Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez exhorté Téhéran à reprendre sans délai la voie du dialogue avec l’AIEA afin d’aboutir à une solution diplomatique robuste qui réponde aux inquiétudes légitimes de la communauté internationale. Pouvez-vous nous indiquer comment la France compte agir concrètement pour favoriser ce retour à la coopération ?

Le présent débat doit également être l’occasion de s’interroger sur les buts de guerre de l’actuel gouvernement israélien. En effet, l’offensive de la nuit du 12 juin n’est pas simplement liée au fait que l’État hébreu souhaite avoir le monopole de l’arme nucléaire au Proche-Orient. L’horizon de Benyamin Netanyahou, double, consiste également à tenter de défaire un régime par la force et depuis l’extérieur. L’Histoire a toutefois démontré que cette méthode ne mène quasiment jamais à rien, si ce n’est à répandre le chaos et à favoriser l’émergence de groupes déstabilisateurs.

Si l’exécutif israélien a, comme il le prétend, cherché à se défendre afin d’assurer sa sécurité, est-il pour autant fondé à mener une guerre dite préventive, en violation du droit international, précisément au moment où se déroulaient des « développements diplomatiques importants », comme l’a indiqué le secrétaire général adjoint de l’ONU ?

En tout état de cause, face au nouvel équilibre des forces et au risque de fuite en avant, chacun a le devoir de remettre du politique derrière le militaire, de la diplomatie derrière la violence, de la dénonciation derrière l’horreur.

L’horreur aujourd’hui, c’est Gaza ; Gaza, où la tragédie humanitaire s’aggrave chaque jour ; Gaza, où la distribution d’aide vire au chaos ; Gaza, où un peuple marche lentement vers la mort ; une enclave dans laquelle l’accès à la distribution alimentaire devient une arme ; une enclave où la quête de vivres peut brutalement être interrompue par des tirs israéliens, comme cela a encore été le cas le 17 juin dernier à Khan Younès, où cinquante-neuf personnes affamées venues s’approvisionner ont été froidement abattues.

De telles scènes sont devenues récurrentes. Des soldats et des officiers israéliens, chargés de la sécurité de ces centres, décrivent eux-mêmes des scènes pouvant relever de crimes de guerre. Monsieur le Premier ministre, il faut lever le blocus humanitaire et démilitariser l’aide humanitaire.

Au total, depuis les attentats terroristes du 7 octobre perpétrés par le Hamas, ce sont plus de 56 000 Palestiniens, dont 17 000 enfants, qui ont été tués par Tsahal.

Dans ce contexte accablant et après la conduite des opérations israéliennes en Iran, le temps est venu de mettre un coup d’arrêt à l’effroi, à ce qui constitue l’une des plus grandes hontes de ce siècle, tout en exigeant la libération des otages. Monsieur le Premier ministre, l’Europe et la France ont le devoir d’indiquer la porte de sortie diplomatique à Israël.

Donald Trump prétend avoir convaincu l’État hébreu d’accepter les termes d’un cessez-le-feu de soixante jours. Peut-on sérieusement lui faire confiance, à lui, au faiseur de paix autoproclamé qui projetait de manière obscène de faire de Gaza un gigantesque complexe hôtelier après avoir déplacé la population palestinienne ?

Peut-on envisager l’avenir avec ceux qui, après avoir bâti un ordre international basé sur le droit, s’attachent à le massacrer et, au passage, s’apprêtent à abandonner l’Ukraine en annonçant hier la suspension d’une partie de son aide militaire ?

Peut-on confier les clés à l’architecte du chaos, qui, au moment même où il retirait son pays de l’accord de Vienne sur la dénucléarisation de l’Iran, s’est placé en position de responsable de l’escalade qui déstabilise le Moyen-Orient ?

Non, l’avenir de la région ne peut pas s’écrire dans la sûreté avec le fanatisme des mollahs. Mais l’avenir ne peut pas non plus s’écrire avec ceux qui estiment que rétablir la concorde passera par des déflagrations interposées.

La désescalade au Moyen-Orient doit venir de ceux qui croient en la diplomatie, de ceux qui placent la prééminence du droit international et du multilatéralisme au cœur de leur socle intangible de valeurs.

Elle doit venir de ceux qui défendent la solution à deux États, position historique des socialistes.

