Pareillement, nous ne connaîtrons pas l'impact financier de la fusion des dispositifs de transitions collectives et de reconversion et de promotion par l'alternance (Pro-A), qui bénéficiaient de financements propres, liés à leurs missions spécifiques.
Ces dispositions auraient mérité une seconde lecture. L'intronisation de celles-ci sans possibilité d'amendement au Sénat semble encore le fait d'une méthode peu soucieuse de la démocratie parlementaire, tout comme les tergiversations sur la création de l'espace stratégique prévu dans l'ANI, qui ont conduit le Gouvernement à retirer son amendement à l'Assemblée nationale pour finalement en déposer un autre, plus conforme, sous la pression des partenaires sociaux.
Concernant l'ensemble du texte, nous maintenons nos réserves quant au CDI « salarié expérimenté » en raison de l'ouverture d'une nouvelle niche d'exonération de cotisations sociales, qui coûtera 123 millions d'euros, alors même que le Gouvernement ne cesse de multiplier les annonces sur les coupes budgétaires antisociales, passant de la sous-indexation des pensions à la TVA sociale et qu'une commission d'enquête du Sénat révèle que les dispositifs d'aides publiques aux entreprises s'accumulent sans évaluation.
Bien sûr, des modifications positives ont amélioré le texte. Je pense à l'introduction d'une obligation de négociation sur la santé au travail – mais seulement à partir de 250 salariés – ainsi que sur l'organisation du travail et les conditions de travail, comme nous l'avions relevé en première lecture.
Mais alors que le texte issu de l'Assemblée nationale avait limité les effets d'aubaine, en empêchant l'embauche d'un travailleur en CDI salarié expérimenté ayant travaillé dans la même entreprise dans les deux ans, le texte de la CMP a rétabli la limite à seulement six mois.
Nous regrettons que cette limitation de bon sens n'ait pas été conservée, alors même que l'article 9 bis, introduit par le biais d'un amendement issu des rangs parlementaires du dit socle commun, a été maintenu dans le texte Cet amendement aurait dû, à mon avis, être déclaré irrecevable en tant que cavalier législatif.
Cet article exclut en effet du calcul du bonus-malus de l'assurance chômage les licenciements pour inaptitude en cas d'impossibilité de reclassement dans l'entreprise, délestant les entreprises et les secteurs concernés de leur responsabilité quant aux conditions de travail.
Alors que le texte prétendait, à l'origine, lutter contre le chômage des travailleurs seniors, voilà que passe subrepticement un article pour invisibiliser les sorties par inaptitude de travailleurs dont le retour à l'emploi reste problématique.
Cette dernière disposition, qui s'ajoute au va-et-vient d'amendements gouvernementaux sans possibilité pour le Sénat – ou plutôt pour une partie de notre assemblée, mais pas pour les rapporteures – d'en débattre, nous conduit à ne pas voter en faveur d'un texte escamotant notre rôle de législateur.
Comme trop souvent durant cette session extraordinaire, le Sénat, ou tout du moins une partie de notre assemblée, n'est pas respecté. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors des débats au Sénat, nous avons eu l'occasion de saluer les avancées du projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.
Nous reconnaissons le travail des rapporteurs Frédérique Puissat et Anne-Marie Nédélec, qui a été mené dans les conditions très difficiles imposées au Sénat. J'en profite pour saluer le travail de ma collègue Monique Lubin, que je représente aujourd'hui et qui a travaillé sur ce texte pour notre groupe socialiste.
Nous saluons ce texte pour ce qu'il dit de la résilience du dialogue social en France. Il intègre en effet à la loi le contenu de pas moins de cinq accords sur lesquels ont réussi à s'entendre les partenaires sociaux depuis novembre dernier. C'est un élément positif, malgré les difficultés qui ont pu être rencontrées.
Nous avons bien pris note du fait que tous les syndicats n'ont pas signé l'intégralité des accords faisant l'objet du présent texte.
Nous savons également que le processus de transposition d'un point des accords de juin sur les transitions et les reconversions par le Gouvernement a dû être retravaillé avec les syndicats.
