Mes chers collègues, la proposition de loi est sous-tendue par l'idée, fausse, qu'une peine aménagée serait une peine non exécutée. Le groupe GEST votera résolument contre ce texte, qui met à mal, une fois encore, notre État de droit et les principes fondamentaux de la justice.

M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, déposée par notre collègue Loïc Kervran, s'inscrit dans une succession de propositions de loi à visée sécuritaire portées par la majorité sénatoriale et très souvent soutenues par le Gouvernement.

Ces textes marquent une évolution réellement préoccupante du débat public en matière pénale – allongement des durées de rétention, création de nouveaux délits, restrictions des aménagements de peine.

Souvent portées dans l'urgence ou sous l'effet de l'émotion, ces propositions de loi dessinent une politique de plus en plus tournée vers l'incarcération et la dissuasion, au risque d'affaiblir les principes fondamentaux de notre droit pénal et la capacité de notre système à prévenir durablement la récidive. Surtout, les moyens adaptés à la mise en œuvre de leurs mesures ne sont pas prévus, et ces textes sont donc, de fait, inapplicables.

La proposition de loi vise à répondre à un questionnement légitime et à une attente de nos concitoyens, ainsi que M. le ministre l'a indiqué. Chacun en convient, nous sommes tous attachés à l'application et à l'exécution plus systématiques des peines, notamment en matière correctionnelle.

Nous comprenons la logique du changement de paradigme que cela implique, mais celui-ci soulève de réelles interrogations légitimes, tant sur le fond que sur les conditions concrètes de sa mise en œuvre.

La proposition de loi tend à revenir sur les principes posés par les réformes conduites en 2014 et en 2019 par Mmes les ministres Taubira et Belloubet, qui avaient fait de l'aménagement des peines, notamment pour les plus courtes d'entre elles, une règle visant à renforcer la cohérence et l'efficacité de la réponse pénale.

L'article 1er traduit ce basculement en supprimant l'obligation d'aménagement ab initio des peines d'une durée inférieure ou égale à un an qui avait été introduite par la loi du 23 mars 2019. Il autorise les juridictions à aménager, sans plus aucune automaticité, les peines allant jusqu'à deux ans, à la condition que la personne condamnée présente certaines garanties de réinsertion.

Le texte abandonne ainsi l'automaticité d'une règle de droit au profit d'un mécanisme conditionnel, limitant d'autant la faculté du juge d'adapter la peine à la situation de la personne condamnée. Cette évolution soulève d'autant plus de réserves qu'elle permettrait, de fait, de réintroduire des peines de prison ferme inférieures à un mois, pourtant largement dénoncées pour leur inefficacité.

Les très courtes incarcérations, souvent exécutées dans des maisons d'arrêt surpeuplées, ne permettent ni accompagnement, ni suivi, ni préparation à la sortie. Elles entraînent au contraire une désocialisation brutale – perte d'emploi, de logement, de lien familial – et exposent à une probabilité accrue de récidive.

Ainsi, 62 % des personnes condamnées à des peines de moins de six mois récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison, contre 37 % pour des personnes condamnées à des peines plus longues.

L'exécution des courtes peines dans des conditions dégradées, sans qu'un travail de réinsertion puisse être engagé, va à rebours des objectifs proclamés de lisibilité et d'efficacité de la réponse pénale.

Le gouvernement d'Édouard Philippe avait lui-même validé ce constat dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, laquelle réaffirmait que la privation de liberté devait rester l'exception et les mesures de substitution la norme.

Le texte fragilise par ailleurs le principe constitutionnel d'individualisation des peines. En subordonnant toute mesure d'aménagement à une liste limitative de situations – emploi, obligations familiales, traitement médical, efforts de réinsertion –, l'article 2 restreint sensiblement la marge d'appréciation du juge. Ce dernier ne pourra donc plus adapter la peine à la trajectoire du condamné, même lorsque l'incarcération se révèlerait manifestement contre-productive.

