public ne réduit que très marginalement la pauvreté à Mayotte, où les prestations sociales ne font baisser que de deux points le taux de pauvreté. Monsieur le ministre, elles le font baisser de sept points dans l’Hexagone et de dix points en moyenne dans les autres départements d’outre-mer.
Refonder, c’était faire des annonces claires afin de faire baisser de plus de deux points le taux de pauvreté à Mayotte. Au lieu de cela, la convergence de certaines prestations de solidarité est renvoyée aux calendes grecques. Quel manque d’ambition !
En commission des affaires sociales, un amendement a été déposé visant à ne pas octroyer l’AME à Mayotte au prétexte que son versement pourrait créer un appel d’air. La recherche a pourtant démontré à maintes reprises qu’il s’agit là d’un mythe, tout comme l’ont fait plusieurs rapports de l’Assemblée nationale, de même que ceux du Défenseur des droits en 2020 et de la mission d’information du Sénat sur l’accès aux soins à Mayotte.
Dans quel but alimentez-vous cette contre-vérité, au lieu de la déconstruire ? Au nom de quelle idéologie ?
Refonder signifie établir rapidement l’égalité avec les autres territoires. Il s’agit d’être à la hauteur. La France a une responsabilité et le régime d’exception à Mayotte doit cesser.
Nous proposerons plusieurs amendements à cette fin.
M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim, sur l’article.
Mme Audrey Bélim. Je me dois d’insister, comme mes collègues Saïd Omar Oili et Corinne Narassiguin, sur la nécessité de poursuivre l’engagement de l’État en faveur de Mayotte. Nous pensons tous que Mayotte a aujourd’hui besoin d’un regard bienveillant et constant de l’État.
Monsieur le ministre, vous vous souvenez certainement de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, que vous avez défendue conjointement avec Ericka Bareigts.
Cette loi comprenait un titre entier sur le département de Mayotte. L’accélération du rythme de convergence des allocations familiales avec le montant en vigueur dans les départements et régions d’outre-mer, la mise en place du complément familial, du complément de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, d’un minimum contributif pour revaloriser les petites retraites et de véritables plans de convergence élaborés en concertation avec les filières socioprofessionnelles étaient nécessaires à Mayotte, comme dans tous les autres territoires ultramarins.
Malheureusement, cette loi, adoptée à l’unanimité en 2017, a été mal ou peu appliquée par les gouvernements qui se sont succédé. Les plans de convergence se résument par exemple à de simples contrats de plan État-région, élaborés sans concertation. Ils ne constituent donc pas de véritables stratégies pour le territoire.
C’est pourquoi il me semble essentiel que nous convenions tous, parlementaires comme Gouvernement, que les propositions qui suivront sont essentielles pour le territoire, par solidarité avec nos concitoyens mahorais, pour qui Chido a été un véritable traumatisme. Cette crise dure par de nombreux aspects. Mayotte a donc ce soir besoin d’un véritable soutien de la Nation française.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 15 est présenté par Mmes Corbière Naminzo, Silvani, Apourceau-Poly, Brulin et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 43 rectifié est présenté par Mme Briante Guillemont, MM. Masset, Gold et Guiol, Mme Pantel et M. Daubet.
L’amendement n° 85 est présenté par Mme Le Houerou, M. Omar Oili, Mmes Narassiguin et Artigalas, MM. Lurel et Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 141 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
à l’exception de l’aide médicale de l’État,
La parole est à Mme Silvana Silvani, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Silvana Silvani. Mayotte est le seul département français où l’aide médicale de l’État (AME) ne s’applique pas, alors même qu’il s’agit du territoire qui compte la plus forte proportion de personnes vulnérables.
Selon les chiffres de l’Insee, en 2021, un habitant de l’archipel sur neuf s’estimait en mauvaise ou très mauvaise santé. La mortalité infantile y atteint 9,6 %, contre 3,8 % dans l’Hexagone. La malnutrition touche encore 10 % des enfants de 4 ans à 10 ans et les populations âgées montrent également un état de santé dégradé, avec une espérance de vie inférieure de huit ans par rapport à la France métropolitaine.
Face à ce constat, il y a urgence à lutter contre les renoncements aux soins en généralisant la protection universelle maladie et les exonérations de ticket modérateur. Pour les personnes immigrées, l’aspect financier est souvent évoqué comme motif de renoncement aux soins, alors que l’aide médicale de l’État demeure non applicable à Mayotte. En dehors des situations d’urgence, les personnes qui vont consulter au centre hospitalier de Mayotte peuvent se voir demander une participation forfaitaire de 10 ou 25 euros. Cela représente une réelle barrière pour l’accès aux soins des personnes en situation régulière.
