M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les nombreuses alertes de maires qui nous parviennent font état d'une aggravation préoccupante des difficultés des collectivités locales à s'assurer.

Les témoignages que nous avons recueillis lors des auditions conjointes de la commission des finances et de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sont édifiants : marchés publics infructueux de plus en plus nombreux, hausse considérable du montant des primes – notre collègue Bernard Buis a donné quelques exemples illustrant parfaitement les difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités et, selon l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, le coût de l'assurance dommages aux biens aurait augmenté de 147 % en cinq ans –, explosion du niveau des franchises – des maires nous ont fait part de franchises de 500 000 ou 1 million d'euros, voire de 2,5 millions d'euros pour la commune de Rive-de-Gier, dans la Loire –, imposition en cours de contrat d'avenants portant sur les tarifs ou les franchises ou visant à exclure certains risques, voire résiliation unilatérale pure et simple des contrats, laissant les collectivités concernées dépourvues de toute couverture de leurs risques.

En conséquence, des collectivités sont contraintes de se tourner vers des assureurs suisses, américains ou japonais, comme les communes de Saverne – 12 000 habitants, dans le Bas-Rhin – ou de Dinan, dans les Côtes-d'Armor, ou, pis encore, elles se retrouvent sans aucune couverture.

Voilà la réalité qui touche toutes les catégories de collectivités, les petites comme les grandes. Le marché de l'assurance des collectivités est en crise et il est de notre responsabilité d'apporter des solutions.

Plusieurs initiatives ont été prises. En mars dernier, M. Husson a présenté à la commission des finances son rapport d'information sur le sujet. De son côté, la délégation aux collectivités territoriales, saisie par le président du Sénat, s'est emparée de cette question et a mené un travail commun avec la commission des finances, notamment une série d'auditions ayant démontré l'urgence à agir. En outre, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-François Husson. Enfin, à toutes ces initiatives parlementaires se sont ajoutées des actions gouvernementales issues du Roquelaure de l'assurabilité, notamment la signature de la charte d'engagement pour l'assurabilité des collectivités et la circulaire du 2 mai dernier, qui mobilise les préfets autour de ces enjeux.

Le texte qui nous est présenté a plusieurs objectifs : redonner aux collectivités des leviers de négociation, rendre le marché plus lisible et plus équitable, permettre le suivi des pratiques commerciales pour identifier et recadrer les comportements abusifs, mieux accompagner les collectivités en difficulté. En outre, cette proposition de loi crée une possibilité de recours, une médiation spécifique, qui constitue un point d'entrée officiel pour des situations extrêmes.

Bien évidemment, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte.

Toutefois, je veux le dire dès maintenant et avec la plus grande détermination, si, à la suite de ces initiatives parlementaires et gouvernementales, les difficultés des collectivités à s'assurer devaient perdurer, nous devrions aller plus loin. Nous ne pouvons laisser les collectivités sans solution, en particulier les plus petites, qui sont souvent démunies, car elles ne disposent pas de service juridique et n'ont qu'un service administratif très réduit. Nous avons donc à cet égard une responsabilité collective.

Ne l'oublions pas, assurer une collectivité, c'est assurer sa mairie, son école, sa bibliothèque, sa crèche, son église, ses équipements sportifs, ses bâtiments publics, parfois même sa gendarmerie, qui accueille des agents de l'État. Ainsi, assurer une collectivité, c'est permettre à son maire de remplir ses missions de service public – dont certaines pour le compte de l'État – sans craindre qu'un sinistre ne le plonge dans une impasse financière.

Monsieur le ministre, j'ai bien entendu votre engagement à présenter un dispositif complet d'assurabilité des collectivités avant l'examen du projet de loi de finances. Toutefois, si d'aventure l'ensemble de ces mesures, y compris le présent texte, ne permettaient pas d'apporter des garanties concrètes sur le terrain pour toutes les collectivités de France, nous pourrions alors envisager d'instaurer un droit à l'assurance pour toutes les collectivités, sur le modèle du droit au compte pour les particuliers. Ce droit garantirait à toutes les collectivités l'accès à une couverture minimale. Il s'agirait de poser enfin ce principe simple : toute collectivité doit pouvoir être assurée à un tarif compatible avec ses capacités financières. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDPI, INDEP et SER.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.

