Plus au sud, au Yémen, un autre foyer de tension menace les équilibres internationaux : les Houthis, eux aussi soutenus par l’Iran, multiplient les attaques contre des navires civils, des infrastructures stratégiques et des corridors maritimes essentiels à l’économie mondiale. Quand la mer Rouge devient une zone de guerre, les chaînes logistiques mondiales vacillent. Ce n’est pas acceptable ! Nous parlons bien là non pas de résistance, mais d’agressions terroristes.

Face à cette réalité, nous devons tenir une ligne claire : condamner toutes les violences, parce qu’aucune cause ne justifie la terreur et qu’aucune excuse ne permet de cibler des civils.

Mes chers collègues, le Moyen-Orient est en pleine recomposition, et nous devons choisir. Souhaitons-nous être des spectateurs ou des acteurs ? Voulons-nous commenter l’histoire ou en écrire la suite ?

La France doit être fidèle à son passé, à son histoire, à sa voix d’équilibre et de paix, mais d’une paix juste : la voix des peuples en souffrance et non des rapports de force ; la voix du respect du droit international et non celle de l’anarchie. Notre devoir est non pas de suivre, mais de protéger, de proposer et de porter une parole de paix, de justice et d’espoir.

Nous ne sommes ni neutres ni passifs. Nous sommes du côté du droit, de la paix, des peuples et des enfants victimes, ceux de Gaza, d’Israël, du Liban, d’Iran ou encore de Syrie, ceux qui ne peuvent parler et pour qui, aujourd’hui, nous prenons la parole.

On ne construit pas la paix avec des missiles ni l’avenir avec des ruines, mais on peut encore bâtir l’avenir avec du courage, du droit et une diplomatie forte.

L’histoire jugera les positions de certains, ceux qui utilisent et instrumentalisent ces conflits à des fins de récupération politique, sur place mais aussi dans notre propre pays, ce qui a pour conséquence de fracturer, de diviser et de faire monter la défiance, le racisme et l’antisémitisme.

La France a choisi bien avant nous de militer pour la paix, la liberté et le droit. Nous ne sommes que les héritiers de ce choix. Ne dévions pas de cette ligne, continuons à l’affirmer et à la porter avec force et conviction ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Yves Roux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la réponse de l’Union européenne et de la France aux frappes américaines contre l’Iran a révélé bien plus qu’une simple hypocrisie : une vassalisation si profonde aux intérêts américains qu’elle nous conduit à accepter le piétinement des violations du droit international et de nos propres intérêts stratégiques.

Alors que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni étaient engagés diplomatiquement avec l’Iran, les États-Unis ont frappé le territoire iranien sans nous consulter. Il y a eu trop de morts du côté iranien comme du côté israélien à la suite des ripostes, et la démonstration – brutale – a été faite du mépris dans lequel Washington tient ses principaux alliés de l’Otan.

Que font nos dirigeants européens ? Ils bredouillent une rhétorique mensongère. Ils défendent aveuglément des frappes effectuées en violation flagrante du droit international. Pour ce faire, ils ressortent une vieille recette : instiller la peur. On agite l’épouvantail d’une menace nucléaire iranienne imminente, y compris sur notre territoire, on applaudit les frappes américaines contre les installations nucléaires de ce pays, puis – comble de l’absurde – on décide qu’il incombe à Téhéran de relancer des pourparlers qu’il n’a jamais quittés.

Qu’importe les conclusions de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), selon lesquelles l’Iran ne disposerait que de 400 kilogrammes d’uranium enrichi à hauteur de 60 %, loin des 90 % nécessaires pour la fabrication d’une arme, et celles des services de renseignement américains eux-mêmes, indiquant qu’aucune bombe n’était en préparation !

Face à cette logique orwellienne, rappelons un fait : le droit de détenir l’arme nucléaire est détenu par la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine et la Russie. Pour les autres pays du monde, cela est interdit et les États doivent se soumettre à ce titre au contrôle de l’AIEA.

Une vérité s’impose à la suite de ce rappel : l’Iran est signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), quand Israël ne l’est pas.

L’Iran est régulièrement contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique, quand Israël s’y refuse.

Israël dispose d’une trentaine à une centaine de bombes atomiques, quand personne n’a prouvé que l’Iran ne disposait d’une seule.

