M. Xavier Iacovelli. Il s'agit de donner au président du conseil départemental, et non plus au seul parent concerné, la faculté de contester l'acte notarié visé à l'article 1er, que le Sénat vient de rejeter.
Cet amendement est motivé par un souci de solidarité nationale et de cohérence juridique. Son adoption apporterait une double garantie : d'une part, une meilleure sécurité juridique pour l'ensemble des parties ; d'autre part, une cohérence institutionnelle, via l'association du département, échelon compétent en matière de solidarité, à la mise en œuvre de cette mesure de justice.
Comme le parent concerné, le président du conseil départemental aurait un délai de six mois à compter de la notification de l'acte notarié dûment motivé par la victime pour contester cet acte devant le juge aux affaires familiales.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement obéit à la même logique que l'amendement n° 3 rectifié : il s'agit de réécrire le dispositif à la lumière des travaux de la commission, à la suite des auditions que nous avons menées.
Le constat est le même : la commission estime que les modifications proposées sont insuffisantes pour assurer la robustesse juridique du dispositif. En effet, les problèmes juridiques les plus importants, qui découlent de la nature même du mécanisme, demeurent.
Tout d'abord, en dépit des modifications apportées, le risque persiste qu'une personne soit déchargée tacitement de son obligation alimentaire en l'absence de contestation et donc de contrôle juridictionnel. Il s'agirait d'un cas inédit, qui n'apparaît absolument pas souhaitable. Les seuls cas d'exonération automatique – cela a été rappelé – résultent de constats objectifs ; ainsi du placement durable d'un enfant auprès des services de l'ASE.
Ensuite, la commission juge très fragile juridiquement la substitution d'un simple « allègement » à l'inversion de la charge de la preuve initialement prévue. L'inversion était certes inenvisageable, d'après la commission ; mais l'idée que la charge de la preuve soit « allégée » apparaît elle aussi hautement problématique, car cette formule, en droit, ne signifie rien.
Enfin, un tel dispositif ferait naître un contentieux accessoire souvent artificiel, dans la mesure où les personnes concernées créeraient un litige qui n'aurait peut-être jamais eu lieu sans cela, l'obligation alimentaire n'étant que peu sollicitée.
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il ne s'agit pas forcément d'adopter le dispositif dans la rédaction proposée par M. Iacovelli. Toutefois, si celui-ci venait à être retenu, il conviendrait que le président du conseil départemental, chargé de la mise en œuvre de la solidarité nationale, puisse contester l'acte notarié.
Mme le rapporteur a indiqué que des modifications législatives seraient à prévoir. Celles-ci pourraient être introduites au cours de la navette parlementaire. Et il est évident, comme je l'ai dit tout à l'heure, que les départements de France doivent être totalement impliqués dans les conséquences de cette loi, si elle est votée.
C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je rencontre un problème de légistique : alors que nous venons de rejeter l'article 1er, nous devons maintenant voter sur un article 2 qui institue un recours contre une mesure qui n'existe plus… J'ignore comment une telle construction peut tenir, mais peu importe, car cela me donne l'occasion de revenir sur un point.
J'ignore si le parent défaillant se retournerait contre son enfant dans le cadre d'une procédure notariée, mais le département, lui, le ferait à coup sûr. L'enfant concerné serait donc contraint de se présenter devant le juge – si, bien entendu, l'article 1er avait été adopté, ce qui n'a pas été le cas.
M. le président. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 4° Les enfants dont les parents ont gravement manqué aux obligations de l'autorité parentale telles que définies par l'article 371-1 du code civil, durant leur minorité. » ;
2° Au sixième alinéa, la référence : « 3° » est remplacée par la référence : « 4° ».
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Depuis la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, des dérogations à l'obligation alimentaire ont été introduites à l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles.
