Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Jean Hingray. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, jusqu’où irons-nous dans l’art de l’éphémère ? Éphémère fut l’enthousiasme soulevé par l’ambitieuse proposition de loi de l’Assemblée nationale, qui devait amener une transformation durable de nos modes de vie, de consommation et de production.

Hélas ! le texte que nous examinons ressemble pour l’instant davantage à un simple accessoire de mode qu’à une révolution vestimentaire – j’espère que cela va changer dans les prochaines heures. Cette proposition de loi est-elle véritablement tournée vers la lutte contre la fast fashion ou s’agit-il simplement d’un texte de guerre économique déguisé contre l’ultrafast fashion ?

Je m’interroge sur la protection offerte par ce texte à nos ouvriers et à nos chefs d’entreprise. Mon département, les Vosges, a longtemps fait la fierté de l’industrie textile. Victimes pendant plusieurs décennies de la concurrence étrangère, de nombreux Vosgiens se sont retrouvés sur le carreau. Et qu’ont fait les responsables politiques successifs ? Rien, ou si peu !

Il suffisait pourtant de s’inspirer d’un célèbre ministre, Jules Méline, ancien sénateur qui mit en place en 1892 des mesures protectionnistes pour les produits agricoles : oui, protéger nos ouvriers ; oui, protéger nos chefs d’entreprise ; oui, produire en France.

Avons-nous oublié l’idée même de produire en France ? Plutôt que de se contenter d’interdire, pourquoi ne pas utiliser les besoins actuels du marché pour stimuler notre économie nationale ? Nous devrions encourager les coopérations afin que nos entreprises puissent rivaliser sur la scène internationale tout en respectant nos valeurs écologiques.

En fait d’initiative, cette proposition de loi devrait être l’occasion de promouvoir une transformation écologique réelle et durable. Malheureusement, je ne pense pas que tel soit le cas pour l’instant.

C’est pourquoi j’ai déposé un amendement en faveur de nos industries, selon une approche qui allie protection économique et écoresponsabilité.

Notre débat gagnerait également à s’assortir d’un volet culturel et comportemental fort, en actionnant le levier de l’éducation. Former les jeunes à comprendre les impacts du textile sur l’environnement, sur les conditions sociales de la production et sur leur pouvoir d’achat constitue un véritable investissement civique et écologique à long terme. Aussi défendrai-je un amendement visant à insérer la mode écoresponsable dans le champ de l’éducation au développement durable.

Il est crucial de repenser l’ensemble de cette proposition de loi, donc de l’amender, pour qu’elle ne soit pas seulement un instrument de répression économique, mais pour qu’elle devienne le levier d’un changement positif et durable, tant pour notre économie que pour notre environnement.

Ne l’oublions pas : si la politique est éphémère, l’éducation de la nouvelle génération, elle, est durable ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier, car il est rare d’entendre un tel consensus sur une proposition de loi issue du bloc central qui, à la faveur d’une forte mobilisation collective, a su trouver son chemin ici au Sénat.

Oui, il est rare d’entendre un tel consensus, qui montre combien écologie rime avec économie, avec pouvoir d’achat – le vrai pouvoir d’achat, c’est-à-dire le pouvoir de vivre, et de vivre bien – et avec emplois – ceux de notre filière textile, mais aussi ceux de la distribution. Voilà qui tranche avec des reculs récents qui n’honorent pas notre pays.

Je veux également saluer le travail et l’intégrité de Mme la rapporteure, que certains, ces derniers jours, ont voulu remettre en cause. Je sais combien vous avez œuvré, avec M. le président Longeot et la commission du développement durable du Sénat, en dépit de certaines manœuvres et de certaines pressions – mais celles-ci sont monnaie courante –, pour tenir bon et, avec force, défendre ce texte dans sa totale intégrité, afin qu’il soit puissant. Et nous allons faire en sorte qu’il soit à la fois aussi puissant et solide juridiquement que possible.

Je veux aussi saluer la mobilisation du Gouvernement, et notamment de Bercy, car il est rare que ce dernier soit autant mobilisé sur tous les fronts. Vous avez dit à l’instant, madame la ministre Carrère-Gée, combien il est important d’activer tous les leviers disponibles : vous avez raison.

