Ce défi, à la croisée de la géopolitique, de l’écologie et de l’économie, révèle les contradictions d’un modèle de transition fondé sur une exploitation minière intensive, souvent externalisée vers des zones à faible protection sociale et environnementale.
Ce modèle économique a également eu pour conséquence, dans des pays comme la France, une diminution du soutien à la recherche publique, non seulement dans les domaines miniers, mais aussi dans le domaine de la métallurgie, ainsi qu’une perte de savoir-faire et de compétences sur ces sujets.
Ce paradoxe interroge la viabilité d’une stratégie axée sur la substitution technologique plutôt que sur la sobriété matérielle.
Si les réserves mondiales de terres rares sont géologiquement dispersées, la Chine contrôle 86 % de la production mondiale et près de 90 % des capacités de raffinage.
En 2010, la réduction drastique des quotas d’exportation chinois a provoqué une flambée des prix, rappelant la vulnérabilité des économies occidentales. L’Union européenne, qui importe 98 % de ses terres rares de Chine, voit sa transition verte menacée : en effet, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, ses besoins devront être multipliés par vingt-six.
Les secteurs clés restent structurellement dépendants de ces métaux critiques. Face à ce risque systémique, l’Union européenne a adopté, en avril 2024, un règlement sur les matières premières critiques, fixant des objectifs contraignants d’ici à 2030. Des partenariats stratégiques ont été noués avec l’Australie, le Canada et plusieurs pays africains. Toutefois, ces initiatives peinent à contrebalancer l’hégémonie chinoise.
Or, si l’indépendance stratégique est essentielle, l’extraction des terres rares, majoritairement effectuée à ciel ouvert, génère des dégradations majeures en termes écologiques et entraîne des violations des droits humains.
Pis encore, le partenariat entre l’Union européenne et le Rwanda, censé promouvoir des chaînes d’approvisionnement durables, fait de l’Europe la complice de recel de crimes de guerre. C’est pourquoi nous n’avons de cesse d’appeler à l’abrogation d’urgence de cet accord, vu comme une légitimation de fait de la fraude et du pillage de la République démocratique du Congo (RDC).
Le « capitalisme extractiviste » reproduit des logiques coloniales, alimentant des conflits locaux et privant les États producteurs de toute valeur ajoutée industrielle.
Or nous ne pouvons pas fermer les yeux face à cette contradiction majeure : promouvoir le Green Deal européen et continuer l’importation massive de terres rares extraites dans des conditions non durables, externalisant ainsi notre empreinte écologique.
En effet, le règlement Reach, bien que strict sur les substances chimiques, ne s’applique pas aux procédés miniers extraterritoriaux.
Face à ces enjeux, l’Union européenne mise sur la relocalisation partielle de la production, avec quarante-sept projets miniers stratégiques dans treize États membres. Mais réduire la dépendance en développant des capacités nationales suppose une maîtrise publique de l’ensemble de la chaîne de valeur des terres rares, de l’extraction à l’exploitation et au recyclage.
Cela devrait par exemple se faire, en France, sous l’égide d’organismes publics comme le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), avec des garanties environnementales et sociétales de haut niveau. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?
Il est également à noter que moins de 1 % des terres rares sont recyclées dans le monde en raison de leur dispersion dans les produits et de l’absence de filières structurées. C’est pourquoi il ne faut plus se contenter d’apprécier les produits finis en termes écologiques ; il est nécessaire d’examiner si les processus d’extraction de leurs composants et ceux de leur fabrication industrielle ainsi que de leur recyclage sont respectueux ou non de l’environnement.
Pour sortir de cette impasse, il faut responsabiliser les fabricants sur la gestion des déchets en fin de vie, incluant la collecte et le recyclage des terres rares dans leurs produits.
Investir massivement dans l’économie circulaire en faisant du recyclage une priorité industrielle s’impose. Impliquer les citoyens dans les choix miniers via des conventions régionales sur le climat est également une nécessité.
