Surtout, cette même loi dispose que toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol dès lors que la différence d'âge entre l'adulte et l'enfant – je dis bien « l'enfant » – est d'au moins cinq ans. Il y a donc désormais présomption d'absence de consentement dans ce cas précis. Voilà un troisième pas.
D'une manière générale, le non-consentement était seulement déduit de l'existence de faits commis « par violence, contrainte, menace ou surprise », comme il est écrit dans le code pénal ; mais cette notion n'était pas centrale.
Et voilà que nous nous apprêtons à franchir, avec cette proposition de loi, un quatrième pas. En effet, le débat a été relancé à l'occasion de la discussion d'une directive européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi qu'à la suite du procès des viols de Mazan.
Je m'arrête un instant sur l'audition édifiante, par la délégation aux droits des femmes du Sénat, des avocats de Gisèle Pelicot. Et je signale, devant la présidente Vérien, que le prix 2025 de la délégation leur sera remis tout à l'heure. Ils ont notamment relaté que l'un des auteurs des faits avait déclaré que, puisque son mari avait dit oui, il pensait qu'elle était d'accord. On en est encore là, en 2025…
Autrement dit, le consentement s'apprend, et ce dès le plus jeune âge. Il nécessite un travail éducatif et culturel voué à déconstruire les idées fausses, du genre : « Si elle ne dit rien, c'est qu'elle veut bien. »
C'est pourquoi cette proposition de loi intègre l'absence de consentement de la victime dans la définition du viol et des autres agressions sexuelles. L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord sur le texte en commission mixte paritaire. Tout acte sexuel commis sans le consentement « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » de la personne concernée sera désormais considéré comme un viol, crime dont le périmètre matériel comprendra aussi, dorénavant, les actes bucco-anaux.
Le consentement n'est pas simplement une absence de refus. La peur, la paralysie ou l'emprise ne sont pas des consentements : ce sont des silences ; on le sait quand on l'a subi et que l'on ne peut plus rien dire.
Au contraire, le consentement doit être actif, librement exprimé. Il se vit dans une relation où chacun a la faculté de libérer ses émotions et, surtout, de prendre en compte celles de l'autre, cet autre qui est là et bien là.
Consentir, ce n'est pas céder, c'est choisir. C'est aussi avoir confiance. Qui ne dit mot… non, ne consent pas ! Qui ne dit mot a peur, simplement peur. Consentir, c'est dire « oui », un vrai « oui ».
C'est pourquoi mon groupe soutient ce texte. D'autres pas nous attendent, beaucoup de pas, pour une société plus sereine, une société de confiance et de respect. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (M. Vincent Louault applaudit.)
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, et si se cachait, derrière l'expression « qui ne dit mot consent », cette autre formule : « qui ne dit mot semble consentir » ? Un seul mot de plus, et pourtant, un autre sens, un tout autre sens !
Après deux ans de travaux parlementaires, nous voici à l'étape ultime du parcours de ce texte, dont le but précis est le suivant : introduire la notion de consentement dans la qualification pénale des violences sexuelles et du viol.
Il ne s'agit ni plus ni moins que de défendre la liberté personnelle, ainsi que le droit au respect de son intégrité physique et psychique.
En ce sens, la commission mixte paritaire a pu convenir d'une rédaction rigoureuse et minutieuse, tant sur la définition du consentement que sur les modalités d'appréciation de ce consentement par les professionnels du droit que sont les magistrats.
D'une part, pour ce qui est de la notion de consentement, celui-ci sera caractérisé par le fait d'être « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » : libre, d'abord, pour que ce consentement ne puisse être contraint ; éclairé, ensuite, car la notion de consentement est inévitablement liée à celle de discernement ; spécifique, également, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, et qui consent pour une chose peut ne pas consentir pour toutes les autres ; préalable, évidemment, car la question du consentement se pose avant et non après ; révocable, enfin, parce que le consentement n'est ni définitif ni absolu.
Voilà autant de critères précis dont la satisfaction ne pourra être déduite du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime, mais sera appréciée par les magistrats.
Dans l'affaire des viols de Mazan, nombreux furent les accusés à utiliser la stratégie de défense consistant à dire : « On pensait que Mme Pelicot était consentante. »
Demain, grâce à ce texte et au travail réalisé par la commission mixte paritaire, le consentement, avec ses critères, sera apprécié au regard des « circonstances » des faits reprochés, notion finalement plus adéquate que celle de « contexte ».
Il y aura donc un avant et un après Mazan.
