M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin d’examiner la proposition de loi visant à renforcer la protection des écosystèmes marins, déposée par notre collègue Mathilde Ollivier et l’ensemble du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
À l’heure où nous nous parlons, des milliers de dirigeants, de scientifiques et de représentants de la société civile sont réunis à Nice autour d’une ambition commune, qui est au cœur du texte qui vous est soumis : renforcer l’action en faveur de la protection et de l’utilisation durable des océans.
Cette initiative sénatoriale repose sur un constat simple et éclairé par la science : des écosystèmes marins en bonne santé sont vitaux d’un point de vue tant écologique que socio-économique. Pour le dire plus simplement, loin d’être opposées, la préservation de la biodiversité marine et celle des activités de pêche constituent un même et unique combat.
Les océans nous rendent des services écosystémiques aussi multiples que précieux. Principal puits de carbone de la planète, l’océan joue un rôle majeur en matière d’atténuation du changement climatique. La préservation des milieux marins est en outre essentielle à l’équilibre des réseaux trophiques et, dès lors, à la pêche, dont dépend la subsistance de 10 % à 12 % des habitants de la planète.
Malheureusement, de l’avis unanime de la communauté scientifique, l’état du monde océanique se dégrade de manière alarmante. Plusieurs phénomènes sont en cause : le réchauffement climatique, la pollution marine et, surtout, les pressions anthropiques liées aux activités humaines en mer, à commencer par la surexploitation des ressources halieutiques.
Selon l’Office français de la biodiversité (OFB), 94 % des habitats marins et côtiers d’intérêt communautaire sont en mauvais état en métropole ; s’agissant des outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés.
Les scientifiques sont unanimes : pour enrayer cette érosion rapide des écosystèmes et des ressources halieutiques, les aires marines protégées constituent l’outil le plus efficace, à condition toutefois qu’elles présentent, au moins pour partie, un haut degré de protection.
Certes, la France a affiché de grandes ambitions en la matière : depuis 2021, la stratégie nationale pour les aires protégées prévoit de placer, d’ici à 2030, au moins 30 % de notre espace maritime sous le statut d’AMP, dont au moins 10 % sous protection dite « forte ».
L’approche française se révèle néanmoins en décalage avec les standards internationaux, puisqu’elle privilégie un critère de protection forte en lieu et place de celui de protection stricte, préconisé par l’Union européenne et l’UICN.
Là où la protection stricte n’admet que des activités compatibles avec les objectifs de conservation des espèces, la protection forte à la française privilégie une approche dite au cas par cas, si bien qu’aucune activité n’est interdite par principe, pas même celles qui affectent le plus les écosystèmes, comme le chalutage de fond.
De fait, d’un point de vue strictement quantitatif, la France a déjà atteint ses objectifs – 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des AMP –, mais, en réalité, les aires sous protection stricte ne représentent que 1,6 % des eaux françaises et 0,04 % des eaux voisines de l’Hexagone. Ces aires se trouvent quasi exclusivement dans les Terres australes et antarctiques françaises et au large de la Nouvelle-Calédonie.
Certes, le cas français n’est pas isolé : à l’échelle de l’Union européenne, 0,03 % seulement des eaux sont protégées de manière stricte. Néanmoins, la France se distingue malheureusement par l’ampleur de l’écart entre les résultats annoncés et le degré de protection effectif de ses aires marines.
La proposition de loi soumise cet après-midi à vos suffrages vise à répondre à ces constats.
Son article 1er tend à rehausser l’ambition de la protection des aires marines protégées françaises à plusieurs titres.
Premièrement, il remplace la notion de protection forte, privilégiée en droit français, par celle de protection stricte pour s’aligner sur les standards internationaux.
Deuxièmement, il fixe pour objectif de couvrir 10 % de chaque façade maritime par des aires sous protection stricte afin de protéger de manière plus équilibrée l’ensemble du territoire.
Enfin, il prévoit l’instauration, autour des zones strictement protégées, de zones tampons dans lesquelles seraient interdites certaines activités industrielles, comme le chalutage. Ces zones seraient réservées aux professionnels de la pêche artisanale afin qu’ils bénéficient de manière prioritaire de l’effet de réserve, c’est-à-dire de l’augmentation de la biomasse, induit par les aires marines protégées.