Quand Israël refuse les inspections de l’AIEA, que disons-nous ? Quand ce pays refuse de signer le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, que faisons-nous ? Rien ! Le silence prévaut.

Si la France veut regagner en crédibilité, elle doit cesser cette politique du deux poids, deux mesures. Ramener la paix exige que le contrôle du nucléaire soit généralisé. Si nous voulons réellement gagner en crédibilité sur la scène internationale et incarner un message de paix, respectons et renforçons le TNP, soyons cohérents et ratifions-nous même le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) !

En 2003, contre la guerre d’Irak, la France savait encore se lever comme un seul homme pour faire respecter les principes intangibles du droit. Aujourd’hui, elle adopte une attitude suiviste. Refuser de condamner l’attaque américaine et israélienne, c’est contribuer à l’effondrement d’un ordre international fondé sur le droit.

L’Union européenne et la France, si véhémentes dans leur juste condamnation de l’agression de l’Ukraine et de la violation de la souveraineté de ce pays par la Russie, restent étrangement silencieuses lorsque Washington ou Tel-Aviv font strictement de même. Cette politique du double standard jette le discrédit sur un Occident incapable d’inspirer le respect dans le Sud global et de porter un discours de paix sincère.

Votre politique, monsieur le Premier ministre, érode dangereusement votre tant vanté « ordre international fondé sur des règles ». En légitimant le droit des puissants à mener des guerres préventives, vous sapez honteusement et fatalement la cause ukrainienne. Vous créez un précédent que ses adversaires ne manqueront pas d’exploiter. En choisissant la raison du plus fort, l’Union européenne et la France deviennent, aux côtés des États-Unis et d’Israël, des forces de désordre. Ramener durablement la paix dans cette région du globe est un défi considérable, car Trump et Netanyahou permettent une énième répétition des guerres d’Irak, de Lybie et d’Afghanistan.

Cette logique sert aussi à resserrer les rangs en interne. En Israël, elle alimente une union sacrée au service d’un pouvoir d’extrême droite nationaliste et suprémaciste, qui bombarde à tout va : Gaza, le Liban, la Cisjordanie, l’Iran, l’Irak, le Yémen et la Syrie.

Contrairement à ce qui est insinué par la propagande, la guerre et les destructions poussent aussi à l’union nationale en Iran, flattant le nationalisme qui est le carburant de la « République islamiste » et affaiblissant par là même le mouvement populaire, féministe et progressiste dans sa lutte contre la dictature à Téhéran et le régime des mollahs. Il n’appartient ni à Israël, ni aux États-Unis, ni à l’Union européenne, ni à la France, pas plus qu’à la force, de déterminer la forme du gouvernement de ce pays, mais il nous faut donner au peuple iranien les moyens d’en décider.

Pendant que les frappes américaines et israéliennes ciblent l’Iran, Gaza continue de mourir dans l’ombre. Douze jours de guerre ont causé des morts supplémentaires sur place. Pourtant, les projecteurs sont braqués ailleurs. Près de 2,1 millions d’êtres humains doivent faire face à une famine organisée. Le massacre est là…

M. François Bayrou, Premier ministre. C’est ce que faisait Staline…

Mme Cécile Cukierman. Je vous propose, monsieur le Premier ministre, de laisser l’histoire derrière nous ! Le débat en ressortira grandi, si tant est que vous écoutiez au lieu de simplement commenter…

L’indicible est là. Monsieur le Premier ministre, vous le savez, la notion de « destruction d’un peuple » est en débat. L’atrocité du 7 octobre 2023 et les crimes odieux du Hamas ne sauraient justifier la perpétuation de l’horreur ad vitam aeternam. Ce qui se déroule dans les territoires palestiniens ne revêt pas seulement un caractère humanitaire, la situation soulève surtout une question politique : il s’agit d’une colonisation brutale et d’une négation du droit et du genre humain.

La paix ne viendra ni du maintien du seul rapport de force militarisé au profit d’Israël ni d’un simple corridor humanitaire. L’heure n’est plus à attendre une quelconque conférence internationale pour reconnaître la Palestine. Cela doit être fait maintenant. Plus la destruction de Gaza progresse, plus notre silence devient coupable et nous devrons en répondre.

