Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Alexandra Borchio Fontimp,

Mme Céline Brulin.

Élection d'une sénatrice

Conférence des présidents

Conclusions de la conférence des présidents

Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat

Rappel au règlement

Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Souhaits de bienvenue à une ministre et hommage à son prédécesseur

Discussion générale

Question préalable

Discussion générale (suite)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025

Article 1er

Article 2

Article 3

Intitulé de la proposition de loi organique

Vote sur l'ensemble

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

Questions orales

avenir des concessions hydroélectriques

retour du loup

traitement des enquêtes pour violences policières et cellules de déontologie

dérive liée à la généralisation de l'usage des obligations de quitter le territoire français

prise en charge des troubles du langage chez les enfants

prix du lait dans certaines enseignes de la grande distribution

décrets d'application de la loi du 5 février 2025 sur le cancer du sein

Ordre du jour

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Alexandra Borchio Fontimp,

Mme Céline Brulin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Élection d'une sénatrice

M. le président. Par lettre en date du 15 septembre 2025, le ministère de l'intérieur m'a fait connaître que, à la suite des opérations électorales du dimanche 14 septembre 2025, Mme Annick Girardin a été proclamée élue sénatrice de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le mandat de notre collègue a débuté le 15 septembre 2025 à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST, UC et Les Républicains.)

2

Conférence des présidents

M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie hier, mardi 14 octobre 2025, sont consultables sur le site du Sénat.

En l'absence d'observations, je les considère comme adoptées.

Conclusions de la conférence des présidents

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mercredi 15 octobre 2025

À 15 heures et, éventuellement, le soir

- Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution

• Intervention des orateurs des groupes, à raison d'un orateur par groupe, par ordre décroissant des effectifs des groupes, avec 14 minutes pour le groupe Les Républicains, 12 minutes pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, 10 minutes pour le groupe Union Centriste et 8 minutes pour les autres groupes, ainsi que 3 minutes pour un sénateur ne figurant sur la liste d'aucun groupe

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 15 octobre à 12 heures

- Proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025, présentée par MM. Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Mme Maryse Carrère (procédure accélérée ; texte de la commission n° 21, 2025-2026)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 13 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 14 octobre après-midi

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mercredi 15 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 15 octobre à l'issue de la discussion générale

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 15 octobre à 12 heures

- Questions orales

SEMAINE SÉNATORIALE

Lundi 20 octobre 2025

À 16 heures et le soir

- Proposition de loi visant à permettre à une commune d'être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc naturel national (PNN) et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR), présentée par M. Jean Bacci (texte n° 747, 2024-2025 ; demande du groupe Les Républicains)

Ce texte a été envoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 14 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 octobre après-midi

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 17 octobre à 16 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 20 octobre après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 17 octobre à 15 heures

- Proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe BAS, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Mme Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues (texte n° 317, 2024-2025) (demande du groupe Les Républicains)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 14 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 17 octobre à 16 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 20 octobre après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 17 octobre à 15 heures

- Proposition de loi relative aux formations en santé, présentée par Mme Corinne Imbert et plusieurs de ses collègues (texte n° 868, 2024-2025) (demande du groupe Les Républicains)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 14 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 17 octobre à 16 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 20 octobre après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 17 octobre à 15 heures

Mardi 21 octobre 2025

À 14 h 30 et le soir

- Suite de la proposition de loi relative aux formations en santé, présentée par Mme Corinne Imbert et plusieurs de ses collègues (texte n° 868, 2024-2025) (demande du groupe Les Républicains)

- Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l'exercice du mandat d'élu local (texte n° 854, 2024-2025) (demande du Président du Sénat)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 14 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 21 octobre après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 20 octobre à 15 heures

Mercredi 22 octobre 2025

À 15 heures

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : mercredi 22 octobre à 11 heures

À 16 h 30 et le soir

- Suite de la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l'exercice du mandat d'élu local (texte n° 854, 2024-2025) (demande du Président du Sénat)

Jeudi 23 octobre 2025

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)

- Proposition de loi visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant, présentée par M. Xavier Iacovelli (texte n° 349, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 14 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 22 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 22 octobre à 15 heures

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises (texte n° 677, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des finances.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : mardi 14 octobre à 17 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 15 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 22 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 22 octobre à 15 heures

À l'issue de l'espace réservé au groupe RDPI et au plus tard à 16 heures

- Suite de la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l'exercice du mandat d'élu local (texte n° 854, 2024-2025) (demande du Président du Sénat)

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 28 octobre 2025

À 14 h 30 et le soir

- Projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer (procédure accélérée ; texte n° 870, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 22 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 28 octobre après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 27 octobre à 15 heures

Mercredi 29 octobre 2025

À 15 heures

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : mercredi 29 octobre à 11 heures

À 16 h 30 et le soir

- Deux conventions internationales examinées selon la procédure d'examen simplifié :

=> Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire (procédure accélérée ; texte n° 764, 2024-2025)

=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord (texte n° 788, 2024-2025)

• Délai limite pour demander le retour à la procédure normale : lundi 27 octobre à 15 heures

- Projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (procédure accélérée ; texte n° 855, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des finances.

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 21 octobre après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 28 octobre à 15 heures

- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire (texte n° 496, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission à la commission des finances. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 22 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l'article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 27 octobre à 12 heures

• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 24 octobre à 17 heures

• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 5 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 4 minutes chacun, ainsi qu'un sénateur ne figurant sur la liste d'aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes

• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mardi 28 octobre à 15 heures

- Éventuellement, suite du projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer (procédure accélérée ; texte n° 870, 2024-2025)

Jeudi 30 octobre 2025

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

(Ordre du jour réservé au groupe CRCE-K)

- Proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues (texte n° 221, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des finances.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 21 octobre après-midi

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 29 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 29 octobre à 15 heures

- Proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (texte n° 626, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des finances.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 20 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 22 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 29 octobre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 29 octobre à 15 heures

SEMAINE DE CONTRÔLE

Mardi 4 novembre 2025

À 9 h 30

- Questions orales

À 14 h 30

- Débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances (demande de la commission des finances)

• Temps attribué à la commission des finances : 8 minutes

• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :

2 minutes, y compris la réplique

Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l'auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute

• Conclusion par la commission des finances : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 novembre à 15 heures

- Débat sur le thème : « L'avenir de la décentralisation » (demande du groupe Les Républicains)

• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure

• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l'orateur de répliquer pendant 1 minute

• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes

• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 novembre à 15 heures

- Débat sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? » (demande du groupe Les Républicains)

• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes

• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure

• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l'orateur de répliquer pendant 1 minute

• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes

• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 3 novembre à 15 heures

Mercredi 5 novembre 2025

À 15 heures

- Questions d'actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l'inscription des auteurs de questions : mercredi 5 novembre à 11 heures

À 16 h 30 et le soir

- Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (texte n° 877, 2024-2025) (demande du groupe UC)

Ce texte a été envoyé à la commission des finances avec une saisine pour avis de la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 3 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 5 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 4 novembre à 15 heures

Jeudi 6 novembre 2025

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)

- Proposition de loi visant à libérer l'accès aux soins dentaires, présentée par M. Raphaël Daubet (texte n° 899, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 28 octobre après-midi

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 3 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 5 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans ma discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 5 novembre à 15 heures

- Proposition de loi visant à créer un fichier national des personnes inéligibles, présentée par Mme Sophie Briante Guillemont (texte n° 884, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 3 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 5 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 5 novembre à 15 heures

À l'issue de l'espace réservé au groupe RDSE et au plus tard de 16 heures à 20 heures

(Ordre du jour réservé au groupe SER)

- Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues (texte n° 551, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 3 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 5 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 5 novembre à 15 heures

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade (texte n° 675, 2024-2025)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 octobre à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 octobre matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 3 novembre à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 5 novembre matin

• Temps attribué aux orateurs dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 5 novembre à 15 heures

2

Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a le temps des crises. Et il y a aussi celui du rebond.

De la division naît le débat. Du débat naît le compromis. Le temps du compromis est indispensable, car la France a besoin de stabilité. Et il n'y a pas de compromis sans bicamérisme.

Vous connaissez et représentez dans notre République les collectivités territoriales, au sein desquelles il faut pouvoir s'entendre – avec les oppositions, parfois même au sein de sa majorité, d'autres fois encore avec les maires des communes voisines.

Tous ne pensent pas comme vous, mais tous veulent servir. De ce qui semble une contrainte naît une intelligence locale. Et il faut que cette dernière nous inspire nationalement. Le Gouvernement, en mêlant les expériences et les profils, souhaite porter cette ambition.

Il nous faut sortir de cette crise par le haut, dans le respect des convictions de toutes et tous et de la parole de chacun, y compris celle de nos oppositions. Or, il faut bien le reconnaître, nous ne l'avons sans doute pas suffisamment fait par le passé.

M. Jean-François Husson. Ce n'est rien de le dire !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Le Gouvernement a une première mission, d'urgence : donner un budget sérieux et fiable à la France. Un budget utile pour les Français. Un budget adopté avant la fin de l'année, donc.

Pour réussir cette mission, nous aurons ensemble à redonner du sens à la politique et à la vie parlementaire, par des paroles, sans doute, pour apaiser un débat qui s'est trop envenimé ; par des actes, surtout, par une nouvelle pratique du pouvoir qui doit amener plus de progrès et des résultats pour nos concitoyens.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Cette nouvelle pratique du pouvoir doit nous permettre de porter quelques dossiers – j'en vois huit – que le Gouvernement estime urgents. En complément de ma déclaration de politique générale, qui vous a été lue hier, permettez-moi de vous présenter ces différents dossiers.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité absolue du Gouvernement est le budget, celui de l'État comme celui de la sécurité sociale. Les Français n'en attendent pas moins de leurs représentants. Au Gouvernement de le proposer, à nous d'en débattre, à vous de le voter.

J'admets que, au regard des circonstances, le projet de budget est plus que perfectible. À l'instar de mon prédécesseur Michel Barnier, qui était il y a un an dans une situation semblable à la mienne, j'ai choisi de déposer ces textes en respectant les délais constitutionnels, après avoir fait évoluer la copie sur les points les plus saillants, à la suite des nombreuses consultations que j'ai menées.

Toutefois, il reste encore beaucoup de choses à améliorer. Je sais que le Sénat y prendra toute sa part, en responsabilité. J'aurai l'occasion de vous présenter plus en détail ce projet de budget, mais comme vous l'aurez compris, celui-ci repose sur le principe simple d'une maîtrise des comptes publics, puisque, dans sa version initiale, le déficit se voit réduit à 4,7 % du PIB. Et dans tous les cas de figure, à la fin de la discussion budgétaire, il devra s'établir en dessous de 5 % du PIB.

L'impératif de souveraineté s'impose à tous. Je sais que vous y veillerez. La trop forte dépendance à des prêteurs étrangers n'est pas acceptable. Dès 2025, nous aurons respecté les 5,4 % de déficit prévus. Cela ne constitue qu'une étape, mais elle est clé.

Certains questionnent, à juste titre, notre capacité collective à réaliser de réelles économies. C'est pour moi une priorité dans la relation à nos concitoyens comme pour le consentement à l'impôt.

Le Président de la République a fait le choix de ne pas transiger avec notre souveraineté et notre sécurité. C'est pourquoi les crédits consacrés aux armées connaîtront une augmentation inédite, conformément au respect de la loi de programmation militaire actuelle, mais aussi à l'accélération annoncée le 14 juillet dernier. Il y va de notre indépendance.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. De même, les moyens des ministères de l'intérieur et de la justice seront en progression.

Mais les moyens dont dispose le reste des ministères baisseront en euros constants. Cet effort est inédit. Et s'il est encore insuffisant, il n'en sera pas indolore pour autant. Il se traduira par une baisse, en euros constants, des moyens alloués aux administrations pour conduire les politiques publiques. À titre d'exemple, j'ai décidé que, l'an prochain, les dépenses de communication de l'État et de ses opérateurs baisseraient de 20 %.

Cela n'étant toutefois pas suffisant, j'ai installé, dès mon arrivée à Matignon, la mission « État efficace » pour faire en continu des propositions de rationalisation des dépenses publiques, à commencer par la suppression ou la fusion d'administrations ou d'organismes, en s'appuyant notamment sur les travaux que vous avez menés, mesdames, messieurs les sénateurs.

Il nous faut enfin engager un mouvement continu d'amélioration de l'efficacité de l'État dans un cadre pluriannuel crédible, en revoyant le format de l'État central, qui, malgré les mouvements de décentralisation et de déconcentration, demeure pléthorique.

Ce chantier sera mené au bénéfice de l'État déconcentré, qui, pour sa part, s'est trop souvent paupérisé au cours des vingt dernières années.

Nous avons par ailleurs décidé de présenter un projet de loi – le plus ambitieux depuis plusieurs décennies – de lutte contre la fraude fiscale et sociale.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Je sais que, dans cet hémicycle, les pistes d'économies proposées par ce texte réuniront une majorité. Je sais aussi que des propositions seront formulées pour le renforcer. Le Gouvernement y est très ouvert. (Mme Nathalie Goulet se frotte les mains.)

De la même manière, l'allocation, par l'État, de soutiens financiers dans ses nombreux domaines d'intervention ne doit donner lieu à aucune opacité ni à aucune situation de rente que l'on ne saurait expliquer.

En matière d'énergies renouvelables et de sobriété énergétique, par exemple, s'il est hors de question de baisser nos ambitions environnementales, il est tout aussi exclu que ces dernières pèsent anormalement sur le contribuable.

Les prix pratiqués doivent être maîtrisés, les structures de coûts doivent être transparentes et ces secteurs doivent supporter la concurrence : il y a un marché et des consommateurs. Il ne faut avoir aucun tabou dans les solutions à adopter pour lutter contre les effets de rente, y compris en matière de police des prix.

Je sais que le Sénat a proposé des mesures d'économies : certaines sont consensuelles dans cet hémicycle, d'autres non. Toutes seront examinées et débattues. Aucune ne doit être repoussée a priori par dogmatisme : seul le résultat compte, dès lors que ces mesures sont sincères, documentées et justes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière fiscale, certaines formations politiques réclament des hausses d'impôts, d'autres souhaitent une autre répartition des efforts entre les ménages, en mettant notamment l'accent sur les très grandes fortunes ou sur les entreprises.

Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, le Gouvernement considère qu'il ne faut pas augmenter la masse globale des prélèvements obligatoires. Mes prédécesseurs, qui ont eu la lourde tâche de faire voter le budget 2025 dans les conditions que vous connaissez, ont déjà dû recourir à la fiscalité, en augmentant les prélèvements obligatoires en 2025. Je considère par principe que cet effort fiscal doit être le plus limité possible.

La poursuite de l'effort de redressement des comptes publics emportera une augmentation contenue et moins importante que l'année dernière. Afin de situer cet effort dans le temps long, j'indiquerai toutefois que la pression fiscale s'établira à 36 milliards d'euros de moins qu'en 2017.

Je sais que cette question fera débat, mesdames, messieurs les sénateurs. Lorsque ce débat se tiendra, il ne faudra jamais perdre de vue la croissance, l'emploi et l'attractivité économique. Je suis également ouvert aux discussions relatives à la répartition de ces impôts.

Le budget 2025 ne prévoyait aucune diminution. Ce projet de budget prévoit une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au profit des petites et moyennes entreprises. Encore une fois, il s'agit d'une proposition ; il vous appartiendra de trancher.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, ce budget demandera un effort aux collectivités locales, comme à tous les acteurs de la République, à commencer par l'État, qui doit être exemplaire.

Étant élu local, j'ai conscience que cet effort est difficile et parfois incompris. Aussi ai-je souhaité, en reprenant cette copie – j'y reviendrai, car c'est au fondement de la confiance nécessaire à la réussite de l'acte de décentralisation –, que la trajectoire des moyens alloués aux collectivités demeure en hausse en 2026.

Il faudra par ailleurs veiller à adapter ces mesures au cas par cas. Comment ne pas voir la situation préoccupante des conseils départementaux ? L'État sera au rendez-vous, au travers d'un fonds de sauvegarde des départements pour 2026. Au-delà de ces mesures d'urgence, il faut enfin se mettre au travail pour adopter des mesures structurelles en faveur des départements. C'est ce que j'ai demandé à la ministre chargée des collectivités locales. Nous y reviendrons.

Mesdames, messieurs les sénateurs, une autre conviction anime ce gouvernement : la décentralisation qu'il convient d'opérer n'est possible qu'en réformant l'État et en repartant de la définition de ce dernier. C'est une conviction forte que je partage avec le Sénat, en particulier, je le sais, avec son président.

Il n'y aura d'ailleurs pas de débat sur le rôle des collectivités sans débat préalable sur le rôle de l'État. Un projet de loi – je l'avais annoncé dès ma prise de fonction – sera soumis en ce sens au Parlement avant les élections municipales. Je souhaite ici en préciser les grands principes et les domaines d'application dans la vie de nos concitoyens.

Après les grandes réformes de décentralisation, le projet de loi qui vous sera présenté par le Gouvernement se proposera de réformer l'action publique de manière globale, non pas, comme on peut le lire ici ou là, pour faire plaisir aux élus locaux, mais pour rendre le fonctionnement de tous nos services publics plus efficace, dans une logique de modernisation, de responsabilité et plus encore de proximité.

Nos débats devront tout d'abord se concentrer sur une question centrale : qu'est-ce que l'on attend de l'État ? La police, la justice, la sécurité, la défense, les relations internationales sont les missions qui font le cœur même de l'État, d'une part parce que celui-ci ne peut pas s'y soustraire, et, d'autre part, parce que nos compatriotes attendent plus de lui, et rien, ni les bouleversements géopolitiques ni la situation intérieure du pays, ne laisse présager que les attentes des Français en la matière iront en s'atténuant.

C'est pourquoi, comme je l'indiquais, les budgets des missions régaliennes de l'État, en hausse depuis 2017, continueront d'augmenter cette année encore. L'État régalien s'est renforcé, et il ne faut pour rien au monde revenir sur cette évolution.

Pour le reste, il faudra se réorganiser. Des missions aujourd'hui assumées par l'État pourront être assurées au niveau local. L'inverse pourra aussi être vrai. Mais il s'agira – c'est le cœur de ce texte – d'identifier une fois pour toutes qui est responsable de quoi.

Je proposerai un principe simple, celui de l'identification d'un seul responsable – ministre, préfet ou élu au suffrage universel – par politique publique. Il s'agira de décentraliser non pas seulement des compétences, mais aussi des responsabilités, assorties de moyens budgétaires et fiscaux, ainsi que de libertés, y compris normatives.

Ce principe fait écho à un autre principe démocratique et, donc, de bon sens : celui qui décide est responsable devant les électeurs. Il faut donner aux élus les moyens d'exercer leur responsabilité. Beaucoup l'ont dit, peu l'ont fait. Nous le ferons, car c'est une conviction qui m'anime personnellement.

Un nouveau grand acte de décentralisation peut-il être engagé par le Gouvernement dans les trois mois ? On m'a beaucoup dit que cela prendra du temps. On m'a beaucoup dit que le Parlement était trop divisé pour s'entendre sur ce sujet, notamment à l'Assemblée nationale. Je pense tout le contraire. C'est précisément parce que cela prendra du temps qu'il faut engager cette réforme tout de suite. Sinon, elle sera reportée une fois de plus. Et jusqu'à quand ? Nous n'attendrons pas.

D'autres textes issus du Sénat avancent. Vous venez d'examiner en deuxième lecture la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local.

Apportant des réponses à des problèmes anciens, ce texte simplifie l'engagement des élus locaux, améliore la reconnaissance et la sécurité juridique de leur action et facilite l'engagement de tous les profils par une meilleure conciliation du mandat avec la vie professionnelle. Cela se traduira notamment par une amélioration du régime indemnitaire des élus locaux.

Le Gouvernement soutient cette proposition de loi et s'engage à faciliter son adoption aussi tôt que possible, car celle-ci est essentielle pour notre démocratie locale, en particulier dans la perspective des prochaines élections municipales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la troisième priorité que je souhaite évoquer devant vous a évidemment trait à la santé et aux comptes de la sécurité sociale.

La question des franchises médicales fera débat. J'ai été attentif à ce que les femmes enceintes, les enfants mineurs et nos concitoyens les plus pauvres – soit 18 millions de Françaises et de Français – soient exclus du dispositif. Il faudra toutefois débattre de cette mesure qui ne peut être balayée d'un revers de main, en particulier parce qu'elle renvoie au débat relatif à la justice fiscale et sociale.

Il nous faudra également débattre de l'accès aux soins, de nos hôpitaux et de la médecine de ville. Je n'imagine personne oser dire à nos compatriotes que, pour lutter contre les déserts médicaux, on devra attendre la prochaine élection présidentielle.

Il est possible d'ouvrir des maisons France Santé partout sur notre territoire ou de garantir à nos compatriotes un rendez-vous avec un médecin en moins de quarante-huit heures et à moins de trente minutes de chez eux, dès lors que l'on accepte de réfléchir et de travailler tout à fait différemment, en cassant les logiques et les oppositions actuelles.

Une première ébauche est prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. La ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées vous présentera ce texte très prochainement.

D'autres mesures rendront l'accès aux soins plus simple dans nos territoires : la facilitation de l'ouverture d'officines dans les communes de moins de 2 500 habitants, l'installation de jeunes médecins dans les territoires sous-dotés et celle de 3 700 docteurs juniors dans le cadre de leur dernière année de diplôme d'études spécialisées de médecine générale.

Il n'y aura aucune fermeture d'hôpital en 2026. Comme je l'ai déjà indiqué, il est en effet possible de réaliser des économies sans tomber dans l'austérité. Nous continuerons même à investir dans les hôpitaux, à hauteur de 2,3 milliards d'euros. Quelque 5 milliards d'euros de plus seront alloués à la santé dans le prochain budget de la sécurité sociale, dans lequel l'effort en faveur de la santé mentale est par ailleurs maintenu, à hauteur de 300 millions d'euros, comme l'un de mes prédécesseurs s'y était engagé.

Plus globalement, on ne peut pas ne pas voir que l'organisation de notre politique de santé doit être réinterrogée. Trop d'acteurs interviennent dans la mise en œuvre d'une même politique publique. On accumule les initiatives et, donc, les dépenses. Une grande clarification des responsabilités s'impose. Vous la réclamez, je le sais, depuis longtemps.

Le projet de loi sur la décentralisation et la réforme de l'État doit nous permettre d'engager sereinement ce débat. Qu'est-ce que l'État doit prendre en charge plus directement ? Quelle réflexion devons-nous mener sur le fonctionnement actuel des agences régionales de santé ? Les élus doivent-ils participer à leur gouvernance ? Que faut-il décentraliser ou, au contraire, mieux assumer au niveau de l'État ? Qu'attend-on des élus locaux qui siègent dans les conseils d'administration des hôpitaux ?

Il n'y a pas de réponse magique. Je ne sais qu'une chose : le statu quo et le surplace ne sont plus possibles, car il faut d'urgence améliorer l'accès aux soins, ce qui – nous le savons tous – n'est pas qu'une affaire d'argent. Il nous faudra donc réformer en respectant les femmes et les hommes qui rendent ce beau service public.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement porte aussi l'ambition de protéger notre environnement et de lutter contre le réchauffement climatique. (M. Yannick Jadot s'en réjouit.)

La France entend continuer à mener ce combat, qui relève aussi bien de l'international que du niveau local, comme elle le fait depuis 2017. Le bilan de la nouvelle ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature prouve ses compétences en la matière.

Nous devons avancer efficacement, sans dogmatisme et en adoptant une approche locale, car l'écologie relève de l'aménagement du territoire.

Décentraliser les compétences, les responsabilités et les moyens, c'est aussi une formidable occasion de repenser complètement notre planification écologique et énergétique. Nous ferons en la matière des propositions précises.

Certains travaux du Sénat pourront nous guider le long de ce chemin. Je pense en particulier à ceux qui sont relatifs à la gestion de l'eau, laquelle, comme vous le savez, relève non pas de périmètres administratifs, mais de réalités géographiques de terrain.

L'écologie suppose aussi de pouvoir se déplacer en polluant moins. Sans mobilité, les Français seraient privés d'accès à l'emploi, à la santé, à l'éducation, aux loisirs et donc à leurs besoins essentiels. Il n'est de même pas de croissance sans transports. La question de la desserte des territoires est à ce titre capitale pour enrayer la progression du sentiment de relégation qu'éprouvent des millions de nos concitoyens.

Le ministre des transports vous proposera un projet de loi-cadre prévoyant d'allouer les recettes des futures concessions autoroutières au développement de nouvelles mobilités et de nouvelles infrastructures, notamment ferroviaires. La discussion de ce projet de loi devra avancer en miroir des travaux de décentralisation que j'évoquais.

Puisque l'écologie relève de l'aménagement du territoire, elle inclut aussi le logement.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. En la matière, il faut le reconnaître, si beaucoup a été entrepris depuis 2017, avec sincérité et volontarisme, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous.

M. Jean-François Husson. C'est le vide sidéral !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. La panne de la construction affecte toute l'économie. Je salue à ce titre les premières décisions prises récemment par la ministre Valérie Létard. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. L'ancienne ministre !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Trop nombreux sont nos compatriotes qui ont du mal à se loger. La part des dépenses de logement dans le revenu des ménages a atteint un niveau excessif et constitue l'une des principales causes des difficultés de pouvoir d'achat des Français.

Le reste à vivre, ce qu'il reste à un ménage lorsqu'il a payé toutes ses factures, se réduit. Des solutions existent pourtant : réduire le millefeuille des documents de planification, de sorte que ces derniers soient plus durables, moins coûteux pour les collectivités et plus efficaces, ou simplifier les procédures d'urbanisme, pour baisser les coûts de construction.

La proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement, dite proposition de loi Huwart, était un premier pas. Il faudra continuer. Les ministres sont à votre disposition.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la cinquième priorité est confiée à la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, accompagnée du ministre délégué chargé de la ruralité. Tous deux portent des convictions fortes et une feuille de route claire pour nos territoires.

Il y a urgence pour nos campagnes et pour notre ruralité. Près de 80 % de nos territoires sont ruraux. Je vous le dis comme je le pense : ce sont des territoires d'avenir. Quelque 22 millions de Français y vivent et y travaillent, y compris dans notre industrie, et, bien sûr, dans notre agriculture, laquelle garantit à la France sa souveraineté alimentaire. Il est temps de faire confiance aux agriculteurs comme aux habitants de ces villages.

Le ministre Michel Fournier, qui porte la voix de la ruralité, familière dans cette assemblée, aura pour mission de développer toutes les formules itinérantes de services publics et de commerces de proximité, sur le modèle des maisons France Services. Il aura aussi pour mission de garantir un accompagnement adapté des collectivités rurales les plus fragiles, selon la méthode du programme Villages d'avenir. Je tiens à le remercier de son engagement. Sa voix singulière pèsera au sein du Gouvernement.

Le Gouvernement poursuivra l'action menée il y a quelques années par Jacqueline Gourault au travers des plans Action cœur de ville et Petites Villes de demain, afin de sauver et, surtout, de développer le commerce de centre-ville. Je compte pour ce faire sur le nouveau ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat, qui entre au service de l'État avec une solide expérience et des idées qu'il aura l'occasion de vous présenter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la sixième priorité du Gouvernement est de répondre aux attentes immenses de nos concitoyens, qui demandent plus de justice et de sécurité dans leur vie quotidienne.

La loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, que vous avez largement enrichie et votée, sera respectée à l'euro près. Les moyens de nos tribunaux et de nos prisons seront donc considérablement renforcés, au bénéfice du service public de la justice.

La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, issue du travail mené sur vos travées par Muriel Jourda et Étienne Blanc, mais aussi par vos anciens collègues François-Noël Buffet et Jérôme Durain, sera intégralement appliquée.

Le parquet national anticriminalité organisée sera installé le 5 janvier prochain. Grâce à l'action du garde des sceaux, les prisons de haute sécurité sont déjà une réalité et contribuent à la sécurité des Français et au retour de l'autorité de l'État. Dans les tout prochains jours, j'annoncerai avec le garde des sceaux de nouvelles mesures de fermeté et, surtout, de respect des règles de détention.

Appliquons les textes en vigueur ! Si cela paraît une évidence, nous savons que tel n'est pas toujours le cas.

Le garde des sceaux se tient aussi à la disposition des groupes parlementaires du Sénat et de l'Assemblée nationale pour coconstruire un projet de loi pénale prévoyant notamment la réforme de l'ordonnance de protection des mineurs et la simplification de nos procédures. Nous le proposerons, vous en débattrez, vous le voterez.

Le ministre de l'intérieur a, quant à lui, reçu pour mission d'obtenir des résultats contre la délinquance. Il disposera des moyens nécessaires, puisque les budgets alloués à l'intérieur sont en augmentation constante.

Je souhaite aussi que le projet de loi relatif aux polices municipales et aux gardes champêtres, fruit du travail du Sénat et des ministres du gouvernement précédent pour la sécurité des Français au quotidien, soit rapidement examiné.

L'immigration constitue pour l'Europe un défi majeur, aujourd'hui comme pour les décennies à venir, en raison des effets liés au réchauffement climatique, aux évolutions démographiques et au contexte géopolitique et sécuritaire dans certaines régions du monde, du Proche-Orient au Sahel. (Mme Agnès Evren et M. Marc-Philippe Daubresse s'exclament.)

Nous devons affronter ce défi avec sérieux et responsabilité, c'est-à-dire en cherchant non pas la popularité dans nos paroles, mais l'efficacité dans nos actes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. C'est lyrique !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Cette question, à la fois régalienne et humaine, est complexe et technique.

Il nous faut construire une politique migratoire claire, stable et conforme à nos valeurs. La France doit savoir accueillir, mais elle doit aussi savoir dire non. Le défi est non pas seulement juridique ou administratif, mais aussi social et républicain. L'intégration n'est pas une option, c'est une responsabilité partagée de l'État, des collectivités, des entreprises et du monde associatif. Or nous n'en parlons plus assez dans le débat public.

Notre boussole doit être l'efficacité dans le respect du droit et l'équilibre évident entre humanité et autorité.

M. Mickaël Vallet. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. La République est forte quand elle est juste. Et la République est forte quand elle maîtrise ses propres choix. Il faudra continuer, au niveau tant français qu'européen, à améliorer les contrôles à l'entrée des frontières européennes.

L'exécution effective des obligations de quitter le territoire français est à ce titre une priorité absolue. Mais le bon sens commande de traiter le problème à la racine, avec calme, méthode et discernement, comme pour le narcotrafic.

Mme Laurence Rossignol. Avec calme ?...

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Je souhaite que l'on cible plus durement et plus efficacement les réseaux de passeurs et de trafiquants d'êtres humains. Ils ne sont d'ailleurs pas sans lien avec la grande criminalité, voire, dans certaines régions du monde, avec les réseaux terroristes.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Demain, l'instrumentalisation des flux migratoires sera un élément de la guerre hybride que nous mènent certains compétiteurs – les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le savent. Nous aurons l'occasion, avec les ministres, d'y revenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, agir pour nos territoires, c'est aussi agir pour nos outre-mer. La vie chère y est l'urgence des urgences. La ministre des outre-mer a reçu pour mission d'en faire sa priorité. Elle sera la ministre de la lutte contre les abus et les ententes qui pèsent sur le portefeuille de nos compatriotes ultramarins. Elle connaît ce sujet. Un projet de loi est prêt : elle le portera avec conviction.

La concertation avec les parlementaires ultramarins a en effet permis l'élaboration d'un texte de départ, que la ministre vous présentera. Il vous reviendra de débattre des nombreux sujets abordés dans ce texte et d'en introduire d'autres. Cela pourra se faire dès les débats budgétaires. La copie est imparfaite, mais nous la reverrons lors des débats avec les parlementaires, notamment ultramarins, au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Dans les trois océans, nos compatriotes attendent que les prix baissent. Cela suppose de mieux faire jouer la concurrence, de rendre plus transparentes des transactions qui comptent des intermédiaires trop nombreux, en particulier dans la grande distribution, et de ne refuser aucune réflexion par principe, y compris en matière d'outils fiscaux. Le Gouvernement est ouvert. N'ayant pas pu me saisir de ce dossier lorsque j'étais ministre des outre-mer à cause de la covid-19, j'en fais aujourd'hui une priorité.

La reconstruction de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido, est une autre urgence. L'État a pris des engagements ; ils seront tenus.

Il y a également urgence en Nouvelle-Calédonie, où la fin des accords de Nouméa a créé un vide. Il fallait trouver un nouveau cadre institutionnel. L'accord de Bougival l'a fait. Le Conseil des ministres a adopté hier le projet de loi constitutionnelle nécessaire pour le mettre en œuvre. Il sera soumis au vote des Calédoniens au début du printemps.

Je veux saluer les travaux du Sénat, qui ont guidé l'État dans la poursuite de cet accord. J'ai la conviction que le Sénat – en particulier son Président – sera le meilleur acteur pour assurer le suivi de cet accord dans la durée, lorsque les deux chambres se seront prononcées.

Je souhaite néanmoins que nous allions plus loin, notamment sur le traitement des difficultés économiques et sociales du Caillou. Une paix sociale durable en Nouvelle-Calédonie n'est pas possible sans un plan de développement économique du territoire et de lutte contre les inégalités sociales.

La Nouvelle-Calédonie a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens ont besoin d'un emploi, et non que l'État leur paie le chômage indéfiniment. La ministre proposera des solutions en concertation avec les acteurs du territoire. C'est une priorité.

Enfin, une demande d'évolution institutionnelle est formulée par certains acteurs ultramarins, qui souhaitent s'en emparer. Le 30 septembre dernier, le Président de la République a annoncé confier au Gouvernement le soin de constituer des groupes de travail avec les territoires ayant des projets précis sur la table. C'est le cas de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe.

Ce travail a été largement entamé par le Sénat. Nous devons l'organiser au mieux en en définissant les principes et le calendrier.

Quant à la Corse, un projet de loi a été présenté au conseil des ministres. Le Sénat et l'Assemblée nationale seront donc amenés à se prononcer, comme je l'ai confirmé hier à l'Assemblée nationale.

M. Mickaël Vallet. Ce n'est pas l'outre-mer…

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux enfin vous parler d'un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je ne doute pas que nous saurons construire une majorité dans cet hémicycle, certains sénateurs en ayant fait l'un de leurs combats : le paritarisme.

Le ministre de l'intérieur vous l'a dit hier à cette tribune, le Gouvernement proposera un texte pour suspendre dès maintenant la réforme de 2023 sur les retraites, jusqu'au lendemain de l'élection présidentielle. (Huées sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

C'est un acte de compromis pour la stabilité du pays, y compris pour son économie, comme l'a rappelé le récent lauréat du prix Nobel d'économie Philippe Aghion. Et, comme tout acte politique, il devra être financé.

J'irai même plus loin cet après-midi devant le Sénat en vous disant qu'il devra surtout s'agir, dans les semaines à venir, d'un acte de confiance pour notre démocratie sociale. Suspendre la réforme n'a d'intérêt que si c'est pour avancer. J'ai donc proposé, dans les semaines qui viennent, une grande conférence sur les retraites, mais aussi sur le travail, qui réunira les organisations syndicales et patronales, ainsi que les meilleurs experts. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il faudra laisser le temps à la concertation, mais je souhaite que la conférence fasse ses propositions d'ici au printemps prochain. Nous devrons réinterroger la gestion de notre système de retrait, et étudier toutes les propositions. Certains veulent un système par points, d'autres un système par capitalisation. D'autres encore souhaitent abandonner toute référence d'âge.

Toutefois, ces propositions ne valent que si l'on sait qui est responsable. Il revient aux partenaires sociaux de s'emparer de cette question centrale : qui doit avoir la responsabilité de gérer le régime ? (Brouhaha sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Ce serait revenir aux sources historiques de notre modèle de retraite. C'est d'ailleurs ce que font toujours la plupart de nos voisins européens.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. J'ai confiance dans la démocratie sociale. Le ministre du travail et des solidarités proposera de confier la gestion de notre système de retraite aux partenaires sociaux. Je partage avec lui une conviction profonde : la démarche de faire confiance a porté ses fruits dans de nombreux domaines. C'est notamment le cas pour l'Agirc-Arrco.

Pourquoi ne pas développer ce qui fonctionne ? Cela semble de bon sens ! Sans doute est-ce une autre rupture. Il faudra en débattre et ne pas avoir peur, mesdames, messieurs les sénateurs, de décider. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé et Mme Cécile Cukierman s'exclament également.)

M. Dominique de Legge. On en a déjà débattu !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux aussi revenir sur les réactions qui ont suivi l'annonce de la suspension de la réforme des retraites, y compris celles que j'entends sur ces travées.

Je le répète, suspendre, ce n'est pas renoncer ni reculer (Huées sur les travées du groupe Les Républicains. – Rires sur les travées du groupe CRCE-K.),…

M. Max Brisson. C'est commettre une lâcheté !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. … si nous savons utiliser ce temps en faisant preuve d'intelligence et de volonté d'avancer.

La cohésion sociale, l'unité du pays et donc sa stabilité sont une force. La droite, dans le passé, a su le montrer.

La division, elle, a un coût : l'instabilité aurait coûté 12 milliards d'euros depuis la censure de décembre dernier. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.) Celle de septembre a eu un effet direct sur les taux d'intérêt. Les agences de notation l'ont dit clairement. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a évalué le coût de l'incertitude politique à 0,7 point de croissance. Ces données s'imposent à nous tous.

Je crois en la sagesse du Sénat pour aider ce gouvernement à calmer les tensions (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), surpasser les divisions, renforcer notre économie et maintenir les investissements locaux, c'est-à-dire pour trouver des compromis dans l'intérêt du pays.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après des semaines difficiles, il est, je le crois, permis d'espérer que le Parlement fonctionne, comme nos concitoyens nous le demandent.