L’article 2 de la proposition de loi a une portée plus socio-économique.
D’une part, il vise à impulser le lancement par l’État d’une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des pratiques plus durables.
Le chalut de fond se distingue nettement des autres types d’activités de pêche en matière d’indicateurs de surpêche, de capture de juvéniles et d’abrasion des fonds marins. En détruisant et en fragmentant les habitats, cette activité compromet, de fait, l’avenir de toute la filière.
À moyen terme, un changement de modèle est inévitable : il convient de l’anticiper compte tenu du poids économique de cette activité, qui représente 25 % des volumes de la pêche française et 3,78 % des emplois de la filière pêche en Hexagone.
D’autre part, cet article 2 vise à protéger la petite pêche côtière, de même que les écosystèmes, des mégachalutiers : il n’est pas rare que ces navires-usines, essentiellement néerlandais, conçus pour racler le fond de la haute mer par centaines de tonnes par jour, viennent pêcher dans les eaux territoriales, en exerçant une concurrence déloyale vis-à-vis des plus petits engins.
Il est donc proposé d’interdire, à compter du 1er janvier 2026, l’exercice des navires de pêche d’une longueur hors tout supérieure ou égale à 25 mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.
Cette mesure envoie un signal politique fort à nos pêcheurs de la Manche et de la mer du Nord, dont le modèle économique est mis en péril par les mégachalutiers étrangers.
Elle est en outre rationnelle d’un point de vue économique, puisque les petits engins de pêche engendrent davantage de valeur ajoutée et d’emplois, par tonne débarquée, que les engins industriels.
J’aborde à présent la position de la commission sur ce texte.
Les débats ont permis de constater que les objectifs que je viens d’évoquer étaient partagés par tous les groupes politiques. Néanmoins, la commission a estimé que cette proposition de loi posait des difficultés de méthode, de calendrier et d’opérationnalité.
La commission a partagé l’objectif d’assurer l’effectivité de nos aires marines protégées. Néanmoins, elle n’a pas souhaité remettre en cause les équilibres établis en la matière lors de l’adoption de la loi Climat et Résilience en 2021, ce qui risquerait de déstabiliser le processus d’identification des zones de protection forte en cours, depuis plus de deux ans, sur chaque façade maritime.
Elle a en outre souhaité conserver la doctrine de protection forte, retenue en droit français, estimant qu’elle était gage de plus de souplesse et d’acceptabilité sociale que celle de protection stricte préconisée par l’UICN.
S’agissant de l’article 2, la commission s’est inquiétée des conséquences potentielles du dispositif pour la structuration de la filière française de la pêche, compte tenu des volumes et de la valeur ajoutée que représente l’activité du chalut de fond et de son importance pour l’économie littorale.
Elle a en outre estimé que l’adoption d’un nouveau document stratégique relatif à la pêche poserait des problèmes de cohérence et d’articulation avec les stratégies existantes, comme la stratégie nationale biodiversité et la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui traitent également des enjeux de durabilité de la pêche.
Si je comprends le besoin de stabilité et de cohérence normative exprimé par la commission, de même que les craintes liées aux conséquences socio-économiques d’une « déchalutisation » de la pêche française, je tiens à vous faire part, à titre personnel, de plusieurs considérations.
Les spécialistes en biologie marine et en ressources halieutiques que j’ai rencontrés lors de mes travaux préparatoires l’ont unanimement souligné : ce texte est basé sur de robustes constats, non seulement scientifiques, mais aussi socio-économiques.
Certes, la mise en place d’aires marines strictement protégées suscite souvent, dans un premier temps, des réticences de la part des pêcheurs. L’expérience montre néanmoins qu’à terme les retombées économiques sont au rendez-vous.
L’exemple du thon rouge en Méditerranée est à cet égard emblématique : en dépit d’une levée de boucliers initiale, la réglementation de la pêche du thon rouge au cours des années 2000 a permis une reconstitution efficace des stocks, si bien qu’aujourd’hui aucun pêcheur ne souhaiterait revenir en arrière.