Sur le front des contrôles, ma collègue Véronique Louwagie a demandé à la DGCCRF de multiplier par trois le nombre de contrôles réalisés sur les plateformes, en s’attachant tant à la question de la loyauté commerciale qu’à celle de la qualité des produits. Nous devons en effet nous assurer que les produits importés répondent bien à nos normes sanitaires, il y va de la protection des Françaises et des Français. Sur trois types de produits en particulier, les cosmétiques, le textile et les jouets pour enfants, nous devons être absolument intransigeants et ne laisser entrer sur notre territoire aucun produit qui ne soit pas parfaitement conforme à cet égard.

Et il en va de même, bien sûr, pour nos normes sociales et environnementales.

Je veux aussi saluer le travail qui est fait par ma collègue Amélie de Montchalin quant aux contrôles relevant des douanes : il s’agit d’augmenter les contrôles, de lutter contre la fraude à la TVA à l’importation et ainsi de faire en sorte que les plateformes participent aux frais de gestion des douanes. Du reste, cette même idée est en train de faire son chemin pour ce qui concerne la participation au contrôle de la qualité des produits que mène la DGCCRF.

Nous agissons sur tous les fronts, y compris à l’échelle européenne en étant particulièrement offensifs. C’est grâce à ces efforts que, le 25 mai dernier, la Commission européenne, s’emparant de signalements répertoriés par la DGCCRF, dont je salue à nouveau l’action, mais aussi par les administrations d’autres pays ralliés à notre cause, a pu interpeller une plateforme dont les pratiques témoignent d’un certain nombre de dérives assez massives par rapport à nos règles en matière de loyauté commerciale et de droits des consommateurs.

Je vais maintenant répondre à quelques questions qui m’ont été posées.

Il y aura bien une trajectoire de malus. Le Gouvernement, fidèle à sa volonté de simplification et d’agilité, avait souhaité renvoyer cette disposition au niveau réglementaire. Cette décision a suscité des inquiétudes : inquiétudes inutiles, me semble-t-il, nous comptions bien tenir le front d’une trajectoire de malus implacable. Nous allons donc proposer la réintroduction dans le texte d’une trajectoire de malus, à tout le moins de pénalités planchers, en sorte de nous réserver la possibilité d’aller plus loin que cette trajectoire.

Pour ce qui est de la publicité, le Gouvernement a déposé un amendement – un parmi d’autres – visant à rétablir son interdiction. Cet amendement est fragile juridiquement, nous le savons, eu égard au principe de la liberté d’entreprendre, mais il vaut levier de négociation à l’échelle européenne ; il est donc utile dans la perspective de la poursuite de la discussion.

Sur l’affichage environnemental, je souhaite faire une précision. J’ai dû en défendre très fortement le principe pour obtenir un accord de la part de la Commission européenne. Cette démarche nous est accordée sur la base du volontariat et, surtout, à condition d’être expérimentale. La discussion continue à l’échelle européenne : aujourd’hui, cet Éco-score français n’est pas complètement accepté par la Commission européenne, car un autre Éco-score, le projet PEF (Product Environmental Footprint), fait l’objet de discussions qui se poursuivent.

Il est en tout état de cause essentiel que nous continuions de valoriser l’importance du score « extrinsèque », de la dimension extrinsèque des modèles d’affaires de l’ultrafast fashion.

Je veux également préciser que le malus concerne tout le monde : tous les acteurs, français, européens, non européens, dans toutes leurs dimensions, fast fashion et, bien sûr, ultrafast fashion. Il n’est pas question que le système tolère des passagers clandestins.