M. Olivier Paccaud. Vœu pieux…

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Nous pouvons faire plus qu'un pas dans les trois prochains mois : nous pouvons donner un budget à la France, soutenir la croissance et l'emploi dans les territoires, renforcer la justice, la sécurité du quotidien et notre défense, prendre soin des plus vulnérables et de notre environnement. En un mot, nous pouvons redonner confiance. (M. Loïc Hervé s'exclame.)

Le Gouvernement y est prêt. Le budget et les projets de loi sont prêts. Et je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que le pays est prêt.

La politique s'est parfois éloignée des problèmes de la vie quotidienne. Elle s'est même parfois écartée des méthodes de gouvernance qui prévalent partout ailleurs, dans toutes les grandes démocraties parlementaires du monde comme dans nos conseils municipaux : le débat et le compromis. Je ne doute pas que le Sénat saura trouver ce dernier. C'est son histoire depuis cent cinquante ans. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, l'heure est grave.

L'heure est grave, car, partout dans le pays, des voix s'élèvent qui traduisent l'inquiétude, l'exaspération et la colère des Français.

L'heure est grave, car, inexorablement, la France s'engloutit dans l'abîme de la dette. Cette dette affaiblit notre économie et nos entreprises, menace le pouvoir d'achat des Français, pèse sur les générations futures et fragilise nos services publics et nos collectivités.

L'heure est grave, car le monde nous regarde et ne nous comprend plus, dans un temps où la voix de la France doit être forte.

L'heure est grave, monsieur le Premier ministre, et il faut agir. Face à cette situation, vous plaidez la rupture. Nous pourrions vous suivre sur cette voie si cette rupture – je le dis sans malice – était porteuse de souffle et d'une méthode nouvelle.

Monsieur le Premier ministre, il va falloir nous en dire plus pour nous convaincre : plus que le renoncement à l'article 49, alinéa 3, et plus que cette formule aux allures d'évidence, « le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez », qui ne fait en réalité que traduire l'article 34 de la Constitution ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Olivier Paccaud. Oui, c'est une lapalissade !

M. Mathieu Darnaud. Il faudra également nous en dire plus que le contenu flou de votre déclaration de politique générale d'hier, qui était tout au plus une discussion de politique partielle, tant l'essentiel n'y était pas. Les esprits chagrins auraient même pu parler de déclaration de politique partiale, tant elle s'adressait à un groupe et à un groupe seulement de la représentation parlementaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Marques d'ironie sur les travées du groupe SER.)

Aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, nous avons droit à une déclaration de politique pléthorique : vous énoncez autant de mesures que de priorités. Je suis au regret de vous dire que nous peinons à deviner un calendrier qui permettrait de répondre à toutes ces priorités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. Je vais aller droit au but, car la gravité de l'instant exige de la clarté et nous oblige à nous élever et à agir en responsabilité. Nous avons besoin que vous réaffirmiez un cap clair et des mesures qui le sont tout autant.

Si vous faites preuve de courage et que vous suivez un cap à la hauteur des enjeux, notamment en matière budgétaire, alors, vous pourrez nous trouver à vos côtés.

Si, a contrario, vous cultivez le flou, en ne cherchant que des voies de passage bâties sur de petits dénominateurs communs qui ne répondent pas à l'urgence, et si vous ignorez nos propositions, sans autre objectif que celui de gagner du temps, alors, je vous le dis clairement, ce sera sans nous !

Monsieur le Premier ministre, je vous le redis : la gravité de la situation dans laquelle se trouve malheureusement plongé notre pays ne permet plus les approximations, l'indécision, les équivoques ou les petits calculs.

La stabilité institutionnelle de la France est fragilisée et sa crédibilité internationale affaiblie. Le poids d'une dette colossale finit par nous interdire toute velléité d'action publique. Notre économie vacille et peine à encourager l'innovation et l'investissement. Il faut dire que lorsque la dépense publique d'un pays atteint 57,3 % de son PIB, il ne reste pas beaucoup d'enthousiasme pour l'investissement et les initiatives privées…

Monsieur le Premier ministre, les Français sont épuisés et agacés par ces péripéties politiques désastreuses. Ils sont inquiets pour leur avenir, leur pouvoir d'achat, leur santé et leur sécurité.

Ce portrait en gris, c'est celui d'une France bloquée, et nous ne pouvons l'accepter. Pour notre groupe, les choses sont claires : il n'est pas question « d'abdiquer dans la tourmente ». Il faut, pour rebâtir la confiance, mépriser « les agitations, prétentions, surenchères ». Il s'agit de retrouver en France le « sentiment profond du pays », qui se fait « jour dans sa réalité ».

Parce que, et je crois que vous le savez, « les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec les intérêts supérieurs du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable. »

C'est notre vision du gouvernement de la France, et, tout simplement, notre vision de la France. Est-ce aussi la vôtre, monsieur le Premier ministre ?

Loin des mauvais feuilletons politiques, ce sont nos convictions que j'affirme devant vous, des convictions fortes qui s'appuient sur un triple principe de cohérence, de liberté et de responsabilité. Nous n'en avons pas dévié.

Pourtant, les mots que je viens de prononcer sont ceux du général de Gaulle, lors de son discours de Bayeux de 1946. Ce discours a posé les fondations de la réflexion et de l'élaboration de notre Constitution, celle de la Ve République !

Ces mots demeurent décidément d'actualité, car peu importent les soubresauts de la petite histoire. Seuls sont déterminantes pour l'action politique la prise en compte des besoins et des attentes, la compréhension profonde des Français, la capacité à agir et une vision précise de la direction à faire prendre au pays.

C'est précisément là que le bât blesse, car votre déclaration de politique générale, que ce soit celle que vous avez prononcée hier à l'Assemblée nationale ou celle que vous venez de faire au Sénat, ne nous dit pas grand-chose, ou des choses trop floues sur la direction à faire prendre au pays.

Monsieur le Premier ministre, en janvier dernier, j'interpellais votre prédécesseur, François Bayrou, en ces termes : « Soyons clairs : la France pourra-t-elle encore peser en Europe et dans le monde si elle perd la maîtrise de son destin ? Regardons avec lucidité le monde de 2025 : il ne nous fera pas de cadeau ; il ne fera pas de cadeau aux nations fragiles.

« Nous devons impérativement retrouver notre force, et quelques réajustements budgétaires n'y suffiront pas. Il ne nous faudra rien de moins qu'un sursaut historique, comparable à celui de 1958. Il faut de nouveau dessiner un horizon pour les Français, leur montrer une voie de progrès et d'espoir. »

Dix mois plus tard, et après vous avoir écouté, je crains de ne pas être en mesure d'en changer la moindre ligne – et je le regrette.

Monsieur le Premier ministre, la sincérité nous pousse à nous interroger : aurez-vous l'audace d'agir pour redresser enfin nos finances publiques et desserrer l'étau dans lequel est désormais étranglée la France ?

Les premières pistes qui nous ont été présentées nous inquiètent. Vous proposez, monsieur le ministre de l'économie, 14 milliards d'euros de hausses d'impôts… Tout de même !

Au Sénat, le groupe LR et la majorité sénatoriale ont toujours fait preuve de responsabilité. Autour du rapporteur général de la commission des finances, nous avons toujours élaboré des budgets permettant de réduire les dépenses, de dégager de réelles économies, et d'éviter l'impôt. Et, soyez-en convaincu, nous continuerons de le faire !

Braderez-vous l'avenir en croyant gérer le présent ? Ce n'est pas en refusant des réformes structurelles que l'on améliore durablement la situation. Or c'est ce que vous faites en annonçant vouloir suspendre la réforme des retraites.

Certes, cette réforme est imparfaite. Nous l'avons d'ailleurs dit au Sénat, et nous avons proposé des mesures d'amélioration. (Rires ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Certes, elle doit mieux prendre en compte la pénibilité, la carrière des femmes et les carrières longues. Mais elle permet de tenir compte des conséquences de notre démographie. Elle permet à notre pays de ne pas se laisser distancer dans la compétition des grandes nations.

Vous venez de l'affirmer, nous aurons l'occasion d'en débattre et de déterminer la meilleure façon d'agir. Mais, vous l'aurez compris, nous n'accepterons pas les renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mickaël Vallet. Il faudra bien l'avaler !

M. Mathieu Darnaud. Votre programme, ce programme que vous n'avez pas annoncé, devrait intégrer plusieurs mesures.

Tout d'abord, il convient de remettre à plat les politiques publiques et de retrouver enfin un critère d'utilité et d'efficacité simple.

Ensuite, il nous faut réduire le périmètre de l'État, en supprimant ou en fusionnant les multiples émanations erratiques et désordonnées que sont ses agences et opérateurs, puis en ajustant – enfin ! – leurs budgets de fonctionnement et en redéfinissant leurs missions premières. C'est ce que nous avons proposé à l'issue de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, dont Christine Lavarde était la rapporteure.

Par ailleurs, il faut cesser de prôner de fausses solutions, à coups de hausses d'impôts ou de taxes nouvelles, dans un pays déjà étouffé par la fiscalité. En effet, il est un domaine dans lequel, malheureusement, la France excelle : la créativité fiscale, qui étrangle chaque jour davantage l'initiative et l'envie de progresser.

Nous avons besoin de mesures claires et compréhensibles en faveur de la sécurité, d'une justice efficace et accessible, d'un pouvoir d'achat préservé, d'un accès aux soins pour toutes et tous, du soutien des plus fragiles et d'une économie dynamique.

Vous l'avez annoncé, votre gouvernement nous proposera des projets de loi. Nous les examinerons avec exigence et pragmatisme. L'heure est trop grave pour qu'il en soit autrement.

C'est en responsabilité que nous travaillerons sur le budget et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous déposerons aussi des propositions de loi lorsqu'elles nous paraîtront nécessaires.

Nous serons très vigilants sur les mesures que vous envisagerez concernant les collectivités territoriales, car celles-ci sont au service des Français et assurent actuellement l'essentiel des investissements dans les territoires. Elles constituent un soutien majeur à l'économie et à l'emploi.

Monsieur le Premier ministre, sur tous ces sujets, nous débattrons, et nous voterons. Et non, ce n'est pas une rupture ! C'est simplement notre rôle plein et entier. Or, au Sénat, nous assumons toujours pleinement notre mission. Nous travaillerons pour donner toute sa chance à la France.

Je voudrais insister sur un dernier point. Nous avons peu entendu un mot pourtant essentiel lorsque tout se complique, se délite ou se crispe : celui de liberté. Je tiens à le mentionner, car il manque singulièrement au débat. Vous conviendrez que, dans une démocratie, ce principe est consubstantiel à l'exercice du pouvoir.

Il est évidemment absent du discours des démagogues, mais les Français aimeraient tellement l'entendre et le voir se concrétiser. Qu'en pensez-vous, monsieur le Premier ministre ?

La France se fatigue. Elle fléchit sous le poids des contraintes, des interdits dont les objectifs sont parfois peu clairs et les conséquences non mesurées, des volte-face ou des tête-à-queue. Elle s'asphyxie dans une surbureaucratisation, qui entend se mêler de tout, jusque dans notre vie quotidienne.

La détermination s'estompe devant le mur de normes et de règles qu'elle doit affronter ; l'entrepreneur recule devant les seuils à franchir et leur coût pour se développer ; la collectivité locale renonce devant le nombre des obstacles administratifs à lever avant de mettre en œuvre un projet (M. Gilbert Favreau applaudit.) ; le citoyen se replie et s'isole face aux difficultés à surmonter dans sa vie de tous les jours.

Aussi l'audace et la créativité finissent-elles par s'exercer ailleurs qu'en France. C'est pourquoi nous espérons, monsieur le Premier ministre, que ce principe de liberté guidera votre action.

Vous le constatez, pour notre groupe, la route à suivre est clairement tracée. Nous vous avions d'ailleurs communiqué nos priorités, mais elles n'ont à ce jour trouvé que peu d'écho. Il n'y a chez nous aucune ambivalence. Nos priorités ne s'appuient pas sur des postures idéologiques, elles découlent de la réalité de la France. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Nos priorités s'appuient sur l'efficacité retrouvée de l'État. Il faut remédier à l'impuissance publique, ce fléau politique moderne qui encourage les démagogues aux promesses trompeuses.

Nos priorités s'appuient sur la liberté et son corollaire, la responsabilité.

M. Hervé Gillé. C'est ce qu'on a fait !

M. Mathieu Darnaud. Comme l'a écrit Victor Hugo : « Les écrivains ont mis la langue en liberté. » Aux politiques revient maintenant la charge de mettre la France en liberté, en faisant confiance aux Français. Monsieur le Premier ministre, saurez-vous emprunter ce chemin ?

Finalement, nos priorités découlent d'une certaine idée de la France. Au fond, peut-être auriez-vous dû écouter plus tôt le Sénat, cette maison qui allie sagesse et audace, détermination et constance. (Marques d'ironie sur les travées des groupes SER et GEST.)

Depuis longtemps, la majorité sénatoriale – particulièrement notre groupe – vote chaque année, à chaque budget, des mesures d'économies et travaille pour réduire la dépense publique, tout en protégeant les Français et en préservant les entreprises et les collectivités territoriales. Ce sera encore le cas cette année. Nous travaillons d'ores et déjà sur ce budget depuis plusieurs mois.

Monsieur le Premier ministre, je conclurai par une invitation : entendez enfin le Sénat ! Après tout, il n'est pas trop tard. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, avez-vous seulement conscience du niveau de consternation et de colère que ressentent les Français devant le spectacle donné par ceux qui les gouvernent ?

Voilà le spectacle qu'ils voient : quelques happy few accaparent le pouvoir et s'y accrochent, coûte que coûte. Ils se nomment et se renomment entre eux, bien au chaud dans leur tour d'ivoire. Avez-vous seulement conscience du degré de déconnexion entre vous, qui gouvernez, et les Français, qui vous regardent ?

Savez-vous quel est le mot qui revient le plus lorsque j'échange sur la situation politique avec les habitants de mon département du Nord ? Le « cirque » ! Oui, l'attitude de votre camp politique, et, en premier lieu, celle du Président de la République, ont fait de la politique un vaste cirque aux yeux de nos concitoyens.

Et que dire du cirque joué par les acrobates en chef, les Républicains (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains), qui participent au Gouvernement, puis n'y participent plus, qui excluent ceux qui font le choix personnel d'y participer, mais qui soutiennent ce même gouvernement ? Quelle cacophonie !

N'y voyez aucune ironie de ma part. (Non, bien sûr ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Je ne me réjouis pas de ce désordre, mes chers collègues. Cela ne m'amuse pas ! Quand la Macronie et la droite donnent ce spectacle, c'est l'ensemble de la classe politique qui est éclaboussée. Ne nous y trompons pas, aux yeux des Français, nous sommes toutes et tous dans le même sac !

Dans cette confusion générale, nous, socialistes, aurions pu faire le choix de la censure. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Cela viendra !

M. Patrick Kanner. La tentation était grande de sanctionner d'emblée ce gouvernement, tant il est insupportable de voir le pouvoir confisqué, encore et toujours, par les mêmes.

Nous n'avons pas fait le choix de la censure, car nous avons fait le choix des Français. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.) Si je me suis engagé en politique, c'est avec la conviction que la politique pouvait changer leur vie. C'est ma seule boussole, aujourd'hui encore.

Croyez-moi, les Français ne veulent pas le chaos. Ils n'espèrent pas non plus le Grand Soir. Ils veulent vivre mieux, là, maintenant, sans attendre 2027 ou une hypothétique démission du Président de la République. Non, les Français n'ont pas le temps d'attendre !

Voilà pourquoi nous avons répondu présents à chacune de vos invitations, monsieur le Premier ministre, pour vous faire part de nos demandes. Celles-ci sont claires et, surtout, elles sont plébiscitées par les Français.

Nous demandons tout d'abord la justice fiscale. Elle est incontournable. Les Français ne peuvent plus supporter de se serrer la ceinture pendant que certains s'exonèrent de contribuer à l'effort national. Sous les quinquennats d'Emmanuel Macron, les dividendes du CAC40 ont explosé et la fortune des 500 familles les plus riches a doublé.

Dans le même temps, le groupe LVMH percevait en 2023 quelque 275 millions d'euros d'aides publiques, tout en engrangeant 15 milliards d'euros de bénéfices – preuve, s'il en fallait une, de la priorité que vous donnez au confort des ultrariches.

Monsieur le Premier ministre, demander un tout petit peu à ceux qui ont tout, et même plus que tout,…

M. Roger Karoutchi. C'est combien, « tout » ?...

M. Patrick Kanner. … pour épargner un peu ceux qui n'ont rien, ou presque rien, voilà bien la moindre des choses !

M. Max Brisson. Quelle chanson !

M. Patrick Kanner. C'est pour cela que nous réclamions la taxe Zucman. (Ah ! sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.) Vous l'avez refusée !

Nous défendrons un amendement dans cette perspective. Si le Gouvernement s'entête à le rejeter, nous attendrons de lui qu'il avance des solutions de rechange concrètes et solides. J'ajoute au passage que le RN, qui prétend défendre les classes populaires sur tous les plateaux de télévision, a déjà annoncé qu'il s'opposerait à notre amendement.

M. Jean-François Husson. Le Sénat, ce n'est pas le Rassemblement national !

M. Patrick Kanner. Les masques tombent, laissant apparaître le visage de ceux qui, derrière de beaux discours, ne défendent en réalité que les nantis ! (M. Aymeric Durox proteste.)

Contrairement à l'extrême droite, nous plaçons la justice sociale au cœur de nos combats. Il est urgent de prendre des mesures pour soutenir le pouvoir d'achat des Français et leur permettre de vivre dignement de leur travail. Là aussi, nous attendons des engagements clairs de votre part.

J'en viens à la suspension de la réforme des retraites. Enfin ! Fallait-il que votre gouvernement soit en grand péril pour que vous consentiez enfin à renoncer à cette réforme ! (Marques d'amusement sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Evren. Ça, c'est sûr !

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, cette réforme de 2023, injuste, imposée sans débat et rejetée massivement est restée comme une blessure sociale et démocratique profonde. Il était temps d'y renoncer ; vous l'avez fait.

La force de nos arguments a fini par s'imposer (M. Loïc Hervé s'esclaffe.), entraînant la suspension de cet impôt sur la vie.

M. Jean-François Husson. Ce n'est pas convenable !

M. Patrick Kanner. La colère du pays vous a arraché cette suspension, qui est une victoire indéniable pour les 3,5 millions de Français qui vont pouvoir partir plus tôt à la retraite et profiter d'un repos bien mérité. C'est à eux que je pense en ce moment, en particulier à ceux – et surtout celles – qui ont travaillé dur depuis le plus jeune âge. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Démago !

M. Patrick Kanner. C'est aussi une reconnaissance, certes tardive, mais bienvenue, du combat des organisations syndicales.

Alors, j'entends déjà les cris d'orfraie et autres procès en trahison. Eh bien, je le dis haut et fort depuis cette tribune : oui, nous assumons de ne pas censurer ce gouvernement pour arracher des victoires comme celle-ci, pour des millions de Français ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Oui, nous assumons de faire le choix de la stabilité, parce que cette stabilité-là doit être gage de justice ! (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

M. Max Brisson. Et qui va payer l'addition ?

M. Patrick Kanner. Nous vous jugerons sur vos actes, monsieur le Premier ministre. Car soyons clairs : notre décision de ne pas censurer ne vaut ni approbation ni chèque en blanc à votre gouvernement.

Les textes budgétaires présentés hier en Conseil des ministres ne sont pas les nôtres. Certes, l'assouplissement de la trajectoire budgétaire que vous proposez est un premier signal intéressant. Mais jamais nous n'accepterons le doublement des franchises médicales, le gel du barème de l'impôt sur le revenu, ou encore l'année blanche fiscale, qui correspond de fait à un gel des prestations. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Vous nous trouverez sur votre chemin tout au long des débats budgétaires et nous resterons intraitables sur ces sujets, comme sur l'ensemble de ceux qui concernent les plus modestes.

Il est temps de tourner le dos à huit ans d'une économie dérégulée, d'une fiscalité inéquitable, d'une action publique affaiblie. Cette politique a échoué. Elle a aggravé les inégalités, dégradé nos services publics et mis en péril nos équilibres budgétaires.

Monsieur le Premier ministre, cela fait huit ans que vous participez à cet affaissement généralisé. Vous promettez une rupture ; nous vous prenons au mot. Pour notre part, membres du groupe socialiste, nous n'avons cessé d'affirmer depuis huit ans, dans l'opposition, qu'une autre voie plus juste, plus efficace et plus fidèle à l'intérêt général était possible.

Nous n'acceptons pas que 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, que 5 millions de salariés vivent péniblement avec le Smic, que les classes moyennes s'enfoncent dans le déclassement, que l'insécurité progresse, que les services publics se délitent et que la France procrastine en matière d'engagements environnementaux.

Pendant ce temps, notre pays s'endette et se prive de 60 milliards d'euros de recettes fiscales par an, sans stratégie ni vision.

M. Jean-François Husson. Vous allez y remédier ?

M. Patrick Kanner. En 2026, la charge de la dette atteindra 70 milliards d'euros, soit l'équivalent de toute la richesse nouvelle créée la même année.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n'est pas grand-chose ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. En creusant les fractures sociales et territoriales, cette politique a ouvert la voie aux populismes. Vous en portez une lourde part de responsabilité.

Je n'ai pas oublié la promesse faite le 7 mai 2017 par Emmanuel Macron, nouvellement élu Président de la République, au pied de la pyramide du Louvre : « Je ferai tout pour que les Français n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. »

M. Patrick Kanner. En 2017, il y avait huit députés d'extrême droite. Aujourd'hui, ils sont 140. Voilà le résultat concret de vos choix.

M. Patrick Kanner. Malgré ce contexte, je salue votre décision de ne pas recourir à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous l'avions réclamé, parce qu'il fallait réparer une anomalie démocratique. Le Parlement reprend enfin la main, et c'est heureux. Gageons que les débats à venir seront l'occasion de corriger les mesures qui sont pour nous inacceptables.

Nous serons extrêmement vigilants et déterminés face à tout recul social. Notre ligne écarlate est claire : nous refusons que les plus modestes paient une fois de plus le prix des erreurs accumulées depuis 2017.

Monsieur le Premier ministre, il n'y aura pas de stabilité véritable sans justice sociale, il n'y aura pas de justice sociale sans justice fiscale, il n'y aura pas de croissance sans relance du pouvoir d'achat et il n'y aura pas de redressement sans confiance retrouvée avec les collectivités territoriales. Ce sont elles qui, souvent seules, avec courage et abnégation, pallient vos reculs en matière de solidarité, alors même qu'elles font face à des restrictions budgétaires toujours plus sévères, à des transferts de compétences sans moyens associés…

M. Loïc Hervé. Sous François Hollande, elles ont été servies !

M. Patrick Kanner. … et à des suppressions de recettes fiscales. Ce sont elles qui subissent vos critiques injustes de mauvaise gestion.

Quelle considération manifestez-vous pour nos territoires, quand vous leur demandez toujours plus en leur donnant toujours moins ? La « décentralisation providence » est devenue une « décentralisation pénitence ».

Je vous en conjure, reprenez à votre compte le principe de subsidiarité pour rendre plus efficace l'action publique.

Reprenez à votre compte l'indispensable confiance envers nos 500000 élus locaux, qui ne doivent plus douter de l'utilité de leur engagement.

Reprenez à votre compte l'extraordinaire créativité de nos collectivités territoriales, notamment les innovations que celles-ci déploient pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens et qui sont autant de réponses républicaines.

Et que dire des territoires ultramarins, une fois encore relégués au second plan de votre action ? Ils subissent un coup de rabot inacceptable. Votre projet de loi de finances (PLF) leur inflige près de 750 millions d'euros de coupes, pour un budget annuel d'à peine 3 milliards d'euros. C'est une véritable claque infligée à des territoires déjà fragilisés par la vie chère, la pénurie de logements et l'insécurité économique.

J'ai une pensée émue pour nos concitoyens mahorais, durement touchés par le passage du cyclone Chido, qui attendent encore des moyens à la hauteur des promesses gouvernementales.

Je pense aussi à la Nouvelle-Calédonie, où la situation demeure très préoccupante. Les orientations gouvernementales passées, éloignées de l'esprit de l'accord de Nouméa, ont pu accentuer les divisions. L'accord de Bougival, fruit d'un dialogue patient et constructif, doit être respecté et appliqué.

Ces exemples rappellent une même exigence : le respect de la parole donnée, qui suppose à la fois le respect des engagements pris et la fidélité aux valeurs républicaines.

Monsieur le Premier ministre, j'ai évoqué de nombreux enjeux budgétaires. Mais, au-delà des finances publiques, nombre de menaces pèsent sur notre démocratie ; des menaces qui se mesurent non pas en euros, mais en valeurs.

Protéger l'État de droit, qui est sacré et intangible, ne coûte rien, monsieur le Premier ministre.

Accorder à chacun une fin de vie digne et librement choisie ne coûte rien, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Renoncer à la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public ne coûte rien, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Yannick Jadot. Et à la loi Duplomb ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. En revanche, soutenir l'extrême droite plutôt que le front républicain, comme ce fut le cas dans le Tarn-et-Garonne dimanche dernier, c'est faire payer le prix fort à notre démocratie ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Vous l'aurez compris, nous ne serons jamais vos alliés.

M. Bruno Sido. Votre temps de parole est terminé !

M. Patrick Kanner. Si nos collègues socialistes ne vous censureront pas demain à l'Assemblée nationale, c'est aussi parce que, au regard des bouleversements qui traversent le monde, la voix de la France doit être forte.

Dans ce contexte anxiogène, nous ne vous censurerons pas demain, mais nous resterons une opposition exigeante ; et notre main ne tremblera pas si nous constatons que vos engagements ne sont pas tenus.

À la veille des quatre-vingt-dix ans du Front populaire,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Vous en rêvez encore ? C'est périmé !

M. Patrick Kanner. … je fais miens les mots de Léon Blum : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l'existence. » Voilà la base de notre engagement, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Rachid Temal. Applaudi par toute la droite, quel talent…

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, après avoir écouté les orateurs précédents, il m'a paru plus utile de vous parler avec mes sentiments,… (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. Hervé Marseille. … quitte à renoncer à mon discours écrit.

Monsieur le Premier ministre, j'ai tout d'abord une pensée pour vos prédécesseurs, Michel Barnier et François Bayrou, que l'on a peu cités jusqu'à présent. Ils ont essuyé les plâtres pour essayer de construire des budgets de compromis. Ils ont échoué, d'autant qu'ils n'ont pas eu la faculté de renoncer à la réforme des retraites... L'un ou l'autre, s'il avait eu ce choix, serait sans doute encore ici. (Vifs applaudissements sur les mêmes travées.)

J'ai aussi une pensée amicale pour Manuel Valls, qui a beaucoup travaillé…

Mme Jocelyne Guidez. C'est vrai !

M. Hervé Marseille. … sur les différents sujets que vous avez rappelés, notamment sur le dossier de la Nouvelle-Calédonie. Son expérience était précieuse. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Premièrement, en écoutant les interventions précédentes, je l'ai constaté une fois de plus : nous sommes, depuis le début, face à un problème de méthode, qui trahit un problème de confiance.

Chacune des forces politiques de ce que l'on a appelé du nom barbare de « socle commun » a annoncé son soutien à votre gouvernement. Depuis que vous avez été nommé Premier ministre, nous sommes régulièrement venus à Matignon à votre invitation. Mais, semaine après semaine, vous avez refusé de dévoiler vos intentions. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Hervé Marseille. Certains ont sollicité un contrat de gouvernement, en vain. On leur a répondu : « Dites-nous ce dont vous avez besoin, nous vous dirons comment vous en passer. » (Rires et exclamations sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mes collègues centristes ont souhaité obtenir des engagements un peu plus précis : ils ne les ont pas obtenus.

Au terme de ce processus, il fallait bien un budget, des orientations et un gouvernement. Or nous n'avons rien su des orientations retenues. Nous n'avons rien su du budget, que nous ne connaissons que depuis quarante-huit heures. Et nous n'avons rien su du Gouvernement, qui, très limité à l'origine – il ne comptait que quinze ministres –, dénombre aujourd'hui plus de trente membres. La situation aurait été plus simple si l'on avait retenu ce choix dès le départ.

Non seulement vous n'avez rien voulu dévoiler de vos choix – c'est à l'évidence un problème de méthode –, mais vous vous êtes enfermé dans le dialogue avec nos collègues socialistes.

M. Rachid Temal. Nos honorables collègues socialistes…

Mme Sylvie Robert. Jaloux ! (Sourires.)

M. Hervé Marseille. C'était certes nécessaire, car il fallait chercher un compromis. D'autres l'ont fait, je l'ai rappelé, sans pour autant y arriver. Il fallait bien un dialogue, mais, je le répète, vous vous êtes enfermé dans une discussion avec les socialistes, en oubliant les forces politiques qui vous soutiennent et qui, d'ailleurs, continuent à vous le dire.

J'ai écouté vos propos depuis hier, en particulier la déclaration d'intention succincte que vous avez faite devant l'Assemblée nationale et que vous avez développée aujourd'hui. Un certain nombre d'orientations méritent encore d'être précisées. En effet, vous avez théorisé ce que je suis tenté d'appeler le principe de Chevallier et Laspalès : « C'est vous qui voyez. » (Rires et vifs applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

J'ai été heureux de vous entendre rappeler, une nouvelle fois il y a quelques instants, que la dette était au cœur de vos préoccupations. C'était en effet indispensable.

Il faut faire des économies : on le dit depuis des mois et même depuis des années. Vous l'avez souligné, notre crédibilité internationale et tout simplement notre souveraineté l'imposent. Mais comment pouvons-nous rester crédibles aux yeux de nos concitoyens dès lors que nous avons abandonné une réforme majeure, après avoir proclamé urbi et orbi qu'elle était indispensable ? (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. Hervé Marseille. Comment les convaincre qu'il est indispensable de faire revenir le déficit sous la barre de 3 % du PIB en 2029 ? Notre crédibilité est, sinon endommagée, du moins émoussée. Il faudra faire beaucoup pour être de nouveau entendus.

Avec Michel Barnier, nous sommes déjà passés de l'horizon 2027 à l'horizon 2029. Qui, aujourd'hui, peut croire que nous atteindrons l'objectif de 3 % en 2029 ?

M. Hervé Marseille. En effet, personne. Dans ces conditions, autant le dire et, malgré tout, essayer de le faire ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Au cours des dernières semaines, on a surtout parlé de l'objectif de 40 milliards d'euros d'économies fixé par François Bayrou. En revanche, on ne parlait plus depuis quelque temps du dossier des dépenses militaires. Vous confirmez aujourd'hui que ces crédits seront exclus des efforts d'économies, et je vous en remercie. En effet, ils sont bel et bien indispensables et, en ce sens, constituent une priorité. Mais leur maintien vient aussi alourdir notre problème de dette.

Deuxièmement, je tiens à insister sur l'équité fiscale.

Nous le répétons depuis longtemps : si les efforts sont nécessaires, ils doivent également être bien répartis. Vous l'avez dit dès hier dans votre déclaration de politique générale : il s'agira de prélèvements supplémentaires, pesant évidemment sur les plus fortunés.

Il y a longtemps que le Sénat formule des propositions en ce sens. Nous vous accompagnerons sur ce dossier, cela va sans dire, comme sur celui de la fraude fiscale, auquel notre collègue Nathalie Goulet est particulièrement attentive.

Un autre sujet a été simplement effleuré. Or je vous demande de le prendre en considération : il s'agit de l'accord avec le Mercosur.

Aujourd'hui, on a l'impression que nos agriculteurs sont abandonnés. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP, Les Républicains et GEST.) Cette question étant traitée à l'échelon européen, on a le sentiment que tout se passe ailleurs et que, en somme, pendant les soldes, les affaires continuent… Il ne faudrait pas que ce dossier aboutisse, à l'insu de notre plein gré, contre l'avis et les intérêts de nos agriculteurs.

Troisièmement, et enfin, j'appelle l'attention sur le pouvoir d'achat.

Monsieur le Premier ministre, vous avez fait un choix que, comme beaucoup ici, je n'approuve pas, mais qui est maintenant acté : l'abandon de la réforme des retraites. Dès lors, on aura du mal à trouver des solutions en faveur du pouvoir d'achat.

M. Hervé Marseille. En effet, on ne peut pas à la fois compenser une telle perte au titre des retraites, acquitter la charge de la dette et défendre le pouvoir d'achat.

M. Antoine Lefèvre. Il n'y a pas d'argent magique !

M. Hervé Marseille. Il va donc falloir trouver des solutions, ce qui suppose de faire des choix politiques. Or il faut porter ce débat sur la place publique.

M. Hervé Marseille. On ne peut pas dire que l'on va continuer à faire des économies, ce qui est effectivement nécessaire, tout en réservant des efforts au pouvoir d'achat et en s'efforçant de trouver de l'argent…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est pas difficile !

M. Hervé Marseille. … pour les retraites.

La première année, ce ne sont pas 400, mais 800 millions d'euros qu'il faudra dégager. Et la deuxième année, ce ne sera pas 1,5 milliard d'euros – cela, c'est le surcoût –, ce seront 3 milliards d'euros. Il faut donner les chiffres et dire comment on fait. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le Premier ministre, en conclusion, je reviendrai sur le problème de méthode que j'évoquais en préambule. Il faut que l'on sache où l'on va, avec qui l'on y va et comment l'on y va.

Bien sûr, les chiffres sont mauvais. On sait que la situation est très compliquée. Aujourd'hui, il faut simplement que l'on mette les choses sur la table.

M. Hervé Marseille. Que l'on discute pour trouver un compromis, ce n'est pas choquant : c'est tout simplement indispensable. Mais disons comment l'on procède, comment l'on finance et jusqu'où l'on va.

Je me tourne vers nos collègues socialistes, et pour cause, car c'est avec eux que se font les compromis. J'aimerais savoir ce qu'ils vont faire de leur côté ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Rachid Temal. On vous le dira !

M. Mickaël Vallet. Si les socialistes censurent, vous verrez…

M. Hervé Marseille. Un compromis est un contrat. Mais, pour garantir la stabilité, on ne peut pas passer par un contrat révisable quotidiennement.

M. Kanner vient de nous dire en substance : maintenant que l'on a mangé les retraites, on va vous servir du Zucman. Et quand il n'y aura plus de Zucman, on va regarder dans le budget ce qui nous plaît et ce qui ne nous plaît pas ! (Rires et vifs applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. Mickaël Vallet. Vous voyez, quand vous voulez vous comprenez ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Hervé Marseille. Je n'ai aucune difficulté à parler avec le président Kanner et l'ensemble de nos collègues socialistes : le rapport de force nous l'impose. Simplement, quand on discute, il faut savoir ce que chacun apporte.

M. Mickaël Vallet. C'est bien un rapport de force !

M. Hervé Marseille. Chers collègues, je vois le prix que nous devons payer pour assurer la stabilité gouvernementale. Mais j'aimerais aussi savoir ce que vous apportez.

M. Hervé Marseille. Je le répète, on ne peut pas passer par des tractations quotidiennes ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. Rachid Temal. Nous défendons nos amendements !

M. Hervé Marseille. Sur la méthode, je suis très clair. Je l'ai dit dès le premier jour, même quand nous manifestions un certain mécontentement : nous soutenons le Gouvernement. Nous n'allons pas prétendre le contraire aujourd'hui ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Mais on ne peut pas soutenir à n'importe quelles conditions et n'importe comment. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Je souhaite donc des discussions à la fois claires et transparentes.

M. Mickaël Vallet. Avec nous, camarade ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Rachid Temal. C'est le rôle du Parlement !

M. Hervé Marseille. Les différentes propositions doivent être mises sur la table. Les Français peuvent comprendre que l'on revienne sur telle ou telle position pour garantir la stabilité et obtenir des résultats, mais pas incessamment ou en catimini.

Je le répète, je souhaite simplement que l'on se réunisse autour d'une table, que l'on expose les chiffres et que l'on se dise les choses. Ensuite, on verra si nous tombons d'accord ou non.

M. Mickaël Vallet. C'est moins jupitérien !

M. Rachid Temal. Cela s'appelle le Sénat !

M. Hervé Marseille. C'est à ce prix que nous pourrons avancer, en toute transparence et au service des Français ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour les groupes Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Oscar Wilde, ruiné et même endetté jusqu'au cou, disait à la fin de sa vie : « Je meurs au-dessus de mes moyens. » (Sourires et exclamations sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) C'est exactement ce qui est en train de nous arriver.

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, on peut dire que le budget de 2026 s'annonce plus difficile encore à construire qu'un meuble Ikea. (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ça va le faire ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)

M. Claude Malhuret. L'équation est pourtant simple : nous cumulons le taux de prélèvements le plus élevé et le déficit le plus abyssal de l'Union européenne. N'importe quel comptable débutant en tirerait cette conclusion évidente : la France, c'est « Gabegie le magnifique ». (M. Antoine Lefèvre rit.) Il faut faire des économies.

Curieusement, de nombreux médias, réseaux sociaux ou partis politiques préconisent, à l'inverse, d'augmenter encore les dépenses.

Aux deux extrémités de l'Assemblée nationale, vos ennemis, qui sont aussi ceux de la démocratie, se moquent du budget et de l'intérêt général. Leur seul but est de précipiter la crise institutionnelle.

L'extrême gauche guette l'étincelle qui mettra le feu aux poudres. Après avoir bloqué l'Assemblée nationale pendant trois ans, la secte a vu surgir un mouvement dont le nom comblait ses désirs les plus fous : « Bloquons tout ». (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

En martelant à toutes les tribunes que toute mesure d'économies provoquera la famine, le déluge et les invasions de sauterelles (Nouveaux sourires.), La France insoumise a tenté de récupérer une ébullition improvisée. Une fois de plus, heureusement, elle a échoué à la transformer en insurrection.