Nous avons constaté avec un grand soulagement que les partenaires sociaux ont enfin pu reprendre la main sur l'assurance chômage et sécuriser la situation jusqu'au 31 décembre 2028.
Nous avions déjà marqué notre accord quant aux dispositions reprenant fidèlement les accords nationaux interprofessionnels.
Au titre des avancées figurent les mesures renforçant la retraite progressive, qui peuvent servir de levier pour l'emploi des salariés dits expérimentés. Je pense notamment à l'encadrement des motifs de refus de l'employeur concernant une demande de passage à temps partiel ou à temps réduit dans le cadre de la retraite progressive.
Pour ce qui concerne l'assurance chômage, nous nous sommes réjouis que l'article 9 permette l'adaptation des conditions d'activité antérieure requises pour ouvrir des droits à une allocation. La durée de ces droits est également concernée, ce qui est une bonne chose.
Nous avons approuvé les mesures de renforcement du dialogue social sur l'emploi et le travail des personnes expérimentées. La mise en place d'une obligation quadriennale de négociation à destination des entreprises d'au moins 300 salariés portant sur l'emploi, le travail et l'amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés a également rencontré tout notre soutien.
Au titre des réserves qui étaient les nôtres, figuraient des craintes concernant d'éventuels effets d'aubaines liés à la mise en place du contrat de valorisation de l'expérience. Si les syndicats se sont voulus rassurants à ce propos, ils n'ont pas levé toutes nos inquiétudes face à la mise en place d'une nouvelle niche sociale.
Nous avions d'ailleurs déposé un amendement pour supprimer l'exonération de la contribution patronale spécifique de 30 % sur le montant de l'indemnité de mise à la retraite si elle survenait dans le cadre d'un contrat de valorisation de l'expérience.
Nos réserves portaient aussi sur les modalités de mise à la retraite à partir de 67 ans que prévoit ce texte. Il nous semble évident que cela pénalisera des salariés qui, ayant atteint un taux plein, peuvent avoir un montant de pension insuffisant et vouloir retarder leur départ pour obtenir une retraite décente.
Les modifications au texte apportées par le Gouvernement et les parlementaires de gauche, notamment lors des débats à l'Assemblée nationale, nous paraissent par ailleurs satisfaisantes, même si certaines ont été abandonnées lors des travaux de la commission mixte paritaire. Je pense au délai de carence, ramené de deux ans à six mois.
Je dois tout de même déplorer les mauvaises conditions d'examen du texte par le Parlement, qui sont de la responsabilité du Gouvernement. Le fait qu'un accord interprofessionnel fasse l'objet d'un consensus entre les partenaires sociaux ne prive pas le Parlement de son droit de regard sur ses dispositions et sa transposition, et ce dans de bonnes conditions de débat.
C'est pourquoi je déplore que les députés aient découvert la veille de leur examen les amendements du Gouvernement. Je déplore également que nous n'ayons pu, au Sénat, discuter véritablement du titre VII de ce texte et des amendements, qui ont été déposés au dernier moment.
Nous prenons bonne note de la création d'un nouveau dispositif de reconversion professionnelle – la période de reconversion –, qui est conforme à l'ANI.
Il en va de même de la création d'un conseil national quadripartite, placé auprès du ministre chargé de la formation professionnelle. Nous avons compris qu'un travail avait été fait avec le Gouvernement pour rendre au mieux l'accord trouvé entre partenaires sociaux.
Enfin, nous prenons également note de la création d'une instance paritaire, qui aura notamment un regard en matière de répartition des fonds destinés aux commissions paritaires régionales et de l'obligation instaurée pour l'employeur, dans le cadre du projet de transition professionnelle, de notifier au salarié bénéficiaire, trois mois avant la fin de la formation, son droit à réintégrer son poste ou un poste équivalent.
Ce sont ces avancées, ainsi que la fidélité du texte aux accords nationaux interprofessionnels, qui nous amènent à voter en faveur du projet de loi, malgré nos réserves. L'adoption du texte ne dispense cependant pas le Gouvernement de s'attaquer plus frontalement aux problématiques qui y sont traitées, notamment en ce qui concerne l'emploi des seniors.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mes trois collègues du groupe Les Indépendants membres de la commission des affaires sociales et moi-même n'avons aucun doute quant à l'adoption de ce texte.