Elle doit venir de ceux qui se mobilisent activement pour la paix. Je pense aux sociétés civiles, mais aussi à des politiques, tels que l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert et l’ancien chef de la diplomatie palestinienne Nasser Al-Kidwa.

Elle doit venir de ceux qui entendent contribuer à la stabilité en Cisjordanie, au Liban et dans tout le Moyen-Orient.

Dans ces moments où l’Histoire bascule, comme en 2003 lors de l’intervention des États-Unis en Irak, un pays sait dire au monde ce qui est juste. Ce pays, c’est la France, celle qui a une histoire, celle qui a une mémoire, celle qui cultive donc des valeurs.

Monsieur le Premier ministre, notre pays a la responsabilité de rappeler que le droit et la négociation doivent l’emporter sur la force et le fait accompli.

Si notre diplomatie parvient à mettre fin à ses atermoiements, alors le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain saura être aux côtés de l’exécutif. Il faut, pour cela, des positions constantes et transparentes.

De transparence, c’est pourtant ce dont nous manquons quand le Président de la République reprend subitement ses échanges avec Vladimir Poutine, rompant ainsi avec trois années de silence, et sans prévenir la représentation nationale.

Oui, nous sommes prêts à travailler, à proposer un chemin. Toutefois, encore faudrait-il que nous soyons d’accord sur le socle de valeurs que je viens d’énoncer ; encore faudrait-il que vous vous engagiez à cesser de ponctionner le Quai d’Orsay, de compresser les moyens de notre diplomatie et d’éteindre ainsi la voix de la France ; encore faudrait-il que vous ayez la volonté de définir les intérêts diplomatiques de notre pays dans un cadre partagé, et non à travers une position isolée.

En effet, ce qui permettra de bâtir la politique diplomatique de la France, c’est non pas une succession de débats ponctuels, mais des échanges ininterrompus avec les forces politiques.

Notre formation politique a toujours su prendre ses responsabilités. Monsieur le Premier ministre, faites un pas vers ceux qui veulent construire, soyez à l’écoute de ceux qui ne faiblissent pas sur l’essentiel, placez-vous à la hauteur du chaos que traverse le monde !

Ce qui est en jeu, c’est la parole de la France, la force de nos valeurs. Monsieur le Premier ministre, ces valeurs doivent rester l’expression vivante de notre héritage, celui des Lumières. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, dimanche 22 juin, un assaillant entre dans l’église Saint-Élie à Damas avec des armes et des explosifs. Grégoire, Bachar et Pierre se précipitent sur lui et le plaquent au sol, choisissant de mourir pour sauver près de 250 personnes à l’intérieur de l’édifice.

Le groupe Union Centriste présente ses condoléances à sa béatitude le patriarche Jean X d’Antioche et aux familles des vingt-deux martyrs victimes de cet acte odieux qui visait directement la communauté chrétienne en Syrie.

Lors de notre rencontre, il y a deux mois au nord du Liban, le patriarche Jean d’Antioche m’avait averti des menaces qui pesaient en Syrie sur les chrétiens d’Orient. Mon premier message consiste à relayer à la communauté internationale son appel à ne pas détourner le regard et à œuvrer pour assurer la protection de toutes les communautés religieuses du Moyen-Orient.

Je veux également avoir une pensée pour Cécile Kohler et Jacques Paris, qui, depuis plus de trois ans, endurent le martyre et dont les familles sont rongées par l’angoisse. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de nous avoir rassurés sur leur sort. Comme l’a déjà fait il y a quelques jours notre collègue Olivia Richard, présidente du groupe d’amitié France-Iran, notre groupe appelle à la libération immédiate de nos compatriotes.

Nous n’oublions pas non plus les cinquante otages retenus par le Hamas dans des souterrains à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Nous remercions le Gouvernement et l’ensemble des services du Quai d’Orsay, dont l’efficacité a permis, au cœur de la crise, de favoriser le rapatriement de Français vivant en Iran et en Israël.

À la fin de 2020, à la suite de l’attentat du 11 novembre de Djeddah au cimetière non musulman, j’avais demandé à notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne, alors ministre, que le processus de communication de crise soit formalisé et que nos élus fassent l’objet d’une information spécifique. Encore aujourd’hui, le groupe Les Indépendants de l’Assemblée des Français de l’étranger, présidé par Nadia Chaaya, demande régulièrement l’intégration des élus dans les systèmes de gestion de crise.