Pauvre extrême gauche ! En définitive, son bilan se résumera à une seule chose : un siècle à bouffer du curé pour finir par lécher les bottes des mollahs… (Rires et applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman. On est au théâtre des Deux Ânes…

M. Claude Malhuret. L'extrême droite, elle, voit son heure venir, mais l'odeur du pouvoir la rend schizophrène. Marine Le Pen explique désormais qu'elle n'est ni de droite ni de gauche. Elle est devenue très « en même temps ».

M. Claude Malhuret. Au même moment, Ciotti court les plateaux pour appeler à l'union des droites et Bardella fait la danse des sept voiles aux journées du Medef (Mouvement des entreprises de France). De deux choses l'une : soit les leaders du Rassemblement national ont des stratégies opposées, mais, dans ce cas, attention au grand écart ; soit ils jouent au good cop, bad cop pour gagner sur tous les tableaux, et cela va finir par se voir.

On ne sait plus s'il faut croire la madone des prolétaires ou le champion du CAC40, surtout quand la patronne s'accroche dur comme fer à la revendication la plus folle de la CGT : la retraite à 60 ans. Cette réforme, qui coûterait des dizaines de milliards d'euros, associée à la promesse d'une baisse des impôts, suffit à elle seule à disqualifier le RN.

Il faut avoir la franchise de le dire à tous les Français qui ont quelques économies : en votant pour l'extrême droite, ils sont tels une dinde qui voterait pour Noël. (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Pourtant, le vote RN continue de monter.

Mme Cécile Cukierman. Ce n'est pas avec de tels discours qu'il va baisser !

M. Claude Malhuret. Peut-être ceux qui l'envisagent se disent-ils que, après tout, les oies ont bien sauvé le Capitole… (Sourires.)

Vous n'avez donc pas grand monde avec qui discuter, monsieur le Premier ministre. Il restait le Parti socialiste. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Malhuret. Olivier Faure se tortillait depuis des mois comme un lombric (Rires et exclamations sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.), entre son tango avec LFI pour les élections et le refus, exprimé par la moitié de ses troupes, de baiser les babouches de Mélenchon. Vous l'avez tiré d'affaire,…

M. Mickaël Vallet. Et réciproquement !

M. Claude Malhuret. … en acceptant de laisser monter les enchères jusqu'où il le souhaitait : oubliés, les deux jours fériés travaillés ; abandonné, l'objectif de 40 milliards d'euros d'économies !

De même, vous avez accordé la suspension de la réforme des retraites, la reconduction de la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises – cela prouve une fois de plus que, en France, les impôts temporaires sont ce qui se rapproche le plus de la vie éternelle (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, la fiscalisation des actifs des holdings et la taxation des hauts patrimoines.

Mme Cécile Cukierman. Il leur en restera suffisamment ! Ils ne vont pas tomber dans la misère !

M. Claude Malhuret. Votre problème n'était pas d'acheter les socialistes, mais de ne pas les payer au prix auquel ils s'estiment. Malheureusement – permettez-moi de vous le dire –, vous avez payé très cher.

Permettez-moi aussi de vous dire que les hausses d'impôts ne comblent jamais le déficit : elles permettent seulement à l'État de dépenser encore plus. (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Nous comprenons bien que, pour gouverner dans les conditions actuelles, il faut à la fois un accord politique et des compromis. Il n'y a qu'une limite, c'est le seuil au-delà duquel le coût à payer pour sauver les meubles devient supérieur au prix des meubles... (M. Bruno Sido s'esclaffe.)

M. Mickaël Vallet. Ikea ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Claude Malhuret. Beaucoup d'entre nous craignent que ce seuil n'ait été franchi.

Comme le dit Jean Tirole, prix Nobel d'économie, « nous continuons à déplacer les transats pendant que le Titanic coule ».

On raisonne comme si l'économie se limitait au partage d'un gâteau à taille fixe. Ainsi, le débat budgétaire que cherche à vous imposer le PS se résume à opposer les actifs aux chômeurs, les jeunes aux vieux, les riches aux pauvres, les entreprises aux ménages, les PME aux multinationales, les actionnaires aux autres agents économiques, le capital au travail et même les salariés aux robots. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

On ne résoudra rien tant que l'on n'aura pas le courage de dire que le bilan désastreux de la France depuis quarante ans et notre dette de 3 400 milliards d'euros s'expliquent très simplement par deux mesures qui ont coulé le pays.

La première, c'est la retraite à 60 ans, décidée sous Mitterrand,…

M. Thierry Cozic. Non ! C'est Macron avec sa politique de l'offre !

M. Claude Malhuret. … au moment où la démographie commandait de relever l'âge de départ, comme dans tous les autres pays. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Michel Rocard, et il s'exprimait en 1990. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

En Espagne, la retraite est à 67 ans.

M. Mickaël Vallet. Tout le monde part avant !

M. Claude Malhuret. Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, inviter un socialiste espagnol pour qu'il explique les finances publiques aux socialistes français ? (Vifs applaudissements sur les mêmes travées.)

La seconde mesure, ce sont les 35 heures (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.), décidées sous Jospin, qui ont tué notre compétitivité et, entre autres, ravagé l'hôpital public.

Mme Cécile Cukierman. Bien sûr ! Revenons aussi sur les acquis de 1936 !

M. Claude Malhuret. Il ne manque plus qu'une troisième mesure pour nous achever : la taxe Zucman, qui fera s'enfuir toutes les start-up de la tech et de l'innovation,…

M. Claude Malhuret. … le carburant de l'économie des prochaines décennies, des domaines dans lesquels le retard de la France et de l'Europe est déjà catastrophique.

Mme Cécile Cukierman. On n'est pas sur CNews ici !

M. Claude Malhuret. La taxe Zucman est à la croissance ce que l'hydroxychloroquine était à la covid. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, elle ne figure pas parmi vos propositions, mais vous savez bien que, en l'absence de 49.3, elle risque de se retrouver dans le texte final du projet de loi de finances. Boris Vallaud a annoncé hier à l'Assemblée nationale que le groupe socialiste défendrait cette mesure, et Patrick Kanner vient de nous le confirmer.

Mme Cécile Cukierman. Eh bien, censurez demain pour éviter le drame !

M. Claude Malhuret. Alors qu'une somme de menaces est en train de s'abattre sur le monde de la part de tous ceux qui veulent notre vassalisation, alors que l'Europe décroche et la France plus encore, la gauche française nous propose, comme si notre pays était seul au monde, de travailler moins, d'abaisser l'âge de la retraite, d'augmenter les impôts et d'aggraver la dette.

M. Rachid Temal. Mais c'est vous qui êtes au pouvoir, pas nous !

M. Claude Malhuret. La France a besoin de l'exact contraire.

M. Rachid Temal. Assumez votre politique !

M. Claude Malhuret. Elle a besoin de mesures qui engagent des économies urgentes et qui permettent davantage d'activité, de croissance et d'emploi.

La réalité est simple : la meilleure de toutes les mesures sociales, c'est un travail. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)

Mme Elsa Schalck. Exactement !

M. Claude Malhuret. Le budget que vous proposez, après que les socialistes vous ont tordu le bras, et surtout après que le déficit aura été aggravé par l'alliance de tous les démagogues de l'Assemblée nationale, ne le permettra pas. Depuis la dissolution, nous n'avons plus que des budgets de survie : ce projet de loi de finances n'est pas destiné à construire l'avenir. Il doit simplement donner au Gouvernement une chance d'éviter la censure.

M. Rachid Temal. Rappelez Édouard Philippe !

M. Claude Malhuret. Les trois années passées par Édouard Philippe à Matignon sont celles au cours desquelles le déficit a été inférieur à 3 % du PIB, je vous le rappelle !

M. Thierry Cozic. Grâce à François Hollande !

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, si nous vous en voulons un peu, nous comprenons vos difficultés. C'est pourquoi le Sénat va vous aider – non pas à faire plaisir aux socialistes, mais à leur résister.

M. Rachid Temal. Zéro proposition !

M. Claude Malhuret. Certes, nous n'avons pas le dernier mot, mais nous pouvons faire beaucoup, comme nous l'avons fait pour le budget de 2025.

Nous allons tout d'abord purger le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale de tout ce qui va dans le mauvais sens. Nous allons ensuite y ajouter tout ce qui va dans le bon sens. Puis nous continuerons le travail en commission mixte paritaire,…

M. Hussein Bourgi. Quelles propositions ? Vous ne faites que des critiques !

M. Claude Malhuret. … où, comme l'an dernier, les parlementaires raisonnables seront plus nombreux que ceux qui, même lorsqu'ils sont à jeun, sont toujours prêts à dépenser plus que des marins ivres.

M. le président. Il va falloir conclure.

M. Claude Malhuret. Nous recommencerons en deuxième lecture. (M. Lucien Stanzione martèle son pupitre.) Nous serons alors en fin année et, parmi tous les scénarios possibles, que vous connaissez, celui où, à la fin des fins, la raison l'emporte n'est pas du tout le moins probable.

Voilà notre feuille de route des prochains mois. Comme vous le dites, le Gouvernement proposera, nous débattrons, puis nous voterons.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Et nous résisterons !

M. Claude Malhuret. Nous vous donnons rendez-vous, monsieur le Premier ministre. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Rachid Temal. La parole est à la défense ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. François Patriat. Mes chers collègues, je vous remercie par avance de votre mansuétude : il est difficile de s'exprimer après un orateur si talentueux, mais je vais tout de même relever le défi ! (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en cette période troublée, est-il besoin de rappeler que les défis sont immenses ? Beaucoup, d'ailleurs, a déjà été dit sur ce sujet.

En fait, dans notre pays, tout le monde sait ce qu'il faudrait faire, mais bien peu acceptent les efforts nécessaires.

Monsieur le Premier ministre, l'Himalaya évoqué par votre prédécesseur reste d'actualité, mais votre expérience et votre sens du dialogue devraient nous permettre, comme nous l'espérons, d'affronter ce moment.

Nous traversons une crise institutionnelle sans précédent, qui paralyse notre pays depuis de longs mois et alimente un immobilisme mortifère, facteur de récession et de déclin.

Oui, la situation est grave. La réalité économique nourrit légitimement les inquiétudes. Le déficit public dépasse 5 % du PIB et la dette devient le premier poste de dépenses de l'État, devant l'éducation nationale.

M. Mickaël Vallet. Qui gouverne depuis huit ans ?

M. François Patriat. Nos entreprises gèlent leurs investissements, nos partenaires européens s'inquiètent et nos concitoyens perdent confiance dans les institutions. Il faut sortir de cette spirale destructrice.

M. Didier Marie. La faute à qui ?

M. François Patriat. Vous abordez cette période tumultueuse non seulement avec humilité – les Français vous en savent gré –, mais aussi avec fermeté et détermination. Il faudra tenir, monsieur le Premier ministre.

L'immobilisme n'est plus une option. La France a besoin de confiance et de stabilité. Elle ne se relèvera pas dans le vacarme, mais dans la lucidité, le courage et la responsabilité.

Notre ambition est claire : donner un budget à la France avant la fin de l'année. C'est là notre mission essentielle.

Nous voulons un budget qui mette un coup d'arrêt à l'accroissement de la dette et trace un chemin vers l'avenir ; un budget qui traduise le besoin de justice sociale et fiscale, mais n'ignore en rien les efforts nécessaires à notre crédibilité financière ; un budget pour que les entreprises puissent continuer d'investir et d'embaucher ; un budget qui permette à la France de conserver sa crédibilité à l'international.

Les élus du groupe RDPI prendront pleinement leur part au débat, notamment en défendant leurs amendements.

Ce budget, c'est l'urgence absolue, notre responsabilité première et notre devoir impératif face aux Français, qui attendent de nous, non pas des postures, mais des actes.

Les grands débats idéologiques, les positionnements stratégiques, les ambitions personnelles des uns et des autres n'ont rien à faire dans cet hémicycle. Les questions dont il s'agit seront tranchées par les Français lors de la prochaine campagne présidentielle, qui aura lieu en 2027 et pas avant.

N'en déplaise à M. Mélenchon et à sa horde de révolutionnaires de pacotille fauteurs de troubles, n'en déplaise à Mme Le Pen et à son armée de poutinistes obnubilés tant par leurs ambitions personnelles que par leurs promesses intenables, ces deux extrêmes, soudés par la haine, n'ont comme horizon que le désordre et le chaos.

L'irresponsabilité des extrêmes, leur refus du dialogue et leur goût pour l'obstruction ne font que miner la démocratie. Enfermés dans leurs logiques d'appareils, minéralisés dans leurs postures hostiles, ces partis ne proposent aux Français qu'une réponse politique binaire, avec chacun un bouc émissaire : les riches, pour l'extrême gauche, l'immigration, pour l'extrême droite, sont responsables de tous les maux.

Alors que les extrêmes ne cherchent que le tumulte, nous œuvrons pour la stabilité. Contrairement aux candidats d'ores et déjà déclarés, notre horizon ne s'arrête ni aux six mois qui nous séparent des élections municipales ni aux dix-huit mois qui nous séparent de la présidentielle.

Notre horizon, c'est la France, aujourd'hui comme demain : celle qui se réinvente, celle qui se réforme, celle qui prépare l'avenir. Il ne suffit pas de se payer de mots : il faut des actes.

Mes chers collègues, la République mérite mieux que la caricature et le chantage permanent à la censure. Pendant des années, une partie de l'opposition a dénoncé l'usage du 49.3 comme un déni de démocratie. Elle a appelé de ses vœux un Parlement fort, souverain et pleinement législateur. La décision de renoncer à cet article de la Constitution marque un tournant majeur dans l'équilibre de nos institutions : elle mérite d'être saluée, en particulier par les oppositions.

Monsieur le Premier ministre, en faisant ce choix, vous placez le Parlement face à ses responsabilités.

Cette décision n'est pas anodine. Il s'agit là d'un acte de confiance inédit envers la représentation nationale. Tâchons d'en être dignes. On ne peut pas réclamer le renforcement de la démocratie parlementaire et, dans le même temps, en refuser l'exercice.

Mes chers collègues, la France est debout parce que des responsables, de droite comme de gauche, ont choisi le réel contre les illusions, l'avenir contre le repli, la responsabilité contre la démagogie. C'est le chemin du Gouvernement et c'est la seule voie pour que notre pays résiste aux vents contraires.

Dans le désordre parlementaire, je suis heureux de constater une fois de plus que le Sénat demeure un véritable pôle de stabilité.

Notre expérience et notre ancrage territorial nous donnent le devoir d'agir, avec pour seule boussole l'intérêt général. Il est grand temps que ce dernier nous guide tous de nouveau, députés comme sénateurs, majorité comme opposition.

Si chacun de nous adoptait cette posture, nous sortirions rapidement de l'ornière dans laquelle nous sommes enlisés.

Agir pour mettre en œuvre les réformes que vous avez présentées, monsieur le Premier ministre : pour le pouvoir d'achat, pour la justice fiscale, pour faire en sorte que la décentralisation soit plus efficace et moins coûteuse.

Hier, vous avez annoncé la suspension de la réforme des retraites. Nous en prenons acte, l'urgence étant de sortir de la crise politique pour apporter l'apaisement et la stabilité dont le pays a besoin. Mais nos convictions n'ont pas changé. Nous attendons la discussion parlementaire, et nous souhaitons que le débat permette de faire émerger des mesures de compensation budgétaire réalistes et adaptées.

M. Didier Marie. La taxe Zucman !

M. François Patriat. J'attends de ceux qui ont obtenu gain de cause hier à l'Assemblée qu'ils ne s'opposent pas à des mesures nécessaires à l'équilibre budgétaire demain. Les conclusions de la conférence pour les retraites et le travail que vous souhaitez convoquer permettront de nourrir un débat qui aura lieu en 2027. Parce qu'il faudra bien, quoi qu'on en dise, assurer demain l'équilibre des régimes de retraite, et cela passera par les pistes que vous avez évoquées.

Bien sûr, certains ont pu avoir des regrets, être amers, compte tenu des travaux que nous avons menés sur les retraites. Néanmoins, aujourd'hui, il nous faut retenir le principe de réalité et essayer de calmer et d'avancer.

Nous devons bâtir des solutions qui permettent à chacun de garder la tête haute. Les négociations ne peuvent pas prospérer sur l'humiliation des uns et le triomphalisme des autres. C'est dans le respect mutuel que naissent les accords solides. Trouver des compromis ne signifie pas se compromettre. Le Sénat, rompu à un tel exercice, est plus que jamais appelé à jouer ce rôle éminent.

Le regard sénatorial s'impose aussi pour aborder avec exigence les défis des outre-mer, que je vous remercie d'avoir mentionnés. L'attente de nos compatriotes se fait criante face aux crises successives ; aujourd'hui, une véritable inquiétude naît.

Monsieur le Premier ministre, je connais votre attachement à ces territoires et votre engagement pour eux. Mais je vous le dis comme président du premier groupe ultramarin au Sénat : les outre-mer ne peuvent pas devenir la variable d'ajustement budgétaire. Les réponses à leur apporter ne doivent pas être guidées par une logique populiste. Les Ultramarins n'ont pas besoin de promesses illusoires ; ils ont besoin d'eau, de regain économique, d'une coopération régionale décentralisée, ainsi que d'autres produits. De même, il est crucial de proscrire tout traitement uniforme, en particulier dans le cadre budgétaire, pour répondre aux besoins spécifiques de ces territoires. Sans cela, c'est le pacte de confiance entre les outre-mer et la République qui pourrait être durablement fragilisé.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, entre le chaos des motions de censure à répétition et les immobilismes budgétaires, il existe une troisième voie : celle du compromis républicain et de la responsabilité collective. C'est cette voie que le groupe RDPI empruntera pour redonner à la France la stabilité qu'elle mérite et l'efficacité que ses citoyens sont en droit d'attendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici enfin réunis pour débattre. Votre déclaration de politique générale était annoncée pour la semaine dernière, monsieur le Premier ministre, mais comme vous aviez remis votre démission, vous y aviez renoncé. Mais, finalement, vous êtes redevenu Premier ministre vendredi soir et, entre-temps, vous avez composé un gouvernement. Nous sommes donc enfin réunis après ces valses-hésitations pour réagir à votre programme.

Et nous entendons – ô combien… – vous êtes soutenu par vos propres amis. J'oserais d'ailleurs m'adresser à certains, à commencer par Claude Malhuret, dont la charge a été lourde : en politique, les discours ne suffisent pas ; il faut aussi des actes. À celles et ceux qui trouvent que ce gouvernement ne répond pas à leurs attentes, je rappelle qu'une motion de censure sera soumise au vote demain à l'Assemblée nationale…

À l'heure où je vais prendre la parole, l'exercice est difficile : tous les commentateurs se sont entendus pour dire que la gauche « raisonnable » a tourné le dos à la gauche d'opposition claire à Emmanuel Macron, afin de faire le choix d'une forme de soutien sans participation. Dès lors, à quoi bon discuter ici puisque la censure ne serait pas votée demain ?

Monsieur le Premier ministre, comme vous avez vous-même recouru à une métaphore religieuse, en vous définissant comme un « moine-soldat », permettez-moi d'en utiliser une autre, celle du péché originel. (Murmures amusés sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce péché originel, c'est celui qui fait que vous êtes aujourd'hui Premier ministre, alors même que vous et vos amis avez été battus lors des élections législatives anticipées de l'été 2024. Certes, aucune majorité absolue n'est ressortie du scrutin, mais il y a une certitude : votre camp a été battu. Or, à quatre reprises, Emmanuel Macron a bafoué le vote des électeurs en nommant un Premier ministre issu de son camp !

Monsieur le Premier ministre, vous nous avez beaucoup parlé de « rupture », de « volonté de compromis », de « coalition », laissant finalement reposer la responsabilité de tout cela sur les forces de gauche. Or vous ne pouvez pas masquer le fait que le seul responsable du chaos politique et institutionnel actuel, c'est le Président de la République ! Et, de vous à moi, les annonces que vous avez faites ne vous permettront pas de durer.

Bien évidemment, certains se satisfont d'un plat de lentilles pour prolonger le jour sans fin de la macronie. Mais quand les lentilles ne sont pas cuites, le plat est indigeste ! (M. Olivier Paccaud s'esclaffe.)

Nous sommes face à une réalité. La Constitution n'a jamais prévu que les gouvernants et les représentants du peuple ne respectent pas le suffrage de ce même peuple. Nous en sommes donc là aujourd'hui. Et vous continuez tant bien que mal à toujours vouloir garder le pouvoir contre l'avis de ceux qui se sont exprimés.

Monsieur le Premier ministre, en toute sincérité, cela ne marche pas et ne marchera pas.

Voyez-vous, nous sommes réunis dans un moment solennel : celui d'une crise politique que nous pouvons qualifier de « sans précédent » depuis 1958. Et nous ne pouvons que regretter que vous n'ayez pas recours au vote de confiance sur votre politique et votre projet. Celui-ci ne peut pas se résumer à la déclaration de politique générale. Dans un discours politique, l'essentiel est également souvent ce qui n'est pas dit. Votre projet budgétaire est la copie aggravée de celui de M. Bayrou.

Sommes-nous d'accord sur le gel de l'indexation des salaires et des pensions de retraite, la diminution de l'aide personnalisée au logement (APL), des minima sociaux, allant jusqu'à la non-indexation de l'allocation pour décès d'enfant ? La réponse est non !

Sommes-nous d'accord sur la hausse des franchises médicales ? La réponse est non !

Sommes-nous d'accord pour baisser de 5 milliards d'euros le budget aux collectivités territoriales ? La réponse est encore non !

Sommes-nous d'accord pour un nouvel acte de décentralisation qui ne garantit ni la libre administration ni l'autonomie fiscale aux collectivités ? C'est toujours non !

Pouvons-nous nous satisfaire du non-recours à l'article 49.3 alors qu'il existe des dizaines d'autres superpouvoirs aux mains du Gouvernement ? Là aussi, la réponse est non !

C'est l'un des points clés de l'enfumage auquel nous assistons. Il faut le dire clairement, l'exécutif garde la main sur le débat budgétaire, 49.3 ou non. Ce sont les lois de la Ve République. Rappelons-en quelques-unes : l'article 40, qui ne permet pas au Parlement d'engager des dépenses sans l'accord du Gouvernement ; le vote bloqué, par l'article 44.3 ; la possibilité d'une deuxième délibération ; enfin – cette liste n'est pas exhaustive –, le dispositif que vous avez tu, celui des ordonnances budgétaires.

Vous dites laisser du temps au débat, en sachant très bien que le délai constitutionnel de soixante-dix jours ne suffira pas. Les ordonnances sont donc un « super 49.3 » qui vous permettra in fine d'imposer votre budget.

Soyez clair : pouvez-vous nous dire que vous n'aurez pas recours aux ordonnances budgétaires ? Les Français doivent le savoir, la gauche doit le savoir. Parce que, voyez-vous, si, demain, certains vous épargnent une censure et vous croient profondément sincère quand vous dites renoncer à utiliser le 49.3, ont-ils seulement réfléchi à votre capacité à utiliser les ordonnances et à contraindre le Parlement à des compromis boiteux ?

Par exemple, dans votre déclaration de tout à l'heure, vous avez déclaré qu'il y aurait un texte sur la suspension des réformes. Mais vous veniez d'indiquer juste auparavant, entre quatorze heures et quinze heures, à l'Assemblée nationale : « Je pense qu'il faut que le Gouvernement dépose un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale dès novembre. » Vous le voyez, ce n'est pas qu'une question de mots. Le sujet, c'est celui de votre pouvoir d'organiser les débats et de contraindre jusqu'où vous le voudrez le débat au Parlement.

Monsieur le Premier ministre, la politique générale dévastatrice menée depuis 2017 et les dénis de démocratie successifs poussent nos concitoyens au dégagisme, à sortir tous ceux qu'ils jugent responsables de la situation.

Êtes-vous prêts à assumer cette exigence des citoyens ? Sommes-nous prêts à repenser ensemble notre rapport à la politique et aux institutions pour réellement redonner le pouvoir au peuple, qui lui seul détient le pouvoir de décider, conformément à la Constitution, et dont nous sommes simplement ses représentants ? Voyez-vous, je fais partie de ceux qui pensent que seul le peuple est souverain : seule sa décision m'importe. On peut toujours tordre le bras à la démocratie ; mais, à trop le lui tordre, c'est elle-même qui vous broie.

Mesdames, messieurs les ministres présents, mais qui êtes-vous ? À quoi avez-vous cru ? Avez-vous réellement cru qu'il n'y avait pas de lignes rouges entre nous ? Voilà des mois que la droite trace, comme elle vient de le faire, ses propres lignes rouges : maintien de la réforme des retraites, refus de la justice fiscale, refus de plus d'égalité. Avez-vous cru ces clivages dépassés ? Mais non ! Et je vous le dis avec franchise : vous ne les dépasserez pas ! Car servir les intérêts des nantis, c'est l'ADN d'Emmanuel Macron ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

La censure de votre gouvernement est donc une exigence pour sanctionner cette politique, qui a mis la France et son peuple à genoux. Et je m'adresse tout particulièrement à la gauche de cet hémicycle : si je ne fais pas de procès en trahison, je fais des procès en incompétence à ceux qui applaudissent des Premiers ministres ne présentant aucun projet de loi de nature à mettre en œuvre des politiques progressistes dans notre pays. Car c'est bien cela, la réalité ! (Murmures sur les travées du groupe SER.)

Si nous voulons tourner clairement et sans ambiguïté la page du macronisme, il faut ouvrir sans chausse-trape la voie de la justice fiscale et sociale. Or vous ne le permettrez pas. Laisser croire que votre gouvernement peut répondre aux aspirations populaires est, selon nous, une tromperie que nous ne pouvons pas accepter.

Monsieur le Premier ministre, vous allez répondre que j'ai tort. Mais, puisque vous êtes si sûr de vous et de votre méthode, pourquoi ne pas avoir demandé, comme François Bayrou l'a fait le 8 septembre, un vote de confiance ?

Celles et ceux qui vont voter la censure demain ne sont pas des irresponsables. Ce sont au contraire des élus courageux et responsables devant les Français, qui veulent encore et toujours l'abrogation de la réforme des retraites, et certainement pas une retraite par capitalisation. Ils sont responsables devant les Français, qui n'en peuvent plus de se serrer la ceinture et qui exigent la justice fiscale. Ils sont responsables devant les Français, quand le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances que vous avez déposés contiennent un lot de mesures qui vont broyer les travailleurs, ces mêmes travailleurs que vous avez tant cités hier !

Ce qui fait démocratie, c'est en premier lieu le respect du vote.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Cécile Cukierman. Si la crise du régime guette, c'est bien parce que ce pilier fondateur de la République, le suffrage universel, a été bafoué.

La censure d'un tel affront démocratique est inéluctable pour ne pas prolonger cette politique honnie. Nous y sommes prêts ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Akli Mellouli. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, c'est sur un fil d'équilibriste que le Gouvernement va devoir dérouler son action.

Monsieur le Premier ministre, si le sens du collectif l'emporte demain, vous souhaiteriez ouvrir un chemin commun malgré les divergences. Au sein du RDSE, tous exercés à la recherche du compromis, nous ne pouvons que vous encourager à retenir cette méthode.

Dans le contexte actuel, celui d'un quatrième gouvernement depuis un an, celui d'une crise politique enkystée qui frôle la crise de régime, celui d'une lassitude des Français, mon groupe vous souhaite de passer les sauts d'obstacles, mais, bien entendu, pas à n'importe quel prix.

Oui, le RDSE veut que notre pays retrouve une stabilité politique. Nous le devons à nos concitoyens, qui voient depuis des mois le triste spectacle des ambitions passer avant l'intérêt de la Nation et épargnent outre mesure par peur du lendemain., une telle prudence pouvant coûter a minima 0,3 point de PIB à notre économie.

Les effets de ce désordre politique touchent les Français, toutes les entreprises et les marchés financiers, qui le font payer aux investisseurs et à la dette. Il faut que cela s'arrête.

C'est aussi la crédibilité de notre pays vis-à-vis de nos partenaires européens qui est en jeu. Alors que le Président de la République souhaite relancer l'axe franco-allemand, c'est avec inquiétude que Berlin regarde une France devenue ingouvernable. La France a besoin de l'Europe et l'Europe a besoin de la France. Il est donc urgent de rassurer sur tous les fronts.

Monsieur le Premier ministre, vous conviez le Parlement à un exercice de responsabilité. Cela vaut en premier pour l'Assemblée nationale, si fracturée. Mais le Sénat doit prendre aussi sa part dans la recherche du dialogue et de la coconstruction. Ce sera difficile si chacun des groupes reste dans son couloir idéologique, comme on peut le regretter dans beaucoup de nos débats. Depuis la dissolution – nous le répétons –, il n'y a pas de majorité claire. Chacun peut continuer à travailler avec des œillères. Mais regardons le résultat depuis un an : une succession de petits textes, donnant le sentiment d'une absence de cap, faute de s'inscrire dans un cadre cohérent.

La France vit une crise inédite. Face aux urgences économiques et sociales, souhaiter maintenant une élection présidentielle est irresponsable. À court terme, la dissolution serait plutôt une punition que la solution. Ceux qui la réclament à l'extrême gauche portent le risque de faire le lit de l'extrême droite.

Pour mon groupe, la priorité est un budget pour 2026 qui réponde aux attentes des Français et qui rassure les acteurs économiques et les collectivités locales, un projet fidèle aux fondamentaux de notre pacte social et républicain, un projet qui ne promette pas seulement du sang et des larmes, car c'est d'espoir qu'ont besoin nos concitoyens.

Si la réduction du déficit est une nécessité, elle ne doit pas enfermer toutes nos politiques publiques. Et je salue votre volonté, monsieur le Premier ministre, de ramener l'objectif du déficit à 4,7 %.

Ainsi que notre collègue Raphaël Daubet l'a rappelé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, la récession de 1993 puis la crise de 2008 avaient déjà plongé le solde public à des niveaux proches de ceux que nous connaissons aujourd'hui. Chaque fois, il a fallu de sept ans à neuf ans pour ramener le déficit sous la barre des 3 %. Ne prenons pas le risque d'une rigueur qui gripperait le peu de croissance qu'il reste.

C'est un budget que nous voulons juste. Vous le savez, l'équité fiscale et sociale est une demande forte exprimée par nos concitoyens.

Oui, il y a la taxe Zucman. Oui, c'est vrai, elle va loin, et elle n'est pas sans écueils. Mais, comme le dit l'adage, qui peut le plus peut le moins. Les débats vifs autour de cette taxe auront eu le mérite de réveiller les consciences. Vous êtes prêt, monsieur le Premier ministre, au débat sur la fiscalité des grandes fortunes. Vous trouverez le RDSE sur ce terrain. Au fil des budgets, nous posons à chaque fois la question des holdings familiales et de l'optimisation fiscale, ou encore du niveau de la mise à contribution du capital.

À cet égard, je rappellerai que notre collègue Christian Bilhac avait fait adopter au Sénat une hausse du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Mais cette mesure avait fait les frais de la procédure de seconde délibération. Rassurez-nous, monsieur le Premier ministre : nous avons bien entendu qu'il n'y aurait pas de 49.3 à l'Assemblée nationale, mais, au Sénat, l'entêtement idéologique sur certaines travées nous conduira-t-il au vote bloqué ou à cette fameuse seconde délibération ?

Sans entrer dans le détail sur le budget de l'État, je soulignerai juste que mon groupe sera attentif au sort réservé aux finances des collectivités locales. Au regard du brouillard politique dans lequel nous vivons, ces dernières apparaissent comme un roc et un vecteur fondamental de la commande publique, une commande publique indispensable à la fois à la croissance et à la cohésion sociale.

Écoutez les élus locaux, qui réclament stabilité et visibilité. Ils demandent une pause dans les réformes institutionnelles. Ils ne veulent pas de nouveaux changements, après ceux qui ont été opérés, parfois à marche forcée. Je pense à la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, à la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) ou à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), à propos de laquelle je viens de remettre un rapport illustrant ce besoin de clarté à l'échelon décentralisé.

En revanche, nous sommes favorables à une réflexion sur de nouvelles relations entre l'État et les collectivités locales, pour plus de facilitation, d'accompagnement et de simplification. Nous vous soutiendrons dans votre volonté d'un État plus efficace pour un meilleur usage de la dépense publique, c'est-à-dire là où elle est indispensable : à l'école, dans la santé, dans la justice, dans les territoires, en particulier ultramarins, et dans la défense.

Je pense aussi à notre modèle social, qui demande des marges budgétaires pour être préservé, et aux attentes de la société sur de grands sujets, comme l'accompagnement de la fin de vie, un débat que nous avons ajourné. Le RDSE souhaite examiner rapidement les deux textes qui y sont consacrés.

Je n'oublie évidemment pas l'avenir de notre système de retraite. Vous avez décidé la suspension de la réforme de 2023. Cette rupture de fond était très attendue. J'espère cependant que seront conservées les avancées obtenues pour les femmes, pour les carrières longues ou hachées, ainsi que la prise en compte de la pénibilité au travail, que mon groupe a défendue.

Le Gouvernement l'a souligné, un tel arrêt aura un coût financier. C'est aux partenaires sociaux de trouver les moyens de garantir que cette pause ne soit pas financée par la dette publique. Cela ruinerait la confiance dans notre modèle, fondé en 1944 sur le principe de la solidarité et auquel le RDSE, comme la plupart des Français, reste attaché.

Monsieur le Premier ministre, comment ne pas vous souhaiter une bonne réussite ? À ce stade, votre double volonté de permettre le débat et de remettre le pays sur les rails de la stabilité semble sincère.

Au-delà d'adopter un budget, il est impératif de restaurer la confiance pour sortir d'une République maltraitée. Sans un minimum de concorde, nous, parlementaires, serons encore un peu plus fragilisés. Si la Ve République a été formatée pour une vie politique bipolaire, elle a encore les ressources pour surmonter une crise, sous réserve de pratiques politiques plus apaisées, expurgées des lignes rouges et tournées vers la recherche du consensus au service de tous les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur Premier ministre, hier, vous avez entamé votre propos par ces mots : « Ceux qui ne changent pas, ceux qui s'agrippent aux vieux réflexes, aux postures, disparaîtront. » Cette lucidité contraste avec votre fidélité sans faille de dernier samouraï du macronisme en décomposition. Mais que de temps perdu !

Que de temps perdu pour faire comprendre au Président de la République que, depuis 2022, il n'avait plus de majorité absolue à l'Assemblée nationale !

Que de temps perdu à tenter de vous marier avec Les Républicains, partenaires on ne peut moins fiables, qui vous juraient fidélité tout en faisant les yeux de Chimène à l'extrême droite !

Que de temps perdu pour faire adopter, en brutalisant tous les principes démocratiques, une réforme des retraites injuste, dont vous avez reconnu qu'elle avait heurté le pays et, à demi-mot, qu'elle avait été adoptée après un débat démocratique indigne de ce nom !

Vous annoncez sa suspension totale, une nouvelle conférence sociale et une nouvelle loi. Nous saluons cette première amende honorable.

Après huit années de bulldozer macronien, nous saluons cette victoire incontestable du mouvement social, de la gauche et des écologistes. Nous nous félicitons pour les quelque 3,5 millions de nos concitoyens qui viennent de gagner plusieurs mois d'une retraite bien méritée.

Néanmoins, monsieur le Premier ministre, il a fallu quinze mois pour faire partiellement accepter au Président de la République le résultat des élections législatives qu'il a lui-même provoquées !

Quinze mois de perdus pour la transition écologique et l'urgence climatique, victimes de l'absence de vision, de l'absence de pilotage gouvernemental et du rabot budgétaire ! Quarante-trois reculs écologiques en un an ! Voilà le prix de feu le socle commun, avec en point d'orgue la scélérate loi Duplomb, dont nous exigeons l'abrogation ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Quinze mois de perdus dans un monde instable, menacé à court terme par la sécession des riches et la nouvelle internationale fasciste, qui vont de plus en plus de pair, et à moyen terme par la catastrophe climatique et écologique !

Quinze mois d'une crise politique largement évitable pour accepter que le seul résultat tangible des législatives était la prééminence du front républicain contre l'extrême droite et sans les LR, dont l'ambiguïté était condamnable, ambiguïté dont ils vont bientôt sortir au détriment de la République !

Mais le compte n'y est pas encore. Le socle commun étant dessoudé, la force majoritaire de l'Assemblée nationale, c'est le Nouveau Front populaire. Vous êtes donc le troisième Premier ministre illégitime de suite.

Et il est logique que nos collègues députés vous censurent au motif fondamental du respect de la démocratie. Vous semblez cependant avoir compris l'importance de redonner au Parlement sa place centrale : « Le Gouvernement propose, nous débattrons, vous voterez. » À travers vos mots, ce que vous appelez une « rupture » est en réalité le fonctionnement normal de tout régime parlementaire. On l'a oublié sous la VRépublique monarchique, tout particulièrement après ces huit dernières années de brutalité jupitérienne.

Vous renoncez enfin, comme les écologistes vous y invitaient à travers une proposition de loi de notre collègue Iordanoff, à utiliser le 49 alinéa 3. En effet, il n'y a aucune raison d'avoir peur d'une Assemblée nationale qui ressemble aux Français, comme vous l'avez souligné justement.

Néanmoins, votre engagement n'aurait pas de sens si vous ne renonciez pas également à la possibilité de passer le budget par ordonnance dans l'hypothèse où les débats parlementaires devraient durer au-delà du 31 décembre.

Demain, vous échapperez vraisemblablement, de quelques voix, à la censure. Mais c'est un sursis, et vous le savez parfaitement. Si vous souhaitez vous inscrire dans la durée, vous n'avez pas d'autre choix que de trouver des compromis avec la gauche et les écologistes, et ce dès l'examen du budget.

La copie du Gouvernement, à peu près identique à celle de vos prédécesseurs, est inacceptable. C'est un nouvel exercice de Robin des Bois inversé, qui prend aux pauvres pour donner aux riches. La justice fiscale y est absente. Votre projet de taxation des holdings est une paille. Vous ne touchez presque pas aux niches fiscales des plus aisés, inutilement listées par notre collègue Charles de Courson. Vous le savez, aucun budget ne sera adopté sans la taxe Zucman, que les écologistes ont pourtant fait voter à l'Assemblée nationale au mois de février, à tout le moins un dispositif de même ambition.

