Sommaire

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Céline Brulin,

Mme Marie-Pierre Richer.

Mise au point au sujet d'un vote

Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

Question préalable

Discussion générale (suite)

proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai

Article unique

(À suivre)

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Céline Brulin,

Mme Marie-Pierre Richer.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Mise au point au sujet d'un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Delia.

M. Jean-Marc Delia. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 335 sur l'ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, ma collègue Laurence Muller-Bronn souhaitait s'abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue.

Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Article unique (début)

Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai, présentée par Mme Annick Billon, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 550, texte de la commission n° 777, rapport n° 776).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par une devinette. Parmi les trois actions suivantes, laquelle est la plus sévèrement punie ? Réponse A : insulter une femme dans la rue ; réponse B : conduire sans permis ; réponse C : vendre du pain un 1er mai.

La question peut prêter à sourire, mais la réponse a de quoi surprendre. L'acte le plus sanctionné est la vente de pain un 1er mai ! Un boulanger qui fait travailler ses salariés ce jour-là risque ainsi 750 euros d'amende par salarié, 1 500 euros s'il s'agit d'un apprenti.

Je vous livre deux exemples concrets.

Le 1er mai 2021, un boulanger parisien a reçu une amende de près de 80 000 euros pour avoir fait travailler vingt et un salariés, tous volontaires et payés double.

Le 1er mai 2024, cinq boulangers vendéens ont été inquiétés pour les mêmes raisons. Ils ont été contrôlés, verbalisés puis convoqués. Certains encouraient plusieurs milliers d'euros d'amende.

Alors que la conduite sans permis causerait plus de deux cents morts par an, entrer dans une boulangerie n'a, à ma connaissance, jamais tué personne. C'est incompréhensible !

C'est pour mettre fin à ces incohérences qu'avec le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, que je remercie pour sa réactivité et son engagement, nous avons déposé cette proposition de loi, cosignée par cent soixante sénatrices et sénateurs, dont trois présidents de groupe.

Cette mobilisation illustre l'urgence et la légitimité de ce texte.

Je précise que nous sommes profondément attachés à la journée du 1er mai, chômée depuis 1946. Elle incarne près de quatre-vingts ans d'histoire sociale. Il s'agit non pas de remettre en cause ce totem, mais simplement de donner une base légale (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.) à des pratiques professionnelles en vigueur depuis plus de quarante ans.

L'engagement du Gouvernement aura également été déterminant pour que nous puissions débattre aujourd'hui. Mesdames les ministres, vous avez engagé la procédure accélérée, déclarant souhaiter une inscription rapide de ce texte à l'Assemblée nationale. Je vous en suis reconnaissante.

Alors, mes chers collègues, qui peut faire travailler ses salariés le 1er mai ? Si la question est simple, la réponse l'est beaucoup moins.

Le code du travail mentionne les « établissements qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Cependant, la liste précise n'a jamais été fixée par décret. Pour un hôpital, c'est évident, mais pour une boulangerie, c'est plus compliqué.

Prenons un exemple. Pour une boulangerie qui livre un hôpital, une prison, un Ehpad, c'est autorisé ; mais pour les autres clients, c'est porte close.

Pour ouvrir, une boulangerie doit prouver, d'abord, que l'activité ne peut être interrompue et, ensuite, que les salariés présents sont absolument nécessaires. Autrement dit, même le petit-déjeuner du 1er mai devient une affaire d'État !

Pourtant, selon une position ministérielle ancienne, les employeurs autorisés à ouvrir le dimanche peuvent également bénéficier d'une dérogation le jour de la fête du travail. En 1986, un courrier de Mme Martine Aubry, alors directrice des relations du travail au ministère des affaires sociales et de l'emploi, confirmait cette autorisation. Depuis, la question ne faisait pas débat : l'ouverture était tolérée.

En 2006, un arrêt de la Cour de cassation a changé la donne. En cas de contrôle, chaque situation doit désormais être analysée au cas par cas. C'est donc à l'artisan de prendre le risque, puis au juge de trancher.

Dans la pratique, les professionnels, forts d'une tradition de plusieurs décennies, n'ont pas changé leurs habitudes. L'artisan ouvre sa boutique ; les employés sont payés double ; le client repart sa baguette sous le bras. Bref, tout le monde est content. Néanmoins, ce statu quo a été remis en cause par une vague de contrôles et de verbalisations en 2023, 2024 et 2025. Les boulangers ne sont pas les seuls concernés. Les fleuristes vivent le même casse-tête.

Imaginez la scène : le fleuriste, respectueux de la loi, ferme boutique, tandis qu'un vendeur de muguet à la sauvette s'installe. Le client n'y voit que du vert, mais le fleuriste, lui, voit rouge...

Les vendeurs de muguet sont censés être soumis à des règles strictes : vendre en brins, sans autre fleur, feuillage, ou emballage ; pas de tréteau ou de table, et surtout pas d'installation à proximité d'un fleuriste. Vous en conviendrez, ces règles ne sont pas respectées. Les fleuristes subissent ainsi une concurrence totalement déloyale.

La journée du 1er mai est pourtant essentielle pour tous ces artisans. C'est le quatrième jour de l'année pour les fleuristes en volume de ventes. Pour certains, elle représente jusqu'à 10 % de leur chiffre d'affaires annuel. Pour les 35 000 boulangeries qui ferment, cela représente entre 70 millions et 80 millions d'euros de manque à gagner. En Vendée, cette journée représente 25 % de chiffre d'affaires de plus qu'un jour férié classique. Pour les salariés aussi, les conséquences financières sont concrètes. Trois jours fériés de mai travaillés, ce sont 300 à 400 euros de plus sur une fiche de paie.

En 2025, vingt-deux boulangeries ont été verbalisées pour avoir vendu du pain à des clients, venus nombreux. Elles ont été sanctionnées pour avoir fait leur travail. Ce flou juridique est devenu un non-sens. Alors, aujourd'hui, ces professions ont besoin de clarté. Elles aspirent à travailler sans risquer une verbalisation, une amende.

Nous avons déposé ce texte le 25 avril 2025 dans l'urgence, avec le président Marseille, pour envoyer un signal fort aux professionnels à la veille du 1er mai. Notre rapporteur, Olivier Henno, a retravaillé le texte avec précision et application. Je l'en remercie.

La version initiale du texte s'appuyait sur le décret relatif aux dérogations au repos dominical. Plus de quarante catégories d'établissements étaient visées, ce qui ne permettait pas de sécuriser suffisamment le dispositif.

La réécriture proposée par le rapporteur permet de cibler uniquement les professions visées. Cette nouvelle rédaction insiste aussi sur le volontariat : pas d'obligation ; pas de contrainte ; pas d'automatisme. Tout salarié devra donner son accord préalable. Avec le président Hervé Marseille, nous vous présenterons un amendement tendant à renforcer cette garantie.

Ce texte doit prospérer avant le 1er mai 2026, madame la ministre (Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles approuve.), pour clarifier, sécuriser et encadrer l'autorisation d'ouverture de certains établissements. Il est temps de mettre fin à cette incertitude qui fragilise les professionnels.

Mes chers collègues, entre le pain interdit et le muguet clandestin, remettons un peu de bon sens dans la loi ! J'en profite pour remercier le président de l'interprofession française de l'horticulture, de la fleuristerie et du paysage (Valhor), qui assiste à nos débats en tribune. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Mmes Marta de Cidrac et Frédérique Puissat applaudissent.)

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, s'il convient de légiférer toujours « d'une main tremblante », la maxime de Montesquieu s'applique encore davantage à certains sujets. La symbolique et l'importance du 1er mai nous obligent à agir avec beaucoup de prudence. C'est bien cette ligne de conduite qui a été adoptée pour l'instruction de ce texte et son examen en commission des affaires sociales.

Permettez-moi de revenir d'abord sur cette date et sa portée. Je ne m'attarderai pas sur la longue histoire mouvementée de la fête du travail. Je rappellerai simplement que cette journée fut pendant longtemps le support de la lutte internationale en faveur de la journée de huit heures, ainsi qu'un jour de repos célébré localement au gré des municipalités. Elle s'est aussi chargée d'une forte dimension mémorielle après le drame du 1er mai 1891 à Fourmies, dans le département du Nord – un événement marquant pour le sénateur du Nord que je suis –, lors duquel la répression d'une manifestation fit neuf morts et trente blessés. Puis, après plusieurs tentatives de reconnaissance législative dans l'entre-deux-guerres et une appropriation par le régime de Vichy, c'est le Conseil national de la Résistance (CNR) qui la consacra définitivement comme jour férié et chômé, par les lois du 30 avril 1947 et du 29 avril 1948.

Depuis la IVe République, le 1er mai est donc un jour férié et chômé en vertu de la loi. Parmi les onze jours fériés reconnus, ce régime spécifique, directement inscrit dans le code du travail, fait figure d'exception.

Au principe d'interdiction d'occuper les salariés ce jour est assortie une dérogation applicable aux établissements « qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés occupés ont alors droit à une indemnité égale au salaire s'ajoutant à leur rémunération habituelle.

Depuis 1947, la liste des établissements pouvant employer des salariés ce jour-là n'a jamais été précisée par voie réglementaire. Il en résulte quelques controverses juridiques sur la portée exacte de la dérogation. Certains secteurs, comme les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage, semblent, de manière manifeste, ne pas pouvoir interrompre leur activité. Pour d'autres domaines, l'affaire est plus ardue.

Suivant une position ministérielle, une correspondance était établie avec la dérogation permanente de droit au repos dominical. Tous les employeurs admis à accorder le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche étaient également réputés pouvoir faire travailler leurs salariés le 1er mai. Cette assimilation présentait un intérêt pratique, dans la mesure où la liste des secteurs concernés par la dérogation au repos dominical est, elle, expressément fixée par décret.

Cette position fut réaffirmée, dans une lettre du 23 mai 1986, par Martine Aubry, alors directrice des relations du travail au ministère des affaires sociales et de l'emploi, dirigé par Philippe Séguin, également maire d'Épinal. Ce courrier est éclairant pour nos débats actuels : il y est précisé qu'en 1986 cette pratique administrative était déjà ancienne et que, selon le ministère, le boulanger ayant ouvert le 1er mai n'avait nullement commis de fait répréhensible.

La Cour de cassation, toutefois, a retenu une autre interprétation de la loi. Dans un arrêt de 2006, elle a ainsi jugé que les établissements admis à déroger au repos dominical n'avaient pas pour autant le droit, par principe, d'occuper des salariés le 1er mai. Elle a considéré qu'il appartenait à l'employeur de justifier que l'activité exercée ne permettait pas, en pratique, d'interrompre le travail. En vertu de cet arrêt, chaque situation devait donc être analysée au cas par cas.

Vous le constatez, l'état du droit en la matière ne relève pas d'un jardin à la française, ordonné et parfaitement délimité : la portée de la dérogation n'a jamais été précisément définie. Pourtant, dans la plupart de nos départements, les choses, en pratique, se réglaient facilement.

Dans certains secteurs d'activité – boulangeries-pâtisseries, fleuristes, jardineries, théâtres et cinémas –, l'ouverture des établissements et le travail des salariés le 1er mai ont toujours été considérés comme allant de soi. J'insiste aussi sur le fait que cette pratique n'a jamais soulevé de difficultés particulières au sein des entreprises, compte tenu du doublement de la rémunération ce jour-là.

Pour les fleuristes, en particulier, la fête du travail a toujours revêtu une importance majeure, puisque l'affluence du public dans les magasins et le chiffre d'affaires réalisé ce jour sont parmi les plus importants de l'année en raison de la vente du muguet. Cette situation a cependant été remise en cause très récemment par des contrôles et des verbalisations dressées par certains services de l'inspection du travail.

Ces verbalisations ont été très localisées. Selon les informations portées à ma connaissance par les fédérations d'employeurs, quelques jardineries indépendantes, des fleuristes et des boulangeries-pâtisseries ont été verbalisés en 2023 et 2024 en Charente, à Lyon ou à Paris. En particulier, cinq boulangers ont été verbalisés en Vendée pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024.

Le phénomène a beau être marginal, les conséquences n'en sont pas moins importantes pour les employeurs mis en cause. Ces derniers risquent une amende de quatrième classe, soit 750 euros par salarié employé. Ce risque financier encouru n'est pas négligeable pour ces commerces, qui sont souvent de très petites entreprises (TPE). Une majorité de boulangeries ont donc décidé de rester fermées le 1er mai 2025 et cette situation a fait naître, dans la profession, un sentiment d'incompréhension.

Les détracteurs de ce texte de loi ne manqueront pas de se saisir de ces verbalisations pour objecter que le travail ce jour-là dans les boulangeries était une pratique contra legem et que, dès lors, légiférer sur ce point serait donner une prime aux contrevenants et faire preuve de laxisme. Ce raisonnement est spécieux et repose sur un raccourci juridique. Les cinq employeurs mis en cause en Vendée ont par exemple démontré au juge que la nature de leur activité ne permettait pas d'interrompre le travail. Le tribunal de police leur a donné raison, et ils ont finalement été relaxés par un jugement du 25 avril 2025.

C'est bien là que se révèle la faiblesse du droit existant. La marge d'interprétation de la loi laisse la place à des contrôles et à des poursuites pénales. Ensuite, la charge de la preuve incombe aux employeurs, qui doivent justifier de la légalité de leur situation dans les circonstances de l'espèce. Ce régime comporte une trop grande incertitude juridique, qu'il convient de lever.

La prudence, dont je parlais au préalable, demande de légiférer en dernier ressort. Tel est bien le cas sur ce sujet. La jurisprudence ne saurait mettre fin à l'insécurité juridique qui demeure pour les employeurs. La négociation collective non plus, puisque l'interdiction d'employer des salariés le 1er mai est d'ordre public. De même, l'indépendance des inspecteurs du travail, qu'il convient de respecter, ne laisse pas de marge de manœuvre à une instruction ministérielle. Pour en avoir discuté avec Mme la ministre, je puis vous assurer que les choses sont claires et limpides.

Le législateur doit donc se saisir de cet enjeu, et je remercie notre collègue Annick Billon et le président Hervé Marseille d'avoir déposé cette proposition de loi. La commission l'a adoptée – j'en profite pour remercier aussi le président Philippe Mouiller –, en souhaitant toutefois repréciser le périmètre des secteurs concernés.

Dans sa version initiale, le texte associait les établissements couverts par cette exception au chômage du 1er mai à ceux bénéficiant d'une dérogation au repos dominical en raison des « contraintes de la production, de l'activité ou des besoins du public ». Cette rédaction avait l'avantage de renvoyer à un décret déjà existant, pris en Conseil d'État.

Cependant, la liste prévue par ce décret comprend de très nombreux domaines d'activité et tend à s'allonger régulièrement. En outre, si le 1er mai n'est pas un jour férié comme un autre, son régime ne saurait, à plus forte raison, être assimilé à celui du dimanche.

La commission a donc renvoyé à un nouveau décret la liste des secteurs qui bénéficieraient d'une dérogation de principe à l'interdiction d'occuper des salariés ce jour. Le décret serait encadré par des critères légaux précis et comprendrait les entreprises qui, traditionnellement, ouvrent ce jour, et dont l'activité justifie la dérogation : les commerces de bouche de proximité, dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, qui permettent la continuité de la vie sociale ; les commerces de fleurs, qui, par la vente du muguet, sont liés à un usage traditionnel du 1er mai ; enfin, les établissements du secteur culturel, cinémas et théâtres notamment, dont l'activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.