Il nous faut aussi, et surtout, repenser la maîtrise de la demande comme pilier de la transition, et non comme une contrainte. La voie de la sobriété et de la justice climatique est non pas une contrainte, mais une condition sine qua non pour une transition réellement durable.
Par ailleurs, madame la ministre, la France ne devrait-elle pas être partie prenante, y compris aux niveaux européen et international, du développement de la recherche en matière minière et de la mise en place d’un cadre légal qui obligerait les entreprises à respecter des règles pour le moins comparables à celles qui sont en vigueur dans l’Union européenne, en ce qui concerne tant l’extraction que le recyclage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Marianne Margaté, vous avez évoqué la nécessité de concilier plusieurs enjeux, rappelé l’importance des importations en Europe de certains métaux en provenance de Chine et mis en avant l’objectif de souveraineté, à même de faire progresser la transition écologique.
Il est nécessaire d’intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Cependant, la question de la sobriété – vous en avez parlé – se pose. Nous devons donner la priorité, chaque fois que cela est possible, à l’évitement de la consommation de certaines ressources ou, à tout le moins, à la réduction de la pression qui pèse sur elles.
Certaines de ces orientations ont déjà été mises en œuvre dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui vise notamment à augmenter la durée de vie des produits, à favoriser leur réparabilité, avec la mise en place d’un indice de réparabilité, et à améliorer l’information du consommateur sur les qualités et caractéristiques environnementales.
En résumé, trois points clés ressortent : favoriser la substitution des matières premières critiques par des ressources plus abondantes ; limiter l’intensité en matière dans les produits, en travaillant sur des technologies alternatives et en prenant en compte le recyclage ; enfin, orienter la consommation vers des produits et services plus économes en ressources minérales.
En conclusion, il est très important de prendre en compte la question du partage des ressources avec les générations futures, donc l’exigence de sobriété que vous avez évoquée.
M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour la réplique.
Mme Marianne Margaté. Madame la ministre, je vous remercie pour ces éléments. Je veux saisir cette occasion pour insister sur un point particulier.
En 2023, une déclaration d’intention entre la France et la RDC a été signée concernant les métaux critiques. Pour le groupe CRCE-K, ce partenariat devrait permettre non seulement d’extraire, mais également d’accompagner la transformation des matières premières en RDC même afin que la richesse de ce pays serve à son développement et à la satisfaction des besoins fondamentaux de sa population.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les métaux sont devenus un enjeu géopolitique et de souveraineté économique et industrielle. La course à la maîtrise de ces ressources par les grandes puissances s’intensifie un peu plus chaque jour.
On utilise des matériaux critiques, métaux et terres rares, dans tous les secteurs. Dans une société où l’on n’en finit pas de produire toujours plus, la demande en métaux ne cesse d’augmenter : ainsi, la demande en matières premières critiques devrait être multipliée par quatre d’ici à 2040 selon l’Agence internationale de l’énergie.
Ce faisant, la transition énergétique et la digitalisation redessinent l’économie mondiale. La dépendance structurelle de la France et de l’Union européenne à ces importations révèle l’absence de stratégie cohérente d’approvisionnement.
Nous n’avons pas su établir de stratégie. Nous avons laissé un petit nombre d’acteurs – la Chine au premier rang – prendre le monopole de la chaîne de valeur des métaux. Au-delà de la maîtrise des matières premières, la Chine domine aussi le raffinage. Pour cela, elle se base sur des coûts de production réduits via des normes sociales et environnementales moins-disantes.
Clairement, nous sommes loin de la stratégie, que nous appelons de nos vœux, qui permettrait de réconcilier les enjeux économiques, écologiques et sociaux. Face aux enjeux de souveraineté industrielle, d’autonomie stratégique et de planification écologique, il était temps que la Commission européenne planifie des objectifs plus ambitieux.
Les écologistes sont clairs : la France et l’Union européenne doivent assumer de produire sur leur sol les matériaux critiques dont elles ont besoin pour assurer cette transition. C’est indispensable : la transition en a besoin.