Nous n'avons rien non plus de concret sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus fragiles, alors que 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, qui atteint un maximum historique. Et je pense aussi aux outre-mer.

Rien pour notre jeunesse, oubliée des politiques publiques, alors que sa situation ne cesse de se précariser, en particulier depuis la pandémie.

Le budget de la sécurité sociale est également honteux, avec, entre autres, le doublement des franchises médicales et une augmentation ridiculement insuffisante de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Pis encore, en refusant d'augmenter les recettes pour suspendre la réforme des retraites, vous allez encore affaiblir le soutien aux plus précaires, notamment les familles, et ronger notre hôpital public, déjà à l'os.

Rien non plus pour la transition écologique, alors que la France n'est déjà plus dans les clous de ses engagements climatiques, dix ans après les accords de Paris. MaPrimeRénov' va éviter la mort, mais à quel prix ? Comment ne pas faire une priorité absolue de cette politique consensuelle, qui allie justice sociale, transition et adaptation écologique, création d'activités économiques pour les TPE et PME et souveraineté, permettant de réduire nos dépendances aux hydrocarbures de Poutine et de réduire nos dettes climatiques ? Il est impératif de maintenir son montant au minimum à 3 milliards d'euros. Le fonds vert pour le climat est divisé par deux, soit une division par quatre depuis deux ans.

Avec la réduction de la CVAE, qui ne profite pas aux petites entreprises, ce sont 2 milliards d'euros en moins pour les collectivités locales, en moins pour la transition.

Dans le même temps, vous annoncez vouloir décentraliser des responsabilités avec des moyens budgétaires et fiscaux, ce qui achève de nous plonger dans la perplexité.

Vous souhaitez responsabiliser les collectivités locales. Alors, donnez-leur la main avec le fonds climatique territorial, que nous soutenons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Mais elles n'ont pas à payer l'endoctrinement macroniste, qui a laissé filer la dette au lieu de faire contribuer les plus aisés à l'effort considérable auquel la Nation a consenti face à la pandémie, puis face au retour de la guerre en Europe.

Je voudrais vous faire part d'une dernière inquiétude. Doit-on comprendre de vos propos d'hier et d'aujourd'hui que vous souhaitez supprimer la clause générale de compétence pour les communes ?

Monsieur le Premier ministre, vous l'aurez compris, nous serons exigeants lors de l'examen du budget, qui est, en l'état, un motif légitime de censure. Si votre gouvernement veut passer l'automne, il vous faudra entendre la forte aspiration du pays à davantage de justice fiscale et écologique.

Je forme le vœu que nous trouvions des compromis en ce sens, y compris ici, au Sénat, par exemple avec nos collègues centristes qui ne souhaiteraient pas être aspirés dans la fuite en avant des LR vers l'extrême droite. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – « Assumez ! » sur les travées des groupes GEST et SER.)

La survie du Gouvernement ne règle en rien la crise profonde dans laquelle est engoncée la Ve République. La crise démocratique est plus prégnante que jamais.

Il nous faudra rapidement tout remettre à plat, en commençant par le scrutin majoritaire, qui ne dégage plus de majorité et brutalise inutilement le débat public. Pour assurer une juste répartition des forces politiques, trouver les chemins du compromis et redonner sa place au Parlement, la proportionnelle est un impératif.

M. Vincent Louault. Ben voyons !

M. Guillaume Gontard. À cet égard, la proposition de loi transpartisane qui a été déposée lundi est une base de travail pertinente.

Il faut également en finir avec le cœur de la crise de régime actuelle, à savoir l'irresponsabilité du Président de la République, qui est incompatible avec la séparation des pouvoirs.

Il faut enfin associer beaucoup plus directement nos concitoyennes et nos concitoyens aux décisions publiques.

M. le président. Il faut conclure.

M. Guillaume Gontard. Si le Président de la République veut finir son mandat sur une note moins dramatique, il doit lancer le chantier de la refondation démocratique et constitutionnelle de notre pays. C'est un impératif pour éviter que cette crise ne débouche sur l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos compatriotes ont honte : honte du spectacle d'un système politique discrédité, bouffi de ses échecs qu'il porte comme des réussites et pour lequel l'obsession de stabilité est le cache-sexe de ses incapacités ; honte d'un système qui, au seuil de l'abîme, au bord de la faillite, n'a jamais aussi bien porté son nom.

Tous les signaux envoyés sont ceux d'intérêts de prébendiers qui cherchent à se préserver, de caciques tellement obsédés à l'idée de perdre leur carte de visite qu'ils sont prêts à tout accepter.

J'aurai malgré tout un mot pour vous, monsieur le Premier ministre : vous voilà la dernière victime du vice présidentiel ! Il est dommage qu'une personne reconnue pour son refus du sectarisme ait été choisie – pour ne pas dire sacrifiée – en vue d'accomplir cette mission politiquement kamikaze, celle de maintenir en vie un pouvoir sans cap, sans majorité, sans soutien populaire et sans avenir.

Vous avez la réputation d'un homme digne et loyal. Aussi, quel malheur de vous voir au service aveugle d'une cause désastreuse pour la France et les Français !

Premier des macronistes, vous fermerez sans doute la porte derrière vous quand la supercherie du macronisme et du faux nouveau monde seront enfin derrière nous.

Au prix d'un sursis très hypothétique de l'injuste réforme des retraites, vous proposez non pas un budget de rupture, mais la continuité de la seule chose finalement stable et constante : l'agonie budgétaire, fiscale et sociale de la France.

Cette suspension illusoire, les socialistes acceptent que vous la gagiez dans le PLF pour 2026 sur le dos des salariés, des indépendants et entrepreneurs, des actifs, des retraités, des étudiants, de nos collectivités et même de nos agriculteurs, comme s'ils ne souffraient pas assez.

On nous dira que nous ne faisons aucune proposition : c'est évidemment faux. Le programme présidentiel de Marine Le Pen, qu'elle appliquera avec Jordan Bardella, ce sont 100 milliards d'économies à notre portée.

Encore faut-il accepter de toucher à certains totems : l'immigration, le montant de la contribution nette et malhonnête de la France au budget de l'Union européenne et la bureaucratie stalinienne à tous les étages de l'administration française.

M. Christopher Szczurek. Avec cela, vous financerez non seulement l'abrogation durable de la réforme des retraites et bien d'autres politiques, prioritairement à destination de nos compatriotes.

Vous nous direz que le Gouvernement propose et que le Parlement discutera et votera. Monsieur le Premier ministre, vous pouvez tenir en suspension ce qu'il reste des anciens partis traditionnels par la peur du retour aux urnes. Vous pouvez les baratiner pour qu'ils se persuadent qu'ils ne font pas cela uniquement dans leur intérêt et, ainsi, les aider à mieux dormir. Mais à nous, vous ne la faites pas !

Vous avez beau vous draper dans le respect du Parlement ; or nous savons que tout cela finira dans la moulinette des ordonnances.

Nous saurons, demain, si vous avez gagné deux semaines, deux mois, un an peut-être, mais vous n'échapperez pas à la seule issue, à la seule voie du redressement et, finalement, au seul comportement républicain : le retour au peuple et, surtout, le choix d'une alternance réelle.

Encore un an et demi, monsieur le bourreau, avant que la tempête électorale ne balaye le macronisme et n'amène le marinisme.

Mme Émilienne Poumirol. Aïe, aïe, aïe !

M. Christopher Szczurek. Or un an et demi de rien et du pire, c'est long dans l'Histoire et c'est long dans nos vies et dans celles de nos compatriotes, qui n'aspirent qu'à en profiter.

Pour eux, il est encore possible de changer de voie et de souhaiter l'union de tous les patriotes. Dans tous les cas, même si vous n'aurez pas de censure à l'Assemblée, vous aurez Marine à l'Élysée !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les présidents de groupe, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos différentes prises de parole, dont je retiens plusieurs choses.

Sur le fond, on me reproche tantôt d'être trop flou, tantôt d'être trop précis. Quoi qu'il en soit, concernant la feuille de route territoriale et les politiques publiques que j'ai exposées tout à l'heure, je n'ai pas décelé dans vos interventions de lignes rouges…

M. Jean-François Husson. Vous rigolez ? Elles sont carrément écarlates !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. … ni vu de panneaux « stop ». Et pour cause, nous avons largement pris le temps ce mois-ci – j'y reviendrai plus tard, en répondant au président Marseille – de nous inspirer de ce que vous m'aviez dit et de ce que le Sénat, les différentes formations politiques, les associations d'élus et les partenaires sociaux avaient proposé au Gouvernement.

J'en retiens que, si l'action du Gouvernement se poursuit, en fonction de la volonté de l'Assemblée nationale, les ministres pourront se rapprocher des parlementaires pour commencer à travailler sur ces sujets.

Je formulerai une deuxième remarque. On ne peut pas faire comme si le débat n'allait pas avoir lieu, madame la présidente Cukierman, à moins qu'il ne soit interrompu demain matin par le vote d'une motion de censure. Et si tel était le cas, je ne vois pas bien comment des progrès sociaux pourront être accomplis dans les temps à venir.

En effet, c'est précisément la discussion budgétaire qui permet, à un moment donné, de traduire des politiques en actes. Nous le savons tous, nous n'y parviendrons pas en interrompant les débats.

Vous l'aurez compris, le débat sur le budget doit avoir lieu, qu'il s'agisse du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances.

Le président Patriat a appelé, dans son discours, à porter une attention particulière aux outre-mer. Justement, le débat sur ce sujet a déjà commencé tout à l'heure : la ministre des outre-mer a en effet reçu un certain nombre de parlementaires ultramarins pour discuter des outils d'accompagnement définis par la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodeom).

La copie initiale prévoit des mesures d'économies objectivement importantes, sans doute trop importantes. Aussi, des débuts de commencement d'amendements sont en train d'être rédigés avec les parlementaires d'outre-mer pour les rendre soutenables, comme nous l'avons toujours fait.

Depuis plus d'un mois, certains m'ont demandé de faire ma déclaration de politique générale comme s'il s'agissait d'un document entre partis politiques, tandis que d'autres m'ont demandé de saisir cette occasion pour présenter à la fois le PLF et le PLFSS.

Cette resynchronisation démocratique, parlementaire et politique était indispensable. Elle est, au fond, le corollaire de ce que François Bayrou avait fait avec beaucoup de courage en demandant un vote de confiance à l'Assemblée nationale, au début du mois de septembre, alors même qu'il ne disposait pas de majorité.

Nous le savions très bien – je vous rappelle que j'étais alors son ministre des armées –, François Bayrou voulait engager la responsabilité du Gouvernement non seulement sur la base de deux conférences de presse, mais aussi sur la nécessité de redresser les finances publiques. Or les oppositions ont manifesté leur désapprobation, souhaitant discuter de textes économiques et financiers qu'elles pourraient soit rejeter, soit adopter, après les avoir amendés.

C'est bien la démarche dans laquelle je me suis efforcé de m'engager depuis un mois, y compris avec les partenaires sociaux.

Je remercie le président Malhuret d'avoir rappelé que, le soir même de ma nomination, l'agence Fitch dégradait la note de la France. En outre, j'ai pris mes fonctions alors que le mouvement « Bloquons tout ! », soutenu par la France insoumise, n'avait pour seul but que de semer le désordre dans les universités et de s'en prendre aux forces de l'ordre. (Mme Laurence Rossignol proteste – M. Yannick Jadot secoue la tête.)

Je me suis rendu disponible auprès des partenaires sociaux, car l'intersyndicale, composée de toutes les forces syndicales légitimes, était dans son droit le plus strict en organisant des manifestations et des grèves dans le pays.

Je vous prie, mesdames, messieurs les sénateurs, de prendre en compte ce qu'il s'est passé depuis le début du mois de septembre ; nous sommes tous des observateurs et des acteurs de la vie politique française.

Monsieur le président Marseille, je n'ai pas été nommé Premier ministre il y a un an, ni même au mois de janvier dernier. Le fait d'être le troisième Premier ministre à assurer la gestion de cette crise me conduit à devoir prendre des risques, parfois en décalage avec mes propres convictions – je le dis avec beaucoup d'humilité.

Je pense que la stabilité de notre pays, dans ce moment difficile, doit au moins conduire à ne pas faire comme avant. Ai-je tout fait bien ? Certainement pas. Ai-je pu en heurter certains, y compris les miens ? Si tel est le cas, je leur présente mes excuses.

Cela étant, nous sommes face à un moment de responsabilité. On dit souvent, comme pour les convoquer, que le Parlement doit « prendre ses responsabilités » : ce discours m'insupporte quelque peu, car il comporte une dimension morale, et je ne suis pas là pour faire la morale aux parlementaires.

En revanche, il faut que les débats démarrent. Dans cette perspective, je ne demande à personne de renier ses convictions. Je sais que vous êtes un certain nombre, dans cet hémicycle, à avoir soutenu la loi sur les retraites, tandis que d'autres se sont mobilisés contre la réforme.

Veillons à être précis dans nos propos : il n'y a pas d'abandon de la réforme des retraites, comme j'ai pu l'entendre. (M. Max Brisson s'exclame.) Entrons dans la technicité des débats et soyons précis : le Gouvernement a seulement prévu de déposer un amendement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, en vue de suspendre la réforme de 2023.

M. Yannick Jadot. Un amendement ou un texte ?

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un amendement, c'est un texte, monsieur Jadot ! (Vives exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. Max Brisson. On prend date !

M. Fabien Gay. Donc, ça ne viendra jamais !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. De quoi parle-t-on exactement ? Si vous souhaitez que la suspension de la réforme prenne effet au 1er janvier 2026, il faut l'inscrire dans le PLFSS ! Soyez de bonne foi ! (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mouvements divers sur les travées du groupe Les Républicains.)

En revanche, si vous ne le souhaitez pas, vous pouvez avoir un texte ad hoc à côté, mais arrêtez de reporter la faute sur le Gouvernement ! (M. François Patriat applaudit.)

Je crois que j'ai fait ce qu'il fallait faire ; on me le reproche par ailleurs.

La question des retraites doit être traitée avec la plus grande des précisions. D'ailleurs, je ne l'opposerai pas à celle du pouvoir d'achat, précisément parce que le dialogue social est en panne.

Monsieur le président Marseille, vous le savez, depuis la fin du mois de juin, depuis la fin du conclave sur les retraites, il est grippé.

M. Jean-François Husson. Ça date d'avant !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Tout comme le président du Sénat, qui fut ministre du travail, vous connaissez bien les partenaires sociaux, y compris les syndicats salariés dits réformateurs.

Force est de constater qu'une part du dialogue social est complètement bloquée et n'est possible que dans le secret. Je pose cette question devant le Sénat : fallait-il que ce blocage perdure ? Le débat est ouvert. Toutefois, cette responsabilité ne repose pas que sur votre serviteur : elle est globale.

Il me semble que cette maison, la Haute Assemblée, croit au paritarisme. Il ne s'agit pas que de le décréter, il faut aussi le faire redémarrer. Dans cette perspective, personne ne trahira ses convictions et chacun pourra voter librement. Tel est l'engagement que j'ai pris hier devant l'Assemblée nationale et qui a été rappelé par le président Kanner – je l'en remercie. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Une fois de plus, je n'ai pas été nommé il y a un an. Il n'empêche que je suis tenu de trouver des solutions de déblocage. D'ailleurs, je n'en ai pas été particulièrement saisi ou, du moins, toujours nourri pendant ce mois de septembre.

On m'a ici interpellé avec beaucoup de talent et de transparence et je voudrais répondre aux remarques qui ont été formulées. Nous sommes dans un moment où les partis politiques ne veulent parler qu'au Gouvernement, sans se parler entre eux. Sans trahir le secret de nos réunions, vous m'avez beaucoup aidé à y remédier, et je vous en remercie.

À un moment donné, il faut que tout le monde fasse un pas, comme on le fait dans nos conseils municipaux et départementaux ou dans nos intercommunalités. Encore une fois, cela ne veut pas dire qu'il faut se trahir ou se renier.

Ce temps de la clarté va aussi nous amener à entrer techniquement dans certains dossiers. Monsieur le président Gontard, vous ne pouvez pas dire que la CVAE ne profite pas aux PME. (M. Guillaume Gontard proteste.)

M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Elle profite à 300 000 entreprises !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Vous pouvez toujours discuter de ceux qui devraient, selon votre souhait, profiter de ce dispositif, mais vous ne pouvez pas dire qu'il ne fait l'objet d'aucune compensation pour les collectivités. Vous pouvez, à l'instar du rapporteur général, nous reprocher d'avoir touché à la CVAE, mais cela ne concerne pas les PME.

M. Jean-François Husson. La TVA, c'est l'État qui la gère ! Ils ne savent même pas de quoi ils parlent à gauche…

Mme Annie Le Houerou. Cela coûte aux collectivités !

M. Roland Lescure, ministre. C'est déjà compensé !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Bref, il faut que le débat sur la compensation de la CVAE pour les collectivités démarre.

Il semble que, dans la précédente copie du budget, aucun impôt ne diminuait. Mon gouvernement, lui, propose une réduction d'impôts. (M. Jean-François Husson s'exclame.)

Vous avez énormément de pouvoir, monsieur le rapporteur général.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. En plus, nous nous connaissons bien et depuis longtemps. Ainsi, si vous avez la volonté de travailler en commun, les ministres du Gouvernement et moi-même nous tiendrons à votre disposition. En tout cas, le débat doit démarrer.

M. Jean-François Husson. Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Dernier point, certains ont reproché à ce gouvernement son illégitimité. Compte tenu du moment que nous vivons, il faut faire très attention aux mots qu'on emploie. On peut ne pas être d'accord avec la Ve République, mais la légitimité des membres du Gouvernement repose sur leur nomination par le Président de la République.

En outre, ils sont responsables devant le Parlement, plus précisément devant l'Assemblée nationale. Autrement dit, cette dernière peut, si elle le décide, nous renverser.

J'y insiste, on ne peut pas dire que le Gouvernement est illégitime : c'est nourrir les arguments de celles et de ceux qui mettent en cause la démocratie représentative et qui, comme lors du grand débat national suivant la crise des « gilets jaunes », reprochaient aux sénateurs, aux députés et aux maires de décider en leur nom – je ne l'ai pas oublié.

Vous avez toute légitimité à représenter, ici, non seulement celles et ceux qui vous ont élus, mais aussi celles et ceux qui n'ont pas voté pour vous. On peut toujours vouloir changer de Constitution, mais, en attendant, il faut veiller à ne pas mal l'interpréter : il y va de la défense de la démocratie représentative, qui peut nous réunir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

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Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Ce rappel au règlement se fonde sur les articles 92 et suivants du règlement, relatifs à la discipline lors de nos débats en séance plénière.

Je m'étonne, même si cela en fait rire certains parmi nous, des propos particulièrement grossiers qui ont été tenus tout à l'heure par le président Malhuret – il a d'ailleurs quitté l'hémicycle, absent qu'il en est, comme à son habitude, en dehors de ses expressions publiques au plateau.

En effet, il a qualifié M. Olivier Faure, député et patron des socialistes à l'échelon national, de « lombric », ce dont fera état le compte rendu publié au Journal officiel.

M. Malhuret pense généralement prendre des accents de prophète au cours de ses différentes interventions, avec une ironie qui n'appartient qu'à lui-même. Aujourd'hui, il s'est positionné en prétendu visionnaire, alors qu'il a prononcé un discours datant tout droit des années 1980 – quoique nous n'ayons pas eu droit au couplet sur les chars vénézuéliens remontant les Champs-Élysées, qui est sa marque de fabrique.

Je regrette que, en feignant de prendre de la hauteur, notre collègue abaisse la Haute Assemblée à des caricatures qui ne sont pas dignes de nos propos. Le caractère républicain de nos débats mérite mieux que ce genre d'interventions auxquelles nous assistons, de sa part, séance après séance.

Ainsi, je souhaitais que notre assemblée prenne acte de cette remarque, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

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Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre
Article 1er

Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025, présentée par MM. Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Mme Maryse Carrère (proposition n° 876, texte de la commission n° 21, rapport n° 20).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte. Celui-ci a fait l'objet d'une consultation du congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui a émis un avis favorable le 15 septembre 2025.

Souhaits de bienvenue à une ministre et hommage à son prédécesseur

M. le président. Madame la ministre des outre-mer, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au sein de cet hémicycle et du succès dans vos nouvelles fonctions.

En effet, nos outre-mer sont confrontés à de nombreuses urgences, notamment dans les domaines social, économique, éducatif, sanitaire, politique et climatique.

Je tiens également à rendre hommage à votre prédécesseur, M. Manuel Valls, pour son engagement et l'énergie qu'il a déployée en faveur des territoires ultramarins, en particulier sur le dossier calédonien, auquel je suis particulièrement attentif.

En renouant le dialogue entre l'État et l'ensemble des forces politiques calédoniennes, il a contribué à la conclusion de l'accord de Bougival, qui tend à concilier l'aspiration à la pleine souveraineté des uns et le souhait, des autres, de rester dans la République, suscitant ainsi espoir et confiance en l'avenir pour tous – je dis bien tous ! – les Calédoniens

Vous aurez, madame la ministre, la lourde tâche de poursuivre, avec l'ensemble des partenaires calédoniens, l'indispensable dialogue pour aboutir à une solution durable qui s'inscrive dans les grands équilibres de Bougival.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui une proposition de loi organique transpartisane, que j'ai déposée aux côtés des présidents Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Maryse Carrère.

En élaborant ce texte, nous avons partagé un souci commun, en dépassant les clivages politiques, celui de contribuer à accompagner et à faciliter l'apaisement et la stabilisation de la situation politique, économique et sociale en Nouvelle-Calédonie.

La distance géographique séparant l'Hexagone de l'archipel et la succession des événements mondiaux et nationaux ne doivent pas nous conduire à oublier que, plus d'un an après les émeutes de mai 2024 et quatre ans après le référendum de 2021, beaucoup de travail reste à faire.

Il s'agit de reconstruire ce qui a été détruit, bien entendu, mais aussi et surtout de construire la Nouvelle-Calédonie de demain, dans le respect de l'État de droit et de la volonté exprimée démocratiquement par les Calédoniens.

Pour cela, les discussions se poursuivent sur le Caillou. Je sais, madame la ministre, que vos services y ont déjà consacré de nombreuses journées et nuits depuis le début de l'année.

Les échanges et les rencontres entre non-indépendantistes, indépendantistes et représentants de l'État ont rendu possible l'accord de Bougival, conclu le 12 juillet dernier. Celui-ci ouvre la voie à une organisation institutionnelle pérenne, ratifiée par les populations intéressées. Nous ne pouvons que nous en féliciter ici.

Sans revenir dans le détail sur le contenu de l'accord, je rappellerai qu'il envisage l'apparition d'une entité sui generis, « l'État de la Nouvelle-Calédonie », et fixe le cadre d'une nouvelle répartition des compétences entre ce dernier et l'État central.

Il prévoit aussi la création d'une nationalité calédonienne, des évolutions du corps électoral spécial et les orientations d'une refondation sociale et économique.

Concernant le calendrier, les parties se sont accordées sur l'adoption d'une loi constitutionnelle cet automne, suivie d'un vote des Calédoniens sur l'accord de Bougival dès février 2026.

En cas de résultat favorable, la réforme constitutionnelle prendrait effet et les autres textes en découlant pourraient être adoptés.

Enfin, les prochaines élections provinciales devraient être organisées sur la base d'un corps électoral défini dans l'accord.

Autant de résultats d'une négociation que l'on sait complexe, exigeante et parfois difficile, mais toujours essentielle.

Évidemment, tout n'est pas réglé de ce seul fait. Des désaccords persistent et sont parfois devenus visibles durant les semaines suivant Bougival.

Cependant, après des années de divisions, de progrès limités et parfois, peut-être, d'impressions de recul, il nous semble indispensable d'encourager une approche constructive, c'est-à-dire de poursuivre le travail après l'accord conclu le 12 juillet 2025 et autour de celui-ci.

Cet accord, pour reprendre ses termes mêmes, constitue un nouveau « pari de la confiance », après les accords historiques de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998. Il doit jeter les bases de la Nouvelle-Calédonie de demain.

Pour ce faire, il y a besoin de temps : du temps pour rassembler, expliquer et dialoguer ; du temps pour élaborer et adopter les textes tirant les conséquences de l'accord ; du temps pour préparer les futurs scrutins lors desquels s'exprimeront les Calédoniens.

Or une autre échéance électorale approche rapidement et pourrait compliquer ce processus si délicat. C'est pourquoi la présente proposition de loi organique vise à repousser jusqu'à sept mois les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

L'objectif est de doter le processus politique et institutionnel calédonien du temps nécessaire pour décanter les progrès réalisés cet été et tenir le calendrier fixé à Bougival.

Souvenez-vous : le renouvellement des assemblées provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie était initialement supposé se tenir le 12 mai 2024, au terme de leur mandature normale de cinq années. Toutefois, la poursuite des négociations entre les parties et le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle susceptible d'impacter le déroulement des élections avaient conduit le gouvernement d'alors à solliciter le report du scrutin.

En amont, il avait d'ores et déjà consulté le Conseil d'État, qui, dans un avis du 16 novembre 2023, avait confirmé la possibilité d'un tel report en cas de motif d'intérêt général suffisant. Ce fut chose faite : la loi organique du 15 avril 2024 a repoussé la date de renouvellement du congrès au 15 décembre 2024.

Je l'ai dit, l'année 2024 fut marquée par des émeutes et agitations qui ont frappé durement le territoire. Il était dès lors illusoire de penser que le contexte permettrait le déroulement d'élections dans de bonnes conditions.

Voyant cela, nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont déposé une proposition de loi organique reportant de près d'un an le scrutin, soit au 30 novembre 2025. Elle fut adoptée ici même, en novembre dernier.

Alors que nous sommes presque en novembre 2025, tellement de choses restent à faire ! Les priorités sur place ne vont pas aux campagnes électorales. Plus encore, une campagne courte et précoce percuterait de front les progrès réalisés. Quand bien même nous souhaiterions, envers et contre tout, qu'elle se tienne, il serait illusoire, à ce stade, d'espérer encore pouvoir organiser le scrutin en un mois et demi.

Nous vous proposons donc un nouveau et dernier report, qui fixerait la date limite d'organisation des élections provinciales à la fin du mois de juin 2026, c'est-à-dire dans la fourchette figurant dans le calendrier annexé à l'accord de Bougival.

Ce texte prolongerait donc encore les mandats en cours, qui seraient allongés de près de deux ans par rapport à leur durée initiale.

Nous avons conscience de la nature très inhabituelle de l'opération, qui pourrait conduire certains à s'interroger – c'est bien légitime – sur le respect de l'exigence constitutionnelle de périodicité raisonnable de l'exercice du suffrage par les électeurs.

Qu'ils soient rassurés : nous avons pris soin de vérifier la faisabilité de la chose. Je le dis devant la rapporteure Corinne Narassiguin, avec qui j'ai plaidé devant le Conseil d'État l'importance de ce report, eu égard à la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.

Pour commencer, notons qu'il ne s'agit pas d'une prorogation totalement inédite. Ainsi, un décret-loi du 29 juillet 1939 avait prorogé les pouvoirs des députés pour deux années, dans un contexte certes très particulier et, en tout état de cause, avant la proclamation de la VRépublique. Plus récemment, la loi du 13 juin 2013 a prorogé d'un an les mandats de membres de l'Assemblée des Français de l'étranger.

Il y a cinq ans, Jean-Louis Debré avait rappelé, devant la commission des lois du Sénat, que le report d'une élection ne pouvait être décidé que d'une main tremblante, en s'assurant que les motifs qui le justifient sont impérieux, non partisans, et font l'objet d'un diagnostic partagé.

Dans un esprit similaire, le Conseil constitutionnel a jugé, par une décision du 11 avril 2024, que la prolongation des mandats en cours ne peut être qu'exceptionnelle et transitoire et doit être fondée sur un motif d'intérêt général incontestable.

La présente proposition de loi organique répond bien à cette exigence : d'une part, parce que le report envisagé ne rallonge les mandats que pour une durée clairement limitée, soit jusqu'en juin prochain ; d'autre part, parce que la situation calédonienne présente des particularités qui ne peuvent être ignorées et qui caractérisent un impérieux motif d'intérêt général.

Le titre XIII de la Constitution, dont l'intitulé lui-même fait état de la nature transitoire des dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie, anticipe les particularités du processus politique et institutionnel local, ainsi que la transition de l'accord de Nouméa vers un régime définitif. Ce moment est désormais venu.

C'est donc la Constitution elle-même qui nous révèle l'intérêt général en cause ici, lequel prend corps dans le processus ayant mené à l'accord de Bougival.

Le Conseil d'État avait d'ailleurs anticipé cette éventualité dans son avis de 2023.

En outre, le Gouvernement a rempli son rôle et déposé au début de septembre un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre l'accord.

Dans son avis du 4 septembre 2025 sur notre texte, le Conseil d'État a partagé cette évaluation et estimé que ce nouveau report n'était pas manifestement inapproprié au regard de l'objectif visé.

Voici donc ce que nous proposons : reculer pour mieux sauter ; reporter le scrutin pour mieux lui permettre de se dérouler demain, quand le cadre institutionnel aura été réformé, si les Calédoniens l'approuvent.

Il s'agit d'un texte urgent qui, je l'espère, rencontrera votre approbation et celle de nos collègues députés. Le Gouvernement a déjà engagé cet été la procédure accélérée ; il devrait donc être possible de le faire aboutir dans les délais les plus brefs. En effet, le calendrier dont nous disposons est très serré et les Calédoniens ne comprendraient pas que le processus délicat engagé à Bougival connaisse un raté à ce stade.

En guise de conclusion, je citerai ici quelques mots de l'accord de Nouméa : « Les accords de Matignon signés en juin 1988 ont manifesté la volonté des habitants de la Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité. »

Même vingt-sept années après, ces mots résonnent tout aussi fortement de nos jours. Le processus entamé à l'époque se poursuit encore aujourd'hui, et c'est l'honneur et le privilège du Sénat, ainsi que de son président, d'avoir été tout au long une force de dialogue et proposition.

J'ai aussi personnellement eu l'occasion de me rendre sur place à plusieurs reprises, et j'en ai conservé un attachement des plus vifs à la Calédonie et à tous les Calédoniens.

C'est donc avec un sentiment de responsabilité toute particulière et partagé par les différents cosignataires du texte – je saisis cette occasion pour les remercier – que je soumets aujourd'hui au vote du Sénat un texte qui sera, je l'espère, une brique de plus dans la construction du destin commun en Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jean-Gérard Paumier applaudit également.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, qui permettent de renouveler intégralement les membres des assemblées délibérantes de chacune des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie ainsi que, de façon concomitante, les membres du congrès, n'est pas une question nouvelle : le mandat des membres des assemblées de provinces et du congrès élus le 12 mai 2019 a déjà été prolongé à deux reprises. Prévues initialement pour le 12 mai 2024 au plus tard, ces élections ont ainsi été reportées une première fois au 15 décembre 2024, puis une deuxième fois au 30 novembre 2025.

La présente proposition de loi organique a été déposée par six présidents de groupe politique du Sénat – Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Maryse Carrère –, dans une démarche transpartisane qu'il faut saluer. Elle vise à reporter ce scrutin une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.

Si les reports se suivent, ils ne se ressemblent toutefois pas.

Vous vous en souvenez, le Gouvernement avait déposé en janvier 2024 un projet de loi constitutionnelle modifiant la composition du corps électoral spécial, pour l'élargir à l'ensemble des électeurs inscrits sur la liste électorale générale de la Nouvelle-Calédonie y étant nés ou y étant domiciliés depuis au moins dix années. Il avait alors pour projet de revenir sur le gel du corps électoral spécial.

De façon concomitante, le Gouvernement avait déposé un projet de loi organique visant à reporter les élections provinciales au 15 décembre 2024 au plus tard, afin de pouvoir appliquer à ce scrutin la réforme constitutionnelle. La loi organique actant ce report de sept mois a ainsi été promulguée le 15 avril 2024.

Peu de temps après, et alors que nombre d'entre nous sur ces travées avaient alerté sur un passage en force, l'adoption par le Parlement du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie, dès le 13 mai 2024, entraînant la déclaration de l'état d'urgence sur son territoire le 15 mai 2024 au soir.

À la suite de ces événements qui ont profondément marqué le territoire calédonien, Patrick Kanner et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont déposé, le 16 septembre 2024, une proposition de loi organique visant à reporter les élections provinciales de onze mois supplémentaires, soit au 30 novembre 2025 au plus tard. Il s'agissait de tenir compte notamment de la dégradation de la situation sociale, économique et sanitaire entraînée par les émeutes, et de laisser du temps pour dénouer la crise politique.

La loi organique du 15 novembre 2024 a acté ce report. Ainsi, en l'état du droit, le scrutin doit avoir lieu au 30 novembre 2025 au plus tard.

L'été 2025 a néanmoins été marqué par un événement majeur dans le processus de négociation politique en vue du retour à la concorde civile et à la stabilité institutionnelle : la signature d'un projet d'accord à Bougival, le 12 juillet dernier, par l'ensemble des partenaires politiques de la Nouvelle-Calédonie – même si le consensus s'est ensuite quelque peu ébréché puisque, dès le 9 août, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a adopté une motion de politique générale dans laquelle il rejetait formellement le projet d'accord.

Outre des dispositions relatives à la répartition et au transfert des compétences, ce « projet d'accord » prévoit pour l'instant : la création d'un État de la Nouvelle-Calédonie, inscrit dans la Constitution ; l'instauration d'une nationalité calédonienne ; une modification de la composition du corps électoral spécial pour l'élection des assemblées provinciales et du congrès.

Le projet d'accord comprend également, en regard, un calendrier indicatif de mise en œuvre prévoyant le report des élections provinciales à juin 2026.

En cohérence avec ce calendrier, la présente proposition de loi organique, déposée le 13 août dernier, vise à reporter les élections au 28 juin 2026 au plus tard, soit un report de sept mois supplémentaires.

Le projet d'accord signé à Bougival doit assurément être qualifié d'historique en ce qu'il redonne, de l'avis général, espoir et confiance en l'avenir aux habitants de la Nouvelle-Calédonie. Après quatre années d'une impasse provoquée par le dernier référendum du 12 décembre 2021, il offre enfin la perspective d'un avenir commun avec l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie.

Ce projet d'accord constitue donc une base solide et précieuse à approfondir, à préciser, à amender, en poursuivant les échanges avec l'ensemble des parties prenantes, y compris – et surtout – avec celles qui ont pu prendre, depuis le 12 juillet dernier, leurs distances par rapport au document signé ce jour-là.

J'ajouterai aussi, et surtout, que le report de ces élections doit être vu comme l'opportunité de discuter loin de toute pression liée à des échéances électorales prochaines. Sans consensus large, la porte ouverte à Bougival se refermera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le décor étant planté, je vais vous présenter le contenu de cette proposition de loi organique.

L'article 1er vise à reporter au 28 juin 2026 au plus tard le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. En tenant compte des reports déjà intervenus, les élections provinciales seraient donc repoussées de vingt-cinq mois au plus par rapport à la date initialement prévue.

Nous en avons pleinement conscience : reporter un scrutin est une décision lourde de conséquences sur le plan démocratique, a fortiori quand cette décision est la troisième de suite. Elle affecte la légitimité des élus, dont le mandat est prolongé de plus de deux ans ! Mais, dans le contexte particulier de la recherche d'une issue pour assurer la paix civile en Nouvelle-Calédonie, ce report nous paraît justifié par un but d'intérêt général.

En effet, l'accord historique signé à Bougival le 12 juillet dernier prévoit notamment une nouvelle composition du congrès et des assemblées de province, ainsi qu'un élargissement du corps électoral spécial pour l'élection.

Ces évolutions institutionnelles nécessitent au préalable une révision constitutionnelle. À cette fin, le projet de loi constitutionnelle a été adopté hier en conseil des ministres, mais son examen reste encore incertain.

Le report des élections en juin prochain prévu par l'accord de Bougival doit permettre de poursuivre les négociations avec tous les parties prenantes afin d'aboutir à un consensus le plus large possible.

La commission des lois estime que le report des élections permettra de donner davantage de temps pour compléter et préciser, si nécessaire, l'accord signé à Bougival.

Pour toutes ces raisons, la commission a adopté l'article 1er sans modification.

L'article 2 vise, quant à lui, à proroger jusqu'à la première réunion du congrès nouvellement élu les fonctions des membres des organes dudit congrès, c'est-à-dire le bureau, les commissions intérieures et la commission permanente.

En principe, le renouvellement des instances internes intervient chaque année, en général au mois d'août. Du fait du deuxième report des élections provinciales découlant de la loi organique du 15 novembre 2024, le prochain renouvellement a été reporté à la fin de l'année 2025. Par cohérence, nous vous proposons de le reporter après le renouvellement de juin 2026.

La commission a toutefois jugé pertinent le report, qui évite un double renouvellement successif, à quelques mois d'écart, des instances internes. En effet, celui-ci fragiliserait encore l'exécutif du congrès et des assemblées provinciales, ce qui nous paraît aller à l'encontre des objectifs de continuité et de stabilité des institutions. Ainsi, la commission des lois a adopté l'article 2 sans modification.

L'article 3 prévoit l'entrée en vigueur du texte dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, dérogeant donc au régime prévu par la loi organique du 19 mars 1999.

Nous sommes bien conscients du caractère extrêmement contraint du calendrier électoral prévu.

Le décret de convocation des électeurs doit être publié au moins quatre semaines avant la date du scrutin, prévu en l'état au 30 novembre prochain. Il faudrait que les électeurs soient convoqués au plus tard le 2 novembre. Il est donc indispensable que le présent texte puisse entrer en vigueur avant cette date. À défaut, le Gouvernement serait tenu de convoquer les électeurs, puis de retirer cette convocation au moment de la promulgation de la loi définitivement adoptée.