Cette évolution reconnaît qu'il existe dans notre droit des exceptions légitimes à la règle de l'obligation alimentaire. Parmi elles, figure la possibilité pour les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance d'être exonérés de cette obligation, à condition d'avoir été placés au moins trente-six mois cumulés au cours des dix-huit premières années de leur vie. Autrement dit, le législateur a admis qu'un lien de droit ne suffisait pas à créer un lien de devoir lorsque le fondement de la parentalité a été rompu dès l'enfance.
Cet amendement tend à s'inscrire dans cette même logique. Il vise à intégrer dans le même article la reconnaissance des manquements graves aux obligations parentales, tels qu'ils sont définis à l'article 371-1 du code civil, comme motif d'exonération de l'obligation alimentaire.
Cette disposition pourra répondre, tout d'abord, à la question du délai d'âge pour la réalisation de l'acte notarié, actuellement limité à trente ans. Ensuite, elle pourra répondre au problème de la rétroactivité, pour permettre aux enfants devenus adultes, victimes d'un parent absent, violent ou violeur, de bénéficier aussi de cette dérogation qu'ils n'ont pu obtenir par un acte notarié.
L'adoption de cet amendement ne remettrait pas en cause le principe de solidarité familiale ; elle le renforcerait dans son sens véritable, celui de la solidarité fondée sur la réciprocité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet article additionnel ouvre, comme son auteur l'a expliqué, un nouveau cas de dérogation de l'obligation alimentaire dans le code de l'action sociale et des familles. Il nous semble que ce dispositif serait hautement problématique, dans la mesure où il introduirait de la confusion dans le droit en vigueur.
En l'état du droit, un débiteur d'aliments peut déjà être déchargé de son obligation alimentaire lorsque son créancier d'aliments a commis des manquements graves à son égard. Le deuxième alinéa de l'article 207 du code civil prévoit cette hypothèse.
Or, contrairement à ce qui est ici prévu, le mécanisme de l'article 207 repose sur l'intervention du juge. Cette intervention est essentielle. Elle garantit, d'une part, l'appréciation desdits manquements graves, et, d'autre part, le principe du contradictoire. En conséquence, elle assure que l'on ne soit pas déchargé sans cause sérieuse de son obligation alimentaire.
Il serait donc inopportun d'ajouter un cas de décharge à l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles.
Notons, à cet égard, que les trois cas actuels de décharge prévus à cet article reposent sur un constat objectif et aisé : une condamnation pénale, un placement durable à l'ASE ou la qualité de petit-enfant. Il n'en serait rien de l'appréciation des manquements graves, qui, en l'absence d'un juge, serait purement déclarative.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Pardonnez-moi, madame la rapporteur, mais il me semble que vous n'avez pas saisi la portée de mon amendement… (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Peut-être qu'il n'était pas suffisamment clair...
M. Xavier Iacovelli. Je souhaite simplement en préciser le sens, car il est parfois difficile de le faire pleinement en deux minutes.
En l'occurrence, il ne s'agit nullement d'interdire l'intervention du juge : celle-ci est déjà prévue dans les trois dérogations existantes. Ce que nous proposons, c'est d'introduire une quatrième dérogation permettant de s'appuyer sur l'article 371-1 du code civil, afin de prendre en compte l'ensemble des manquements que des enfants peuvent subir de la part de leurs parents.
C'est bien entendu le juge qui en apprécie la portée, non la victime directement. Il me paraissait utile, madame le rapporteur, d'apporter cette précision.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :
| Nombre de votants | 341 |
| Nombre de suffrages exprimés | 334 |
| Pour l'adoption | 134 |
| Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 3
Après l'article 207-1 du code civil, il est inséré un article 207-2 ainsi rédigé :
« Art. 207-2. – L'exonération de l'obligation alimentaire résultant de l'article 207-1 entraîne de plein droit la perte des droits successoraux de l'enfant à l'égard du parent concerné.
« Le notaire en charge du règlement des droits successoraux vérifie l'existence d'une telle exonération en consultant le fichier central des dispositions de dernières volontés, où l'acte notarié constatant la libération de l'obligation alimentaire aura été enregistré.