Nous n'avons pas souhaité inclure dans cette dérogation les grandes surfaces et je vous proposerai un nouvel amendement visant à éviter tout risque d'élargir le décret en ce sens.

Enfin, la commission a également prévu que l'activité des salariés ne serait possible que sous réserve de leur volontariat. Cette précision est essentielle pour ne pas porter une atteinte disproportionnée à cette date symbolique. Le texte maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation, afin de tenir compte de la spécificité de certains secteurs, tels que les hôpitaux, pour lesquels la condition de volontariat ne paraît pas souhaitable.

L'intention des auteurs de cette proposition de loi est non pas de banaliser le 1er mai, mais bien de garantir que la pratique traditionnelle de ce jour soit maintenue. Il s'agit d'un texte de clarification du droit et non pas de renversement de principe. Je vous invite donc à adopter la proposition de loi dans sa version issue de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame l'auteure de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de nous poser une question à la fois simple et essentielle : comment faire vivre les principes de notre droit du travail sans ignorer les réalités du terrain et les besoins de nos concitoyens ?

Mme Corinne Féret. En oubliant les luttes des salariés !

Mme Catherine Vautrin, ministre. C'est, au fond, tout l'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. (Mme Corinne Féret et M. Pascal Savoldelli s'exclament.)

Nous parlons ici d'une journée très particulière de notre calendrier national : le 1er mai, jour de la fête du travail, journée des droits des travailleurs. Un jour porteur d'un héritage social fort, qui est le seul jour férié à la fois chômé et payé dans notre droit du travail.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Cette reconnaissance n'a rien d'un hasard. Elle est l'aboutissement de décennies de luttes ouvrières, en France comme à l'étranger. Depuis la Libération, le 1er mai est officiellement un jour chômé et payé. C'est incontestablement un acquis et un symbole.

La proposition de loi ne remet nullement en cause le statut et la tradition de la fête du travail, qui restera fériée et chômée pour la grande majorité des salariés. Il ne s'agit ni d'en banaliser la portée ni d'en faire un jour comme un autre. (Mme Corinne Féret ironise.)

Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, la force d'une loi ne réside pas seulement dans ce qu'elle affirme. Elle réside, aussi, dans le fait d'énoncer une règle claire, lisible et applicable sur tout le territoire. L'exemple de la vente du muguet cité par Mme Billon est particulièrement parlant à cet égard.

Mme Corinne Féret. La loi est claire, il faut la respecter !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Aujourd'hui, dans certains secteurs, notamment les boulangeries et les fleuristes, des établissements ouvrent, des salariés souhaitent travailler – j'y insiste ! – et des clients attendent ces services essentiels. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Nous l'avons vu ces derniers mois, les règles relatives à ce jour férié sont source de confusion.

Le code du travail prévoit bien certaines dérogations au principe du repos dominical et des jours fériés, dans l'intérêt du public ou pour assurer la continuité de l'activité, mais il reste beaucoup trop imprécis concernant le 1er mai. On s'en rend compte à la lecture de la lettre de Martine Aubry, à l'époque directrice des relations du travail, en 1986, ainsi que de l'arrêt de la Cour de cassation de 2006, que les deux orateurs précédents ont évoqués.

Résultat, ces dernières années : des sanctions, des procès-verbaux, une insécurité juridique,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quand on ne respecte pas la loi…

Mme Catherine Vautrin, ministre. … avec des appréciations hétérogènes selon les territoires et des commerçants parfois pénalisés, alors même qu'ils agissaient de bonne foi. Et je tiens à souligner la bonne foi de l'ensemble de ces professionnels.

Avec la ministre Astrid Panosyan-Bouvet, nous avons clairement dit que la loi devait évoluer. Nous devons apporter notre soutien aux artisans de proximité, ces professionnels qui, chaque jour, assurent un service essentiel dans nos territoires, en zone urbaine comme dans les territoires ruraux, parfois dans l'ombre, toujours avec passion.

Le jugement rendu par le tribunal de police de La Roche-sur-Yon, le 25 avril 2025, qui a prononcé la relaxe de cinq boulangeries vendéennes poursuivies pour avoir ouvert le 1er mai, montre bien l'impasse actuelle. Il reconnaît la bonne foi des professionnels concernés, mais il ne suffit pas à sécuriser juridiquement l'ensemble des salariés et des employeurs. Il revient au législateur d'apporter la clarté attendue.

Tel est l'objectif de la proposition de loi déposée par le président Hervé Marseille, la sénatrice Annick Billon et les membres du groupe Union Centriste. Elle ne crée pas un droit nouveau ; elle ne remet pas en cause l'existant. (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.) Elle vient combler une faille juridique, mettre fin à une insécurité qui pénalise aujourd'hui des commerçants, des salariés, des territoires, ainsi que certains de nos concitoyens. Elle vient sécuriser les employeurs, comme les travailleurs.

Soyons clairs, nous ne voulons pas banaliser une journée qui reste et restera emblématique du dialogue social. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi.

Mme Monique Lubin. Ben tiens !

Mme Catherine Vautrin, ministre. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité engager la procédure accélérée. Ce texte permettra à certains établissements d'employer le 1er mai des salariés volontaires – encore une fois, j'y insiste –…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Le volontariat, parlons-en !

Mme Catherine Vautrin, ministre. … dans un cadre strictement défini et avec une rémunération doublée, comme le prévoit le droit commun. Oui, madame la sénatrice, il y a des salariés qui sont demandeurs de cette approche ! Nous leur apportons une réponse concrète avec ce texte. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il vaudrait mieux augmenter le Smic !

Mme la présidente. Mes chers collègues, écoutons Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Je salue à ce titre le travail de la commission et du rapporteur, qui a permis de resserrer le texte pour borner très précisément les activités concernées. Je veux ici les rappeler avec précision, pour lever toute ambiguïté.

Certains établissements et services pourront continuer à se prévaloir du cadre existant, puisqu'ils ne peuvent évidemment pas interrompre leur activité : secours et sécurité, établissements sanitaires et médico-sociaux, transports, maintenance, industries de l'énergie ou utilisant des fours, agriculture, gens de la mer, hôtellerie.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils travaillent déjà le 1er mai !

Mme Catherine Vautrin, ministre. En plus de ces activités essentielles, seules quatre catégories d'établissements pourront bénéficier de cette dérogation leur permettant d'ouvrir le 1er mai avec des salariés volontaires : les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ; les établissements dont l'activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail ; les établissements répondant à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai ; enfin, les établissements exerçant une activité culturelle.

Ce périmètre a été pensé avec rigueur et avec le souci de préserver l'exception de la fête du travail.

La mise en œuvre de ces dispositions nécessitera un décret en Conseil d'État, que nous sommes en train de rédiger, en parallèle du processus législatif.

Mme Raymonde Poncet Monge. Bien sûr, il n'y a rien de plus urgent !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Je tiens à être très claire : ce décret sera fidèle à l'intention du législateur. Il ne visera pas d'autres établissements que ceux que je viens de mentionner. Les établissements assurant la fabrication ou la vente de produits alimentaires comprendront les cafés, les restaurants, les boulangeries, les traiteurs, les primeurs et autres commerces de bouche. Les établissements répondant à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai incluront l'activité de vente de fleurs naturelles. Les établissements exerçant une activité culturelle comprendront les cinémas, les musées, les centres culturels et autres lieux de spectacle.

Le Gouvernement ne souhaite pas inclure la grande distribution, qui ne relève ni de la logique de proximité ni d'un usage traditionnel lié au 1er mai. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Grâce à cette proposition de loi, si elle est votée, il n'incombera plus aux employeurs de démontrer qu'ils ne peuvent interrompre le travail ce jour-là en raison de la nature de leur activité. Il leur suffira de figurer sur la liste des établissements et activités mentionnés dans le décret.

Pour conclure, je veux réaffirmer un principe fondamental : cette proposition de loi ne porte en rien atteinte aux droits des travailleurs. Les salariés seront amenés à travailler sur la seule base du volontariat et ils bénéficieront d'une rémunération doublée, conformément à l'article L. 3133-6 du code du travail.

Il s'agit d'un texte d'équilibre, qui articule liberté d'entreprendre, liberté de travailler, respect des traditions locales et protection des droits sociaux.

Mme Silvana Silvani. C'est grotesque !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est utile, équilibrée et attendue. Elle clarifie, elle encadre, elle protège, en apportant des réponses concrètes aux professionnels et à leurs salariés. Ce texte ne fait pas l'économie de notre histoire sociale,...

Mme Monique Lubin. Non, il crache dessus !

Mme Catherine Vautrin, ministre. ... il en est une déclinaison contemporaine et respectueuse. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani, Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 18.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai (n° 777, 2024-2025).

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 1er mai est la fête des travailleurs et non, comme certains à l'extrême droite le prétendent, la fête du travail.

Depuis 1890, la classe ouvrière définit le 1er mai comme une journée d'auto-reconnaissance en tant que classe sociale. Cette journée est l'occasion de rendre visible, sur les scènes locale, nationale et même internationale, la présence massive de ceux qui travaillent et de leurs familles.

Le 1er mai est une fête ouvrière et populaire qui sert de catalyseur, mais aussi de baromètre des mouvements sociaux comme de la conjoncture politique. En France, le 1er mai ne se résume pas à des défilés de cortèges dans les villes ; c'est également l'occasion de rassemblements, de meetings et de moments populaires où l'on chante Le Temps des cerises et où l'on danse dans les bals de village.

Dans le sillage des ouvriers de Chicago, qui avaient manifesté le 1er mai 1886 en faveur de la journée de huit heures, et du 1er mai 1891 à Fourmies, où la répression de la manifestation avait fait neuf morts, dont deux enfants, et plus de trente blessés, cette journée a été inscrite dans l'histoire du mouvement social.

C'est bien cette histoire que le groupe centriste veut rayer d'un trait par cette proposition de loi. Le 13 novembre 2024, le président du groupe Les Républicains du Sénat avait déclaré aux journalistes de Public Sénat que la suppression d'un jour férié était « quelque chose qui pourrait être voté ».

Si le choix du jour férié en question s'est porté sur le 1er mai, c'est parce que c'est le seul qui, de par la loi, est obligatoirement chômé. L'idée que des salariés puissent percevoir une rémunération sans travailler est insupportable pour la majorité sénatoriale comme pour les soutiens du Gouvernement. Si au moins c'était une journée religieuse, ou servant à commémorer une guerre capitaliste…

Au prétexte que cinq boulangeries ont été verbalisées, nous devrions changer le droit qui organise les usages depuis 1947 ! Alors même que ces cinq boulangeries ont toutes été relaxées, le Gouvernement a estimé nécessaire de déclencher l'urgence sur ce texte qui étend les dérogations au jour chômé du 1er mai.

En effet, il importe de rappeler qu'il existe déjà des dérogations au 1er mai, puisque les employeurs qui ne peuvent pas interrompre le travail sont autorisés à poursuivre leur activité ce jour-là. Selon la direction générale du travail, les transports publics, les hôpitaux, les hôtels et les services de gardiennage remplissent naturellement cette condition, de même, d'ailleurs, que certaines industries. Certains ont voulu s'insérer dans la brèche en arguant qu'un restaurant ne pouvait s'arrêter de fonctionner, tout comme les cafés, ce qui est déjà contestable.

Depuis des années, bénéficiant de cette dérogation, les employeurs qui ne pouvaient arrêter de fonctionner ouvraient leur établissement le dimanche. Lorsque la Cour de cassation a exigé des boulangers de démontrer l'impossibilité pour eux d'arrêter de travailler, les premières plaintes sont apparues, lors de la campagne présidentielle de 2007. La tolérance ministérielle a été contredite par la plus haute juridiction de droit civil.

Aujourd'hui, les entreprises exigent donc que soient légalisées leurs pratiques illégales. Cette manière de faire est d'autant plus insupportable que ce texte fait partie d'un ensemble de remises en cause du droit social que mène le Sénat depuis plusieurs années. La guerre idéologique consiste à affaiblir toutes les victoires syndicales de notre pays, qui constituent notre pacte social.

Depuis un an, c'est un festival de la part du groupe centriste : remise en cause du droit de grève dans les transports, création d'une journée de travail gratuite et, aujourd'hui, dérogation au seul jour férié et chômé de l'année !

Au nom de la correction d'une prétendue insécurité juridique, cette proposition de loi était censée permettre aux boulangers et aux fleuristes d'ouvrir le 1er mai. Pourtant, le périmètre retenu dans sa rédaction initiale dépassait largement ce cadre puisque toutes les entreprises autorisées à ouvrir le dimanche, comme les magasins d'ameublement, les supermarchés ou les casinos, auraient été autorisées à faire travailler leurs salariés le 1er mai.

En réalité, derrière le débat sur l'autorisation de faire travailler les salariés le 1er mai se révèle un désaccord, entre nous, sur la vision que l'on se fait de notre société et du droit au repos.

Les modernes seraient ceux qui souhaitent travailler 365 jours par an pour consommer en tout temps et en tout lieu. Pour notre part, nous considérons que les moments sans consommation deviennent déjà trop rares et qu'il faut protéger des temps démarchandisés.

Certains répètent à l'envi que notre société se délite du fait d'un repli sur les individus, au détriment du collectif ; pourtant, en autorisant des dérogations au chômage du 1er mai, vous remettez en cause une journée de repos et de partage en famille et entre amis.

En commission, le texte a été modifié, sur l'initiative du rapporteur, de manière à limiter le bénéfice des dérogations supplémentaires aux commerces de bouche de proximité, aux fleuristes et jardineries, aux cinémas et aux théâtres.

Le rapporteur ne nous a pas fourni d'évaluation du nombre de salariés potentiellement concernés, mais, si l'on cumule les secteurs de l'agroalimentaire et des commerces de détail alimentaire, les boulangers, les fleuristes et les activités culturelles, nous arrivons à près de 1,5 million de salariés affectés par ce texte. (Protestations sur les travées du groupe UC.)

Vous avez beau jeu de nous répondre que les salariés devront être volontaires pour travailler le 1er mai ! Vous avez eu l'air surpris de découvrir, en commission, le principe du lien de subordination. Il s'agit, je le rappelle, de ce rapport particulier qui fait que, lorsqu'un patron demande à un salarié s'il veut venir travailler le 1er mai, celui-ci acceptera par crainte de répercussions négatives. Le volontariat n'existe pas pour les salariés !

On avait prétendu sécuriser de la même manière l'instauration du travail dominical. Eh bien, dix ans après le vote de la loi Macron, le volontariat des salariés qui travaillent le dimanche n'existe pas. Je ne vois pas trace non plus des taxis censés être payés par les employeurs pour ramener chez eux ces salariés ! Même la majoration de salaire de droit le dimanche, qui devait être de 50 %, est descendue à 30 %, voire à 20 %, selon les conventions collectives.

