M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons répond à une attente forte de la part des victimes d'abus ou d'abandon de la part de leurs parents, alors qu'en France, en 2025, un enfant sur huit est victime de maltraitance et un enfant sur dix est victime d'inceste.
L'obligation alimentaire contraint chaque personne à aider son parent dans le besoin, y compris quand ce dernier a été l'auteur de maltraitances physiques, d'un abandon de famille ou de viols incestueux. Cette obligation constitue une injustice évidente : après avoir survécu à des violences commises par un de leurs parents, les enfants sont contraints de payer pour l'aider. Aux violences subies et aux traumatismes s'ajoute, dans la loi française, l'obligation alimentaire qui plane au-dessus de la tête des victimes toute leur vie.
La présente proposition de loi vise à instaurer le droit pour l'enfant, entre 18 ans et 30 ans, de renoncer à cette obligation par acte notarié, dispense que le parent concerné pourrait bien sûr contester, la charge de la preuve lui incombant.
Je remercie Xavier Iacovelli, car son texte représente une avancée essentielle pour la dignité de nos concitoyens victimes de leurs parents.
Le texte lève le voile sur les violences intrafamiliales qui meurtrissent les enfants toute leur vie durant. Les victimes nous disent qu'elles n'acceptent pas d'être liées à leur bourreau jusqu'à leur décès. Au-delà de la question strictement financière, elles veulent avant tout pouvoir rompre tout lien avec ce parent bourreau, et nous supplient de les autoriser à tourner la page.
L'adoption de cette proposition de loi permettrait aux victimes de se libérer plus facilement, en leur évitant un parcours judiciaire et administratif long, éprouvant et toujours coûteux.
Actuellement, seule une décision judiciaire difficile à obtenir permet d'exempter un enfant de son obligation alimentaire : il doit saisir un juge aux affaires familiales et démontrer que son parent a été maltraitant ou négligent. Mais comment prouver ce que l'on ne voit plus ? Les blessures d'enfance sont souvent invisibles et, des décennies plus tard, les preuves matérielles sont impalpables.
Ce parcours judiciaire imposé condamne les victimes à une double peine : il les force à revivre leur traumatisme tout en les confrontant à l'impossibilité de prouver leur souffrance.
La loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, dite loi « Bien vieillir », a introduit certaines exemptions, notamment quand le parent a été condamné pour crime sexuel sur son enfant ou sur l'autre parent. Encore faut-il que l'auteur ait été condamné ; or rien n'est moins certain, à l'heure où 20 % seulement des victimes d'inceste portent plainte, et où 1 % des plaintes aboutissent à une condamnation.
Comment peut-on penser que le droit actuel permet réellement aux victimes de se libérer de l'obligation alimentaire ? Dans la réalité, les victimes se sentent souvent seules et abandonnées. Elles doivent fréquemment se sauver elles-mêmes, toute leur vie et à leurs frais, dans un contexte où le système juridique reste inopérant pour la majorité d'entre elles, car les moyens n'y sont pas toujours à la hauteur des besoins. La création de pôles judiciaires spécialisés dans les violences intrafamiliales continue d'ailleurs de se faire attendre…
La commission, tout en saluant l'intention louable qui a présidé au dépôt de ce texte, a soulevé les difficultés juridiques qu'il pose. Je regrette qu'elle n'ait pas choisi de l'améliorer ; l'enjeu était pourtant de respecter les revendications des enfants, éternelles victimes de leurs bourreaux.
La commission a insisté sur la solidarité familiale comme principe cardinal du droit civil français, reposant sur la réciprocité des devoirs entre ascendants et descendants. Mais où est la réciprocité quand un enfant doit se soumettre à une obligation alimentaire envers son géniteur lors même que celui-ci a gravement failli à ses devoirs ?
Oui, notre conception de la famille a évolué. Elle n'est plus fondée sur l'autorité inébranlable d'un parent ayant tous les droits, y compris celui de manquer à ses devoirs. En 2025, il est acquis qu'il nous revient, à nous, parlementaires, de protéger les enfants, y compris de leurs parents, quand cela est nécessaire. Le groupe CRCE-K votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, étant la dernière à intervenir en discussion générale, j'ai eu l'occasion d'entendre tous les arguments pour et contre ce texte, et je dois dire qu'un certain nombre de ces derniers me dérangent.