M. Pierre Barros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d'accord au sein de la Haute Assemblée pour affirmer l'urgence à garantir à chaque collectivité territoriale la possibilité d'assurer ses biens publics. Seulement, il ne suffit pas d'intituler un texte « proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales » pour que cela devienne une réalité.

M. Pierre Barros. Or, au travers de ce texte, on nous propose seulement l'illusion d'une réponse concrète. On affiche une intention, mais on écarte d'emblée la seule piste structurellement crédible : la création d'un opérateur public d'assurance consacré aux collectivités. Non seulement cette hypothèse est absente du texte, mais elle est même contrecarrée par le choix de raviver la concurrence dans un marché qui s'est justement effondré par excès de logique concurrentielle.

Soyons clairs, les acteurs se sont retirés du marché et, à ce jour, ce sont presque uniquement les assurances mutualistes qui résistent, certainement par sens du service public. Les grands groupes, eux, se sont recentrés sur les segments du risque les plus rentables, comme le secteur de l'assurance vie, laissant les collectivités seules face à leurs risques. Le résultat, c'est que le marché des contrats dommages aux biens est devenu duopolistique, avec Groupama et la Smacl.

Que propose-t-on avec ce texte ? On se contente d'activer des franchises, non pour faciliter l'accès à l'assurance, mais pour « dérisquer » les petits sinistres et reconstituer des marges de rentabilité pour les compagnies d'assurance. L'intégration du risque émeutes dans les contrats dommages aux biens passe dès lors par la création d'une nouvelle base de prime, donc par l'élargissement de l'assiette. C'est ainsi que le texte semble plus conçu pour relancer la rentabilité d'un marché sinistré, en dopant les marges des assureurs, que pour garantir l'accès des collectivités à l'assurance. C'est tout de même le comble !

Le constat est sans appel : les collectivités sont de plus en plus démunies face à la prise en charge des risques. Je le rappelle, on a enregistré 28 000 contrats en moins entre 2016 et 2022 selon le rapport d'information du Sénat. C'est donc non pas d'un choc concurrentiel, mais d'un socle universel de couverture que les collectivités ont besoin.

Je parle ici d'expérience. J'ai été maire d'une commune de 10 000 habitants, située en grande couronne parisienne, une ville populaire, qui a connu à la fois des dégradations liées aux émeutes de 2023 et, un an après, une catastrophe naturelle. Je le dis très clairement : beaucoup d'équipements publics – parkings, stades, cimetières – ne sont pas couverts par les contrats dommages aux biens. Seule la responsabilité civile liée à ces équipements est couverte.

Or le problème est que le décret qui encadre la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques exclut une large part de ces biens du périmètre indemnisable.

M. Jean-François Husson. Cela relève du régime des CatNat !

M. Pierre Barros. Résultat : entre ce que les assureurs ne prennent pas en charge et ce que le Gouvernement exclut par décret, des pans entiers du patrimoine communal restent sans protection effective face aux risques. Voilà le vrai sujet et ce texte ne l'aborde même pas.

Notons ensuite, mes chers collègues, qu'une part disproportionnée du texte est consacrée à ce qu'il dénomme « mouvements populaires ». Je le dis en passant, le choix de ces termes nous pose problème : même si cette expression reprend la rédaction du code des assurances, cette répétition introduit une confusion préjudiciable entre le caractère populaire d'une mobilisation et des actes de dégradation ou de violence,…

Mme Silvana Silvani. Exactement !

M. Pierre Barros. … un mouvement populaire n'étant pas obligatoirement accompagné de violences et de dégradations.

M. Pascal Savoldelli. Tout à fait !

M. Pierre Barros. Nous avons d'ailleurs déposé un amendement visant à y substituer une formulation plus juste et qui complète avantageusement celle du code des assurances.

Surtout, au-delà du vocabulaire, cette focalisation suscite des interrogations lorsque l'on examine la réalité des sinistres. Le risque lié aux émeutes, aussi épouvantable et destructif soit-il, représente une sinistralité cinq fois moindre que le risque climatique. Or nous entrons dans un monde où les aléas climatiques massifs rendent une grande partie des territoires inassurables. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé le directeur général d'AXA, qui, dès 2015 à la COP21, parlait d'un monde inassurable à +4 degrés.

