Pour conjuguer souveraineté technologique et transition écologique, l'Europe et la France doivent poursuivre leur stratégie alliant sobriété, innovation, diversification des sources et respect des normes environnementales.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, je répondrai d'abord à l'inquiétude que vous avez manifestée concernant le Groenland.

Je rappelle qu'il y a quelques jours la ministre de l'économie, du commerce et des ressources minérales du Groenland a indiqué que son pays souhaitait nouer des partenariats avec l'Europe et les États-Unis.

Je précise par ailleurs que l'Union européenne a engagé des discussions stratégiques avec le Groenland sur les matières premières critiques, qui constituent un enjeu. Ainsi, comme je l'ai déjà dit, l'Union européenne a signé un protocole d'accord, le 30 novembre 2023, avec le gouvernement du Groenland en vue de mettre en place un partenariat stratégique visant à développer des chaînes de valeur durables de ces matières premières. Ce protocole prévoit cinq axes de coopération : les projets miniers et industriels ; les normes internationales en matière environnementale, sociale et de gouvernance ; le déploiement des infrastructures ; le développement des compétences ; la recherche et l'innovation.

Vous avez raison de le souligner, les terres rares sont stratégiques, car elles sont indispensables pour la fabrication d'un certain nombre d'éléments de notre vie quotidienne. C'est la raison pour laquelle nous devons intervenir pour constituer une chaîne de valeur qui nous place dans une situation d'indépendance.

Bien entendu, tous les projets locaux, notamment ceux dont vous avez fait état, recueilleront une attention particulière de l'État, compte tenu de l'importance du sujet. La stratégie nationale engagée vise de toute façon à identifier et à analyser tout ce qui peut contribuer à assurer notre souveraineté en la matière.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse.

J'ai appris l'information sur le Groenland voilà moins d'une heure. J'espère qu'il s'agit d'une fake news et que les coopérations et les accords avec l'Union européenne seront solides.

Enfin, nous devons vraiment encourager les projets locaux est les recherches susceptibles d'aboutir à l'industrialisation de nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.

Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre approvisionnement minéral a été, aux XIXe et au XXe siècles, un moteur de notre compétition industrielle et militaire, il est largement passé ces dernières décennies au second rang de nos préoccupations stratégiques.

La situation, pourtant, a désormais radicalement changé, et c'est bien à une véritable ruée vers les métaux qu'il faut aujourd'hui nous préparer. En effet, à mesure que certains pays accélèrent leur développement économique et que les transitions énergétique et numérique prennent de plus en plus d'ampleur, l'accès aux ressources métalliques redevient un enjeu fondamental.

Selon certaines projections, pour répondre à l'accroissement de la demande mondiale, il faudra produire dans les trente ans à venir l'équivalent de tout ce qui a été extrait du sous-sol depuis les débuts de l'activité minière. Dans ce contexte, les métaux que l'on qualifie de rares jouent un rôle aussi nouveau que prépondérant.

Batteries électriques, éoliennes, équipements de défense, smartphones, calculateurs, et plus largement infrastructures digitales : les terres rares sont au cœur de la révolution technologique que nous vivons, à tel point qu'elles se révèlent désormais presque aussi essentielles à notre souveraineté et à notre avenir industriel que les ressources énergétiques qui irriguent notre tissu économique.

Par conséquent, et alors que la France a fait de sa réindustrialisation un objectif prioritaire, il est crucial de garantir à nos entreprises un accès aux métaux critiques qui soit assis sur des flux réguliers, des volumes suffisants et des prix maîtrisés.

Or, si cet accès n'est pas pour l'heure directement remis en cause, il n'est en rien garanti au regard de la situation internationale. En effet, la forte concentration de l'exploitation de ces ressources dans une poignée de pays fait peser des risques importants sur la sécurité de nos approvisionnements.

Ainsi, la Chine assure près de 70 % de l'extraction mondiale des terres rares et contrôle plus de 85 % de leur raffinage. Cette domination lui confère un levier géopolitique considérable qu'elle pourrait aisément mobiliser à notre détriment à l'occasion d'éventuelles tensions commerciales ou diplomatiques.

Par ailleurs, les pressions exercées par l'administration américaine sur le Groenland et sur l'Ukraine, ou encore l'implication de cette dernière dans le règlement du conflit au Kivu, illustrent à quel point les terres rares figurent désormais au sommet des préoccupations géostratégiques de toutes les grandes puissances. Dans ces conditions, il est essentiel que notre pays cherche à se protéger des perturbations de marché et qu'il travaille à réduire ses dépendances.