Vous l’avez compris, cette loi fera date par ce qui y est affirmé et promu, mais il est indispensable que l’Union européenne consolide cette approche si nous voulons être vraiment forts et nous donner les moyens d’éviter tous les risques de contournement – ils sont connus, malheureusement, dans ce secteur comme dans d’autres, à propos desquels il faudra sans doute agir également – de la part d’un certain nombre de plateformes qui, n’étant citoyennes de nulle part, jouent à leur guise des différences de droits.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à  réduire l'impact environnemental de l'industrie textile
Après l’article 1er

Article 1er

Après l’article L. 541-9-1 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 541-9-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 541-9-1-1. – I. – Relèvent de la mode éphémère les pratiques commerciales des personnes physiques et morales mentionnées à l’article L. 541-10 qui ont pour conséquence la diminution de la durée d’usage ou de la durée de vie de produits neufs mentionnés au 11° de l’article L. 541-10-1, notamment en raison de la mise sur le marché d’un nombre élevé de références de produits neufs ou de la faible incitation à réparer ces produits.

« Les seuils de références de produits neufs et les critères de la faible incitation à réparer sont fixés par décret en Conseil d’État et appréciés, le cas échéant, par marque telle que définie à l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle et par canal de vente.

« I bis. – Pour une personne physique ou morale qui facilite, par l’utilisation d’une interface électronique telle qu’une place de marché, une plateforme, un portail ou un dispositif similaire, les ventes à distance des produits mentionnés au I du présent article, la pratique commerciale de mode éphémère est appréciée selon les critères mentionnés au même I.

« La pratique commerciale est alors appréciée à l’échelle de l’ensemble des références de produits neufs proposés par cette personne à l’exception des références pour lesquelles elle dispose d’éléments justifiant que la personne titulaire de la marque desdits produits est la personne mentionnée audit I.

« Dans ce cas, la personne mentionnée au premier alinéa du présent I bis consigne les justificatifs correspondant dans un registre qu’elle tient à disposition de l’autorité administrative.

« Les modalités d’application du présent I bis sont précisées par décret.

« II. – Les personnes mentionnées au I bis qui ont recours à la pratique commerciale mentionnée au I affichent sur leurs plateformes de vente en ligne des messages encourageant la sobriété, le réemploi, la réparation, la réutilisation et le recyclage des produits, informant sur l’impact social du produit, et sensibilisant à leur impact environnemental. Ces messages sont affichés de manière claire, lisible et compréhensible sur tout format utilisé, à proximité du prix sur l’ensemble des pages proposant à la vente un produit couvert par le même I. Le contenu des messages et les modalités d’affichage sont définis par décret, pris après avis de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

« III. – (Supprimé)

« IV (nouveau). – La mise à disposition sur le marché de produits neufs mentionnés au 11° de l’article L. 541-10-1 invendus, par des personnes physiques et morales distinctes de celles ayant effectué la première mise sur le marché, ne relève pas de la pratique commerciale mentionnée au I du présent article. »

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.

M. Thomas Dossus. Je suis un peu moins enthousiaste que la ministre sur ce texte, notamment dans sa version issue des travaux de la commission, même si une centaine d’amendements ont été déposés pour l’améliorer. Pour l’instant, ni Shein ni Temu ne tremblent beaucoup, mais les progrès sont à portée de main.

Quoi qu’il en soit, cette proposition de loi ne va pas suffire. Vous l’avez dit, madame la ministre : il va falloir mobiliser aussi l’Union européenne.

Or il se trouve que la fameuse directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) fait l’objet de discussions en ce moment même dans le cadre de la présentation par la Commission européenne du paquet législatif Omnibus. L’Europe cherche à imposer aux entreprises un devoir de vigilance élargi permettant d’identifier, de prévenir et de réparer les atteintes aux droits humains et à l’environnement, selon des mécanismes assez contraignants, qui concerneraient Shein et Temu, pour ne citer que ces plateformes, mais aussi d’autres entreprises.

Vous parlez de reculs récents, madame la ministre, mais nous avons entendu le Président de la République lui-même, lors du sommet Choose France, exprimer son souhait de remettre en question cette directive, voire de l’éliminer, d’en finir avec elle, appelant à son report sine die. Je rappelle – certains l’ont dit avant moi – que nous sommes douze ans après le drame du Rana Plaza, l’effondrement de cet atelier avait provoqué la mort de centaines d’ouvrières travaillant notamment pour des sous-traitants d’entreprises françaises. Je rappelle également – révélation récente – que Decathlon exploite les Ouïghours tout en faisant des surprofits : 1 milliard de dividendes versés l’an dernier.