Avec mon groupe, nous voterons pour la rédaction finale de ce texte avec beaucoup de conviction, car les raisons de l'approuver ne manquent pas.
On peut s'interroger sur l'utilité de ce texte et sur ses éventuels risques juridiques, et se demander, au fond, s'il aura vraiment un impact. Si tel est le cas, doit-on le craindre ?
Tout le travail qui a été mené reflète le sérieux, la rigueur et le caractère transpartisan de la proposition de loi.
En réalité, sa rédaction n'instaure ni présomption ni renversement de la charge de la preuve : loin de vouloir instaurer une société du soupçon ou de contractualiser les relations sexuelles, le texte invite les magistrats et les parties à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience, chez la personne mise en cause, d'avoir agi contre ou sans le consentement de l'autre.
Les débats doivent se concentrer sur le consentement à tous points de vue, et non pas uniquement sur la victime – comme c'est le cas aujourd'hui, rappelons-le –, pour analyser le comportement et les agissements de la personne mise en cause.
J'y insiste, il s'agit de se concentrer sur la notion de consentement, souvent décisive dans les affaires concernées. Et c'est justement parce qu'elle est décisive que nous devons l'inscrire dans le marbre de la loi pénale, qui est d'interprétation très stricte.
Je rappelle également que la rédaction finale du texte conserve les paramètres actuels de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.
Gardons ce qui est utile aujourd'hui, mais ne nous empêchons pas d'ajouter ce qui permettra de prendre en compte l'état de sidération, qui frappe environ 70 % des victimes de viol selon la docteure Muriel Salmona. Modifier notre code pénal en ce sens n'a donc rien d'anodin : nous pourrons élargir le champ des agressions sexuelles à des cas longtemps ignorés ou incompris.
Mes chers collègues, les générations qui nous suivront pourront-elles vivre dans une société du respect, où le consentement sera non plus une notion équivoque, mais bel et bien un principe consensuel et connu de tous ?
Grâce au travail remarquable de nos collègues Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, présentes en tribune – je les salue –, nous pourrons, j'en suis convaincu, contribuer à ce que la justice soit plus adaptée.
On nous reproche parfois de voter des lois inutiles ou des lois d'émotion. Aujourd'hui, nous sommes, au contraire, dans un moment parlementaire décisif, puisque notre vote peut changer des parcours de vie.
Une justice humaine, c'est une justice qui prend le temps d'entendre la vérité des gens. Elle accordera dorénavant au consentement toute la place qu'il mérite. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et INDEP. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne saurais débuter cette intervention sans souligner l'absence des deux ministres qui auraient dû se trouver au banc aujourd'hui : le ministre de la justice et la ministre chargée des droits des femmes. Celle-ci avait pourtant cru devoir être présente lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Son absence marque-t-elle un désintérêt pour le sujet ? Je ne le crois pas. Traduit-elle un désintérêt pour le Sénat ? Je ne sais pas.
Madame la ministre, je vous remercie d'être présente. Ne voyez pas là de mise en cause personnelle, vous aurez compris le sens de mon propos.
Je remercie également Bernard Buis, qui est intervenu, dans cette assemblée de femmes et d'hommes, sur un sujet sur lequel les hommes ont parfois un peu de mal à considérer qu'il les concerne au premier chef.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui va donc inscrire dans la loi ce qui aurait dû être une évidence : sans consentement, il y a viol.
C'est un combat ancien, qui dure depuis près d'un demi-siècle. Si l'on regarde en arrière, nous nous rendons compte que de grands procès ont jalonné les progrès du droit en la matière.
Il y eut tout d'abord, en 1978, le procès d'Aix-en-Provence, celui des agresseurs de deux jeunes femmes belges, violées dans une calanque près de Marseille. Gisèle Halimi, avocate des parties civiles, les convainquit de refuser le huis clos. Ce fut, pour les Français, la première prise de conscience.
À ce même moment, et alors que notre Haute Assemblée ne comptait guère que cinq femmes pour quelque 300 sénateurs, une sénatrice du groupe de la Gauche démocratique, Brigitte Gros, a déposé une proposition de loi dont l'exposé des motifs indique que le viol est sans doute la seule infraction où la victime est présumée coupable ou à tout le moins suspecte. Cette remarque est tout à fait exacte. Le texte fut adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale en 1980, après la tenue du procès.
Évidemment, il y eut d'autres progrès, mais c'est un second procès qui fit de la question du viol un sujet d'actualité et qui l'a mis sous les yeux de l'ensemble des Français : je veux bien évidemment parler du procès dans lequel Gisèle Pelicot était partie civile.