« Cette consultation garantit que la perte des droits successoraux soit prise en compte de manière systématique lors du règlement de la succession du parent concerné. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L'amendement n° 5 rectifié est présenté par M. Iacovelli, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth et MM. Rambaud et Théophile.
L'amendement n° 7 est présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 2.
Mme Mélanie Vogel. J'ai une question technique. Cet article s'applique à un dispositif que nous avons rejeté. L'article 3 est-il néanmoins toujours en discussion ?
M. le président. Tout à fait, ma chère collègue.
Mme Mélanie Vogel. Très bien. Imaginons donc que nous votions l'article 3 sans l'article 1er…
Cet amendement tend à supprimer l'article 3, qui prévoit que l'exonération alimentaire de l'enfant victime entraînera automatiquement la perte des droits successoraux.
Une telle disposition ne nous paraît pas opportune. En effet, ce mécanisme concerne des personnes victimes, qui n'ont donc causé aucun tort. Elles font valoir auprès d'un notaire leur statut de victime d'une défaillance et, pour avoir exercé ce droit, elles se verraient infliger une pénalité. Or le droit d'option en matière successorale est prévu par notre législation, et rien ne justifie qu'une automaticité s'applique en matière de levée des successions.
Par ailleurs, nous parlons ici de personnes qui, très probablement, disposent de peu de biens à transmettre, puisqu'elles sollicitent une aide alimentaire de la part de leurs enfants. Dans ces conditions, la mise en place d'une telle procédure ne présente guère d'utilité.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour présenter l'amendement n° 5 rectifié.
M. Xavier Iacovelli. Pour compléter les propos de ma collègue Mélanie Vogel, la question de la suppression de cet article avait déjà été évoquée en commission, puis lors de la discussion générale. Plusieurs points avaient alors été soulevés.
Ma collègue l'a rappelé : tout d'abord, on ne peut renoncer à une succession qui n'est pas encore ouverte. Ensuite, une telle mesure reviendrait à infliger une double peine à des personnes qui auraient subi de la malveillance ou de la maltraitance et qui, de surcroît, devraient renoncer à un éventuel héritage ou à une succession potentielle.
S'ajoute à cela un principe de réalité, que Mélanie Vogel a souligné : lorsque le département demande l'obligation alimentaire, c'est, le plus souvent, parce que la succession a déjà été intégralement utilisée pour financer la prise en charge de la perte d'autonomie de la personne concernée. Pour toutes ces raisons, nous avions proposé un amendement de suppression.
Je précise néanmoins que la rédaction initiale de l'article 3 répond à la demande de certaines victimes, qui ne souhaitent pas être perçues comme bénéficiant d'un effet d'aubaine. En renonçant à la succession, elles entendent marquer la rupture totale du lien avec leurs parents, y compris sur le plan financier. Il s'agit donc, de leur part, d'un geste de bonne volonté et de bonne foi.
C'est pour cette raison que nous avions conservé cette disposition, même si je propose aujourd'hui de la supprimer.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Corbière Naminzo, pour présenter l'amendement n° 7.
Mme Évelyne Corbière Naminzo. Il s'agit d'un amendement identique à celui qu'ont présenté mes deux collègues. Il vise à supprimer l'article 3 pour les raisons déjà exposées.
D'une part, le droit français interdit de renoncer à une succession qui n'est pas encore ouverte. D'autre part, priver une victime de ses droits successoraux reviendrait à lui infliger une double peine : elle n'est pas responsable des mauvais traitements subis de la part de son parent, et il serait injuste qu'elle soit déshéritée.
Par ailleurs, les droits successoraux ne sont pas la contrepartie de l'obligation alimentaire – du moins les textes ne les présentent pas ainsi.