Si cette proposition de loi a été déposée, c'est parce qu'un problème se pose bel et bien : aujourd'hui, en France, des femmes et des hommes devenus adultes sont sommés de subvenir aux besoins de ceux qui les ont violentés, abandonnés, parfois simplement ignorés, maltraités, dans tous les cas traumatisés.
Il faut reconnaître en effet que, de fait, l'immense majorité des victimes, quels que soient par ailleurs le degré et la nature de la maltraitance ou de la défaillance en question, n'est jamais passée et ne passera jamais devant un juge, que cela nous plaise ou non.
Tel est le combat légitime mené par le collectif Les Liens en sang, né des témoignages de celles et de ceux qui, après avoir subi des violences, se sont retrouvés obligés par l'État d'aider leur bourreau quand l'obligation réciproque n'avait pas été honorée.
Oui, c'est vrai, la loi permet déjà, dans certaines conditions, de s'exonérer de l'obligation alimentaire. Toutefois, dans les faits, dans la vraie vie, la procédure prévue à cet effet n'est ni satisfaisante ni suffisante. Bien souvent – dans la plupart des cas –, les violences n'ont été ni repérées ni condamnées dans l'enfance. Il est très difficile de les prouver et, bien souvent, on n'a ni la force ni les moyens de le faire.
L'initiative de notre collègue Iacovelli est donc pertinente, car elle vise à apporter une réponse, ouverte à la discussion, à un vrai problème. Et je dois dire, mes chers collègues, toute l'indécence qu'il y a selon moi à marteler l'argument de l'effet d'aubaine.
Le dispositif proposé soulève, il est vrai, des questions juridiques et techniques sérieuses. La commission des lois a ainsi relevé, à juste titre, l'imprécision de la notion de « bienveillance », employée alternativement avec celle de « parent défaillant », ce qui rendait le dispositif peu clair. Elle a également signalé que, la procédure notariée pouvant être engagée sans condition de motivation, la possibilité de recours s'en trouvait fragilisée.
Mon groupe a d'ailleurs déposé deux amendements : l'un pour supprimer l'article 3 relatif à la perte des droits successoraux, qui ne nous paraît pas pertinent ; l'autre pour supprimer la limite d'âge de 30 ans, laquelle ne tient pas compte des questions d'amnésie traumatique ou d'emprise familiale, ni du fait que, tout simplement, dans les faits, le besoin de soutien s'exprime le plus souvent quand les parents sont âgés, c'est-à-dire quand leurs enfants ont plus de 30 ans.
D'une manière générale, la commission, suivie en cela par un certain nombre d'entre vous, mes chers collègues, argue que le dispositif proposé bouscule un principe fondamental du code civil, celui de la solidarité familiale. Vous remarquerez qu'on ne parle jamais autant de solidarité familiale que lorsqu'il s'agit précisément de pallier ses défaillances…
Mais bousculer et réinterroger un principe du droit civil, est-ce par définition une mauvaise chose ? Au fond, n'y a-t-il aujourd'hui, en 2025, aucune raison légitime de se demander si notre code civil doit nécessairement faire perdurer un modèle selon lequel c'est l'appartenance familiale, même dans ses liens asymétriques, non réciproques et non choisis, qui doit dicter l'assistance mutuelle que se doivent les membres d'un groupe, seul un tribunal étant en mesure d'en prononcer la décharge ?
Quitte à vous choquer, mes chers collègues, je ne le pense pas : la question posée par notre collègue – je pense y compris à la procédure unilatérale – n'est pas, me semble-t-il, une mauvaise question.
Certes, le texte n'est pas parfait ; il ne le serait toujours pas même si nos amendements étaient adoptés. Oui, il doit être encore amélioré, car il reste à trouver le bon mécanisme pour permettre aux personnes concernées de se libérer d'une obligation moralement viciée et pourtant aujourd'hui juridiquement fondée.
