Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Sonia de La Provôté.
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Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, ainsi que sur notre site internet.
J'appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
situation à gaza (i)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, il n'y a plus de doute : le risque de famine n'a jamais été aussi élevé à Gaza. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) prévoit ainsi que près de deux millions de Palestiniens seront affamés si rien n'est fait rapidement. Ce drame s'ajoute aux dizaines de milliers de personnes – hommes, femmes, enfants – tuées par les bombardements de Tsahal depuis bientôt trente-six mois.
Il ne fait plus de doute non plus que le gouvernement israélien crée délibérément les conditions d'un désastre humanitaire. Il envoie ses « chariots de Gédéon », des chariots de feu, et, dans le même temps, il bloque l'essentiel de l'aide humanitaire. Il empêche que soit charriée la vie plutôt que la mort. Nourriture, eau, médicaments, marchandises, tout manque à Gaza.
Personne n'oublie les odieux attentats du 7 octobre 2023. Reconnaissons cependant que l'objectif initial de la guerre – décimer le Hamas – a considérablement évolué : aujourd'hui, c'est l'ensemble de la population palestinienne qui est visée. On observe par ailleurs l'émergence de projets politiques qui font fi de l'existence des Palestiniens et qui présupposent le consentement de tous les Israéliens.
Une seule ouverture est à noter à ce stade : mon groupe constate avec satisfaction l'intensification des critiques et de la mobilisation à l'échelle internationale.
Notre ministre des affaires étrangères a qualifié Gaza de « mouroir » et de « cimetière ». La France est claire et doit continuer d'œuvrer pour la paix. Plusieurs dirigeants européens, le Royaume-Uni et le Canada se mobilisent d'ailleurs à ses côtés.
Je salue également la demande, par une majorité d'États membres, de la révision de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël. La perspective d'une conférence en juin prochain, sous l'égide de l'ONU, est aussi une bonne chose.
Il reste à renforcer la pression sur les acteurs de la région proche-orientale, qui, disons-le, manquent pour la plupart à leurs obligations.
Monsieur le Premier ministre, comment la France compte-t-elle agir et répondre à l'urgence causée par la famine ?
Le RDSE, attaché à la défense des droits de l'homme, s'en remet à tous les responsables pour que le courage l'emporte. Nous-mêmes, supporterions-nous un tel drame humanitaire aux portes de l'Europe ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Madame la présidente Carrère, au travers de votre question, vous avez énoncé avec clarté et émotion la situation telle que nous la voyons. La volonté de la France a été affirmée de la même manière.
Qu'observons-nous ? La situation humanitaire à Gaza, que vous avez su parfaitement décrire, est désormais effroyable : risque de famine, manque d'eau et de médicaments. En outre, les perspectives d'une guerre se dessinent, avec l'annonce par le gouvernement israélien d'une nouvelle offensive militaire et l'évocation de déplacements de populations, ainsi que d'annexions.
Déplacements de populations, annexions, famine, dangers pour la population civile : la France ne peut pas l'accepter ! Et nous croyons que, grâce à la France ou avec elle, d'autres pays du monde, qui jouent un rôle très important dans la région, ne peuvent pas l'accepter non plus.
J'ajoute, pour ceux qui s'intéressent à l'Histoire, que voir la France et le Royaume-Uni, compte tenu de leur histoire dans cette région, annoncer de concert qu'ils vont reconnaître l'État de Palestine, dans le cadre d'une solution à deux États, a évidemment une signification très importante.
Que pouvons-nous faire ? L'aide humanitaire est d'ores et déjà acheminée sur place : de la nourriture et de l'eau, qui permettraient de ravitailler les populations pendant plusieurs mois, sont ainsi disponibles à la frontière. Cette aide avait été intégralement bloquée jusqu'à avant-hier, et seule une toute petite quantité est entrée à Gaza depuis lors.
Nos efforts vont inlassablement dans ce sens, tout comme, vous l'avez rappelé, les initiatives de l'Europe, car la question des accords entre l'Union européenne et Israël est remise sur la table.
Nous cherchons à mobiliser la communauté internationale et à soutenir tous ceux qui veulent la paix, sans pour autant oublier que cette explosion a eu pour détonateur le pogrom du 7 octobre 2023.