C'est avec satisfaction que notre chambre pourra ainsi achever ses travaux à la fin de cette session extraordinaire, même si le projet de loi ne pourra malheureusement pas être examiné dans l'immédiat par l'Assemblée nationale, ce que nous regrettons.
Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. Tout à fait.
M. Marc Laménie. Tout le mérite revient aux membres de la commission des affaires sociales : nous proposons enfin des mesures concrètes en faveur de l'emploi des salariés expérimentés, qui pourront être appliquées dès les prochains mois.
En matière d'emploi des seniors, nous sommes clairement en retard, ainsi que l'ensemble des sénateurs ayant pris la parole à la tribune l'ont rappelé. Seuls 38 % des 55-64 ans ont un emploi en France, alors que dans l'Union européenne le taux moyen d'emploi des seniors est de 50,9 %. Nos voisins affichent quant à eux des taux bien plus élevés : 65 % en Allemagne, et jusqu'à 75 % aux Pays-Bas. Chez nous, le décrochage est encore plus alarmant à partir de 60 ans.
Je le sais, ce constat a maintes fois été rappelé, mais il me semble nécessaire d'insister sur ces chiffres, qui illustrent l'ampleur du retard à rattraper en la matière. Pourtant, ce projet de loi ne pourra pas tout. Nous devons continuer d'agir pour garantir l'accès à l'emploi des plus de 55 ans.
Au-delà de la lutte contre leur invisibilisation dans le monde professionnel, il s'agit également d'une nécessité pour la santé des finances de notre système de protection sociale. Une hausse de 5 points du taux d'emploi des seniors permettrait de créer 5 milliards d'euros de recettes supplémentaires pour notre système de retraite. Rappelons l'importance du budget de la sécurité sociale, qui représente 650 milliards d'euros, toutes branches confondues.
Si nous alignions notre taux d'emploi des seniors sur la moyenne européenne, le gain atteindrait 14 milliards d'euros. Ces marges budgétaires ne doivent pas être négligées, surtout dans le contexte actuel.
Par ailleurs, les salariés expérimentés sont une richesse incontestable pour les entreprises. Qu'il s'agisse de leur parcours, de leur savoir-faire ou de leur expérience, ils apportent une plus-value irremplaçable.
Le projet de loi permet notamment d'améliorer la gestion de la seconde partie de carrière. Désormais, lors de l'entretien professionnel qui suit la visite médicale de mi-carrière, les sujets de la formation, de la prévention de l'usure professionnelle et d'une éventuelle reconversion professionnelle devront systématiquement être abordés.
Toutefois, s'arrêter là ne suffit pas. Il faut également préparer la fin de carrière. Avant le soixantième anniversaire du salarié, un entretien devra ainsi permettre d'aborder des options de transition vers la retraite, notamment la retraite progressive. Aujourd'hui, en raison d'un manque d'information tant chez les salariés que chez les employeurs, ce dispositif demeure trop peu utilisé en France. À peine 35 000 personnes y ont recours, alors qu'entre 700 000 et 800 000 personnes partent à la retraite chaque année. Il est essentiel de mieux faire connaître cette possibilité.
Je l'indiquais précédemment, ce projet de loi ne pourra pas tout, notamment en raison de la complexité des codes concernés, en particulier du code du travail. Il prévoit des outils, certes, mais il faut instaurer une véritable culture de la préparation de la fin de carrière dans les entreprises pour améliorer l'emploi des seniors.
Le texte oblige également les entreprises de plus de 300 salariés et les branches professionnelles à tenir des négociations sur l'emploi des seniors. Il offre également à l'employeur la possibilité d'échelonner le versement de l'indemnité de départ à la retraite pour que celle-ci puisse constituer un complément de rémunération lors d'une retraite progressive.