Le travail dominical était censé permettre à la fois aux étudiants de payer leurs études et aux entreprises de gagner plus d'argent. Selon une étude publiée par l'Insee en 2023, intitulée Qui travaillera dimanche ? Les gagnants et les perdants de la déréglementation du travail dominical, le résultat est sans appel : l'ouverture dominicale ne s'est accompagnée d'aucune hausse des effectifs ni du chiffre d'affaires.

Aujourd'hui, vous reprenez le même argument de la rémunération doublée pour justifier l'ouverture du travail le 1er mai. Pourtant, nous avons la démonstration qu'il n'existe pas d'argent magique, qu'il s'agisse du dimanche ou du 1er mai. Nos concitoyens ne consomment pas davantage le dimanche ou le 1er mai parce que les magasins ouvrent leurs portes, puisque les entreprises refusent d'augmenter les salaires !

L'augmentation des salaires, voilà un sujet qui aurait mérité que le Gouvernement dépose un projet de loi et engage la procédure accélérée ! L'augmentation du Smic et l'indexation des salaires sur l'inflation – nous avions proposé ces mesures en février dernier – permettraient d'augmenter le pouvoir d'achat et de dynamiser l'économie.

Mais vous préférez vous attaquer à une journée hautement symbolique dans notre pays. Le 1er mai chômé est une conquête des luttes sociales, acquise en 1947 dans notre pays. Après les dérogations au repos dominical, après le recul de l'âge de départ à la retraite, après la journée de solidarité, voici que les 35 heures et le 1er mai sont les nouveaux acquis sociaux remis en cause par les groupes Union Centriste, RDPI, Les Indépendants et Les Républicains du Sénat : les mêmes qui vantent depuis des mois le dialogue social au motif de l'organisation du conclave sur les retraites s'attaquent aujourd'hui ouvertement aux organisations syndicales.

Avec l'extension des dérogations, vous détricotez petit à petit le principe du 1er mai chômé, de manière à justifier demain sa remise en cause totale.

Votre objectif final, évidemment non revendiqué, est de voler un jour de congé aux salariés, car vous jugez qu'ils ne travaillent pas suffisamment. Cette vieille rengaine du patronat semble trouver un grand d'écho du côté droit de l'hémicycle !

Je voudrais pourtant rappeler les données de l'OCDE de 2022, selon lesquelles la France se classe sixième en Europe en matière de productivité. Pour nous, l'enjeu n'est pas de travailler plus ; c'est de travailler tous, et dans de bonnes conditions, pour ne pas finir cassés à la retraite.

Cette proposition de loi, inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de la session extraordinaire de juillet, est une bombe à fragmentation de la société. La prudence et la proportionnalité, si chères aux rapporteurs, auraient dû inciter à l'abstinence, mais vous semblez prêts à affronter une nouvelle colère sociale.

Vous pouvez compter sur le groupe communiste républicain citoyen et écologiste – Kanaky pour ne pas céder d'un pouce quand on s'attaque à des acquis sociaux obtenus dans le sang et les larmes. Clara Zetkin voyait dans le 1er mai « l'unique vrai jour de fête du prolétariat exploité et militant, un jour de fête librement voulu et résolu, en antagonisme avec les jours de fête religieux ou laïcs octroyés aux esclaves de l'usine, de la mine et des champs, par la volonté des exploiteurs et des gouvernants. […] Le 1er mai est une fête de l'avenir, une fête révolutionnaire. »

Nous sommes profondément attachés à cette dimension du 1er mai et, comme l'ensemble des organisations syndicales, nous refusons ce texte.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous vous appelons, solennellement, à voter notre motion et à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l'avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Il est évidemment défavorable.

Notre volonté n'est pas d'empêcher quiconque de chanter Le Temps des cerises ou d'écouter Jean Ferrat. (Sourires sur les travées du groupe UC.) Nous voulons que le débat ait lieu, afin de démontrer que cette proposition de loi d'Annick Billon et Hervé Marseille est connectée à la vie réelle,…

M. Pascal Savoldelli. On va en parler, de la vie réelle !

M. Olivier Henno, rapporteur. … qu'elle sécurise les employeurs comme les salariés…

M. Pascal Savoldelli. Des salariés, il n'y en a pas beaucoup dans vos rangs !

M. Olivier Henno, rapporteur. … et qu'elle vise simplement à revenir à la situation antérieure aux récentes décisions de justice.

Mes chers collègues, les TPE qui emploient des salariés ne sont pas des esclavagistes ! Le travail n'est pas l'enfer et le lien de subordination n'a pas forcément une dimension maléfique.

Il sera donc intéressant, sur ces bases, d'avoir ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Comme vous pouvez l'imaginer, le Gouvernement est particulièrement défavorable à cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Faire travailler le 1er mai, c'est porter atteinte à la spécificité d'un jour symbolique, façonné par une histoire longue et internationale, dont la portée émancipatrice a traversé les XIXe et XXe siècles.

Le législateur a pour mission non de satisfaire des intérêts économiques particuliers, mais de protéger un temps commun qui, depuis les grèves pour la journée de huit heures – huit heures de loisir ! – jusqu'à sa consécration légale en 1947, rappelle que ce temps libre de toute subordination pour les travailleurs et travailleuses est, dans nos aspirations comme dans les faits, un temps d'émancipation.

Faire travailler le 1er mai au-delà des activités qui ne peuvent être arrêtées, c'est nier l'aspiration qui est à son origine, celle de la réduction du temps de travail, de la libération d'un temps pour l'épanouissement personnel et familial du salarié, d'un temps qui permette de faire ensemble société, faire ensemble classe, dans la majorité des pays.

À Fourmies, en 1891, à la veille de la journée qui vit l'armée ouvrir le feu sur les manifestants, le patronat avait fait placarder une affiche affirmant que « l'on travaillerait le 1er mai comme tous les autres jours ». La volonté patronale de faire travailler le 1er mai n'est donc pas nouvelle !

Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est dangereux, car il ouvre une brèche. En cédant à certains établissements, alors que la population sait très bien se passer de leurs services les jours de leur fermeture, on s'expose à une stratégie du pied dans la porte. Le champ de dérogation sera demain élargi.

Faire travailler le 1er mai crée aussi une inégalité entre, d'une part, celles et ceux qui seront, à terme, contraints de travailler – le volontariat étant voué à devenir un leurre – alors que la plupart des services sont fermés et, d'autre part, celles et ceux qui auront la possibilité de se reposer et de participer aux temps sociaux, dont les temps de manifestation.

Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront donc pour cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Voici venu le temps des propositions de loi réactionnelles, pour ne pas dire réactionnaires… Réactionnelles, dis-je, car il suffit que quelques boulangers – cinq pour être exact – n'ayant pas, je le précise, respecté la loi se voient opposer l'obligation de la respecter pour que l'on décide soudainement que, décidément, cette loi ne convient pas et qu'il faut la changer.

Or quel changement propose-t-on ? On voudrait permettre de travailler le 1er mai à un certain nombre d'artisans et de commerçants, lesquels demanderont bien évidemment à leurs salariés de travailler ce jour-là.

Il va tout de même falloir nous expliquer – je ne doute pas de la qualité de la démonstration qui nous sera offerte – pourquoi l'on ne pourrait pas se passer, le 1er mai, d'aller dans une charcuterie acheter un pâté tout juste sorti du four, ou dans une boulangerie où l'artisan ne sera pas le seul à travailler : il aura mobilisé une horde de salariés – l'un des boulangers condamnés, puis relaxés, en avait vingt et un – pour préparer tartes, viennoiseries et salades, tout ce qui se vend aujourd'hui dans les grandes boulangeries. De tout cela, à vous entendre, on ne pourrait absolument pas se passer !

De surcroît, vous osez – la socialiste que je suis a bien compris la manœuvre ! – vous prévaloir de la caution de Martine Aubry ! Mais celle-ci, qui n'était, à l'époque à laquelle vous nous renvoyez, que directrice des relations du travail, a simplement voulu – sous l'autorité de son ministre de tutelle, j'imagine – faire en sorte que les services qui ne peuvent et ne doivent pas être arrêtés, notamment les services de soins, puissent continuer de fonctionner.

Mme la présidente. Merci de conclure, ma chère collègue !

Mme Monique Lubin. J'aurai l'occasion de m'exprimer de nouveau sur ce sujet au fil du débat. Pour l'heure, sachez que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront bien évidemment pour la motion de nos collègues du groupe CRCE-K. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Il est tout à fait nécessaire de clarifier dans la loi la possibilité offerte aux volontaires de certaines professions, comme les fleuristes et les boulangers, de travailler le 1er mai. Il convient aussi, à l'évidence, de préciser les conditions dans lesquelles ce volontariat s'exercera ; tel est l'objet d'un amendement qui sera présenté.

Cette proposition de loi ne remet pas en cause le 1er mai, fête des travailleurs et du mouvement social, en tant que journée fériée et chômée. Mais il serait quand même difficile d'expliquer aux travailleurs volontaires – ce volontariat, je le répète, doit être bien encadré – qu'ils peuvent être sanctionnés pour ce travail. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Il y avait une tolérance en en la matière, mais la multiplication des contrôles et des sanctions impose de clarifier en droit la nature des établissements de commerce exemptés de cette obligation de chômer ; nous devons donc légiférer.

Je suis par conséquent favorable à la proposition de loi de notre collègue Annick Billon, que j'ai cosignée, car elle clarifie la situation et protège les professionnels et les salariés. Je ne voterai donc pas cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera évidemment contre cette motion, que ses auteurs justifient, je dois le dire, par des arguments assez caricaturaux, pour ne pas dire complètement erronés.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quels arguments sont erronés ?

Mme Annick Billon. Le président Hervé Marseille et moi-même, auteurs de cette proposition de loi, sommes attachés au 1er mai chômé et férié. Je le répète, car nous avons été attaqués sur ce point de manière assez incisive. Nous n'ouvrons pas une brèche ; nous sécurisons certaines situations.

Mes chers collègues, quarante ans durant – plus ou moins, en fonction de votre âge –, vous avez acheté du muguet le 1er mai, vous avez acheté du pain le 1er mai,…

Mme Annick Billon. … sans que cela vous pose aucun problème. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Oui, mes chers collègues, je le rappelle, Martine Aubry a sécurisé la situation en 1986 et, depuis lors, pas un seul député ou sénateur, qu'il siège à droite ou à gauche, n'est venu remettre en cause cet équilibre. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Cette proposition de loi a donc pour seul objet de préciser le droit et de sécuriser ces situations.

Mme Cécile Cukierman. Elle n'est pas pour les artisans, votre proposition de loi, elle sécurise juste les profits des grands groupes ! Il faut assumer !

Mme Annick Billon. Mes chers collègues, à l'évidence, nous ne partageons pas votre vision du travail tirée de Germinal ! C'est pourquoi nous voterons contre votre motion. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous prie de respecter l'expression de chacun des orateurs.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Beaucoup de commentateurs s'escriment à expliquer qu'il n'y aurait plus de gauche, plus de confrontation gauche-droite. Franchement, notre débat illustre bien combien cela est faux.

Il me donne aussi l'occasion, madame la ministre, de rappeler – cela permettra de clarifier les choses – les propos que vous avez tenus en janvier dernier : vous mettiez au débat l'idée de sept heures de travail supplémentaires non rémunérées pour les salariés. C'est bien vrai, madame la ministre ? « C'est une piste qui est sur la table », ajoutait votre collègue chargée des comptes publics. Là est la vérité, le sens réel de cette proposition de loi.

Un autre élément justifie le dépôt de cette motion : le débat s'est déjà tenu, mes chers collègues. Le 20 novembre 2024, les groupes Les Républicains et Union Centriste défendaient un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) inspiré du dispositif de la « journée de solidarité ». C'est cela même qui se retrouve dans cette proposition de loi !

Le sujet n'est donc nullement les boulangeries ou les traiteurs, ni ce que l'on peut acheter ou non le 1er mai. Nous débattons de tout autre chose ! Il me semble d'ailleurs que Mme la ministre l'a tout à fait assumé à la tribune tout à l'heure. Elle a de la cohérence politique, je ne le lui reproche pas : ce qu'elle a annoncé en janvier, elle l'a bien soumis au débat.

Mais je veux inviter à deux réflexions nos collègues de droite et Mme la ministre avant de conclure mon propos.

Premièrement, rappelez-vous la prudence du Premier ministre de l'automne dernier, Michel Barnier, qui est loin d'être un homme de gauche : « Attention, disait-il, on ne peut pas prendre une telle décision sans l'accord des organisations syndicales. » Vous pouvez le vérifier. Eh bien, toutes les organisations syndicales sont opposées à ce texte ; c'est bien pourquoi nous appelons par cette motion à le rejeter.

Deuxièmement, rappelez-vous ce qui s'est passé cette année pour le budget de la sécurité sociale ; je m'en souviens très bien, et ceux de mes collègues qui siègent à la commission des affaires sociales mieux encore. Les amendements visant prétendument à financer l'autonomie par du travail supplémentaire non rémunéré ont été soutenus par les députés du Front national. Cela aussi, vous pouvez le vérifier ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir sur plusieurs points.

Mme la sénatrice Apourceau-Poly, en présentant cette motion, nous a parlé du Temps des cerises et des bals populaires, mais elle a oublié le pain. Pourtant, s'il y a une tradition française qui est toujours mise en avant, c'est bien celle-ci ! Il y a toujours eu, parmi nos concitoyens, des gens qui vont acheter du pain tous les jours. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. On peut l'acheter le 30 avril au soir, le pain !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Le problème que nous avons aujourd'hui, c'est que, alors que cela n'a pas posé la moindre difficulté pendant des années (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), le fondement légal manque désormais de sécurité, la loi n'est pas claire. C'est pour y répondre que cette proposition de loi a été déposée.

Monsieur Savoldelli, par votre interpellation, vous essayez de nous amener sur un tout autre terrain, à savoir celui de la journée de solidarité instituée après la canicule de 2003, quand notre pays devait s'équiper pour faire face au phénomène du vieillissement. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Une question a bien été posée lors de l'examen du PLFSS pour 2025 : celle de l'instauration d'une deuxième journée de solidarité ; cette idée n'a d'ailleurs pas prospéré dans ce cadre. Mais ce n'est pas du tout ce dont il est question aujourd'hui !

La meilleure preuve en est que cette proposition de loi est extrêmement précise quant aux professions qui pourraient bénéficier de la dérogation ouverte. Il s'agit bien d'un dispositif exceptionnel, avec une journée de travail payée double, alors que la proposition à laquelle vous faites référence consistait, à l'inverse, à demander aux gens de travailler une journée de plus sans être rémunérés. Il s'agit d'une logique absolument différente ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Vous suscitez là une grande confusion en évoquant des idées qui n'ont rien à voir avec la proposition de loi de Mme Billon, dont M. le rapporteur nous a exposé le dispositif tout à l'heure.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 18, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Union Centriste et, l'autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 337 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 101
Contre 225

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner en préambule que cette proposition de loi suscite des interrogations profondes quant à la manière dont nous nous penchons sur la problématique du travail. Là est bien le sujet, car on ne peut pas dénouer le 1er mai de la question du travail et des travailleurs.

Était-il si urgent de discuter ensemble d'une question qui traverse la société tout entière ? Était-ce le bon véhicule ?