À titre d’exemple, selon le BRGM, la consommation de terres rares va augmenter d’environ 8 % par an. Tout cela implique l’ouverture de nouvelles mines et de sites de transformation et de recyclage de ces métaux. Cette extraction chez nous évite des extractions bien pires ailleurs.
Mais notre rôle est aussi de rappeler quelques préalables, à notre sens, indispensables. Si l’extension et l’ouverture de certaines mines et d’usines de raffinage en Europe sont nécessaires, elles ne sauraient se dissocier d’un encadrement strict. L’extraction n’est jamais propre, elle génère de considérables volumes de déchets. Le traitement et la séparation des terres rares sont très coûteux en énergie, en eau et en produits chimiques.
C’est pourquoi s’assurer qu’aucun projet minier ne puisse se faire dans les zones classées sur le plan environnemental est une évidence. Tout comme l’absence d’exploitation des fonds marins : une telle exploitation mettrait en danger des habitats, des espèces, et in fine des populations humaines qui dépendent de leur bon état.
Le renforcement de la réglementation sociale et environnementale de l’activité minière, la mise en place de nouvelles normes et pratiques afin de réduire le plus possible les impacts sur les écosystèmes seront indispensables pour garantir la soutenabilité écologique des projets miniers et assurer leur acceptabilité sociale.
Sur ce dernier point, la démocratie citoyenne et le débat public doivent être au cœur des projets qui verront le jour.
L’autre enjeu fondamental est bien de rationaliser cette consommation, sans compromettre la satisfaction de nos besoins essentiels. Il n’est pas interdit de questionner l’utilité, au sens de l’intérêt général, de certains produits fabriqués qui correspondent souvent à des besoins créés de toutes pièces par les industriels. Dans un monde aux ressources finies, le gaspillage ne pourra pas durer éternellement.
C’est pourquoi, à notre sens, il manque à cette planification une vraie réflexion sur la pertinence à long terme des modes de consommation actuels, sur les usages des métaux stratégiques et sur le volume total de la demande en métaux permettant de répondre à nos besoins essentiels.
Là aussi, la sobriété nous semble être un levier essentiel pour répondre, en partie, à l’équation. Elle est pour nous consubstantielle à une transition juste et résiliente : sobriété dans la consommation et les usages pour limiter les besoins en matière et en électricité ; sobriété dans les dimensions – à titre d’exemple dans le secteur automobile, on peut fabriquer des batteries pour deux citadines avec la même quantité de lithium que pour un seul SUV. C’est un choix !
Il convient enfin de renforcer nos capacités de recyclage pour permettre de limiter nos importations et, bien sûr, les impacts environnementaux inhérents à la production de ces matériaux. Aujourd’hui, 1 % des terres rares seulement sont recyclées.
Enfin, la recherche doit également inventer de nouvelles manières moins impactantes d’extraire les terres rares et explorer d’autres technologies pour réduire la dépendance à certains métaux.
Vous l’aurez compris, les écologistes sont cohérents – comme toujours ! (Sourires.) Relancer l’industrie minière est nécessaire pour assurer la transition, mais dans le cadre d’une vraie planification.
Madame la ministre, comment comptez-vous mieux concilier les enjeux de souveraineté et d’autonomie stratégique avec les impératifs écologiques que je viens d’évoquer ? Ces impératifs sont essentiels pour avoir demain une croissance soutenable, si tant est qu’on souhaite encore parler de croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la course aux matières premières et soulevé la question de notre dépendance et de la nécessité de produire davantage sur notre territoire.
La politique nationale des ressources et usages du sous-sol, que nous avons engagée, vise à sécuriser les approvisionnements français en ressources minérales et à réduire notre dépendance aux importations.
L’objectif est de soutenir la réindustrialisation de la France dans le cadre d’une autonomie stratégique minimale. Il s’agit, d’une part, de recenser les ressources de notre sous-sol, c’est-à-dire de participer à un inventaire minier avant, le cas échéant, de développer et d’exploiter ces ressources, d’autre part, de développer des partenariats internationaux.