Par ailleurs, le texte instaure l'expérimentation du contrat de valorisation de l'expérience. Ce CDI est réservé aux demandeurs d'emploi qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein et qui sont âgés de 60 ans et plus, ou de 57 ans et plus si un accord de branche le prévoit. L'employeur sera ainsi autorisé à mettre un salarié à la retraite dès lors que celui-ci remplit les conditions de liquidation d'une retraite à taux plein, tout en étant exonéré de la contribution patronale sur l'indemnité de mise en retraite. Cet outil nous semble pleinement pertinent en faveur de l'emploi de nos seniors.
Enfin, ce texte intègre également l'accord de juin dernier sur la reconversion professionnelle, qui vise à faciliter les transitions professionnelles externes et internes des salariés, et à encourager les périodes de conversion.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire respecte donc le contenu des accords nationaux interprofessionnels de novembre 2024 et de juin 2025. Le groupe Les Indépendants votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Bravo !
M. le président. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 353 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Pour l'adoption | 307 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
M. Khalifé Khalifé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. En quelques mots, je voudrais exprimer notre satisfaction d'être parvenus au terme de l'examen de ce texte.
Je salue l'engagement de nos deux rapporteures et le travail qu'elles ont accompli. L'exercice n'était pas simple.
D'une part, il fallait respecter les accords conclus par les partenaires sociaux et fidèlement les retranscrire, ce qui peut devenir un peu frustrant, car nous pouvons parfois être tentés de les amender. Nous l'avons démontré, le Sénat défend largement les valeurs de dialogue et de confiance.
D'autre part, certaines difficultés sont apparues : les accords étaient en partie incomplets, et si le texte les transcrit fidèlement, certains de ses articles proposent également quelques ouvertures.
Je salue la démarche des rapporteures, qui ont souhaité revenir vers les partenaires sociaux et organiser des tables rondes pour valider ces ajouts, afin que nous disposions directement d'un retour de l'ensemble des partenaires sociaux. Je les remercie d'avoir retenu cette méthode, un peu particulière.
Je comprends les frustrations de ceux qui auraient voulu porter d'autres mesures, mais il était pour nous essentiel d'achever l'examen de ce texte dans le respect des accords des partenaires sociaux, en accord avec la majorité gouvernementale, qui, avant-hier soir, a su finaliser certains arbitrages en adoptant un état d'esprit constructif vis-à-vis des propositions du Sénat.
Mon seul regret est que la dernière partie de l'examen du projet de loi soit renvoyée à la fin du mois de septembre, même si nous connaissons les difficultés qui ont empêché l'inscription du texte à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale avant la fin de la session extraordinaire. Je regrette le message que cela envoie aux partenaires sociaux, que nous avons mobilisés et auxquels nous avons demandé de respecter un calendrier. J'espère que le texte pourra être examiné très rapidement en septembre prochain, afin que les partenaires sociaux puissent prendre leurs dispositions. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Au nom du Gouvernement, je souhaite exprimer toute ma reconnaissance au Premier ministre Michel Barnier qui, le premier, avait souhaité relancer le dialogue social dans notre pays, en me demandant – j'étais déjà ministre du travail et de l'emploi – de remettre les partenaires sociaux autour de la table, ce qui a permis d'aboutir aux trois premiers accords signés.
Je remercie encore une fois les partenaires sociaux d'avoir adopté un tel esprit de compromis. En neuf mois, ils sont parvenus à conclure cinq accords importants sur des sujets qui concernent nos concitoyens au quotidien et sur lesquels des décisions étaient attendues.
Je remercie naturellement le Sénat de la qualité de nos débats ; je salue en particulier les rapporteures qui, jusqu'au bout, ont veillé à retranscrire le plus fidèlement possible l'esprit et la lettre de ces accords. Je les remercie d'avoir nourri un tel dialogue avec les partenaires sociaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur ma détermination à poursuivre le dialogue social dans un esprit constructif qui complète, selon moi, le travail de la démocratie représentative et qui peut devenir, ainsi que nos débats l'illustrent, une source d'apaisement et de réalisation du compromis.