Nous sommes ceux qui avons une vision équilibrée et volontaire de l'avenir de cette région, et je vous remercie, madame la présidente, de l'avoir rappelé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
eaux en bouteille (i)
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Alexandre Ouizille. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.
Lundi dernier, au nom de la commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille, j'ai eu l'honneur de présenter le rapport Eaux minérales naturelles : préserver la pureté, que nous avons adopté à l'unanimité, moins une abstention.
C'est l'occasion pour moi de saluer à la fois la présidence très efficace et très sénatoriale, comme il aime lui-même à le dire, de mon collègue Laurent Burgoa (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.), les travaux pionniers de ma collègue Antoinette Guhl (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.), l'énergie de mon collègue Hervé Gillé, avec qui je porte ce sujet depuis le début au sein du groupe socialiste (Applaudissements sur les travées du groupe SER.), et, enfin, tous les membres de la commission d'enquête.
Lundi, c'était le temps des révélations et de la transparence, mais aussi celui des propositions. Nous en avons formulé vingt-huit, toutes extrêmement précises.
Parmi nos révélations, l'une a particulièrement ému l'opinion : celle du caviardage par l'agence régionale de santé d'Occitanie d'un rapport administratif, écrit sous la dictée de l'industriel Nestlé Waters et à ce point dénaturé que le fonctionnaire instructeur a demandé que l'on retire sa signature au bas du document.
Plus largement, notre rapport témoigne d'une logique transactionnelle de l'État, qui a fait le choix, jusqu'à l'Élysée, de ne pas révéler ce scandale aux Français et qui a validé des traitements contraires au droit européen. L'inspection générale des affaires sociales (Igas) considère d'ailleurs que ces traitements constituent une fausse sécurité sanitaire, celle-ci n'étant finalement assurée que par la destruction massive, mais difficilement compréhensible sur le plan écologique, de produits finis dans les usines d'embouteillage.
Aussi, c'est un État ensablé dont nous avons retracé l'action et la conduite, même si certains fonctionnaires ont fait leur travail. Je pense ici au directeur de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et au directeur général de la santé d'alors, Jérôme Salomon, qui n'ont cessé de dénoncer des errements.
Je conclurai, madame la ministre, en vous disant que nous avons besoin de vous, à la fois parce que certaines de nos recommandations nécessitent l'intervention du pouvoir réglementaire et parce que nous voulons poursuivre le travail transpartisan que nous avons engagé.
Ce travail a pris la forme d'une proposition de loi, qui ne pourra aboutir et contribuer à nous faire sortir de ce scandale qu'avec le soutien du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Alexandre Ouizille, je m'associe aux remerciements que vous venez d'adresser et tiens à mon tour à féliciter tous les membres de la commission d'enquête sénatoriale, à laquelle vous avez participé en votre qualité de rapporteur.
Cette commission d'enquête dresse un état des lieux, établit un diagnostic et formule un certain nombre de recommandations, dont vous venez de faire état. Elle met en lumière les enjeux qui sont liés à la préservation des ressources et de la qualité de l'eau. Elle insiste sur la nécessité d'un renforcement des contrôles, ainsi que d'une plus grande précision de la réglementation.
Je veux rappeler ici l'attachement absolu du Gouvernement à la sécurité sanitaire de tout ce qui concerne les eaux mises en marché.
J'ajoute que l'eau est l'un des aliments les plus contrôlés en France et que la qualité des eaux conditionnées produites en France est très satisfaisante. D'ailleurs, plus de 150 000 analyses sont réalisées chaque année dans le cadre du contrôle sanitaire mené par les ARS.
Cela étant, un certain nombre de choses méritent d'être améliorées.
Ainsi, conformément à l'engagement du directeur général de la santé lors de son audition devant votre commission d'enquête, le ministère de la santé diffusera d'ici à quelques jours aux directeurs généraux des ARS et aux préfets une circulaire visant à clarifier la doctrine du recours aux microfiltrations, puisque c'est de cela qu'il s'agit.
Le rapport de la commission d'enquête suggère par ailleurs que l'Anses puisse être saisie bientôt pour se prononcer scientifiquement sur l'acceptabilité de cette pratique de microfiltration. Cette recommandation nous paraissant tout à fait pertinente, le Gouvernement saisira donc l'Anses.