Le besoin d’une directive exigeante sur le devoir de vigilance est donc incontestable ; or l’on ne sait plus vraiment où veut aller le gouvernement français sur ce sujet. Je vous pose donc la question, madame la ministre : où en est-on ? Les propos du Président de la République valent-ils engagement du Gouvernement ?

Mme la présidente. Je suis saisie de vingt amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 63, présenté par M. Hingray, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 541-9-1-1. – I. – Les pratiques commerciales qui relèvent de la mode ultra express sont définies par les critères cumulatifs suivants :

« – Le taux de renouvellement des collections, basé sur le nombre de collections par an et/ou le nombre de nouveaux articles par an, y compris lorsque la mise à disposition des articles est réalisée par l’intermédiaire d’un fournisseur de marché en ligne, dépassant des seuils fixés par décret ;

« – La largeur de gamme, évaluée en fonction du nombre de références disponibles à un moment donné ;

« – La rapidité de mise sur le marché, basée sur la durée du cycle de production (de la phase de conception jusqu’aux produits finis en magasin) ;

« – Le facteur prix, notamment des prix trop bas par rapport au prix moyen estimé, en tenant en compte les critères de réparabilité : un faible niveau de prix décourage la réparation et encourage la surconsommation ;

« – L’intensité promotionnelle, calculée par la fréquence des promotions.

La parole est à M. Jean Hingray.

M. Jean Hingray. Les notions de « nouvelles références » et de « faible incitation à réparer » restent insuffisantes pour qualifier les acteurs de l’ultrafast fashion. Sans critères complémentaires, cette définition demeure incomplète et laisse une marge d’interprétation qui pourrait affaiblir l’efficacité du texte.

Afin d’assurer une définition robuste et opérationnelle de l’ultrafast fashion, il convient d’adapter la définition inscrite dans la proposition de loi et d’y intégrer des critères supplémentaires permettant d’identifier clairement les acteurs concernés et de garantir ainsi une mise en œuvre efficace.

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Espagnac et Bonnefoy, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 541-9-1-1. – I. Les pratiques commerciales qui relèvent de la mode éphémère sont définies par les critères cumulatifs suivants :

« 1° Le taux de renouvellement des collections, basé sur le nombre de collections par an et/ou le nombre de nouveaux articles par an, y compris lorsque la mise à disposition des articles est réalisée par l’intermédiaire d’un fournisseur de marché en ligne, dépassant des seuils fixés par décret ;

« 2° La largeur de gamme, évaluée en fonction du nombre de références disponibles à un moment donné ;

« 3° La rapidité de mise sur le marché, basée sur la durée du cycle de production (de la phase de conception jusqu’aux produits finis en magasin) ;

« 4° Le facteur prix, notamment des prix trop bas par rapport au prix moyen estimé, en tenant en compte les critères de réparabilité : un faible niveau de prix décourage la réparation et encourage la surconsommation ;

« 5° L’intensité promotionnelle, calculée par la fréquence des promotions.

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Je défends cet amendement au nom de notre collègue Frédérique Espagnac.

La définition de la fast fashion demande du courage politique. Ne l’oublions pas, c’est aussi nos entreprises françaises et européennes que nous voulons protéger.

Vous n’êtes pas sans savoir que, depuis quelques années, nos territoires sont secoués par la fermeture d’enseignes que nous avons toujours vues dans nos rues commerçantes, comme Camaïeu ou Jennyfer.

Nous devons aller plus loin que la définition retenue en commission : il faut parler de rapidité de mise sur le marché, de prix trop bas cassant le marché français et de critères de réparabilité, sans quoi cette définition demeure incomplète et laisse une marge d’interprétation qui pourrait affaiblir l’efficacité du texte.