Je regrette profondément que l'Assemblée nationale n'ait pu trouver le temps d'examiner ce texte avant la fin de la session extraordinaire. Encore une fois, ces outils sont attendus et par les salariés et par les entreprises. J'espère que ce texte sera examiné à la fin du mois de septembre prochain, ce qui permettra à ces outils d'être très rapidement disponibles. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Khalifé Khalifé applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Loïc Hervé.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Réforme de l'audiovisuel public
Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale, relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle (proposition n° 797, texte de la commission n° 825, rapport n° 824).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Rachida Dati, ministre de la culture.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, cher Laurent Lafon, monsieur le rapporteur, cher Cédric Vial, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons près de deux ans après l'examen en première lecture, au Sénat, de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.
Monsieur le président Lafon, les constats que vous aviez posés lors de la présentation de votre texte se confirment aujourd'hui, avec encore davantage d'acuité.
Aux côtés du rapporteur Jean-Raymond Hugonet, vous indiquiez alors déjà « qu'il était indispensable de donner plus de force à notre audiovisuel public, en regroupant ses talents dans une même structure ».
Les constats sont anciens et partagés. Permettez-moi de citer les travaux, au Sénat, de Jean-Pierre Leleux et André Gattolin en 2015, ceux de Catherine Morin-Desailly en 2018, ou encore le rapport d'information Hugonet-Karoutchi de 2022, qui préconisait le regroupement des entreprises de l'audiovisuel public « pour créer un acteur cohérent, puissant et innovant ».
La même orientation se retrouve du côté de l'Assemblée nationale, avec le rapport d'information de Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier en 2023, confirmé par les travaux de Virginie Duby-Muller et Jérémy Patrier-Leitus cette année.
Je tiens aussi à remercier le rapporteur du texte au Sénat, Cédric Vial, dont chacun connaît la ténacité. Il a permis d'enrichir le texte à chaque étape et de veiller à son équilibre.
Enfin, je n'oublie pas les différents rapports d'inspection rendus sur le sujet ni, bien sûr, le rapport de Laurence Bloch, qui partage la même conviction et aboutit aux mêmes conclusions que nous, en s'appuyant tout autant sur une expérience incontestable que sur un attachement concret à l'audiovisuel public, que personne ne saurait remettre en cause.
Contrairement à ce que j'entends parfois, le texte que nous nous apprêtons à examiner s'appuie sur une multitude de travaux étayés, émanant de diverses personnalités aux parcours très différents, ainsi que sur des travaux parlementaires très minutieux et fournis qui, depuis dix ans, vont tous dans le même sens.
Je l'affirmais avant même d'arriver au ministère de la culture et l'ai répété en prenant mes fonctions : l'audiovisuel public est l'un des piliers de notre démocratie. C'est un élément de notre patrimoine ; c'est un patrimoine vivant, un vecteur d'intégration, d'ouverture, d'émancipation. Au fond, il s'agit de la traduction même de la méritocratie. C'est parce qu'il doit pouvoir continuer de jouer pleinement ce rôle que cette réforme est indispensable.
Nous sommes entrés dans une période de profonde mutation. En 2023 déjà, monsieur le président Lafon, vous affirmiez que « le paysage a beaucoup changé depuis l'arrivée [des grandes plateformes] en 2014 », ce qui a « profondément modifié les usages de chacun d'entre nous ».
Ce phénomène ne fait que s'amplifier, s'accélérer, voire s'aggraver. Les modes de consommation se transforment : les contenus d'information, de culture ou de divertissement sont de plus en plus consommés sur les plateformes ou les réseaux sociaux. Des pans entiers de la population, en premier lieu les jeunes, désertent les médias traditionnels que sont la radio et la télévision, dont l'audience vieillit. Celle-ci touche majoritairement les plus de 50 ans, voire les plus de 65 ans, et les catégories socioprofessionnelles supérieures. Dans ce contexte concurrentiel, les groupes privés, eux, se structurent et s'organisent.