Protéger la mer, ce n’est pas interdire la pêche ; c’est au contraire lui assurer un avenir, en préservant la ressource dont elle dépend. Il ne s’agit pas de sanctuariser les océans, mais de concevoir des aires marines protégées de manière intelligente, en s’appuyant sur les consensus scientifiques et en assurant un juste équilibre entre conservation et développement durable.
J’avais soumis à la commission plusieurs propositions d’évolutions visant à assouplir le texte. Je regrette qu’elles n’aient pas pu être retenues compte tenu du rejet du texte. Elles ont été redéposées par mon groupe, qui vous les présentera tout à l’heure. Je les soutiens, bien entendu, à titre personnel.
Mes chers collègues, ces dernières semaines, les déclarations en faveur de la pêche durable et de la protection des océans se sont multipliées. Il n’est pas trop tard pour que la France, pays hôte de l’Unoc, mette en cohérence ses paroles et ses actes, pour être à la hauteur des enjeux et de la responsabilité qui est la sienne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Michaël Weber applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir dans votre hémicycle pour discuter d’un texte d’actualité, puisque la conférence des Nations unies pour les océans s’est ouverte lundi à Nice.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ma collègue Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de la mer et de la pêche, ne peut pas être devant vous aujourd’hui. Elle porte, à Nice, la voix de la France, une voix forte et ambitieuse pour mieux protéger nos océans. Elle partage pleinement, je le sais, l’ambition que traduit cette proposition de loi, celle d’une protection renforcée de l’océan, de sa biodiversité et de ses écosystèmes ; une protection qui est le gage de notre souveraineté écologique, économique et alimentaire.
Le Président de la République mène ce combat depuis huit ans et a réaffirmé son engagement avec force à Brest, en 2022, lors du One Ocean Summit, puis ces derniers jours à Nice.
Mais cette ambition, partagée avec nos partenaires, sera vaine si nous la portons de manière dispersée.
Depuis 2017, nous avons agi. Aujourd’hui, 33,6 % de nos eaux sont des aires marines protégées ; cela va au-delà de l’objectif mondial de 30 % fixé pour 2030. (Mme Mathilde Ollivier s’exclame.) Et ce chiffre est passé à 78 % avec Tainui Atea, en Polynésie française : annoncée à l’Unoc, c’est la plus grande aire marine protégée au monde ; cet engagement fort fait de la France un leader mondial.
Mais cela ne suffit pas : à ce jour, 4,8 % seulement de nos eaux bénéficient d’une protection forte et à peine 0,1 % autour de la France hexagonale.
C’est tout le sens des annonces faites à Nice par le Président de la République et la ministre chargée de la mer et de la pêche : nous allons passer à 14,8 % au niveau national, grâce à la nouvelle zone classée comme telle en Polynésie française et à la labellisation de 4 % de nos eaux hexagonales.
Nous avons lancé une stratégie claire, progressive, sans dogmatisme, en lien fort avec les réalités locales. Nous aurons atteint, dès 2026, notre premier palier de 10 % de protection forte, avec quatre ans d’avance, et je salue les efforts de concertation qui ont permis d’arriver à un tel résultat.
L’article 1er de cette proposition de loi vise à remplacer la notion de protection forte par celle de protection stricte, en imposant une application uniforme de l’objectif de 10 % à chaque façade maritime.
Cependant, la protection forte que nous défendons ne s’appuie pas sur l’exclusion systématique a priori de toute activité humaine ; elle relève plutôt d’une démarche qui vise à attribuer ce label si les activités pratiquées ont un impact négligeable ou nul sur les enjeux écologiques effectivement présents.
Non, les enjeux écologiques, les usages, les pressions ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans l’Atlantique ou dans les outre-mer. Imposer arbitrairement une exclusion systématique reviendrait à appliquer un modèle unique à des écosystèmes et à des dynamiques humaines et territoriales fondamentalement différents. Ce serait inefficace écologiquement et injuste socialement.
Nous défendons une planification rigoureuse, fondée sur les usages existants – pêche, transport, énergie – et sur une évaluation fine de leurs impacts écologiques. C’est la seule voie pour atteindre durablement les objectifs de conservation.
Le Président de la République l’a rappelé lundi à Nice : d’ici à 2028, toutes les aires marines protégées devront intégrer des zones de protection forte, un plan de lutte contre les pollutions telluriques et de nouvelles régulations, y compris en matière de pêche.