C’est la raison pour laquelle, par cet amendement, nous demandons de maintenir la possibilité de généraliser l’AME au territoire de Mayotte.
Les droits sociaux sont constitutifs des droits de la citoyenneté dans notre République universelle et indivisible. Les citoyens sont égaux en droits. Ce n’est pas un menu à la carte ! L’argument de la maîtrise de l’immigration ne saurait justifier le maintien de droits différenciés selon que nos concitoyens sont en métropole ou sur le territoire mahorais.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié.
Mme Sophie Briante Guillemont. Il est défendu, monsieur le président !
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour présenter l’amendement n° 85.
Mme Annie Le Houerou. L’article 15 prévoit la convergence des droits à Mayotte d’ici à 2031 au plus tard. Cependant, du fait d’un amendement de la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, il n’inclut pas l’aide médicale de l’État.
Mayotte est aujourd’hui le seul département français exclu de ce dispositif, alors qu’il concentre la plus forte proportion d’étrangers en situation irrégulière. Une telle exclusion crée des problèmes majeurs de santé publique, touchant aussi bien les personnes concernées que l’ensemble de la population.
Depuis la mise en place de la sécurité sociale, au 1er janvier 2005, l’accès aux soins, qui était jusqu’alors gratuit pour tous, quelle que soit la nationalité ou la régularité du séjour, ne l’a plus été que pour les affiliés. Les non-affiliés, eux, sont contraints de payer un forfait. Ce système explique le taux de renoncement important sur l’île.
En général, les non-affiliés sont les personnes résidant de manière irrégulière sur l’île, appartenant souvent à la part la plus précaire de la population. Comment peut-on imaginer qu’ils puissent s’acquitter d’un forfait pour bénéficier d’une consultation ?
Avec 89 médecins pour 100 000 habitants au 1er janvier 2022, contre 338 en moyenne dans l’Hexagone, Mayotte est le plus grand désert médical de France. Privés d’accès à la médecine de ville, les patients se tournent massivement vers les urgences du centre hospitalier de Mayotte. Cela entraîne des prises en charge tardives, des soins coûteux et un engorgement du seul hôpital de l’île. Déjà en situation critique, l’établissement assure 72 % de l’offre de soins et supporte seul toute la charge financière, ce qui aggrave fortement son déficit.
Nous ne souhaitons pas que Mayotte soit le laboratoire de ce qui est prôné par une certaine partie de la classe politique et pourrait advenir sur le reste du territoire. Toute personne dont la santé est en danger doit pouvoir être soignée.
Ainsi, nous souhaitons que l’AME ne soit pas exclue a priori de la convergence des droits prévus par le projet de loi, afin de garantir aux Mahorais un accès équitable aux soins et de consolider la cohésion sanitaire nationale. La République est une et indivisible. De ce fait, tous ses habitants doivent pouvoir bénéficier des mêmes aides, afin de leur permettre de vivre dignement.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 141.
Mme Raymonde Poncet Monge. Par cet amendement, nous souhaitons, nous aussi, supprimer l’exclusion de l’aide médicale de l’État à Mayotte du champ de l’habilitation conférée au Gouvernement.
Rappelons-le, l’AME est une prestation sociale qui relève d’une politique de santé publique. C’est une mesure essentielle et universelle. Elle garantit l’accès aux soins vitaux des personnes en situation irrégulière, préservant indirectement la santé de tous les habitants du territoire.
En refusant l’AME à Mayotte, on rompt le principe constitutionnel d’égalité, on porte atteinte à la solidarité nationale et on prend le risque – nous le savons – de multiplier les urgences et, à terme, les coûts sanitaires.
En effet, les conditions de vie des personnes concernées sont déjà tellement dégradées que celles-ci sont plus vulnérables aux maladies infectieuses et transmissibles ou à des pathologies telles les infections aiguës du système respiratoire. Les femmes enceintes ont un manque de suivi qui les met en danger, elles et leurs enfants.
Tout refus de cet accès aux soins de premiers recours ou tout retard se révélera plus coûteux, indépendamment même du coût humain. En effet, cela entraînera un report aux urgences du système hospitalier, sans parler des conséquences en termes de santé publique auxquelles j’ai déjà fait référence.
Cette exclusion est une aberration financière et médicale, en plus de témoigner d’un manque d’humanité.
L’adoption de cet amendement permettra de garantir l’universalité réelle de la protection sociale dans l’ensemble du territoire de la République, de prévenir les risques épidémiques, d’assurer un accès effectif aux soins de premier recours et de mettre fin à une différence de traitement discriminatoire à l’égard des résidents de Mayotte.