Certes, ce débat n'est pas sans légitimité. Je comprends les revendications exprimées par certains commerçants de proximité – boulangers, fleuristes, primeurs – confrontés à des injonctions contradictoires. D'un côté, une tradition commerciale les incite à ouvrir le 1er mai ; de l'autre, ils subissent une insécurité juridique face aux sanctions qu'on leur inflige parfois, et ce alors même que de grandes enseignes ouvrent leurs portes le 1er mai sans que l'État assure réellement le respect de la loi.

La demande des professionnels, c'est qu'il y ait une stricte égalité de traitement entre les commerces et entre les territoires, qu'il n'y ait pas de régime factuel d'exemption, hors de la loi. Ils identifient une demande de consommation sur la journée du 1er mai, donc une perte de chiffre d'affaires potentiel. Cette éventuelle perte ne doit pas peser sur les seuls volontaristes qui, sans contrôle, respectent la loi.

Malgré la prégnance de l'enjeu, il me semble que cette proposition de loi divise outre mesure, alors qu'il nous faudrait au contraire trouver ici de la concorde.

Ce que vous sous-entendez, mes chers collègues, c'est que le 1er mai serait caduc. Les valeurs qui sont au cœur de cette fête ne seraient plus d'actualité.

Pourtant, il y a des dates dans notre calendrier républicain qui relèvent non pas simplement de l'organisation du travail, mais de la mémoire collective. Le 1er mai en fait partie. C'est cette mémoire sociale que la République a sanctuarisée en 1947, en faisant de cette date le seul jour férié obligatoirement chômé et payé.

C'est bien ce socle symbolique que ce texte, même amendé, vient fragiliser. En instaurant un régime de dérogation pour certaines activités commerciales, il modifie ce qui, jusqu'ici, faisait l'unité du 1er mai, donc l'unité du corps social des salariés.

Certes, la proposition est encadrée : les secteurs concernés sont restreints, le volontariat est exigé, une majoration salariale est prévue. Mais l'histoire du droit du travail nous a appris que les dérogations finissaient souvent par devenir la norme. Le travail dominical, auquel j'étais d'ailleurs opposé en tant qu'employeur – je dirigeais quelques magasins –, en est l'exemple le plus évident.

Ce risque s'accentue à une époque de net recul du syndicalisme. Cette réalité affaiblit le dialogue social, réduit la capacité de négociation des salariés et rend plus fragile encore l'effectivité du volontariat, notamment dans les petites structures.

Pour conclure, je reconnais la valeur du travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M. Olivier Henno, qui a exclu une assimilation au régime du dimanche.

Franchement, je ne suis pas arc-bouté contre ce texte, et je ne veux pas esquiver cette question, mais un véritable débat national doit être ouvert, comme sur tant d'autres sujets : la dégradation des conditions de travail – j'ai une pensée particulière pour les travailleurs agricoles, en ces journées caniculaires –, l'attractivité des métiers du social, ou encore l'ubérisation du travail.

Surtout, le législateur ne saurait passer outre la démocratie sociale. Court-circuiter les corps intermédiaires aboutirait à une décision non concertée, donc non acceptée. Preuve en est la réaction face à la réforme des retraites et l'enlisement que l'on connaît.

C'est pourquoi, reconnaissant les intentions d'apaisement exprimées par les commissaires aux affaires sociales et refusant tout dogmatisme, les membres du RDSE voteront, comme à l'accoutumée, selon leurs convictions. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues,

« Le premier mai, c'est pas gai,

« Je trime, a dit le muguet. »

En quelques mots, non sans humour, Georges Brassens pointe le paradoxe d'un symbole de bonheur qui travaille plus que les autres en ce jour de repos.

Le 1er mai n'est en effet pas un jour ordinaire dans notre calendrier. Il est le seul jour à la fois férié, chômé et intégralement payé. Il est inscrit dans notre mémoire collective comme un repère historique et symbolique. Il est en même temps une conquête sociale, une tradition culturelle, un moment de pause pour le pays tout entier.

Vous l'imaginez aisément, je ne suis pas une habituée des défilés syndicaux ni des cortèges du 1er mai, de leurs mots d'ordre revendicatifs et de leurs slogans brandis à bout de bras. Ce n'est pas là ma culture.

Pourtant, ce n'est pas parce que l'on ne manifeste pas que l'on ne respecte pas la portée historique de cette date. Le 1er mai, c'est aussi l'occasion de rendre hommage aux grandes avancées obtenues par les travailleurs au fil des décennies : la journée de huit heures, la protection sociale, les congés payés.

Cette journée, partagée dans de nombreux pays, est le fruit d'une histoire ouvrière internationale, d'un héritage forgé dans les luttes sociales de la fin du XIXe siècle, de Fourmies à Chicago. Elle s'est imposée comme un moment de mémoire militante, de fierté pour ceux qui, dans les usines, les bureaux, les ateliers, ont posé les bases de notre droit du travail. Il est légitime de le connaître et de le faire connaître.

Le 1er mai, ce n'est pas seulement la mémoire des luttes. C'est aussi, pour beaucoup de Français, un jour de retrouvailles familiales ou amicales, à l'occasion duquel nous célébrons la saison nouvelle et où le brin de muguet s'échange comme symbole de renouveau.

Ce double visage du 1er mai, jour de combat et jour de fête, nous oblige à rechercher une position d'équilibre. Cette exigence, que nous partageons largement dans cet hémicycle, se heurte aujourd'hui à un vide juridique, source de confusion, qui pénalise injustement certains professionnels et qui ne rend service ni aux salariés, ni aux employeurs, ni aux usagers.

Nous avons tous en tête les sanctions prononcées ces derniers mois à l'encontre de boulangers ayant fait travailler leurs salariés le 1er mai pour pétrir leur pâte, ouvrir leur commerce et vendre du pain. Ces artisans ne demandaient pas un traitement de faveur, ils pensaient simplement agir dans le prolongement d'une tolérance ancienne, jamais formalisée dans la loi, mais réaffirmée encore dans une position ministérielle de 1986. (Mme Monique Lubin le conteste.) Cette tolérance a été balayée par la jurisprudence de la Cour de cassation de 2006, sans qu'un cadre clair vienne la remplacer.

C'est à cette situation que la présente proposition de loi entend répondre. Aussi, je remercie vivement Annick Billon et Hervé Marseille de leur initiative rapide et Olivier Henno de ses contributions précieuses.

Ce texte entend restaurer le bon sens et la cohérence. Il permettra de sécuriser les pratiques et de reconnaître que certaines activités, du fait de leur lien avec la vie quotidienne, la culture ou les usages traditionnels, peuvent justifier une dérogation.

Dans cette optique, qui, mieux que les boulangers, incarne cette culture française du bon sens ?

La baguette de pain n'est pas une denrée comme une autre. Elle fonde notre art de vivre à la française, elle est au cœur de notre identité culturelle, de notre imaginaire collectif, jusqu'à avoir intégré récemment le patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. Elle rythme nos repas, elle accompagne nos moments de fête comme nos jours ordinaires. Ce sont 6 milliards de baguettes qui sont vendues chaque année dans notre pays, soit 320 baguettes chaque seconde. À l'étranger, le Français se définit non seulement par son béret, mais aussi, et surtout, par sa baguette sous le bras. Faut-il vraiment rappeler que la France ne cesse jamais d'être la France, pas même le 1er mai ?

Il y a également le muguet, fleur modeste, mais porteuse de sens. Ce brin symbolique que l'on offre en signe d'amitié, d'amour, d'espoir. Ce geste remonte à Charles IX : touché d'avoir reçu un brin de muguet lors de sa campagne dans la Drôme, il décida, pour la première fois en 1561, d'offrir à son tour un brin de muguet aux dames de la cour en guise de porte-bonheur. Ce petit geste, porteur de grandes intentions, s'est ancré dans nos traditions et sert à témoigner à nos proches qu'ils nous sont chers.

Aujourd'hui, le temps a passé, mais le geste est resté. Le 1er mai, nos rues s'emplissent de ces vendeurs non professionnels, mais tolérés par la force de la tradition. Pendant ce temps, nos fleuristes, eux, devraient rester porte close sous peine de sanction ?

Pour autant, nous devons poser des limites claires. C'est d'ailleurs en cela que le texte a été utilement précisé par la commission. Il s'agit d'accorder une dérogation non pas à tous les établissements concernés par le repos dominical, mais uniquement à ceux dont l'activité est particulièrement liée à cette date, à ses usages, à ses attentes.

C'est une manière de prévenir une dérive progressive, où, par effet d'appel, d'autres secteurs demanderaient à leur tour à travailler le 1er mai : bricolage, ameublement, mode... Il serait tentant pour certains d'ouvrir cette porte, mais cela conduirait à affaiblir le sens même de cette journée. Nous devons, je le crois, résister à cette pente glissante.

De la même manière, faisons confiance à l'intelligence du terrain. Rien n'empêchera un artisan boulanger ou un fleuriste, s'il le souhaite, de limiter volontairement son activité au matin du 1er mai, afin de permettre à ses salariés de profiter, eux aussi, d'un temps de repos l'après-midi.

Un autre point mérite d'être souligné : la consécration législative du volontariat. Elle constitue une avancée importante. (Mme Monique Lubin s'exclame.)

Travailler le 1er mai ne pourra se faire que sur la base d'un volontariat clair, explicite, formalisé. C'est une condition sine qua non. Nous savons en effet à quel point le volontariat peut, dans certaines situations, être biaisé. Sous la pression, même implicite ou inconsciente, d'un employeur, le salarié peut s'autocensurer et sa liberté être entravée. C'est pourquoi il est essentiel que le principe de volontariat s'inscrive dans un cadre juridique vérifiable, afin de ne pas être une simple déclaration d'intention.

Cela étant, lorsqu'il est réel, ce volontariat est souvent recherché. Nombreux sont les jeunes, les étudiants, les salariés modestes qui souhaitent pouvoir travailler ce jour-là. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) En effet, les heures sont mieux rémunérées : il s'agit alors souvent d'un complément de revenu non négligeable dans des secteurs où les rémunérations demeurent faibles. Pourquoi ne pas leur laisser cette liberté, dès lors que le choix est librement consenti ?

Pensons également aux employeurs. Le chiffre d'affaires des artisans fleuristes dégagé ce jour-là par la vente de muguet est estimé à 19,4 millions d'euros. Pour nombre de petits artisans, cette journée représente une part décisive de leur activité annuelle.

La boulangerie traditionnelle, elle aussi, est un secteur en difficulté. Le nombre de baguettes vendues a chuté de manière spectaculaire : sept fois moins qu'il y a un siècle. La hausse des coûts de l'énergie, des matières premières, la concurrence des zones commerciales et de la grande distribution, les fermetures dans les centres-villes : tout cela fragilise nos artisans.

Dans ces conditions, pourquoi imposer, en plus, à ce secteur une contrainte incomprise, un interdit abscons, là où, jusqu'à présent, le bon sens prévalait ?

En outre, il est bienvenu que, en ce jour de repos collectif, les établissements à vocation culturelle puissent rester accessibles, offrant ainsi aux Français la possibilité de se retrouver autour d'un film, d'un spectacle, d'une exposition, dans un esprit de partage et de transmission.

Il y va enfin de la proportionnalité des peines, de la cohérence de notre droit et de l'acceptabilité de nos règles. Peut-on sérieusement accepter qu'un commerçant, parce qu'il a ouvert sa boutique, se voie infliger une amende de 750 euros par salarié, alors qu'un casseur ayant brisé la vitrine de ce même établissement à l'occasion d'émeutes écope d'une amende de seulement 500 euros ? (Exclamations indignées sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) Ce type d'incohérence ne renforce ni l'autorité de la loi ni la confiance des citoyens.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Jocelyne Guidez. Mes chers collègues, faisons le choix d'un texte de bon sens, qui repose sur la conviction que la liberté, lorsqu'elle est encadrée, volontaire et mesurée, est compatible avec le respect des traditions.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans Une Simple Promenade, Jules Romains écrivait à propos du 1er mai 1909 : « Par bonheur pour l'ordre, ce Premier Mai tombe un samedi, et ce samedi est jour de grande paye. Ne passeront ce soir à la caisse que ceux qu'on aura pointés à l'atelier. Pour chômer cette fois-ci, il faut plus de courage qu'à l'ordinaire. »

Le texte que nous examinons aujourd'hui propose de revenir à la situation de 1909. (Mme Annick Billon proteste.) Il retourne 100 ans en arrière, quand les salariés devaient choisir entre la participation aux mobilisations syndicales du 1er mai ou l'obligation d'aller travailler.

Comme souvent lorsqu'il s'agit de s'attaquer à un acquis social, la première version est grossière. Ensuite, par une manœuvre de repli, le rapporteur propose un texte en apparence équilibré. En réalité, l'objectif politique recherché dans la première version demeure et le texte modifié en commission n'est que le cheval de Troie de la remise en cause du 1er mai férié et chômé. (Mme Annick Billon s'exclame.)

Sous des allures plus raisonnables et atténuées, ce texte n'en demeure pas moins extrêmement dangereux pour les droits des salariés.

Bien sûr qu'ajouter que les salariés qui travailleront le 1er mai ne le feront que sur la base du volontariat et que le montant du salaire sera doublé ce jour-là est une amélioration par rapport à la version initiale. Reste que ce sont des leurres pour les salariés qui seront appelés à venir travailler le 1er mai.

Le volontariat des salariés est une illusion lorsque les travailleurs et les travailleuses sont placés dans un rapport de subordination. Le lien de subordination se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le lien de subordination est le même pour tous les salariés, qu'ils soient épanouis ou non dans leur travail.

La conséquence, c'est l'impossibilité pour les salariés de choisir librement d'aller travailler le 1er mai si leur employeur le leur demande. Par conséquent, les contreparties prévues n'en sont pas.

Si je reprends les arguments des auteurs de cette proposition, ce texte devrait apporter une solution à l'insécurité juridique des boulangers et des fleuristes. On pourrait déjà s'arrêter sur les glissements sémantiques...

En premier lieu, les boulangers et les fleuristes ont déjà la possibilité d'ouvrir leur boutique sans avoir recours à leurs salariés. Les commerces sont autorisés à ouvrir le 1er mai ; en revanche, il est interdit aux patrons de faire travailler leurs salariés.

En second lieu, le périmètre de la proposition de loi est limité aux commerces liés à un usage traditionnel du 1er mai, mais aussi aux commerces de bouche de proximité et aux établissements du secteur culturel.

Vous prenez le prétexte des boulangeries et des fleuristes, mais vous étendez les dérogations aux supérettes, aux bureaux de tabac et aux cinémas.

Ce ne sont pas les petits artisans qui rencontrent des difficultés qui gagneront de l'argent le 1er mai, ce sont les grands groupes du secteur : Brioche dorée, Fnac, Interflora, j'en passe !

Mme Annick Billon. C'est faux !

Mme Silvana Silvani. Brioche dorée, c'est 800 000 euros de chiffre d'affaires par point de vente, soit un total de 242 millions d'euros en 2024.

Notre histoire sociale doit-elle être sacrifiée pour que l'empire Brioche dorée dépasse les 250 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2026 ?