Notre pays doit rester intransigeant en ce qui concerne le respect des règles. J’appelle solennellement le Président de la République à respecter le devoir qui incombe à notre pays : il faut prévenir les crimes en cours à Gaza en menant des actions juridiques, politiques et économiques. L’inertie de l’exécutif sur la scène internationale aura également des répercussions sur notre population. (M. le Premier ministre commente les propos de loratrice.)

Monsieur le Premier ministre, nous ne sommes pas de la même génération ! Le mur de Berlin est tombé depuis bien longtemps, alors sortons des caricatures et des postures dans lesquelles votre gouvernement et vous, sur toutes les questions internationales, tentent d’enfermer mon groupe ! Comme nous sommes dans une démocratie, nous avons le droit de critiquer l’action d’un gouvernement à cause duquel la France n’est pas à sa place sur la scène internationale et qui regarde avec une grande naïveté les morts s’accumuler jour après jour à Gaza… (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Face à un Trump qui souhaite négocier la paix entre l’Ukraine et la Russie sans consulter les Européens et qui la marchande en échange du pillage des terres rares des pays agressés, de Kiev à Brazzaville, l’Europe et la France restent serviles et acceptent à l’unisson de consacrer 5 % de leur PIB à la défense des intérêts atlantistes, au profit des industries d’armement américaines.

Les très beaux discours anti-Trump, tenus ici même par de nombreux orateurs, s’évanouissent du fait d’une telle soumission. Monsieur le Premier ministre, vous devez renoncer à cette folie qui appellera une casse sociale sans précédent. Renouez avec la voix d’une France non alignée et juste, se mettant au service des peuples ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, au fil des mois s’est installé dans le monde un désordre géopolitique dont on peine à voir l’issue. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, 2024 concentrerait le plus grand nombre de conflits sur la planète. Hélas ! On peut penser que l’année 2025 sera aussi celle d’une brutalité sans fin pour qui souhaite la paix.

Un nouveau chapitre s’est ouvert dans la région moyen-orientale avec la guerre des Douze Jours, suivie de l’intervention américaine Midnight Hammer. Ces opérations ont invité la question de l’arsenal nucléaire iranien dans le conflit israélo-palestinien. Elle constitue sans doute une opportunité pour Benyamin Netanyahou, mais le Premier ministre israélien a-t-il anticipé toutes les répliques potentielles ?

Dans tous les cas, c’est un nouveau seuil d’instabilité qui a été franchi au Proche et au Moyen-Orient. L’Iran se retrouve encore davantage impliqué dans le conflit israélo-palestinien. Le Qatar, indirectement mêlé du fait des bases américaines, a vu des représailles balistiques être menées sur son territoire. Les tirs vers l’État hébreu en provenance du Yémen se poursuivent tandis que le drame humanitaire persiste à Gaza, de même que les dommages collatéraux au Liban. La liste s’allonge…

Le groupe RDSE salue l’initiative de ce débat, à un moment encore une fois difficile pour les relations et le droit internationaux, mais surtout pour les populations qui vivent dans ces régions. Aussi, j’ai avant tout une pensée pour tous les civils, où qu’ils vivent, premières victimes de ce climat de guerre et des frappes meurtrières. Je pense à la population palestinienne et à Gaza, où des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie.

Si la chasse au Hamas a bien entendu un sens, en particulier depuis le tragique 7 octobre 2023, reconnaissons que l’objectif initial d’extermination de l’organisation terroriste a considérablement évolué. Les privations organisées dans la bande de Gaza ont-elles quelque chose à voir avec le droit d’Israël à se défendre ? L’accès à l’eau, à l’électricité et aux soins est méthodiquement rendu impossible. On ne peut pas rester sourd face aux appels de centaines d’ONG qui appellent à mettre fin au système de distribution d’aide géré depuis fin mai par la controversée Fondation humanitaire de Gaza (GHF). Le défi existentiel vaut pour tous les peuples.

N’oublions pas les otages encore retenus dans la bande de Gaza, parmi lesquels figurent trois ressortissants français. En procédant à 80 % de l’anéantissement de la bande côtière, le Premier ministre israélien a fait le choix de leur sacrifice.