Enfin, un vide juridique pourrait subsister. Vous l'avez vous-même mentionné, monsieur le sénateur, puisque vous avez appelé de vos vœux de nouvelles dispositions législatives et réglementaires.
Sachez que le Gouvernement est pleinement engagé en ce sens. Il a du reste décidé de saisir la Commission européenne pour l'interroger sur ses intentions quant à une possible révision de la directive européenne sur les eaux, dans laquelle figurent la définition de la pureté originelle, sa caractérisation et le statut de la microfiltration.
Le Gouvernement entend poursuivre son action dans ce domaine. Je vous remercie des travaux que vous avez engagés de votre côté au travers de votre commission d'enquête. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
situation à gaza (ii)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Ian Brossat. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
« Israël prendra le contrôle de toute la bande de Gaza ». Ces mots sont ceux du Premier ministre d'extrême droite israélien, Benjamin Netanyahou. C'est non plus une menace, mais une promesse, celle d'une domination totale, par la force, par la terreur, par la destruction.
Ce week-end encore, on a dénombré plus de cent morts et l'on a vu des familles pulvérisées, des enfants ensevelis sous les gravats. Gaza était déjà une prison à ciel ouvert. C'est désormais un cimetière à ciel ouvert.
Depuis le début de la guerre, plus de 64 000 Gazaouis ont été tués, selon la revue The Lancet. La famine s'installe. Il n'y a plus d'eau, plus d'électricité, plus de soins. Depuis le 2 mai, Israël bloque l'entrée de toute aide humanitaire. Et l'ONU alerte : si l'aide n'est pas acheminée dans les quarante-huit prochaines heures, 14 000 nourrissons pourraient mourir…
Soyons clairs, ce n'est pas une guerre, c'est un siège ! Et tout cela est documenté par les institutions internationales.
En janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a exigé des mesures urgentes pour prévenir un génocide – ce sont ses mots. En mars de la même année, l'ONU a affirmé que ce seuil avait été franchi. En juin, une commission d'enquête – de l'ONU toujours – concluait à l'existence de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Et en novembre, c'est la Cour pénale internationale qui émettait un mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahou.
Face à cela, que fait la France ? Que fait l'Europe ?
Le Président de la République a exprimé sa volonté de reconnaître l'État de Palestine. Mais que vaudra la reconnaissance de la Palestine s'il n'y a plus un seul Palestinien en vie ? Que sera la Palestine si Benjamin Netanyahou parvient à ses fins ? De quoi s'agira-t-il ? D'un drapeau planté sur un charnier ? Les mots ne suffisent plus. Il faut des actes !
Combien d'images insoutenables d'enfants déchiquetés et de femmes ensevelies faudra-t-il avant que la France ne prenne ses responsabilités ? Monsieur le ministre, que fait la France pour mettre Benjamin Netanyahou hors d'état de nuire ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger.
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur Ian Brossat, vous l'avez dit, Gaza est devenu un cimetière à ciel ouvert. Une violence aveugle et le blocage de l'aide humanitaire ont transformé ce territoire en un véritable mouroir.
Vous l'avez aussi dit fort justement, monsieur le sénateur, et vos mots sont justes. La faim ronge le corps des enfants et la terreur se lit dans les yeux de leurs parents.
Pour autant, comme le Premier ministre l'a très bien expliqué dans son intervention, en aucun cas, nous ne devons relativiser ce qui s'est produit depuis le 7 octobre 2023. Nous devons reconnaître l'immense responsabilité, la responsabilité historique qui est celle du Hamas.
Il est en effet du devoir de la France de rappeler que le Hamas doit être désarmé,…
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. … qu'il doit d'abord libérer les otages qu'il détient et que ses dirigeants doivent quitter Gaza et ne pas faire partie de la future administration du territoire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Roger Karoutchi. Voilà !
Mme Cécile Cukierman. Les dirigeants du Hamas sont au Qatar !
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. Ce préalable ne doit pas être sous-estimé.