Il nous paraît donc nécessaire de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur ces amendements, qui visent à supprimer un article que nous vous aurions autrement proposé de rejeter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques nos 2, 5 rectifié et 7, qui visent à supprimer l'article 3.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, si l'article 3 est supprimé, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été rejetés. Aucune explication de vote sur l'ensemble du texte ne pourrait être admise.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
Quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote ?…
La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Il est assez cocasse qu'il ne reste plus d'articles au moment du vote…
C'est l'honneur et la fierté de notre groupe que d'avoir déposé ce texte. Il s'agit d'un sujet sensible et rémanent, qui appelle une véritable résolution. Sans doute ce texte est-il imparfait ; sans doute pourrait-il être amélioré – vous l'avez d'ailleurs tous souligné ; sans doute certaines expressions, comme la bienveillance, auraient-elles pu être clarifiées. Il n'en demeure pas moins qu'il est très attendu par plusieurs associations et, me semble-t-il, par de nombreux plaignants et par de nombreux enfants de notre pays.
Le dépôt de ce texte témoigne de la sensibilité de notre groupe à cette question, mais aussi d'une prise de conscience. Il n'est pas aujourd'hui interdit de modifier le code civil. Nous l'avons fait avec beaucoup d'ouverture d'esprit.
Ce texte aurait dû pouvoir poursuivre son chemin à l'Assemblée nationale ; rien ne s'y opposait. On pouvait en discuter, y revenir, l'enrichir. Arrêter son examen aussi brutalement ne correspond pas à l'idée que nous avons de la manière de traiter des questions aussi délicates que celles auxquelles notre société est aujourd'hui confrontée.
Je souhaite saluer l'ensemble des personnes qui ont participé à ce travail, féliciter M. Xavier Iacovelli, qui a déposé ce texte, et remercier M. le ministre de ses propos et de l'ouverture d'esprit dont il a fait preuve tout au long de ce dossier, ainsi que la commission, qui a réalisé un travail de qualité.
Bien entendu, nous aurions pu espérer – j'en appelle encore à vous avant le vote final ! – un vote plus positif, permettant à ce texte de poursuivre son parcours sur un sujet d'une telle importance. Je le regrette, mais j'invite mes collègues à continuer de réfléchir à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Je voudrais commencer par remercier de son travail M. Xavier Iacovelli, ainsi que son groupe : ils nous permettent aujourd'hui d'avoir ce débat dans l'hémicycle. L'issue du vote ne laisse guère de place au suspense. Mais le travail, lui, n'est pas achevé. Nous avons, je le crois, établi ensemble que le problème existe bel et bien et que notre tâche n'est pas terminée : nous devons continuer à chercher une solution.
Je souhaite m'adresser à mes collègues qui se sont opposés à ce texte, même s'ils ne l'ont pas tous fait de la même manière. Il est parfaitement légitime de rejeter une proposition de loi parce qu'on la juge mal rédigée ou parce que l'on estime que le dispositif juridique qu'elle prévoit n'est pas adapté.
Cependant, certains arguments avancés ne font pas honneur au débat que nous devons mener ni aux personnes qui nous écoutent – des personnes dont les histoires, souvent douloureuses, sont à l'origine de cette discussion. Celles-ci se trouvent dans des situations particulièrement difficiles : elles doivent payer ou s'engager dans des procédures lourdes et coûteuses, pour se défaire de l'obligation alimentaire. Dans ce contexte, utiliser l'argument de l'effet d'aubaine ou de la possibilité de fraude n'est pas décent.
Il n'est pas à la hauteur du débat de construire des scénarios théoriques qui concerneraient, au mieux, 1 % des cas, quand 99 % des personnes concernées bénéficieraient concrètement de ce texte.
Faut-il remettre en question le droit au mariage sous prétexte que certains commettent des fraudes en contractant des mariages blancs ou gris ? Devrait-on interdire à une victime de porter plainte pour agression sexuelle ou pour viol au motif que, dans 0,5 % des cas, il existe de fausses accusations ? Non, je ne le crois pas.
Nous devons rester à un niveau de débat honorable, en ayant à l'esprit la manière dont les personnes qui nous écoutent perçoivent nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour explication de vote.