Mme la présidente. L’amendement n° 49, présenté par MM. Fernique, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 3

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Art. L. 541-9-1-1. – I. Relèvent de la mode éphémère les pratiques commerciales des personnes physiques et morales mentionnées à l’article L. 541-10 qui ont pour conséquence d’avoir une largeur de gamme supérieure à 10 000 unités ou un coût de réparation supérieur à 33 % du prix neuf de référence tels que définis dans l’arrêté relatif à la signalétique et à la méthodologie de calcul du coût environnemental des produits textiles d’habillement. Ces seuils sont appréciés, le cas échéant, par marque telle que définie à l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle et par canal de vente.

« Un décret en Conseil d’État peut réévaluer les seuils de nouvelles références à partir desquels une pratique commerciale relevant de la mode éphémère est caractérisée.

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Cet amendement vise à donner une définition claire et juridiquement opérationnelle de la fast fashion.

Faute d’établir des seuils, la loi resterait assez inopérante. Il s’agit de poser une ligne rouge – une largeur de gamme supérieure à 10 000 références ou un coût de réparation supérieur à 33 % du prix neuf – pour que la régulation soit applicable, contrôlable, et qu’elle réponde aux enjeux que nous avons à traiter.

Il s’agit aussi de ne pas tout laisser au pouvoir réglementaire et, en l’espèce, de ne pas laisser entièrement la définition des seuils à des décrets. Le Parlement doit conserver une capacité d’encadrement et de régulation, notamment en posant des critères objectifs dans la loi.

Cet amendement s’appuie sur la méthodologie Ecobalyse, outil élaboré en concertation avec l’ensemble des acteurs de la filière. La validation par la Commission européenne du projet de cadre réglementaire sur l’affichage du coût environnemental des vêtements, le 15 mai dernier, en souligne le sérieux et la cohérence.

En commission, l’absence d’une telle validation avait constitué un argument contre cette disposition. Ce n’est désormais plus une anticipation hasardeuse : c’est une proposition cohérente, le caractère pionnier du projet français ayant été reconnu comme tel par la Commission.

L’adoption de cet amendement permettrait de responsabiliser les metteurs en marché afin d’empêcher l’effondrement d’une filière de l’économie circulaire qui se construit et qui sera un atout économique majeur dans le contexte géopolitique actuel.

Mme la présidente. L’amendement n° 79, présenté par Mme Varaillas, MM. Basquin, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 3

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Art. L. 541-9-1-1 – Une largeur de gamme supérieure à 10 000 unités ou un coût de réparation supérieur à 33 % du prix neuf de référence tels que définis dans l’arrêté relatif à la signalétique et à la méthodologie de calcul du coût environnemental des produits textiles d’habillement relève de la mode éphémère. Ces seuils sont appréciés, le cas échéant, par marque telle que définie à l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle et par canal de vente.

« Un décret en Conseil d’État peut réévaluer les seuils de nouvelles références à partir desquels une pratique commerciale relevant de la mode éphémère est caractérisée. »

La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Cette proposition de loi a vocation à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, mais aussi à mieux définir ce qu’est la fast fashion. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de se doter d’outils efficaces, ce qui passe par une définition à la fois claire, ambitieuse et adaptable.

Par cet amendement, nous proposons, comme le suggèrent plusieurs associations de protection de l’environnement ou spécialisées dans le réemploi, d’établir des critères objectifs clairs : une gamme supérieure à 10 000 unités et une réparabilité réduite, c’est-à-dire un coût de réparation supérieur à 33 % de la valeur du produit.

La fast fashion, qui produit et renouvelle rapidement, incite les consommateurs à racheter plutôt qu’à réparer, vendre ou donner leurs vêtements. C’est de cet enjeu qu’il s’agit à l’article 1er.

En laissant le Conseil d’État déterminer ces seuils, nous n’aurions pas la garantie qu’une définition satisfaisante soit retenue. Nous prévoyons néanmoins, dans notre amendement, que le Conseil d’État puisse réévaluer lesdits seuils.

Les décrets d’application étant souvent publiés longtemps après la loi, il nous semble opportun d’intégrer dans celle-ci une première définition de la fast fashion.