Dès 2026, 14,8 % de nos eaux seront en protection forte. Cette progression se fera en priorité dans les zones les plus sensibles : canyons, coraux profonds, herbiers de posidonie, mangroves, etc. Dans ces espaces, toute activité humaine à impact significatif, y compris le chalutage de fond, sera interdite.
C’est une méthode claire, progressive, qui repose sur un équilibre entre la protection de la nature et la reconnaissance des usages humains.
Laisser sa place à l’homme dans ces zones de protection forte, c’est permettre aux visiteurs de s’émerveiller devant la beauté et la richesse d’un écosystème préservé et les sensibiliser à l’importance d’une telle préservation.
L’article 2 comporte deux mesures : la mise en place d’une stratégie nationale de transition pour les flottilles utilisant le chalut de fond et l’interdiction de ce type de pêche dans la bande des douze milles marins pour les navires de 25 mètres et plus.
Sur ce second point, notre position est claire. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)
Premièrement, une telle interdiction serait contraire au droit européen. La politique des pêches étant une compétence exclusive de l’Union européenne, une concertation avec les États voisins et la Commission européenne est nécessaire. Sans base scientifique solide, cette disposition pourrait être jugée discriminatoire et annulée. (Mme Mathilde Ollivier s’exclame.)
Deuxièmement, le seuil de 25 mètres est arbitraire.
M. Daniel Salmon. Un seuil est toujours arbitraire !
M. Philippe Baptiste, ministre. Il serait exposé à des contournements techniques et ne permettrait pas d’atteindre les objectifs écologiques visés. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Enfin, diplomatiquement, la France s’est battue pour maintenir l’accès de ses navires, y compris ceux de plus de 24 mètres, aux eaux britanniques, dans la bande des 6 à 12 milles.
Mme Mathilde Ollivier. Ils sont trois !
M. Philippe Baptiste, ministre. Une interdiction nationale aussi stricte affaiblirait notre position internationale et pourrait entraîner des mesures de rétorsion.
Cette disposition méconnaît également les efforts déjà engagés par les professionnels de la pêche. Je veux saluer ici, en particulier, l’accord signé en octobre 2024 – le Gentlemen’s Agreement – entre pêcheurs français, belges et néerlandais, qui encadre volontairement les techniques de pêche dans la Manche Est. La preuve est ainsi faite que, dans le dialogue, des solutions peuvent être trouvées.
Oui, nous voulons interdire le chalutage de fond, mais dans les zones écologiquement sensibles, sur la base d’études rigoureuses et dans un cadre européen harmonisé, garant d’un traitement équitable entre les États dans des eaux désormais communautarisées.
Par ailleurs, la création d’une nouvelle stratégie nationale de transition pour les flottilles pratiquant le chalutage de fond ne nous paraît pas pleinement pertinente.
Tel est notre sentiment, d’abord, parce qu’elle se concentre uniquement sur le chalut de fond, sans prendre en compte les autres engins traînants, comme la drague, tout aussi sensibles pour les habitats fragiles. Elle ignore également les impacts d’autres engins, comme les filets et les palangres, qui suscitent des risques importants de capture accidentelle, notamment pour les cétacés ou les oiseaux marins.
Ensuite, elle néglige les effets de report vers d’autres techniques : les conséquences sur les stocks halieutiques, sur les quotas, ou encore sur les captures accidentelles doivent être sérieusement évaluées.
De plus, ces sujets sont déjà largement traités dans les stratégies existantes : la stratégie nationale biodiversité (SNB), la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), les analyses risque pêche (ARP) dans les sites Natura 2000, le plan d’action national 2026 prévu par le règlement européen sur la restauration de la nature et, enfin, le contrat stratégique de filière pêche, signé en 2025, qui prévoit le développement d’engins moins destructeurs.
On risque donc d’aboutir à des doublons et, surtout, à des incohérences si l’on multiplie les stratégies en silo. Le véritable enjeu, c’est la mise en œuvre effective des démarches déjà engagées, et c’est bien là que nous concentrons aujourd’hui nos efforts.
Enfin, si une nouvelle stratégie devait être élaborée, l’échelle nationale serait discutable.