M. Louis Vogel. Je souhaite moi aussi remercier tous ceux qui ont contribué à ce travail : en premier lieu l'auteur de la proposition de loi, mais surtout Mme le rapporteur de la commission des lois : elle a fourni un effort considérable et a su tenir compte des équilibres que, comme le rappelait Portalis, il faut toujours respecter lorsque l'on touche à une matière aussi délicate que le système juridique.
Nous, législateurs, avons trop souvent tendance à réagir immédiatement et à voter une loi dès qu'un problème se présente. Or il convient de limiter le nombre de lois et, lorsque l'une d'entre elles est adoptée, de tenir compte du contexte global dans lequel elle s'insère.
Nous disposons de juges, notamment d'un juge aux affaires familiales. Peut-être faudrait-il lui donner davantage de moyens ? Je ne prétends pas que la situation soit parfaite, mais un système juridique préexiste : il ne faut pas en détruire la logique ou la cohérence, sous peine de provoquer un dysfonctionnement général.
Aujourd'hui, nous faisons preuve de sagesse, comme l'a souligné M. le ministre, en choisissant de ne pas adopter ce texte supplémentaire, tout en laissant ouverte la possibilité de reprendre ultérieurement la discussion là où une intervention reste possible, sans compromettre l'équilibre global du système.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Évelyne Corbière Naminzo. À mon tour de remercier le groupe RDPI de ce texte, qui a permis d'engager le débat aujourd'hui.
Je regrette que cette proposition de loi, qui constitue une mesure de réparation indispensable et réclamée par de nombreuses victimes, ne puisse pas être adoptée par notre chambre.
Il a beaucoup été question d'un prétendu effet d'aubaine que ce texte susciterait. Le seul effet d'aubaine qui existe est celui dont bénéficient les parents défaillants, maltraitants ou bourreaux. L'aberration sociale que nous devons tous combattre, c'est l'enfance maltraitée, abusée, violentée, violée, abandonnée.
Dans mon département de La Réunion, on estime à deux ou trois enfants par classe les victimes d'inceste au sein de leur famille.
L'obligation alimentaire vise à assurer le confort matériel minimal des parents. Mais les enfants victimes, eux, n'ont rien reçu, sinon de la souffrance. La récompense de la galère pour s'en sortir et avoir survécu, c'est l'obligation alimentaire envers le responsable de toutes les souffrances endurées !
Je m'interroge sur la réussite des textes visant à protéger les enfants dans un Sénat qui n'a toujours pas de délégation aux droits des enfants. Tant que nous continuons à nous placer systématiquement du côté du parent, il n'est pas étonnant que nous ayons du mal à défendre les droits des enfants. Il faut admettre que l'enfant est un citoyen et lui accorder des droits en tant que victime.
Les débats autour de ce texte confirment que le Sénat peine à considérer que la notion de famille a changé et continue de changer. Nous avons encore du mal à protéger l'intérêt supérieur de l'enfant, et cela, je le déplore. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est vraisemblable que ce texte ne sera pas adopté. Notre position, au regard de l'ensemble des propos qui ont été tenus, est néanmoins la suivante : nous ne considérons pas qu'il y ait un effet d'aubaine – je n'ai d'ailleurs rien dit de tel. Comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, la question des droits de l'enfant a évolué ; c'est positif, mais c'est assez récent.
Il serait opportun de réexaminer la possibilité de créer une délégation sénatoriale aux droits de l'enfant, car, je le répète, l'expérience de la délégation aux droits des femmes a montré qu'un tel dispositif permettait un travail transpartisan particulièrement utile.
Cependant, pour reprendre les mots d'un ancien collègue socialiste – les plus âgés d'entre nous comprendront à quoi je fais référence –, ce texte constitue une fausse réponse à une vraie question. J'encourage donc le Sénat, et peut-être l'auteur de la proposition de loi, à reprendre ce travail, afin que nous puissions définir ensemble le mécanisme le plus approprié, qui permettrait de s'extraire des difficultés relevées tout en progressant sur ce sujet.