Le premier levier dont nous disposons est naturellement notre propre potentiel géologique. Nous savons que celui-ci, comme d'ailleurs celui de nos partenaires européens, est particulièrement prometteur, peut-être même de rang mondial. Par exemple, en Bretagne, en Normandie et dans le Massif central, des études ont permis d'identifier de potentielles ressources en néodyme, en praséodyme, en tungstène, en lithium, en niobium, en tantale ou encore en zircon.

Cependant, la connaissance fine et détaillée de ce potentiel national fait encore assez largement défaut. Un inventaire des ressources a heureusement été lancé voilà deux ans afin de cartographier les gisements et d'identifier précisément les sites exploitables. À ce stade, ce travail indispensable ne se concentre pourtant que sur certaines zones spécifiques. Il semble donc essentiel de l'étendre au plus vite en lançant dès maintenant d'autres programmes de recherche et de prospection sur l'ensemble du territoire.

Notre objectif premier en matière de terres rares devrait être clair : développer autant que possible nos propres capacités d'extraction et de transformation. En effet, la valorisation des ressources nationales nous permettrait non seulement de renforcer notre autonomie stratégique, mais également de créer des emplois et de stimuler des territoires.

Au-delà de la relance de l'activité minière, c'est toute une chaîne de valeur, toute une filière nationale d'exploitation responsable que nous pourrions aujourd'hui mettre sur pied, depuis la recherche géologique, en amont, jusqu'à la transformation métallurgique, en aval.

Un tel changement de paradigme nécessitera d'abord de retrouver certaines compétences perdues au fil du temps, mais aussi d'adapter notre cadre réglementaire, par exemple pour faciliter l'obtention des permis d'exploitation minière, pour simplifier l'implantation de sites industriels de traitement et de raffinage, ou tout simplement pour encourager les investissements. Et bien sûr, il s'agira de définir des normes écologiques à la fois adaptées et rigoureuses, notamment en matière d'emprise au sol, de gestion des déchets et de l'eau, d'utilisation des intrants chimiques ou encore d'émissions de CO2.

Ce cadre réglementaire sera indispensable pour protéger la biodiversité et assurer l'acceptabilité de ces activités sur notre sol. Néanmoins, nous devrons nous montrer exigeants, mais aussi veiller à ce que ce cadre ne contribue pas, comme c'est trop souvent le cas dans notre pays, à la paralysie, puis à l'abandon pur et simple de chaque nouveau projet.

Mes chers collègues, développer notre capacité à localiser, extraire et raffiner les métaux rares sur notre territoire deviendra demain une exigence d'intérêt général majeure, un impératif auquel nous pourrons de moins en moins nous soustraire, mais un impératif qui, en toute hypothèse, sera loin d'être suffisant.

Soutenir la recherche sur le recyclage des terres rares afin de développer une véritable économie circulaire dans ce domaine devra devenir une autre de nos priorités.

À ce jour, et contrairement au recyclage des métaux classiques, celui des métaux critiques reste balbutiant et se heurte à de nombreux obstacles. Entre procédés de récupération complexes, coûteux et absence quasi totale de filières de collecte et de tri, les pertes sont énormes. Toutes ne sont peut-être pas évitables, mais les marges de progression n'en restent pas moins très fortes.

Il apparaît donc incontournable d'investir aujourd'hui dans l'innovation en matière de retraitement avancé, dans l'écoconception des équipements électroniques ou des véhicules, ou encore dans la structuration de circuits de récupération des équipements, que ce soit pour leur recyclage ou leur réemploi.

Soyons néanmoins conscients qu'il ne sera pas possible d'atteindre une circularité parfaite, dans laquelle les métaux rares qui entreraient dans notre système économique n'en ressortiraient plus, pas plus qu'il ne sera possible d'atteindre une hypothétique autosuffisance minérale, assise sur les seules ressources françaises et européennes.

Dans tous les cas de figure, les importations demeureront un élément essentiel de notre approvisionnement. Dès lors, nous ne parviendrons à sécuriser davantage nos fournitures qu'en diversifiant les pays d'origine de nos importations. La Chine, pourtant dominante dans ce secteur, l'a d'ailleurs bien compris, et a pleinement intégré la question des métaux critiques aux diverses coopérations qu'elle conclut dans le cadre de ses nouvelles routes de la soie.