La commission des lois a adopté l'article 3, qui est de bon sens, sans modification.

Mes chers collègues, la priorité est aujourd'hui à la poursuite des négociations avec l'ensemble des partenaires politiques de la Nouvelle-Calédonie, de manière à faire aboutir l'accord historique de Bougival. L'amendement portant sur l'intitulé, déposé par l'ensemble des présidents de groupe auteurs du présent texte, sur l'initiative du président Kanner, illustre d'ailleurs parfaitement cet objectif.

Convaincue que le report des élections provinciales a un but d'intérêt général, la commission des lois vous propose d'adopter cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la première fois que je prends la parole devant le Parlement comme ministre des outre-mer.

M. Rachid Temal. Bravo ! Vive le Val-d'Oise !

Mme Naïma Moutchou, ministre. Je le fais avec beaucoup d'émotion, je le fais surtout avec beaucoup d'humilité, prenant la suite de Manuel Valls, dont je veux saluer le travail exigeant et l'engagement constant au service des outre-mer ; je m'étais d'ailleurs rendue, à ses côtés, en Nouvelle-Calédonie en 2018.

Comme lui, je n'appartiens pas à ces terres. Je n'en porte pas la mémoire dans ma chair. Néanmoins, je les connais pour les avoir étudiées, écoutées et défendues depuis des années en tant que membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je sais aussi, à titre plus personnel, ce qu'elles représentent : une part de la France qui doute parfois d'être entendue et comprise, mais qui ne renonce jamais à croire en la République.

Je ne m'excuserai donc pas d'assumer ces fonctions, et je compte bien convaincre que l'on ne devient pas ministre des outre-mer par hasard.

En m'adressant à vous cet après-midi, je m'adresse plus particulièrement à celles et à ceux qui vivent l'histoire calédonienne et qui veulent réconcilier et avancer.Je veux leur tendre la main et leur dire simplement que je suis à la tâche sans posture et sans excès, car c'est mon style – et le style, c'est l'homme, en l'occurrence la femme, dit-on. Je ne promets pas tout, mais je promets d'être là, d'écouter, d'essayer de comprendre et d'agir. Ce sera ma méthode au service des outre-mer.

Je veux aussi, monsieur le président, saluer d'emblée le rôle du Sénat dans ce moment politique. Votre assemblée a cette force de bâtir, et de bâtir dans la durée.

Sur la Nouvelle-Calédonie, vous avez su faire ce que la République attend de mieux de ses institutions : unir au lieu d'opposer. Six présidents de groupe, sur huit, de sensibilités différentes, ont signé ensemble ce texte : Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Maryse Carrère. C'est un geste politique fort que je veux saluer, et je remercie chacun d'entre eux de cette initiative.

Je veux dire aussi toute ma reconnaissance aux rapporteures, Mmes Narassiguin et Canayer, dont le travail précis et exigeant depuis plusieurs semaines a donné toutes ses chances à ce texte, afin qu'il s'enracine dans le droit comme dans le réel. Le Sénat montre ainsi ce que peut être un Parlement utile : une chambre du dialogue, de la stabilité et du respect du temps long.

Si je prends le temps de saluer ce travail, c'est aussi parce qu'il honore le Parlement tout entier – Assemblée nationale comprise – dans sa capacité à construire ensemble quand l'intérêt général l'exige.

La proposition de loi organique que vous examinez aujourd'hui s'inscrit pleinement dans cet esprit. Elle n'est pas un texte technique, il faut assumer de le dire. Elle est un acte de responsabilité. Elle accompagne la mise en œuvre de l'accord de Bougival, signé le 12 juillet dernier, qui marque une étape majeure du dialogue entre les délégations calédoniennes et l'État.

Après les drames de mai 2024, après des années d'impasse et de méfiance, il fallait rouvrir le chemin de la confiance. C'est ce que permet cet accord. Il ne règle pas tout, mais il rouvre la possibilité d'un avenir commun dans la paix et dans la vérité.

Le texte qui vous est soumis a un objectif clair : donner le temps à la stabilité – cela signifie quelque chose dans la période actuelle ! – : le temps d'appliquer l'accord, d'adopter la loi constitutionnelle, d'organiser la consultation des Calédoniens et de préparer les élections provinciales dans un climat que nous espérons apaisé.

Reporter, ici, ce n'est pas différer la démocratie ; c'est lui redonner des fondations solides et choisir la lucidité plutôt que la précipitation. C'est aussi rappeler qu'en Nouvelle-Calédonie – et il y a là un fil rouge –, le temps politique ne peut être séparé du temps humain.

Certains s'interrogent : pourquoi un nouveau report ?

Parce qu'il faut du temps pour que le dialogue se renoue avec tous, y compris avec le FLNKS.

Parce qu'il faut du temps pour que l'accord de Bougival se traduise concrètement dans le droit et dans les faits.

Et parce qu'il faut du temps pour que la parole de l'État redevienne crédible, pour que la confiance s'installe durablement et que les Calédoniens se réapproprient leur avenir.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à une large majorité – trente-neuf voix contre treize –, a donné son accord à ce report, et le Conseil d'État a confirmé sa pleine conformité. Vous avez là quelque chose de fondamental, mesdames, messieurs les sénateurs : un double appui, local et juridique, qui montre bien qu'il s'agit d'un choix non pas de confort, mais d'intérêt général.

Je le redis ici : le dialogue n'est pas rompu. Il continue, parfois lentement, parfois avec des pauses ou quelques difficultés, mais il continue. Personne ne veut, ni à Nouméa ni à Paris, revivre les fractures du passé. Nous irons donc pas à pas, avec constance, vers la mise en œuvre complète de l'accord de Bougival. J'y veillerai personnellement en travaillant au plus près des acteurs calédoniens, sans jamais confondre vitesse et précipitation.

La date du 28 juin 2026, fixée par le texte, n'est pas une sorte de ligne d'arrivée. C'est un cadre pour avancer ensemble, dans la confiance. Car, au fond, tout cela n'a qu'un but : offrir à la Nouvelle-Calédonie un avenir clair et partagé, un avenir dans lequel chaque jeune Calédonien pourra se dire qu'il a toute sa place au sein de l'ensemble national, sans avoir à choisir entre son identité et son appartenance.

Nous savons bien que la stabilité institutionnelle ne suffira pas. Disons les choses : comme le Premier ministre l'a rappelé ici même tout à l'heure, il n'y aura pas de paix durable sans un véritable sursaut économique et social du territoire calédonien.

Le territoire a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens attendent non pas qu'on leur verse des aides, mais qu'on leur ouvre des perspectives. Ils veulent du travail, ils veulent de la dignité, ils veulent des projets concrets. Je porterai cette exigence et je le ferai avec méthode, en concertation avec les élus, les acteurs économiques, les représentants syndicaux, les associations, la société civile et les forces vives du territoire.

Ce ministère sera celui des preuves de résultats.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à voter largement ce texte. Au-delà même de la réflexion arithmétique des votes, il faut que nous exprimions ce soir une volonté partagée à l'égard des Calédoniens. La paix ne se décrète pas, elle se construit. Et elle ne se construira pas contre les uns, mais avec tous. Je sais que le Sénat saura se hisser à cette hauteur.

En adoptant cette proposition de loi organique, vous ferez plus que reporter un scrutin : vous offrirez un temps de respiration à un territoire éprouvé, et vous affirmerez – j'y tiens – la fidélité de la République à ses promesses. C'est cette fidélité qui m'anime, pour les outre-mer.

M. le président. Mes chers collègues, je vais suspendre la séance une dizaine de minutes, afin de permettre à la commission des lois de se réunir pour examiner la motion et les amendements déposés sur ce texte.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq,

est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025.

La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour la motion.

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « je vous demande d'apporter à nos compatriotes de la Nouvelle-Calédonie la garantie de la France pour un avenir pacifique, une économie plus forte, une société plus juste ». Ces mots que j'emprunte à François Mitterrand sont toujours aussi vrais aujourd'hui qu'ils l'étaient en 1988.

Mes chers collègues, aujourd'hui, c'est à vous qu'il revient d'apporter la garantie de la France pour un avenir pacifique en Kanaky. Ce n'est pourtant pas le chemin que le gouvernement actuel et celui qui l'a précédé ont décidé de prendre.

Chacun de nous ressent un sentiment de déjà-vu. En effet, deux années ne se sont même pas encore écoulées depuis la dernière fois que nous avons été appelés à voter sur un texte de loi visant à reporter les élections provinciales.

Avons-nous déjà oublié les conséquences de nos choix pour le peuple de la Kanaky ? Nous, parlementaires, n'avons-nous pas tiré les leçons de nos erreurs ? Comment aurions-nous pu le faire quand nous étions derrière nos écrans à visionner dans l'inquiétude le chaos qui est né de nos choix ?

Au-delà du débat institutionnel, il y a un peuple. La situation et le sort de la Kanaky demeurent suspendus à des décisions nationales incertaines, conditionnés à un accord. Pendant ce temps, la réalité économique et sociale du pays, elle, se dégrade de jour en jour. Les entreprises peinent à redémarrer, les familles ne peuvent plus vivre dignement ni nourrir leurs enfants. Le secteur du nickel reste fragilisé et les territoires touchés par les événements de 2024 attendent toujours une véritable politique de reconstruction.

Dans ce contexte, il est impératif de décorréler le traitement politique de la Nouvelle-Calédonie du traitement économique et social. La réalité est que nous, parlementaires, hommes et femmes politiques, sommes détachés de ceux qui nous ont élus, détachés de leur quotidien, de leurs difficultés et de leurs souffrances.

Notre démocratie est ainsi faite que nous subissons l'instabilité d'un exécutif qui n'est pas capable de faire des compromis, qui est mû par une urgence que lui seul semble connaître. Ne vous méprenez pas : il existe bien des urgences en France, mais le report des élections provinciales n'en fait pas partie. Aucun agenda national ne commande ce nouveau report !

Il est dangereux que la Kanaky devienne l'otage de calculs politiques ou de décisions hâtives dictées par le calendrier parisien. Invoquer un calendrier de réforme incertain ne saurait justifier de prolonger les mandats de nos élus provinciaux et au congrès. Invoquer l'urgence nationale pour contourner le dialogue politique est une erreur. C'est la mauvaise méthode exécutée au mauvais moment par les mauvaises personnes.

Reporter les élections, c'est maintenir une période d'incertitude et de tensions sur le terrain, dans un territoire tributaire des aléas de la politique nationale, que vous comme moi représentons, et qui est surtout soumise à contestation. La majorité sénatoriale a toujours eu une grande méfiance du flou institutionnel ; or cet énième report ne ferait qu'accentuer un vide d'autorité locale qui n'a que trop duré.

Si nous soutenons le maintien du scrutin, c'est non pas pour plaire à telle ou telle partie, mais bien, ni plus ni moins, pour défendre l'État de droit, comme l'estime nécessaire une majorité sénatoriale – cette chambre étant un symbole de la sagesse républicaine. Voter en faveur du maintien du scrutin provincial est non pas un vote pro-indépendance, mais un vote pro-démocratie : il traduit un engagement républicain.

Mes chers collègues, rappelez-vous quand, sous le gouvernement de Lionel Jospin, le Sénat avait été saisi, le 13 ou le 14 avril 1999, d'une proposition de loi organique portant sur le report des élections de mai 1999. Le débat avait conduit à refuser ce report. L'Histoire aura donné raison à notre assemblée, puisque l'application de l'accord de Nouméa a garanti la paix sociale. Elle a également montré que la parole de la République a été respectée.

Rappelez-vous également l'année 2004, avec le premier cycle institutionnel en Kanaky et l'achèvement de la première mandature. Le premier transfert de compétences, notamment dans les domaines de l'enseignement secondaire et de la santé, n'était pas totalement effectif. À cette époque, une demande de report des élections avait été notamment sollicitée par une majorité loyaliste. Le débat du 26 février 2004 avait donné lieu à un second refus. En effet, pour le rapporteur Christian Cointat, « le renouvellement des assemblées provinciales dans les délais prévus constitu[ait] une garantie démocratique essentielle du processus de Nouméa ».

Le président de la commission de lois, René Garrec, du parti Union pour un mouvement populaire (UMP), avait alors ajouté : « Aucune circonstance technique ne saurait justifier de différer l'expression du suffrage universel. C'est dans la régularité du calendrier que la République démontre son autorité. »

L'Histoire au Sénat met en lumière les mauvaises personnes qui persistent à dire que le report des élections provinciales permettrait la mise en œuvre de « l'accord du 12 juillet 2025 ». Un accord de qui, et avec qui ? Il est là le cœur du débat : ledit « accord » de Bougival n'a pas la valeur d'un consensus. Sa publication au Journal officiel a permis de présenter un projet non signé comme un « accord », alors que ne figurent ni la liste des signataires ni les réserves.

Habiller maladroitement un projet contesté du mot « accord » n'en fera pas un accord. Les personnes présentes ne pourront nier qu'il était convenu de présenter le projet à leurs bases – ce que nous avons fait. Or le FLNKS, partenaire des accords historiques, et le sénat coutumier, représentant légitime du peuple kanak, l'ont formellement et fermement rejeté pour plusieurs raisons.

Le texte contredit les fondements et les acquis de la lutte du peuple kanak, à savoir la trajectoire vers la pleine souveraineté. Il aboutit à la minorisation politique du peuple kanak sur son propre pays par le dégel du corps électoral. Il opère une intégration définitive de la Kanaky à la République. Il vise, par une manœuvre, une manipulation politique, à désinscrire la Kanaky de la liste des pays à décoloniser de l'ONU.

Le FLNKS reste ouvert à la discussion pour achever le processus de décolonisation par la pleine émancipation tel que le prévoit le point 5 de l'accord de Nouméa. Comme l'a rappelé son président dans sa lettre ouverte aux parlementaires, le FLNKS avait accepté de continuer à discuter de la proposition de Deva, fondée sur une souveraineté partagée avec la France et non « dans la France ».

Si l'on s'inscrit dans un accord de décolonisation, peut-on parler de consensus lorsque ceux qui représentent le peuple colonisé refusent d'en être des parties ? Il n'y en a pas. Ceux qui se rêvent en Michel Rocard qualifient l'accord de « compromis historique ». En faisant cela, ils déshonorent l'esprit de ceux qui nous ont précédés et qui ont tracé le chemin du consensus.

Voter ce texte, ce serait un passage en force et une négation du droit du peuple kanak à disposer de lui-même conformément au droit international, mais ce serait également contraire à l'esprit de consensus qui a prévalu lors de la signature des accords politiques précédents, en 1988 et en 1998.

Dans ces conditions, la seule solution est de redonner la voix au peuple. En bloquant les élections, nous bloquons aussi toute possibilité réelle de dialogue sur l'avenir du territoire. Car, pour que des discussions institutionnelles soient légitimes, il faut des élus légitimes. Et pour cela, il faut des élections. Je reprendrai le propos tenu par Sébastien Lecornu, qui est aujourd'hui Premier ministre, le 14 décembre 2021 à l'Assemblée nationale : « En démocratie, les élections se tiennent à l'heure. »

La légitimité démocratique des institutions calédoniennes est affaiblie. Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir ne peut être pleinement légitime. Le maintien des élections est la condition pour renouer la confiance perdue dans les politiques, comme l'a démontré la journée du 13 mai 2024. Le report du scrutin provincial n'est pas un simple ajustement technique ; il constitue un acte politique majeur qui engage directement la légitimité démocratique du territoire.

L'argument selon lequel il y aurait un risque de contentieux si l'on maintient le gel du corps électoral ne tient plus. Par sa décision du 19 septembre 2025, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du gel du corps électoral provincial en Kanaky. Il n'existe donc ni motif d'urgence ni risque juridique avéré qui justifierait de suspendre encore l'expression du suffrage universel. Le cadre électoral est légitime et constitutionnel.

Je terminerai en vous disant, mes chers collègues, que notre responsabilité est engagée. Depuis les accords de Matignon-Oudinot, des hommes et des femmes politiques, au nom de la République française, ont choisi le courage et le respect.

Je vous demande d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable et de décider qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur la proposition de loi organique. Le temps où nous aurons à décider n'est pas encore venu, mais il viendra.

Martin Luther King disait : « Chacun a la responsabilité […] de désobéir aux lois injustes. » Mais nous pouvons aussi nous opposer à l'adoption des lois injustes. Vous savez à présent ce qui est juste pour la Kanaky, votez en votre âme et conscience ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Mmes Gisèle Jourda et Paulette Matray ainsi que M. Mikaele Kulimoetoke applaudissent également.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. En effet, l'adoption de cette motion aurait comme conséquence que nous ne discuterions pas aujourd'hui du texte visant à reporter les élections en Nouvelle-Calédonie. Celles-ci devraient donc avoir lieu avant le 30 juin prochain.

Nous partageons un certain nombre de constats. Effectivement, la présente proposition de loi organique n'est pas un texte purement technique, et le report des élections n'est pas une simple disposition calendaire : il traduit un engagement politique qui a des incidences sur le plan démocratique.

Reporter les élections, comme nous l'avons dit lors de la discussion générale, n'est pas un acte neutre ; c'est un acte qui engage et qui a de véritables conséquences sur la légitimité des élus de Nouvelle-Calédonie.

Toutefois, je vous rappelle que le texte signé à Bougival – l'accord de Bougival – est le premier depuis plus de vingt-sept ans. Il faut donner une chance à cet accord, qui prévoit le report des élections, le calendrier du déroulement des scrutins qui se tiendront dans les mois à venir en Nouvelle-Calédonie et, surtout, l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel, très attendu par les habitants de ce territoire.

Maintenir les élections provinciales en l'état actuel du droit entraînerait un abandon des discussions et des avancées permises par l'accord de Bougival, et reporterait la possibilité de retrouver un consensus à un avenir très incertain. Nous avons bien conscience que l'acquis de Bougival a été quelque peu « ébréché ». C'est pourquoi il est essentiel de poursuivre les négociations afin d'obtenir des « bougés » et de trouver une issue permettant de parvenir à la concorde civile en Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, le projet de loi constitutionnelle adopté hier en conseil des ministres montre l'engagement du Gouvernement à trouver une solution en Nouvelle-Calédonie. Il est donc important que, ce soir, nous puissions voter le texte qui reporte les élections pour ne pas fragiliser le débat institutionnel en Nouvelle-Calédonie et donner une chance à l'accord de Bougival.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Xowie, j'évoquerai rapidement quelques points en complément du propos, que je partage, de Mme la rapporteure, pour vous inviter à rejeter cette motion.

D'abord, l'accord de Bougival n'efface en rien la reconnaissance et l'émancipation du peuple kanak ni le chemin qui a été parcouru depuis des années. Bien au contraire ! Il y est clairement écrit que « les dispositions de l'Accord de Nouméa qui ne sont pas contraires au présent accord demeurent en vigueur ». Il existe donc bien un garde-fou.

Ensuite, il n'est pas exact de dire que c'est le report des élections qui aurait provoqué le chaos. Rappelez-vous, ce qui a créé le désordre, c'est le projet de loi constitutionnelle, lequel faisait l'unanimité des indépendantistes contre lui, ce qui n'est plus le cas.

Je rappelle que l'UNI-Palika (Union nationale pour l'indépendance-Parti de libération kanak), la force indépendantiste qui a voté au congrès pour le report des élections, soutient l'accord de Bougival.

M. Akli Mellouli. Il n'y a pas d'accord !

Mme Naïma Moutchou, ministre. En complément, j'ajoute un élément nouveau : le Groupe Fer de lance mélanésien, qui regroupe des pays mélanésiens et auquel appartient le FLNKS, a exprimé aujourd'hui même – nous sommes donc en plein dans l'actualité – son soutien à l'accord, dans le cadre de la quatrième commission de l'ONU. Nous pouvons y voir un signal positif.

Par ailleurs, j'indique que le texte que nous examinons est soutenu par six présidents de groupe, donc par six groupes sur huit, que le congrès a donné son accord, et le Conseil d'État son feu vert juridique.

M. Akli Mellouli. Cela se fait beaucoup en ce moment !

Mme Naïma Moutchou, ministre. Un ensemble d'éléments nous permettent donc aujourd'hui de porter le sujet à haut niveau.

En ce qui concerne l'état des lieux économique et social, j'abonde dans le sens de ce qui a été dit. Oui, il est dégradé, et même très dégradé. C'est bien la raison pour laquelle il ne faut pas que se tiennent ces élections : les circonstances ne le permettent pas. La mission interministérielle conduite par Claire Durrieu permettra d'avancer sur ce sujet, quel que soit le contexte institutionnel.

Enfin, comme je l'ai rappelé et comme l'a dit tout à l'heure le Premier ministre, il faut impérativement donner les moyens économiques et sociaux à la Nouvelle-Calédonie.

Je vous invite donc à rejeter cette motion ; sinon, nous enverrons un signal délétère aux Calédoniens, car cela ne les servirait pas. Ils demandent désormais de la clarté. (M. Akli Mellouli proteste.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Madame la ministre, si votre gouvernement semble parfaitement s'accommoder d'un manque criant de légitimité démocratique, ce n'est pas ce que souhaite le peuple kanak pour ses institutions. Or, avec ce troisième report que vous nous demandez de voter, vous affaiblissez la légitimité démocratique des institutions calédoniennes.

Ces prorogations en chaîne du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ont des conséquences graves. Sans renouvellement par les urnes, aucune négociation sur l'avenir du pays ne peut être pleinement légitime.

D'une part, parce que ce report est justifié par un accord inexistant, rejeté par le FLNKS et le sénat coutumier.

D'autre part, parce que le congrès de la Nouvelle-Calédonie n'a pas été consulté, alors qu'il s'agit d'une mesure qui affecterait directement son fonctionnement interne et la durée des mandats de ses organes.

Le processus de cette proposition de loi organique contrevient à l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel qui préside à l'équilibre calédonien.

Le report prévu aggraverait encore cette délégitimation et fragiliserait la paix civile. Par ce texte, vous ne feriez que renforcer le sentiment de dépossession du peuple kanak et, en particulier, de sa jeunesse. Vous altéreriez la confiance envers l'État garant.

Nous vous offrons, à l'inverse, une porte de sortie pour le peuple kanak. En tenant le scrutin avant la fin de 2025, comme le prévoit aujourd'hui le droit, vous redonnerez voix et mandat à des élus légitimes, seule base solide pour des discussions loyales et apaisées.

Dans l'esprit des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, qui ont bâti la paix sur le dialogue et la reconnaissance d'un consensus constant, le peuple kanak souhaite restaurer un dialogue apaisé. Seuls des élus légitimes pourront le permettre. Choisissons l'apaisement et le dialogue, et non le passage en force. (M. Robert Wienie Xowie applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Vous l'avez dit, madame la rapporteure, reporter des élections n'est pas un acte neutre. Nous nous souvenons qu'en 2021, en passant en force pour organiser le troisième référendum d'indépendance de la Nouvelle-Calédonie en pleine pandémie, le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, a ravivé les tensions très vives au sein de la société kanake.

Les accords de Matignon et de Nouméa avaient pourtant permis une pacification et un chemin vers la nécessaire décolonisation de ce territoire. Depuis lors, tout a été fait pour jeter de l'huile sur le feu : le report des élections provinciales et la tentative de réforme en urgence du corps électoral l'an dernier ont mis la Kanaky-Nouvelle-Calédonie à feu et à sang, entraînant la mort de quatorze personnes. Ces erreurs tragiques ne doivent évidemment pas être répétées ; pourtant, je crains que ce ne soit ce que vous vous apprêtez à faire.

Certes, les discussions entre loyalistes, indépendantistes et autres blocs politiques calédoniens ont repris, et nous saluons tous les efforts en ce sens. Toutefois, parler d'accord, comme vous l'avez fait pour le cadre adopté à Bougival, est évidemment exagéré. Ce soi-disant accord que vous voulez inscrire dans la Constitution est en réalité un accord de principe pour poursuivre les discussions, et non un texte définitif, raison d'ailleurs pour laquelle le FLNKS refuse de le signer.

Par ailleurs, comment négocier un accord avec des indépendantistes dont une bonne partie était alors emprisonnée ? Cet accord n'a donc aucune légitimité et les discussions doivent être rouvertes.

Quant aux élections provinciales, elles n'ont que trop tardé. Il est temps que les Néo-Calédoniens renouvellent leurs représentants. Ce sera d'ailleurs bénéfique pour la bonne conduite des négociations, avec des mandats clairs pour chaque camp. Nous nous opposons donc à tout nouveau report. Il y a évidemment urgence à la pacification, mais celle-ci passe par des élections provinciales et la reprise du dialogue plutôt que par un passage en force.

Le groupe écologiste votera donc pour la motion de nos collègues communistes tendant à opposer la question préalable et apporte tout son soutien au peuple kanak, en lui souhaitant de retrouver la maîtrise de son avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRC-K.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 34
Contre 309

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Georges Naturel. Monsieur le président, madame la ministre, avant que mon propos ne débute, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, d'être présents ce soir. Depuis que je suis arrivé à Paris au début de septembre, je vois que, comme nous avons encore pu le constater tout à l'heure lors des échanges avec le Premier ministre, les élus nationaux sont concentrés, compte tenu de la situation politique, sur d'autres sujets que notre petit – ou plutôt grand ! – dossier calédonien. Nous sommes, de notre côté, préoccupés par ce qui nous arrive depuis maintenant quatre ans, et la situation en Nouvelle-Calédonie est compliquée.

Je veux également remercier les présidents de groupe qui, soutenus par le président du Sénat, ont déposé durant la période estivale la proposition de loi organique que nous allons étudier aujourd'hui.

Nous voici donc réunis pour la troisième fois afin de débattre d'une loi organique qui prévoit de reporter en Nouvelle-Calédonie la date des élections du congrès et des assemblées de province.

Il n'est jamais indifférent, dans une démocratie, de reporter une élection. Lorsque ce report se produit pour la troisième fois consécutive, il y a franchissement d'un seuil inédit ; il importe donc d'examiner avec la plus grande attention les raisons légitimes de ce report.

En Nouvelle-Calédonie, les élections provinciales auraient dû initialement se tenir en mai 2024. Elles ont d'abord été repoussées une première fois jusqu'en décembre 2024 pour permettre d'intégrer la réforme constitutionnelle du dégel du corps électoral. Puis, face au traumatisme des émeutes du 13 mai 2024 survenues à l'occasion du vote de cette réforme à l'Assemblée nationale et à la grave crise économique et sociale qui s'en est suivie, un deuxième report a été voté, fixant la nouvelle échéance au plus tard au 30 novembre 2025.

Aujourd'hui, c'est un troisième report qui nous est proposé, jusqu'au 28 juin 2026 au plus tard. Je souhaite impérativement que cette date ne soit pas dépassée. Autrement dit, les membres du congrès et des assemblées de province, élus pour un mandat de cinq ans, exerceront, de fait, un mandat d'une durée supérieure à sept ans.

Je le dis avec gravité : ces prolongations récurrentes sont dommageables à la légitimité démocratique des élus actuels et à l'acceptabilité des décisions qu'ils prennent. En conséquence, il aurait pu être souhaitable de retourner sans délai devant les électeurs.

À cette altération démocratique s'ajoute un autre risque : celui de l'enchevêtrement des échéances électorales. Car le premier semestre 2026 sera en lui-même une campagne électorale ininterrompue en Nouvelle-Calédonie : consultation référendaire des citoyens calédoniens sur l'accord de Bougival en février ; élections municipales en mars ; puis élections provinciales en mai ou en juin.

Ce calendrier saturé menace, je le crains, la lisibilité démocratique des échéances concernées et la sérénité des débats.

Pourtant, mes chers collègues, nous savons pourquoi les présidents des principaux groupes de notre assemblée ont déposé cette proposition de loi organique. Ce n'est ni par confort ni par opportunisme électoral, mais par nécessité, pour respecter le calendrier fixé par l'accord de Bougival et retrouver le chemin d'un consensus local qui semblait avoir été obtenu en juillet dernier et qui a été rompu depuis lors par une partie des indépendantistes.

La mise en œuvre de cette organisation institutionnelle nécessite du temps si l'on veut qu'elle soit acceptée par tous. Un temps dont la Nouvelle-Calédonie a besoin pour sortir de la tragédie du 13 mai, de ses morts, de ses ruines, de son économie brisée, un temps arraché à la violence, pour s'engager dans la reconstruction et consolider le dialogue entre Calédoniens.

C'est le temps qui nous est demandé aujourd'hui.

La Nouvelle-Calédonie reste un territoire de la République meurtri et convalescent qui nécessitera encore dans les mois à venir une attention toute particulière du Gouvernement et du Parlement.

Hier matin, le conseil des ministres a adopté un projet de loi constitutionnelle visant à réformer notre Constitution pour y intégrer les dispositions de l'accord de Bougival.

Dans les prochaines semaines, nous devrons déterminer, à l'occasion de l'examen du projet de budget pour 2026, le soutien financier que l'État accordera à la Nouvelle-Calédonie pour l'aider à se relever de ses blessures de mai 2024.

Au terme de tant de mois d'incertitude, l'accord de Bougival, signé le 12 juillet dernier, est donc moins un aboutissement qu'un fragile point d'équilibre et une promesse d'avenir. Il a redonné un souffle, une espérance à une société calédonienne affaiblie et traumatisée.

Le Conseil d'État, dans son avis du 4 septembre dernier, a bien noté le caractère exceptionnel de la prolongation des mandats actuels de plus de vingt-cinq mois au-delà du terme normal, mais il a jugé que la proposition de loi organique a un but d'intérêt général et qu'« elle ne paraît pas manifestement inappropriée à l'objectif qu'elle vise ». Autrement dit, la légitimité démocratique est certes amoindrie, mais la légalité de la démarche est acceptable et validée en droit.

Le 15 septembre dernier, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a également admis la nécessité de reporter les élections, en rendant à ce propos un avis favorable à la quasi-unanimité de ses membres, à l'exception du groupe UC-FLNKS et Nationalistes.

Enfin, l'histoire calédonienne enseigne que les accords qui durent sont ceux qui reposent sur un consensus large entre indépendantistes et non-indépendantistes, et qui sont acceptés par la population calédonienne, à l'instar des accords de Matignon puis de Nouméa. L'accord de Bougival ne pourra pas déroger à cette règle.

Or l'on ne peut ignorer que l'Union calédonienne a pour le moment rejeté ce sur quoi l'ensemble des représentants politiques présents à Bougival se sont accordés. Précisément, le délai supplémentaire qui nous est proposé doit être mis à profit pour donner, à l'aide de compléments ou de précisions figurant dans des annexes ultérieures, un peu plus de densité aux quelques fils du dialogue renoués à Bougival.

Le report des élections doit servir à convaincre que la paix se construit avec tous, surtout avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'accord. Je soutiendrai donc l'amendement déposé conjointement par six de nos présidents de groupe, qui vise à intégrer nommément l'objectif de poursuivre les discussions dans le titre de la proposition de loi.

Certes, le report des élections n'est pas une solution idéale. Une telle dérogation est pourtant nécessaire, non pas pour différer le rendez-vous démocratique ou prolonger artificiellement des mandats, mais pour préparer la consultation des citoyens dans les conditions nécessaires de clarté et de stabilité, ainsi que pour donner leur chance à un dialogue plus abouti et à des institutions réconciliées avec l'avenir.

Au fond, nous ne votons pas seulement pour le report du calendrier : nous votons pour le maintien d'un espoir, celui que la Nouvelle-Calédonie, meurtrie, puisse se relever, retrouver le chemin du développement, et s'inventer un avenir commun original dans la République.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à accueillir favorablement la présente proposition de loi organique, indispensable à la précision et à la mise en œuvre de l'accord de Bougival, afin que nous l'adoptions le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Francis Szpiner. Très bien !

(Mme Sylvie Robert remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Annick Girardin applaudit également.)

M. Mikaele Kulimoetoke. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi avant tout de saluer en toute amitié nos deux collègues calédoniens, Georges Naturel et Robert Wienie Xowie.

Dans l'histoire calédonienne récente, depuis les accords de Matignon et de Nouméa, qui ont esquissé les contours d'une communauté de destin, les différentes étapes du processus institutionnel n'ont été franchies que par le consensus et le compromis, dans le respect de toutes les parties prenantes. Initialement, tel était le cas le 12 juillet dernier, à Bougival, lorsque les signataires sont parvenus à tracer une feuille de route pour l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Les discussions ont fait émerger des solutions inédites. Elles ont ouvert une voie nouvelle pour l'archipel. Elles ont permis de réengager le dialogue entre les différentes forces politiques et l'État, ce qui était nécessaire après les émeutes qui ont profondément marqué les Calédoniens, et dont ils souffrent encore aujourd'hui.

Cependant, le rejet de l'accord de Bougival par le FLNKS a fragilisé un texte qui ne pourra pleinement exister que s'il émane d'un consensus. Ne pas prendre cela en considération, c'est encourager un passage en force dont nous ne pouvons pas prendre la responsabilité.

Nous ne pouvons pas nier les conséquences du retrait de l'un des signataires sur la suite du processus, notamment au sujet du report des élections dont il est question aujourd'hui.

Nous ne pouvons pas non plus faire abstraction des conséquences économiques, ainsi que sur le plan démocratique, du prolongement de deux ans du mandat des élus des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie ne sont pas qu'une simple échéance locale : elles sont cruciales dans la vie politique calédonienne, d'autant plus dans un contexte local et national marqué par l'instabilité.

Le report d'élections n'est pas un acte anodin. Il ne peut être fait qu'à une condition : que ce temps soit mis à profit pour reprendre les échanges entre l'ensemble des forces politiques calédoniennes avec l'objectif de favoriser l'émergence d'un vrai consensus sur le futur cadre institutionnel. Ce temps doit être mis au service de l'apaisement et de la construction d'un avenir commun pour les Calédoniens.

Surtout, nous devons bien avoir à l'esprit que le texte que nous examinons n'est qu'une première étape. Hier, le projet de loi constitutionnelle portant création et organisation politique et institutionnelle de l'État de la Nouvelle‑Calédonie a été présenté en conseil des ministres. Les jours et les mois qui viennent seront déterminants.

Nous l'affirmons avec notre sensibilité ultramarine : ce qui doit primer, ce sont les échanges entre les acteurs locaux décisionnaires, car ils sont les premiers concernés et devront faire face aux conséquences directes sur leur territoire.

Sur le présent texte comme sur les suivants relatifs à la Nouvelle-Calédonie, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants restera vigilant et attentif au maintien du dialogue, notamment dans le travail de clarification à mener sur certaines interrogations encore en suspens, pourtant déterminantes pour l'avenir du territoire.

J'invite le Parlement et le Gouvernement à prendre leurs responsabilités. Dans une démarche constructive et démocratique, ils doivent tirer les enseignements des conséquences qu'une telle situation a entraînées pour le développement économique et la paix sociale de toute une collectivité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Annick Girardin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent de la Nouvelle-Calédonie est profondément façonné par son passé. Chacun le sait bien ici, lorsque l'histoire de cette terre se réactualise, elle donne le sentiment de se répéter, non pas parce que les événements sont identiques, mais parce que les femmes et les hommes qui y sont enracinés retrouvent dans le passé des modèles ou des avertissements qu'ils croient reconnaître dans le présent.

C'est dans cette logique de résonance entre Histoire et actualité que s'inscrit la situation politique d'aujourd'hui, qui conduit le Parlement à examiner pour la troisième fois le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

La loi organique du 15 avril 2024 avait inauguré un premier report des élections provinciales, dans l'espoir de conclure un accord global. Cependant, un tel accord n'a pas vu le jour, en grande partie parce que la confiance avait été brisée depuis l'organisation unilatérale du troisième référendum sur l'indépendance.

Nous le savons, madame la ministre, tout recul du dialogue ou tout manque d'impartialité de l'État mine sa crédibilité auprès des partenaires calédoniens et expose la Nouvelle-Calédonie à une nouvelle crise. Le printemps 2024 l'a amplement démontré : malgré les alertes répétées du groupe socialiste, l'adoption du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie a déclenché de violentes émeutes, rompant avec trente-six années de paix civile.

Madame la ministre, depuis les émeutes de 2024, la Nouvelle-Calédonie traverse une situation critique : crise du logement social, pénurie de soignants, fermeture partielle ou totale des usines de nickel, perte de milliers d'emplois, dégradation des conditions de vie et, surtout peut-être, perte de perspective dans l'avenir.

Malgré la validation de la deuxième tranche du prêt garanti par l'État par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, le territoire reste profondément fragilisé. Les entreprises locales affrontent un vide assurantiel préoccupant. Quelles mesures concrètes le Gouvernement prévoit-il pour stabiliser la situation économique, sociale et sanitaire dans une logique de prévention ?

Par ailleurs, le bilan humain des émeutes de 2024 inclut un quinzième décès survenu au centre pénitentiaire de Camp-Est, qui met en lumière l'état dégradé de cette prison et les dysfonctionnements profonds de la société calédonienne. Une enquête est en cours : ne pourrait-on pas fournir à la famille des informations sur son état d'avancement et sur les circonstances précises de ce décès ?

Dans ce contexte de tensions majeures, le Parlement a adopté, sur la base de la proposition que j'avais formulée avec Corinne Narassiguin, Viviane Artigalas et Rachid Temal, la loi organique du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, fixant désormais ce report au plus tard au 30 novembre 2025.

Un troisième et dernier report possible est prévu par la proposition de loi organique que nous examinons aujourd'hui. Comme mes cosignataires, je ne l'ai pas signée sans pleinement mesurer que le report d'une élection sur une aussi longue période constitue un événement exceptionnel. Il ne peut se justifier que par des motifs impérieux et strictement non partisans, afin d'assurer des élections libres, équitables et sincères.

Il me semble possible aujourd'hui d'accepter une prolongation de ce délai de quelques mois encore en raison d'un fait majeur, à savoir la signature, le 12 juillet dernier, de l'accord global de Bougival sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie entre l'État et l'ensemble des forces politiques calédoniennes.

