M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd'hui est important. Il est question, en effet, d'une relation fondamentale : le lien familial et le rapport qu'entretiennent les enfants avec leurs parents.
Si, la plupart du temps, la question de la prise en charge financière des besoins des parents n'est pas abordée frontalement, se fondant dans une solidarité familiale et intergénérationnelle plus large, on trouve bel et bien, inscrit à l'article 205 de notre code civil, ce qu'on appelle l'obligation alimentaire : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. »
Si cette obligation explicite est peu connue, c'est parce qu'elle est assez naturellement remplie. Dans la plupart des cas, il apparaît comme tout à fait normal, voire comme la moindre des choses, de prendre soin de ceux qui nous ont élevés.
La question se complique lorsque cette obligation concerne des parents défaillants, c'est-à-dire des personnes qui n'ont rien fait pour prendre soin de leur enfant, voire qui, au contraire, ont fortement gâché le début de son existence, laissant parfois des marques indélébiles.
Il y a les cas les plus graves, bien sûr, qui sont des crimes ou des délits – je pense au viol ou à l'agression sexuelle –, mais aussi des cas où l'enfant est élevé dans une indifférence totale, avec les conséquences que provoque le manque d'affection. Il devient alors difficilement acceptable, et même tout à fait insupportable, de devoir être solidaire de quelqu'un qui n'a jamais compris le début du commencement du mot « amour ».
Aussi, aux personnes concernées qui nous ont écrit ces derniers jours pour nous faire part de l'importance de cette proposition de loi et de ce qu'elle signifiait pour eux, je veux dire que nous comprenons leur souffrance.
Mais il ne suffit pas de la comprendre, nous devons surtout la considérer. C'est pourquoi je veux vivement saluer l'initiative de notre collègue Xavier Iacovelli qui, au travers de sa proposition de loi, met le doigt sur un sujet sensible, à la fois humainement et juridiquement. Par ce texte, il entend simplifier la procédure de décharge de l'obligation alimentaire.
Actuellement, il est possible de saisir le juge aux affaires familiales – la présence d'un avocat n'est alors pas obligatoire, bien que fortement recommandée – pour lui demander d'être soulagé de sa dette alimentaire. Cette procédure est très peu utilisée : le rapport indique que vingt-quatre saisines ont été enregistrées en 2024 et, au maximum, quarante-deux en 2020.
Se pose donc visiblement un problème d'accès au droit, soit par manque d'information, soit en raison des frais induits – malgré l'existence, je le rappelle, de l'aide juridictionnelle et des points d'accès au droit –, soit parce que cette procédure est insatisfaisante du fait de sa longueur.
Cette démarche judiciaire pose aussi et surtout la question de la preuve : même si l'on a subi des années de maltraitance ou de dédain, il peut être difficile de prouver ces faits devant le juge.
Nous avons déjà eu des débats sur les violences sexuelles commises contre les enfants et sur la difficulté de prouver ces violences, parfois des décennies après.
Xavier Iacovelli, qui est engagé sur ce sujet, propose aujourd'hui un dispositif innovant – d'aucuns diront, peut-être, qu'il est trop innovant. Il s'agit de permettre à un jeune âgé de 18 à 30 ans de se décharger, à vie et unilatéralement, de son obligation alimentaire en se rendant devant le notaire : voilà qui permettrait effectivement d'aller beaucoup plus vite.
Pour la rapporteure Marie Mercier, un tel dispositif serait susceptible d'engendrer un effet d'aubaine, dont l'importance pourrait varier selon que l'on décide ou non de borner cette nouvelle faculté dans le temps.
Les enfants pourraient s'exonérer de leur obligation sans réelle justification, faisant in fine peser la charge sur la collectivité. Exemple concret : ce serait au département de prendre en charge le coût de l'Ehpad pour ceux qui n'en ont pas les moyens. Néanmoins, ce phénomène est difficilement mesurable.
Vous l'aurez compris, mon groupe est favorable à la philosophie générale du texte, mais nous entendons les arguments juridiques avancés par la commission. Si nous notons les efforts de l'auteur de la proposition de loi pour y répondre, la question de la dénonciation unilatérale reste un point de désaccord.
Nous pensons également que l'examen de la situation par le juge offre davantage de garanties, qu'il est plus protecteur que le dispositif proposé.