En résumé, ce texte constitue une brèche inacceptable contre le 1er mai.

Vous banalisez les exceptions pour en faire la norme et vous prenez prétexte de la défense de l'artisanat local pour autoriser les chaînes de boulangeries à ouvrir le 1er mai.

Enfin, ce texte repose sur une vision de la société dans laquelle il faudrait privilégier l'ouverture des commerces et la consommation au détriment de la vie familiale et de la santé des salariés.

Mme Annick Billon. C'est faux !

Mme Silvana Silvani. Je rappelle que 60 % des travailleurs dans le secteur du commerce sont des femmes. (Mme Annick Billon s'exclame.) Vous proposez donc que, le 1er mai, des femmes soient obligées de travailler et perdent du temps en famille.

L'intersyndicale, unanime, ne s'y est pas trompée en dénonçant dans un communiqué commun une proposition de loi qui attaque le 1er mai, seul jour chômé et payé.

En conclusion, le groupe CRCE-K votera contre ce texte qui remet en cause un acquis de 140 ans de luttes sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K., SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que son intitulé l'annonce, cette proposition de loi vise « à permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai ».

La formulation est inversée. En effet, il s'agit plutôt de permettre aux employeurs de faire travailler leurs salariés le 1er mai !

Les employeurs artisans et commerçants, bouchers et boulangers, ont déjà la possibilité d'ouvrir ce jour-là de façon légale en tant qu'indépendants, sans qu'une dérogation soit nécessaire.

Mme Raymonde Poncet Monge. Ils ferment certains jours chaque semaine, mais, pour le seul jour de l'année obligatoirement chômé par les travailleurs, ce jour si particulier, ils sollicitent le législateur pour pouvoir y déroger.

Il n'est pas de petite remise en cause du 1er mai. En introduisant quelques exceptions et en faisant prévaloir quelques intérêts particuliers, on fait tomber d'un seul coup la spécificité et la dimension unique de cette journée.

Ce serait une attaque symbolique contre une histoire qui a traversé deux siècles, devenue journée internationale, car son sens profond est né d'une aspiration universelle à l'émancipation du monde du travail, à des temps pour l'épanouissement personnel et familial et pour faire société et classe ensemble.

Ce serait une attaque juridique. Répondant à une demande patronale qui n'est pas nouvelle, l'objectif du texte que nous examinons est de rendre légales des pratiques illégales.

Mme Raymonde Poncet Monge. Si une tolérance a parfois été mobilisée, elle n'a rien de juridique. La Cour de cassation, dans une décision de 2006, a indiqué qu'il appartenait au commerçant « d'établir que la nature de l'activité exercée ne permet pas d'interrompre le travail le jour du 1er mai ». En effet, le 1er mai est obligatoirement chômé, sauf impossibilité d'interrompre le travail. C'est ce qui fonde sa spécificité.

Hormis ces cas, l'employeur est passible d'une amende « autant de fois qu'il y a de salariés indûment employés », car il s'agit de protéger la signification essentielle du 1er mai.

La rédaction initiale du texte tendait à substituer à la définition propre au 1er mai celle de la dérogation au repos dominical. Prenant partiellement en compte le problème, la commission a réécrit cet article, ce dont nous prenons acte, mais elle a en fait accolé les deux définitions pour justifier des dérogations, circonscrites dans un premier temps à certains secteurs.

Pourtant, les modalités de dérogation au repos dominical et celles qui sont relatives au 1er mai demeurent antinomiques. C'est le problème !

Si cette nouvelle rédaction de l'article unique maintient bien la première partie de l'article L. 3133-6 du code du travail – seuls sont autorisés à faire travailler leurs salariés les établissements et services qui « ne peuvent interrompre le travail » –, elle tend à ajouter une seconde partie pour élargir cette autorisation à certains établissements qui pourraient pourtant « interrompre le travail »…

Ce compromis n'a pas de sens et ne trouve pas sa justification dans la nécessité impérieuse de répondre aux besoins du consommateur. L'argument des besoins du public, souvent mobilisé, est un construit social. Du pain frais serait donc indispensable aux Français le 1er mai ?

Voilà qui nous oblige à définir ce que sont les besoins. Je rappelle que l'objectif même du consumérisme est d'en créer toujours de nouveaux, prétendument essentiels, qui découlent de la possibilité de les voir assouvis.

Les établissements dont l'ouverture est essentielle, voire vitale, fonctionnent déjà le 1er mai. On argue que ne pas consommer un jour serait une frustration insupportable. N'est-ce pas plutôt de l'aliénation face au 1er mai, journée d'émancipation ?

Nous déplorons un recul politique. Au travers de cette proposition de loi, c'est une vision de la société qui tente de s'imposer.

C'est le symptôme d'une logique qui place les intérêts des employeurs au-dessus des droits des salariés.

C'est le symptôme d'une société qui, pendant vingt-quatre heures, ne peut s'arrêter de consommer des biens non essentiels (Mme Annick Billon s'exclame.), pour un temps collectif qui fait sens et société. Comme hier avec la libéralisation du travail du dimanche, l'exception deviendra la règle, jusqu'à vider le 1er mai de sa signification.

Il est à prévoir à terme une multiplication des autorisations qui, mises bout à bout, déconstruiront le seul jour férié obligatoirement chômé et payé, fruit de l'histoire du mouvement social et de son aspiration à l'émancipation. Toutes les organisations syndicales de salariés sont vent debout contre votre proposition !

In fine, cette proposition de loi est une attaque multiforme contre le monde du travail, contre les droits des salariés, leur droit à avoir une journée pour eux, c'est-à-dire un jour libre protégé des multiples désarticulations des temps, leur droit à manifester et à faire classe ensemble, leur droit à pouvoir articuler vie professionnelle et vie familiale. On le sait, le volontariat demeure un leurre qui nie l'asymétrie de la relation de travail.

Ce texte se place dans le sillon de réformes qui détricotent peu à peu le code du travail et qui sont d'ailleurs souvent dénoncées lors des manifestations du 1er mai.

Le groupe GEST votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par m'adresser à mes collègues de la majorité sénatoriale.

Mes chers collègues, je m'étonne de vous voir, vous qui ne cessez de monter au créneau contre des séparatismes divers et variés, travailler à mettre en place un outil de fragmentation de la société française de plus, dans l'oubli des rythmes de la vie collective.

Je suis également surprise, alors que vous proclamez votre attachement au paritarisme et aux partenaires sociaux, de constater que vous vous attaquez à un jour férié, chômé et payé, emblématique pour les syndicats de travailleurs et indispensable à leurs actions collectives. Pourtant, vous savez qu'ils se sont unanimement prononcés contre cette proposition de loi.

Comme j'ai déjà pu le souligner au cours de nos débats sur la réforme des retraites, il est vrai que ce sont souvent les syndicats patronaux qui ont vos faveurs et que seul vous préoccupe le succès de leurs actions.

Le travail salarié ne peut être nourrissant pour chacun qu'à la condition que la place des travailleurs soit reconnue dans l'appareil productif. Il en va de même pour la participation qui doit être la leur dans le façonnement de leur outil et de leur cadre de travail.

Ce sont les mouvements sociaux et les luttes collectives qui le permettent. Leur action a débouché sur des dispositions législatives telles que les lois Auroux de 1982. Nous revenons de loin ! Rappelons que, en 1899, dans Action socialiste, Jean Jaurès affirmait : « Le travail devrait être une fonction et une joie ; il n'est bien souvent qu'une servitude et une souffrance. »

C'est en souvenir de ce passé pas si lointain, dont nous refusons le retour, et au nom du respect des travailleurs que nous sommes opposés à la désanctuarisation du 1er mai. Nous ne voulons pas voir sacrifié ce jour chômé sur l'autel d'une consommation reine, face à laquelle tous nos repères et temps communs devraient inexorablement céder le pas.

Le 1er mai, c'est le respect des travailleurs, du temps qui leur est nécessaire pour penser et organiser leur action collective. Le temps alloué pour ce faire, sur lequel vous nous proposez de revenir, n'est déjà pas très important, mes chers collègues !

Consacrer ce jour non travaillé et payé signe la volonté de pérenniser un investissement consenti par la collectivité et les entreprises en faveur des forces productives du pays.

C'est reconnaître que les rythmes imposés par le travail dans toutes les organisations doivent être modelés en prenant en compte les besoins du travailleur. Sa place dans la société et la contribution qui y est la sienne doivent également être reconnues.

Le 1er mai est un temps partagé qui nous permet de faire société, l'une des conditions nécessaires à des combats sociaux féconds pour tous.

Dans l'un de ses articles, Alain Supiot souligne ainsi que « le temps sert à rythmer le travail des hommes, à leur imprimer des cadences et des horaires communs. […] Cette synchronisation de la vie des travailleurs engendre mécaniquement deux types de solidarités ».

Il s'agit, d'une part, de la solidarité qui se noue entre les travailleurs subordonnés aux mêmes horaires et cadences. C'est ce que le chercheur appelle « solidarité de travail, d'organisation et de lutte ». Nous en avons collectivement besoin : les temps désynchronisés, c'est aussi ce qui affaiblit le syndicalisme et le paritarisme.

Il s'agit, d'autre part, d'une « solidarité entre le temps du travail et le temps de la cité », le second étant tributaire du premier.

Comment faire société et lutter quand plus aucun espace temporel n'est préservé pour permettre aux travailleurs de se retrouver ? C'est pourtant à cela qu'œuvre cette proposition de loi.

Bérénice Bauduin, maîtresse de conférences en droit social à l'université Paris 1-Panthéon Sorbonne, a apporté sur France Culture un éclairage intéressant sur la démarche législative qui a donné naissance à ce texte. Elle observe ainsi que, dans sa version initiale, « cette proposition de loi fait une sorte de copier-coller à partir de ce qui existe pour les dérogations au travail le dimanche pour l'importer au travail le 1er mai. Mais en réalité, c'est substituer une définition à une autre, puisqu'on passe de la définition sur l'activité qui ne peut s'interrompre aux besoins du public : or, les besoins du public sont larges ».

En raison de son caractère extensif, l'introduction de la notion de « besoins du public » à l'article L. 3133-6 du code du travail était un véritable cheval de Troie visant le 1er mai chômé et payé. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, vous avez souhaité y remédier, mais vous n'avez que partiellement renoncé aux définitions imprécises. En effet, vous avez choisi de dresser la liste de tous les établissements qui disposeraient d'une dérogation pour le 1er mai chômé.

Pourtant, l'amendement que vous avez fait adopter en commission maintient le flou de la proposition de loi initiale. Je fais d'ailleurs remarquer que ce flou est aussi à mettre sur le compte de l'état du droit existant concernant le 1er mai, qui sert de justification au texte que nous examinons.

Dans cet amendement, il est question des « établissements dont l'activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on ne sait pas très bien à quoi renvoie ce « besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai » et que cela ouvre un large champ à l'interprétation !

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui établit en tout état de cause une forme d'équivalence entre le 1er mai et le repos dominical. Cela n'a pourtant rien à voir !

Le repos dominical, qui a été malheureusement attaqué dès 2008, est inscrit dans le code du travail et repose sur le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il s'agit de soustraire un jour de la semaine au productivisme et au capitalisme et de permettre aux travailleurs de bénéficier d'un temps pour eux en tant que personnes privées.

Le 1er mai, c'est autre chose : c'est un jour dans l'année, chômé et payé, qui permet à ceux qui constituent l'essentiel de ce qu'est l'entreprise, où ils ont rarement le pouvoir alors qu'ils y passent leur vie, de se consacrer à eux-mêmes en tant que classe, celle des travailleurs.

Dans un ouvrage portant sur les mobilisations sociales, Danielle Tartakowsky souligne que le 1er mai est « la conquête d'une parcelle de temps par les travailleurs eux-mêmes à la faveur de la grève, leur appropriation d'une parcelle de liberté ». Ainsi, « le geste de cesser symboliquement le travail transfigure […] le 1er mai. Il marque l'autodétermination de l'ouvrier qui s'approprie de son seul vouloir le temps d'une fête dont il détermine les formes, la possibilité d'une alternative imposée pour s'opposer au capitalisme et à ses maux ».

Lors du congrès de Bruxelles d'août 1891, qui a réuni 337 délégués de quinze nations, il a été fait le choix de refuser le report au dimanche le plus proche du 1er mai en tant que journée de luttes liées notamment aux aspirations des ouvriers à la journée de travail de huit heures. Danielle Tartakowsky rappelle également que, dans le cadre de ce congrès, le 1er mai est qualifié de « célébration ».

De célébration, il ne serait pourtant plus question si cette proposition de loi était adoptée !

Mes chers collègues, vous nous proposez d'introduire une véritable brèche dans l'article du code du travail qui régit ce qui a trait au 1er mai. Nul doute que d'autres droits des travailleurs pourraient suivre après ce premier pied dans la porte.

D'ailleurs, les travailleurs ne seraient pas les seules victimes de votre démarche.

Approfondissant son propos, Bérénice Bauduin a ainsi noté un décalage entre ce qui était annoncé par les sénateurs qui défendaient la proposition de loi initiale, à savoir favoriser le commerce de proximité, et les possibilités qu'ouvrait en pratique ce texte. En effet, rien ne garantit que les établissements recensés soient les bénéficiaires exclusifs du dispositif législatif envisagé.

L'amendement que vous avez fait adopter en commission ne le garantit pas non plus, monsieur le rapporteur. L'expression « établissements dont l'activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai » est en effet peu utile dans cette optique.

Il en est de même des spécifications relatives aux autres établissements pouvant continuer leurs activités le 1er mai, à savoir « les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate », « les autres établissements dont l'activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail » et « les établissements exerçant une activité culturelle ».

Oui, il y a loin entre les cinq boulangers vendéens,…

Mme Annick Billon. Pas seulement vendéens !

Mme Monique Lubin. … au nom desquels ce texte a été déposé dans la hâte, et l'ensemble des commerces susceptibles d'être ouverts le 1er mai, si ce texte, dont les dispositions ressemblent à un inventaire à la Prévert, venait à être adopté. Ainsi, des élus qui se disent soucieux des territoires vivants et des centres-bourgs florissants se retrouvent dans une démarche qui va à l'opposé de leur profession de foi.

Cerise sur le gâteau, les femmes sont souvent majoritaires dans les activités qui pourraient être concernées par l'ouverture de certains établissements le 1er mai. La constance et la cohérence qui conduisent à s'en prendre systématiquement aux mêmes, les plus vulnérables des travailleurs, dénotent une ligne idéologique sans merci à laquelle nous refusons absolument de souscrire.

Je conclus mon propos en rappelant la mémoire ouvrière attachée à la sanctuarisation du 1er mai en journée des travailleurs pour les travailleurs, notamment les assassinats qui ont été commis dans le cadre de la fusillade de Fourmies, dans le Nord, le 1er mai 1891. Le bilan de cette journée fut sans appel : trente-cinq blessés, mais surtout neuf morts parmi lesquels deux enfants.

Lors du Congrès de Paris en 1889, l'Internationale ouvrière a fait du 1er mai une journée de revendication internationale pour réclamer la journée de huit heures.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Monique Lubin. C'est dans cette droite ligne que s'inscrivait la journée qui s'est finie dans le sang à Fourmies : la manifestation avait été pensée par les travailleurs pour être festive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, le code du travail ne reconnaît qu'un seul et unique jour férié légal qui soit chômé et payé : le 1er mai, fête des travailleurs et du mouvement social.