Madame la ministre, mes chers collègues, dans les années à venir, notre approvisionnement en terres rares conditionnera en bonne partie notre capacité à assurer notre souveraineté, à conforter notre prospérité et à tenir nos engagements climatiques.

Prospection, extraction, raffinage, recyclage : tels sont les piliers de la stratégie que la France et l'Europe doivent bâtir en matière de métaux critiques. Chacun d'entre eux devra être érigé au plus vite. Surtout, aucun ne devra manquer à l'inventaire.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Catherine Dumas, vous avez évoqué l'enjeu que représentent les terres rares, au même titre que la réindustrialisation, pour réduire notre dépendance. Je ne peux que vous rejoindre sur votre constat : il s'agit d'un intérêt national majeur.

Effectivement, les terres rares sont stratégiques, car elles sont essentielles, notamment à la fabrication d'aimants permanents, qui sont utilisés aujourd'hui pour réduire le volume et le poids des moteurs électriques.

Vous avez rappelé la position dominante de la Chine sur ce marché, à des fins géopolitiques. Ainsi, le 21 décembre 2023, Pékin a interdit l'exportation de technologies liées à la fabrication d'aimants à base de terres rares, renforçant son contrôle technologique. Le 4 avril dernier, les autorités chinoises ont instauré des contrôles à l'exportation sur sept produits liés aux terres rares, moyennes et lourdes, exigeant des permis pour l'exportation de formes raffinées et transformées. C'est dire l'importance du sujet !

Vous avez évoqué l'inventaire des ressources dans notre pays. Je puis vous confirmer que le Gouvernement a confié au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) la mise à jour de l'inventaire des ressources minérales du sous-sol français dans cinq zones, de grands massifs où des ressources denses et importantes ont été identifiées.

À l'issue de cette phase d'inventaire et d'acquisition de données, des études d'exploration plus approfondies seront menées par des entreprises minières, dans le cadre de permis exclusifs de recherche, afin de déterminer quels sites pourront éventuellement être exploités.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.

Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse précise.

Je salue également l'initiative du groupe du RDSE, qui a permis que nous ayons ce débat. Je constate que l'ensemble des groupes de cet hémicycle partage le même constat, c'est très intéressant. Il appartient maintenant au Gouvernement de proposer des solutions ou des débuts de solution, et ce dans un contexte géopolitique bien perturbé.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on parle aujourd'hui de transition écologique et énergétique, on pense naturellement à la sortie du pétrole, du charbon, du gaz. Cependant, il ne faut pas oublier qu'en quittant les énergies fossiles, nous risquons de tomber dans une nouvelle forme de dépendance, plus discrète, mais tout aussi stratégique : la dépendance aux matériaux critiques.

Lithium, cobalt, nickel, terres rares : ces métaux sont devenus essentiels à notre quotidien et à notre avenir. Ils alimentent les batteries de nos voitures électriques, nos éoliennes, les cellules de nos panneaux solaires, jusqu'aux composants de nos smartphones. Sans eux, il n'y aura ni transition énergétique, ni révolution numérique, ni industrie verte.

Comme le montre très bien Guillaume Pitron dans son ouvrage La guerre des métaux rares, cette nouvelle dépendance n'est pas sans conséquence. Aujourd'hui, l'écrasante majorité de ces matériaux vient de l'étranger, souvent de pays qui ne partagent pas les mêmes standards environnementaux que la France. C'est particulièrement vrai de la Chine, qui contrôle 97 % de la production mondiale de terres rares.

En clair, nous sortons d'une dépendance aux énergies fossiles pour entrer dans une dépendance aux métaux critiques. Et cette dépendance est à la fois écologique, économique et géopolitique.

Heureusement, l'Europe commence à réagir. Avec la législation européenne sur les matières premières critiques adoptée l'an dernier, nous avons désormais des objectifs clairs pour 2030 : atteindre une capacité d'extraction dans l'Union européenne couvrant au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières stratégiques des vingt-sept États membres ; une capacité de transformation couvrant au moins 40 % et une capacité de recyclage couvrant au moins 25 % de la consommation annuelle.

C'est une avancée importante, mais pour que ces chiffres deviennent réalité, chaque État membre doit s'engager. La France doit prendre toute sa part.

En effet, notre pays a des ressources, comme le souligne le rapport d'information de l'Assemblée nationale publié à la fin 2024 : la France dispose d'un potentiel de matériaux critiques importants, encore largement sous-exploité, notamment dans nos outre-mer. Ce potentiel peut être une chance, à condition d'être bien encadré.