Comment faire en sorte néanmoins d'améliorer les procédures existantes ? Comme dans d'autres matières, peut-être faut-il explorer la piste de l'aménagement de la charge de la preuve, et surtout améliorer le traitement humain des requêtes. C'est sur ce sujet qu'un engagement de la Chancellerie nous semble particulièrement nécessaire.
Dans l'attente des débats que nous allons avoir et des réponses que nous pourrons obtenir, le groupe du RDSE s'abstiendra majoritairement sur ce texte. (Mme le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui de la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli visant à permettre à un enfant de se libérer de son obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant.
Le sujet est sensible, profondément humain, car il touche à ce que notre droit civil a de plus intime : le lien entre parents et enfants, la réciprocité des devoirs familiaux, la solidarité entre générations, mais aussi la réparation des blessures de l'enfance.
Cette proposition de loi part d'une intention louable : protéger les victimes et éviter qu'un enfant maltraité ne soit un jour contraint d'assumer les charges d'un parent violent ou négligent.
En effet, dans certains cas, l'obligation alimentaire peut apparaître comme profondément injuste. Aujourd'hui, un enfant devenu adulte peut être contraint de subvenir aux besoins d'un parent avec lequel il n'a plus aucun lien affectif, parfois même après avoir subi des violences ou de la négligence. On comprend qu'il ne souhaite pas payer pour celui qui l'a blessé.
De ce point de vue, je le redis, l'esprit de la proposition de loi est louable : il s'agit de rétablir une forme de justice morale. Mais il faut rappeler que le droit français prévoit déjà des dispositifs permettant de s'exonérer de cette obligation alimentaire : une décharge s'applique déjà aux enfants qui ont été retirés de leur milieu familial et à ceux dont l'un des parents est condamné pour une agression sexuelle sur un autre membre de la famille, mais aussi, dans certains cas les plus graves, aux enfants dont le parent s'est vu retirer son autorité parentale par le juge pénal ou le juge aux affaires familiales. Peut-être faut-il en effet élargir les motifs de décharge, comme le prévoit l'amendement n° 6 rectifié bis.
Autrement dit, il existe déjà des voies de recours, parfois longues ou complexes, certes, mais bien réelles, et qui ont le mérite de s'appuyer sur l'appréciation du juge et sur un encadrement de longue date de la jurisprudence.
Le texte qui nous est présenté ne vient donc pas combler un vide juridique ; il vise plutôt à instaurer une procédure nouvelle, unilatérale, permettant de se décharger de l'obligation alimentaire par simple acte notarié, sans débat contradictoire ni décision du juge.
Toutefois, j'ai bien conscience que cette argumentation technique, juridique et un peu aride ne pèse pas bien lourd face aux attentes légitimes des associations et des particuliers qui nous interpellent sur ce texte.
Alors, raisonnons par l'absurde ! Supposons que ce texte soit voté, avec les amendements de notre collègue Iacovelli. Un jeune de 18 ans est victime de parents défaillants. Va-t-il aller chez le notaire ? A-t-il de quoi le payer pour lui dire que, dans l'hypothèse où, dans quarante ans, ses parents auraient besoin d'aide, il veut la leur refuser ?
Imaginons qu'il fasse la démarche : après tout, grâce à notre beau réseau associatif, il peut être informé de cette possibilité, voire aidé pour payer le notaire. Le parent en question reçoit donc un courrier du notaire : « Votre enfant vient de me faire savoir qu'à supposer qu'un jour vous ayez besoin d'aide il vous la refuserait, sauf si vous l'attaquez devant le juge ».
Si ce parent est vraiment malveillant, il attaquera l'enfant en justice : le temps que le jeune adulte pensait gagner en passant par un notaire sera perdu. Et la famille de s'expliquer devant le juge aux affaires familiales : « Il m'a maltraité », dit l'un ; « il a eu tout ce qu'il faut », dit l'autre. Aura-t-on davantage de preuves à produire qu'en allant directement devant le JAF ?
Imaginons maintenant que le jeune de 18 ans n'ait pas vraiment été maltraité. Si la loi est évidemment pensée pour les victimes, elle est en effet utilisable par tous. Or n'a-t-on pas tous des parents « nuls » quand on a 18 ans ?
M. Xavier Iacovelli. On ne peut pas dire ça !
Mme Dominique Vérien. Comment le parent bienveillant réagira-t-il ? Va-t-il envoyer son enfant devant la justice ? S'il s'agit juste d'une mauvaise passe, prendra-t-il le risque de rompre à jamais ?