Gisèle Pelicot aussi a refusé le silence, refusé le huis clos, et, à ce moment, les Français ont pris conscience, parfois avec effroi, de l'ultime vérité, de l'existence de ce que l'on a alors appelé la « culture du viol ».
Que de chemin parcouru au cours de ces quarante-cinq ans !
Aujourd'hui, nous ne modifions pas simplement le cadre juridique : nous changeons de regard. Nous passons d'une culture du viol, où le corps des femmes est considéré comme disponible, à une culture du consentement, où ni le silence, ni la peur, ni la sidération ne valent accord.
L'article 222-22 du code pénal va être modifié. Le consentement sera au cœur de la définition du viol. Il devra être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Son absence suffira à caractériser l'infraction.
Nous voulons donc, par ce texte, assurer la pérennité de la juste application, durant des années, d'acquis jurisprudentiels. On sait bien que la jurisprudence peut toujours être renversée…
Nous avons été condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme, qui a considéré que le cadre juridique de la France en matière de viol n'était pas conforme aux obligations qui lui incombent.
Cette proposition de loi tend donc à prendre acte de nos manquements et à mieux répondre aux exigences.
Je veux à mon tour souligner le travail transpartisan remarquable qui a été conduit : il atteste d'une ténacité sans pareille dans une séquence politique complexe. Ce travail a permis aux rapporteures de l'Assemblée nationale, comme à celles du Sénat Dominique Vérien et Elsa Schalck – je les salue toutes quatre –, de faire en sorte que ce texte advienne.
Il a fallu beaucoup de ténacité, d'obstination, mais finalement nous y sommes.
Fidèle à sa mission, le Sénat a bien évidemment souhaité améliorer la rédaction de la proposition de loi sur quelques points, mais cela n'a pas posé de difficultés.
Soyons lucides, mes chers collègues : cette loi ne résoudra pas tout, car il faut naturellement des moyens.
Alors que 230 000 viols et tentatives de viol sont commis en France chaque année, on compte moins de 8 000 condamnations ; 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte et 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite.
Bien évidemment, nous serons vigilants lors de l'exercice budgétaire. Nous savons qu'il faut aider les associations : les associations d'aide aux victimes, les associations féministes, celles qui interviennent dans le domaine de l'éducation. Je les salue ici.
Ce texte ne réparera pas toutes les injustices, mais il met fin à une hypocrisie. Il dit que le corps n'est jamais à disposition, que le consentement n'est jamais implicite et que la parole des femmes mérite toujours d'être crue.
En l'adoptant, nous rendons hommage à Gisèle Pelicot, à Anne Tonglet, à Aracelli Castellano, à toutes celles qui ont refusé le silence et à celles qui ont dû s'y résoudre. Nous leur devons cette avancée.
Le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, dans notre pays, 230 000 femmes sont victimes de viols, de tentatives de viol ou d'agressions sexuelles. Pourtant, seulement 6 % des victimes portent plainte, et moins de 1 % des violeurs sont condamnés.
Ces chiffres glaçants témoignent d'un fléau national, duquel notre société ne peut plus détourner le regard.
Oui, la libération de la parole a commencé.
Oui, les grandes affaires, de Bobigny à Mazan, ont fait bouger les lignes.
Mais force est de constater que la France, pays des droits de l'homme, n'est pas encore celui des droits des femmes.
Face à ce constat, les auteurs de ce texte ont proposé d'inscrire la notion de consentement dans le code pénal.
Nous partageons le combat contre la culture du viol et pour la libération de la parole des victimes. Nous saluons l'intention et nous nous réjouissons que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles soit menée.
Mais nos interrogations demeurent.
Modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles pour y intégrer le consentement a des conséquences complexes.
Les juges savent déjà manier cette notion avec souplesse pour reconnaître la sidération ou l'emprise, comme certaines affaires récentes l'ont prouvé.
Aussi, n'existe-t-il pas un risque que le centre du procès soit déplacé des actes de l'agresseur vers le comportement de la victime ?
Combien de fois a-t-on entendu, dans un commissariat ou une salle d'audience, « elle n'a pas dit non », ou « il ne savait pas qu'elle n'était pas consentante » ? Souvenons-nous de l'affaire Pelicot, où certains ont osé parler de « viol involontaire » parce que, droguée, Gisèle Pelicot ne pouvait pas dire non.