Le groupe RDSE tient également à exprimer sa solidarité à l’égard de Cécile Kohler et de Jacques Paris, arbitrairement détenus depuis trois ans dans les prisons iraniennes. Nous souhaitons, monsieur le Premier ministre, que la France continue à exiger leur libération immédiate. J’en profite pour saluer l’engagement constant des agents du ministère, qui veillent autant que possible au sort de nos ressortissants français à l’étranger et les accompagnent dans des conditions souvent dangereuses.

Néanmoins, cette compassion à l’égard des populations ne peut tenir lieu d’analyse. Ce chaos, ces drames humains… pour quels résultats militaires et politiques ?

Il est vrai que l’axe de la résistance est affaibli, qu’il s’agisse des gardiens de la révolution en Syrie, du Hezbollah au Liban et, depuis quelques jours, du régime iranien sous les coups portés à ses sites nucléaires.

À Gaza, le Hamas est fortement décapité. Toutefois, cette organisation a les vertus d’une hydre qui se nourrira toujours des conditions de vie des Gazaouis, si celles-ci restent en l’état et si le peuple palestinien ne retrouve pas un minimum de souveraineté. À ce jour, l’espoir d’un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël est entre les mains des médiateurs américains, égyptiens et qataris.

Un cessez-le-feu de soixante jours est le minimum à attendre face au gâchis humain que j’ai rappelé tout à l’heure. Mais si la question palestinienne n’est pas définitivement soldée, elle restera au cœur de la tectonique des plaques de la région.

L’adhésion de nouveaux pays – l’Arabie saoudite et la Syrie – aux accords d’Abraham ne règlera pas non plus le problème. La normalisation des relations de l’État hébreu avec ses voisins est souhaitable, pourvu qu’elle ne soit pas un leurre pour enterrer les résolutions successives de l’ONU relatives à une solution à deux États. Riyad semble assez lucide à ce stade.

Quelle voie peuvent défendre la France et l’Europe face à cette situation, face à l’Iran, qui se voit réduit à un statut de puissance régionale, à rebours de ses ambitions, face à des États-Unis qui démontrent par la force leur centralité stratégique et face à un Premier ministre israélien qui, dopé par le soutien inconditionnel de l’extrême droite de son pays, recompose la situation au Proche et au Moyen-Orient, peu lui important le prix humain ?

Soyons réalistes : sur le plan stratégique, il reste peu d’espace pour les autres acteurs de la communauté internationale.

La France, fidèle à son rôle de puissance d’équilibre, doit néanmoins maintenir sur le plan diplomatique une ligne de fermeté et tenir une parole fidèle à sa tradition républicaine et humaniste. Il lui faut dénoncer les violations des droits humains, d’où qu’elles viennent, faire respecter les mandats de la Cour internationale de justice (CIJ), rappeler que la lutte contre le terrorisme ne saurait conduire à l’anéantissement de populations entières, défendre les outils multilatéraux de contrôle et relancer un cadre de négociation sur le nucléaire iranien.

Quant à l’Europe, sans méconnaître sa difficulté à parler d’une seule et même voix, elle doit néanmoins redevenir un acteur politique capable de proposer une réponse structurée, adossée aux principes du droit international et du respect des souverainetés.

Les derniers développements, dont l’espérance d’un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, ne doivent pas faire oublier la nécessité de convaincre les États membres d’une réflexion sur le contrat d’association entre l’Union européenne et Israël. Cet accord devrait être interrogé au regard du blocus économique de Gaza et de la politique de colonisation en Cisjordanie.

Il s’agit non pas de choisir un camp, mais de redonner du sens aux droits des peuples. Je le répète : une Palestine souveraine, toutefois expurgée de ses factions terroristes, est la seule voie viable vers une paix juste et durable.

Pour citer Albert Camus, « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». Mes chers collègues, la situation au Proche et au Moyen-Orient est un appel à notre responsabilité collective. Le présent débat ne doit pas se limiter à un exercice de politique étrangère. Il engage notre conception de l’ordre international et notre rapport au droit, à la justice et à la solidarité avec les Syriens, les Iraniens, les Gazaouis, les Libanais et les Israéliens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Jean-Marc Vayssouze-Faure et Jacques Fernique applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, merci d’avoir enfin convoqué le Parlement pour évoquer la situation au Proche-Orient. Mon groupe a formulé des demandes en ce sens depuis la rupture du cessez-le-feu à Gaza, le 18 mars dernier.