Néanmoins, malgré ses imperfections, la proposition de loi de notre collègue soulève une vraie question, une bonne question, et lui apporte une amorce de réponse. Pour cette raison, afin de laisser une chance à la navette parlementaire de se poursuivre, donc au texte d'être enrichi, mon groupe votera pour. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, CRCE-K et RDPI.)
M. François Patriat. Merci !
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
Article 1er
L'article 207 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Toute personne majeure peut, par acte notarié, se libérer de l'obligation alimentaire, prévue à l'article 205, à l'égard d'un parent défaillant. L'enfant n'aura pas besoin de motiver sa décision.
« Cette déclaration devra être effectuée à partir de la majorité et jusqu'à la veille des trente ans de l'enfant. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2, seconde phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
L'acte notarié comprend, outre les éléments relatifs à la filiation du requérant, les motifs justifiant la dérogation à l'obligation alimentaire. Cette déclaration peut être effectuée à partir de la majorité et jusqu'à la veille des trente ans de l'enfant.
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« La défaillance parentale résulte d'un ou plusieurs manquements graves aux obligations imposées par l'article 371-1 du code civil durant la minorité de l'enfant. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Ainsi que je l'ai annoncé en commission et lors de la discussion générale, j'ai déposé plusieurs amendements pour améliorer mon texte, prendre en compte les remarques des collègues qui ont bien voulu faire des propositions, mais aussi tirer les conséquences des auditions du Conseil national des barreaux et du Conseil supérieur du notariat.
En particulier, nous proposons d'apprécier désormais la notion de défaillance parentale à la lumière du droit existant, en faisant référence à l'article 371-1 du code civil.
Cet article, pilier du droit de la famille, définit l'autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant ». Il y est précisé que l'autorité parentale a pour but de « protéger [l'enfant] dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne », et « s'exerce sans violences physiques ou psychologiques ».
En s'appuyant sur ce fondement, le dispositif gagne en sécurité juridique, tout en consacrant le principe de la non-réciprocité entre le parent défaillant et l'enfant victime.
Lorsqu'un parent a gravement manqué à ses devoirs, il peut tout de même exiger de celui qu'il n'a pas protégé qu'il assume, le moment venu, l'obligation alimentaire. L'article 1er est important, car il consacre, pour ces enfants une fois devenus adultes, le droit de se libérer d'un lien juridique qui ne saurait perdurer dès lors qu'il n'a jamais été honoré par leur géniteur.
Cet amendement traduit un compromis équilibré entre l'exigence juridique et l'exigence morale. Il a été rédigé en prenant en compte les informations que la commission des lois a bien voulu nous fournir, et en concertation avec les avocats, les notaires et la Chancellerie.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Nous proposons, par cet amendement, de supprimer les bornes d'âge – 18 et 30 ans – applicables à la procédure de décharge de l'obligation alimentaire par acte notarié.
En effet, dans la réalité des situations familiales dont il est question, lorsqu'il s'agit d'activer ou de contester l'obligation alimentaire, les enfants ont souvent plus de 30 ans. La logique d'une telle borne d'âge nous échappe : nous ne comprenons pas pourquoi les enfants de moins de 30 ans auraient le droit de recourir à une procédure notariée unilatérale, tandis que ceux qui ont plus de 30 ans seraient dans l'obligation de saisir le juge aux affaires familiales.
Il nous semble plus cohérent, eu égard à l'objectif, de laisser à tout âge la possibilité d'avoir recours à cette procédure.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
trente
par le mot :
soixante
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Dans la même logique, nous considérons que la limite des 30 ans réduit significativement la possibilité de s'exonérer de l'obligation alimentaire.
En effet, rien n'indique qu'à 30 ans on a eu le temps de prendre conscience de l'obligation alimentaire que l'on doit à ses parents. Il est tout à fait concevable de ne découvrir l'existence d'une telle obligation qu'une fois passé ce délai d'âge, au moment où l'on doit effectivement aider son parent dans le besoin, tout comme il est possible de ne découvrir qu'après 30 ans que l'on aurait eu la possibilité de s'en exonérer.
Par ailleurs, le phénomène d'amnésie traumatique est très fréquent chez les personnes victimes d'inceste. Il n'est pas rare qu'une personne ne se remémore les viols qu'elle a subis que des décennies plus tard, quand le crime est prescrit et que l'agresseur ne peut plus être condamné.