Nous avons ainsi pour ambition d’exploiter les gisements à fort potentiel, lorsqu’ils contribuent à la souveraineté européenne ou française de nos filières stratégiques comme au développement des territoires avec les meilleurs standards environnementaux.
Vous avez évoqué la nécessité de relancer l’activité minière. Nous avons déjà engagé un certain nombre de projets en ce sens, en les assortissant de mesures destinées à en réduire les impacts environnementaux. Les réglementations européenne et française sont parmi les plus exigeantes au monde, si bien qu’il me semble que nous pouvons avancer de manière relativement vertueuse.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Madame la ministre, j’ai participé, il y a quelques mois, à un déplacement, organisé par la commission des affaires économiques du Sénat, à Orléans auprès du BRGM.
Nous avons un peu eu le tournis, en découvrant que nous avions extrait autant de ressources minérales au XXe siècle qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité et que, d’ici à 2030, nous en aurons encore extrait autant que toute l’humanité jusqu’à la fin du XXe siècle ! Cela est à la fois extraordinaire et inquiétant.
Assumons d’extraire sur notre sol ce dont nous avons besoin, mais pour que cela soit acceptable pour les populations, il faudra faire des choix.
Or choisir, c’est renoncer… Il faudra certainement renoncer à tout un tas de biens éphémères, souvent liés au numérique. L’empreinte du numérique est bien réelle. Il va falloir l’assumer et renoncer à certaines utilisations.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « d’une dépendance l’autre » : telle est la phase actuelle de l’histoire de l’humanité qui nous fait passer du pétrole à l’électricité comme source majeure d’énergie.
Pour évaluer lucidement notre capacité collective à mener à bien la transition écologique et énergétique, il faut prendre pleinement conscience des problématiques diverses qu’elle pose. Il faut analyser le cycle de vie complet de l’ensemble des processus en jeu et en tirer des conséquences stratégiques aux plans national et international, sur le long voire le très long terme.
Le sujet de ce débat contribue à cette réflexion et je remercie ceux qui en ont pris l’initiative, les membres du groupe RDSE.
Au mitan des années 1970, et en partie du fait des deux chocs pétroliers, la France a laissé péricliter son industrie de production. Dans ce cadre, la question des ressources minières, qu’il s’agisse de production nationale ou de stratégie d’approvisionnement extérieur, a été plus que négligée.
Et nous nous réveillons aujourd’hui en constatant notre dépendance quasi totale à l’égard de quelques pays pour construire et faire fonctionner notre modèle économique, environnemental, social et de défense – sans évoquer le modèle politique, démocratique et libéral, qui est consubstantiel à ce dernier !
Aujourd’hui, et pour longtemps, du fait de ses ressources naturelles propres, mais aussi d’une stratégie de très long terme initiée il y a des décennies, dans les années 1970, la Chine est au monde décarboné en gestation ce que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) était – et est encore – au monde du fossile.
D’une dépendance l’autre, disais-je. Alors, que peut-on faire ? Qu’est-il permis d’espérer ?
Une remarque préalable : je pense que, dans le contexte structurel de dépendance très forte à l’égard des matières premières critiques qui est le nôtre, il n’y a pas grand sens à parler d’autonomie stratégique. En revanche, de plus ou moins grande dépendance, oui !
Sur le plan national, le France doit redonner au BRGM le rôle et les moyens qui furent les siens il y a quelques décennies, avant les années 1990.
Madame la ministre, que prévoyez-vous en matière de prospection et d’exploitation éventuelle des gisements de matières premières critiques (MPC) situés en Alsace, en Bretagne ou dans l’Allier, pour ne citer que ces potentialités ?
La question se pose aussi, me semble-t-il, pour l’hydrogène natif – il ne fait pas partie de ces MPC –, notamment dans les Pyrénées.