Depuis, une saison complète est passée, au cours de laquelle les bombardements israéliens ont tué aveuglement près de 6 000 et blessé près de 20 000 Palestiniens. Quelque 56 000 civils sont morts au total à ce jour : un génocide se déroule sous nos yeux.

Depuis, une saison complète est passée, au cours de laquelle Israël, épaulé par les États-Unis, a lancé, au mépris complet des règles internationales, un raid sur l’Iran visant le programme nucléaire et les principaux symboles du tyrannique régime des mollahs, causant un millier de victimes civiles et près de 4 500 blessés côté iranien, 28 victimes et 850 blessés côté israélien.

Une saison complète est passée au cours de laquelle la timide voix de la France, qui envisageait de reconnaître enfin l’État de Palestine, s’est évanouie. Face au retour de la violence comme projet politique, la parole de la France et celle de l’Europe sont désespérément attendues pour défendre le droit international. Pourtant, dans le fracas des bombes, ces voix sont inaudibles, faute de courage – à l’exception du Premier ministre espagnol –, faute de cohérence, alors que le « deux poids, deux mesures » s’agissant du soutien à Israël est indéfendable, et enfin faute d’unité, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne peinant à accorder leurs violons, tandis que l’Italie se « trumpise ».

La façon dont Donald Trump a « posé un lapin » aux dirigeants européens au sommet du G7, avant d’exiger que ces derniers lui fassent des courbettes au sommet de l’Otan, illustre bien la faiblesse de l’Europe. Cette faiblesse est le tombeau du droit international.

Ce n’est pas la première fois que l’Europe n’est pas au rendez-vous de l’histoire en ne se montrant pas à la hauteur de sa puissance géopolitique. Le 21 août 2013, dans la Ghouta orientale, 10 000 opposants syriens ont été intoxiqués par le gaz sarin lâché par Bachar el-Assad, dont 1 845 ont péri asphyxiés.

Ce jour-là, nous avons renoncé à faire respecter le droit international, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit humain le plus élémentaire. Faute de vouloir agir sans le grand frère étasunien, la France et le Royaume-Uni ont non seulement laissé mourir l’opposition syrienne, mais, pire encore, ils ont montré notre faiblesse et réveillé l’appétit des empires.

La Crimée est tombée quelques mois plus tard, enclenchant un engrenage délétère ayant conduit à l’agression russe de l’Ukraine, que nous ne parvenons pas à juguler.

En 2013, alors que le traumatisme de l’injustifiable invasion préventive de l’Irak était encore vif, la décision d’une nouvelle intervention militaire contre un dictateur arabe était indubitablement difficile à prendre.

En revanche, ce qui est attendu de nous en 2025 est plus simple : défendre le droit international, défendre la paix, défendre la diplomatie. Nous devons utiliser nos outils diplomatiques, juridiques et économiques pour mettre un terme à la fuite en avant meurtrière non pas d’une dictature ennemie, mais de ce que nous espérons encore être une démocratie amie.

La dérive de Benyamin Netanyahou est le fruit de notre incapacité à faire respecter le droit international. Le Premier ministre israélien d’extrême droite est un opposant à la solution à deux États et fait tout depuis des années pour la rendre inopérante. Son ambition est d’annexer Gaza et de coloniser la Cisjordanie.

Aux Gazaouis, il ne laisse que deux choix : la mort ou l’exil. Il ne croit pas davantage à la paix avec ses voisins. Sa stratégie est de semer le chaos au Liban, en Syrie et en Iran, car il pense ainsi gagner quelques années de tranquillité.

Estomaqués par la barbarie des attentats du 7 octobre, pétrifiés par le sort des otages, nous le laissons déployer un plan qui est tout sauf improvisé. En 2025, nous n’avons plus l’excuse de l’ignorance. L’Afghanistan, qui a vu le retour des talibans, l’Irak, qui a vu naître un état terroriste, la Libye, devenue une zone de non-droit où réapparaît l’esclavage, ont montré où conduit le chaos engendré par nos guerres préventives.