Pour le reste, nous sommes évidemment en accord avec le choix qui a été fait de ne pas inclure les boutiques de seconde main dans cette définition : une telle inclusion eût été particulièrement contradictoire avec l’objectif que nous recherchons.

Mme la présidente. L’amendement n° 50, présenté par MM. Fernique, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 3

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Art. L. 541-9-1-1. – I. – Relèvent de la mode éphémère les pratiques commerciales des personnes physiques et morales mentionnées à l’article L. 541-10 qui ont pour conséquence d’avoir une largeur de gamme supérieure à 10 000 unités telle que définie dans l’arrêté relatif à la signalétique et à la méthodologie de calcul du coût environnemental des produits textiles d’habillement. Ces seuils sont appréciés, le cas échéant, par marque telle que définie à l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle et par canal de vente.

« Un décret en Conseil d’État peut réévaluer les seuils de nouvelles références à partir desquels une pratique commerciale relevant de la mode éphémère est caractérisée.

La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Cet amendement de repli ne conserve, de la définition proposée pour caractériser un modèle de fast fashion, que le seuil plancher de 10 000 références présentes en catalogue, à l’exclusion du critère de réparabilité qui figurait dans l’amendement que j’ai précédemment présenté.

L’inscription dans le texte de ce critère objectif permettrait de sortir du flou juridique et de garantir une application claire de la loi : 10 000 références, c’est le marqueur d’un renouvellement ultrarapide et excessif des collections, pratique qui est au cœur des dérives du modèle. C’est la fourchette haute retenue par la méthodologie consensuelle Ecobalyse pour définir un coefficient de durabilité, le seuil de largeur de gamme variant entre 1 000 et 16 000 références. Nous ne sortons pas ce chiffre de nulle part : il est le fruit d’un consensus technique et d’une méthode partagée, validée à l’échelle européenne.

Mme la présidente. L’amendement n° 90, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Après le mot :

mode

insérer le mot :

ultra

La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Dans sa rédaction actuelle, l’article 1er consacre une définition de la mode éphémère sur laquelle s’appuient les sanctions suivantes : l’obligation d’affichage d’un message de sensibilisation et un encadrement de la publicité. Or il faut expliquer pourquoi cibler ces sanctions sur la mode ultra-éphémère reviendrait à manquer notre cible.

Ainsi que je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, une partie des sanctions, notamment celles qui ont trait à la publicité, risque de ne pas s’appliquer à la mode ultra-éphémère, puisque le pays dans lequel sont domiciliées les sociétés concernées, y compris leurs filiales européennes, n’est pas la France. À ce titre, le droit européen, à moins d’être modifié, leur permettra d’échapper à l’application des règles dont nous pourrions décider dans cet hémicycle ; d’où notre intérêt à porter à l’échelle européenne une approche analogue à celle que nous défendons aujourd’hui à l’échelle nationale.

Si les acteurs les plus polluants – et, en fait de pollution, nous parlons d’un facteur 10, voire d’un facteur 100 par rapport à la moyenne – ne se voient pas appliquer cette règle et si, inversement, les acteurs qui agissent aujourd’hui à l’échelle française et qui s’avèrent beaucoup moins polluants, sans être parfaits – je ne vais pas vous raconter que les pratiques de la filière textile sont parfaites ! –, sont les seuls à être interdits de publicité, on provoque un phénomène de déplacement et on favorise les premiers, c’est-à-dire les acteurs les plus polluants, au détriment des autres, ce qui n’est pas acceptable.

C’est pourquoi nous avons retenu cette définition : nous voulons faire en sorte que les restrictions – l’obligation d’afficher un message de sensibilisation et l’interdiction de la publicité – s’appliquent bien aux acteurs concernés, qu’il n’y ait pas d’échappatoire ni de création d’une concurrence déloyale défavorable aux acteurs qui, comparativement, sont moins polluants.

Cela n’empêche pas que tous les acteurs de la mode seront concernés par la modulation des écocontributions de l’article 2 à raison de leur trajectoire carbone et de leur empreinte environnementale et qu’ils paieront plus ou moins le malus tel que nous allons le définir.