Nous souhaitons que le procès d'un violeur ne devienne pas celui de sa victime.
Comme le rappelait Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, « nous sommes acculées, nous, plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que "mais non, nous n'avons pas consenti" ».
C'est précisément cette culpabilisation des victimes, en lieu et place de la protection de leur dignité, que nous devons éviter.
Surtout, mes chers collègues, au-delà du débat juridique, nous devons faire tellement plus pour réellement lutter contre les violences sexistes et sexuelles !
La culture du viol prend ses racines dans notre société patriarcale. Sans s'attaquer à la racine du problème, le débat que nous avons aujourd'hui sera vain. Pour cela, la loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles, tant réclamée par les associations féministes, est un premier pas, qu'il est urgent de faire.
En effet, nous le savons, c'est bien le manque criant de moyens et de volonté politique qui permet à 99 % des violeurs de n'être jamais condamnés. Et pour cause, 2,6 milliards d'euros manquent chaque année pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, dont 332 millions d'euros pour les seules violences sexuelles.
Les débats budgétaires auront lieu dans quelques semaines. N'oublions pas alors cette intention louable que nous partageons aujourd'hui ! Protéger nos filles, nos femmes et toutes les victimes ne devrait pas avoir de prix.
Ces moyens indispensables doivent permettre la mise en place d'une véritable politique continue et pilotée au plus haut niveau, impliquant de manière coordonnée l'ensemble des ministères concernés – égalité, justice, intérieur, solidarités, travail, éducation, santé.
Une véritable politique de prévention doit être menée dans tous les milieux. La formation obligatoire des professionnels doit être organisée. Des structures d'accueil spécialisées et des juridictions dédiées doivent être créées. Nous devons permettre une prise en charge et des soins accessibles pour toutes les victimes.
Ainsi, mes chers collègues, nous partageons les intentions que ce texte traduit, mais nous regrettons ses effets de bord, l'absence d'étude d'impact et, surtout, le manque de moyens concrets permettant à la justice d'être à la hauteur.
C'est toute notre stratégie nationale contre les violences faites aux femmes qu'il faut repenser globalement, courageusement et durablement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de saluer, avec une certaine émotion, la présence en tribune de Marie-Charlotte Garin, de Véronique Riotton et de toutes les personnes qui nous ont accompagnés sur ce long chemin.
Je veux d'abord vous dire pourquoi le vote d'aujourd'hui amènera un changement fondamental dans notre société et pourquoi ce changement doit être célébré, ce soir, comme une grande victoire féministe.
Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'au 29 octobre 2025, le fait de ne pas consentir à un acte sexuel ne suffisait pas, en France, à qualifier cet acte d'agression sexuelle ou de viol : il fallait, jusqu'à aujourd'hui, pour pouvoir qualifier un acte de viol, faire la démonstration de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise.
Nous savons combien cette démonstration est difficile, voire, souvent, impossible à faire, en particulier lorsque, comme dans de si nombreux cas, la victime n'a rien dit, n'a rien fait – rien fait d'autre que sauver sa vie en sortant un temps de son corps violé.
Nous savons comment cette difficulté à prouver nourrit les classements sans suite, comment les classements sans suite nourrissent l'impunité, comment l'impunité – 99,4 % des viols ne sont pas punis en France – nourrit les viols suivants, les viols quotidiens, banals et normalisés.
On nous a dit longuement que le consentement était implicite dans le code pénal. Je vous assure que, si tel était le cas, nous n'aurions pas passé deux ans à nous battre pour le rendre explicite, et nous aurions rencontré beaucoup moins de résistance sur notre chemin !
Cependant, il y a plus grave encore que la difficulté à apporter des preuves lors d'un procès pour un viol qui a déjà eu lieu : c'est tout ce qui, dans notre société, normalise, justifie et encourage les viols à venir.
Notre code pénal en faisait, en quelque sorte, jusqu'à aujourd'hui partie. Jusqu'à aujourd'hui, il y avait, en droit, comme dans notre société, une présomption de disponibilité du corps des femmes, une forme de présomption de consentement. Jusqu'à aujourd'hui, dans les faits, ce que la société, donc ce que les policiers et les juges disaient si souvent aux femmes, c'est que, jusqu'à preuve du contraire, leur corps était disponible.
En écrivant dans la loi que l'absence de consentement suffit à définir un viol, l'ambition de ce texte est que, demain, la situation soit inversée.