La guerre contre l’Iran s’inscrit dans la même veine. Les bombes ne peuvent ni tuer une idéologie, ni détruire un projet politique, ni importer la démocratie. Elles ne créent que la désolation et le ressentiment, lesquels fabriquent les ennemis de demain.

En ce qui concerne la réussite de l’opération militaire, nous ne savons rien ou presque. Il nous faudrait faire confiance au président des États-Unis, qui est peu réputé pour son exigence de vérité. Le programme nucléaire a sans doute pris du retard, mais l’uranium enrichi circule toujours en Iran. Il est désastreux et contre-productif que les agents de l’AIEA ne puissent pas reprendre leur mission en Iran en toute sécurité.

Quant à la volonté politique de se doter de la bombe, elle précédait la révolution islamique et, hélas ! lui succédera sans doute. Comment pourrait-il en être autrement dans un monde régi par la loi du plus fort, où seule la dissuasion nucléaire semble être une assurance vie ?

Si chacun souhaite évidemment la chute de ce régime tyrannique, gardons à l’esprit le précédent irakien. La première guerre du Golfe a entraîné la désolation pour le peuple irakien, avec Saddam Hussein. La seconde a produit le même effet, sans Saddam Hussein.

La guerre ne résout rien, a fortiori sans projet politique. Après les bombes, la répression s’abat sur le peuple iranien. Nous souffrons avec lui, comme nous tremblons avec nos otages, Cécile Kohler et Jacques Paris. Il n’y a pas lieu d’hésiter comme vous le faites ; la France doit, comme l’avait fait Jacques Chirac, refuser et condamner fermement le recours illégal à la force.

La France doit redevenir une grande nation diplomatique, comme elle l’était encore il y a peu, sous le quinquennat de François Hollande. Elle doit redevenir la nation qui a obtenu la signature de l’accord de Vienne, qui a marqué le seul recul du programme nucléaire iranien ces vingt dernières années, mais aussi celle de l’accord de Paris. Soit dit en passant, l’objectif de contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5 degré est désormais inatteignable, avec les conséquences que nous connaissons.

L’humanité fait face au plus grand défi de son histoire. Cela devrait nous rassembler dans une commune urgence de survie de l’espèce. Au lieu de cela, les humains, tétanisés par le déni, la cupidité, ou les deux, retombent progressivement dans les pires travers du XXe siècle. C’est désespérant…

Monsieur le Premier ministre, il est encore temps d’agir. Mais pour cela, la France doit parler d’une voie ferme afin de tenter d’emmener avec elle une Europe divisée.

Cela passe par la reconnaissance immédiate de l’État palestinien, avec ou sans alliés. Nous avons la faiblesse de croire que notre voix pèse encore suffisamment pour provoquer un effet d’entraînement.

Cela passe par la suspension de l’accord d’association avec Israël et de toutes nos coopérations avec ce pays.

Cela passe par un embargo sur toutes nos exportations d’armes. Ne soyons pas complices des aventures bellicistes et illégales d’Israël !

Cela passe par l’application stricte des mandats de la Cour pénale internationale (CPI).

Cela passe aussi par l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza par notre propre marine.

Cela passe par l’exigence de réformer l’Autorité nationale palestinienne et la tenue d’élections.

Si elle s’en donne la peine, la France peut, avec l’Europe, parler d’une voix forte pour construire le retour de la diplomatie et œuvrer à la refonte du cadre multilatéral hérité de la Seconde Guerre mondiale, qui est désormais dépassé.

Notre diplomatie doit accorder une place beaucoup plus importante aux sociétés civiles des régimes autoritaires. Il nous faut absolument renforcer et mieux cibler notre aide publique au développement (APD), qui a été sabrée par les coupes budgétaires successives.

En outre, nous devons bâtir une politique d’accueil et d’asile digne pour tous. Au lieu d’organiser d’infâmes rafles et de distribuer les obligations de quitter le territoire français (OQTF), nous devons accueillir, former et aider à se reconstruire les réfugiés, notamment iraniens, syriens, libanais, palestiniens, qui frappent à notre porte. C’est ainsi que nous pouvons œuvrer pour la transition démocratique et la paix au Proche-Orient et dans le monde.