À ce stade, comme cela a été souligné à la fois par Dominique Vérien et par Mélanie Vogel, je ne saisis pas non plus pleinement la pertinence légistique de cette proposition de loi. Nous n'étions pas favorables au libellé, tel qu'il nous avait été présenté, mais nous reconnaissons l'existence d'un problème, et nous sommes prêts à y travailler pour que nous puissions le résoudre ensemble.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je rejoins les propos de Marie-Pierre de La Gontrie. Effectivement, il y a un problème et il faut y travailler.
Pour autant, le passage devant le juge constitue, pour se réparer, un moment bien plus important qu'on ne peut l'imaginer. Le simple fait de s'adresser à un notaire ne permet pas nécessairement cette coupure. En revanche, quand un juge indique que l'on peut s'exonérer parce que le parent a été défaillant – donc reconnaît cette défaillance, ce qu'un notaire ne fera jamais –, cela apporte un secours bien plus utile.
Améliorons l'accès au juge, facilitons la rapidité des décisions, accompagnons les victimes pour qu'elles soient réellement prises en charge. Travaillons dans ce sens, mais ne nous exonérons pas de la justice : nous l'avons créée pour garantir une société équilibrée. Améliorons la justice, mais ne lui tournons pas le dos. Allons devant le juge !
Je suis prête, moi aussi, à travailler sur ce sujet pour répondre véritablement aux préoccupations des victimes, mais toujours sur la base de notre justice.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour explication de vote.
Mme Sophie Briante Guillemont. Je rejoins les propos des deux derniers intervenants et remercie M. Xavier Iacovelli d'avoir suscité ce débat dans notre hémicycle.
Je m'inscris en faux par rapport à certaines interventions : ce n'est pas parce que l'on s'abstient ou que l'on vote contre aujourd'hui, en raison du dispositif, que l'on se prononce contre l'intérêt supérieur de l'enfant. Il existe des raisons pour lesquelles, juridiquement, il est aujourd'hui compliqué de voter en faveur de cette proposition. Il convient également de conserver une certaine cohérence dans les votes que l'on émet : on ne peut pas affirmer un jour que les textes suffisent et changer d'avis le lendemain…
Je m'inscris également dans cette volonté de poursuivre le travail sur ce sujet. Mais, je le rappelle, il existe une difficulté : si 24 requêtes ont été déposées l'an dernier, alors que l'on évoque un collectif de 100 000 personnes, cela montre qu'il y a un véritable problème d'accès au droit… Il faudrait donc au moins disposer d'éléments expliquant la situation actuelle.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je ne puis laisser dire ici que nous ne défendons pas les enfants ! (Mme Jacqueline Eustache-Brinio renchérit.)
M. François Patriat. Nous ne l'avons pas dit !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je le dis avec tout mon cœur : nous avons toujours mis l'enfant et la victime au centre de nos préoccupations !
Je souligne également que l'expression « effet d'aubaine » figurait dans le texte initial que vous nous aviez soumis, mon cher collègue : jamais je ne l'aurais employée.
En juillet 2020, nous avons voté une loi pour protéger notamment les enfants de la diffusion de films pornographiques gratuits. Nous sommes en 2025, et le problème demeure entier. Heureusement, l'une de nos collègues canadiennes s'appuie sur notre travail et sur l'un des amendements que j'avais fait voter à l'époque pour faire adopter une loi similaire au Canada. C'est bien la preuve que nous nous occupons au Sénat des enfants et que nous les défendons. Agir autrement serait absolument improbable, voire insupportable !
Je le répète, nous sommes d'accord sur le fond, mais il nous faut des textes qui soient fondés, justes et efficaces aussi dans la forme. Il y a le geste et il y a le texte ! Ce dernier est essentiel, ici, au Sénat. Nous continuerons à défendre les enfants, mais toujours dans le respect du droit.