La suppression, par l'article 3, de l'obligation pour le tribunal de motiver sa décision en se fondant sur un rapport socio-éducatif pour les peines inférieures à six mois, combinée à l'exclusion de toute mesure d'aménagement pour les récidivistes condamnés à des peines inférieures ou égales à un an constitue un très net durcissement. Elle rompt avec la philosophie d'un accompagnement individualisé et progressif vers la réinsertion, pourtant au cœur des politiques pénales.

En parallèle, nous nous interrogeons sur la soutenabilité opérationnelle de cette proposition de loi. Beaucoup l'ont signalé, ce texte risque d'aggraver une situation déjà critique. Au 1er mai 2025, on comptait 83 681 personnes détenues pour 62 570 places opérationnelles, soit une densité carcérale de 133,7 %, atteignant même 163,2 % en maison d'arrêt. Vingt-trois établissements dépassent les 200 % d'occupation et 5 234 détenus dorment sur un matelas au sol.

La surpopulation carcérale compromet gravement les conditions de détention, tout autant que la qualité du suivi pénitentiaire et la prévention de la récidive. Rappelons-le, la France a déjà été condamnée par la CEDH sur ce motif en 2023.

Nul besoin d'insister sur le contexte de ces derniers jours : la canicule frappe une population carcérale déjà confrontée à la surpopulation, à l'insalubrité et à l'inadaptation des infrastructures aux enjeux climatiques. La chaleur extrême aggrave des conditions de détention déjà dénoncées pour leur indignité.

Le plan canicule a certes été activé, avec des mesures ponctuelles de prévention et des transferts, mais il ne saurait compenser l'inadéquation structurelle de notre parc carcéral. La même situation se répète chaque été. Nous devrions donc être incités à agir avec beaucoup de prudence avant d'accroître le recours à l'enfermement en guise de réponse pénale.

Il convient d'ailleurs de rappeler que notre justice ne fait pas preuve de laxisme. Divers chiffres en témoignent. En particulier, le quantum moyen des peines d'emprisonnement ferme prononcées en 2023 a augmenté de 29 % par rapport à 2014, traduisant un durcissement progressif, déjà à l'œuvre, de la réponse pénale.

La mise en œuvre d'une peine ne saurait être réduite à son exécution immédiate. Elle suppose un équilibre entre sanction, accompagnement et perspective de réinsertion.

Or cette proposition de loi repose sur une vision très resserrée de l'exécution pénale, centrée sur la mise à exécution rapide et automatique des peines, sans que soient abordés les moyens humains, matériels et judiciaires nécessaires pour garantir une justice effective, durable et respectueuse des droits.

Enfin, ainsi que plusieurs de nos collègues l'ont déjà signalé, les peines d'emprisonnement de courte durée font l'objet de nombreuses interrogations. Trop souvent, elles prennent la forme d'une réponse standardisée et déconnectée des parcours des personnes condamnées. Leur impact réel sur la réinsertion demeure incertain.

Les auditions en cours de la mission d'information sur l'exécution des peines, à laquelle participent nos collègues Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey, rappellent que les incarcérations de moins de six mois, lorsqu'elles ne sont ni préparées ni accompagnées, contribuent à l'illisibilité de la réponse pénale et nuisent à la prévention de la récidive.

En l'absence de cadre probatoire structuré, de telles peines risquent d'accroître la désocialisation plus qu'elles ne réaffirment la loi.

Il est donc permis de s'interroger sur l'opportunité de prendre de telles décisions sans une réforme d'ensemble, alors que les services d'insertion et de probation demeurent sous-dotés, que les moyens manquent pour assurer un suivi individualisé et que la cohérence du système d'aménagement reste fragilisée par les réformes successives.

À ce titre, l'efficacité réelle du dispositif reste à démontrer. En l'absence de substituts crédibles à la détention et de moyens nouveaux alloués à la chaîne pénale – services d'insertion et de probation ou administration pénitentiaire –, le renforcement mécanique du recours à l'incarcération risque de produire des effets contraires à ceux qui sont recherchés : engorgement des établissements, dégradation de l'accompagnement et récidive accrue.