Monsieur le sénateur, ce n'est pas faire offense au peuple d'Israël que de le dire, aujourd'hui, le gouvernement israélien hypothèque la sécurité de la région, à commencer par celle de l'État hébreu. On ne peut pas construire la paix et préserver la stabilité en ayant recours à l'injustice et à la violence. On bâtit la paix et on obtient la stabilité en respectant le droit, en prenant en compte la dignité de la personne et en privilégiant le dialogue.
Mme Cécile Cukierman. Le dialogue avec le Qatar ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué. C'est, comme l'a indiqué le Premier ministre, ce que la France prône depuis longtemps.
Vous avez vu que, cette semaine, le Canada et le Royaume-Uni ont emboîté le pas de notre pays, avec un objectif très clair : créer les conditions d'une solution politique reposant sur deux États, vivant côte à côte, en paix et en sécurité.
Pour y parvenir et, par suite, pour susciter la création de l'État de Palestine, la France est, vous le savez, déterminée à reconnaître ce nouvel État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
certification des comptes de la caisse nationale des allocations familiales
M. le président. La parole est à M. Guislain Cambier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Guislain Cambier. Ma question s'adresse à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Madame la ministre, 6,3 milliards d'euros : tel est le montant des erreurs non corrigées de la branche famille de la sécurité sociale. Aussi, fort logiquement, la Cour des comptes s'est déclarée « dans l'impossibilité de certifier » les comptes de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pour 2024. C'est un peu Retour vers le futur, puisqu'il en a été de même en 2022 et en 2023…
Ces 6,3 milliards d'euros d'erreurs concernent aussi bien des versements indus que des prestations non versées, donc à la fois des économies et des dépenses publiques supplémentaires.
Quelle que soit la nature de la dette, et alors que le Premier ministre a fait de la lutte contre celle-ci sa priorité, nous sommes nombreux à nous poser la question du pilotage d'une politique qui vise plus de 13 millions de familles françaises. Ces erreurs représentent 8 % des prestations versées ; elles concernent notamment le RSA, la prime d'activité et les aides au logement. Plus du quart des montants versés au titre de la prime d'activité sont ainsi entachés d'erreurs.
Je ne reviendrai pas sur le contexte budgétaire – nous en débattons chaque semaine –, mais évidemment, compte tenu des sommes en jeu, le Gouvernement ne peut rester inactif. Il doit apporter une réponse à une situation pointée par la Cour des comptes.
Aussi, madame la ministre, quelles actions le Gouvernement compte-t-il engager afin de rendre sincères les comptes de la branche famille de la sécurité sociale ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, la situation que vous décrivez est incompréhensible pour les Français et insatisfaisante pour nous tous et, au premier chef, pour la ministre Catherine Vautrin, dont je vous prie d'excuser l'absence – elle est actuellement retenue à l'Assemblée nationale – et moi-même, en tant que ministre des comptes publics.
Sous l'autorité du Premier ministre, je cherche avant tout à simplifier notre régime de prestations. Ainsi, vous le savez, nous travaillons à la mise en place d'une allocation sociale unique. En somme, nous tentons de remettre de l'ordre dans nos prestations et, de ce fait, dans nos comptes.
À plus court terme, l'absence de certification des comptes de la branche famille s'explique, comme vous l'avez très bien dit, par le cumul de versements indus et de prestations non versées.
La bonne nouvelle, si je puis m'exprimer ainsi, est que, depuis le 1er mars 2025, nous avons structurellement changé la donne grâce à une réforme que certains appellent la solidarité à la source, c'est-à-dire le préremplissage automatique de toutes les déclarations pour l'attribution de la prime d'activité et du revenu de solidarité active (RSA) adressées aux caisses d'allocations familiales.
Cette réforme signifie une chose très simple : l'administration remplit, le citoyen contrôle. Nous le faisons déjà tous pour le paiement de nos impôts, et cela fonctionne très bien – nous sommes d'ailleurs en pleine saison des déclarations d'impôt…
Depuis le 1er mars dernier, donc, dans tous les départements où cette simplification s'est déployée, nous observons que, dans 96 % à 98 % des cas, les allocataires valident la déclaration qui leur a été proposé. Cela aura donc un effet direct – en tout cas, nous y travaillons – sur les comptes de l'année en cours.