Dès lors, la possibilité de se libérer de l'obligation alimentaire est bien la moindre des réparations que la justice peut apporter aux victimes. Aussi proposons-nous de repousser la limite d'âge à 60 ans, afin que les victimes ne soient plus entravées dans les démarches qu'elles sont susceptibles d'engager pour obtenir cette exonération.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Par souci de clarté, j'émettrai d'abord l'avis de la commission sur l'amendement n° 3 rectifié, qui vise à réécrire le dispositif, avant de me pencher sur les amendements nos 1 et 8, qui ont trait à la limite d'âge.
L'amendement n° 3 rectifié a pour objet de remédier aux difficultés juridiques identifiées durant les travaux de la commission. Nous avons examiné cette proposition de réécriture avec la plus grande attention, car elle apporte quelques évolutions bienvenues par rapport à la copie initiale. Je songe en particulier à la motivation de l'acte notarié et à la définition de la notion de « défaillance parentale ».
Néanmoins, la rédaction demeure insuffisante, pour deux raisons principales qui apparaissent insurmontables.
D'une part, la logique même du dispositif demeure, puisqu'il s'agit toujours d'autoriser une personne à se décharger unilatéralement d'une obligation réciproque. Une telle disposition serait absolument inédite en droit, du moins si l'on omet le pacte civil de solidarité (Pacs). Or le Pacs est de nature contractuelle ; l'obligation alimentaire, elle, est non pas un contrat, mais l'une des expressions les plus importantes de la solidarité familiale. Par conséquent, le principe même du dispositif proposé nous semble vraiment problématique en droit.
D'autre part, l'obligation de motiver l'acte n'enlèverait rien au fait que celui-ci serait adopté devant notaire. Or un notaire ne dispose absolument pas des pouvoirs d'investigation qui sont ceux d'un juge. Ainsi que l'auteur du texte l'a lui-même suggéré – l'expression vient de lui –, le risque d'un « effet d'aubaine » demeure donc entier.
J'en viens aux amendements nos 1 et 8 : ils visent, pour l'un, à supprimer la limite d'âge et, pour l'autre, à l'étendre ; or cette limite a été conçue par l'auteur de la proposition de loi comme un garde-fou destiné à limiter le fameux effet d'aubaine dont il a lui-même fait cas. En outre et surtout, la commission est opposée à ce dispositif.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Bien que je ne comprenne pas pour quelle raison ces trois amendements sont en discussion commune – il me semble qu'il aurait fallu examiner l'amendement n° 3 rectifié à part –, je souhaite répondre aux arguments avancés par certains de nos collègues lors de la discussion générale et par Mme la rapporteure à l'instant.
J'ai entendu beaucoup d'entre vous se demander comment le parent pourra justifier qu'il a été un parent bienveillant ; mais aucun d'entre vous ne s'est demandé comment fera l'enfant, devenu adulte, pour démontrer, des années après les faits, qu'il a été maltraité, abandonné ou affectivement délaissé, bref qu'il y a eu défaillance au regard des obligations parentales définies à l'article 371-1 du code civil.
Je veux bien que l'on soit attentif à protéger les droits de l'accusé, c'est-à-dire, dans bien des cas, du bourreau, mais quid de la victime ? Avant de tenter de justifier l'injustifiable, il convient de prendre en compte le point de vue de la victime !
Si nous proposons d'ajouter au texte l'obligation de motiver l'acte notarié, c'est pour assurer la stabilité juridique du dispositif. Ce faisant, nous ne renonçons pas à la procédure de l'acte notarié, gage d'une simplification qui me paraît tout à fait nécessaire, ainsi que nos collègues écologistes et communistes l'ont rappelé.
En ce qui concerne la borne d'âge, je ne comprends pas l'argument de l'effet d'aubaine. Je suis désolé, chère collègue Vérien, mais à 18 ans on ne pense pas que ses parents sont « nuls » au point de demander par avance à être déchargé d'une obligation alimentaire qui sera – peut-être ! – due quarante ans plus tard. Il y faudrait, de la part des enfants, une sacrée dose de vice…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Xavier Iacovelli. Si nous avons fixé néanmoins une limite d'âge à 30 ans, c'est pour faire en sorte que cette procédure de décharge de l'obligation alimentaire ne vise pas des parents qui seraient déjà en situation de perte d'autonomie.