Au regard des événements récents en Iran et en Israël, il nous apparaît essentiel que les élus des Français de l’étranger puissent jouer leur rôle d’interface avec la communauté française et disposent d’une information officielle.

Depuis la création de la République islamique d’Iran, le régime des mollahs appelle à la destruction de l’État israélien et menace ouvertement les monarchies du Golfe, qui, aujourd’hui encore, pour certaines d’entre elles, dénoncent des ingérences de Téhéran.

Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, la France a été parmi les premiers pays à reconnaître l’État d’Israël, et a toujours manifesté sa solidarité lorsque l’État hébreu a été attaqué.

Les massacres de masse opérés par le Hamas le 7 octobre ont été monstrueux. Ils ont entraîné une réponse justifiée d’Israël pour neutraliser cette organisation terroriste. Nous tenons à rappeler avec force que quarante-deux Français ont été tués dans cette attaque, ce qui fait de la France le premier pays en ce qui concerne le nombre de victimes étrangères.

Toutefois, comme nous l’avions dit, rien ne serait pire que de confondre le Hamas avec la cause palestinienne et sa légitime revendication à disposer d’un État autonome. (M. Rachid Temal sexclame.) La population palestinienne se retrouve l’otage de cette organisation terroriste soutenue par l’Iran.

Le Hamas n’est pas le seul proxy de l’Iran : à la suite de l’attaque du 7 octobre, le Hezbollah, depuis le Liban, et les Houthis, depuis le Yémen, s’en sont également pris à l’État hébreu.

Comme lors de l’élimination des membres du Hezbollah au Liban avec les bipeurs trafiqués, Israël a choisi l’effet de surprise pour bombarder les infrastructures nucléaires iraniennes.

Dans la nuit du 21 au 22 juin, le président Trump a mis en œuvre l’opération Midnight Hammer pour neutraliser ces infrastructures, qui s’avèrent constituer l’un des plus grands dangers pour la sécurité d’Israël et du Moyen-Orient. Déjà, quelques semaines plus tôt, les Américains avaient frappé à plusieurs reprises les Houthis au Yémen. À l’issue de ces frappes, le régime iranien apparaît affaibli et isolé.

Reste aujourd’hui la question du désarmement du Hezbollah, qui peine à se concrétiser. Cela justifie l’impatience de tous ceux qui souhaitent le retour de la pleine souveraineté de l’État libanais sur l’ensemble de son territoire et au scellement des frontières du pays, aussi bien avec Israël qu’avec la Syrie.

L’avenir du Liban constitue toujours un sujet de préoccupation. Le nouveau gouvernement libanais nourrit beaucoup d’espoirs, sous réserve qu’il parvienne à désarmer le Hezbollah et à se débarrasser de la tutelle iranienne sur ce mouvement.

Le Hezbollah, tout comme les gardiens de la révolution, bénéficie des ressources financières tirées du Captagon, drogue dont le trafic représentait près de 90 % du PIB de la Syrie à la chute du président Assad. Lundi dernier encore, les douanes libanaises ont annoncé une saisie de 866 kilogrammes de ce produit à la suite d’une opération coordonnée avec les autorités saoudiennes.

L’envoyé spécial américain pour la Syrie, Thomas Barrack, aurait fixé le 7 juillet comme ultimatum aux autorités libanaises pour prendre une position claire sur la question du monopole des armes. L’État, à travers l’armée libanaise, doit être l’unique détenteur de la force armée.

En cas de tergiversations, le Liban pourrait être laissé seul face à l’escalade. Monsieur le Premier ministre, Israël ne pourrait-il pas alors reprendre les hostilités contre le Hezbollah, et la communauté internationale durcir les sanctions ?

L’explosion du port de Beyrouth a été la plus grande explosion non nucléaire de l’Histoire. Plus de 200 décès ont été déplorés, parmi lesquels figurent trois Français. On compte également des milliers de blessés et des centaines de milliers de personnes déplacées.

En retrouvant les familles des victimes de cette explosion à Beyrouth le 27 avril dernier, je leur ai remis votre lettre, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, témoignage de votre indéfectible soutien à leur démarche pour obtenir justice. Votre geste les a profondément réconfortées. Le juge d’instruction Tarek Bitar a repris l’enquête. Le ministre de la justice libanais, Adel Nassar, a entrepris plusieurs réformes pour restaurer la confiance dans le système judiciaire du pays.