Au regard de l'intention des auteurs la proposition de loi, cette manière de porter son attention sur les mouvements populaires plutôt que sur les catastrophes naturelles doit nous inciter à la réflexion et illustre à quel point ce texte rate volontairement sa cible.

Pour terminer sur une note positive, je précise que nous apprécions la création d'un fonds prudentiel potentiellement confié à la Caisse centrale de réassurance (CCR) : c'est le seul levier constructif du texte. Toutefois, là aussi, soyons lucides, ce fonds repose exclusivement sur une surprime prélevée sur les collectivités elles-mêmes, c'est-à-dire, encore une fois, sur les victimes directes du retrait du marché privé.

M. Pascal Savoldelli. Qui va payer ?

M. Pierre Barros. Vous admettrez, mes chers collègues, que l'on est tout de même bien loin de régler les problèmes assurantiels des collectivités. C'est néanmoins grâce à cette petite avancée que nous nous abstiendrons sur ce texte plutôt que de voter contre. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de plus en plus de bâtiments et d'équipements publics ne peuvent être assurés, laissant les collectivités face à elles-mêmes et les élus seuls face au risque. Le choix se fait souvent entre s'assurer en payant des primes de plus en plus lourdes et ne plus s'assurer. Les élus de nos territoires se retrouvent trop souvent démunis…

Les difficultés actuelles sont d'abord le fait de la concurrence non régulée. Il n'y a plus que deux acteurs, Groupama et la Smacl, qui tiennent l'essentiel du marché. Pourquoi ? Parce qu'une politique de prix agressive, au cours des années 2010, a affaibli le modèle économique. Par conséquent, la plupart des assureurs se sont retirés avec, comme corollaire, l'établissement d'un duopole et l'augmentation des prix.

M. Michel Masset. Parce que ce n'est pas rentable !

M. Grégory Blanc. Or cette situation apparaît au moment même où notre système assurantiel est sous tension du fait, d'une part, du changement climatique et, d'autre part, de la récurrence des émeutes, dans une société qui se polarise et où les inégalités de revenus se conjuguent avec les inégalités spatiales, les riches se parquant dans des zones cossues, les pauvres étant assignés à des quartiers d'habitat social ou dans le rural reculé et les travailleurs habitant de plus en plus loin, en zone périurbaine. Nos mondes ne se croisent plus et, lorsqu'il y a des émeutes, on casse chez le voisin.

D'un côté, il n'y a plus d'offre assurantielle ; de l'autre, la sinistralité augmente. Résultat, une société à deux vitesses s'instaure : il y a ceux qui parviennent à s'assurer, selon l'endroit où ils résident, la réalité de leurs risques et le niveau de leurs revenus, et ceux qui n'y parviennent plus. Et cette spirale accroît encore les inégalités…

Il faut donc réguler ; le législateur doit intervenir. La commission des finances s'est saisie du sujet et cette proposition de loi fait suite aux travaux conduits sous l'égide du rapporteur général, M. Jean-François Husson, et de Marie-Carole Ciuntu.

Ce travail est utile. Ce texte posera, de manière temporaire, une rustine sur des problèmes structurants, qui ne feront que s'amplifier. C'est pourquoi nous devons le dire clairement : ce travail, s'il est utile, sera, nous le savons d'avance, insuffisant. Il répond certes à l'urgence, mais sans traiter les causes profondes.

Nous en sommes déjà à +1,7 degré de réchauffement ; nous en serons à +2 degrés dès 2030 et, hélas ! à +2,7 degrés en 2050.

M. Pascal Savoldelli. Ça, c'est autre chose que les « mouvements populaires » !

M. Grégory Blanc. En conséquence, le coût des sinistres climatiques doublera d'ici à 2050, pour atteindre 143 milliards d'euros sur trente ans, selon l'État et le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc 3). Quelque 50 % des forêts françaises seront exposées aux incendies et 13 millions de personnes seront directement ou indirectement concernées par le risque de ruissellement ; les submersions marines coûteront, à l'horizon de 2050, 2 milliards d'euros par an.

Face à cela, notre système assurantiel est en train de se fissurer.