Enfin, la paix mondiale va de pair avec la lutte contre le dérèglement climatique. Il nous faut achever notre transition énergétique pour mettre fin à notre dépendance aux hydrocarbures et à l’uranium des dictateurs et autres carbofascistes. Monsieur le Premier ministre, la France ne peut pas œuvrer à la paix mondiale en se repliant sur elle-même ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes nombreux à avoir fait écho aux propos du Premier ministre. Je m’attacherai donc à apporter des éclaircissements et des réponses sur certains points que j’ai relevés.

Monsieur le président Mathieu Darnaud, vous avez déclaré : « Comme jamais peut-être depuis plus de trente ans, l’ombre de Téhéran s’éloigne et des possibles s’ouvrent. » C’est une très bonne manière de décrire ce qui est en train de se passer au Proche-Orient après la défaite du Hezbollah au Liban, la chute de Bachar el-Assad en Syrie et la nouvelle donne qui place l’Iran dos au mur.

En effet, l’Iran est désormais contraint de négocier non seulement l’encadrement de son programme nucléaire, mais également ses activités balistiques, c’est-à-dire le développement de missiles, et ses actions de déstabilisation régionale.

Vous vous êtes montré très critique sur la ligne que dessinerait le Président de la République pour le Proche et le Moyen-Orient, la jugeant peu claire. Elle est au contraire très claire et fidèle à la tradition de la France, qui nous a conduits par le passé à faire preuve d’une grande fermeté à l’égard du régime iranien et de son programme nucléaire.

Pour Israël, la France est le seul interlocuteur à avoir été aussi constant et aussi ferme sur la question iranienne, tout en étant capable de dénoncer avec vigueur et fermeté, lorsqu’il s’en rend coupable, les violations du droit international par le gouvernement israélien.

La position française est une position d’équilibre. La France veille à ce que le droit international soit respecté. Elle reconnaît le droit d’Israël à se défendre, car elle est indéfectiblement attachée à sa sécurité. Mais pour garantir la sécurité d’Israël sur le long terme, certaines des actions entreprises par le gouvernement israélien doivent désormais cesser.

Vous avez également été dur à propos du Liban. Il convient tout de même de rappeler que la France est la première à avoir mis sur la table, l’année dernière, une proposition de cessez-le-feu. Certes, elle n’a pas été entendue immédiatement. Toutefois, après l’escalade militaire et l’entrée dans le jeu des États-Unis, les idées françaises ont été reprises. Défendues par la France et les États-Unis, elles ont évité l’effondrement du Liban.

De même, la France a facilité le redressement politique du pays en garantissant la tenue de l’élection de son président de la République. J’étais moi-même présent au Liban quelques jours avant cette élection pour poursuivre les discussions qu’avait engagées le Président de la République avec les principales forces en présence.

Lorsque le parlement libanais s’est réuni pour élire le chef de l’État, l’envoyé spécial du Président de la République, Jean-Yves Le Drian, était dans la tribune. C’est dire à quel point nous avons suivi cette situation de près !

Enfin, vous avez laissé entendre que la France serait marginalisée dans les négociations qui vont s’ouvrir à la suite de la guerre des Douze jours. Selon vous, Londres serait informée par Washington et Berlin serait informée par Tel-Aviv. Sans trahir de secret, je tiens à préciser que la proposition de cessez-le-feu américano-israélienne a transité par la France il y a dix jours.

Le Président de la République est au contact, d’un côté, de Donald Trump et, de l’autre, du président iranien. Grâce à cette position singulière, y compris au sein de l’Union européenne, il peut tenter de créer les conditions pour que ces deux dirigeants puissent se parler.

Monsieur Jean-Marc Vayssouze-Faure, au sujet de la question iranienne, vous avez dit que rien n’était réglé. Je ne sais pas si l’on peut dire cela, mais nous sommes en tout cas au milieu du gué. En effet, le plus dur reste à faire. Nous devons encadrer strictement et durablement les activités nucléaires, balistiques et de déstabilisation régionale de l’Iran.

Le sort que ce régime réserve à nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, ainsi qu’à une douzaine d’autres concitoyens européens, est préoccupant. Vous avez appelé à la libération de nos deux otages. Vous le savez, nous exigeons que cette libération intervienne immédiatement. Nous avons souligné le risque que constituait leur détention dans la prison d’Evin dès le début des frappes israéliennes.