La loi est claire : ce jour-là, le travail est proscrit. Pourtant, depuis les années 1980, grâce à une tolérance de l'administration, certains commerces pouvaient ouvrir boutique et faire travailler leurs employés volontaires.

En contradiction avec cette tradition bienveillante, plusieurs boulangers et fleuristes de bonne foi ont été sanctionnés pour avoir ouvert leur commerce le 1er mai 2024. Comment expliquer que la fête du travail puisse entraîner la verbalisation de travailleurs volontaires ? Les employeurs, pour ouvrir leur commerce, ont parfois, bien sûr, besoin de salariés volontaires.

Ces contrôles particulièrement malvenus ont donné lieu à des amendes ayant pu atteindre 1 500 euros par salarié. Imaginez les conséquences désastreuses pour ces petits commerces. Je pense notamment aux fleuristes : la vente du muguet ce jour-là représente en moyenne un dixième de leur chiffre d'affaires annuel.

Si la tolérance qui prévalait depuis des années n'est plus d'actualité, il revient au législateur d'intervenir. Tel est l'objet de cette proposition de loi qui apporte plusieurs précisions nécessaires pour sécuriser juridiquement les quelques commerçants concernés, tout en préservant le 1er mai comme il est aujourd'hui pour les travailleurs. Le texte clarifie le droit et la nature des commerces et des établissements exemptés des dispositions relatives au 1er mai, en les listant de façon précise et spécifique.

Cette liste, qui sera évidemment soumise au Conseil d'État, comprend les petits commerces alimentaires, les établissements à caractère culturel et les établissements dont les activités sont liées aux traditions du 1er mai, c'est-à-dire les fleuristes. Cela permettra à ces commerçants d'accepter l'aide de leurs salariés volontaires pour travailler ce jour-là.

Les modifications apportées au texte par le rapporteur en commission des affaires sociales me semblent aller dans le bon sens et sont protectrices.

L'objectif de ce texte est non pas de changer la nature du 1er mai, mais de l'adapter à la réalité actuelle. Le principe fondamental du volontariat demeure. Quant aux indemnités versées aux salariés concernés, elles ne changeront pas et seront précisées par voie d'amendement.

Ce texte, dont je suis cosignataire, introduit des modifications précises et actualise le cadre juridique pour répondre aux besoins de la population. Le travail ne doit pas devenir un risque pour ces commerçants.

Nous sommes favorables au droit au travail. Ce droit est une liberté qui ne peut et ne doit être restreinte. Nous avons en France assez de petits commerces, de boulangers, d'artisans fleuristes, de petits cinémas qui connaissent des difficultés économiques. Notre mission est de les écouter, ainsi que ceux de leurs salariés qui sont volontaires.

Les dispositions de cette proposition de loi sont pragmatiques et légitimes. Ce texte n'est pas, contrairement à ce que j'ai entendu dire, contre le monde du travail. Il apporte une clarification nécessaire et responsable. Jamais personne ne devrait être pénalisé pour avoir voulu travailler, dès lors que cela répond à un besoin de la population.

Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pauline Martin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai un rêve, le même que le président Pompidou, qui disait : « Mais arrêtez donc d'emmerder les Français !  Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! » (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Après avoir été saisie par les petits commerçants du Loiret le 30 avril dernier, je m'étonnais, lors des questions d'actualité au Gouvernement, des risques d'excès de zèle de l'État lors des contrôles chez les artisans boulangers et fleuristes ouverts le 1er mai. Je souhaitais que les inspecteurs profitent de cette journée ensoleillée pour acheter fleurs et baguettes sans contrôle ni verbalisation... J'indiquais alors que nous comptions sur le Gouvernement pour l'action réglementaire et que vous pouviez compter sur nous pour l'action législative. Nous y sommes.

Quel dommage, cependant, de devoir en passer par une proposition de loi permissive pour mettre en œuvre des mesures qui découlent du simple bon sens !

Mme Monique Lubin. « Permissive » ?

Mme Pauline Martin. À l'heure où l'État invite les Français à travailler plus afin de soutenir notre économie en berne et d'assurer nos retraites, il est temps de préserver la liberté des salariés volontaires de travailler lors d'une journée fériée, chômée, ouvrant droit à une rémunération bonifiée. (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)

Si les parlementaires excellent dans l'art des propositions de loi, c'est aussi, mais pas seulement, parce que notre société procédurière se noie dans les réglementations au nom de la sacro-sainte liberté de chacun. Même si le code du travail a pris un embonpoint inquiétant, la valeur travail n'a jamais été aussi menacée, décriée et remisée, au profit d'une société dite de loisirs, qui exige de pouvoir manger sa baguette même le 1er mai.

M. Pascal Savoldelli. Tout cela au profit du capital !

Mme Pauline Martin. Je remercie mes collègues Annick Billon et Hervé Marseille, qui ouvrent la voie à une autorisation de travailler pour les boulangers et les fleuristes qui le souhaitent.

Loin de constituer un recul social, cette proposition de loi est un acte de confiance envers nos artisans, un acte de liberté et de cohérence pour ceux qui veulent travailler sans mettre tout le monde dans le pétrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Annick Billon vise à permettre aux salariés de certains établissements et services, au premier rang desquels les boulangeries et les fleuristes, de travailler le 1er mai, jour de la fête du travail, des travailleuses et des travailleurs. Elle a plus précisément pour objet de lever l'insécurité juridique qui pèse, depuis un arrêt de la Cour de cassation de 2006, sur plusieurs secteurs d'activité traditionnellement ouverts ce jour-là.

Cet arrêt a en effet remis en cause une position ministérielle ancienne, réaffirmée en 1986 par la directrice des relations du travail de l'époque, Martine Aubry, qui prévoyait jusque-là une dérogation au caractère chômé du 1er mai pour les services et les établissements dérogeant déjà au repos dominical.

Depuis trois ans, les contrôles des services de l'inspection du travail se multiplient, renforçant l'incompréhension tant des employeurs que des salariés et nourrissant un profond sentiment d'injustice, en particulier chez les fleuristes. Comment expliquer, en effet, que les magasins de ces derniers restent fermés ou fonctionnent au ralenti, faute d'employés présents, quand la vente de muguet par les particuliers est tolérée partout ailleurs ?

Plusieurs dizaines de boulangers ont ainsi été verbalisés ces dernières années en Vendée, en Charente, à Paris et à Lyon. La presse s'en est fait largement l'écho. Le montant total des amendes infligées – 750 euros par salarié – se chiffre parfois en milliers, voire en dizaines de milliers d'euros, soit un montant non négligeable pour les petites, voire très petites entreprises dont nous parlons ici.

Du fait de cette incertitude, une majorité de ces entreprises sont restées fermées à l'appel de leurs syndicats le 1er mai dernier, faute de garanties, alors que cette journée a toujours revêtu une importance majeure pour elles.

Il était donc urgent de modifier le cadre législatif pour clarifier et sécuriser la situation des boulangeries, des jardineries, des commerces de bouche de proximité, des théâtres et des cinémas et pour desserrer certaines contraintes qui pèsent inutilement sur le travail. C'est tout l'objet de cette proposition de loi, à laquelle plusieurs sénateurs du groupe RDPI ont souhaité s'associer.

Le texte initial prévoyait une dérogation pour tous les secteurs admis à déroger au repos dominical, c'est-à-dire pour les établissements « dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendue nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ».

La commission des affaires sociales a cependant souhaité restreindre la liste des secteurs éligibles. Elle a estimé, à raison, que le régime applicable au 1er mai, seul jour férié et obligatoirement chômé de notre calendrier, ne pouvait être calqué sur celui du dimanche.

Dans la rédaction qui nous est aujourd'hui soumise, les établissements ou les services concernés sont ceux qui ouvraient déjà le 1er mai et dont l'activité justifie l'inscription d'une dérogation de droit dans la loi. Il s'agit plus précisément des commerces de bouche de proximité, qui permettent la continuité de la vie sociale, des commerces dont l'activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai – les fleuristes et les jardineries qui vendent du muguet – et des établissements du secteur culturel.

La commission a également souhaité réaffirmer que seuls les salariés volontaires exerçant dans ces établissements ou ces services pourraient travailler le jour de la fête du travail. Il s'agit d'une précaution essentielle. Un équilibre nous semble avoir été trouvé ici.

Notre groupe salue la sécurisation juridique du dispositif permise par le rapporteur. Il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause le caractère chômé et férié du 1er mai, que la loi reconnaît depuis 1947. Ce dispositif permettra simplement de revenir à la situation d'équilibre qui prévalait jusqu'en 2006.

La majorité des membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants voteront cette proposition de loi, qui va dans le bon sens et contribue à lever certaines contraintes pesant sur l'emploi. Je vous invite à en faire de même, mes chers collègues.

Pour ma part, si je peux comprendre la volonté de certains de travailler le 1er mai pour obtenir un plus, j'ai en mémoire les témoignages de salariés de mon territoire sur l'attitude de certains employeurs, y compris des petits artisans, exerçant des pressions pour qu'ils acceptent de travailler ce jour-là. Alors je dis : non ! Je dis non, quand cela va trop loin.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai fait suite à une alerte des boulangers et, singulièrement, à plusieurs contrôles qui ont été largement médiatisés. Au-delà de cette profession, les fleuristes, dont je salue les représentants présents dans nos tribunes, avaient aussi réclamé de pouvoir ouvrir le 1er mai en employant des salariés.

L'article L. 3133-4 du code du travail prévoit que le 1er mai est un jour férié et chômé. Il est fondamental de rappeler que la présente proposition de loi ne modifie pas cet article : le 1er mai, si cette proposition de loi est adoptée, restera un jour férié et chômé. Il se distingue en ce sens des autres jours fériés.

Toutefois, le texte qui nous est aujourd'hui soumis tire les conséquences d'une interprétation et d'une insécurité juridiques, déjà évoquées par les précédents orateurs, résultant notamment d'un arrêt de la Cour de cassation de 2006. Il modifie pour cela l'article L. 3133-6 du code du travail.

En effet, comme notre rapporteur l'a bien précisé, nous parlons d'une interprétation du code du travail. En cas de contrôle et de poursuites pénales, il appartient à l'employeur de démontrer que, en l'espèce, sa situation est légale. Il est à noter que, en 2024, le tribunal de police a systématiquement donné raison aux boulangers incriminés.

Ce texte vise donc à clarifier le droit afin d'éviter les embouteillages, notamment dans les tribunaux de police, qui ont d'autres problèmes à régler. Il vise à permettre aux boulangers de passer leur temps à faire ce pour quoi nous les aimons, à savoir des pains et des viennoiseries, au lieu de le perdre en procédures inutiles.

La proposition de loi permettra également aux commerces dont l'activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai, en l'occurrence les fleuristes, d'offrir des perspectives de bonheur à nombre de nos concitoyens et aux établissements du secteur culturel – les cinémas et les théâtres – de leur procurer des moments de plaisir, à la fraîche...

Je remercie donc les auteurs de ce texte, Annick Billon, Hervé Marseille et Mathieu Darnaud, ainsi que tous nos collègues signataires, de l'avoir déposé. J'adresse un grand merci au rapporteur, toujours capable d'expliquer avec simplicité, humanité et souvent humour des textes complexes. Par son amendement, il a resserré la liste des secteurs qui bénéficieraient de la dérogation autorisant le travail le 1er mai. Il a prévu également que, dans ces seuls établissements, l'activité des salariés n'est possible ce jour-là que sur la base du volontariat.

En conséquence, les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte. Cela ne nous empêchera pas de respecter les collègues qui ne le voteront pas, ni même de les écouter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons est bien modeste, mais il aborde un sujet bien plus vaste, celui de notre rapport collectif au travail et à l'organisation économique de notre société.

Il s'agit non pas de remettre en cause la symbolique du 1er mai, qui reste une date forte dans notre histoire sociale, mais simplement de permettre, sur la base du volontariat, à certains salariés de secteurs spécifiques de travailler ce jour-là, en bénéficiant d'une rémunération accrue, dans le respect, bien sûr, du droit du travail.

Les secteurs concernés – les boulangeries, les fleuristes, les commerces de proximité – sont ancrés dans nos territoires. Ils répondent à une demande réelle exprimée à la fois par les professionnels et par les clients. Refuser d'entendre cette réalité reviendrait à nier les évolutions sociales et celles du monde du travail, ainsi qu'à ignorer les besoins des Français sur le terrain.

Alors que la France vit une tension budgétaire inédite, alors que la dette publique de notre pays s'élève à plus de 3 300 milliards d'euros, la création de richesses est indispensable. Et cette richesse est d'abord le fruit du travail.

Au-delà de cette dimension, ce texte permet aussi de mettre fin à une forme d'insécurité juridique. En l'absence de base légale claire, certains professionnels ont été verbalisés pour avoir ouvert leur établissement le 1er mai. Cela n'est pas acceptable. La loi doit protéger, non pas piéger.

Plus profondément, cette question est également un enjeu de société. Nous devons cesser d'avoir une vision binaire, de penser que le travail serait nécessairement synonyme de contrainte. Travailler, c'est aussi s'émanciper, participer, contribuer à la vie de la nation. Le travail est le fondement de notre prospérité collective.

Enfin, ce texte ne crée pas d'obligation. Il ne contraint ni l'employeur ni le salarié, bien sûr. Il propose une liberté nouvelle, encadrée, pour répondre à des besoins concrets. Il s'inscrit aussi dans une vision plus large, celle d'un travail qui paie, qui récompense l'effort et le mérite.

Aujourd'hui, les salariés, d'une façon générale, ont trop le sentiment que le travail ne suffit plus pour bien vivre. Et ils ont raison. Les évolutions professionnelles sont parfois freinées, les perspectives professionnelles limitées. Quant au phénomène de smicardisation, il s'installe durablement, ce qui mine le contrat social et affaiblit la valeur travail dans la société.

Je le dis encore une fois, ce texte est modeste, mais il aborde un sujet concret. Je pense qu'il doit nous inviter plus globalement à réfléchir à la place du travail dans la société, qui mérite un vrai débat, à redonner de l'ambition à notre modèle social, sans doute en prévoyant de travailler plus et mieux, tout en tenant compte, bien évidemment, de la pénibilité. Le travail doit redevenir un vecteur d'émancipation, de progrès, mais aussi de rassemblement entre les générations, dans une société qui est fracturée – cela a été dit, même si nous ne partageons pas nécessairement une position identique. Je pense profondément que le travail doit permettre de nous rassembler.

C'est la raison pour laquelle les membres du groupe Les Républicains voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Article unique (fin)

Article unique

L'article L. 3133-6 du code du travail est ainsi modifié :

1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Peuvent également occuper des salariés ce jour, sous réserve de leur volontariat, les établissements, autres que ceux mentionnés au I, suivants :

« 1° Les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ;

« 2° Les autres établissements dont l'activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail ;

« 3° Les établissements dont l'activité répond à un besoin du public lié à un usage traditionnel propre au 1er mai ;

« 4° Les établissements exerçant une activité culturelle.