Nous espérons que la Cour des comptes pourra observer une amélioration significative de la situation budgétaire de la sécurité sociale, ce qui signifiera à la fois que l'on aura réalisé des économies sur les versements indus, que l'on peine aujourd'hui à recouvrer, et – il faut le dire – que l'on aura versé davantage de prestations auxquelles les Français ont droit, donc que l'on aura progressé dans la lutte contre le non-recours.
Cette réforme est essentielle, d'autant qu'elle s'inscrit dans le second axe de la politique que nous menons, à savoir la lutte contre la fraude, un combat que nous menons là encore d'arrache-pied : l'année dernière, 30 % de fraudes supplémentaires ont ainsi été détectées par les organismes de sécurité sociale, pour un total des fraudes aux prestations sociales estimé à près de 3 milliards d'euros. Et croyez-moi, nous entendons bien continuer en ce sens ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Guislain Cambier, pour la réplique.
M. Guislain Cambier. Je vous remercie, madame la ministre.
Vous avez raison, il faut parler avec sérieux quand il est question de 6,3 milliards d'euros d'erreurs… Vous venez d'évoquer la fraude sociale : je ne puis que vous renvoyer aux travaux menés ici par Mme Nathalie Goulet. Et puisque vous parlez de contrôle des comptes publics, en particulier de ceux de la sécurité sociale, je vous invite à consulter les travaux que conduit Mme Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat.
De manière générale, face à l'urgence de la dette, il convient d'être sérieux quand on évoque nos comptes publics. Ce n'est pas un conseil gratuit de ma part : le Sénat explore des pistes intéressantes ; il conviendrait de vous y référer si vous voulez non pas laisser filer nos comptes, mais bien les suivre au quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
scandale nestlé et influence privée dans les décisions de l'état
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Antoinette Guhl. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.
Madame la ministre, si je devais dire en quelques mots ce que je retiens de plus d'un an d'auditions sur les eaux en bouteille, je dirais : « Construction du mensonge, fabrique savamment orchestrée du doute, complicité des autorités et opacité totale. »
Vous me répondrez : « Tout est sous contrôle ». Oui, c'est vrai, nombre de fonctionnaires ont fait leur travail, et bien. Ils ont contrôlé, constaté et alerté. D'autres l'ont bien fait aussi : ils ont enquêté et révélé. Je veux saluer ici les journalistes de la cellule d'investigation de Radio France et du journal Le Monde.
Sans la presse, nous n'aurions ni vu, ni su, ni compris ce scénario si bien ficelé, dans lequel, à chaque échelon, on a fermé les yeux, un scénario écrit de bout en bout par un industriel qui vous a fait répéter à loisir, avec la complicité de vos cabinets, et ce jusqu'au plus haut niveau de l'État, qu'il n'y avait pas de risque sanitaire.
C'est une stratégie, qui n'est, hélas, qu'une affaire de gros sous, ceux-ci se comptant en milliards d'euros… C'est aussi un chantage à l'emploi, pour mieux piller la ressource en eau, notre patrimoine commun, une eau vendue au mépris du consommateur, bien trop cher pour une eau traitée, et exportée aux Etats-Unis, sans aucune taxe qui plus est !
Je le dis, c'est un scandale d'État, un scandale sanitaire, un scandale démocratique ! Et c'est aussi un saccage écologique.
Aussi, madame la ministre, je vous le demande : comment est-il possible que notre État soit si peu résistant face aux lobbies ? Pourquoi les gouvernements successifs ont-ils couvert une entreprise qui ne respecte ni la réglementation, ni ses salariés, ni la ressource en eau, ni même ses consommateurs ? Répondez-moi, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Antoinette Guhl, permettez-moi tout d'abord de saluer les travaux que vous avez menés sur ce sujet et la qualité du rapport que vous avez rendu fin 2024.
Ce rapport a finalement été l'une des prémisses de la commission d'enquête qui a rendu ses conclusions il y a quelques jours. Votre travail a permis d'identifier un certain nombre de priorités, telles que la nécessité d'améliorer la réglementation relative à la traçabilité des eaux ou celle de mettre fin à la microfiltration. Vous avez formulé dix propositions dont le Gouvernement tiendra compte, en sus des vingt-huit recommandations du rapport de la commission d'enquête.