Quel est le grand projet national de recyclage ? Où seront localisées les usines nécessaires ?
Le concept de mine propre, qui, personnellement, me laisse pour le moins dubitatif, vous paraît-il, le cas échéant, un modèle à suivre ? Et si oui, dans quelles conditions pour les travailleurs, les populations et les territoires ?
Quelle est la position du Gouvernement à l’égard des travailleurs et des populations sanitairement victimes des mines en Chine, en Afrique – je pense à la RDC – et ailleurs dans le monde ? Des hommes, des femmes et des enfants y sont exploités jusqu’à la mort, nous rappelant le pire de ce que le XXe siècle a produit d’inhumanité. La France a-t-elle quelque chose à dire sur ces conditions d’exploitation parfaitement connues et leurs conséquences humaines et environnementales ?
Sur le plan européen, nous nous sommes dotés d’objectifs pour les MPC des États membres. Le règlement fixe des objectifs ambitieux en matière de progression de notre autonomie : au moins 10 % de la consommation annuelle de matières premières stratégiques extraite dans l’Union européenne ; au moins 40 % de cette consommation annuelle issue de la transformation ; au moins 25 % de cette consommation annuelle assurée par le recyclage ; moins de 65 % de la consommation annuelle de l’Union européenne en provenance d’un seul pays tiers – il s’agit de moins dépendre uniquement de la Chine.
Pour y parvenir, l’Union européenne dit vouloir intensifier ses relations commerciales dans le cadre d’un club des MPC regroupant tous les pays ayant des valeurs similaires aux nôtres. Elle dit aussi vouloir renforcer l’OMC à cette fin, étendre le réseau des accords de facilitation des investissements durables et des accords de libre-échange ou encore intensifier l’application de la législation pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.
Les mesures que je viens de citer ont été fixées il y a deux ans. Je dois dire qu’elles me laissent songeur, en particulier en ce qui concerne l’OMC. Il me semble que le contexte géopolitique actuel, fait d’agressions de toutes natures marquées du sceau de la puissance, renvoie ce plan d’action à une simple déclaration d’intention.
Madame la ministre, quelle place pour la production française dans ce cadre ? Quelle parole, quelles propositions la France porte-t-elle aujourd’hui en Europe pour que la moindre dépendance aux MPC, indispensable pour notre avenir, ne soit pas qu’une chimère ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Franck Montaugé, vous avez évoqué la stratégie française en matière d’autonomie, en vous demandant ce qu’on devait faire.
Vous le savez, nous n’avons pas de terres rares, mais nous avons d’ores et déjà lancé des projets dans le secteur des industries de raffinage.
Je peux ainsi citer l’exemple du projet Carester, une usine de raffinage qui vise à séparer les terres rares lourdes. L’objectif est de couvrir entre 10 % et 12 % des besoins mondiaux d’ici à 2030, avec 15 % de matières recyclées.
Je peux aussi citer le projet MagREEsource, une usine de production d’aimants permanents qui utilise un procédé de recyclage en boucle courte pour divers types d’aimants.
Par ailleurs, l’entreprise Solvay a inauguré, il y a quelques mois, une nouvelle ligne de production à La Rochelle dédiée aux terres rares pour aimants permanents.
Dans le cadre de France 2030, trente-quatre projets ont été déployés dans différents domaines de production. Ces projets devraient satisfaire 70 % des besoins nationaux de l’industrie de transformation de l’aluminium d’ici à 2030, l’équivalent de 90 % des besoins nationaux en fil de cuivre d’ici à 2028, ainsi que, à terme, 100 % de nos besoins nationaux en terres rares lourdes et plus de 50 % des besoins des usines françaises de production de batteries en graphite artificiel.
Vous le voyez, nos objectifs sont ambitieux, mais ils sont nécessaires pour limiter notre dépendance à ces ressources et renforcer notre autonomie.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Madame la ministre, je veux vous remercier pour ces éléments de réponse, mais je ne suis guère rassuré.