Cette précision ne devrait pas, c'est vrai, être nécessaire. Ainsi, le consentement ne figure pas dans la définition pénale du vol, et cela ne pose aucun problème ! Lorsque vous vous rendez dans un poste de police parce qu'un individu vous a volé votre sac à main, on suppose – toute la société suppose, les policiers supposent, les juges supposent – qu'évidemment, comme vous ne l'aviez pas donné, vous ne vouliez pas que l'on vous le prenne. On rirait donc au nez d'un voleur qui dirait : « Elle n'a pas dit non, je pensais qu'elle voulait. »
Cela va sans le dire. Eh bien, pour nos corps, cela ira mieux en le disant, car ce qui, dans notre société, est vrai pour un simple sac ne l'est pas encore pour le corps des femmes. C'est ce que nous n'accepterons plus.
Pour cela, le Parlement doit dire ce que la société ne dit pas ou ne dit pas encore assez. Il doit dire solennellement aux femmes : parce que votre corps n'est pas disponible a priori, quand vous ne dites pas « oui », c'est non. Quand vous dites « oui » parce que vous avez peur, c'est non. Quand vous dites « oui » pour avoir la paix, c'est non. Quand vous ne dites rien, quand vous ne faites rien, c'est non. Le seul oui qui vaille est un oui libre.
Nous vivons depuis des siècles dans la culture du viol. Commençons à construire dès ce soir la culture du consentement, pour nous, pour nos filles, pour nos nièces, pour les petites filles qui naissent aujourd'hui et qui naîtront demain, afin qu'elles n'aient pas à vivre tout ce que nous avons vécu, et pas seulement pour qu'il y ait plus de violeurs dans les prisons, mais aussi pour qu'il y ait moins de violeurs dans nos vies.
C'est vrai, tout ne changera pas tout demain grâce à ce vote. Mais la force qu'a prise la mobilisation autour du terme « consentement » trouve, ce soir, un débouché politique, qui pourra faire advenir un changement social.
Pour terminer, si cette victoire, alors que les droits des femmes régressent dans le monde et que l'on ne peut pas dire que notre pays soit dirigé par quelqu'un de particulièrement féministe, peut surprendre, je veux dire que ce n'est pas un hasard si, en deux ans, les féministes ont réussi, en France, à faire inscrire l'IVG dans la Constitution et le consentement dans le code pénal.
Les femmes doivent le savoir : même quand il n'y a pas de gouvernement, même quand des égos surdimensionnés placent le pays au bord du gouffre, même quand les perspectives sont sombres, il y a, dans notre pays, des parlementaires féministes, certes, mais surtout des associations féministes, des expertes, des militantes, des femmes capables, un peu partout, de se mobiliser ensemble, et donc de gagner.
Aujourd'hui, grâce à vous toutes, mesdames, nous allons faire un pas en avant sur le chemin d'une société moins violente et plus égalitaire.
Demain, si vous ne lâchez rien, nous célébrerons bien d'autres victoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, RDSE et RDPI. – Mmes Michelle Gréaume et Olivia Richard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « pour moi, le viol, c'est forcer quelqu'un, c'est l'attacher », « on est des violeurs dans les faits, pas des violeurs dans l'âme » : ces mots ont été prononcés par deux accusés du procès des viols de Mazan, qui tentaient de diluer leurs responsabilités et confondaient le désir du mari avec le consentement de l'épouse. « Vous n'avez rien compris, ce n'est qu'un viol. À quel moment je vous ai donné mon consentement ? », leur a répondu Gisèle Pelicot.
Il y a un an et demi, j'ai été chargée par le gouvernement de l'époque, avec la députée Sandrine Josso, de produire un rapport sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes. S'en sont suivis des mois d'auditions, de rencontres, de déplacements qui m'ont plongée dans l'indicible réalité des agressions sexuelles dans notre pays, avec le profond sentiment d'une montagne à gravir, par une introspection personnelle et collective, pour rendre visible ce que la société préfère cacher.
Combattre ce déni millénaire, mettre fin à l'impunité en passant par la mobilisation générale : la loi qui sera votée aujourd'hui y participe.
Depuis plusieurs années, notre société interroge en profondeur les silences du droit face aux violences sexuelles et, à mesure que la parole des victimes se libère, les attentes se font plus fortes.
L'exemple de l'inceste est caractéristique : longtemps ignoré par le code pénal, il n'a été nommé qu'en 2010, et reconnu comme infraction autonome en 2021. Ce long silence juridique en dit long sur le retard du droit face à la réalité des victimes.