Il y a urgence au sujet du port de Beyrouth. Une manœuvre est en cours pour détruire les silos, qui constituent le seul vestige tangible de la catastrophe du 4 août. Ces silos sont un symbole de mémoire collective pour les victimes et tout le peuple libanais. Les faire disparaître serait une insulte à leur souffrance. Ils en appellent à notre soutien pour intercéder auprès de leur gouvernement afin d’empêcher cette décision.

Tout aussi innocentes que les victimes du port de Beyrouth, les plus de 50 000 vies perdues à Gaza, parmi lesquelles on compte 17 000 enfants tués, constituent une véritable honte pour l’humanité.

Le blocage de l’aide humanitaire a transformé Gaza en « lieu de mort », avez-vous dit, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Nous partageons votre colère devant les centaines de personnes tuées sur les sites de distribution de nourriture.

Aujourd’hui encore, la France a condamné une frappe israélienne qui a causé la mort de deux employés d’une ONG le 26 juin dernier. La protection des civils et des travailleurs humanitaires doit être garantie en toutes circonstances, conformément au droit international humanitaire.

Nous soutenons l’appel du Gouvernement à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, à la libération des otages, à l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire et à une solution politique fondée sur deux États, accompagnée de garanties sécuritaires tant pour Israël que pour la Palestine.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, en votre présence, lors du déplacement dans le Golfe que j’ai effectué en avril dernier en compagnie du groupe parlementaire d’amitié France-Pays du Golfe, j’ai eu l’occasion de rencontrer le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères du Qatar, ainsi que de nombreux ministres des affaires étrangères du Golfe, dont votre homologue du Koweït.

Tous fondaient leur espoir sur le plan qui devait être présenté à l’ONU le 18 juin dernier par le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, et le Président de la République. Un tel plan apparaissait à tous comme la seule solution sérieuse susceptible de ramener la paix au Moyen-Orient, mais la conférence a été reportée à la suite des frappes d’Israël sur l’Iran. Monsieur le Premier ministre, quand estimez-vous qu’elle pourra se tenir désormais ?

Lors du sommet de sécurité Shangri-La de Singapour le 30 mai dernier, le Président de la République a mis en garde contre les répercussions potentielles de l’agression russe en Ukraine sur la situation à Taïwan. Je le cite : « Si nous considérons que la Russie peut s’emparer d’une partie du territoire ukrainien sans restriction, sans contrainte, sans réaction de l’ordre mondial, que dira-t-on au sujet de ce qui pourrait se passer à Taïwan ? » Le Président de la République a en effet de bonnes raisons de s’inquiéter de la perspective d’une nouvelle escalade.

Le ministre australien de la défense a affirmé de son côté que la Chine est le pays qui opère la plus grande augmentation de capacité militaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son homologue des Philippines a qualifié la Chine d’absolument irresponsable et téméraire dans ses actions en mer de Chine méridionale. Le secrétaire américain à la défense a déclaré que le président Xi Jinping aurait fixé à 2027 la date limite à laquelle l’armée chinoise doit être capable d’envahir Taïwan.

Il est urgent de faire émerger une action internationale susceptible de dissuader le parti communiste chinois de rompre le statu quo, sans quoi, dans deux ans, nous pourrions retrouver Taïwan plongée dans une situation analogue à celle que nous observons en Ukraine et au Moyen-Orient.

Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, tout est lié. Faisons en sorte d’arrêter les conflits avant même qu’ils ne débutent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat et M. Vincent Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse », disait Clemenceau.

C’est ainsi que tournent en boucle sur les chaînes d’info les dessins animés où la bombe américaine en Iran perce comme du beurre quatre-vingts mètres de granit avant d’exploser. Même les services de renseignement américains n’arrivent pas à faire semblant d’y croire, malgré les ordres de leur président.

C’est ainsi que les mollahs de Téhéran rabâchent dans leurs communiqués : « même pas mal », comme s’ils avaient gagné la « guerre des douze jours ».

C’est ainsi que Netanyahou tord les déclarations de l’AIEA, pour expliquer que l’Iran était à quinze jours de déclencher l’apocalypse nucléaire.

Personne ne se plaindra de la correction infligée à l’effroyable régime des ayatollahs, mais qui peut croire que le problème est réglé ? La guerre au Proche-Orient dure depuis quatre-vingts ans, avec des trêves et des flambées. Elle continuera tant qu’on n’arrivera pas à imposer la solution qui garantisse à la fois les droits des Israéliens et ceux des Palestiniens.