J’ai cité la réflexion stratégique mise en œuvre dans les années 1970 par la Chine. Deng Xiaoping avait alors posé les bases de la puissance chinoise actuelle, laquelle est en train de prendre le dessus sur celle de beaucoup de pays occidentaux.
En France, comme en Europe d’ailleurs, nous ne réfléchissons qu’à trop court terme. J’espère me tromper, mais je pense que nous allons le payer cher. En effet, je ne vois rien dans ce qui se dessine qui me permette de penser que la dépendance de notre pays et du continent européen sur ces sujets sera amoindrie, ce qui est préoccupant !
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la technologie a transformé notre monde à une vitesse vertigineuse. Au début du XXe siècle, la France comptait moins de 200 000 abonnés au téléphone. Aujourd’hui, on dénombre 84 millions de cartes SIM actives dans notre pays, soit plus que d’habitants.
Cette révolution concerne aussi nos armées à l’heure de la guerre numérique. Au-delà du seul domaine cyber, les missiles de précision, les essaims de drones, ou encore l’intégration de l’intelligence artificielle appellent toujours plus de données. N’oublions pas toutefois que les infrastructures – réseaux et cloud – s’appuient sur une myriade de centres de données, de câbles sous-marins, de microprocesseurs et de satellites, qui requièrent énormément d’énergie.
Le développement des énergies renouvelables nécessite également des métaux rares. Ces derniers sont souvent difficiles à extraire, car ils ne se trouvent presque jamais à l’état pur dans les sols. Or leur séparation des autres minéraux est un processus polluant, énergivore et très coûteux.
La Chine possède 48 % des réserves connues, assume 69 % de la production minière et 90 % du raffinage des terres rares. Cette situation lui confère un atout maître et fait courir aux pays importateurs le risque d’une dépendance accrue.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont convaincus que le commerce international est profitable à tous les acteurs qui respectent les règles, mais que dépendre d’un seul pays exportateur constitue un risque systémique majeur. Nous saluons donc l’initiative du groupe du RDSE, qui, en proposant ce débat, nous permet d’ouvrir une réflexion sur les meilleurs moyens de préserver notre souveraineté, la question des terres rares et des matériaux critiques étant cruciale.
En effet, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la demande annuelle de terres rares, pour respecter nos engagements climatiques, augmentera de 62 % d’ici à 2040. C’est à travers ce prisme qu’il faut comprendre les prétentions de Donald Trump sur le territoire danois du Groenland. Je vous informe également – peut-être le savez-vous déjà – que le Groenland vient de menacer de confier l’exploitation de son sous-sol à la Chine.
Nous sommes donc à l’aube d’un conflit géopolitique sans précédent. Pour sécuriser les approvisionnements, le Critical Raw Materials Act (CRMA) impose que, d’ici à 2030, au moins 10 % de la consommation européenne de métaux stratégiques soit extraite du territoire européen, qu’au moins 25 % de ces métaux proviennent du recyclage et qu’au moins 40 % d’entre eux soient raffinés en Europe.
Or la France dispose de peu de gisements : la Bretagne, le Massif central, la Guyane sont susceptibles de contenir des terres rares exploitables en quantité modeste. Il faut donc, dans le cadre de France 2030 et de Choose France, accélérer les démarches administratives et investir plusieurs milliards d’euros afin de sécuriser notre accès aux matériaux critiques, sachant que nombre d’initiatives et de solutions alternatives précieuses émergent dans nos territoires pour extraire les terres rares de manière plus durable.
Ainsi, le projet Ageli devrait permettre d’extraire jusqu’à 10 000 tonnes de lithium par an, et ce en puisant dans les réservoirs d’eau géothermale d’Alsace. Reconnu comme stratégique par la Commission européenne, ce projet bénéficie d’un accès facilité aux financements européens.