Ce texte apporte des réponses attendues de tous : création d'une mission de suivi spécifique pour l'assurabilité des collectivités auprès de l'ACPR, création d'un observatoire des tarifs, encouragement du recours à la médiation, extension de la dotation de solidarité aux violences urbaines, obligation de la couverture contre les émeutes.

Toutefois, ces avancées restent à la surface du problème, car ce texte, s'il répond aux besoins immédiats, ne règle pas les problèmes de demain et donc ne contribue pas à faire de l'assurance un pilier de la résilience territoriale plutôt qu'un produit financier. Il faudrait imaginer un cadre public de dernier recours, favoriser la réouverture du marché et garantir une protection minimale pour tous.

J'en viens au fond du texte.

L'article 4 systématise le principe de la franchise. Il ne s'agit pas selon nous d'une responsabilisation, c'est un transfert de charge dans un marché peu concurrentiel. Cette mesure ne fera qu'aggraver les déséquilibres. Nous défendrons un amendement visant à le compléter.

Nous ferons de même à l'article 6. La surprime destinée à abonder le fonds de garantie contre les émeutes s'appliquerait également aux personnes physiques, donc aux particuliers, via leur assurance habitation ou automobile.

De notre point de vue, ce mécanisme est clairement un impôt déguisé. Il fait peser sur les citoyens une responsabilité qui, dans l'absolu, ne relève pas d'eux, mais bien de la solidarité nationale. Aussi, nous demanderons que les particuliers soient exclus du périmètre de la surprime.

En définitive, ce qui touche les collectivités territoriales aujourd'hui affectera, demain, les entreprises et les particuliers. Il faut avoir conscience de l'ampleur du problème. L'extension du régime des catastrophes naturelles au risque d'émeute entraînera mécaniquement une hausse des cotisations pour tous. C'est pourquoi nous devons sans tarder reprendre nos travaux pour voir plus loin, plus large et plus juste.

Nous voterons cette proposition de loi, mais – j'y insiste – nous souhaitons dès à présent engager ce travail pour répondre aux véritables enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système assurantiel est en crise, incapable de garantir à toutes les collectivités territoriales un accès équitable, soutenable et pérenne à une couverture assurantielle digne de ce nom.

Le problème assurantiel des collectivités territoriales n'est pas nouveau. Il ne surgit pas par surprise.

Depuis plusieurs années, les alertes se multiplient. Du Sénat à l'Assemblée nationale, des associations d'élus aux maires de terrain, tous disent la même chose : qu'elles soient grandes ou petites, urbaines ou rurales, les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficulté à s'assurer, et le phénomène, loin de se tasser, ne cesse de s'aggraver.

Face à de tels problèmes, le rôle du Sénat, chambre des territoires, est à la fois d'alerter et de proposer des solutions.

Les élus du groupe socialiste ont pris leur part aux travaux de la mission d'information relative aux problèmes assurantiels des collectivités territoriales. Nous avons documenté le sujet, mené des auditions et débattu.

Cette proposition de loi de M. le rapporteur général, que je salue, est une étape pour sortir de la crise.

Désormais, certaines collectivités territoriales renoncent à couvrir leurs biens ; d'autres basculent dans une forme d'auto-assurance forcée, différant des recrutements, gelant des investissements ou renonçant à entretenir leur patrimoine.

À l'origine de cette crise de l'assurabilité des collectivités territoriales se trouve une défaillance structurelle du marché assurantiel lui-même.

Cette défaillance n'est pas uniquement conjoncturelle ou liée à un emballement temporaire des risques. Elle touche le secteur en son cœur même, affectant ainsi son fonctionnement. On déplore à la fois sa concentration, son opacité, son retrait progressif de certaines zones et sa logique d'optimisation financière, incompatible avec les principes fondamentaux du service public.

Le premier élément est la concentration excessive de l'offre. Aujourd'hui – je le relève à mon tour –, deux opérateurs couvrent plus de 40 % du marché. Cette situation n'est pas le fruit du hasard : elle résulte de la politique tarifaire agressive menée par un opérateur et du retrait progressif de nombreux assureurs généralistes. Dès lors, la mise en concurrence, censée modérer les hausses de tarifs et améliorer les conditions contractuelles, ne joue plus.