La commission des lois du Sénat a souhaité, sur la proposition de M. le rapporteur, préciser le texte sur certains aspects, tout en en conservant l'orientation générale. Aussi, plusieurs amendements ont été adoptés sur l'initiative de M. Le Rudulier pour renforcer l'autonomie du juge et simplifier la procédure. Leurs dispositions vont dans le bon sens, car elles réduisent la lourdeur procédurale sans renoncer à la cohérence de la décision.

À l'inverse, certaines modifications appellent plus de réserves. Je pense aux articles 2 et 3, ainsi qu'aux suppressions réalisées dans les articles 4 et 6, qui ne convainquent pas mon groupe.

Au-delà du fond, se pose une question de méthode. Une telle réforme du régime d'exécution des peines aurait dû s'inscrire dans une vision d'ensemble, en étant accompagnée d'une étude d'impact, d'une évaluation des réformes passées et d'un avis du Conseil d'État. Le texte annoncé pour l'automne prochain pourrait être l'occasion de fournir ce cadre.

Dès lors, pourquoi isoler dès maintenant un pan aussi structurant de notre droit pénal dans un texte relevant d'une initiative parlementaire, sans les garanties classiques d'une réforme de fond passant par un projet de loi ?

Notre débat ne doit pas opposer, de manière caricaturale, fermeté et humanité. Il doit nous permettre de faire évoluer la politique pénale avec responsabilité, clarté et cohérence. Tel n'est pas l'esprit de cette proposition de loi.

Pour cette raison, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne pourront approuver ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST, RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourrons-nous participer à notre fête nationale le 14 juillet prochain dans la paix civile ? Voilà ce que se demandent, inquiets, les jeunes filles, les parents, les personnes âgées et les propriétaires des commerces en ville.

La violence ordinaire, qui se déploie au point de devenir une conquête de territoire, est directement liée à l'absence de réponse pénale ferme. Environ 80 % des Français, selon l'institut CSA, jugent que la justice est trop laxiste dans notre pays. Si vous cherchez une majorité politique, monsieur le ministre, en voici une : la volonté populaire !

Les chiffres nous donnent des certitudes. Depuis les années 1990, les coups et blessures volontaires ont augmenté de 391 %, tandis que les enfermements ont crû de 31 % seulement. Parmi les condamnés à la rétention ferme, quatre sur dix n'entrent finalement pas en prison. De plus, selon l'Institut pour la justice, les juges prononcent des peines d'une durée en moyenne égale à 19 % des durées prévues dans le code pénal.

Pendant que les honnêtes gens subissent l'insécurité et que les forces de l'ordre risquent leur vie ou leur carrière pour rétablir l'ordre, les juges refusent de contribuer à l'apaisement par l'enfermement. Pourtant, une fois les délinquants français incarcérés et les délinquants étrangers expulsés, toute la société sera protégée.

L'exécutif a toute sa part de responsabilité dans cette situation. À peine un tiers des 15 000 places de prison promises par le Président de la République en 2017 ont été livrées à ce jour.

En outre, depuis quinze ans, les circulaires de la place Vendôme en faveur de l'aménagement des peines se sont succédé sans discontinuer, de Mme Dati à M. Dupond-Moretti. Sous leur direction, le juge d'application des peines est devenu un juge d'aménagement des peines. En l'absence de public et de contradictoire, ils défont les décisions de justice. L'aménagement de la peine est devenu la norme et la prison l'exception.

Le Conseil constitutionnel a aussi, par ses censures répétées, sa part de responsabilité dans cette situation déliquescente : loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, loi visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents… Toutes les initiatives, même timides, du législateur pour rétablir l'ordre et l'autorité se retrouvent entravées par cette juridiction autoproclamée aux prérogatives injustement illimitées.

À l'heure où le refus d'obtempérer est devenu un sport national – je devrais plutôt dire antinational – et alors que nous connaissons des guérillas les soirs de matchs de football et l'anarchie le soir de la fête de la musique, la République française perd du terrain et la France des pans entiers de son territoire.

Face à cette situation, nous devons recourir à la prison non pas en dernier, mais en premier recours. Les très courtes peines d'emprisonnement peuvent constituer une réponse face au sentiment d'impunité généralisée.