Personnellement, si ma fille me faisait une chose pareille, je passerais le restant de mes jours à pleurer plutôt que de l'attaquer en justice. Heureusement, elle a plus de 30 ans !
Une autre question, pour finir : combien de personnes âgées sont seules dans des maisons de retraite, sans visite, sans amour ? Ont-elles toutes été de mauvais parents ?
Voilà pour le côté moral. J'ajouterai que le risque d'un effet d'aubaine, évoqué par la rapporteure, est bien réel. Un parent bienveillant pourrait laisser son enfant se décharger de son obligation alimentaire pour que le coût de l'Ehpad soit supporté par la collectivité nationale.
Par ailleurs, je le rappelle, les professions du droit concernées sont unanimement opposées à une telle mesure. Lorsque vous proposez une nouvelle mission payante à un notaire et qu'il la refuse, c'est probablement qu'il y a un problème… (Sourires.)
Au fond, cette proposition de loi illustre bien le proverbe : « L'enfer est pavé de bonnes intentions. » Et c'est regrettable tant nous sommes toutes et tous ici attachés à rendre notre droit et notre justice plus protecteurs des victimes.
Oui, il faut défendre les victimes, les enfants blessés par la vie, et leur éviter une double peine. Mais il ne faut pas pour autant fragiliser tout un pan du droit civil pour répondre à des situations particulières déjà prises en compte par la jurisprudence.
Mes chers collègues, nous devons avancer avec prudence.
Plutôt que de créer une exonération automatique, travaillons à améliorer les procédures existantes : clarifions la notion de manquement grave, accélérons les décisions judiciaires, renforçons l'accompagnement des victimes et la médiation familiale. Mais ne faisons pas d'une exception morale un nouveau principe de droit.
C'est pourquoi notre groupe suivra l'avis de la rapporteure : nous voterons, avec regret, contre cette proposition de loi. Toutefois, comme M. le ministre, nous sommes tout à fait prêts à faire avancer le traitement de ce sujet en travaillant à une rédaction un peu différente. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel est l'objet de cette proposition de loi ? Son auteur, que je salue, souhaite donner à tout enfant, entre sa majorité et ses 30 ans, la possibilité de se libérer par un acte notarié de son obligation alimentaire envers un parent qu'il estime défaillant.
Comme tous ceux qui m'ont précédé à cette tribune, je comprends et salue les motivations qui sous-tendent ce texte. Personne ne peut rester indifférent à la souffrance d'un enfant victime de violences ou de négligence parentales. Toutefois, si le groupe Les Indépendants considère que la simplification des démarches est un objectif légitime, celle-ci doit se faire dans le respect des principes fondamentaux de notre droit.
En effet, malgré l'émotion, nous ne devons pas perturber l'équilibre de notre système juridique, ni compliquer les règles de façon inutile. Le principe cardinal qui vaut depuis toujours en droit de la famille est la fameuse « paix des familles ». Il repose sur l'idée que la famille constitue une sphère privée au sein de laquelle les relations entre parents et enfants doivent se régler, dans la mesure du possible, sans ingérence de l'État – l'objectif est de préserver l'harmonie familiale.
En conséquence, le principe de solidarité familiale consacré par les articles 203 et 205 du code civil repose sur la réciprocité, comme l'a très justement rappelé notre rapporteure. Les parents doivent assistance à leurs enfants de la même façon que les enfants, en retour, doivent des aliments à leurs ascendants en cas de besoin.
En permettant à une personne de se décharger de son obligation alimentaire unilatéralement par un simple acte notarié, la proposition de loi instaure une procédure inconditionnelle et extrajudiciaire de rupture des obligations familiales.
Ce caractère unilatéral s'oppose directement à ce qui fait vivre aujourd'hui les règles du droit de la famille, à savoir la réciprocité. Cela revient aussi, je veux le souligner, à faire jouer au notaire un rôle qui n'est absolument pas le sien. En effet, dans notre droit, l'acte notarié est destiné non pas à régler des conflits, mais à constater des décisions.
Par exemple, dans le divorce par consentement mutuel, dans lequel le notaire peut intervenir, la procédure se fait bien sans le juge. Mais il s'agit d'une procédure consensuelle, qui a pour objet la rédaction d'une convention après accord des parties, accord trouvé grâce à leurs avocats.