Je ne vais donc pas ajouter un commentaire au concours de prophéties à court terme pour savoir si le cessez-le-feu est durable ou non, si le détroit d’Ormuz va s’enflammer, ou si les accords d’Abraham ont un avenir.

Je voudrais en revanche évoquer un sujet brûlant pour nous, que ce conflit met en évidence de façon angoissante : où est passée l’Europe ? La guerre d’Ukraine, l’élection de Trump et l’embrasement du Proche-Orient ont révélé ce que personne n’a envie de voir : l’Europe est en train de s’effacer, comme un château de sable se dissout peu à peu au bord du rivage.

Trump la méprise, Vance la déteste, la Chine n’y voit qu’un marché pour ses voitures électriques, la Russie un continent décadent tremblant devant la guerre, et le reste du monde parie sur son déclin.

Quatre ou cinq fois par an, vingt-sept chefs d’État débarquent de leur Mercedes noire, s’engouffrent dans le grand hôtel prestigieux d’une capitale historique, délivrent des discours prédigérés autour de grandes tables rondes ornées de fleurs, accouchent difficilement d’un plus petit dénominateur commun, puis, heureux d’avoir frôlé le désaccord, mais évité le pire, se congratulent de grandes tapes dans le dos avant de gagner le podium de la photo de groupe, avant que chacun ne reprenne son avion.

En cas de crise, le scénario se détraque. Les contraintes de la frénésie médiatique ne peuvent attendre la convocation d’une réunion. C’est alors la course au premier qui trouve une idée.

Depuis le 7 octobre 2023 la France a successivement lancé la proposition baroque d’une coalition générale contre le Hamas, assuré Israël de son soutien inconditionnel puis condamné la dévastation de Gaza, convoqué avec l’Arabie Saoudite une conférence sur les deux États tuée dans l’œuf par les frappes en Iran, avant de proposer désormais plus modestement une aide humanitaire aux Palestiniens, et hier même, d’appeler le boucher de Moscou au téléphone pour lui demander d’aider à trouver une solution sur le nucléaire iranien. Aucune de ces initiatives n’a connu le commencement du début d’un effet.

En Ukraine, le réveil européen après l’invasion s’essouffle. L’Allemagne, après trois ans d’un chancelier qui s’est comporté comme une limande apeurée, a vu son successeur montrer les muscles en annonçant que dès son arrivée les Taurus seraient livrés, avant d’expliquer, une fois au pouvoir, qu’ils ne le seraient pas. La France a proclamé l’économie de guerre en 2022, de manière fort imprudente, car nous en sommes aujourd’hui très loin, trois ans plus tard.

Impuissants, les dirigeants européens sont devenus les commentateurs des événements, campés devant les caméras comme une mouche qui se pose sur l’essieu de la charrette et qui s’étonne de la poussière qu’elle soulève.

« Plus jamais la guerre entre nous ! » : tel était le projet européen. Mais depuis le XXIe siècle, la réalité c’est la guerre avec les autres, les dictatures. Nous avons transmis le fardeau aux Américains, et l’Europe est devenue le continent du pacifisme, oubliant ce que rappelait Mitterrand il y a quarante ans : les pacifistes sont à l’Ouest, les missiles à l’Est.

La chute du mur de Berlin a nourri la fable des dividendes de la paix. Aujourd’hui, l’Europe, c’est le pacifisme plus le désarmement. Dans un monde en guerre où les dictateurs ont juré de prendre la revanche de leur défaite du XXe siècle, c’est un contresens absolu.

La première conséquence de l’impuissance est l’humiliation.

L’humiliation en Iran, où Cécile Kohler et Jacques Paris – à mon tour, j’exprime à leur égard ma solidarité – sont retenus dans des conditions inhumaines. Nous n’arrivons pas à faire cesser leur détention malgré tous nos efforts.

L’humiliation lors du prêche de Vance à Munich, ou encore lorsque Trump a dit aux Européens qu’au Proche-Orient on n’avait pas besoin d’eux ; il a le droit de le croire, mais il pourrait bien regretter un jour son mépris et comprendre, lorsqu’il en aura besoin, en mer de Chine ou ailleurs, tout le sens de la phrase prononcée par Churchill en 1943 : « Il n’y a rien de pire que de combattre avec des alliés, si ce n’est de combattre sans eux. » Mais chacun sait que l’on ne peut demander à Trump et ses tweets de se projeter à cette échéance.