Qu'il faille investir la Guyane ou Saint-Pierre-et-Miquelon, peu importe ! Le bon sens impose qu'une peine de prison ferme soit prononcée et fermement appliquée dans un cadre fermé. Être obligé de voter une loi pour qu'une décision de justice soit appliquée est lunaire ! Devoir légiférer pour ce qui est une évidence aux yeux des Français montre à quel point notre système judiciaire est devenu hors sol.

Je conclurai par ces mots adressés au Conseil constitutionnel et à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) : l'emprisonnement est un principe d'humanité et de clémence pour le peuple et pour les honnêtes gens, car la paix civile, donc le bien-être des Français, en découle. La justice est rendue, dois-je le rappeler, au nom du peuple français.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a une visée simple et essentielle : rendre sa cohérence et son intelligibilité à la chaîne pénale, en assurant qu'une peine de prison de courte durée soit possible et qu'une peine prononcée soit comprise, donc exécutée.

La suppression du caractère quasi automatique de l'aménagement pour les peines de moins d'un an ab initio est salutaire. Une chose est sûre : en privant le magistrat de la possibilité de retenir une peine d'emprisonnement, fût-elle brève, l'autorité de la sanction pénale a été dévitalisée. L'individualisation de la peine ne doit pas être un slogan : la décision doit se prendre librement. Il en va de même du choix de l'incarcération, lorsque la situation le commande.

À cet effet, la présente proposition de loi vise à rétablir la pleine liberté du juge. La culture de l'aménagement systématique a entrainé une frustration légitime auprès des victimes, des forces de l'ordre et de l'ensemble des citoyens. Tous constatent l'écart croissant et inacceptable entre la sanction proclamée et sa mise en œuvre. Il faut mettre fin sans délai à cette contradiction, source d'un profond sentiment d'impuissance publique.

Cette proposition de loi permet au juge de rétablir la cohérence entre le délit, la peine et l'exécution. Comme de nombreux collègues l'ont déjà indiqué aujourd'hui, la dissuasion provient moins de la sévérité de la peine que de la certitude de voir celle-ci appliquée.

Nous avons ainsi récemment défendu la possibilité pour les juridictions pour mineurs de prononcer des peines courtes, et même ultracourtes, lorsque la gravité des faits et la personnalité du jeune l'exigent, non pour le plaisir d'incarcérer, mais pour fournir un outil de rupture, d'évaluation et d'orientation, voire de protection, dont on ne saurait se priver par principe.

Une courte peine, prononcée sans attendre, peut conduire à identifier des vulnérabilités majeures, psychologiques, sociales ou familiales, car seule une mesure immédiate de mise à l'écart ou de mise à l'abri permet parfois de les révéler.

Enfin, il faut l'affirmer sans faux-semblant : la sous-capacité de notre système carcéral est un problème majeur. Il est terrible de constater que l'on aménage les peines non par choix de justice, mais par contrainte d'espace, du fait du manque de mètres carrés. Il s'agit non pas d'une stratégie pénale, mais véritablement d'une résignation logistique. La situation est inacceptable.

Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour mettre à profit vos responsabilités et accomplir des progrès décisifs dans l'ouverture de places de prison comme de centres éducatifs fermés pour les mineurs.

Pour ce faire, point besoin de majorité à l'Assemblée nationale ! Il faut une forte dose de détermination, de l'énergie et aussi du sens des responsabilités. En effet, même s'il est connu que les ministres de la justice ne tirent pas forcément avantage de leur engagement, compte tenu des délais de construction, il faut véritablement mettre ce dossier sur le haut de la pile.

Par ailleurs, je tiens à interroger le Gouvernement sur le seuil de deux ans qui a été retenu dans la proposition de loi pour rendre possible l'aménagement ab initio des peines. Ce chiffre me laisse perplexe. Ne pas tout bouleverser et en rester à un an ne serait-il pas plus judicieux ?