« Les catégories d'établissements concernées sont déterminées par un décret en Conseil d'État.

« Les salariés occupés bénéficient d'une indemnité dans les conditions prévues au même I. »

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié est présenté par Mme Pantel, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, MM. Grosvalet et Guiol, Mme Jouve et M. Roux.

L'amendement n° 3 est présenté par Mmes Lubin et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L'amendement n° 4 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

L'amendement n° 15 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

L'amendement n° 2 rectifié n'est pas soutenu.

La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l'amendement n° 3.

Mme Monique Lubin. Par cet amendement, nous proposons la suppression de l'article unique, car nous sommes très défavorables à cette proposition de loi. Nous avons déjà eu l'occasion de donner notre avis sur le texte, mais je tiens à dire encore certaines choses.

D'abord, je voudrais revenir sur des propos que j'ai entendus. Il a été dit que les salariés auraient été verbalisés. Or ce sont non pas les salariés qui ont été verbalisés à la suite des contrôles qui ont été effectués, mais leurs employeurs, car ils ne respectaient pas la loi. Je tenais à le préciser.

Ensuite, le général de Gaulle a été cité. Il avait demandé que l'on arrête d'emmerder les Français. (Exclamations sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Non, c'était Pompidou !

Mme Monique Lubin. Ah, pardon !

Je me demande en tout cas ce qu'il est advenu du gaullisme social auquel certains ici se référaient encore il y a quelque temps, auquel ils se réfèrent peut-être encore aujourd'hui. Je ferme la parenthèse.

Je l'ai dit, nous sommes foncièrement opposés à ce texte. Un certain nombre d'entre vous me semblent d'ailleurs également un peu gênés aux entournures.

Vous ne cessez de dire que le travail le 1er mai se fera sur la base du volontariat. Franchement, on le sait – cela a été démontré avec les ouvertures de magasins le dimanche –, le volontariat est respecté au début. En revanche, lorsque l'employeur doit remplacer un salarié et en embaucher un nouveau, le travail le dimanche – ce sera la même chose demain pour le 1er mai – figure dans le contrat, dans le contrat verbal, évidemment, pas dans le contrat écrit.

Ceux qui osent dire qu'ils ne souhaitent pas travailler le dimanche ou le 1er mai, même en étant payés double, ne sont tout simplement pas recrutés. Et encore, je suis optimiste. Je pense que, dans la réalité, pour un certain nombre de salariés, le volontariat ne dure pas.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour présenter l'amendement n° 4.

Mme Marianne Margaté. Nous l'avons dit, le 1er mai revêt dans l'histoire de notre pays et dans celle du mouvement ouvrier international une symbolique particulière. Le 1er mai appartient aux travailleurs, et c'est bien cela qui vous est insupportable.

Mme Marianne Margaté. Le rapporteur a dit en commission des affaires sociales qu'il convenait de faire preuve de prudence et d'équilibre, car rien n'est aussi symbolique que le 1er mai dans le code du travail. Or on ne peut pas dire que la prudence et l'équilibre caractérisent ce texte.

En effet, vous ajoutez à la liste des commerçants pouvant faire travailler leurs salariés le 1er mai, à savoir les boulangers et les fleuristes, les commerces de bouche de proximité, les épiceries, les supérettes, les théâtres, les cinémas... Il s'agit donc bien là d'une remise en cause profonde du 1er mai et elle suscite, nous l'avons dit, l'opposition de l'ensemble des organisations syndicales. C'est un passage en force, sous couvert d'une urgence qui n'existe pas.

Je veux également revenir sur l'argument du bon sens, qu'on a beaucoup entendu dans votre bouche, mes chers collègues. Le bon sens, c'est la négation du débat politique ! C'est un argument d'autorité qui ne signifie rien. Ce n'est pas le bon sens qui doit prévaloir ici, ce sont des arguments politiques. Dans le discours politique contemporain, le bon sens est souvent totalement rhétorique. Il revient à conférer à des propos le statut d'évidence incontestable ou à faire passer des préjugés pour des vérités. Je pense qu'il faut relever le niveau du débat politique sur ces questions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l'amendement n° 15.

Mme Raymonde Poncet Monge. Pour ma part, je reviendrai d'abord, très rapidement, sur les assertions relatives à Martine Aubry.

Je rappelle que le courrier de Martine Aubry en 1986 concernait les dérogations relatives au travail dominical, mais également les établissements et services pouvant employer du personnel le 1er mai. Les deux situations étaient alors extrêmement liées, parce qu'elles concernaient toutes deux les établissements et services qui ne pouvaient interrompre le travail.

Ensuite, les dérogations au travail dominical ont peu à peu été étendues : de l'impossibilité d'interrompre le travail, on est passé à ces prétendus « besoins du public ». C'est pour cela que la Cour de cassation a dû rappeler la définition du 1er mai.

Vous dites, chers collègues, que le tribunal de police a relaxé tous les boulangers incriminés. Mais pourquoi ? Ce n'est pas parce qu'il est important d'aller à la boulangerie le 1er mai, c'est parce qu'ils ont prouvé qu'ils ne pouvaient pas interrompre leur activité le 1er mai – je ne sais pas comment ils ont fait... C'est en cela qu'ils ont respecté la loi.

J'évoquerai pour terminer la majoration de salaire due aux employés travaillant le 1er mai. Cette majoration n'est pas un doublement du salaire, c'est une compensation. Elle est octroyée aux personnes qui ne chôment pas ce jour-là, c'est la règle, et elle s'ajoute au salaire.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.

Je me suis déjà exprimé sur la notion de volontariat. Le volontariat existe quand bien même il y a un lien de subordination. Ce lien n'éteint pas la notion de volontariat, pas du tout. À vous écouter, on pourrait pourtant croire que tel est le cas.

Madame Lubin, je respecte totalement vos arguments et vos convictions ; nous sommes dans une République et en démocratie. Mais je ne peux pas vous laisser dire que nous sommes gênés aux entournures.

Voyez-vous, je m'efforce toujours de ne pas m'exprimer sur le ressenti des autres ; je l'ai appris en étudiant Bergson. Je vous le dis : nous ne sommes nullement gênés.

Nous avons travaillé pour parvenir à un texte équilibré, pour faire en sorte que la fête du travail soit respectée sans pour autant être transformée en opération ville morte. Il n'est pas question de revenir à la situation antérieure, laquelle a donné lieu à des abus de la part de certains inspecteurs du travail. Nous respectons leur autonomie, mais s'ils n'avaient pas infligé des amendes, nous ne discuterions pas aujourd'hui de ce texte dans cet hémicycle.

Nous faisons en sorte, tout simplement, que quelques décisions abusives ne puissent pas avoir d'effets sur un nombre considérable de commerces et sur la vie réelle. Nous ne sommes en rien gênés, madame Lubin, parce que nous sommes de bonne foi, figurez-vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l'autonomie et du handicap. Le Gouvernement émet le même avis que le rapporteur de la commission des affaires sociales : il est défavorable à ces amendements de suppression.

Catherine Vautrin l'a rappelé expressément tout à l'heure, le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas regardé la réalité en face ni étudié la manière dont le volontariat a été appliqué en cas de dérogation au travail dominical.

Le lien de subordination introduit une dissymétrie. L'employeur dispose de moyens de rétorsion lorsqu'un salarié ne veut pas travailler le dimanche ou, demain, le 1er mai. Ainsi, c'est lui qui, en dernière instance, valide les dates des congés annuels. Il est donc très facile pour lui – c'est évident – de pénaliser un salarié. C'est aussi simple que cela ! La voilà, la réalité.

Le rapport de subordination, je le répète, est dissymétrique. Certes, le contrat de travail est signé entre deux parties, mais l'une d'elles a un pouvoir différent de l'autre, que ce soit en termes d'organisation ou de subordination.

Dans la réalité, monsieur le rapporteur, il est bien entendu tout à fait possible d'imposer à un salarié de travailler le dimanche, même si la loi prévoit que ce dernier doit être volontaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Beaucoup de références historiques, de personnalités politiques importantes ont été évoquées. Il a été question de l'imaginaire, de la pratique, de notre patrimoine, du pain, etc.

Je ferai moi aussi une référence historique : le pain, la paix et la liberté. En l'évoquant, je ne fais pas preuve de passéisme ou de nostalgie, ce slogan étant toujours complètement d'actualité.

Souvenez-vous, ce mot d'ordre, assorti d'un programme politique, date de l'époque où il a fallu faire barrage à l'extrême droite. Il s'agissait alors d'abord de combattre la misère – c'est pour cela qu'on parle d'abord du pain – et de mettre en place, madame la ministre, vous vous en souvenez, un régime de sécurité sociale, d'assurance vieillesse et maladie. C'est une très belle référence.

Par ailleurs, chers collègues de droite, vous êtes, les uns et les autres, dans une définition extensive, et pour tout dire un peu morale, du volontariat.

Mais les faits sont têtus. Les dérogations au repos dominical n'ont abouti à aucune création d'emploi. Ce sont les chiffres de l'Insee ; vous pouvez les vérifier.

En revanche, le lien de subordination crée bien un chantage à l'embauche ou au maintien dans l'emploi : ça aussi, il faut en parler. Si le refus de ce prétendu volontariat n'aboutit peut-être pas mécaniquement à un licenciement, le risque pour le salarié de perdre son emploi existe bel et bien.

Voilà qui me rappelle – je m'adresse notamment à ma collègue Puissat – le débat que nous avions eu sur l'ubérisation du travail. À quand un vrai contrat de travail pour ceux qui doivent effectuer des livraisons en pleine canicule, dans des conditions inadmissibles, sans droit du travail ni protection sociale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je rappelle à mes collègues siégeant de l'autre côté de l'hémicycle qu'en cas d'adoption de la proposition de loi, les boulangers et les fleuristes ne seront pas les seuls concernés.

Mme Monique Lubin. Ce sont tous les commerces de bouche des centres-bourgs et des villes qui ouvriront. (Mme Ghislaine Senée acquiesce.)

Et vous dites qu'il ne s'agit pas d'une brèche dans le droit du travail ? (L'oratrice s'esclaffe.) Mais, selon vous, combien y aura-t-il de salariés concernés dans toute la France ? Des centaines ? Des milliers ?

Et surtout, encore une fois, est-ce vraiment indispensable ?

Martine Aubry, à laquelle il a été fait référence à plusieurs reprises, confirmait le droit qui s'appliquait aux salariés dont l'activité ne pouvait pas s'arrêter, par exemple dans les hôpitaux, les services aux personnes âgées ou dans les transports. Là, vous nous parlez des commerces de bouche, dont on ne pourrait soudainement plus se passer le 1er mai… Ce sont des centaines de milliers de salariés qui seront concernés par une telle mesure.

Et arrêtez avec votre discours sur le volontariat ! Tout le monde sait très bien qu'à quelques exceptions près, c'est – pardonnez-moi l'expression – du pipeau !

Mme Monique Lubin. Vous vous défendez de vouloir « mettre un pied dans la porte » ? Pourtant, un collègue du groupe Les Républicains, absent aujourd'hui, a dit en commission des affaires sociales que vous vouliez le faire et même « ouvrir la porte ».

Reformulé en « La séance est reprise » par le « brut caché » de l'IA

Sur le moment, nous n'avions pas nécessairement saisi de quoi il parlait. Mais nous avons vite compris : retraite à 65 ans, semaine de travail de trente-six heures ou trente-sept heures, etc. C'est reparti !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Avec les membres de mon groupe, nous ne voterons évidemment pas ces amendements de suppression.

Chers collègues, ayant moi-même été salariée pendant dix ans, je ne me reconnais absolument pas dans votre vision des relations dans le monde du travail, qui me semble assez désuète et datée. Il y a des lois sur le volontariat ; elles doivent être respectées. Comme M. le rapporteur l'a rappelé, nous y sommes très attachés.

Je suis fière d'avoir déposé cette proposition de loi avec Hervé Marseille. Au-delà des artisans boulangers et fleuristes, c'est de la vitalité de nos centres-villes et centres-bourgs qu'il s'agit.

Pour ces commerces, que nous essayons depuis des années de préserver, le 1er mai, c'est 25 % de chiffre d'affaires de plus qu'un jour férié classique. À l'échelon national, cela représente 70 millions à 80 millions d'euros. Pour les fleuristes, c'est le quatrième jour de l'année en volume de ventes. Et pour les salariés, c'est – je le rappelle – environ 400 euros sur la feuille de paie au mois de mai.

Oui, je défends le 1er mai férié et chômé ! Mais je défends aussi la possibilité, pour les artisans qui le souhaitent, de travailler et, pour les salariés qui le souhaitent, de gagner plus ! Voilà pourquoi nous proposons de sécuriser l'ouverture des commerces le 1er mai.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je ne me reconnais pas du tout dans la description que font nos amis de gauche de la relation de travail entre employeurs et salariés.

Les employeurs respectent leurs salariés. Ils ne cherchent pas à sanctionner de manière détournée ceux qui déclarent ne pas pouvoir travailler le dimanche ou un jour férié, par exemple parce qu'ils ont des enfants à garder.

Je connais des employeurs. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Je connais aussi des salariés, chers collègues. Les relations de travail ne sont pas du tout fondées sur le conflit ou les sanctions. Et les employeurs respectent le choix de leurs employés d'être, ou non, volontaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. Je me demande dans quel monde certains vivent…

Qui peut sérieusement croire qu'un chômeur ayant besoin d'argent pour nourrir ses enfants va répondre qu'il ne peut pas travailler le dimanche si la question lui est posée lors d'un entretien d'embauche ? Il n'aura évidemment pas d'autre choix que d'accepter ; il faut bien payer le loyer. C'est ça, le lien de subordination !

Peut-être que, dans votre secteur d'activité, il y a des personnes qui se disent : « Tiens, comme je ne sais pas quoi faire ce dimanche, si j'allais travailler ? » Mais, dans le monde réel, le dimanche, les gens doivent surtout s'occuper de leur famille : pour pouvoir aller travailler, il faut déjà avoir une solution de garde et savoir comment les enfants feront pour manger le midi !

Et vous pensez que la clé de la revitalisation des centres-bourgs, c'est le travail du 1er mai ? Sérieusement ?

Nous avons effectivement un problème structurel : nos commerces de proximité et les centres-bourgs sont en train de se dévitaliser. Mais je doute que la solution réside dans le travail du 1er mai. Regardez plutôt du côté du e-commerce ou de tout ce qui empêche aujourd'hui nos artisans de valoriser leur travail. Non seulement vous élèveriez le débat, mais, en plus, vous apporteriez des réponses concrètes à nos commerçants !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, j'ai demandé un scrutin public – je crois que je ne serai pas seul – sur ces amendements de suppression.

Je pense que nous vivons un moment politique important. C'est un vrai débat droite-gauche. Cela fait du bien de se rappeler de temps en temps qu'il y a, d'un côté, les progressistes et, de l'autre, une tendance plus que réactionnaire. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Chers collègues, n'ayez pas peur de l'adjectif « réactionnaire ». La réaction, littéralement, c'est le retour en arrière. Or ce que vous voulez faire, c'est revenir en arrière, tout simplement. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) C'est votre droit le plus strict.