Toutefois, compte tenu du caractère évolutif des négociations et du rejet formel de l'accord par l'UC-FLNKS et le sénat coutumier, des précautions particulières s'imposent.

Dans sa déclaration du 24 septembre dernier, le FLNKS recomposé a réaffirmé ses principales exigences, que je rappelle : maintenir les élections en novembre 2025, proclamer l'indépendance avant 2027, garantir un droit rapide à l'autodétermination, poursuivre le dialogue avec l'État et instaurer une justice transitionnelle valorisant l'identité kanake et la réconciliation.

Les critiques que cette déclaration suscite méritent d'être entendues et confrontées aux termes de l'accord de Bougival. À mon sens, tant que les pourparlers se poursuivent, il n'est pas pertinent de juger de manière définitive le contenu et la portée de cet accord.

Néanmoins, selon moi, les perspectives de l'accord de Bougival restent claires. Fondé sur l'accord de Nouméa, il oriente la Nouvelle-Calédonie vers la reconnaissance de l'État de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi j'estime qu'il constitue le socle pour orienter les négociations en cours sur l'après-Nouméa.

La démarche doit s'inspirer de la méthode de Michel Rocard et de Lionel Jospin, qui a permis de préserver la paix civile tout en favorisant les conditions d'un développement économique durable et équilibré du territoire.

Une telle approche, rappelons-le, puise ses fondements dans la déclaration de la table ronde de Nainville-les-Roches, qui a posé il y a plus de quarante ans le principe de la communauté de destin. Elle a conduit les indépendantistes à dépasser le concept d'indépendance kanake exclusive, et les anti-indépendantistes à reconnaître pleinement l'identité kanake.

Ce principe, désormais acquis, doit être scrupuleusement sauvegardé. Mes chers collègues, tel est le cap à suivre pour garantir la stabilité et l'avenir commun de la Nouvelle-Calédonie.

Tant en Nouvelle-Calédonie qu'au sein de l'État, la nécessité de poursuivre la recherche d'un accord est désormais clairement considérée comme indispensable.

Si les récentes déclarations du président du FLNKS témoignent d'un refus clair et catégorique du texte signé le 12 juillet dernier, elles témoignent également d'une réelle ouverture quant à la reprise des discussions, à condition que celles-ci visent clairement la pleine souveraineté du territoire.

Du côté des formations non indépendantistes signataires de l'accord, la conscience que la réintégration du FLNKS est indispensable s'affirme, ainsi que l'idée que le processus doit s'adapter aux évolutions nécessaires.

Enfin, madame la ministre, je tiens à évoquer l'action de votre prédécesseur à la tête du ministère des outre-mer, Manuel Valls, dont je salue l'implication dans l'avancée de ce dossier et sa connaissance fine des rapports de force au sein du territoire. Lui-même avait rappelé que le FLNKS reste un interlocuteur incontournable et qu'aucune solution durable ne peut se construire sans sa participation.

Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que vous partagez ce point de vue ? Quelle assurance le Gouvernement peut-il apporter pour que le report des élections, présenté comme une mesure visant à préserver un espace de dialogue, ne ravive pas les tensions ayant conduit aux émeutes de 2024 ?

Il ne doit y avoir aucun malentendu de notre part. Je le dis très amicalement à nos collègues Robert Wienie Xowie et Georges Naturel, la fixation de la date des prochaines élections provinciales ne doit devenir ni un motif de tension ni un obstacle au dialogue.

Pourquoi ? Parce que l'accord du 12 juillet 2025 ne peut être constitutionnalisé sans consensus, et qu'un avenant doit reformuler le préambule, reconnaître l'identité kanake, préciser le droit à l'autodétermination, définir les politiques économiques et sociales pour le territoire, notamment en ciblant la jeunesse calédonienne.

Parce que les élections auront lieu dans quelques mois, quoi qu'il arrive, soit à la fin de novembre, si la situation nationale l'imposait – vous connaissez le contexte –, soit au plus tard le 28 juin 2026, si le Parlement en décidait ainsi.

Parce que le report des élections n'affectera pas la légitimité des représentants actuels, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Enfin, dans ce contexte particulier, le report des élections permettrait de décentrer les acteurs locaux de la campagne électorale et leur donnerait la possibilité d'être pleinement au rendez-vous de l'histoire calédonienne en concluant un accord recueillant l'assentiment de toutes les formations politiques locales.

C'est dans cet esprit que j'ai proposé un amendement pour modifier l'intitulé de la proposition de loi organique, afin de mieux refléter cette finalité et de rappeler que l'accord du 12 juillet 2025 conserve la qualité de projet d'accord, conformément à la volonté des parties de poursuivre les discussions pour parvenir à un consensus que nous appelons toutes et tous de nos vœux. Je tiens à remercier vivement les cinq présidents de groupe qui ont accepté de m'accompagner dans cette démarche.

Mes chers collègues, les leçons de l'Histoire rappellent qu'un accord politique n'est jamais figé. Il demeure vivant, appelé à s'adapter aux circonstances, à évoluer avec elles. C'est précisément dans cette capacité d'adaptation que réside la véritable force d'un accord. Loin de trahir son esprit, elle en assure la pérennité, permettant à chaque génération de tracer les voies d'un compromis équilibré et d'un avenir partagé.

Mes chers collègues, il importe de rester confiants. Un alliage solide peut enfin émerger du creuset calédonien, à condition que tous ses acteurs agissent avec courage et responsabilité. C'est pour cela que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera la présente proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC. – M. Jean-Gérard Paumier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que les deux rapporteures de la commission des lois l'ont indiqué, le Sénat a toujours eu la volonté de travailler avec beaucoup de sincérité et de respect sur ce qui est communément appelé le dossier calédonien.

En effet, le Sénat, chambre des territoires, ne peut en oublier aucun, même s'il est situé à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres d'ici. Ainsi que je l'ai avancé hier devant la commission des lois, la proposition de loi organique que nous examinons présente en définitive beaucoup de ressemblances avec la situation que l'ensemble de la République traverse.

Nous avons tous entendu le Premier ministre démissionnaire, redevenu depuis lors Premier ministre, parler mercredi dernier au journal télévisé de l'importance que revêt à ses yeux le dossier calédonien, avant de l'entendre de nouveau professer cet attachement dans sa déclaration de politique générale.

Que la présente proposition de loi organique soit le premier texte inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour des travaux du Sénat témoigne donc de l'importance qu'il accorde à ce sujet. C'est également dans cet esprit que le Sénat a travaillé.

Toutefois, je le dis d'emblée, nous avons des désaccords, que notre collègue Robert Wienie Xowie a exprimés. Les mots ont un sens, que nous le souhaitions ou non. Y a-t-il eu un accord à Bougival, ou y a-t-il seulement eu une mise en route d'un processus d'accord ?

Loin d'être du blabla, ces débats ont du sens. Certains regrettent qu'à Bougival une partie des acteurs ait affirmé vouloir aller dans le sens de l'accord, pour ensuite rappeler au Gouvernement que leur volonté ne valait pas forcément accord total, avant de retirer leur signature. En réalité, on ne peut pas considérer que le FLNKS, qui représente une très grande partie du peuple kanak, a simplement changé d'avis, ce qui ne serait pas si grave.

Ceci est très grave. Je ne peux m'empêcher de sourire en lisant dans le rapport de la commission des lois que la présente proposition de loi constitue une « dérogation aux principes démocratiques rendue nécessaire par le contexte de la signature de l'accord de Bougival ».

Ainsi que je l'ai indiqué lors du débat qui a suivi la déclaration du Gouvernement, il me semble comprendre que la question de la démocratie dans notre pays devient de plus en plus anecdotique. Toutefois, ainsi que nos collègues Robert Wienie Xowie et Fabien Gay l'ont rappelé, nous nous apprêtons à décaler les élections provinciales pour la troisième fois, prolongeant les mandats de plus de deux ans, Georges Naturel l'a dit.

Pourtant, la Nouvelle-Calédonie a connu une crise sans précédent, que nous avons vécue pour la plupart à distance. Nous en voyons les stigmates qui marquent encore le territoire et qui pèsent aujourd'hui sur le quotidien de la vie des femmes et des hommes, kanaks ou non, qui y vivent. La crise économique et sociale, très forte, fait d'ailleurs de ce territoire une des urgences de notre République.

Là encore, nous aurons un désaccord, mais nous aurons un débat démocratique. Je fais partie de ceux qui demeurent convaincus que, lorsque surviennent des crises d'une telle ampleur, la meilleure solution est de retourner devant les électeurs.

En effet, alors qu'il s'agit de gérer une crise de cette ampleur, plus les représentants provinciaux – nous savons leur engagement, les tensions et parfois même les affrontements entre eux au nom des désaccords politiques – perdent en légitimité, car leur élection remonte à si longtemps qu'ils en ont perdu la validité démocratique, plus on rend compliquée la possibilité d'accepter la sortie de crise nécessaire.

Je le redis, la souveraineté nationale appartient au peuple. Nous n'en sommes finalement que ses représentants, et nous ne pouvons pas passer outre. Vous l'aurez compris, nous voterons contre ce texte. Nous interviendrons dans la suite de la discussion, y compris pour regretter le départ de votre prédécesseur, madame la ministre, qui témoigne de la volonté du Président de la République de dicter lui-même la composition du gouvernement actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'aborde l'examen de cette proposition de loi organique avec la même humilité et, pour tout vous dire, avec la même inquiétude que celle que j'éprouvais au printemps dernier. En effet, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires fait de nouveau une lecture différente de celle des rapportrices.

La présente proposition de loi organique est présentée comme une délicate et difficile évidence, qui ne vise qu'à permettre la mise en œuvre d'un accord. Pourtant, son adoption risque malheureusement une nouvelle fois de faire vaciller depuis Paris une paix fragile, que nous avons déjà brisée l'année dernière.

Pour comprendre nos réserves, il faut revenir à deux évidences.

En premier lieu, le report des élections provinciales, qui vise à opérer le dégel du corps électoral inscrit dans l'accord de Bougival, est basé sur un accord qui n'existe pas : il n'y a pas d'accord de Bougival.

Il est vrai qu'il y a eu un projet d'accord, issu d'une méthode renouvelée qu'il faut saluer. Les délégués ont paraphé un cadre de discussion, en s'engageant à le présenter à leur base pour en vérifier le soutien.

Ce cadre de travail en construction a été transformé par le Gouvernement en accord politique, publié au Journal officiel comme s'il avait été validé. Or, du côté du FLNKS, cette validation n'a jamais eu lieu : l'ensemble des délégués du FLNKS à Bougival ont officiellement retiré leurs signatures, car le projet d'accord avait été rejeté par leur base.

Quoi que l'on en pense, que cela nous plaise ou non, que l'on estime que le cadre institutionnel dessiné par Bougival est une bonne ou une mauvaise option, il est impossible de tracer une voie d'émancipation en Nouvelle-Calédonie et de parfaire le processus de décolonisation sans le FLNKS.

Il est improbable que la présente proposition de loi organique parvienne à convaincre le FLNKS de s'engager dans un chemin dans lequel il refuse de s'embarquer. Il ne faut donc pas l'adopter.

L'année dernière, l'État a essayé de se passer du FLNKS. Les conséquences dramatiques que nous avons connues devraient définitivement nous dissuader de répéter l'expérience.

En second lieu, si l'on veut qu'il existe un jour un accord agréé par les parties, si l'on souhaite que les négociations se poursuivent, un nouveau report des élections provinciales est tout sauf une voie sûre, et ce pour trois raisons.

Premièrement, au fond, l'adoption de la présente proposition de loi organique n'aurait pour effet qu'une redoutable fourberie, qui conduirait à maintenir en place des institutions dont le mandat aurait dû se terminer il y a plus de deux ans et dont la légitimité s'effrite objectivement, pour leur demander d'entériner un texte qui ne fait pas l'objet d'un consensus sur place. Cela me semble dangereux.

Je le rappelle, si, lors du conclave de Deva, la majorité des forces politiques soutenaient la perspective d'un État associé, seuls les loyalistes radicaux s'y opposant, l'État a cherché une nouvelle voie. Comment justifier aujourd'hui que le rejet du FLNKS ne soit pas désormais considéré comme un obstacle si évident qu'il empêcherait d'acter la première étape des accords de Bougival, à savoir le report des élections ?

Deuxièmement, l'argument principal utilisé par les partisans d'un report des élections jusqu'au dégel du corps électoral était que le gel du corps électoral pourrait entraîner une annulation des élections par le Conseil constitutionnel.

Or cet argument, l'unique argument légal avancé, a volé en éclats le 19 septembre dernier, quand le Conseil constitutionnel a confirmé que rien dans la Constitution ne contrevenait à la tenue des élections avec le corps électoral gelé. Il ne pouvait en être autrement.

Il est important de revenir à un fait majeur dans tout ce débat : le corps électoral est certes gelé, mais son ouverture, dans un territoire non autonome à décoloniser, à celles et ceux que l'on a appelés les « victimes de l'Histoire », c'est-à-dire aux descendants des colons, fut une concession importante de la part des indépendantistes.

Mes chers collègues, connaissez-vous, de par le monde, beaucoup de peuples victimes d'une colonisation de peuplement visant à les minoriser qui ont accepté de partager leur droit à l'autodétermination et de tendre la main pour construire ensemble, malgré tout, un pays émancipé ? Cette attitude historique a permis de déboucher sur l'accord de Nouméa. Ne la noyons pas dans une lecture anachronique.

Troisièmement, l'exercice normal de la démocratie, dans un territoire où les élections ne se tiennent pas à l'heure, pourrait justement créer des conditions favorables à l'aboutissement d'un véritable accord. En effet, des élections permettraient d'objectiver dans la population le soutien ou non à Bougival et de relégitimer les négociateurs.

Mon groupe votera contre le report de ces élections, avec la conviction qu'un vote favorable à ce texte serait une faute. Si ces élections devaient être effectivement reportées, j'ai toutefois l'espoir sincère que nous nous trompons, afin de ne pas voir s'éteindre la seule chance qu'avait la France de ne pas rater un processus de décolonisation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour traiter en urgence d'un sujet décisif pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Si cette proposition de loi organique vise à reporter le renouvellement général des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie et des assemblées de province du territoire, sa portée, bien plus importante, consiste à valider un processus en cours, celui de l'accord de Bougival du 12 juillet 2025.

Cet accord, qui n'est comparable à aucun autre, va loin et répond à de nombreuses demandes des Calédoniennes et des Calédoniens. Il frôle même l'indépendance en proposant un nouveau cadre constitutionnel pérenne, instituant un État de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.

Je tiens ici à saluer le ministre d'État Manuel Valls, qui a mis toute son énergie et sa capacité de négociateur au service de cet accord, que peu de femmes ou d'hommes d'État seraient parvenus à obtenir.

Néanmoins, le report que nous nous apprêtons à voter est déjà le troisième, ce qui revient à allonger les mandats en cours de près de deux ans – nous avons été nombreux à le dire. Ce nouveau report pourrait être acceptable, à condition qu'une exigence d'efficacité régisse la suite du calendrier et qu'il n'y ait plus de nouveaux dérapages – cette garantie est essentielle.

Je ne reviendrai pas sur les trois référendums d'autodétermination ; il m'est revenu, du reste, d'organiser les deux premiers, en 2018 puis en 2020.

Je ne m'étendrai pas non plus sur la terrible crise que le territoire calédonien a connue en mai 2024, à la suite du vote du projet de loi constitutionnelle portant dégel d'une partie du corps électoral, texte que je n'avais pas soutenu à l'époque, estimant que le dialogue et la confiance n'avaient pas été suffisants.

J'ai beaucoup trop de respect pour les Calédoniennes et les Calédoniens, pour tous les signataires des accords de Matignon-Oudinot, de Nouméa et de Bougival, et pour le processus de paix et d'autodétermination que ceux-ci matérialisent, pour ne pas mesurer le poids du choix que nous avons à faire ici et maintenant, car ce choix va affecter en profondeur l'équilibre de ce pays que j'affectionne tant. Ce choix, nous devons le faire avec réflexion et humilité – nous avons été nombreux, là aussi, à le dire.

Au mois de juillet, cette proposition de troisième report avait les apparences d'une évidence. J'en veux pour preuve la cosignature de cette proposition de loi organique par six des huit présidents de groupe du Sénat, dont la présidente de mon groupe, Maryse Carrère. Mais, désormais, l'accord de Bougival ne fait plus l'unanimité : le FLNKS l'a rejeté le 8 août, le Sénat coutumier le 30 août. Et il y a eu, le 19 septembre, cette décision du Conseil constitutionnel, saisi le 2 juillet d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui indique que le gel du corps électoral n'est pas inconstitutionnel. Tout cela provoque des perturbations dans le dialogue qui s'installe sur le territoire, ou du moins dans la perception que l'on peut avoir de l'accord de Bougival.

Avant que chaque membre du RDSE ne se positionne, je poserai trois questions.

Ma première interrogation porte sur les partis qui ont participé à l'accord de Bougival : pour qu'un accord soit solide, les signataires doivent pouvoir se faire confiance les uns les autres et leurs émissaires respectifs doivent être chacun représentatifs de leur camp et de leur cause. Mon cher collègue de Nouvelle-Calédonie, j'attendais de mieux comprendre avec vous les motifs qui ont conduit au désaccord que vous avez exprimé aujourd'hui : pourquoi avoir signé puis retiré sa signature ? De l'explication que vous avez donnée, je comprends qu'il y va d'une incompréhension sur la forme de l'accord, celui-ci ayant été publié alors qu'il n'avait peut-être pas été annoncé.

Voilà qui nous donne une deuxième – ou troisième – leçon : il convient toujours de bien veiller à la transparence lors de ce type de négociations. En l'espèce, le processus doit pouvoir se poursuivre et le dialogue rester noué. Rien n'est figé, tout reste ouvert.

Ma deuxième question a trait à la manière dont la population sera consultée ; c'est essentiel, on le voit bien. S'il y a bel et bien des divergences concernant la manière de présenter cet accord, les positions ne pourront converger qu'une fois que la population se sera exprimée. Or, madame la ministre, j'ai besoin de savoir sous quelle forme et sur la base de quel texte cette expression se fera. Il est important que vous puissiez nous le dire aujourd'hui. En effet, différentes lectures sont faites de cet accord, qui laisse subsister une petite ambiguïté quant à la manière dont la population calédonienne pourra prendre position et voter, je l'espère, assez rapidement, dès le début de l'année prochaine.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Annick Girardin. Je ferai à présent une remarque sur la sécurité juridique de ce report, qui dépasserait au total les deux ans et demi : mon collègue Georges Naturel m'a rassurée sur ce point, comme vous l'avez fait, madame la ministre, mesdames les rapporteures. Me voilà donc rassurée à ce stade – je le répète –, mais, s'il faut se donner du temps, il faut aussi s'assurer que notre calendrier restera bien celui qui est annoncé.

L'échéancier aujourd'hui, qui prévoit un report des élections au plus tard au mois de juin 2026, permet-il véritablement de se donner du temps, compte tenu des autres élections que nous allons avoir à gérer d'ici là, sachant en outre que pourrait s'ajouter dans l'intervalle, peut-être, un scrutin supplémentaire ?

Mme la présidente. Il faut conclure !

Mme Annick Girardin. Je conclus par un petit message d'espoir. Vous l'avez dit, madame la ministre, mais je veux le répéter : le soutien du Groupe Fer de lance permet d'affirmer que la démarche de Bougival est reconnue dans le bassin mélanésien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Olivier Bitz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chacun le sait, la situation en Nouvelle-Calédonie est complexe ; elle l'est depuis des décennies. La fin de la séquence qui avait été ouverte par l'accord de Matignon et prolongée par celui de Nouméa doit maintenant nous conduire à poser les nouvelles bases permettant aux Calédoniens de construire leur destin commun.

Ce sujet s'impose à nous à un moment difficile du point de vue de la politique nationale, lequel met déjà à l'épreuve nos institutions. Sans majorité à l'Assemblée nationale et sans visibilité sur leur propre avenir, les gouvernements successifs sont évidemment à la peine pour imaginer avec les intéressés le futur d'un territoire situé à plus de 17 000 kilomètres de la métropole. C'est donc avec une grande humilité – cela a déjà été dit – que, tous autant que nous sommes, nous abordons cette question.

Pour nous aider, nous pouvons cependant apprendre de l'histoire : de précieux enseignements nous ont été légués sur la manière dont il faut traiter le sujet calédonien.

Premier enseignement, sur la méthode : le dossier de la Nouvelle-Calédonie doit être géré directement par le Premier ministre. C'est ce pilotage par Matignon, engageant le Gouvernement au plus haut niveau, qui a permis tant l'accord de Matignon en 1988, avec Michel Rocard, que celui de Nouméa en 1998, avec Lionel Jospin. Malheureusement, à ce jour, Édouard Philippe a été le dernier chef du Gouvernement à s'être investi personnellement dans le dossier calédonien.

Deuxième leçon : l'État doit rester dans une position d'impartialité à l'égard des acteurs politiques calédoniens. C'est d'abord aux Calédoniens eux-mêmes de trouver les voies et moyens par lesquels ils réussiront à vivre ensemble sur le Caillou. S'il revient naturellement à l'État de prendre des initiatives pour favoriser le dialogue et la recherche de solutions, rien ne peut être imposé depuis la métropole ; et l'État ne saurait davantage s'engager pour un camp ou pour un autre, ni encore moins favoriser l'un d'eux en raison d'une proximité politique, que celle-ci, d'ailleurs, soit sincère ou inscrite dans un jeu d'acteurs.

Enfin, la politique nationale ne doit pas interférer avec la gestion du dossier calédonien. C'est bien pour cela que le Premier ministre de l'époque s'était engagé, au nom de l'État, à ce que le troisième référendum sur l'indépendance ait lieu après l'élection présidentielle de 2022. Malheureusement, le gouvernement suivant en avait finalement décidé autrement.

La troisième clé du succès, par le passé, fut d'avancer par consensus. Régulièrement, depuis le regrettable « référendum Pons » de 1987, il existe une tentation de faire prévaloir le seul fait majoritaire.

Cette manière de faire, qui ne fonctionne pas, a toujours fait reculer la perspective d'une solution. C'est l'ensemble des acteurs représentatifs qu'il faut réussir à embarquer, même si c'est long, même si c'est difficile.

Aujourd'hui, en ayant à l'esprit les éléments précédemment rappelés, nous débattons d'une proposition de loi visant à reporter pour la troisième fois les élections provinciales, ce scrutin qui détermine également la composition du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Je mets immédiatement fin à ce suspense insoutenable :…

M. Olivier Bitz. … le groupe Union Centriste votera ce texte, cosigné par son président.

M. Rachid Temal. Ouf !… (Sourires.)

M. Olivier Bitz. Je n'aborderai pas les questions juridiques, importantes d'un point de vue théorique. Elles se posent à la fois sur le fond – le consensus existant au moment de la rédaction de cette proposition de loi organique n'existe plus en Nouvelle-Calédonie, or c'est bien ce consensus qui fondait le motif d'intérêt général justifiant le report – et sur la forme, vu les conditions précipitées dans lesquelles ce débat a été finalement réorganisé en raison de l'instabilité gouvernementale.

En effet, puisque la question est dite si importante, le choix aurait pu être fait de convoquer une session extraordinaire pour prendre le temps de l'examiner sereinement. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel tranchera ces questions juridiques, à l'aune, sans aucun doute, du principe de réalité. C'est d'ailleurs ce même principe de réalité qui nous conduit à voter cette proposition de loi.

Nous sommes aujourd'hui le 15 octobre, et il faudra encore que l'Assemblée nationale se prononce à son tour pour reporter les élections, celles-ci devant normalement se dérouler le mois prochain. Objectivement, ni les candidats ni les pouvoirs publics ne sont aujourd'hui prêts pour cette échéance.

M. Rachid Temal. Ce n'est pas une excuse, ça !

M. Olivier Bitz. Une organisation et une campagne électorale bâclées risquent de causer de nouveaux troubles dont la Nouvelle-Calédonie n'a franchement pas besoin. Le gouvernement Bayrou nous a placés dans une situation qui nous empêche de faire autrement que de prendre nos responsabilités en validant ce nouveau report.

C'est dommage, car il aurait été judicieux de poursuivre le processus de Bougival. On peut, comme certains, parler de « projet d'accord », ou encore, comme d'autres, de « processus », mais non d'« accord » proprement dit, car d'accord entre les parties il n'y a point. Par ailleurs, il aurait été intéressant d'avoir ces discussions avec des élus dont la légitimité aurait été confirmée par les urnes.

Non, le processus de Bougival, après l'échec du conclave de Deva, n'est pas achevé. Le rejet du protocole par le FLNKS, le 9 août, puis par le Sénat coutumier, le 30 août, et, de manière générale, par les conseils coutumiers, dont on connaît le rôle majeur en Nouvelle-Calédonie, doit évidemment nous pousser – doit pousser le Gouvernement – à poursuivre cette séquence de négociations. Si Bougival a représenté un réel espoir et ouvert une véritable perspective, il faut désormais continuer ce travail avec tous. Il est inimaginable de passer en force, au risque de s'engager dans une nouvelle impasse qui conduirait probablement à de nouvelles violences, mais aussi, in fine, à l'absence de solutions durables.

Le déploiement massif d'escadrons de gendarmerie mobile, outre qu'il expose nos gendarmes, ne peut se substituer à la recherche d'une solution politique approuvée par tous. La Nouvelle-Calédonie ne peut se permettre une nouvelle crise, ni d'un point de vue économique, ni d'un point de vue social, ni encore moins d'un point de vue humain. Le Caillou ne s'est pas encore relevé des émeutes de l'année dernière. Beaucoup d'habitants ont quitté la Nouvelle-Calédonie et tous restent traumatisés. Quatorze vies ont été perdues et nos gendarmes ont, une fois de plus, payé un lourd tribut.

Nous ferons donc le point. On nous a annoncé le dépôt prochain d'un projet de loi constitutionnelle ; nous prendrons position sur ce texte en fonction de la situation au moment où il sera déposé.

Vous l'aurez compris, conformément à la méthode évoquée au début de mon intervention, qui a permis près de quarante années de paix en Nouvelle-Calédonie, nous veillerons à ce que la démarche qui sera adoptée et la perspective qui sera tracée rassemblent plus largement encore qu'aujourd'hui les différents acteurs représentatifs du territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Rachid Temal. Va-t-il citer Mélenchon ? (Sourires.)

M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne peux évidemment pas commencer mon propos sans dire qu'il s'en est fallu de peu. Ce texte absolument indispensable doit être examiné bien avant le 2 novembre, date à laquelle les électeurs seront convoqués pour élire les membres du Congrès et les assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Espérons qu'il pourra être examiné à temps à l'Assemblée nationale.

Mes chers collègues, le principe d'une exception, c'est d'être exceptionnelle. Pourtant, force est de le constater, certaines exceptions ne le sont pas, exceptionnelles. Tel est le cas de ce troisième report des élections en Nouvelle-Calédonie. En y regardant de plus près, qu'observe-t-on ? Si un nouveau report des élections n'a en définitive plus rien d'exceptionnel, les causes qui ont poussé à provoquer de tels reports sont quant à elles, sans ambiguïté, hors du commun.

Les élections au Congrès et aux assemblées de province devaient initialement se tenir au mois de mai 2024, cinq ans après les précédentes. Nous avons voté une première loi de report au printemps de l'année dernière pour qu'elles se tiennent à la fin de 2024. L'objectif était de laisser davantage de temps avant de nouvelles élections pour trouver un accord sur la composition du corps électoral, ou, à défaut, d'adopter une loi le modifiant.

Sujet hautement sensible, la modification du corps électoral, qui est bloqué depuis 1998, est déjà exceptionnellement délicate en raison des questions démocratiques et historiques qu'elle soulève.

Pourtant, qui aurait pu imaginer les conséquences dramatiques qu'aurait l'adoption du projet de loi modifiant ce corps électoral ? Comment croire que certains iraient jusqu'à dévaster leur propre territoire en détruisant ses écoles, ses entreprises, ses centres de soins, au point de causer jusqu'à 2 milliards d'euros de dégâts et, surtout, la mort de treize personnes ?

Ces événements ont évidemment rendu impossible la tenue d'élections dans des conditions normales et il a fallu acter un nouveau report, la date des nouvelles élections étant fixée au mois de novembre 2025. Ce scrutin aurait donc dû se tenir d'ici à deux mois, mais un nouvel événement exceptionnel a eu lieu au mois de juillet : l'accord de Bougival sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

À cet égard, je voudrais à mon tour, et après d'autres, saluer le travail inlassablement abattu par le ministre d'État Manuel Valls pour parvenir à cet accord. Vous prenez sa succession, madame la ministre ; je vous souhaite tout le succès possible dans votre mission, et vous pouvez compter sur notre plein soutien.

Avec ce troisième report des élections, on pourrait penser que les choses n'avancent pas en Nouvelle-Calédonie. Pourtant, il n'en est rien.

Un long chemin a été parcouru depuis le premier report en 2024, l'accord de Bougival en est la preuve. Ne pas en tenir compte et maintenir des élections coûte que coûte serait une erreur, quand cet accord marque le début d'une nouvelle étape déterminante et indispensable pour la Nouvelle-Calédonie. Les mesures qu'il contient doivent être mises en œuvre, et nous attendons un projet de loi constitutionnelle en ce sens.

Il est donc nécessaire de reporter les élections. Il est envisagé, aux termes de la présente proposition de loi, qu'elles se tiennent au plus tard le 28 juin 2026. J'espère sincèrement que le contexte, aussi bien local que national, permettra de respecter cette échéance.

Toutefois, mes chers collègues, ne soyons pas naïfs : le travail est loin d'être terminé. L'accord de Bougival n'était qu'une étape : une étape historique, certes, mais seulement une étape. Il faut continuer de rechercher un compromis qui fasse consensus chez tous les acteurs concernés, si nécessaire en complétant l'accord de Bougival. Cela demandera encore du temps, tout le monde en est conscient. Si nous voulons que des élections se tiennent au mois de juin, il y a encore beaucoup à faire, madame la ministre, au-delà de l'adoption du projet de loi constitutionnelle.

Enfin, n'oublions pas que la Nouvelle-Calédonie est une part intégrante de notre République et que nous devons garantir à tous nos concitoyens, où qu'ils soient sur le territoire, le même niveau de stabilité et de sécurité, et offrir à chacun des perspectives positives. C'est dans ce contexte que s'inscrit la discussion de la présente proposition de loi, que j'ai cosignée avec plusieurs présidents de groupe de notre assemblée et que, bien entendu, le groupe Les Indépendants votera.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour un rappel au règlement.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, mon rappel au règlement porte sur l'organisation de nos travaux. Il est dix-neuf heures trente et nous avons un certain nombre d'amendements à examiner sur ce texte. Je l'ai dit, nous prendrons le temps de les défendre et d'expliquer nos votes. Je précise néanmoins, pour rassurer tout le monde, que nous n'avons pas fait le choix de demander la parole sur les articles.

Cependant, il est de tradition que la séance soit suspendue à vingt heures. Or – et je ne mets la pression sur personne ! – je ne vois pas comment nous pourrions avoir terminé l'examen du texte à cette heure. Je vous demande donc, madame la présidente, de bien vouloir nous donner des précisions sur la suite de nos travaux.

Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

Pour le dire très simplement, à vingt heures, nous verrons où nous en serons, comme d'habitude. S'il faut suspendre à vingt heures et reprendre à vingt et une heures trente, comme nous le faisons habituellement, ce sera chose faite.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre. Je vais tenter de répondre à chacun de manière synthétique, pour faire avancer nos débats, après avoir remercié l'ensemble des orateurs qui ont exprimé leur soutien à cette proposition de loi.

Monsieur le président Kanner, vous avez évoqué le drame survenu dans la prison du Camp-Est. Une information judiciaire a été ouverte, des investigations sont en cours ; la justice fait donc son travail. Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai visité cette prison, qui est une honte nationale : c'est une honte pour notre pays.

Mme Audrey Linkenheld. Il faudrait visiter les autres, aussi…

Mme Naïma Moutchou, ministre. D'ailleurs, l'accord de Bougival prévoit la possibilité de reconstruire la prison pour améliorer les conditions de détention. Il y a donc bien là un sujet : en la matière, je vous rejoins.

En ce qui concerne la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie, vous savez combien le soutien de l'État est important.

En 2024, ce sont 2,7 milliards d'euros qui ont été investis. En 2025, un fonds de reconstruction a été mis en place, abondé à hauteur de 200 millions d'euros, à destination des collectivités locales. Les dispositifs d'aide aux entreprises ont été prorogés. Un prêt garanti par l'État a par ailleurs été mis en place, à une première tranche d'un peu plus d'un demi-milliard d'euros – 560 millions d'euros, pour être exacte – a succédé une seconde tranche de 240 millions d'euros. J'ai d'ailleurs eu l'occasion, au moment de ma nomination, de signer la convention entre l'État et la Nouvelle-Calédonie autorisant ces nouveaux versements. Je citerai, en outre, le soutien direct apporté par l'État pour financer la venue sur ce territoire de personnels de santé – il y a là un point majeur, on le sait –, mais aussi l'insertion des jeunes.

Je me dois d'évoquer également la mission interministérielle pour la Nouvelle-Calédonie, qui est placée sous l'autorité du Premier ministre. Mme Claire Durrieu, qui la dirige, a été trois semaines sur le terrain ; cette mission a précisément pour but de poursuivre les efforts qui sont faits en matière de refondation et de reconstruction, via notamment un pan de mesures d'urgence. Cette mission, qui s'entoure d'experts, s'est d'ailleurs réunie pas plus tard qu'hier : j'ai présidé la séance plénière par laquelle elle a officialisé sa méthode de travail. Autrement dit, les choses avancent !

Je répondrai à présent à Mme la présidente Cukierman. Nous sommes en désaccord sur le fond : rien d'étonnant. Mais je vais vous répondre sur la forme. Vous avez fait, tout à l'heure, un trait d'humour : « Ça va bien se passer ! », m'avez-vous dit. Je vous répondrai par un autre trait d'humour, en vous rappelant d'où je viens : de l'Assemblée nationale, qui n'est pas le lieu le moins chahuté ni le moins bruyant que l'on puisse concevoir… J'y ai présidé des séances publiques pendant plus de trois ans ; je sais donc qu'au Sénat ça ne peut que mieux se passer !

Mme Naïma Moutchou, ministre. Madame Vogel, vous avez parlé de « projet d'accord ». Non : il y a un accord, qui a été signé par – toutes – les forces non indépendantistes, ainsi que par une force indépendantiste. Cet accord est défendu par l'ensemble de ces organisations comme étant un accord, qu'elles soutiennent et dont elles revendiquent la signature aujourd'hui. Elles le font avec courage, avec responsabilité, car les choses ne sont pas toujours simples, mais elles le défendent tous les jours, je peux vous le dire.

Une petite nuance, cela dit : on ne peut pas faire – on ne fera pas – sans le FLNKS, bien sûr. (Ah ! sur des travées du groupe CRCE-K). Et la porte reste ouverte. Il faut continuer d'avancer, il reste possible de préciser des choses. Il faut le faire dans le consensus, en utilisant les vecteurs les plus immédiatement disponibles, c'est-à-dire la proposition de loi organique et le projet de loi constitutionnelle.

Enfin, madame Girardin, voici quel sera l'objet de la consultation qui aura lieu au mois de mars ou d'avril : pour ou contre l'accord de Bougival.

M. Olivier Bitz. Il n'y a pas d'accord !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Si, il y a un accord…

Mme Naïma Moutchou, ministre. Dans cette perspective, nous allons très vite tâter le terrain auprès des forces politiques. S'agissant d'une consultation locale, il faut une base juridique ; et c'est précisément le projet de loi constitutionnelle qui fournira cette base.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre
Article 2

Article 1er

Par dérogation au premier alinéa de l'article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province, prévues au plus tard le 30 novembre 2025 par la loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, ont lieu au plus tard le 28 juin 2026. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l'article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Les mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province prennent fin le jour de la première réunion des assemblées nouvellement élues.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, sur l'article.

M. Philippe Folliot. Madame la ministre, la question de la Nouvelle-Calédonie est éminemment importante. Vous êtes la huitième ministre des outre-mer depuis 2022 ! Cette instabilité ministérielle pénalise le suivi de ce dossier, comme elle pénalise l'ensemble de nos outre-mer. Nous espérons que vous pourrez rester assez longtemps en poste pour marquer de votre empreinte ce ministère et, surtout, pour accompagner la Nouvelle-Calédonie dans ces moments particulièrement cruciaux qu'elle traverse.

Je salue nos deux collègues de Nouvelle-Calédonie : nonobstant quelques différences d'appréciation sur ce texte proprement dit, je dois dire qu'ils défendent avec courage et conviction l'avenir de leur territoire.

J'ai eu l'occasion, au mois de juillet, de passer une semaine en Nouvelle-Calédonie aux côtés de notre collègue Georges Naturel. Je tiens à louer son implication et sa vision du devenir de ce territoire, l'enjeu étant la volonté et la capacité de faire en sorte que tous les acteurs travaillent ensemble, main dans la main, à un avenir commun qui n'exclue personne.

Somme toute, l'enjeu de ce report des élections, qui n'est assurément pas une mesure que nous aurions souhaitée a priori, mais qui est la voie du bon sens et de la sagesse, est d'essayer – c'est nécessaire ! – de faire en sorte que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie puisse être radieux.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 3 est présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L'amendement n° 9 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Gontard, Mellouli, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour présenter l'amendement n° 3.

M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement vise à supprimer l'article 1er, qui prévoit un troisième report des élections provinciales, report fondé sur le projet d'accord de Bougival du 12 juillet 2025. Or ce texte ne fait pas consensus : le FLNKS l'a formellement rejeté et des autorités coutumières, ainsi que des acteurs religieux et de la société civile, se sont prononcés contre.