À vrai dire, l'immense majorité des peines de prison resterait susceptible d'être aménagée. Si l'aménagement demeurait quasi systématique, l'élévation du seuil à deux ans pourrait être perçue comme une manière de réaffirmer notre laxisme. Nous ferions du « super Belloubet », en quelque sorte ! De surcroît, comme l'ont souligné certains collègues, notamment M. le rapporteur, l'absence d'étude d'impact et d'évaluation nous chagrine quelque peu.

J'y insiste, j'aimerais connaître le point de vue du Gouvernement sur cette question, monsieur le ministre. Bien sûr, me répondrez-vous, ces deux ans ont déjà figuré dans notre droit par le passé, mais ce seuil d'aménagement des peines était alors accompagné de peines planchers, lesquelles ont depuis disparu.

Sous réserve de cette interrogation d'importance, je suis naturellement favorable à cette proposition de loi, qui sera votée par mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je tiens à adresser quelques mots à M. le ministre, tout en déplorant, quel que soit le plaisir de vous retrouver dans cette assemblée, monsieur Buffet, que le ministre au banc du Gouvernement ne soit pas celui qui est intervenu lors de la discussion générale.

Tout à l'heure, M. le ministre de la justice nous a indiqué qu'il s'en remettrait à la sagesse du Sénat sur l'ensemble cette proposition de loi. Par ailleurs, il a précisé qu'il préparait, conformément à son rôle, une réforme de plus grande ampleur sur l'exécution des sanctions et, de manière générale, des peines. Il n'a pas manqué de souligner aussi que le Sénat, jouant lui-même son rôle, rédigeait actuellement un rapport d'information sous la plume de Mmes Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey.

Je dois reconnaître que la commission partage son opinion : cette proposition de loi tombe assez mal chronologiquement... Pourquoi diable alors le Gouvernement l'a-t-il inscrit à l'ordre du jour ?

M. Laurent Burgoa. Bonne question !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. En effet, M. le rapporteur a bénéficié – ce terme est un peu inapproprié ! – de trois jours ouvrables pour travailler sur ce texte. À peine a-t-il été désigné qu'il lui fallait rendre son rapport… Tous les groupes ont eu la même difficulté à se pencher sur la rédaction.

Le Sénat se retrouve aujourd'hui avec une proposition de loi qui suscitera une très large adhésion – même si certains ne l'acceptent pas, chacun, en réalité, en comprend la philosophie –, mais, dans la mesure où la procédure accélérée n'a pas été engagée, il faut comprendre, en raison de la réforme annoncée par M. le ministre, que le parcours législatif du présent texte, malgré la décision du Sénat, n'aboutira jamais.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est intéressant !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. À la suite de la communication de M. le président, le Sénat a appris tout à l'heure une nouvelle modification de l'ordre du jour.

Notre temps est suffisamment compté pendant cette session extraordinaire pour que – permettez-moi de ne pas citer Beccaria comme tout le monde ! – la main droite du Gouvernement n'ignore pas ce que fait sa main gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

(Mme Anne Chain-Larché remplace M. Loïc Hervé au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° L'article 132-19 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase du premier alinéa est supprimée ;

b) Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine inférieure ou égale à deux ans d'emprisonnement, elle peut décider, dans les conditions mentionnées à l'article 132-25, que cette peine fera l'objet de l'une des mesures d'aménagement prévues aux sous-sections 1 et 2 de la section 2 du présent chapitre. » ;

c et d) (Supprimés)

2° Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Par le présent amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s'oppose au rétablissement des courtes peines de prison.

Le « tout carcéral » promu dans cette loi est un non-sens total, en particulier dans les conditions de détention actuelles. Selon les chiffres donnés ce matin par le ministère de la justice, le nombre de détenus dans les prisons françaises au 1er juin dernier s'élevait à 84 447, pour 62 539 places opérationnelles. La densité carcérale globale est donc de 135 %, alors qu'elle était de 124 % au 1er mars 2024. Elle dépasse même les 200 % dans quinze établissements ou quartiers pénitentiaires.

Or les personnes incarcérées pour de courtes peines le sont dans des maisons d'arrêt, où la surpopulation est la plus critique.

Cette vision va également à rebours de toutes les études scientifiques démontrant que les courtes incarcérations sont inefficaces : 62 % des détenus condamnés à moins de six mois de prison récidivent dans les cinq ans. Cette politique est contre-productive.