Vous allez pouvoir vous déclarer officiellement réactionnaires par votre vote lors du scrutin public, ce système que vous aimez tant… Et vous pourrez ensuite justifier vos positions politiques dans vos territoires.

Pour ma part, je pense que ce texte aurait dû s'appeler « proposition de loi permettant aux employeurs d'obliger les salariés de certains secteurs à travailler le 1er mai ».

Mme Raymonde Poncet Monge. J'ai justement déposé un amendement en ce sens !

M. Patrick Kanner. Je me réjouis que nous ayons ce moment de clarification dans l'hémicycle. Cela nous permet d'affirmer nos positions politiques sur ce qui est un droit acquis depuis des dizaines et des dizaines d'années et, pour les salariés de ce pays, un symbole manifeste.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 4 et 15.

J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et, l'autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 338 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l'adoption 106
Contre 225

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 8, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° À la première phrase, après la deuxième occurrence du mot : « au », sont insérés les mots : « double du ».

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Vous l'avez compris, nous ne vous suivons pas sur ce que vous appelez le volontariat et j'aimerais revenir sur la notion de « lien de subordination », qui, pour information, n'est ni une insulte ni une critique : c'est tout simplement ce qui définit la relation entre un employeur et un salarié.

Mme Raymonde Poncet Monge. Oui, une subordination !

Mme Silvana Silvani. Entre parenthèses, s'il y a un code du travail, c'est précisément pour réguler ce lien…

Voilà pourquoi la notion de volontariat n'a pas de sens dans une relation salariale. On ne voit pas bien en quoi ce serait une justification en l'espèce.

Par cet amendement, nous voulons a minima protéger les salariés qui ne pourront pas refuser de travailler le 1er mai, en doublant la majoration.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Les salariés qui travaillent le 1er mai ont droit à une indemnité égale au montant du salaire s'ajoutant à la rémunération de la journée. Il s'agit donc d'une majoration de 100 %. Cela explique, selon les fédérations représentatives, que les salariés soient très souvent volontaires pour travailler ce jour-là. Nous nous en réjouissons.

La contrepartie prévue étant suffisante, il n'est pas souhaitable d'aller au-delà, sauf, évidemment, si une négociation collective le décidait.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Je profite de l'occasion pour revenir sur certains termes qui ont pu être prononcés : « progressiste », « réactionnaire », etc.

Chers collègues, je vous écoute et il me semble que vos propos dénotent une peur, une détestation, pour ne pas dire une diabolisation du travail. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Sincèrement, cela m'inquiète : à mon sens, un pays qui en viendrait à avoir peur, à détester et même à diaboliser le travail, à le considérer comme maléfique, n'aurait pas beaucoup d'avenir (Mme Ghislaine Senée s'exclame.), ne risquerait pas de connaître la prospérité et finirait par s'enfoncer dans la pauvreté.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il s'y enfonce déjà ! Et du fait de votre politique !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué tout à l'heure ne pas tolérer certains des propos que j'ai pu tenir. Eh bien, sachez que c'est réciproque : moi, je ne tolère pas la manière dont vous caricaturez nos positions !

Personne ici ne s'est déclaré hostile au travail. Simplement, ce que nous disons, c'est que vous êtes en train de défigurer le 1er mai. Si, par malheur, ce texte venait à être adopté et à entrer en vigueur, le 1er mai ne serait plus que l'ombre de lui-même. Or nous, nous tenons au 1er mai, pour toutes les raisons que nous avons déjà évoquées.

Mais, de grâce, ne caricaturez pas nos propos !

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le rapporteur, en France, ceux qui détestent le travail, ce sont les rentiers. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Et les rentiers, vous les favorisez ! (Mêmes mouvements.) Regardez plutôt du côté des travailleurs : eux ne détestent pas le travail, ils sont le monde du travail !

J'aimerais revenir sur l'une de vos déclarations. Vous avez reproché aux inspecteurs du travail d'abuser… quand ils font appliquer le droit du travail. Celle-là, il fallait quand même la faire !

Je reviens sur le lien de subordination. Depuis le début du XXe siècle, des dispositions ont été adoptées pour essayer de corriger le déséquilibre qui caractérise les relations de pouvoir au sein de l'entreprise. C'est l'objet du code du travail, dont l'existence même démontre la nécessité d'un rééquilibrage quand le lien de subordination est au cœur du contrat de travail.

L'amendement que nous examinons concerne la majoration. Comprenons bien de quoi il s'agit.

Le fait que le 1er mai soit un jour chômé est un droit collectif. La majoration, c'est la contrepartie prévue pour ceux qui, à titre individuel, ne peuvent pas bénéficier de ce droit parce qu'ils exercent une activité qui ne peut pas s'interrompre. Il s'agit non pas de « payer le double » le travail effectué – si le jour avait été chômé, la personne aurait tout de même reçu son salaire –, mais bien de compenser l'impossibilité de bénéficier d'un droit. (Marques d'impatience sur des travées du groupe Les Républicains.)

Il faut cesser de prétendre que le salarié qui travaille le 1er mai serait payé le double ; il est simplement payé pour son travail de ce jour-là !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 17 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Marseille et Malhuret, Mme Antoine, M. Belin, Mmes Bellurot et Berthet, M. Bonneau, Mmes Borchio Fontimp, Bourcier et V. Boyer, MM. Bruyen, Cambier, Delahaye et Delcros, Mmes Dumont et Duranton, M. Fialaire, Mmes Florennes, Gacquerre, F. Gerbaud et Guidez, M. Haye, Mmes Herzog et Imbert, M. Kern, Mme Lassarade, MM. Laugier et Lemoyne, Mme Malet, MM. Maurey et Menonville et Mmes Perrot, O. Richard, Romagny, Saint-Pé, Schalck, Sollogoub, Vérien et Vermeillet, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

Après le mot :

jour,

Rédiger ainsi la fin de l'alinéa :

les établissements suivants ne relevant pas du I :

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« III – Pour l'application du II, seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler. Le salarié qui refuse de travailler le 1er mai ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler le 1er mai pour un salarié ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement. »

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Depuis quarante ans, les boulangeries et les magasins de fleurs ouvrent le 1er mai. Depuis quarante ans, des salariés travaillent ce jour-là, sur la base du volontariat. Depuis quarante ans, nous nous rendons chez les boulangers et les fleuristes sans que cela ait posé de problème à quiconque jusqu'à présent.

M. Kanner nous a traités de « réactionnaires » et nous a accusés de vouloir un « retour en arrière ». En réalité, nous souhaitons simplement donner un cadre clair à l'ouverture de ces magasins le 1er mai, qui n'a pas fait débat depuis plus de quarante ans.

C'est la raison pour laquelle le présent amendement vise à apporter des précisions relatives au volontariat, dans un souci, là encore, de sécurisation.

Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Après le mot :

volontariat

insérer les mots :

exprimé par écrit à leur employeur dans un délai d'un mois

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Par cet amendement, nous proposons de préciser que le volontariat doit être exprimé « par écrit » et avec un délai d'un mois. Il s'agit évidemment d'une protection : le fait de ne pas vouloir travailler le 1er mai ne saurait être un motif de refus d'embauche.

Monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire que nous n'aimerions pas le travail. Je vous rappelle qu'en France, les salariés ont 364 jours pour travailler ; le seul jour chômé, c'est le 1er mai !

Je veux aussi revenir sur cette question du volontariat. Comme vous, je tiens des permanences. Et les gens que j'y rencontre me disent qu'ils n'ont vraiment pas le choix. Lorsqu'un jeune, une femme ou une personne en situation de précarité viennent travailler dans un supermarché le dimanche, ce n'est pas ce que vous appelez du « volontariat » ; c'est parce qu'ils y sont obligés !

Si on fait miroiter à une salariée en CDD depuis des mois qui élève seule ses enfants – nous en rencontrons tous dans nos permanences – la possibilité d'obtenir un CDI à condition de venir travailler le dimanche, elle n'aura évidemment pas le choix. En plus, les personnes sont culpabilisées sur le thème : « Si vous ne venez pas le dimanche, nous ferons travailler vos collègues. »

Et vous, vous nous parlez de volontariat ? Un peu de bonne foi, s'il vous plaît !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Ces deux amendements visent à renforcer les garanties relatives au volontariat.

La commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 17 rectifié bis. En revanche, elle demande le retrait de l'amendement n° 5, faute de quoi l'avis serait défavorable. En effet, le délai d'un mois nous semble abusif et source de complications, notamment pour les TPE.

Je voudrais revenir sur le volontariat et, plus généralement, sur le sens de cette proposition de loi. L'idée n'est évidemment pas – sur ce point, nous sommes d'accord – d'ouvrir les hypermarchés ou les supermarchés. Simplement, avec ce texte, dans ma commune, le fleuriste du quartier pourra vendre son muguet le 1er mai avec ses deux salariés, qui – je sais que cela vous paraîtra bizarre ! – aiment leur métier.

Mme Ghislaine Senée. Ils aiment peut-être aussi passer du temps avec leur famille…

M. Olivier Henno, rapporteur. Nous permettons ainsi à des responsables de TPE, qui ne sont pas d'affreux capitalistes aux profits mirobolants, de travailler honorablement et de faire vivre un peu mieux leur famille, sachant qu'ils réalisent un chiffre d'affaires important le 1er mai et qu'un petit brin de muguet ce jour-là – Jocelyne Guidez l'a souligné –, cela fait toujours plaisir !

Voilà le sens de la proposition de loi déposée par Annick Billon.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. À l'instar de la commission, le Gouvernement sollicite le retrait de l'amendement n° 5 au profit de l'amendement n° 17 rectifié bis, qui vise à apporter une précision utile dans le texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous voterons ces amendements.

Mme Raymonde Poncet Monge. Eh oui, ma chère collègue. Car je vois dans votre amendement une tentative, certes désespérée, de rendre effectif le volontariat. Et si vous essayez de le rendre effectif, c'est bien que vous avez pu observer ce que produit depuis des années la dérogation au repos dominical.

Mais aucun amendement ne pourra pas aller contre la réalité : il est vain de penser que, pour les salariés, le volontariat s'exerce en toute liberté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je ne dirai pas mieux ! Pourquoi déposer un tel amendement si vous êtes sûrs que le volontariat est réel et que le choix profond des salariés sera respecté ?

Vous n'avez pas beaucoup apprécié ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je le maintiens. Et d'ailleurs, cet amendement en est la confirmation. Vous n'auriez pas besoin d'introduire des dispositions aussi précises dans le texte si vous étiez convaincus par votre propre discours sur le volontariat. Mais manifestement, vous savez comment les choses se passent en pratique…

Pour ma part, je m'abstiendrai sur ces amendements. Les voter, c'est déjà composer avec ce texte. Or moi, je n'en veux pas du tout !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le rapporteur, à l'instar de ma collègue Lubin, je vous prie de ne pas caricaturer nos propos et de ne pas nous faire dire ce que nous n'avons pas dit. Je ne sollicite pas d'excuses, mais je vous demande de bien vouloir cesser de prétendre que nous n'aimerions pas le travail. Cela suffit !

Oui, monsieur le rapporteur, il y a des gens qui ont peur du travail. C'est un problème de santé reconnu. Ils ont la boule au ventre, ils sont stressés. J'en ai connu qui perdaient tous leurs moyens lors d'épreuves professionnelles. Je suis d'ailleurs certain que vous en connaissez aussi. Oui, cette peur existe, c'est un problème de santé et c'est sous cet angle qu'il faut l'appréhender. Merci donc de ne pas nous l'attribuer politiquement !

Comme vous, je siège souvent dans cet hémicycle. Et je dois vous dire que les conditions dans lesquelles nous légiférons me posent problème.

Voilà trois semaines, nous avons proposé de taxer – à un taux dérisoire ! – les 1 700 ultrariches. Vous avez refusé. Et, un peu après, ce texte visant à introduire des dérogations au code du travail arrivait en commission ! (Mme Raymonde Poncet Monge renchérit.)

Les choses sont simples : il y a un code du travail, mais il n'y a pas de code du capital. Ou, plus exactement, le seul « code du capital » qui existe à ma connaissance – c'est un livre très intéressant, dont je vous recommande vivement la lecture – ne fait malheureusement pas partie de notre corpus législatif. (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire que ceux qui chôment le 1er mai n'aiment pas leur travail.

Mme Annick Billon. Ce n'est pas ce qui a été dit !

Mme Silvana Silvani. C'est bien ce qui a été indiqué en creux. Et c'est faux !

J'ai longtemps été salariée – je ne me ferai pas offense en précisant le nombre d'années… – et j'ai beaucoup aimé mon travail. Et le 1er mai, j'étais avec mes collègues dans la rue et dans les réunions.

Impressionnant ! le brut caché de l'IA avait mis « monsieur le rapporteur », et pas « monsieur le travailleur » !

Par ailleurs, vous avez renvoyé tout à l'heure le montant de la majoration à la négociation collective. J'ai un peu de mal à vous suivre : quand les syndicats de travailleurs s'opposent unanimement à vos propositions, vous ne voulez pas discuter, mais quand il s'agit de fixer le montant d'une majoration, là, vous proclamez votre amour pour la fameuse négociation collective…

Je vois le contrat de volontariat qui est proposé dans l'amendement de Mme Billon comme une tentative d'apaisement. Mais, pour ma part, je ne l'accepte pas. D'ailleurs, cela ne change rien au lien de subordination. Pourquoi créer un contrat de volontariat quand il existe déjà quelque chose qui s'appelle le contrat de travail et qui a justement pour objet de fixer les conditions de travail ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. Mes collègues ont raison : voter l'amendement de Mme Billon, c'est entériner le fait que le texte va passer – quelque chose que nous avions peut-être intériorisé... Finalement, nous nous abstiendrons.

Moi aussi, j'ai un peu de mal à vous suivre : vous n'avez de cesse de proclamer la main sur le cœur, à longueur de colloques, votre volonté de simplifier les choses et, là, vous les complexifiez avec ce nouveau contrat de volontariat.

Les commerçants, artisans, boulangers et fleuristes qui veulent ouvrir leur boutique le 1er mai ne vous ont pas attendus : voilà quarante ans qu'ils le font tout seuls, comme des grands ! Et, comme eux, les syndicalistes sont très attachés au 1er mai et à ce petit brin de muguet, emblème de tant de luttes sociales, que l'on achète chez son fleuriste ou au coin de la rue…

Encore une fois, je déplore la complexité supplémentaire que vous créez avec ce nouveau contrat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Notre collègue Pascal Savoldelli regrettait la temporalité du texte.

Je rappelle que le groupe Union Centriste a été l'un des seuls, au moment de la crise de la covid, à proposer de taxer les superprofits et qu'il n'a pas été suivi. (Mmes Raymonde Poncet Monge et Cathy Apourceau-Poly s'exclament.)

Le fait est que le 1er mai tombe tous les ans à la même date et c'est à son approche que des fleuristes et des boulangers, notamment par l'intermédiaire de leurs syndicats professionnels, nous ont sollicités.

Sur la question du volontariat en particulier, notre amendement vise à préciser le texte. En général, cela permet de limiter les interprétations.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 5 n'a plus d'objet.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures,

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
 

(À suivre)