Mmes Catherine Di Folco et Jacqueline Eustache-Brinio. Exactement !
M. Louis Vogel. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, il s'agit d'une procédure conflictuelle qui nécessite donc, selon les principes fondamentaux de notre droit, l'intervention du juge.
Par ailleurs, le droit actuel permet déjà de répondre à la situation que vise cette proposition de loi.
L'article 207 du code civil autorise le juge aux affaires familiales à décharger un débiteur alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers lui. Cette procédure judiciaire offre des garanties, préserve les droits des parties et permet d'atteindre, lorsque cela est justifié, l'objectif qui est celui de la proposition de loi.
En outre, et surtout, le dispositif qui nous est proposé renverse la charge de la preuve : il reviendrait au parent de démontrer qu'il a été bienveillant envers son enfant.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C'est dingue…
M. Louis Vogel. Demander à un parent de prouver sa bienveillance, c'est lui imposer de justifier de chaque instant d'une relation qui s'étend sur plusieurs années – au moins dix-huit –, exigence impossible à satisfaire. À partir de quand est-on bienveillant ? Quand commence-t-on à être défaillant ?
En vertu d'un principe fondamental de notre droit, il revient à celui qui allègue la faute de la démontrer. En l'espèce, nous ferions exactement l'inverse.
Enfin, l'imprécision des termes employés, « défaillance » et « bienveillance », utilisés alternativement dans le texte, constitue une extraordinaire cause de fragilité, qui sera une source de contentieux, ce qui est exactement le résultat inverse de celui qui est, à juste titre, recherché par l'auteur du texte.
Tout le monde contestera l'allégation de défaillance ! Entre la défaillance et la bienveillance, la différence est le plus souvent de degré. On n'est pas bienveillant ou défaillant : on est relativement bienveillant ou relativement défaillant.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Louis Vogel. Jusqu'à présent, notre droit permet d'éviter ce type de querelles. Évidemment, cela donne du travail aux avocats ; mais l'objectif du texte n'est pas d'éviter le recours à ces derniers…
Les auditions menées par notre rapporteure, Marie Mercier, dont je voudrais saluer la qualité du travail, ont d'ailleurs montré une opposition unanime des professionnels du droit, donc de ceux qui vivent ces situations.
C'est pourquoi, conformément à la position exprimée par la commission, le groupe Les Indépendants ne votera pas en faveur de cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si Portalis écrivait que « de bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir [car] elles sont la source des mœurs », il ajoutait également « qu'il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, [parce qu'il n'est pas] possible […] de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ».
Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui gagneraient à relire le Discours préliminaire du premier projet de code civil de 1801. En effet, le texte qui nous est soumis accomplit le prodige de révéler, avant même toute mise en œuvre, toutes les vicissitudes qu'il emporte.
En trois articles seulement, la proposition de loi balaie nombre de principes cardinaux de notre droit civil.
Exit le principe de la réciprocité de la solidarité familiale, issu de la codification napoléonienne de 1804, remontant lui-même au jus alimentorum romain, qui prévoit que les membres d'une même famille ont des devoirs naturels d'entraide et de soutien qui ne sont pas à sens unique, mais s'exercent réciproquement.
Exit encore les principes fondamentaux du droit des successions, tels que la prohibition des pactes sur succession future, en vertu de laquelle il n'est pas possible, en droit français, de renoncer à une succession non encore ouverte.
Exit, enfin, les principes directeurs du procès civil. Le texte permettrait ainsi à n'importe quel débiteur de se décharger de son obligation, sans prouver le moindre tort qu'il aurait subi, à rebours de la formule notoire du code de procédure civile selon laquelle « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Si cette proposition de loi fait preuve d'une inadéquation totale avec les fondements mêmes de notre patrimoine juridique, elle se rend également coupable d'un autre crime, bien décrit par Montesquieu : une loi inutile affaiblit les lois nécessaires.
Dans son excellent rapport, Marie Mercier nous rappelle les chiffres. Le contentieux fondé sur l'application du deuxième alinéa de l'article 207 du code civil est infime. Aux termes de cet article, le juge aux affaires familiales pourra décharger le débiteur « de tout ou partie » de sa dette alimentaire lorsque « le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur ».
On relève chaque année, sur ce fondement, une vingtaine de saisines du juge aux affaires familiales, d'après les données transmises par la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice.