Cela étant, je comprends l'intention des auteurs des amendements nos 1 et 8 ; à titre personnel, je voterai pour.
M. le président. Mon cher collègue, je vous dois une explication sur la forme : si ces trois amendements ont été placés en discussion commune, c'est parce que l'adoption de l'amendement n° 3 rectifié ferait tomber les deux autres.
La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je reviens sur l'effet d'aubaine : malheureusement, il n'y a pas que des gens honnêtes ; c'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons besoin d'une justice. S'il n'y avait que des gens honnêtes, nous n'aurions même pas à envisager que des gens puissent détourner un texte de loi à leur profit, ce qui arrive pourtant tous les jours, que ce soit en matière fiscale, en matière civile ou en matière pénale.
En réalité, le vrai problème réside dans le caractère unilatéral de la procédure devant notaire. Il s'agit de gagner du temps, nous dit-on ; sauf que, là encore, si le parent n'est pas bienveillant, il n'a aucune raison d'accepter que son enfant soit exonéré de son obligation alimentaire. Il portera donc l'affaire devant le juge aux affaires familiales, étant entendu qu'il aura six mois pour le faire. Dès lors, où est le gain de temps ?
Le cas échéant, il sera aussi difficile pour l'un d'apporter la preuve qu'il a été victime que pour l'autre de prouver qu'il a été bienveillant. En tout état de cause, on se retrouvera devant le juge de la même façon qu'aujourd'hui !
La procédure actuelle est critiquée pour sa longueur. Si les possibilités existantes d'assignation en référé s'avèrent insuffisantes, corrigeons cette lacune ; reste qu'il faut un juge pour trancher le litige – exonérer ou non l'enfant demandeur – dans le respect du contradictoire.
C'est le caractère unilatéral de la procédure qui est choquant : certains pourraient en profiter, car, malheureusement, tout le monde n'est pas honnête.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Au moment où nous parlons de violences subies dans l'enfance, j'ai en tête de nombreux entretiens que j'ai eus avec des victimes d'inceste. Il faut savoir que les protagonistes, le bourreau comme la victime, sont souvent adultes lorsque les témoignages sont recueillis. Mais c'est bien l'enfant, alors, qui est convoqué devant nous : la victime adulte revit les faits subis durant son enfance, retraverse tous les traumatismes endurés pendant des années.
Et c'est à cet enfant que vous demandez d'aller devant la justice et de se plier à l'exercice du contradictoire, alors qu'il a tout juste eu la force de prendre conscience des violences qu'il a subies ?
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à simplifier les démarches et à éviter des traumatismes supplémentaires. On le sait, de nombreuses plaintes sont classées sans suite et beaucoup de procédures n'aboutissent pas ou se concluent par un non-lieu.
Il s'agit simplement de permettre aux gens de tourner la page et de vivre enfin !
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote sur l'article.
M. Xavier Iacovelli. On dénombre seulement chaque année – ce chiffre a été cité par Mme la rapporteure comme par Mme Di Folco – une vingtaine de saisines du JAF pour contestation de l'obligation alimentaire, quand les témoignages de défaillance parentale se comptent par milliers. Et vous dites que le système va bien ? (Mmes Catherine Di Folco et Jacqueline Eustache-Brinio protestent.) Ce n'est pas le cas, mes chères collègues !
Notre collègue communiste l'indiquait tout à l'heure : exiger un passage devant le juge, c'est faire revivre à la victime devenue adulte les violences qu'elle a subies enfant, sachant qu'un adulte qui a été victime de la défaillance ou des maltraitances de ses parents durant son enfance reste une victime ; avoir 18 ans n'y change rien.