La politique commune des pêches relève du cadre européen, tout comme les règles d’accompagnement financier. Toute stratégie doit être compatible avec cette gouvernance partagée.
Le combat de ma collègue Agnès Pannier-Runacher se situe donc bien à Bruxelles ; il doit être mené collectivement, avec nos collègues parlementaires européens, en rang serré face à la Commission européenne.
Nous ne sommes pas isolés sur ces sujets. Un groupe d’États membres réunis par ma collègue partage déjà des lignes de front communes pour entamer une révision cohérente et juste de cette politique commune des pêches.
C’est pour toutes ces raisons que nous poursuivrons, avec méthode, ambition et détermination, la mise en œuvre de notre propre feuille de route, fondée sur le dialogue et l’efficacité.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conférence des Nations unies sur l’océan s’achève demain, et le texte très opportun que nous avons à examiner ce soir nous interroge, en premier lieu, sur la cohérence du discours de la France avec ses actes.
En effet, la position actuelle est pour le moins ambivalente.
D’un côté, le Président de la République s’est félicité de la présence encourageante d’une soixantaine de chefs d’État, venus du monde entier, à cet événement, malgré un contexte géopolitique fragmenté. Et il a raison : la diplomatie française a énormément œuvré pour faire de ce sommet une réussite. Elle a même réussi à faire venir à Nice des chefs d’État profondément climatosceptiques : je pense à Javier Milei, sans doute venu plutôt par opportunisme que par conviction.
Au moins, cette conférence a montré à quel point le sujet est désormais porté au plus haut niveau par les dirigeants du monde entier.
Pour autant, en même temps, l’approche française concernant la mise en place et le niveau de protection des aires marines protégées se révèle trop souple au regard des standards européens.
Or la France se doit, plus que jamais, d’être à la hauteur sur ce sujet, non seulement parce que nous nous félicitons des avancées obtenues cette semaine, mais aussi et surtout parce que la France possède, grâce à ses territoires ultramarins, la deuxième zone économique exclusive mondiale. Cela nous oblige.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui – je tiens à féliciter son auteure, notre collègue Mathilde Ollivier – propose une approche ambitieuse qui permettrait justement à notre pays d’assumer pleinement ce rôle.
La protection de nos océans est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Couvrant 70 % de la planète, ils constituent un puits de carbone absorbant environ un tiers du CO2 émis par les activités humaines. Ils jouent un rôle majeur dans la régulation du climat et produisent près de la moitié de l’oxygène que nous respirons.
Les océans sont aussi les premiers à subir les conséquences des activités humaines, dont la surpêche.
Cette surpêche a des conséquences graves. Selon l’Office français de la biodiversité, l’immense majorité des habitats marins et côtiers de l’Hexagone est en mauvais état et près d’un tiers des poissons débarqués proviennent de stocks surexploités.
La protection de la biodiversité marine est également essentielle pour garantir la pérennité économique du secteur de la pêche, dont dépendent de nombreux emplois et territoires, ainsi que notre sécurité alimentaire.
Or, en la matière, la réglementation française apparaît trop souple.
La stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité comporte l’objectif de placer sous protection, d’ici à 2030, 30 % des aires marines, dont au moins un tiers sous protection stricte. La France a pourtant choisi une protection moindre, dite « forte ».
Dans les faits, cette notion reste floue et repose sur une approche au cas par cas, n’excluant par principe autre activité, même la surpêche. C’est ce que vise à corriger l’article 1er de la proposition de loi.
L’article 2 vise, pour sa part, à concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins.
Par amendement, notre collègue Mathilde Ollivier a voulu, dans un esprit de compromis, alléger la rédaction de cet article pour ne retenir que l’interdiction, à compter du 1er janvier 2026, de l’exercice de la pêche par les mégachalutiers.
Il est tout à fait indéniable que les méthodes employées par ces bateaux provoquent des dégâts considérables. Le chalutage est une pratique de pêche non sélective qui, en raclant les fonds marins, détruit les habitats et capture des espèces non ciblées, ainsi que des poissons bien trop jeunes, compromettant ainsi la reproduction des espèces.
Par ailleurs, cette filière, peu créatrice d’emplois et marquée par des conditions de travail souvent très difficiles, est de moins en moins rentable. Les activités des mégachalutiers exercent une pression massive sur l’environnement et menacent la survie de la pêche artisanale.