Dans ces conditions, fonder une nouvelle prorogation d'un mandat déjà prolongé deux fois sur un socle politique aussi contesté reviendrait à porter atteinte au droit de suffrage et à institutionnaliser l'exception. Voilà un risque démocratique que nous ne saurions assumer. Nous proposons donc de supprimer cet article pour revenir à une trajectoire respectueuse de l'esprit des accords et d'un calendrier électoral raisonnable.

Cette suppression est la seule voie possible pour préserver la légitimité de nos institutions et rouvrir un dialogue loyal entre partenaires sans travestir l'état réel du consentement politique local.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 9.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement de suppression de l'article 1er vise à supprimer la disposition principale de la proposition de loi, à savoir le report des élections.

Madame la ministre, vous avez dit, à propos du projet d'accord de Bougival, qu'il s'agissait non pas d'un simple projet, mais bien d'un accord défendu par certaines forces. C'est vrai. Mais il est vrai aussi, dans les conditions politiques qui prévalent en Nouvelle-Calédonie, qu'un tel « accord » ne nous permet pas d'avancer dans le processus de décolonisation. Ce n'est donc pas un accord, politiquement parlant.

Le problème est que le report des élections ne vise qu'à une chose : dégeler le corps électoral. Or ce report, suivi de ce dégel, est inscrit dans le texte de Bougival. Reporter les élections revient donc aujourd'hui – telle serait la signification politique de ce vote – à faire comme si le texte de Bougival était bien, en réalité, un accord consensuel.

Sinon, le Gouvernement se doit d'éclaircir un élément important du débat : si nous reportons les élections, qu'elles ont lieu l'année prochaine et que, dans l'intervalle, il n'y a pas d'accord incluant le FLNKS, notamment sur un dégel, pouvons-nous avoir la certitude qu'alors les prochaines élections, qui ne seront pas reportées une quatrième fois, se tiendront bien sur la base du corps électoral gelé actuel ?

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Si ces amendements de suppression étaient adoptés, la proposition de loi organique serait évidemment totalement vidée de sa substance.

Nous avons déjà expliqué pourquoi nous pensons qu'il est nécessaire de reporter ces élections, même s'il est difficile de prendre une telle décision : il s'agit de permettre la poursuite des discussions en dehors de toute campagne électorale. Une telle campagne aurait en effet tendance à accentuer les divergences plutôt qu'à rapprocher les points de vue. Or des avenants à Bougival sont nécessaires avant sa constitutionnalisation.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.

M. Akli Mellouli. Je tiens moi aussi à saluer mes collègues Georges Naturel et Robert Wienie Xowie. Je sais qu'ils ont la volonté d'essayer de faire avancer les choses. Tel est également l'esprit dans lequel j'interviens.

Depuis le début de nos débats, j'ai écouté tous les orateurs avec attention. Chacun dit de l'accord de Bougival qu'il aurait permis d'enrichir la réflexion et de justifier le report des élections. Or je rappelle que la présente proposition de loi organique a été déposée avant l'accord de Bougival ! Il faut aujourd'hui remettre les choses à l'endroit.

D'ailleurs, comme nous l'avons dit, cet accord n'existe pas : il n'est qu'un préalable à la discussion. C'est justement le fait qu'il ait été publié et présenté comme un accord qui a mis le feu aux poudres !

Je le dis, la précipitation est toujours très mauvaise conseillère, car elle ne permet pas d'atteindre les buts fixés. Alors que les parties prenantes devaient retourner vers leurs bases pour leur expliquer les tenants et les aboutissants de l'accord, elles n'en ont pas eu le temps : la réalité a été déformée, détournée.

Ensuite, on nous a dit en 2020 que les élections auraient lieu à l'heure. Certes, il arrive que l'on perde sa montre (Sourires.), mais, alors que le covid aurait justifié un report cette année-là, les élections ont bien eu lieu. Aujourd'hui, on nous explique que, à la suite de l'accord de Bougival, les élections pourraient être reportées. Où est la cohérence ?

Ce qui nous inquiète, c'est le dégel du corps électoral, qui aurait pour effet de vider l'accord de Nouméa de sa substance. Or cet accord est pour l'instant, je le répète, le seul qui tienne et qui puisse nous permettre d'avancer. Si nous remettions en cause cet accord aujourd'hui, vers quoi irions-nous ?

Quand nous essayons de tordre le bras de l'une des composantes pour en favoriser une autre, nous ne sommes plus des facilitateurs de dialogue : nous ouvrons la porte à toutes les possibilités, y compris les plus aventureuses et les plus dangereuses pour nos populations.

N'oubliez pas que les seules colonies de peuplement que nous avons connues sont l'Algérie et la Nouvelle-Calédonie ! Nous savons comment cela s'est terminé avec l'Algérie. Ne commettons pas les mêmes erreurs avec la Nouvelle-Calédonie !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour explication de vote.

Mme Marianne Margaté. La période particulière que nous vivons nous donne l'impression de ne pas avoir quitté le XXe siècle.

Le XXe siècle est celui de l'abolition de la peine de mort, que nous avons pu de nouveau célébrer, avec une émotion légitime, la semaine dernière lors de la panthéonisation bien méritée de Robert Badinter.

Le XXe siècle, c'était l'instabilité institutionnelle de la IVe République, où l'on changeait de gouvernement en moyenne tous les six mois.

Le XXe siècle, c'était la France des colonies. Quand elle partait, elle choisissait son remplaçant et, quand elle n'y parvenait pas, elle faisait le pari de la guerre ou de la déstabilisation.

Ces retours en arrière ne sont pas tous réjouissants et, à choisir, je préfère évidemment le XXe siècle de Badinter à celui des colonies.

Mes chers collègues, nous ne sommes plus au XXe siècle. Soixante ans après la décennie des décolonisations françafricaines, comment pouvons-nous encore tergiverser quand il s'agit de réparer les injustices du passé ?

À quelle histoire souhaitons-nous participer ? À quel récit voulons-nous contribuer ?

Dans cet hémicycle ont siégé de grands noms – Victor Schœlcher, Clemenceau – et d'autres qui, étant le fruit d'une époque, n'ont pas toujours su se montrer à la hauteur des enjeux du moment.

Aujourd'hui, la situation nous oblige. Nous devons redevenir un pays de droit, d'égalité et de respect du droit à l'autodétermination des peuples, comme l'exigent légitimement nos amis kanaks, qui n'ont pas besoin d'être nos compatriotes pour être nos sœurs et nos frères en humanité.

Mes chers collègues, notre groupe est fier de porter le nom de Kanaky. Aujourd'hui, nous refuserons ce texte et, plus que jamais, nous disons : vive la Kanaky libre !

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour explication de vote.

M. Gérard Lahellec. Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, a fait le choix d'inscrire ce texte en priorité à l'ordre du jour de notre assemblée.

De fait, nous considérons que vous vous ancrez dans un déni de démocratie. Vous nous demandez de voter ce texte prévoyant le report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la mise en œuvre de ce que vous appelez « l'accord de Bougival ».

Or, vous le savez bien, cet accord n'en est pas un. Il a été rejeté par le peuple kanak et nous n'en sommes pas dupes. Nous ne pouvons donc pas justifier cette oppression. L'accord du 12 juillet n'existe pas ; le FLNKS l'a rejeté formellement et le Sénat coutumier l'a désavoué. Aucune majorité locale n'en revendique d'ailleurs la paternité.

Nous sommes donc face non pas à un compromis historique, mais à une proposition qui a été rejetée. Nier cette réalité, c'est nier les droits politiques du peuple kanak. Les dangers d'un tel mépris sont immenses.

Mes chers collègues, j'en appelle à votre responsabilité et je vous invite à vous ranger prioritairement du côté du peuple qui souffre depuis 1853.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Mme Michelle Gréaume. Alors que ce texte aurait pour objet de préparer l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, il commence par confisquer la parole du peuple calédonien. Après déjà deux reports, en proposer un troisième revient à geler la vie politique, à priver un territoire de son droit à décider.

Comment ne pas voir dans cette dérive la logique autoritaire qui s'est exprimée lors de la réforme de l'audiovisuel public ? Là encore, le débat nous a été refusé, la procédure parlementaire a été piétinée. En quelques jours, sans étude d'impact, le Gouvernement a voulu remodeler le visage de l'information publique, au mépris de la concertation, du pluralisme et du Parlement lui-même.

Qu'il s'agisse de la réforme de l'audiovisuel public ou des retraites, de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, le pouvoir macroniste fait preuve de constance : il décide seul, impose ses textes dans l'urgence, muselle les contre-pouvoirs, qu'ils soient médiatiques ou électoraux. Cette manière de gouverner traduit une crise profonde de la démocratie, celle d'un exécutif qui ne supporte plus ni la contradiction ni le dialogue.

Pourtant, la République, c'est le respect de la souveraineté populaire, c'est consentir à donner la parole à toutes les composantes du pays.

Voilà pourquoi, en conscience, nous ne voterons pas ce texte et nous vous invitons à voter notre amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous demandons la suppression de l'article 1er.

Nous pensons que le Gouvernement aurait été bien inspiré d'inscrire en priorité à l'ordre du jour de nos travaux le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Dans ces collectivités, le coût de la vie est largement supérieur à celui de la métropole. La Nouvelle-Calédonie-Kanaky ne fait pas exception.

Selon le rapport d'information de nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer relatif à la lutte contre la vie chère outre-mer, publié en avril dernier, le prix de l'alimentation est, dans les Antilles, 45 % supérieur aux tarifs de la métropole. Dans le Pacifique, les prix en Nouvelle-Calédonie-Kanaky sont supérieurs de 78 % à ceux de la métropole.

Selon les données publiées par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le panier moyen de l'archipel coûte 108 % plus cher que celui de l'Hexagone. Dans un territoire où le taux de chômage approche 15 % et le taux de pauvreté 17 %, cette situation économique ne fait qu'aggraver les disparités.

Il faut ajouter au prix des produits de première nécessité le montant des loyers, qui atteignent à Nouméa les niveaux parisiens, les prix de l'électricité et du carburant, de 20 % à 30 % supérieurs, ainsi que les prix des véhicules, 15 % plus élevés qu'en métropole, alors que les salaires moyens ne suivent pas cette inflation.

Cette situation aggrave les inégalités sociales et pénalise les ménages modestes, notamment les populations kanakes.

Si la dépendance aux importations explique en partie cette situation, la vie chère en Nouvelle-Calédonie est surtout la conséquence de la concentration des secteurs de la grande distribution, de l'énergie et des télécommunications entre quelques acteurs qui fixent des prix élevés, en l'absence de régulation forte. Par exemple, les trois grandes surfaces qui contrôlent 80 % du marché alimentaire pratiquent des marges bien supérieures à celles de la métropole.

Ces inégalités sont le bilan de la France et de ses gouvernements, qui préfèrent ajourner et reporter les élections locales plutôt que d'apporter de véritables moyens pour le peuple kanak.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je dois dire que j'envie certains de mes collègues, manifestement pleins de certitudes. Pour ma part, j'en ai beaucoup moins ! Comme je l'ai déjà longuement fait, je continue de m'interroger sur le sens de ce texte, que je voterai en en redoutant les conséquences, demain, sur le terrain – il faut que tout se passe bien.

Cependant, j'entends tous mes collègues : l'un parle des retraites, l'autre de l'audiovisuel public… Je pense que, par respect pour la Nouvelle-Calédonie et ses habitants, il faut essayer de ne pas tout mélanger et de s'en tenir à un discours sur des sujets qui les concernent eux en premier chef.

J'entends des oppositions. La réalité est relativement simple, mais il me semble que nous devons la rappeler.

D'abord, nous sommes le Parlement : si nous votons une loi, celle-ci est adoptée démocratiquement.

Ensuite, pour ce qui concerne Bougival, je le dis : il y a un accord. Ce n'est pas parce que certains refusent de le signer que ce n'est pas un accord. Est-ce un accord unanime ? La réponse est non. Est-ce un accord ? La réponse est oui.

Je souhaite, comme d'autres, que l'ensemble des forces politiques, dont le FLNKS, qui a été dans notre histoire et demeure un mouvement important, participent au final à cet accord.

Nous devons nous interroger : comment procéder pour qu'il y ait un débat en Nouvelle-Calédonie, pour rapprocher les uns et les autres, pour que cette discussion débouche sur un accord ? Tel sera l'objet d'un prochain texte que nous aurons à adopter, à savoir la proposition de loi constitutionnelle.

Mais, aujourd'hui, la question qui nous est posée concrètement est la suivante : sommes-nous, oui ou non, capables, dans les conditions actuelles, de tenir des élections en novembre ? Pour ma part, je pense que non.

Ce que je demande donc à Mme la ministre, c'est de nous garantir que, sur le terrain, les conditions seront réunies et que les mesures seront prises pour éviter des situations compliquées et tout dérapage. Comment faire pour éviter que la Nouvelle-Calédonie ne perde encore plus que 14 % de son PIB ? Telle est une autre des questions qui m'intéressent aujourd'hui.

De grâce, essayons de rester dignes et de nous en tenir au sujet. Nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient indépendantistes ou non, le méritent.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 9.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première phrase

Remplacer la date :

28 juin 2026

par la date :

30 novembre 2025

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement vise à rétablir au 30 novembre 2025 au plus tard la date des élections.

À titre alternatif, si l'on ne supprime pas l'article 1er, nous proposons de borner le report au 30 novembre 2025, délai déjà prévu par la loi organique du 15 novembre 2024.

Pourquoi ? Parce que le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 3 de la Constitution, exige que les électeurs soient appelés à voter selon une périodicité raisonnable. Il a admis les précédents reports au regard de motifs précis : révision constitutionnelle envisagée, impossibilité matérielle, reprise du dialogue.

Rien de comparable ne justifie aujourd'hui de reporter les élections au plus tard au 28 juin 2026, d'autant que le motif invoqué – le projet d'accord de Bougival – est contesté.

Retenir 2026 ferait glisser l'exception vers la durée, affaiblirait la légitimité des élus et exposerait le dispositif à un risque d'inconstitutionnalité.

La date du 30 novembre 2025 assure l'équilibre constitutionnel. Elle garantit la périodicité du suffrage, sécurise le calendrier et évite une prorogation disproportionnée.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. S'il était adopté, cet amendement aurait exactement les mêmes effets que les amendements précédents : il viderait le texte de toute sa substance.

Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Il s'agit d'un amendement de repli. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, j'y suis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, il va falloir aller plus loin dans l'analyse juridique. Certes, ce sont vos premiers moments dans l'hémicycle du Sénat, mais sachez que nous aimons y discourir plus avant !

Pour ma part, j'aimerais que vous nous exposiez le fondement juridique de l'un de vos arguments, à savoir l'anticonstitutionnalité de la perpétuation du gel du corps électoral.

Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie est une collectivité sui generis, dont le statut est défini par la Constitution. Or le gel du corps électoral figure précisément dans la Constitution ! Il est donc constitutionnel, puisqu'il est un élément de la formation de cette collectivité sui generis.

Par conséquent, l'argument que vous nous opposez, selon lequel il ne faudrait pas aujourd'hui perpétuer le gel, ne tient pas. Ce point est tout à fait important.

J'aimerais que nos collègues comprennent que nous discutons non pas d'une collectivité comme les autres, mais d'une collectivité qui, du fait de l'accord de Nouméa, sort aujourd'hui de la République française et a un statut très particulier, défini par la Constitution.

Les arguments que nous avançons en France métropolitaine ne tiennent donc pas pour cette collectivité qui, je le répète une nouvelle fois, a un statut sui generis.

Par ailleurs, je vous ai entendue, madame la ministre, ainsi que d'autres collègues, nous dire qu'il fallait absolument continuer à discuter avec le FLNKS. Mais si vous votez ce texte, le débat s'arrêtera ! De fait, le FLNKS a prévenu qu'il ne participera jamais à la négociation si la proposition de loi organique est votée. Pour permettre la négociation, il ne faut donc pas le voter ce soir.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous sommes contre !

(L'article 1er est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est vingt heures. Sauf si vous préférez poursuivre l'examen du texte après la suspension du soir – Mme Cukierman a fait un rappel au règlement à ce sujet –, je vous propose d'achever sa discussion maintenant.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre
Article 3

Article 2

Les fonctions des membres des organes du congrès en cours à la date de promulgation de la présente loi organique sont prorogées jusqu'au jour de la première réunion du congrès nouvellement élu en application de la présente loi organique.

Mme la présidente. Les amendements nos 5 et 10 sont identiques.

L'amendement n° 5 est présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L'amendement n° 10 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Gontard, Mellouli, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour présenter l'amendement n° 5.

M. Robert Wienie Xowie. Cet amendement vise à supprimer l'article 2, qui proroge les organes du congrès jusqu'à la première réunion du congrès issu du scrutin reporté.

Le problème est que le congrès n'a pas été consulté, alors que la mesure affecte directement son fonctionnement interne et la durée des mandats de ses organes. Cette omission heurte l'exigence de loyauté du dialogue institutionnel qui fonde l'équilibre calédonien.

Il en résulte deux conséquences. Si l'article 1er est supprimé ou si l'on retient l'échéance du 30 novembre 2025, l'article 2 devient sans objet. À défaut, il aggrave la prorogation au détriment de la légitimité, sans avis préalable de l'assemblée concernée.

Par conséquent, nous demandons la suppression de l'article 2 afin d'éviter d'enfermer la Nouvelle-Calédonie dans un intermède institutionnel prolongé, sans le consentement des représentants locaux.

Restaurons une méthode : consultons le congrès lorsque l'on touche à ses organes et limitons dans le temps toute prorogation, au seul service du retour au suffrage.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 10.

Mme Mélanie Vogel. Notre collègue Rachid Temal a dit que, contrairement à lui, nous étions nombreux à avoir beaucoup de certitudes dans cet hémicycle.

Pour être honnête, j'ai non pas des certitudes, mais une inquiétude sur ce qui va se passer si nous votons ce texte.

En réalité, si l'on essaie d'analyser les choses à froid, on voit très bien quels sont les risques de voter ce texte : nous actons un accord qui n'est pas consensuel et qui met de côté l'une des forces principales de représentation du peuple kanak, ce qui peut nous conduire à la tragédie.

En revanche, je vous avoue que je ne vois pas quels risques il y aurait à ne pas voter ce texte. Quel risque y aurait-t-il à organiser des élections dont la tenue est parfaitement constitutionnelle et qui permettront d'élire des représentants à la légitimité renouvelée, reflets du nouveau rapport de forces qui prévaut aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, y compris sur l'accord de Bougival, et pourront ensuite négocier en prenant tout le temps nécessaire ? En organisant les élections à la date prévue, nous donnerions le temps nécessaire à l'adoption d'un accord une fois les élections passées.

Bref, les risques du vote sont très clairs. D'ailleurs, tous ceux de nos collègues qui soutiennent le texte les ont évoqués et ont eux aussi exprimé leur grande inquiétude.

Mais, honnêtement, que pourrait-il se passer si des élections démocratiques se tenaient en Nouvelle-Calédonie avec un corps électoral reconnu comme légitime par le Conseil constitutionnel ? Franchement, je ne comprends pas cette inquiétude.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Sans cet article 2, les instances internes du congrès seraient renouvelées à quelques mois d'écart, à la fin de cette année 2025, puis à l'été prochain.

La commission a jugé que ce double renouvellement successif serait dommageable à la continuité et à la stabilité des institutions de la Nouvelle-Calédonie. L'article 2 est donc pertinent.

J'ajoute par ailleurs – nous l'avons appris lors des auditions que nous avons menées – que des discussions ont eu lieu entre les membres du congrès de Nouvelle-Calédonie, qui ont finalement décidé de ne pas nous demander ce report.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. L'adoption de ces amendements reviendrait à purger l'article 1er, ce qui n'aurait pas de sens puisqu'il a été adopté. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable à.

Je souhaite répondre rapidement à M. Ouzoulias : monsieur le sénateur, je suis prête à faire du droit – c'est mon métier –, pourvu que l'on m'interroge.

En l'occurrence, je n'ai jamais dit que le gel du corps électoral était anticonstitutionnel ! D'ailleurs, il est constitutionnel, puisqu'il est dans la Constitution. La boucle est bouclée…

En revanche, vous savez bien ce que dit le Conseil constitutionnel, qui émet des réserves et explique que des atténuations peuvent être apportées – je le cite – « pour tenir compte des évolutions de la situation démographique de la Nouvelle-Calédonie », de ce qui se passe sur le territoire, « et atténuer ainsi l'ampleur qu'auront prise, avec l'écoulement du temps, les dérogations au principe d'universalité et d'égalité du suffrage. »

De fait, à un moment donné, le gel du corps électoral finira par épuiser le corps électoral !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Le but n'est pas ici de consulter les dictionnaires ni de régler des questions sémantiques. Nous pouvons à la fois faire preuve d'une grande humilité et avoir des convictions fortes, sans que cela signifie, du reste, que nous ayons des certitudes. Aucun des membres de notre groupe n'a de certitudes, pas plus sur ce dossier que sur d'autres.

En revanche, en toute humilité, nous avons des convictions, nourries par les échanges que nous avons, tout comme d'autres ici, avec un certain nombre de représentants politiques présents en Calédonie.

Par conséquent, avec humilité, sans certitudes, mais avec beaucoup de conviction, nous importons ici, au Parlement français, des débats qui ont réellement lieu sur place.

La suppression de l'article 2 est pour nous importante. De fait, tout se tient : nous l'avons dit, Bougival n'est pas un accord, mais le gel électoral est valide. Les accords restent notre boussole et la démocratie se tient à l'heure. Nous choisissons donc la cohérence. Nous ne voulons pas de troisième report.

Oui, nous souhaitons que les élections provinciales puissent être organisées avant le 30 novembre, avec toutes les garanties nécessaires, comme je l'ai dit tout à l'heure à la tribune. Nous le souhaitons parce que nous pensons que, dans des périodes de crise profonde comme celle que traverse la Calédonie, le respect du processus démocratique et de sa durée renforce la légitimité des élus, qui plus est à l'occasion des élections provinciales, ces élus ayant des responsabilités immenses dans la reconstruction des provinces à la suite des événements de l'an dernier.

Oui, nous voulons aussi une clarification officielle sur la non-valeur d'accord, comme le dit le FLNKS, du texte rédigé au mois de juillet. Nous voulons une méthode loyale de négociation. Celle-ci pourrait d'ailleurs éventuellement être appuyée par l'ONU…

Oui, la Nouvelle-Calédonie a besoin de politiques sociales qui traitent les causes de la crise.

Ce vote n'est pas pour un camp ni contre un autre. C'est un vote pour la République qui tient sa parole et pour la paix civile.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Je souhaite apporter quelques précisions.

J'indique – et je ne le dis pas spécialement contre mon collègue – que, parmi ceux qui souhaitent le report des élections tel que prévu dans l'accord de Bougival, il y a tout de même un parti indépendantiste !

On parle beaucoup du FLNKS, qui représente effectivement une partie des indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, mais l'UNI-Palika, qui a signé l'accord de Bougival, non seulement souhaite cette prolongation des mandats, mais propose même de les prolonger jusqu'au mois d'octobre de l'année prochaine, ce qui me paraît un peu énorme.

J'ai deux choses à dire.

Tout d'abord, comme je l'ai indiqué dans mon intervention en discussion générale, le contexte est compliqué. Notre collègue Olivier Bitz l'a dit lui aussi.

Organiser des élections au mois de novembre paraît difficile sur le plan administratif. On peut reprocher à l'État, au Gouvernement, de ne pas avoir anticipé les choses plus tôt. Quoi qu'il en soit, sans aller jusqu'à dire que nous sommes mis devant le fait accompli, force est de constater qu'organiser ces élections d'ici à la fin du mois de novembre paraît chose compliquée.

Le texte doit d'abord être discuté à l'Assemblée nationale ; nous verrons ce que cet examen donnera.

Ensuite, je rappelle tout de même – je l'ai déjà dit –, que la grande majorité des groupes du congrès a validé l'article 2, qui concerne le renouvellement de son bureau. Charge à nous de reconnaître ce qu'il a demandé.

Par conséquent, nous voterons cet article 2.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je souhaite répondre à ma collègue Mélanie Vogel, qui m'a interpellé, et qui se demande ce qui se passera si l'on reporte les élections ou si on ne les reporte pas.

Si je la comprends bien, si l'on ne reporte pas les élections, tout ira bien. Or la situation me semble un peu plus nuancée, car, si j'ai bien compris, nous faisons face à quelques difficultés à la fois d'organisation des élections – l'incurie de l'État n'est toutefois pas un bon motif de report – et au sein de l'ensemble des parties en présence.

Notre volonté n'est pas de décaler les élections pour les décaler, ou pour je ne sais quelle autre raison. Notre espoir – puisque c'est un espoir – est que leur décalage permette d'avoir du temps pour trouver un accord, pour aller plus loin, pour dépasser le désaccord sur Bougival. Nous proposons simplement de travailler, en tenant compte des attitudes sur place.

C'est pourquoi nous ne voterons pas cet amendement de suppression. Nous voterons l'article dans sa rédaction actuelle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin, pour explication de vote.

Mme Annick Girardin. J'ajouterai quelques remarques.

Notre collègue Georges Naturel a raison : l'excuse selon laquelle l'État ne serait pas prêt à organiser les élections le 30 novembre 2025 n'est pas recevable. La tenue des élections à cette date n'était pas optionnelle, elle était bien prévue : il fallait donc s'y préparer. Cependant, ce n'est pas pour cette raison que je voterai ce report.

Je le voterai parce que je me suis moi aussi interrogée sur les conséquences qu'aurait la tenue des élections à cette date. Les nouvelles modalités – une nouvelle organisation, de nouvelles compétences, une nouvelle manière de former le congrès – ne sont pas au rendez-vous. Même si nous parvenions à respecter l'échéancier, il ne servirait donc à rien d'organiser ces élections le mois prochain.

C'est la raison pour laquelle je vous interrogeais plus tôt, madame la ministre : nous allons respecter l'échéancier tel qu'il est prévu dans le texte, pour laisser le temps nécessaire à la réflexion et au dialogue, qui se poursuit chaque jour sur le territoire, et sensibiliser la population à cet accord. Mais nous devons garantir ces rendez-vous. Si nous ne tenons pas nos engagements, notre décision sera une trahison pour tous ceux qui croient en cet accord – et franchement, c'est un bel accord – et je ne suis pas sûre que nous puissions parvenir une nouvelle fois à un accord.

Sa publication, et donc sa valeur normative, qui n'avait peut-être pas été prévue au départ, a sans doute vexé certains partenaires. Peut-être certains d'entre eux n'avaient-ils pas compris que tel sera le cas lorsqu'ils ont signé l'accord.

Mais allons-y ! Nous avons une dernière chance de reprendre le chemin qui permettra à ce territoire de retrouver la prospérité et à sa population de bien y vivre. Il est essentiel que les choses se fassent assez vite.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.

M. Akli Mellouli. Nous pourrions reprendre les mêmes arguments pour arriver à la conclusion inverse. Quel est le véritable problème ? Pourquoi ne voudrions-nous pas que les Calédoniens votent ? Ce corps électoral ne convient-il pas ?

Puisque nous voulons discuter, pourquoi ne pas dialoguer avec une représentation électorale réelle ? Cela fait deux ans que les élections sont reportées. Leur tenue nous permettrait, enfin, d'avoir des interlocuteurs. Nous pourrions ensuite continuer de dialoguer après les élections.

Or, aujourd'hui, l'une des parties menace de ne pas participer aux élections, que nous avons nous-mêmes reportées par deux fois en un an, si nous ne respectons pas le calendrier que nous avons nous-mêmes établi. Nous ne faisons qu'œuvrer pour perdre sa confiance, alors que des élections nous permettraient d'avoir des élus représentatifs de leur territoire et du corps électoral de Nouvelle-Calédonie, puis de poursuivre ensuite le dialogue.

Je ne comprends donc pas pourquoi vous voulez tordre le bras des électeurs et précipiter un report des élections – à moins qu'il n'y ait un loup !

M. Rachid Temal. Quand c'est flou, il y a un loup !

M. Akli Mellouli. Je vous le demande donc : où est le loup dans cette histoire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.

Mme Mélanie Vogel. Je souhaite réagir aux propos de Mme Annick Girardin, qui sont importants.

En effet, si nous maintenons les élections à la date prévue, avec le corps électoral gelé actuel, nous remettons en cause le calendrier qui a été décidé à Bougival. Il y a là une ambiguïté qu'il faut lever.

On ne peut pas, d'un côté, dire qu'il est problématique que le FLNKS ne soit pas à la table des négociations, qu'il n'accepte ni ce calendrier ni le contenu de Bougival, et que l'on souhaite que les discussions se poursuivent afin qu'il participe aux élections. Cela donnerait lieu à une organisation différente de celle qui a été décidée à Bougival. On ne peut pas, de l'autre, dire qu'il faut absolument voter le texte, sans quoi on empêchera la mise en œuvre de l'accord de Bougival !

Soit on met en œuvre cet accord, sans le FLNKS ; soit l'absence de cette formation est un problème, et Bougival ne pourra pas être mis en œuvre. Ces alternatives sont incompatibles. Vous ne pouvez pas dire qu'il faut absolument respecter le calendrier et appliquer l'accord de Bougival, tout en estimant que l'absence du FLNKS constitue un problème majeur.

Qu'espérez-vous ? Convaincre le FLNKS d'accepter ce qu'il a refusé ? Si vous voulez discuter avec lui, il faudra modifier ce qui a été décidé à Bougival – la composition du corps électoral, l'architecture institutionnelle ou le calendrier. En tout cas, il faudra bien changer quelque chose.

M. Rachid Temal. Bien sûr !

Mme Mélanie Vogel. Il faut accepter l'une ou l'autre de ces alternatives : soit l'on veut inclure le FLNKS dans cet accord, et il faudra donc en modifier un paramètre ; soit l'on applique cet accord et on reporte les élections, auquel cas le FLNKS n'y participera pas.

M. Francis Szpiner. Et alors ? À un moment donné, il faut arrêter !

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 10.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après le mot :

élu

insérer les mots :

le 30 novembre 2025

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. À défaut de supprimer l'article 2, nous proposons de borner explicitement la prorogation du mandat des membres du congrès au plus tard le 30 novembre 2025.

Cette précision est nécessaire, car une prorogation indéfinie est contraire à l'exigence de périodicité raisonnable du suffrage et nourrit la suspicion d'un provisoire sans fin.

L'inscription de cette date butoir rend au dispositif sa proportionnalité, crée une sécurité juridique pour les institutions et les électeurs, et évite de faire peser sur la vie démocratique calédonienne une incertitude durable.

Autrement dit, il est important que les fonctions des membres des organes du congrès ne soient pas prorogées au-delà du jour du scrutin, à savoir le 30 novembre 2025, et pas un jour de plus. Cette borne rend sincère l'objectif de ce scrutin, qui est de gérer l'entre-deux.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Dans la mesure où il s'agit là encore de s'opposer au report des élections, la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Même avis, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Mme Michelle Gréaume. Aimé Césaire disait : « Faire un pas avec le peuple, pas deux pas sans lui. » C'est pourtant bien ce qui est en train de se passer ici. Vous agissez avec précipitation en inscrivant en premier cette proposition de loi organique à l'ordre du jour de la nouvelle session parlementaire.

Ainsi, madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez fait de nouveau deux pas sans le peuple kanak, en niant la légitimité des urnes. En effet, si le peuple kanak a été meurtri par les événements récents, c'est bien par les urnes, avec des représentants nouvellement élus, que la crise pourra être résolue. Repousser de nouveau les élections ne fera qu'aggraver la situation.

Si le gouvernement semble convaincu que l'on peut garder les mêmes et recommencer, ce n'est pas l'avis du peuple kanak, qui veut s'exprimer démocratiquement au travers des élections. Avancer et repartir sur des bases solides, telle est la volonté des Kanaks. Les élus kanaks en sont d'ailleurs convaincus : c'est avec le peuple tout entier que l'on avance. La légitimité démocratique leur est nécessaire pour faire avancer leur pays, ce que vous leur refusez ici pour la troisième fois.

Mes chers collègues, laissez enfin le peuple kanak s'exprimer par les urnes et rejetez ce texte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre
Intitulé de la proposition de loi organique (début)

Article 3

La présente loi organique entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française.

Mme la présidente. L'amendement n° 11, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Gontard, Mellouli, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, M. Jadot, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement de suppression.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

I. – Remplacer les mots :

lendemain de

par les mots :

dixième jour suivant

II. – Compléter cet article par les mots :

, conformément à l'article 6-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. L'article 3 déroge au droit commun en imposant en Nouvelle-Calédonie une entrée en vigueur de la présente loi organique dès le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française.

Nous proposons de rétablir la vacatio legis de dix jours prévue par l'article 6-1 de la loi organique du 19 mars 1999. Ce délai n'est pas un luxe : c'est un principe de sécurité juridique. Il laisse aux institutions locales et aux services administratifs le temps de s'adapter, sécurise les opérations électorales – listes, financements, égalité des candidats, propagandes – et évite la confusion.

Dans un contexte où le fondement politique est contesté, notamment depuis la publication au Journal officiel de l'accord de Bougival, il serait imprudent de précipiter l'entrée en vigueur de la future loi organique.

Le rétablissement de la vacatio legis permettrait de neutraliser les effets d'annonce, de respecter les contentieux en cours et de garantir l'effectivité des dispositions dans un cadre clair et loyal. En somme, il s'agit d'éviter toute brutalité juridique et de prévoir du temps utile pour bien faire.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.

M. Ian Brossat. Permettez-moi de commencer mon intervention par une citation : « Les véritables intérêts de la France résidaient, comme nous n'avons cessé de le dire, dans la reconnaissance des droits nationaux du peuple algérien et dans l'établissement de rapports nouveaux avec une Algérie devenue indépendante, rapports fondés sur l'égalité des droits et la réciprocité des avantages. » Ces mots sont ceux du sénateur communiste Jacques Duclos, prononcés le 21 mars 1962 dans cet hémicycle, au sujet de la fin de la guerre d'Algérie.

Comme il l'a toujours fait, mon groupe continue de défendre les peuples colonisés face aux colonisateurs.

Alors que le peuple kanak dénonce la colonisation de son territoire par notre pays depuis 1853, il est temps que la France, qui se dit pays des droits de l'homme, s'engage dans le processus de décolonisation qui s'impose.

Pour mémoire, la Kanaky est inscrite sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser des Nations unies depuis 1986, date d'adoption par l'Assemblée générale de la résolution 41/41 A, qui affirme « le droit inaliénable du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l'autodétermination et à l'indépendance ».

L'ONU a également rappelé en 2001 que « les puissances administrantes devraient veiller à ce que l'exercice du droit à l'autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l'immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu'elles administrent ».

Dans ce contexte, le report des élections que nous étudions aujourd'hui va à l'encontre des engagements internationaux de la France. Nous devons donc rejeter cette proposition de loi et voter cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3
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Intitulé de la proposition de loi organique (fin)

Intitulé de la proposition de loi organique

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 8, présenté par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après les mots :

visant à

rédiger ainsi la fin de cet intitulé :

organiser le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

La parole est à M. Robert Wienie Xowie.

M. Robert Wienie Xowie. En cohérence avec notre position sur ce texte, avec la motion que nous avons déposée et tous nos amendements, nous vous proposons de modifier l'intitulé de la présente proposition de loi organique pour qu'il soit plus conforme aux aspirations du peuple kanak. Organiser des élections en Kanaky au plus vite s'impose, car le besoin de démocratie est criant.

À cet égard, je rappelle, madame la ministre, que Bougival est non pas un accord, mais un projet d'accord. Vous indiquez que vous ne pourrez pas faire sans le FLNKS. Comment comptez-vous donc faire avec le FLNKS, si vous foncez tête baissée sur le calendrier d'adoption de cette proposition de loi ?

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par MM. Kanner, Darnaud, Marseille, Malhuret et Patriat et Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après les mots :

Nouvelle-Calédonie

rédiger ainsi la fin de cet intitulé :

afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Je présente cet amendement au nom de Patrick Kanner, qui a bien voulu associer les présidents de groupe à la démarche transpartisane qui a inspiré le dépôt de cette proposition de loi.

En apparence symbolique, cet amendement vise à préciser l'intitulé de la proposition de loi organique et ne doit pas être sous-estimé au motif qu'il serait examiné en dernier. Bien au contraire, cet intitulé révisé constitue la véritable clé d'interprétation du texte que, comme l'espère Patrick Kanner, le Sénat s'apprête à adopter dans quelques instants.

Reporter une échéance électorale aussi longtemps n'est jamais une décision anodine dans une démocratie. C'est un choix lourd, qui engage l'intérêt général et la stabilité de nos institutions.

L'accord du 12 juillet 2025, chacun le sait, ne fait plus l'unanimité – c'est un fait. S'il constitue un socle de discussion, il demeure imparfait. Il doit être dépassé, régénéré et trouver sa conclusion sur le territoire lui-même, là où il devra s'appliquer dans le temps, dans la sérénité et la paix civile. Ainsi, le nouvel intitulé du texte que nous proposons a le mérite de rappeler expressément que l'accord du 12 juillet doit être qualifié de projet d'accord.

Aucune issue politique solide ne pourra être construite sans la participation de l'ensemble des forces calédoniennes aux négociations, qu'elles se tiennent en bilatéral ou dans un format tripartite. Il est donc essentiel d'éviter tout sentiment de passage en force et de maintenir un dialogue constant et une concertation sincère entre toutes les parties prenantes, afin d'aboutir aux clarifications nécessaires sur les points essentiels. C'est à ce prix seulement que la Nouvelle-Calédonie pourra bâtir un avenir commun, juste et pérenne.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 8, puisque son objet ne reflète pas le contenu des articles de la proposition de loi tels qu'ils ont été adoptés.