Ce décalage entre l'expérience vécue et la qualification juridique rappelle que le droit est non seulement un instrument de sanction, mais aussi un langage collectif : ne pas nommer, c'est souvent ne pas reconnaître, et reconnaître est déjà un premier pas vers la réparation.
La proposition de loi s'inscrit dans cette dynamique de rattrapage. Elle ne crée pas une nouvelle incrimination, mais elle affirme avec clarté que l'absence de consentement constitue le cœur même de la définition du viol.
Jusqu'à présent, le droit pénal français définissait ce crime à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. L'absence explicite de consentement n'y était qu'implicite.
Il est temps de franchir une étape, en consacrant une évidence, à la fois juridique et sociétale : un acte sexuel ne peut être licite qu'à la condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Il ne s'agit pas d'une révolution du droit pénal, mais c'est une clarification nécessaire.
Certes, la jurisprudence permet déjà actuellement de sanctionner la quasi-majorité des situations visées par ce texte. Le champ des comportements punissables ne sera donc pas substantiellement élargi.
Mais cette réforme n'en est pas moins utile : elle dit ce que la société attend. Elle dit que le consentement ne se présume pas, ne se déduit pas du silence, ne s'ignore pas. Et ce signal juridique a, en soi, une valeur.
Je tiens à saluer ici les avocats de Gisèle Pelicot, Stéphane Babonneau et Antoine Camus, à qui notre délégation aux droits des femmes remettra un prix tout à l'heure en salle René-Coty. Leur travail a été déterminant dans un procès où, je l'ai dit, le consentement de la victime a sans cesse été remis en question par la défense : son consentement serait présumé si elle ne dit pas explicitement « non » ou encore si le mari a donné son accord.
À cet égard, le texte qui nous est proposé, fruit d'un travail de compromis, constitue une étape importante vers un droit pénal plus lisible et plus en phase avec les réalités des victimes et des professionnels de la justice.
Les rapporteures ont su concilier clairvoyance juridique et exigence de protection. Elles ont notamment retenu le terme de « circonstances » – au pluriel – pour définir le cadre d'appréciation du consentement, terme qui permet d'éviter toute formulation floue tout en conservant une souplesse interprétative.
Cependant, il est bon de rappeler qu'un texte à lui seul ne change pas tout. La proposition de loi marque un tournant important, certes, mais pas un aboutissement. Elle ne réglera ni les classements sans suite, ni les renoncements à déposer plainte, ni les difficultés d'instruction.
Aussi cette réforme mérite-t-elle de s'inscrire dans un panorama plus large. L'inscription du non-consentement dans le code pénal était nécessaire, mais elle ne suffira pas.
Nous attendons avec impatience, madame la ministre, la présentation de votre loi-cadre sur les violences sexuelles, que nous espérons assortie de moyens et d'objectifs concrets dans toutes ses dimensions : pénales, sociétales, sanitaires, éducatives et de formation.
Pour conclure, mes chers collègues, ce texte mérite d'être voté et salué pour l'avancée qu'il représente, mais c'est à l'adoption d'une loi-cadre ambitieuse que nous souhaitons nous atteler désormais.
Bien évidemment, notre groupe votera pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de clore cette discussion, que ma chère corapporteure a ouverte. Vous noterez l'organisation bien huilée du Sénat ! (Sourires.)
Mes chers collègues, lorsque vos enfants ou vos petits-enfants sortent le soir, donnez-vous les mêmes conseils aux garçons qu'aux filles ?
Mesdames, combien d'entre vous ont déjà changé de trottoir pour éviter de passer devant un groupe d'hommes un peu bruyants ?
Faites-vous partie de celles qui, seules dans la rue, tard le soir, mettent leur clé dans la main pour avoir une éventuelle – quoique bien dérisoire – arme de défense ? J'ai découvert avec stupeur que nous étions nombreuses à le faire.
Quel est ce monde où les filles et les femmes doivent adopter des stratégies d'évitement, pour échapper à un regard appuyé à en devenir gênant, à une remarque déplacée, à un geste intrusif, à une pression, à un harcèlement, à un viol ?
Pour celles qui n'ont pas pu se soustraire à un viol, combien n'ont pas pu réagir, tétanisées qu'elles étaient par la peur ?
Comment justifier ce silence, pourtant si fréquent ?
Et, n'en déplaise à certains, qui ne dit mot ne consent pas !
Mes chers collègues, il y a des lois qui réparent, et d'autres qui redonnent du sens. Le texte que nous examinons aujourd'hui fait les deux.