Ses menaces ont conduit les Européens à se prosterner devant lui à La Haye. J’ai rarement été aussi gêné qu’en voyant tant de chefs d’État rivaliser de courbettes.

M. François Bayrou, Premier ministre. Très bien !

M. Claude Malhuret. Comme dit le proverbe chinois, « si tu dois te prosterner, prosterne-toi très bas ».

Le secrétaire général de l’Otan, ancien fier Premier ministre des Pays-Bas, appelant Trump « papa » est un symbole éloquent de l’Europe d’aujourd’hui.

Pour remercier les Européens sans doute, Trump vient d’annoncer la fin des livraisons d’armes à l’Ukraine. La trahison annoncée est désormais totale, la complicité avec Poutine avouée. Nous sommes seuls et au pied du mur. Nous avons eu trois ans pour nous préparer à cette éventualité. Nous ne les avons pas mis à profit.

Nous ne sommes pas prêts. Nous n’avons ni les moyens ni la volonté de prendre le relais et de soutenir comme il faut ceux qui meurent par dizaines de milliers, pour se défendre et pour nous défendre : les Ukrainiens. C’est tragique pour l’Ukraine aujourd’hui, c’est tragique pour l’Europe demain.

L’urgence est de moderniser, renforcer et surtout coordonner la défense européenne à la hauteur de la compétition stratégique, de comprendre que les guerres d’aujourd’hui sont hybrides, et que notre retard dans les drones, le numérique, l’intelligence artificielle et la lutte contre la désinformation est encore plus immense que l’insuffisance de notre armement conventionnel.

La priorité est aussi d’arrêter les discours démobilisateurs assurant que nous ne sommes pas en guerre alors que les dictateurs le sont contre nous, qu’ils le disent tous les jours et surtout qu’ils la mènent sur les réseaux sociaux envahis de trolls, dans nos entreprises ciblées par les sabotages et les cyberattaques, au fond des mers par la section des câbles sous-marins, dans les airs par les provocations quotidiennes.

Comment pourrons-nous persuader les Français de soutenir l’engagement pris à La Haye d’élever le budget militaire à 3,5 % de notre PIB si on ne les convainc pas que nous subissons une guerre qui a radicalement changé de nature et qui est en grande partie invisible ? Comment les convaincre lorsque, à l’Assemblée nationale, les deux extrêmes sont quasi majoritaires et que, même s’ils se détestent, ils sont d’accord sur le pire, le soutien aux dictateurs qui nous ont déclaré la guerre ? Comment arriver à ce que l’Europe retrouve le rang qui était le sien dans le monde si elle ne trouve pas la force d’aménager cette règle de l’unanimité qui la conduit à l’impuissance ?

MacArthur, le vainqueur de la guerre du Pacifique, disait : « Les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard. » L’Europe doit se réveiller. Il lui faut seulement des peuples qui se souviennent de leur histoire et des dirigeants qui prennent la mesure des périls. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains. – M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Moyen-Orient est en feu et le monde le regarde, impuissant face aux enfants sous les gravats, face aux peuples pris au piège, face à la détresse humaine. À Gaza, en Israël, en Iran, au Liban et au Yémen, les lignes bougent, les fronts s’embrasent et les équilibres se fracturent. Il s’agit non plus d’observer, mais d’agir : la France ne peut rester spectatrice face à l’inacceptable. Elle doit parler haut, agir vite et juste.

Agir juste, c’est défendre la sécurité collective mais aussi les principes du droit international.

Oui, nous partageons avec nos alliés américains et européens un objectif commun : que l’Iran ne se dote en aucune façon de l’arme nucléaire. Toutefois, cela ne doit jamais faire perdre à la France ni sa lucidité ni son autonomie de jugement. Notre diplomatie se doit d’être cohérente, fidèle à ses valeurs, à son histoire, à sa voix singulière dans le concert des nations.

Nous avons une conviction : nous soutenons les initiatives permettant d’éviter que l’Iran ne se dote de l’arme nucléaire ; nous réaffirmons le droit d’Israël à se défendre face à cette menace existentielle ; nous nous méfions d’une politique de changement de régime, telle qu’elle fut défendue par l’administration Trump et qui est non pas une solution mais un piège – l’Irak et la Libye en sont, malheureusement, les preuves dramatiques.