Les courtes peines de prison désocialisent, fragilisant la situation des condamnés : perte d'emploi, de logement ou de liens familiaux. Elles alimentent en ce sens la machine à récidive.

Pour ces raisons, mon groupe propose la suppression de l'article 1er.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Madame la sénatrice, vous voulez supprimer l'article 1er. La majorité d'entre nous part du constat que le « bloc peine », issu de la réforme de 2019, a été l'un des facteurs de la surpopulation carcérale, que vous déplorez à juste titre. Revenir sur cette mesure permettrait justement d'éviter d'aggraver le phénomène.

En effet, si nous analysons bien les quanta, nous nous rendons compte que l'augmentation des peines prononcées depuis l'entrée en vigueur de la loi de programmation a été assez significative, conséquence directe du « bloc peine ». Certaines peines de plus de six mois mériteraient peut-être d'être ramenées en dessous de ce seuil, étant donné que le juge prononce des peines lourdes pour contourner le dispositif de 2019 et éviter ainsi d'éventuels aménagements. Cette situation est source de surpopulation carcérale.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la présidente de la commission des lois, j'ai bien entendu vos propos et je puis comprendre votre étonnement. Je ne manquerai pas de transmettre le message non pas au conseil des ministres – n'allons pas si loin ! –, mais au ministre chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement veillera à ce que les choses se fassent dans l'ordre.

En ce qui concerne le présent amendement, mon avis se fondera sur la même justification que celle de M. le rapporteur.

À la tribune tout à l'heure, le garde des sceaux a annoncé qu'il lançait une réforme, absolument nécessaire, portant sur les peines – Dieu sait que nous attendons un texte en ce sens depuis longtemps ! –, sachant qu'une modification du code de procédure pénale est déjà engagée, à droit constant. La démarche du ministre est la bienvenue.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je m'étonne que le Sénat valide le contournement par les juges de la loi de 2019 ! À partir du moment où le Parlement a décidé de ce dispositif, augmenter les peines pour refuser, en tout état de cause, leur aménagement me semble quelque peu pervers. Mais peut-être les moyens manquent-ils ?

Il n'est pas normal que ce constat soit votre argument principal, monsieur le rapporteur, pour refuser la suppression de l'article. Ma foi, je comprends que l'on rejette l'amendement en raison de divergences d'ordre philosophique, mais je ne puis certainement pas entendre une motivation fondée sur des contournements. Cette explication me paraît non recevable.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Peut-être me suis-je mal exprimé : le juge ne contourne pas la loi. Celle-ci est simplement mal faite !

Si, en fonction de la gravité des faits et de la personnalité de leur auteur, le juge estime qu'une peine d'emprisonnement ferme de trois ou de quatre mois est plus adaptée qu'un aménagement, alors rendons-lui, grâce à ce texte, la liberté de le décider ! À l'heure actuelle, il est dans l'impossibilité de le faire, d'où le fait non pas qu'il contourne la loi, mais qu'il prononce des peines plus fortes pour avoir la certitude que le justiciable ira directement en prison.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement de Guy Benarroche et du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à maintenir l'interdiction des peines de prison ferme inférieures à un mois, telle qu'elle est prévue à l'article 132-19 du code pénal.

L'emprisonnement de courte durée ne permet pas de mettre en place un suivi structuré des condamnés et la surpopulation carcérale actuelle réduit totalement leurs opportunités de travail, de formation et de soutien social. Les personnes détenues se retrouvent donc en situation de sortie sèche après leur libération, ce qui est le plus grave des facteurs de récidive et de retour vers l'environnement délinquant.

J'y insiste, une peine d'un mois exécutée en maison d'arrêt n'a aucun effet dissuasif ni éducatif. Elle ne permet ni suivi, ni accompagnement, ni préparation à la sortie. Ces peines très courtes sont contre-productives, coûteuses et ne favorisent en rien la réinsertion. Leur exécution dans des conditions dégradées – je pense à la surpopulation carcérale – renforce même les risques de récidive.