C'est pourquoi il est urgent de renforcer sur plusieurs points notre stratégie nationale en matière de métaux critiques.

D'abord, il faut relancer une production française, responsable et transparente. Il importe de commencer certaines extractions sur notre territoire, en respectant des normes environnementales strictes, en concertation avec les territoires concernés et les citoyens. Il y va de notre souveraineté.

Ensuite, nous devons diversifier nos approvisionnements. Sortir de la dépendance chinoise, c'est aussi renforcer nos alliances avec des pays fiables, partenaires de confiance comme le Canada ou les pays nordiques. L'Union européenne commence à structurer cette diplomatie des ressources. Elle doit être soutenue.

Enfin, il faut miser davantage sur le recyclage. Nos déchets électroniques, nos véhicules hors d'usage, nos batteries usées contiennent des métaux rares. Ce sont des gisements secondaires qu'il faut mieux exploiter. Là encore, la France peut devenir un leader industriel, avec des emplois à la clé.

Madame la ministre, je conclurai par quelques questions simples, mais essentielles.

Quelle est votre vision sur l'avenir de l'exploitation minière en France ?

Quels investissements concrets sont-ils prévus pour améliorer notre capacité de recyclage et pour structurer une véritable filière industrielle autour des matériaux critiques ?

Enfin, comment la France compte-t-elle peser au sein de l'Europe pour faire émerger une stratégie collective ambitieuse et cohérente ?

Nous avons une occasion historique de concilier transition écologique, souveraineté industrielle et responsabilité sociale. Saisissons cette chance !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Stéphane Fouassin, vous avez évoqué un certain nombre de sujets, dont deux sur lesquels je me suis déjà exprimée : la manière dont la France s'inscrit dans la stratégie européenne et l'enjeu du recyclage, dont l'importance est assez largement partagée sur ces travées.

Permettez-moi de décliner de nouveau la stratégie définie par la France en 2022. La délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques a été créée sous l'autorité du Premier ministre et d'un certain nombre d'autres ministres, en particulier le ministre de l'économie, pour coordonner l'action des différentes administrations impliquées dans la sécurisation de nos approvisionnements.

Sa mission s'articule autour de quatre axes : l'accélération et le soutien des projets sur l'intégralité de la chaîne de valeur, y compris le recyclage ; l'amélioration de la connaissance des filières des métaux stratégiques, car nous avons encore à apprendre – c'est tout l'enjeu de la recherche – ; le lancement d'un inventaire minier, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ; l'élaboration d'une feuille de route pour la diplomatie des métaux.

Vous avez également évoqué le rôle des outre-mer. À ce sujet, je rappelle qu'une stratégie de pérennisation de l'activité minière a été mise en place en Guyane. Nous y réaffirmons notre volonté de développer une filière minière en Guyane ; de sortir du « tout or », car il existe d'autres métaux ; de favoriser l'appropriation par les exploitants artisanaux des meilleures pratiques et techniques existantes dans les gisements primaires ; enfin, d'encourager l'installation d'exploitants légaux sur certains sites d'orpaillage, quand ils sont illégaux actuellement.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour la réplique.

M. Stéphane Fouassin. Madame la ministre, je tiens à vous alerter sur l'avance des États-Unis, qui ont déjà demandé l'autorisation d'exploiter les nodules polymétalliques dans les abysses. J'aimerais que la France et l'Europe se positionnent sur ce type d'exploitation avant qu'il ne soit trop tard.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'approvisionnement en matières premières critiques pose la question de la cohérence de nos ambitions en matière de transition écologique.

Ces ressources, actuellement indispensables pour le développement des énergies renouvelables, sont concentrées entre les mains de quelques acteurs. Cette dépendance nous expose à des mesures de restriction commerciale, que la Chine s'emploie d'ailleurs déjà à utiliser.

Sans nier cette réalité et la nécessité pour l'Europe d'accroître son autonomie stratégique, on peut raisonnablement douter du réel potentiel minier en France, sans doute dérisoire en quantité par rapport à la demande. En France, comme ailleurs, creuser de nouvelles mines de terres rares, c'est détruire à grande échelle des milieux naturels ; c'est déverser dans les sols quantité de produits chimiques polluant l'eau et les nappes phréatiques. C'est enfin exposer les ouvriers et les habitants à de graves dangers sanitaires.

Après épuisement des quelques gisements supposés en Bretagne ou en Guyane, après avoir extrait énormément de roche pour une part infime de terres rares, ou irons-nous chercher ces métaux, sinon dans nos mers et nos océans ?