Nous avions d’ailleurs indiqué au gouvernement israélien la présence de nos compatriotes dans cette prison. Nous avons dû attendre un délai inacceptable pour obtenir des preuves de vie, jusqu’à la visite consulaire qui a pu se tenir cette semaine. Nous espérons obtenir une libération définitive au plus vite.

Le retour à la coopération sur lequel vous avez interrogé le Premier ministre passe justement par la reprise des discussions dans l’esprit qui avait animé les négociateurs de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, dont la France faisait partie. À l’époque, les protagonistes étaient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.

Ces cinq puissances sont, d’une certaine manière, les gardiennes du traité de non-prolifération. Comme cela a été rappelé, ce traité prévoit que seuls ces cinq pays ont le droit d’être dotés de l’arme nucléaire. En contrepartie, ils ont l’obligation de donner aux autres pays du monde l’accès au nucléaire civil.

D’une manière ou d’une autre, ces cinq nations vont devoir se parler. C’est ce qui explique que le Président de la République ait pris l’initiative d’établir le contact avec Vladimir Poutine, alors que la discussion était rompue depuis le massacre de Boutcha en septembre 2022.

Au-delà du programme nucléaire iranien, qui représente un véritable danger, y compris pour nos propres intérêts de sécurité, l’avenir de l’architecture de sécurité qui a prémuni l’humanité contre une course à l’armement depuis la fin des années 1960 est en jeu.

Quand bien même Vladimir Poutine ne s’est pas montré à la hauteur de son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie doit être consultée, de quelque manière que ce soit, sur ses intentions à l’égard de l’Iran, au moment où nous voulons encadrer les activités que j’ai mentionnées précédemment.

Monsieur Olivier Cadic, vous avez rendu hommage aux vingt-deux victimes de l’attentat terroriste qui a récemment touché les communautés chrétiennes en Syrie. Vous avez rappelé l’attachement de la France et de son gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre, à la sécurité des communautés chrétiennes partout au Proche-Orient.

Les raisons de cet attachement sont non pas religieuses, mais historiques : la France considère que la préservation des droits de ces communautés est une condition du pluralisme dans la région, qui est lui-même la condition de la paix et de la stabilité.

Vous avez rappelé le rôle important que jouent les élus des Français de l’étranger dans les moments de crise, où ils sont l’interface avec nos compatriotes qui doivent être évacués ou rapatriés. Ces élus portent la voix de la France. Ils le font chacun à leur façon, mais de manière complémentaire. C’est évidemment très précieux.

Je veux vous féliciter, monsieur le sénateur, de votre engagement personnel au Liban, notamment auprès des victimes de la catastrophe du port de Beyrouth.

Pour répondre à votre question, la conférence sur la solution à deux États se tiendra, je l’espère, dans les prochaines semaines. Si nous avons dû la reporter pour des raisons logistiques et sécuritaires, la dynamique qui s’est enclenchée est, comme l’a dit le Président de la République, inarrêtable.

Monsieur Claude Malhuret, vous avez dit une chose très juste : la guerre au Proche-Orient dure depuis quatre-vingts ans et elle continuera de durer tant que le conflit entre les peuples israélien et palestinien ne se sera pas résolu. À l’heure où certains courants de pensée considèrent que ce conflit serait l’une des conséquences d’une autre menace, incarnée par le régime iranien, il est important de rappeler qu’il avait commencé avant la révolution islamique.

Si nous devons encadrer le programme nucléaire de l’Iran, ses activités balistiques et ses actions de déstabilisation, il est indispensable de trouver une solution politique durable au conflit israélo-palestinien.

Par ailleurs, vous estimez que les dictateurs veulent prendre leur revanche sur les défaites du XXe siècle et qu’ils ont déclenché contre les démocraties une guerre qui a changé de nature, à laquelle nous devons nous préparer. Je laisserai Sébastien Lecornu y revenir plus longuement, mais la revue nationale stratégique (RNS) qui sera prochainement annoncée définira la manière dont nous devons nous prémunir contre ces nouvelles menaces.

Au-delà de notre arsenal traditionnel, le Quai d’Orsay mobilise les marges de manœuvre dont nous disposons encore pour riposter contre les attaques visant à abîmer l’image de la France et la voix qu’elle entend porter dans le monde.