Face à cette situation, je le répète, nous avons deux solutions. La première, la solution de facilité, parfois même le cynisme, est la tentation de l'immobilisme, plus confortable, car elle ne froisse personne. Elle revient aussi à courir le risque d'un fort affaiblissement généralisé que certains, je peux vous le dire, espèrent.
La deuxième solution, c'est la défense d'un audiovisuel public fort, c'est-à-dire d'un audiovisuel public qui se transforme pour s'adapter aux nouveaux usages en diffusant mieux ses contenus, afin de continuer de s'adresser à tous et de préserver son rôle essentiel dans notre société.
Le débat sur ce sujet a malheureusement été confisqué à l'Assemblée nationale, au mépris de tous les Français, profondément attachés à ce service public – je le rappelle, ce sont eux qui le financent –, et au mépris des milliers de salariés qui attendent de la clarté sur l'avenir du secteur.
Les Français attendent de leurs responsables politiques qu'ils s'engagent, qu'ils écoutent et qu'ils répondent à leurs préoccupations. Quand ils élisent leurs représentants, c'est pour que ces derniers parlent en leur nom, et non entre eux. Je souhaite que le débat puisse être mené à son terme au Sénat, dans un climat apaisé, puisque, évidemment, nous avons le temps nécessaire.
M. Yan Chantrel. Pas vraiment !
Mme Rachida Dati, ministre. Arrêtons les caricatures. J'y insiste, cette réforme n'est rien d'autre qu'une réforme de la gouvernance. Un constat me semble unanime : la nécessité de renforcer les coopérations. Pour y parvenir, certains ont fait le pari de rapprochements par le bas, sans gouvernance commune.
Force est de constater que cette stratégie n'a pas permis d'atteindre les objectifs fixés. D'ailleurs, deux présidentes de deux entreprises de l'audiovisuel public l'ont constaté dans un courrier, évoquant une coopération par le bas pour aboutir à une gouvernance unique.
Il faut monter d'un cran, aller plus loin pour armer notre audiovisuel public face à la puissance des bouleversements en cours. Ce choix, retenu par le président Lafon dans sa proposition de loi, que le Sénat avait adoptée en première lecture, nous vous proposons de le faire de nouveau. L'audiovisuel public a besoin d'un chef d'orchestre, d'une capacité à arbitrer avec un président-directeur général unique, de sortir des fonctionnements en silo, d'avoir des stratégies réellement coordonnées. J'entends certains, à gauche, promettre « un combat politique, sociétal, moral » sur ce texte.
Mme Raymonde Poncet Monge. Absolument !
Mme Rachida Dati, ministre. Ce texte ne consiste en rien d'autre qu'à rassembler les forces de l'audiovisuel public pour que celui-ci s'adresse à tous les Français sur notre territoire national. Je le redis, ils financent tous ce service ; nous le leur devons. L'audiovisuel public n'appartient pas à un petit club. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
De quel combat politique, sociétal et moral parle-t-on ? Mesdames, messieurs les sénateurs, ne vous trompez pas de combat, ce texte avait déjà été adopté en première lecture au Sénat.
Mme Sylvie Robert. Non, ce n'est pas le même texte !
Mme Rachida Dati, ministre. Certains se trompent de combat. Vous vous attaquez à ma personne, (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) souvent de manière très indigne, soit dit en passant, mais nous sommes tous comptables de l'intérêt général.
Mme Laurence Rossignol. Ne soyez pas égocentrique !
Mme Rachida Dati, ministre. C'est le seul combat qu'il faut mener pour préserver l'audiovisuel public. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne peux imaginer que nous ne partagions pas ce combat.
Mme Corinne Féret. Quel argument !
Mme Rachida Dati, ministre. Je ne peux imaginer que nous ne partagions pas le combat pour un audiovisuel public fer de lance de la lutte contre la désinformation ; pour un audiovisuel public levier puissant de promotion et de soutien à notre création culturelle et artistique ; pour un audiovisuel public qui continue de s'adresser à tous les Français, quels que soient leur âge, leur catégorie sociale ou leur origine ; pour un audiovisuel public qui reste ainsi un patrimoine commun. Pour cela, il est nécessaire de faire évoluer la gouvernance du secteur.