Nous appelons de nos vœux une transformation politique en Iran, mais celle-ci doit venir du peuple iranien et de lui seul.

Ce peuple, nous le connaissons. Nous avons vu ses femmes se lever face à la répression, le peuple défier les interdits, réclamer liberté et dignité. Notre devoir est d’être à leurs côtés, de porter la voix de celles et ceux que l’on veut étouffer en les réduisant au silence. Mais ce combat ne peut se mener à leur place. La liberté durable d’un peuple ne saurait être imposée par une puissance extérieure.

Dans cette logique de fermeté, notre priorité absolue doit également être le retour de nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus illégalement en Iran depuis plus de trois ans dans des conditions indignes et inacceptables. Nous voulons saluer leur courage, ainsi que celui de leurs familles confrontées à une épreuve que nul ne devrait endurer. Je salue également ma collègue Patricia Schillinger, particulièrement impliquée dans ce dossier. Notre devoir est aussi celui-ci : ne jamais abandonner les nôtres.

Ne nous y trompons pas : les événements en Iran, aussi graves soient-ils, ne doivent pas occulter la crise humanitaire majeure qui se joue chaque jour dans la bande de Gaza. Là-bas, des femmes, des hommes et des enfants vivent dans des conditions inhumaines, privés de soins, d’eau et d’avenir. Sur 360 kilomètres carrés, la faim, la peur, la soif et la mort règnent sans partage. Les hôpitaux sont détruits. Les pénuries se multiplient. Les enfants meurent sous les décombres ou faute de traitements de base.

Dans ce drame, il ne saurait y avoir de hiérarchie des souffrances. Car, pendant ce temps, le peuple israélien vit, lui aussi, dans la peur des roquettes et des attentats. Les familles des cinquante-huit otages encore détenus dans les tunnels du Hamas à Gaza connaissent la détresse et le déchirement. Des enfants israéliens grandissent dans l’angoisse, privés de l’insouciance à laquelle ils ont droit. Quel avenir offrons-nous à une génération née sous les bombes ?

Des deux côtés, les enfants paient le prix d’une guerre d’adultes, d’une guerre dont ils ne veulent pas.

Il faut le dire avec force, le droit international humanitaire doit être respecté, partout et toujours. Nous devons exiger une trêve humanitaire immédiate, l’ouverture de corridors sécurisés et la garantie que l’aide humanitaire parvienne à celles et ceux qui en ont besoin. Soigner, nourrir, protéger, éduquer : telles sont nos priorités, parce que la vie d’un enfant ne dépend pas de sa nationalité.

Toutefois, l’urgence humanitaire ne saurait masquer cette réalité politique : oui, le Hamas est une organisation terroriste ! Les attentats du 7 octobre 2023 resteront dans l’histoire comme la pire attaque antisémite depuis la Seconde Guerre mondiale, un véritable pogrom sanguinaire et barbare ayant coûté la vie à quarante-deux de nos compatriotes.

Le Hamas ne peut et ne doit donc avoir aucune place dans un processus politique. Son désarmement et la libération de tous les otages sont des conditions non négociables de toute issue durable. Pour cette raison, nous soutenons l’idée d’une coalition des pays arabes, dans une logique de restauration de la sécurité et d’un projet de reconstruction crédible.

La seule voie d’avenir, nous la connaissons. Il s’agit de la solution à deux États : deux peuples vivant côte à côte. Telle est la position de la France et la seule issue possible.

Le feu de la guerre ne s’éteint pas à Gaza parce qu’il trouve ailleurs du combustible, dans les tensions croisées, les intérêts concurrents et les rivalités d’influence, autant de braises attisées dans l’ensemble du Moyen-Orient.

Au Liban, le Hezbollah, bras armé de l’Iran, intensifie ses provocations. Il menace directement la frontière nord d’Israël et, surtout, la stabilité d’un pays déjà au bord du gouffre économique et institutionnel. La paralysie politique, la crise financière et l’exode de la jeunesse sont aggravés par la présence d’un acteur armé qui fait obstacle à toute normalisation.

C’est pourquoi la France reste engagée au Liban, aux côtés des institutions légitimes et du peuple libanais. Notre soutien n’est pas nouveau : il est historique, séculaire, profond et constant.