Un simple acte notarié, qui eût été obligatoirement motivé si mon amendement avait été adopté, peut toujours être contesté ; mais je doute, madame la sénatrice Vérien, qu'un parent défaillant ou maltraitant aille jusqu'au contradictoire devant le juge (Mme Dominique Vérien fait la moue.) : on invente des scénarios qui n'ont aucune chance de se réaliser…
Je regrette que la commission appelle à voter contre cet article. Créer cette procédure simplifiée par acte notarié, c'est fluidifier la possibilité pour l'enfant devenu l'adulte de se libérer de l'obligation alimentaire.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Monsieur Iacovelli, si vous saviez comme je comprends ce que vous nous dites !
M. Xavier Iacovelli. Arrêtez de dire ça !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Se décharger de son obligation alimentaire permettrait à l'enfant qui a subi un inceste de tourner la page, dites-vous ; mais non ! Jamais on ne tourne ces pages d'horreur.
M. Xavier Iacovelli. Si, certains y parviennent !
Mme Marie Mercier, rapporteur. On tourne la page, peut-être, mais le livre reste, la blessure reste.
Mme Patricia Schillinger. Et pour cause, quand on doit payer tous les mois la maison de retraite !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser Mme le rapporteur s'exprimer.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Dans un État de droit, il y a forcément une place pour la justice. Même si cela vous gêne, c'est ainsi : c'est parce qu'il y a une justice qu'il peut y avoir une démocratie équilibrée. L'inceste est un crime, qui doit être su, connu, et particulièrement réprimé.
Ne dites pas que la décharge de l'obligation alimentaire n'est pas possible, car nous avons fait voter des textes pour la rendre, dans certains cas, automatique. De ce point de vue, la présente proposition de loi n'apporterait rien, au contraire : elle créerait – en nombre – du contentieux. Mes chers collègues, faites confiance au droit et à la justice.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien, bravo !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote sur l'article.
Mme Patricia Schillinger. Il n'est jamais facile de trancher les liens, mais c'est ce que l'on veut lorsqu'on est victime : couper les liens, y compris les liens financiers.
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Catherine Di Folco. C'est déjà possible !
Mme Patricia Schillinger. Non, ce n'est pas possible ! Ce texte a pour objet d'aider ceux qui ont subi des violences et des maltraitances. Lorsqu'on continue d'être pris dans le lien parental qu'est l'obligation alimentaire, c'est tous les mois qu'il faut verser l'aide financière due, laquelle sonne – tous les mois ! – comme un rappel ; on se retrouve à en discuter avec la famille, avec son époux, avec ses enfants, et tous les mois, pendant des années, ce traumatisme incroyable est revécu.
Ce lien, il faut donner aux victimes les moyens de le trancher un jour. Je soutiens donc totalement la démarche de mon collègue Xavier Iacovelli et de ceux de mes collègues qui ont déposé des amendements sur son texte.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Article 2
L'article 207-1 du code civil est ainsi rétabli :
« Art. 207-1. – Le parent concerné peut contester la libération de l'obligation alimentaire mentionnée à l'article 207 dans un délai de six mois à compter de la notification de l'acte notarié. Cette contestation est portée devant le juge aux affaires familiales, qui apprécie si le parent a rempli ses devoirs parentaux et a fait preuve de bienveillance envers l'enfant durant sa minorité. La charge de la preuve incombe au parent demandeur.
« Le notaire chargé de cet acte doit, dans un délai de quinze jours à compter de sa signature, procéder à sa notification au parent concerné par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d'huissier.
« À défaut de contestation dans le délai mentionné au premier alinéa, l'acte devient définitif et opposable de plein droit. »
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 207-1 du code civil est ainsi rétabli :
« Art. 207-1. – Le parent et le président du conseil départemental peuvent former opposition à l'acte dans un délai de six mois à compter de la notification qui leur en est faite.
« Cette contestation est portée devant le juge aux affaires familiales, qui apprécie si le parent a gravement manqué aux obligations imposées par l'article 371-1 du code civil durant la minorité de l'enfant. La charge de la preuve est allégée au bénéfice de l'enfant qui souhaite se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant.
« À défaut de contestation dans le délai mentionné au deuxième alinéa, l'acte devient définitif et dispense son bénéficiaire de toute obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil à l'égard du parent mentionné à l'acte. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli.