Ce contentieux est donc infime, non pas parce que les mauvais parents n'existent pas en France, mais parce que les manquements dont il est question sont en réalité déjà sanctionnés par le juge d'une décharge de l'obligation alimentaire ; en témoignent les nombreuses illustrations fournies par la jurisprudence, sur laquelle nous ne reviendrons pas.
Comme le disait en commission notre collègue Francis Szpiner, ne sortirait de ce texte qu'une « usine à gaz ».
Soyons raisonnables, cessons d'être bavards, ne créons pas des contentieux qui n'existent pas et réfléchissons davantage au message que nous souhaitons envoyer à nos enfants : celui de la solidarité entre les générations ou celui d'un individualisme effréné ? (Protestations sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Ça n'a rien à voir !
Mme Catherine Di Folco. Je veux saluer la justesse du travail de notre rapporteur, chère Marie Mercier, qui jusqu'au bout a fait un important effort d'analyse pour « sauver » quelques dispositions de ce texte. Notre groupe Les Républicains est pleinement en accord avec sa position et votera le rejet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, imaginez un instant devoir subvenir aux besoins d'un parent qui vous a abandonné, négligé, parfois même maltraité. Une telle situation, des milliers de personnes la vivent aujourd'hui en France hexagonale et dans les territoires d'outre-mer.
Aussi le groupe RDPI a-t-il fait le choix d'inscrire au sein de sa niche un texte courageux, visant à faire bouger les lignes, mais surtout à replacer les victimes au centre de notre modèle.
Nous saluons la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli, qui vise à alléger le fardeau des victimes de parents défaillants. Derrière cette défaillance, en effet, on trouve des vies brisées par des faits de violence psychologique, physique ou économique qui peuvent aller jusqu'à des privations alimentaires et à des sévices.
L'ambition de ce texte est claire : offrir une voie nouvelle, adaptée à la réalité de ces victimes adultes. Oui, ce texte est ambitieux, mais ce n'est pas sans raison : il pose le principe selon lequel la solidarité familiale ne peut être automatique lorsque la responsabilité parentale a été gravement négligée.
Il y est affirmé qu'on ne peut imposer une obligation alimentaire à celui qui a déjà été victime de l'abandon, du déni ou du manque de soins, de violences de toute nature.
Cette proposition de loi constitue une rupture, certes, mais une rupture salutaire pour celles et ceux qui sont touchés.
Il est aussi essentiel de rappeler que cette obligation alimentaire survient souvent à un âge tardif pour l'enfant devenu adulte, parfois après des années sans contact avec le parent concerné.
En théorie, il est possible de demander à être exonéré de l'obligation alimentaire à tout moment. Mais, dans les faits, cette démarche n'intervient qu'au moment où l'obligation est mise en œuvre, souvent tardivement, lorsque la demande de contribution est déjà engagée et particulièrement coûteuse.
Cet état de fait n'est pas satisfaisant.
La proposition de loi que nous examinons vise donc à alléger la charge procédurale qui pèse sur l'enfant victime, afin de garantir sa reconstruction en tant qu'adulte dans un climat plus serein.
La commission n'ayant pas souhaité s'engager dans une démarche de coconstruction du texte, notre collègue Xavier Iacovelli a tenu à faire des propositions rassembleuses, par voie d'amendements de séance, afin d'aboutir à un texte qui tienne compte des blessures profondes des victimes.
Mes chers collègues, au-delà des positions partisanes, nous vous invitons à travailler dans un esprit collectif, car cette proposition de loi changera l'avenir des près de 100 000 victimes mineures qui font chaque année l'objet de violences intrafamiliales. C'est à nous, législateurs, de faire preuve de courage, de justice et d'ambition.
Dans ces conditions, le groupe RDPI, désireux de recentrer notre modèle sur les victimes, votera fièrement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis ce matin d'un sujet lourd, d'un sujet grave, qui mérite toute notre attention. La personnalité de l'auteur du texte indique assez l'importance à accorder à cette question, car nous connaissons l'investissement de Xavier Iacovelli sur la question des droits de l'enfant.
J'en profite pour dire que nous regrettons que le Sénat ait refusé la création d'une délégation aux droits de l'enfant, qui serait tout aussi opportune que l'est la délégation aux droits des femmes ; de telles instances nous permettent d'avancer, de manière souvent transpartisane, sur des sujets délicats, qui ne sont pas forcément nouveaux, mais dont il est enfin admis qu'il faut les prendre en compte et élaborer à cette fin des solutions nouvelles.