Sur ce point, la France a pris sur la scène internationale une position courageuse et résolue contre l'exploitation minière des fonds marins, laquelle serait un véritable désastre écologique. Ne revenons pas sur cet engagement qui nous honore.

La stratégie européenne doit donc reposer davantage sur la diversification des fournisseurs, pour éviter tout risque de pression géopolitique. Elle doit promouvoir le recyclage et la transformation de ces matériaux sur le territoire européen, plutôt que l'exploitation d'hypothétiques gisements dont la rentabilité n'est même pas assurée.

La recherche et le développement doivent également nous permettre de limiter notre dépendance à ces métaux pour le déploiement des énergies d'avenir. Ne nous lançons pas corps et âme dans une industrie extrêmement polluante en produisant des stocks pour les besoins d'une technologie qui pourrait, demain, se révéler obsolète.

A fortiori, tout nouveau projet industriel et minier, sur notre territoire ou à l'étranger – à travers nos importations –, doit intégrer nos exigences de durabilité et de respect des droits humains sur toute la chaîne de valeur.

Nous ne pouvons plus ignorer l'agressivité à travers le monde des multinationales extractives, qui, pour satisfaire les besoins des pays les plus riches, dévastent des terres et des forêts, bien souvent au mépris des droits des populations locales et des communautés paysannes, premières victimes de ces mégaprojets miniers.

Contrôler l'impact social et environnemental de notre consommation est le principe même de la directive CRSD sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises et de la loi sur le devoir de vigilance, dont les ambitions sont pourtant aujourd'hui gravement remises en cause. J'aimerais d'ailleurs vous entendre, madame la ministre, sur l'avenir de ces règles européennes de transparence.

En ce qui concerne les terres rares, nous craignons, au contraire, une décision politique hâtive, élevant, par exemple, cette industrie polluante au rang d'activité d'intérêt public majeur, et lui permettant de déroger au droit commun, aux procédures d'enquête publique et d'évaluation environnementale.

Aucun projet d'industrie lourde ne doit se faire sans une réglementation environnementale stricte, sans débat public, et en excluant les populations locales de décisions ayant un impact direct sur leur avenir.

Madame la ministre, comment comptez-vous concilier les enjeux d'autonomie stratégique dans l'approvisionnement des terres rares avec la protection de l'environnement et des populations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Michaël Weber, vous avez abordé un certain nombre de points et notamment souligné l'importance de la recherche – je ne peux qu'aller dans votre sens –, du recyclage et des enjeux environnementaux.

Le recyclage, je l'ai dit, est une priorité dans le cadre des stratégies française et européenne de sécurisation des approvisionnements en métaux stratégiques.

Parmi les textes européens structurants récemment adoptés sur le sujet, on peut citer le règlement relatif aux batteries, qui fixe des objectifs de collecte, de recyclage et de réintégration des matières premières recyclées dans les batteries, ainsi que des exigences de performance et de durabilité. Je rappelle également que, en France, un plan national de circularité des matières premières critiques est en cours d'élaboration pour renforcer cette dynamique dans les territoires.

En ce qui concerne les enjeux environnementaux, il est important de rappeler que la France dispose d'un droit environnemental et social, qu'il soit européen ou interne, qui est l'un des mieux-disants, pour ne pas dire le mieux-disant.

Par ailleurs, une directive relative aux émissions industrielles prévient et réduit les émissions de polluants provenant des activités industrielles, directive qui a été révisée en 2024 pour intégrer les émissions de polluants issus des mines. Aujourd'hui, un certain nombre de dispositifs et de processus ont été mis en œuvre pour que les mines et les carrières puissent être exploitées. Celles-ci doivent, comme tout projet, obtenir une autorisation environnementale : il s'agit de faire appel aux meilleures techniques, d'optimiser la consommation de l'eau, d'utiliser des technologies moins invasives, d'assurer une réhabilitation des sites exploités selon un plan défini par ailleurs, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et de gérer efficacement et de valoriser les stériles et résidus miniers.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.

M. Michaël Weber. Merci de vos propos, madame la ministre.

Je souscris à votre constat sur l'exemplarité du droit de l'environnement en France. Cela étant, la France a aussi un devoir en la matière au regard notamment de sa puissance sur les océans et les mers.