Ce déséquilibre de marché a des effets directs. Il limite l'accès à l'assurance pour de nombreuses collectivités territoriales, réduit le choix, augmente la volatilité tarifaire et accroît le pouvoir unilatéral des assureurs sur les clauses des contrats. Bref, ce n'est plus l'acheteur public qui fixe les conditions, mais le fournisseur qui dicte sa loi.

Les raisons de cette crise sont évidemment plurielles.

Tout d'abord, la situation actuelle tient à la hausse de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles – sécheresses à répétition, inondations, tempêtes, feux de forêt, etc. Le coût moyen des sinistres climatiques a doublé entre 2010 et 2020 et, en 2022, la facture a atteint 10,6 milliards d'euros.

Ensuite, les mouvements sociaux, difficiles à modéliser et concentrés dans certains territoires, constituent un facteur déterminant. Les émeutes de 2023 ont représenté près de 200 millions d'euros de dommages sur les biens publics, soit 27 % du total national des dégradations.

Enfin, on note un manque de compétence assurantielle dans de nombreuses collectivités territoriales. Beaucoup n'ont pas les services nécessaires et mériteraient d'être accompagnées, tant pour l'évaluation de leurs risques que pour la constitution des appels d'offres.

Le résultat est clair : un quart des collectivités territoriales n'obtiennent plus aucune réponse à leurs appels d'offres.

Mes chers collègues, cette défaillance du marché entraîne une véritable insécurité juridique et budgétaire pour les collectivités territoriales. Leur capacité à planifier, à investir et à protéger leurs agents comme leurs équipements s'en trouve compromise.

Commençons par l'impact budgétaire. L'assurance, jadis considérée comme une dépense stable et marginale des budgets communaux, est devenue une ligne incertaine, inflationniste, parfois ingérable. Dans de nombreuses villes, les primes d'assurance ont été multipliées par deux, voire par trois, en cinq ans. À Poitiers, la dernière enveloppe demandée dépasse 500 000 euros, en augmentation de 330 %. Dans ma propre commune, le Palais-sur-Vienne, qui compte quelque 6 000 habitants, les coûts se sont envolés, les franchises ayant bondi de 100 %.

Pour les communes, ces hausses signifient plusieurs recrutements gelés, des projets d'investissements différés ou des subventions associatives supprimées. Elles provoquent un effet d'éviction massif, direct et silencieux ; une forme de contrainte financière imposée par le marché privé à des acteurs publics.

Toutefois, la contrainte n'est pas seulement budgétaire : elle est aussi juridique, car, lorsqu'une collectivité territoriale ne parvient plus à s'assurer ou ne peut plus s'assurer que partiellement, elle entre dans une zone grise de responsabilité. En cas de sinistre non couvert, elle doit assumer sur ses fonds propres la réparation, la reconstruction, voire l'indemnisation de tiers ; et, si elle est jugée négligente dans la protection de ses biens ou de ses personnels, la responsabilité de son exécutif peut être engagée.

Bien sûr, le présent texte ne résoudra pas tous les problèmes, mais il apporte une première réponse à cette insécurité croissante. Il donne aux collectivités territoriales les moyens de reprendre le contrôle de leurs contrats en préparant les bases d'un cadre juridique plus équilibré, plus stable et plus protecteur.

L'article 1er formalise une mission spécifique de suivi du marché de l'assurance des collectivités territoriales, confiée à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Permettant de détecter des dérives comparables à celles qui ont été constatées jusqu'à ce jour, cette disposition répond à une recommandation ancienne, et largement consensuelle, figurant dans le rapport Chrétien-Dagès.

L'article 2 confie une mission d'observation des tarifs assurantiels au comité consultatif du secteur financier. Il renforcera non seulement le suivi des contrats d'assurance dans le secteur public, mais aussi la prévention des dysfonctionnements.

Les deux articles suivants rééquilibrent les relations entre assureurs et collectivités territoriales. L'élargissement des compétences du médiateur, en lien avec le nouveau dispositif de l'État, Collectiv'Assur, dont a parlé M. le ministre, va naturellement dans le bon sens. Mais nous devrons veiller à ce que la systématisation des franchises ne soit pas un obstacle à l'assurabilité des biens.

Grâce à l'article 5, la dotation de solidarité en cas de catastrophe pourra être mobilisée pour venir en aide aux collectivités territoriales ayant subi des dommages importants du fait d'émeutes ou de mouvements populaires violents.