Je tiens aussi à saluer le travail des chercheurs de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg, également dans ma région du Grand Est, qui ont mis au point un procédé magnétique de séparation des terres rares. Ce tri par magnétoélectrochimie rebat les cartes, car il fonctionne aussi bien sur des minerais extraits que sur des déchets d’aimants. Surtout, il est moins énergivore que les techniques conventionnelles. Avec le soutien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’université de Strasbourg, la start-up Remedy a lancé l’industrialisation de cette technologie brevetée. Cela démontre qu’une stratégie nationale cohérente implique un soutien appuyé à la recherche, au développement et à l’industrialisation.
Le marché du recyclage est prometteur. Mes collègues ont évoqué des pistes. Pour ma part, je souhaite mettre en lumière un projet qui a vu le jour dans mon département, l’Aube. L’entreprise Artémise travaille avec l’université de technologie de Troyes pour extraire et recycler les terres et métaux rares contenus dans les lampes LED, tels que de l’yttrium, le gallium, le strontium ou encore l’indium. Trop souvent, en effet, ces lampes sont envoyées dans les flux de petits appareils en mélange (PAM) sans être valorisées.
Artémise a également lancé le projet Néolithic pour industrialiser le recyclage des petites batteries lithium-ion à l’horizon 2027. Nous attendons, madame la ministre, un soutien ferme de l’État sur ces dossiers.
Ce sont toutes ces recherches et ces initiatives qui nous permettront de commencer à briser les chaînes de notre dépendance.
Cependant, si le recyclage est devenu un outil de souveraineté stratégique et un levier d’innovation industrielle, il demeure difficile à mettre en œuvre. Les indicateurs de performance sont obsolètes : fondés sur le tonnage, ils ne prennent pas en compte l’impact stratégique des matériaux récupérés.
Nous devons également, madame la ministre, mes chers collègues, passer d’une logique de gestion des déchets à une logique d’approvisionnement en ressources critiques. Pour conjuguer souveraineté technologique et transition écologique, l’Europe et la France doivent poursuivre leur stratégie alliant sobriété, innovation, diversification des sources et respect des normes environnementales.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, je répondrai d’abord à l’inquiétude que vous avez manifestée concernant le Groenland.
Je rappelle qu’il y a quelques jours la ministre de l’économie, du commerce et des ressources minérales du Groenland a indiqué que son pays souhaitait nouer des partenariats avec l’Europe et les États-Unis.
Je précise par ailleurs que l’Union européenne a engagé des discussions stratégiques avec le Groenland sur les matières premières critiques, qui constituent un enjeu. Ainsi, comme je l’ai déjà dit, l’Union européenne a signé un protocole d’accord, le 30 novembre 2023, avec le gouvernement du Groenland en vue de mettre en place un partenariat stratégique visant à développer des chaînes de valeur durables de ces matières premières. Ce protocole prévoit cinq axes de coopération : les projets miniers et industriels ; les normes internationales en matière environnementale, sociale et de gouvernance ; le déploiement des infrastructures ; le développement des compétences ; la recherche et l’innovation.
Vous avez raison de le souligner, les terres rares sont stratégiques, car elles sont indispensables à la fabrication d’un certain nombre d’éléments de notre vie quotidienne. C’est la raison pour laquelle nous devons intervenir pour constituer une chaîne de valeur qui nous place dans une situation d’indépendance.
Bien entendu, tous les projets locaux, notamment ceux dont vous avez fait état, feront l’objet d’une attention particulière de l’État, compte tenu de l’importance du sujet. La stratégie nationale engagée vise de toute façon à identifier et à analyser tout ce qui peut contribuer à assurer notre souveraineté en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse.
J’ai appris l’information sur le Groenland voilà moins d’une heure. J’espère qu’il s’agit d’une fake news et que les coopérations et les accords avec l’Union européenne seront solides.
Enfin, nous devons vraiment encourager les projets locaux et les recherches susceptibles d’aboutir à l’industrialisation de nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre approvisionnement minéral a été, aux XIXe et au XXe siècles, un moteur de notre compétition industrielle et militaire, il est largement passé ces dernières décennies au second rang de nos préoccupations stratégiques.