Je le redis ici, cette affaire ne présente aucun risque sanitaire. Il s'agit simplement d'une question de loyauté par rapport à la réglementation en vigueur. Je le redis également avec force, il n'y a aucun scandale d'État autour de la question des eaux en bouteille.
Nous devons donc être très attentifs aux mots que nous employons. Je me contente pour ma part de me référer aux conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale.
N'oublions pas également qu'il y a des emplois en jeu. J'estime qu'il faut respecter les salariés, pour qui certains propos peuvent être blessants – soyons vigilants à cet égard. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur des travées des groupes GEST et SER.)
M. Hussein Bourgi. Ce ne sont pas les salariés qui sont en cause !
M. Rachid Temal. Ce sont les dirigeants de Nestlé les fautifs !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je tiens enfin à rappeler un certain nombre d'actions engagées par l'exécutif.
Le 7 mai dernier, le préfet du Gard a mis Nestlé Waters en demeure de retirer sous deux mois le microfiltre que l'entreprise utilisait pour ses eaux minérales naturelles, les experts considérant que celui-ci modifie le microbisme de l'eau. L'État a quant à lui adressé plusieurs signalements à la justice entre 2022 et 2025 ; nous attendons de connaître les suites qui leur seront réservées. Le ministère de l'économie et celui de la santé veillent en outre désormais à améliorer leur coordination sur ces dossiers.
Pour conclure, contrairement à vos affirmations, j'indique que toutes les décisions qui ont été prises dans ce dossier l'ont été à l'issue d'échanges techniques entre l'administration et les cabinets ministériels. (Marques d'ironie sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Ainsi qu'avec Nestlé !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Il était important de le rappeler ici. (M. François Patriat applaudit.)
eaux en bouteille (ii)
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le Premier ministre, j'ai eu l'honneur de présider la commission d'enquête sénatoriale sur les eaux minérales, créée sur l'initiative du groupe socialiste du Sénat. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Rachid Temal. Ah !
M. Laurent Burgoa. Je tiens d'ailleurs à remercier les membres de cette commission du travail qui a été mené et qui a conduit à l'adoption, à l'unanimité, du rapport aussi précis que nécessaire de notre collègue Alexandre Ouizille.
Ce rapport soulève plusieurs questions essentielles, qui devraient retenir l'attention de plusieurs ministères. J'en formulerai trois aujourd'hui.
Premièrement, l'État compte-t-il enfin établir une norme en matière de microfiltration ? Aujourd'hui, les femmes et les hommes chargés de faire respecter les règles sanitaires se retrouvent trop souvent seuls, confrontés à des responsabilités disproportionnées, faute de base juridique claire. Cette carence pèse lourdement sur eux et crée de l'incertitude pour les industriels.
Une norme permettrait à la fois de sécuriser l'action de terrain et d'offrir une meilleure lisibilité à l'ensemble de la filière, sachant que neuf minéraliers sur dix respectent aujourd'hui l'éthique de ce métier.
Deuxièmement, le Gouvernement envisage-t-il d'harmoniser la fiscalité portant sur les eaux minérales et celle qui pèse sur les eaux de boisson ? Le régime fiscal des premières ouvre droit à une contribution fiscale au profit des communes qui sont lieux de production. Tel n'est pas le cas du régime fiscal des secondes.
Les collectivités dans lesquelles les sources sont exploitées expriment une incompréhension légitime. Minérales ou non, les sources demeurent exploitées et les territoires, pourtant au cœur de cette ressource, doivent bénéficier d'un juste retour.
Troisièmement, et enfin, quelles actions l'État entend-il engager pour assurer un meilleur suivi de la qualité des nappes d'eau ? Notre rapport comporte des recommandations qu'il est urgent de mettre en application. Nous sommes prêts à y travailler avec vous. Il y a là un besoin crucial de transparence, ainsi qu'un besoin évident de financements, davantage privés que publics, à la hauteur de ce bien commun aussi essentiel que vulnérable.
Pour conclure, je dirai à l'adresse de Mme Guhl que les termes « scandale d'État » n'ont jamais figuré dans notre rapport. Chère collègue, les mots ont un sens !