Il convient donc de supprimer la mention de l’exclusion de l’AME, afin de rendre pleinement cohérent l’objectif de convergence sociale qui figure dans le projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Ces amendements identiques visent à réintroduire la possibilité pour le Gouvernement d’étendre l’aide médicale de l’État à Mayotte, que nous avons supprimée en commission.
En effet, le Gouvernement a toujours été très clair sur le fait que la convergence devait s’appliquer en tenant compte des spécificités mahoraises. À ce jour, le fort afflux de migrants déstabilise l’ordre public et la reconstruction qui est à l’œuvre ; il cause aussi une pression sans précédent sur les services publics. Nous ne pouvons pas créer d’effet incitatif supplémentaire.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, ce texte est, d’une manière générale, équilibré, fort et dynamique dans ses objectifs ; en tout cas, c’est ce que nous avons recherché. Encore une fois, le réduire aux seuls enjeux migratoires et de sécurité, même s’il s’agit évidemment de sujets importants, c’est ne pas l’avoir lu et passer à côté de l’essentiel.
Nous avons consacré du temps aujourd’hui à l’examen de l’article 1er et du rapport annexé. Je pense ainsi à l’engagement de 4 milliards d’euros d’investissements, sur la base d’une programmation qu’il faudra évidemment préciser, avec une série d’objectifs.
Un engagement était attendu depuis dix ans. Si cela ne vous paraît pas très important, c’est que vous ne vous intéressez pas à ce qui constitue le cœur même du texte, à savoir la reconstruction et la refondation de Mayotte.
Je me permets d’insister sur ce point, car de tels moyens n’ont jamais été mobilisés, pas même dans le cadre de la démarche que Mme la sénatrice Bélim a à juste titre évoquée. Nous avons en effet lancé et défendu un texte avec Victorin Lurel, puis avec Ericka Bareigts, mais, comme cela a d’ailleurs été souligné, ce sont ensuite son application et la définition des objectifs à atteindre qui ont posé problème.
Le hasard veut qu’il me revienne, sept ans ou huit ans plus tard, d’essayer d’en mettre en œuvre les principes pour Mayotte. Le hasard a-t-il bien fait les choses ou non ? Je n’en sais rien… (Sourires.)
Vous avez été nombreux à voter l’article 1er. J’entends les impatiences, voire certaines marques de scepticisme. Il faut que les mesures adoptées entrent en vigueur.
Au demeurant, le texte que je présente est le fruit d’un travail interministériel. Il découle également des concertations avec les élus mahorais et une partie de la société civile, de la proposition de loi qu’Estelle Youssouffa, députée de Mayotte, a rédigée et de ce que mes prédécesseurs Vigier et Guévenoux ont engagé. Nous arrivons au bout du chemin.
Le projet de loi qui vous est proposé institue la programmation financière et crée – cela a été rappelé – des outils de lutte contre l’habitat illégal et l’immigration irrégulière. Il met en place la convergence sociale, un élément fondamental qui va beaucoup s’appuyer sur la négociation avec les partenaires sociaux. D’ailleurs, c’est en cours. J’ai sollicité le préfet Bieuville et le général Facon ; sur la base du rapport qu’ils me soumettront, nous pourrons engager cette convergence sociale à partir du 1er janvier 2026.
Je tenais à rappeler tous ces éléments.
J’en viens à la question de l’AME.
La commission des affaires sociales a adopté un amendement tendant à exclure l’aide médicale de l’État du champ des prestations sociales pouvant être étendues à Mayotte par ordonnance. D’ailleurs, comme je l’ai indiqué, le Gouvernement examinera évidemment l’ensemble de ces prestations dans le cadre de l’ordonnance.
Les auteurs des quatre amendements identiques souhaitent que l’AME soit réintégrée dans le champ de l’habilitation du Gouvernement. Aujourd’hui, cela a été souligné et c’est juste, cette prestation ne s’applique pas à Mayotte.
La prise en charge des soins des étrangers en situation irrégulière sur le territoire s’effectue principalement au centre hospitalier de Mayotte. Je salue à ce propos le travail incroyable et le très grand dévouement des médecins.
Si l’instauration de l’AME a pour objectif de permettre la prise en charge de ces personnes en ville, il est peu probable que cela puisse se traduire immédiatement dans les faits à Mayotte. Comme vous le savez, aujourd’hui, l’offre de ville reste embryonnaire ou est saturée.
Avant d’envisager la mise en œuvre de l’AME à Mayotte, le Gouvernement souhaite continuer les efforts – c’est un sujet que j’ai évoqué aujourd’hui – pour développer l’offre de soins de ville. Je pense notamment à ce que la médecine libérale peut faire dans les permanences et les dispensaires.