Dans la même logique, l'article 6 introduit un mécanisme de mutualisation inspiré du régime CatNat. L'objectif est double : garantir une couverture minimale à toutes les collectivités territoriales et éviter que le coût des sinistres liés aux violences ne pèse uniquement sur les communes les plus exposées. Ce dispositif va dans le bon sens, mais il pourrait être encore amélioré : nous défendrons deux amendements en ce sens.

Nous, membres du groupe socialiste, avons depuis longtemps pris la mesure de cette crise assurantielle. C'est pourquoi nous saluons le présent texte, qui témoigne de cet esprit transpartisan auquel nous sommes attachés.

Cette proposition de loi répond à une réalité que nous observons chaque semaine dans nos territoires. Il est heureux que le Gouvernement se soit enfin emparé du sujet, en s'appuyant notamment sur le travail sérieux réalisé par la commission des finances du Sénat l'an passé.

Nous serons donc particulièrement attentifs à la mise en œuvre du plan d'action annoncé par le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

Nous nous devons d'apporter des réponses concrètes aux élus. Cette proposition de loi est l'une d'elles : nous la soutenons et nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains. – M. Grégory Blanc applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les collectivités territoriales font face à une crise silencieuse, mais profonde : celle de leur assurabilité.

Ce terme technique recouvre une réalité simple, à laquelle sont confrontés les maires et, plus largement, les élus locaux : de nombreuses communes ne parviennent plus à se couvrir, ou bien doivent s'assurer à des conditions telles que la protection n'est plus tenable. Les précédents orateurs l'ont rappelé.

La mission d'information conduite par notre collègue Jean-François Husson, que je salue, s'est fondée sur une large consultation d'élus. Elle a mis au jour un marché déséquilibré, dominé par deux opérateurs et au sein duquel les collectivités territoriales subissent une asymétrie de pouvoir.

S'y ajoute une sinistralité croissante liée aux événements climatiques et, surtout, aux émeutes de 2023. Ces dernières ont causé des dommages d'une ampleur inédite dans bon nombre de collectivités territoriales, pour certaines particulièrement exposées et mal couvertes.

C'est dans ce contexte que nous examinons cette proposition de loi, dont l'objectif est triple : premièrement, renforcer la transparence du marché ; deuxièmement, rééquilibrer les relations contractuelles ; et, troisièmement, sécuriser la couverture des risques majeurs.

Il s'agit non pas d'un texte de circonstance, mais de l'aboutissement de travaux rigoureux, fondés sur des constats partagés, énoncés notamment dans le rapport Chrétien-Dagès et par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité.

Tout d'abord, ce texte renforce la transparence du marché assurantiel, avec des outils permettant de suivre plus objectivement les évolutions tarifaires, les pratiques commerciales et les tensions sectorielles.

Ensuite, il vise à rééquilibrer les relations entre assureurs et collectivités territoriales, notamment en élargissant les possibilités de médiation sans les limiter au cadre des sinistres. La systématisation des franchises dans les contrats « dommages aux biens » introduit une logique de prévention et de responsabilisation.

Cela étant, l'innovation principale du texte réside dans la création d'un régime d'indemnisation du risque d'émeute. Ce régime s'applique non seulement aux collectivités territoriales, mais aussi aux particuliers et aux entreprises. Il repose sur une garantie obligatoire, sur une surprime affectée à un fonds mutualisé et sur l'intervention possible du bureau central de tarification.

Ce dispositif ne sera toutefois pleinement opérationnel que si le Gouvernement agit. En effet, pour que la Caisse centrale de réassurance puisse jouer son rôle, une garantie de l'État est nécessaire, et cette dernière ne peut être instaurée que par une loi de finances. Mais M. le ministre nous a rassurés à cet égard : le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 devrait contenir cette autorisation.

L'État doit être au rendez-vous. Il a, dans ce domaine, une obligation de résultat. Le patrimoine des collectivités territoriales ne peut être abandonné.

Les élus du groupe Les Républicains voteront ce texte avec conviction, parce qu'il offre des solutions aux élus confrontés à l'impossibilité d'assurer leurs équipements ; parce qu'il témoigne, si besoin était, de l'utilité du Sénat ; et parce qu'il trace une voie pour redonner aux collectivités territoriales les moyens d'assumer leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)