En revanche, la modification de l'intitulé que tend à prévoir l'amendement n° 1, proposé par Patrick Kanner et les présidents des groupes, par ailleurs auteurs du texte, nous paraît tout à fait conforme à l'objectif du report des élections provinciales figurant dans le rapport adopté hier par la commission des lois. Il s'agit de laisser davantage de temps pour permettre aux négociations de se poursuivre et d'aboutir au consensus le plus large possible.

Agnès Canayer et moi-même remercions Patrick Kanner d'avoir accepté de retirer cet amendement qu'il avait initialement déposé en commission, afin qu'il puisse être déposé en séance c ce soir en tant qu'amendement transpartisan.

La commission y est favorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Monsieur Xowie, vous ne serez pas étonné que j'émette un avis défavorable sur l'amendement n° 8, puisque l'intitulé qu'il tend à proposer est contraire à l'objectif de cette proposition de loi.

L'amendement n° 1 me paraît plus exact : l'intitulé proposé rappelle que le texte a vocation à permettre la poursuite des discussions de l'accord et sa mise en œuvre.

Le Gouvernement demeure pleinement mobilisé pour faire avancer les discussions dans le cadre de l'accord du mois de juillet dernier. Et je le confirme : le dialogue n'est pas rompu. Il se poursuit, et c'est bien l'un des objectifs du report de l'organisation des élections. Le Gouvernement est entièrement disponible pour poursuivre les échanges dans le cadre formé par la future loi organique et le projet de loi constitutionnelle.

L'intitulé ici proposé permet de faire ressortir l'engagement du Gouvernement. Je comptais m'en remettre à la sagesse du Sénat sur cet amendement, j'émettrai finalement un avis favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Naturel, pour explication de vote.

M. Georges Naturel. Je remercie les présidents de groupe d'avoir déposé cette proposition de loi et d'avoir proposé une réécriture de son intitulé, qui correspond totalement aux objectifs de nos débats : il s'agit de nous permettre de prendre du temps, parce qu'il en faut en Nouvelle-Calédonie. Je l'ai dit : c'est ainsi que nous fonctionnons, même si cela semble parfois long.

Madame la ministre, au mois de juillet, votre prédécesseur avait déjà essayé d'échanger avec le FLNKS et de s'enquérir des perspectives de trouver un accord. Il faudra poursuivre ces discussions. Je me tiens à votre disposition pour éclairer ce qui n'a pas été suffisamment précisé dans l'accord de Bougival.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi organique est ainsi modifié.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Annick Girardin, pour explication de vote.

Mme Annick Girardin. Je n'avais pas annoncé la position de mon groupe lors de la discussion générale, préférant me prononcer à l'issue de notre débat. En effet, il est important de s'écouter et d'identifier de possibles évolutions. Le groupe du RDSE dans son ensemble votera ce texte.

Je veux le rappeler : le FLNKS est une partie indispensable de la solution. En consultant le peuple tout entier, c'est la Calédonie dans son ensemble qui sera consultée. Ces élections doivent donc être préparées de manière concertée. L'information devra être donnée à l'ensemble de la population dans les prochaines semaines.

La modification de l'intitulé du texte est à mon sens un message envoyé par le Sénat au FLNKS. Elle montre que la discussion n'est pas figée et que rien n'est arrêté, que des évolutions sont possibles, que le débat n'est jamais terminé, que le dialogue se poursuit – on sait combien, en Calédonie, cela est important.

Chacun, ici, a compris que la décision de reporter les élections est prise en toute humilité. Plusieurs questions demeurent, mais nous resterons vigilants quant à la manière dont cet accord sera mis en œuvre en Calédonie, par étapes, avec l'ensemble de ses parties prenantes et avec ceux qui le rejoindront.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Ce texte, présenté comme une mesure de prudence ou d'apaisement, est en réalité un acte politique lourd de conséquences. Il suspend, à nos yeux, l'expression démocratique dans un territoire où le dialogue et la confiance entre les communautés doivent précisément être consolidés, et non bridés.

Madame la ministre, vous avez vous-même reconnu l'importance du FLNKS pour le devenir de ce territoire. Aussi, comment faire si cette formation n'est pas respectée aujourd'hui ?

Repousser les élections, c'est porter atteinte à l'équilibre délicat construit depuis les accords de Matignon et de Nouméa, qui ont permis à ce pays de sortir de la violence et de bâtir un destin commun.

L'accord de Nouméa, validé par référendum en 1998, a valeur d'engagement solennel. Il reconnaît le peuple kanak comme peuple premier et fixe une trajectoire de décolonisation progressive, fondée sur la citoyenneté calédonienne et la perspective d'une pleine souveraineté.

Je le redis, car, de notre point de vue occidental, nous peinons parfois à le comprendre : le gel du corps électoral est non pas une anomalie, mais un instrument de justice et d'équité historique, comme l'a récemment confirmé le Conseil constitutionnel.

L'expérience des dernières années a démontré qu'aucune solution durable ne peut être imposée depuis Paris. Les événements – j'oserai le dire – tragiques de mai 2024 ont rappelé à quel point les décisions précipitées, fondées sur des diagnostics erronés, pouvaient raviver les blessures du passé. Organiser les élections dans le respect du calendrier, c'est donc redonner la parole au peuple et recréer les conditions d'un dialogue apaisé et d'une légitimité partagée.

En 1988 comme en 1998, la France a su faire preuve de courage politique. En 2025, elle doit rester fidèle à cet héritage, au respect des peuples et au droit à la libre détermination.

Madame la ministre, les outre-mer ont tous leurs spécificités et nous ne pouvons que regretter, ce soir, qu'aucun Ultramarin n'ait été nommé ministre dans ce Gouvernement. C'est la première fois depuis 2002.

Mme Annick Girardin. C'est vrai !

Mme Cécile Cukierman. En l'état, vous l'aurez compris, nous ne voterons pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.

M. Philippe Folliot. Il est vrai que le sujet est éminemment complexe. Comme cela a été dit fort justement, l'accord de Bougival est reconnu par une majorité, mais pas par tout le monde. Georges Naturel l'a rappelé : il faut poursuivre, sur le terrain, l'effort de dialogue pour faire en sorte que l'ensemble des forces politiques du territoire parvienne à un consensus.

Depuis la France, nous pouvons avoir le sentiment que la Nouvelle-Calédonie est un territoire totalement fracturé. Pourtant, quand nous nous sommes rendus sur place, nous avons vu une autre réalité, notamment à l'échelon communal : des indépendantistes et des anti-indépendantistes travaillent de concert dans certains conseils municipaux.

Quelles que soient leurs origines, quel que soit leur choix – aller vers l'indépendance ou rester dans la République française –, les habitants de la Nouvelle-Calédonie, dans leur immense majorité, aspirent à vivre en paix. Ils veulent aussi asseoir des bases qui favoriseront le développement économique et social de leur territoire. Nous en avons assez peu parlé, mais sans une telle perspective, il sera difficile de parvenir à des accords politiques à moyen terme, quelles que soient les orientations qui seront déterminées.

Ce n'est pas de gaieté de cœur que nous repoussons des élections. Cela n'est jamais le cas dans une démocratie. Cependant, c'est la raison qui doit ici nous guider. C'est pourquoi je voterai ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je remercie les deux rapporteures, dont l'excellent travail nous a permis de débattre dans un cadre apaisé. Je salue également Mme la ministre, qui, à l'occasion de ce baptême du feu, a pu démontrer à la fois ses connaissances et sa capacité à entendre le Sénat – c'est une bonne chose.

Ma formation politique est depuis très longtemps actrice de ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie. Le président Kanner l'évoquait : Michel Rocard et Lionel Jospin ont su mener le long processus, qui n'a jamais été simple, mais au contraire exigeant, que nous poursuivons pour offrir un avenir à la Nouvelle-Calédonie.

Une fois que nous aurons eu ces débats constitutionnels, ô combien essentiels, nous devrons nous pencher sur la question économique et sur l'avenir de la jeunesse calédonienne : tous les enfants de la Nouvelle-Calédonie, quel que soit leur camp, désespèrent aujourd'hui.

Nous devrons également réfléchir à l'intégration régionale de la Nouvelle-Calédonie comme outil de développement, sans perdre de vue les risques de prédation d'un certain nombre de grandes puissances sur ce territoire. Beaucoup de questions nous attendent.

Nous formulons donc ce vœu : si nous votons ce texte, c'est dans l'espoir de permettre à l'ensemble des parties de se retrouver autour de la table et d'avancer. Quels que soient les signataires, il faudra bien aller plus loin et redonner de l'espoir à la population calédonienne. Sans cela, nous serons confrontés à une situation compliquée.

Nous voterons bien sûr ce texte.

Nous appelons aussi, madame la ministre, à associer davantage le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie à la suite des échanges. Il faut aussi changer de méthode, car nous aurons besoin d'éléments supplémentaires en vue du projet de loi constitutionnelle.

Je remercie tous ceux qui ont contribué à ce débat. Il n'y a pas d'un côté ceux qui sont pour la démocratie, de l'autre ceux qui sont contre : nous sommes tous à la recherche d'une solution et d'une avancée pour la Nouvelle-Calédonie.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, dont le Sénat a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 2 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 299
Contre 42

Le Sénat a adopté.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq,

est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Intitulé de la proposition de loi organique (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en oeuvre
 

6

Questions orales

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

avenir des concessions hydroélectriques

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, en remplacement de M. Pierre Jean Rochette, auteur de la question n° 703, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.

M. Daniel Chasseing. Deuxième source de production électrique après le nucléaire et première source d'électricité renouvelable, l'hydroélectricité occupe une place centrale dans notre approvisionnement en électricité et jouera un rôle majeur dans la réussite de la transition énergétique de notre pays. Elle est de plus la seule source d'énergie renouvelable permettant le stockage de l'énergie électrique.

Du fait d'un différend qui oppose notre pays à la Commission européenne depuis plus de vingt ans concernant l'application de la directive du 24 février 2014 sur l'attribution du contrat de concession, le renouvellement de la soixantaine de concessions hydroélectriques qui arrivent à échéance le 31 décembre prochain reste encore incertain.

À l'heure où nous sortons tout juste d'une crise énergétique, et alors que l'importance de la souveraineté de la France en la matière est régulièrement rappelée par le Gouvernement, le blocage de l'investissement dans le parc hydroélectrique qu'entraîne ce contentieux n'est pas tenable.

À la fin du mois d'août, Matignon annonçait avoir trouvé un accord de principe avec la Commission européenne et saluait le franchissement d'une étape importante pour la relance des investissements. On évoque le remplacement des concessions françaises échues par un nouveau régime d'autorisation.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les modalités de cet accord et les suites qui lui seront données ? Ne pensez-vous pas qu'il faut prévoir un financement spécifique pour développer les stations de transfert d'énergie par pompage (Step), afin de stocker l'énergie électrique, ce que ne peuvent faire ni les éoliennes ni les stations de production d'énergie photovoltaïque ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Je vous remercie, monsieur le sénateur Daniel Chasseing, de l'attention que vous portez à l'avenir de nos concessions hydroélectriques.

Comme vous l'avez souligné, l'hydroélectricité, première source d'électricité renouvelable en France, est un pilier essentiel de notre souveraineté énergétique.

Les concessions arrivant à échéance sont automatiquement prolongées sous le régime des délais glissants, ce qui permet de maintenir les exploitants en place et d'assurer la continuité de la production.

À la suite du rapport d'information sur les modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques des députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo, le Gouvernement a conduit des échanges approfondis – vous l'avez souligné, monsieur le sénateur – avec la Commission européenne.

Ces discussions ont permis d'aboutir à un accord de principe visant à clore les deux précontentieux en cours. Cet accord prévoit le passage d'un régime de concession à un régime d'autorisation pour l'exploitation de l'énergie hydraulique, la possibilité de maintenir les exploitants actuels et la vente aux enchères par EDF de 6 gigawatts de capacités hydroélectriques, au bénéfice des consommateurs.

Cet accord ouvre donc la voie à la relance des investissements dans l'hydroélectricité attendue par la filière, en particulier dans les stations de transfert d'énergie par pompage.

Une proposition de loi portée par les députés Battistel et Bolo sera d'ailleurs prochainement déposée pour mettre en œuvre cet accord et clore définitivement les contentieux. Le Gouvernement y apportera tout son soutien.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Dans un contexte où la production électrique excède la demande, ne serait-il pas judicieux d'accélérer le développement de l'énergie hydroélectrique, que l'on peut stocker grâce aux Step, et de freiner celui des énergies solaire et éolienne, qui sont par nature intermittentes et que l'on ne peut pas stocker ?

retour du loup

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, auteur de la question n° 598, adressée à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

M. Franck Menonville. Les attaques de loups se multiplient sur tout le territoire français, en particulier dans le département dont je suis élu, la Meuse, où, depuis le début de l'année, on a dénombré plus de 15 attaques qui auraient entraîné la prédation de 90 animaux.

Comme cela a été le cas cette semaine dans la Drôme, ces attaques se déroulent parfois en plein cœur de village.

Les conséquences pour nos éleveurs – on ne le dit pas assez – sont non seulement économiques, mais aussi psychologiques. Le désarroi de certains d'entre eux est tel qu'ils envisagent de cesser leur activité, ou tout au moins, l'élevage.

L'élevage en plaine et la dissémination des pâtures rendent la protection des animaux très difficile, car il faut consacrer du temps à la pose de clôtures et à leur entretien, ce qui emporte des coûts.

Les victimes, meurtries, sont pour certaines traumatisées, et nos éleveurs, découragés. Ils attendent le déploiement de davantage de moyens de protection et, surtout, la simplification des procédures encadrant les tirs de défense.

À cet égard, je salue les avancées significatives qui ont été obtenues par Mme la ministre, notamment le déclassement du statut de protection du loup. Pourriez-vous nous préciser comment cela se concrétisera dans nos territoires, monsieur le ministre ?

Les populations lupines présentes sur notre territoire étant à mon sens sous-estimées, envisagez-vous par ailleurs d'engager leur réévaluation afin d'adapter au mieux les capacités de prélèvement et de régulation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Franck Menonville, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de Mme la ministre de l'agriculture, retenue ce soir. Comme elle, étant moi-même élu d'un département affecté par la prédation du loup – la Saône-et-Loire –, je comprends que ces attaques vous préoccupent, car elles sont de plus en plus nombreuses et fragilisent profondément l'activité d'élevage dans votre territoire.

Dès sa prise de fonction, il y a plus d'un an, la ministre de l'agriculture Annie Genevard a fait du dossier du loup une priorité nationale. Si l'État consacre chaque année 52 millions d'euros aux mesures de protection et d'indemnisation, il faut aujourd'hui aller plus loin pour défendre concrètement les troupeaux, notamment dans les départements qui, à l'instar de celui dont vous êtes élu, monsieur le sénateur, sont les plus concernés.

Tel est l'objectif de l'arrêté du 21 juin 2025 qu'Annie Genevard a co-signé avec la précédente ministre de la transition écologique, lequel assouplit les conditions d'intervention dans les départements concernés par les attaques, comme la Meuse.

La ministre a également facilité le recours aux tirs de défense et renforcé l'appui opérationnel des lieutenants de louveterie et de l'Office français de la biodiversité (OFB).

À ce jour, 155 loups ont été prélevés, le plafond étant fixé à 192. La ministre est tout à fait favorable au relèvement de 2 % de ce plafond, de sorte que les éleveurs puissent se défendre jusqu'à la fin de l'année.

À l'échelon européen, la révision du statut de protection du loup, désormais actée dans la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive Habitat, marque un tournant. Elle reconnaît la nécessité d'une régulation raisonnée, fondée sur la réalité de terrain des territoires ruraux comme le vôtre, monsieur le sénateur.

Sachez enfin qu'un nouveau cadre national est en préparation, un décret en Conseil d'État étant en cours d'examen. Il permettra de simplifier les démarches qui sont actuellement discutées au sein du groupe national Loup animé par la préfète coordinatrice, d'harmoniser les règles de tir et de garantir une action rapide et proportionnée en cas d'attaque.

La ministre Annie Genevard veillera naturellement à ce que la Meuse bénéficie pleinement de ces avancées, dans le respect de l'équilibre entre biodiversité et pastoralisme. Elle ne manquera pas de vous tenir au courant de l'avancement de ce dossier.

traitement des enquêtes pour violences policières et cellules de déontologie

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, auteure de la question n° 643, adressée à M. le ministre de l'intérieur. (M. Patrick Kanner applaudit.)

Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le ministre, le 17 juin 2025, les médias Libération et Disclose révélaient des centaines de cas de violences sexuelles subies par des femmes de la part de gendarmes et de policiers. Ces hommes auraient profité du statut de victime et de la fragilité des femmes concernées.

Quelque 215 policiers et gendarmes, tous grades confondus, ont ainsi été accusés de faits de harcèlement sexuel, d'agression sexuelle ou de viol.

Si toutes les violences sexuelles sont insupportables, elles le sont d'autant plus lorsqu'elles sont commises par des membres des forces de l'ordre qui ont la confiance des femmes victimes, souvent venues déposer plainte et trouver refuge au commissariat ou à la gendarmerie.

Face à ces faits, les inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l'INPN et l'IGGN, doivent enquêter en toute indépendance et se montrer intraitables. Or depuis plusieurs années, les rapports annuels de ces inspections indiquent qu'elles ne traitent que 10 % des affaires pénales impliquant policiers et gendarmes, sans préciser par quel service les 90 % d'affaires restantes sont prises en charge.

S'agit-il de services spécialisés chargés des affaires internes, monsieur le ministre ? Quels sont leurs effectifs ? À quelle direction sont-ils rattachés ?

Je souhaite également vous interroger sur les cellules de déontologie, qui semblent jouer un rôle essentiel à Lyon ou à Lille. Sont-elles instituées dans tous les départements ? Quel est leur rôle exact ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame la sénatrice Corinne Narassiguin, M. le ministre de l'intérieur, retenu ce soir, vous prie d'excuser son absence.

Je tiens à rappeler au préalable que les forces de l'ordre jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les violences intrafamiliales et les infractions à caractère sexuel. Il peut toutefois arriver, comme vous le soulignez, que certains militaires ou fonctionnaires, pourtant soumis à un devoir d'exemplarité en toutes circonstances, soient mis en cause pour de tels faits dans le cadre de leur activité professionnelle ou de leur vie privée.

De tels agissements sont bien évidemment inacceptables et sont sanctionnés avec la plus extrême sévérité sur les plans pénal et disciplinaire. À cet instant, permettez-moi d'exprimer tout mon soutien aux victimes de ces agissements.

Sur le plan pénal, l'autorité judiciaire est systématiquement informée de ces situations par les responsables territoriaux de la police et de la gendarmerie. Les enquêtes sont confiées à des services extérieurs au mis en cause ou à la victime. Dans la gendarmerie, elles relèvent des sections ou brigades de recherche, l'IGGN n'intervenant que pour les affaires les plus complexes. Dans la police, elles sont menées par les directions territoriales ou les cellules de déontologie, l'IGPN n'étant saisie qu'en cas de fait grave.

Comme vous l'aurez compris, toute infraction pénale dont est suspecté un militaire de la gendarmerie ou un policier fait ainsi l'objet d'investigations adaptées, en toute objectivité et impartialité, toujours sous le contrôle effectif d'un magistrat.

Sur le plan disciplinaire, l'autorité hiérarchique engage en outre sans délai une enquête administrative indépendamment de la procédure judiciaire. Elle peut ensuite prendre les mesures appropriées, celles-ci pouvant aller jusqu'à la révocation de l'agent concerné.

En complément de l'action de l'IGGN dans les régions et les départements, un réseau de 700 référents égalité-diversité chargés de prévenir toute forme de discrimination et de violence, ainsi que 30 correspondants déontologues, assurent le suivi des signalements et leur traitement via une enquête interne.

Je puis donc vous assurer, madame la sénatrice, de l'engagement de la police et de la gendarmerie nationales, qui mettent en œuvre en la matière une politique disciplinaire rigoureuse. Elles ne transigent ni avec la déontologie ni avec le respect du droit.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour la réplique.

Mme Corinne Narassiguin. Je vous remercie de votre réponse, qui n'est toutefois que partielle, monsieur le ministre.

L'IGPN et l'IGGN ne traitant que 10 % des affaires de violences susvisées, nous avons besoin de transparence quant aux procédures assurant l'impartialité des services de police et de gendarmerie qui se voient confier en interne le reste de ces affaires. J'espère donc avoir davantage de précisions, peut-être en sollicitant plus directement le ministre de l'intérieur.

dérive liée à la généralisation de l'usage des obligations de quitter le territoire français

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, auteur de la question n° 666, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Akli Mellouli. Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue à M. le ministre de l'intérieur, à qui ma question est adressée. J'espère sincèrement que son arrivée marquera l'ouverture d'une nouvelle dynamique, plus humaine, plus rigoureuse aussi, mais fidèle à ce que notre République a de meilleur : la justice, la mesure et le respect de la dignité humaine.

Si je prends la parole aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est pour attirer votre attention sur une dérive profonde qui mine peu à peu notre cohésion républicaine : la généralisation de l'usage des obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF.

Ce mécanisme, prévu par la loi pour répondre à des situations précises, tend aujourd'hui à devenir une réponse réflexe, presque automatique, face à toute complexité migratoire, à tout dossier jugé trop compliqué, à toute personne simplement perçue comme étrangère. On pense non plus en droit, mais en OQTF.

C'est là, monsieur le ministre, une pente dangereuse, car lorsque la réponse administrative se substitue à l'examen individuel, lorsque le soupçon remplace l'instruction, c'est l'idée même de la République qui s'érode. Le droit n'est plus qu'un symbole et la dignité un dommage collatéral.

Je prendrai un exemple concret, humain, qui en dit long : le 2 juin dernier, une femme franco-algérienne de 58 ans, vivant en France depuis plus de trente ans, naturalisée en 1997, travaillant dans une crèche parisienne, a été interpellée à Roissy, à son retour d'Algérie.

Sans égard pour sa situation, sans instruction approfondie, une OQTF lui a été notifiée, assortie d'une interdiction de retour d'un an. Pourquoi ? Parce que, se fondant sur un faisceau d'indices contestables, un agent a estimé qu'elle ne résidait pas principalement en France.

Une telle décision brutale, disproportionnée, révèle à quel point une logique sécuritaire mal maîtrisée peut conduire à l'absurde. Loin d'être une exception, il s'agit d'un symptôme, monsieur le ministre.

Lors de chaque fait divers, au moindre soupçon, l'OQTF met un point final à une procédure expéditive. Sous la pression politique, sous la pression médiatique, on préfère la rapidité à la justesse, l'apparence à la vérité. Ce faisant, on instaure un cercle vicieux fait de soupçons, d'expulsions, d'agitations, de durcissements et d'injustices.

Ce que l'on présente comme une solution crée en réalité de nouvelles fractures : fractures entre les citoyens et leur administration, fractures entre la République et ceux qui voudraient encore y croire.

Si je ne conteste pas la nécessité de prendre, dans certains cas, des mesures de police administrative, je conteste leur banalisation. Je conteste que la République puisse renoncer à sa promesse de justice.

Ma question est simple, monsieur le ministre : allez-vous encadrer plus strictement les motifs d'émission des OQTF, de sorte que ces dernières ne s'appliquent plus à des citoyens ou à des résidents parfaitement intégrés, dont le seul tort est d'entrer dans une catégorie administrative floue ?

Au-delà, êtes-vous prêt à engager une évaluation publique, régulière et transparente des OQTF exécutées, qui nous donne les moyens de mesurer lucidement leur efficacité réelle et leur compatibilité avec les valeurs qui fondent notre République ?

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Akli Mellouli. Je forme le vœu que, sous l'autorité du ministre de l'intérieur, la République retrouve le sens de la mesure, de la justice et, surtout, le sens humain.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Mellouli, je ferai part au ministre de vos mots de bienvenue au sein de ce gouvernement.

Le séjour d'un étranger en France répond à un motif précis et s'inscrit dans un cadre défini. Les autorisations de circuler ou de séjourner sont données pour une durée précise, en application de la loi et de la réglementation européenne, les préfectures appréciant au cas par cas les situations individuelles.

En revanche, et cela va de soi, le Gouvernement, tout comme nos concitoyens, attend que lorsque les situations ne justifient pas un droit au séjour, les mesures prévues par notre cadre juridique soient appliquées. L'article 6.1 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, impose en effet aux États membres de l'Union européenne de prendre une décision de retour à l'encontre de tout étranger en situation irrégulière.

Ce point a été confirmé par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 22 juin 2021, qui a d'ailleurs sanctionné la pratique allemande par laquelle des tolérances de séjour dépourvues de véritable statut juridique étaient accordées, emportant des situations de « ni-ni », les ressortissants concernés n'étant ni régularisables ni expulsables.

Si le nombre d'OQTF augmente depuis plusieurs années en France, c'est d'abord en raison d'une pression migratoire plus importante sur notre territoire et d'une amélioration de la détection de celle-ci, laquelle se mesure par exemple via la hausse du nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière sur la voie publique – 147 154 en 2024, contre 123 800 en 2023.

La hausse du nombre d'OQTF prononcées est également la conséquence d'une application rigoureuse des possibilités de retrait-refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour pour des motifs d'ordre public, conformément aux dispositions de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Cette hausse montre que la police du séjour est exercée de façon diligente par les préfets.

Il est également probable qu'une partie de ces mesures soient prononcées à l'encontre des mêmes personnes, qui utilisent des alias afin d'empêcher leur identification, et, in fine, leur éloignement.

En définitive, monsieur le sénateur, le nombre de mesures exécutées est bien plus déterminant que le nombre de mesures prononcées. Or celles-ci sont en hausse de 27 % en 2024 et de plus 14,7 % à la fin août 2025, tout cela dans un cadre précis.

prise en charge des troubles du langage chez les enfants

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, auteur de la question n° 671, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.

M. Raphaël Daubet. Je souhaite vous parler ce soir d'un sujet qui mine de nombreuses familles dans notre territoire et qui, plus grave encore, met en péril la réussite et l'équilibre de nombreux enfants, monsieur le ministre : il s'agit de l'accès aux soins pour les plus jeunes.

Dans le Lot, département dont je suis élu, il faut aujourd'hui attendre deux à trois ans pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique (CMP). Deux à trois ans pour un enfant en souffrance, c'est une éternité. Pendant ce temps, les difficultés scolaires s'aggravent, l'estime de soi s'effondre, et des jeunes qui auraient pu s'en sortir décrochent peu à peu, et pour longtemps.

Ce ne sont pas les alertes qui manquent. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a récemment souligné l'ampleur de ces difficultés. En douze ans, les délais d'attente ont doublé, tandis que le nombre de pédopsychiatres a chuté de 16 %. Les orthophonistes sont eux aussi saturés.

Les médecins de la protection maternelle et infantile, comme ceux de l'éducation nationale, assistent pourtant à l'explosion, dès la maternelle, des troubles du langage et du développement.

Les remontées de terrain concordent : alors que de plus en plus d'enfants sont repérés, il y a de moins en moins de soignants pour les accompagner. Et la situation ne paraît pas sur le point de s'améliorer.

Ces enfants sont nos enfants, les enfants de la République. C'est pour leur avenir que nous devons nous battre. Au lendemain des Assises de la santé scolaire, quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il prendre pour que, partout sur le territoire national, chaque élève puisse accéder à une véritable prise en charge, monsieur le ministre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur Daubet, les difficultés que vous soulevez avec rigueur et sens des responsabilités sont en effet un sujet douloureux pour les familles concernées. Je vous prie de bien vouloir excuser ma collègue Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre chargée de l'autonomie et des personnes handicapées, qui m'a demandé de vous transmettre les éléments de réponse suivants.

Plusieurs leviers sont mobilisés par les agences régionales de santé (ARS) pour renforcer l'accompagnement du jeune enfant en pédopsychiatrie. L'ARS d'Occitanie, région qui vous est chère, monsieur le sénateur, accompagne activement l'institut Camille Miret, qui gère l'ensemble des cinq centres médico-psychologiques du département du Lot, afin d'assurer la continuité et l'adaptation de l'offre sur le territoire.

Le département du Lot bénéficie par ailleurs d'un maillage d'interventions spécifiques, notamment d'une équipe mobile adolescents complexes (Emac), portée par l'institut Camille Miret, laquelle est capable d'intervenir dans les établissements scolaires, les lieux d'accueil et auprès des familles. Afin d'éviter les ruptures de parcours, cette équipe pluridisciplinaire assure un accompagnement coordonné des jeunes présentant des troubles sévères.

En parallèle, la dynamique de renforcement des plateformes de coordination et d'orientation (PCO) se poursuit, la PCO du Lot affichant les meilleurs délais régionaux, soit 19 jours en moyenne. En 2025, l'ARS lui a attribué une dotation complémentaire de 100 000 euros pour étendre son action aux enfants de 7 à 12 ans, afin de réduire la pression sur les centres médico-psychologiques et d'améliorer le repérage précoce des troubles du neurodéveloppement.

Une feuille de route régionale engagée à l'automne 2025 vise en outre à optimiser la répartition des moyens en pédopsychiatrie, notamment pour la tranche 16-18 ans et la prise en charge des situations complexes.

L'ARS encourage et accompagne l'institut Camille Miret dans un redéploiement interne qui lui permettra de consolider son offre, notamment par la création d'un hôpital de jour pour adolescents à Cahors, à partir de capacités existantes aujourd'hui sous-utilisées.

Pour ce qui concerne les soins d'orthophonie, l'ARS accompagne la mise en conformité des centres médico-psychologiques avec les règles de conventionnement, tout en veillant à garantir la continuité des suivis dans cette phase transitoire. Des discussions nationales sont en cours pour pérenniser un financement simplifié de ces actes.

L'ensemble de ces actions illustre une stratégie volontariste, centrée sur la sécurisation des parcours, le soutien professionnel et la réorganisation progressive de l'offre dans le Lot.

Le cabinet de la ministre Parmentier-Lecocq se tient naturellement à votre disposition pour tout complément d'information, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, pour la réplique.

M. Raphaël Daubet. Vous avez conclu de la bonne façon, monsieur le ministre, en nous informant que des discussions nationales sont en cours. C'est précisément ce que nous attendons. Ces discussions doivent être accélérées.

Je connais bien l'Institut Camille Miret, dans le Lot. Il a besoin de beaucoup de soutien, il faut évidemment penser à lui, mais également à beaucoup d'autres établissements partout en France.

Pour en avoir discuté avec des psychologues et des médecins scolaires, je vous assure que nous pouvons sauver les enfants dont je parle. Il suffit que nous trouvions les moyens de leur tendre la main pour leur éviter l'échec scolaire, dont les conséquences sont gravissimes.

Il s'agit non pas de cas désespérés, mais bien souvent de gosses que nous n'avons malheureusement pas pu aider en temps voulu et qui n'ont pas eu la scolarité qu'ils auraient méritée.

prix du lait dans certaines enseignes de la grande distribution

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, auteure de la question n° 687, adressée à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le ministre, ma question s'adressait à Mme Genevard, ministre de l'agriculture, et concerne les prix de vente du lait dans certaines enseignes de la grande distribution.

En effet, alors que le prix du litre de lait avait été fixé autour de 1 euro, seuil minimum permettant de garantir une juste rémunération des éleveurs, nous constatons que cet engagement est contourné. Les promotions massives qui sont pratiquées, en particulier sur des packs familiaux, posent un double problème : d'une part, elles paraissent en contradiction avec les règles encadrant les promotions en volume et en valeur ; d'autre part, elles font craindre un non-respect du seuil de revente à perte majoré de 10 % (SRP+10).

Au-delà de ces manquements, c'est tout le cadre posé par les lois Égalim qui est fragilisé. Le principe de la marche en avant des prix, destiné à assurer une rémunération équitable des producteurs, est remis en cause.

Dans un département comme la Manche, où la filière laitière représente un pilier essentiel de l'agriculture, cette situation provoque une vive inquiétude. Nos éleveurs, déjà soumis à des coûts de production élevés, ne peuvent accepter que la grande distribution piétine les règles au détriment de leur travail et de leur revenu.

Monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour assurer le strict respect de la loi, renforcer les contrôles et garantir toute la transparence sur les pratiques de la grande distribution en matière de prix agricoles ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame le sénateur, dans votre région de Normandie, la chambre d'agriculture nous rapporte que le prix du lait payé par les laiteries aux producteurs, toutes qualités confondues, se maintient au-dessus de son niveau de 2023, autour de 515 euros pour 1 000 litres. Cela représente une hausse de 7 % par rapport à 2024.

Les prix du beurre et de la poudre s'infléchissent légèrement, tout en restant à des niveaux records pour le beurre et légèrement au-dessus de la moyenne des dix dernières années pour la poudre. Quant aux prix de vente aux consommateurs, ils baissent de 0,4 % pour les produits laitiers.

Le prix payé aux éleveurs étant en hausse et le prix de vente étant à la baisse, les industriels, qui sont le maillon de transformation, absorbent donc la pression de la distribution.

Vous mentionnez à juste titre les lois Égalim, qui ont instauré un seuil de revente à perte majoré de 10 % et un plafonnement des promotions. Le gouvernement précédent avait prolongé dans la loi ces deux mesures pour éviter le phénomène que vous décrivez.

Aussi la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) effectue-t-elle des contrôles pour veiller à la bonne application de ces principes. Les distributeurs qui les enfreignent font l'objet de lourdes sanctions.

Au-delà de ces contrôles, le Gouvernement partage votre objectif de renforcer l'édifice des lois Égalim pour assurer une véritable marche en avant, jusqu'au consommateur. Nous espérons pouvoir poursuivre le travail en ce sens.

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.

Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le ministre, je vous accorde que le prix du lait se maintient plutôt bien depuis 2023, mais il convient de toujours se montrer vigilant sur les pratiques parfois trompeuses de la grande distribution, car elles pénalisent nos agriculteurs. En effet, chaque centime perdu sur le prix du lait est un coup porté au revenu de nos éleveurs.

Sans sanctions fermes et sans un contrôle renforcé, les engagements pris resteront lettre morte et la crédibilité même des lois Égalim sera compromise. Dans la Manche comme partout en France, nos producteurs doivent être certains que leur travail est reconnu et justement rémunéré.

décrets d'application de la loi du 5 février 2025 sur le cancer du sein

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la question n° 723, adressée à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, ma question s'adressait à Mme la ministre de la santé.

La loi du 5 février 2025 visant à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle est une avancée majeure pour les milliers de femmes et les quelques hommes qui font face à la maladie et à ses conséquences.

Cette loi, dont j'ai été la rapporteure au Sénat, a suscité beaucoup d'espoir chez les acteurs de la société civile, les patientes et les associations. Elle a pour objet d'assurer un égal accompagnement des malades dans leur parcours de soins et de guérison.

J'ai eu l'occasion de rappeler à cette tribune que nous sommes toutes et tous égaux devant le cancer : il peut frapper n'importe qui. Mais nous avons également la capacité et la responsabilité d'appliquer ce même principe d'égalité dans la prise en charge de la maladie afin que les revenus et la situation sociale des patients ne soient plus des freins.

En ce mois d'Octobre rose, des initiatives sont prises partout dans le pays. Il s'agit d'un temps fort pour la promotion de la santé des femmes et du dépistage afin de faire reculer la maladie.

Toutefois, huit mois après sa promulgation, le Gouvernement n'a toujours pas pris les décrets d'application de la loi du 5 février 2025. Une loi a beau être votée par le Parlement, elle peut malheureusement rester dans les tiroirs du ministère de la santé.

Monsieur le ministre, une huitième ministre de la santé vient d'être nommée depuis 2022. Les femmes qui mènent le combat contre la maladie n'ont pas à être les victimes de la crise politique. La loi a été votée ; les promesses ont été entendues. Permettez-moi donc d'insister : quand le Gouvernement prendra-t-il les mesures réglementaires requises pour rendre effectifs ces droits nouveaux ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de l'industrie. Madame le sénateur…

Mme Cathy Apourceau-Poly. La sénatrice !

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Madame la sénatrice, la ministre Stéphanie Rist vous prie de bien vouloir excuser son absence.

Vous l'avez souligné, la question du cancer du sein revêt une importance fondamentale en ce mois d'Octobre rose.

Le Gouvernement a soutenu l'adoption de la proposition de loi que vous mentionnez, qui doit améliorer la prise en charge du traitement du cancer du sein.

Le décret permettant aux patients en cours de traitement de bénéficier de soins de support en ville sera très prochainement transmis pour examen au Conseil d'État, étape nécessaire avant sa publication. Le parcours global est actuellement réservé aux patients ayant achevé leur traitement.

Les travaux se poursuivent pour mettre en œuvre les autres dispositions de la loi en respectant l'intention des parlementaires. Je sais que vous y êtes attentive.

Toutefois, certaines dispositions de la loi sont déjà satisfaites et nécessitent d'être articulées avec le cadre existant. Par exemple, afin d'éviter toute redondance, la prise en charge à 100 % des actes et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein doit être harmonisée avec le régime des affections de longue durée, qui prévoit déjà une couverture intégrale des soins pour les patientes atteintes de cette maladie.

Enfin, sachez, madame la sénatrice, que le Gouvernement déploie plusieurs actions pour renforcer l'accompagnement des femmes atteintes d'un cancer du sein : un texte est en préparation pour améliorer la prise en charge des prothèses capillaires et une expérimentation pour prendre en charge des séances d'activité physique adaptée pour les patients atteints de cancer sera prochainement lancée dans plusieurs régions.

Le Gouvernement est et sera au rendez-vous.

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 20 octobre 2025 :

À seize heures et le soir :

Proposition de loi visant à permettre à une commune d'être intégrée, pour une partie de son territoire, à un parc naturel national (PNN) et, pour une autre partie, à un parc naturel régional (PNR), présentée par M. Jean Bacci (texte de la commission n° 42, 2025-2026) ;

Proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Mme Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 28, 2025-2026) ;

Proposition de loi relative aux formations en santé, présentée par Mme Corinne Imbert et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 36, 2025-2026).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

JEAN-CYRIL MASSERON