Cette proposition de loi constitue une avancée nécessaire pour répondre aux défis environnementaux et économiques qui pèsent sur nos océans et sur l’avenir de la pêche française.
Elle vient également en appui aux milliers d’initiatives venues de la société civile dans le monde entier, de l’association à la start-up, pour œuvrer quotidiennement à la préservation de nos océans, souvent en silence.
Dans ces initiatives, on retrouve souvent des Français de l’étranger – chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs –, premiers spectateurs de la richesse comme de la fragilité de notre planète.
Cette proposition de loi permettrait à la France d’être à la hauteur de ses engagements internationaux, en soutenant une pêche plus durable et équitable. Parce qu’elle s’attaque à un sujet essentiel, et parce que nous demandons un peu de cohérence entre les déclarations de la France et ses engagements, mon groupe, le RDSE, lui sera largement favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a coutume de dire que la mer ne rend jamais tout à fait ce qu’elle prend. En Vendée, comme ailleurs, nous le savons.
Ce que la mer nous offre, en revanche, c’est un devoir : celui de la protéger, sans jamais oublier ceux qui vivent à proximité, qui y travaillent et qui l’aiment.
Si je partage l’ambition de ce texte, les solutions avancées ne me semblent pas répondre efficacement aux défis que nous devons relever, car protéger l’océan, ce n’est pas dresser une digue entre écologie et économie.
M. Michel Canévet. C’est vrai !
Mme Annick Billon. C’est faire en sorte que les deux cohabitent. Et pour cela, il faut embarquer tout le monde à bord ; sinon, on ne protège pas, mais on oppose et on fragilise.
Je veux néanmoins reconnaître à ce texte un effort d’anticipation.
Les décisions prises dans la précipitation ont eu des conséquences graves : je pense par exemple à la fermeture du golfe de Gascogne, décidée à la hâte trois mois avant qu’elle ne soit effective, qui a plongé tout un territoire dans la tourmente. En 2024, trente-sept bateaux vendéens sont restés à quai ; les trois criées vendéennes ont perdu 2,4 millions d’euros de chiffre d’affaires ; à l’échelle nationale, les pertes se sont élevées à 22 millions d’euros.
Et que dire de l’aval ? Mareyeurs, criées, coopératives d’accastillage, réparation navale, transport frigorifique : tous touchés !
On l’oublie trop souvent, mais un pêcheur en mer, c’est quatre emplois à terre. Or le texte fait aussi abstraction de cette réalité en ne prévoyant de compensation que pour les pêcheurs.
Ces filières sont les oubliées du débat, alors qu’en 2023 déjà, 35 % des entreprises de la filière aval étaient en situation de dépôt de bilan. J’ai interrogé le Gouvernement à trois reprises sur ce sujet, en janvier et en octobre 2024, puis en janvier dernier.
J’en profite pour saluer le travail rigoureux mené par nos collègues Alain Cadec, Yves Bleunven et Philippe Grosvalet pour leur récent rapport d’information relatif à la pêche dans le golfe de Gascogne. Ils ont levé le voile sur la brutalité de cette fermeture et sur ses conséquences économiques.
Je tiens à rappeler deux points majeurs.
Premièrement, un cadre réglementaire existe déjà. Les pêcheurs sont soumis à des quotas : chaque année, l’Union européenne fixe une limite de poissons à pêcher, selon les avis des scientifiques sur l’état des stocks.
Deuxièmement, la filière agit, innove et investit. Le chalutage travaille ainsi à réduire sa consommation d’énergies fossiles. Dans le golfe de Gascogne, les pêcheurs français ont investi 30 millions d’euros dans des systèmes de répulsifs acoustiques, les fameux pingers, pour éviter les captures accidentelles de cétacés.
Réduire le problème aux filets est une erreur. Les atteintes graves à la biodiversité marine viennent d’abord des terres : plastiques, nitrates, pollutions industrielles. En 2050, il pourrait y avoir plus de déchets plastiques que de poissons dans l’océan !
Ce texte, dans son article 1er, impose une protection stricte d’au moins 10 % de chaque façade maritime. C’est un coup de règle sur la carte, une approche uniforme et rigide.