J'aurais d'ailleurs aimé que vous reveniez plus en détail sur la question de l'exploitation des terres rares en milieu marin, au sujet de laquelle subsiste une véritable inquiétude. Mais nous aurons probablement l'occasion dans les prochaines semaines de reparler de ce sujet, qui est à la fois stratégique et essentiel pour l'image de la France et pour sa contribution à la problématique environnementale.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen pour l'organisation de ce débat sur un sujet très intéressant et qui s'inscrit au cœur de la vie de nos concitoyens. J'ai pu apprécier tout l'intérêt que l'ensemble des intervenants portaient à un certain nombre d'enjeux évoqués cet après-midi.

Lithium, titane, tantale, graphite, germanium, béryllium : les métaux et minéraux sont présents dans tous les objets du quotidien, de nos réveils à nos véhicules, en passant bien sûr par nos téléphones portables. Ils sont indispensables à notre travail, à nos loisirs, à notre défense et à la transition écologique et numérique, pour le dire autrement, à notre avenir.

Plusieurs éléments essentiels ont déjà été mis en évidence. En réponse à vos questions, je tiens pour ma part à exposer les grandes lignes de la feuille de route du Gouvernement concernant cet enjeu majeur.

Parmi les dernières actualités, la volonté des États-Unis d'annexer le Groenland, l'accord entre l'Ukraine et les États-Unis, et les restrictions chinoises sur les exportations de certains minerais démontrent le caractère stratégique de l'accès aux terres rares et aux matériaux critiques.

En réalité, ces ressources sont non pas des biens de consommation comme les autres, mais des leviers géopolitiques pour ceux qui les contrôlent. Dès lors, ce qui est en jeu, c'est notre souveraineté, un terme qui a beaucoup été employé lors de ce débat.

La garantie de notre approvisionnement en métaux stratégiques est la condition de notre souveraineté industrielle, énergétique et numérique. J'irai même plus loin : elle est cruciale pour la survie de notre industrie et de nos emplois.

Pour mettre en œuvre cette priorité, le Gouvernement déploie une stratégie qui s'articule autour de quatre grands objectifs.

Le premier d'entre eux consiste à mieux connaître les ressources. C'est dans cet esprit qu'en 2023 le Président de la République a commandé au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) un nouvel inventaire national des ressources minérales, outil indispensable pour poursuivre et adapter l'exploration scientifique de notre sous-sol.

Notre deuxième objectif est de relancer l'exploitation. Aujourd'hui, comme vous le savez, une seule mine est encore en exploitation dans notre pays, la mine de sel de Varangéville, en Meurthe-et-Moselle. C'est pourquoi l'État soutient le projet d'ouverture d'une mine de lithium dans l'Allier ; il accompagne par ailleurs certaines activités d'exploitation en outre-mer, et ce avec discernement. Plusieurs orateurs ont évoqué la Guyane : j'ai eu l'occasion de leur répondre au cours de nos échanges.

Le troisième objectif est de compléter nos approvisionnements via des partenariats stratégiques. La France a déjà signé une quinzaine d'accords avec des États partenaires dans le cadre d'une diplomatie des métaux active et volontariste. Ces partenariats se traduisent par le soutien gouvernemental à des activités économiques à l'étranger. Je pense à l'Indonésie, où l'entreprise française Eramet exploite la première mine de nickel au monde et en extrait 30 millions de tonnes par an. Je pense aussi à l'Argentine ou encore au Kazakhstan.

Enfin, notre quatrième objectif est de réindustrialiser notre pays. L'approvisionnement en métaux stratégiques n'a de sens que pour répondre aux besoins de nos filières industrielles en aval. Extraire des métaux sans les raffiner, ni les transformer, ni produire les batteries ou aimants permanents n'a que peu d'intérêt.

Pour répondre à cette ambition industrielle, nous devons attirer des investissements. C'est ce que nous faisons avec la société Carester, qui raffinera 10 % de la demande mondiale en terres rares en 2030, mais aussi avec la start-up MagREEsource qui produira des aimants permanents, ou encore avec la co-entreprise entre XTC et Orano spécialisée dans les poudres pour batteries.

Nous devons aussi mieux identifier nos facteurs de dépendance dans les filières stratégiques, à commencer par le secteur de la défense : c'est la mission confiée à l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi).

Comme beaucoup d'entre vous l'ont souligné, réindustrialiser, c'est aussi recycler. Les producteurs ont déjà la responsabilité de financer la collecte et le recyclage de leurs déchets via les filières à responsabilité élargie du producteur (REP). Nous devons faire en sorte de recycler sur notre sol : c'est fondamental pour l'environnement et pour notre souveraineté.