Il nous est donc proposé ce matin d'améliorer la législation en vigueur, en donnant la possibilité à un descendant de ne pas avoir à subir l'obligation alimentaire à l'égard d'un de ses parents, s'il estime que cela n'est pas tolérable au regard du comportement passé de cet ascendant.
Lorsqu'on se penche sur le sujet, on note qu'il existe d'ores et déjà des dispositifs prévus à cet effet. Tout un chacun n'en a pas forcément conscience, mais ceux qui sont ici ce matin le savent.
Tout d'abord, et cette possibilité a été introduite assez récemment dans notre droit, un enfant peut être déchargé de l'obligation alimentaire lorsque le parent concerné a été condamné pour violence à son égard ou à l'égard de l'autre parent.
Ensuite, un enfant qui a été placé avant sa majorité durant une période de plus de trente-six mois cumulés peut également être déchargé de son obligation alimentaire.
Enfin, troisième voie, il est possible de contester devant un magistrat, en motivant sa demande, le bien-fondé d'une obligation alimentaire.
Le dispositif est donc complet. Néanmoins, nous dit-on, ces possibilités nécessitent une démarche de l'enfant ; il faudrait donc prévoir une formule beaucoup plus souple pour lui permettre de se décharger de l'obligation alimentaire de sa propre initiative, par une démarche unilatérale, non contradictoire, devant un notaire.
Je ne partage pas, à cet égard, tous les propos que j'ai entendus ce matin. Je ne crois pas qu'il faille nécessairement, au motif que cela a toujours été ainsi, ne rien changer au droit positif : si tel était le cas, nous ne serions pas là. En revanche, les principes fondamentaux du droit, eux, doivent être respectés ; je suis ravie de le dire devant le Sénat, qui l'oublie parfois, voire souvent.
J'observe qu'il n'existe pas dans notre code civil de possibilité de se décharger d'une obligation – il s'agit bien en l'espèce d'une obligation, et non d'un droit – par simple déclaration unilatérale devant un notaire. Aux termes du dispositif proposé, dont j'ai bien noté qu'il serait proposé de l'amender au cours de la discussion, il deviendrait possible, entre 18 et 30 ans, de se libérer de son obligation alimentaire à l'égard de l'un de ses parents, par simple acte notarié. Ledit parent aurait ensuite six mois pour contester cette décharge devant le juge aux affaires familiales et démontrer qu'il a fait preuve de « bienveillance envers l'enfant », pour reprendre le texte de la proposition de loi.
Je l'ai dit devant la commission des lois, en partie pour faire sourire mes collègues, car nous nous entendons tous très bien : je ne sais pas comment on prouve que l'on est un parent bienveillant. Nous sommes nombreux ici à avoir des enfants, et nous avons sans doute tous été des parents formidables… Mais je ne sais pas comment nous le prouverions ni comment nous pourrions, le cas échéant, nous défendre du reproche de maltraitance ; car on peut être en apparence bienveillant à l'égard de ses enfants, mais en réalité les maltraiter dans le secret de la famille.
Le dispositif est non seulement déséquilibré – pour résoudre certains problèmes sans doute bien réels, on place les parents dans une situation telle qu'ils seraient incapables de répondre s'ils se trouvaient accusés des manquements dont il est question –, mais également toxique. Je sais bien que personne ici n'a de reproches à faire à ses parents, et que nous n'avons jamais aucun conflit avec nos enfants… (Sourires.) Mettons néanmoins qu'un jour l'un d'eux engage unilatéralement, devant notaire, une démarche pour se dégager de son obligation alimentaire : les relations promettent de devenir compliquées…
Pour résumer, nous croyons, pour notre part, au pouvoir régulateur du juge. Nous estimons que la procédure existante, qui est stabilisée, est suffisamment protectrice. Des amendements seront débattus tout à l'heure, mais le principe même d'une déclaration unilatérale sans contradictoire devant notaire nous paraît substantiellement vicié.
En conséquence, nous n'approuvons pas le mécanisme proposé, mais nous restons soucieux de trouver une solution au problème soulevé, qui est bien réel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Dominique Vérien et MM. Marc Laménie et Louis Vogel applaudissent également.)