Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Questions d'actualité au Gouvernement
effort financier inédit demandé aux collectivités territoriales dans le projet de loi de finances
fragilisation du monde associatif et menaces pesant sur ses libertés et ses moyens
difficultés de la médecine du travail
calendrier d'examen de la ppl trace
projet de loi de simplification de la vie économique
garantir et accélérer l'application des décrets relatifs à la prévention du cancer de sein
présence de psychologues dans les établissements scolaires
(À suivre)
Présidence de M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
Hommage à d'anciens sénateurs
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Joël Bourdin, sénateur de l'Eure, Gisèle Printz, sénatrice de la Moselle, et Daniel Hoeffel, sénateur du Bas-Rhin, qui fut vice-président de notre assemblée. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)
Professeur d'économie, élève de l'ancien Premier ministre Raymond Barre, Joël Bourdin fut recteur de l'académie de Rouen. Maire de Bernay en 1983, fonction qu'il occupera pendant près de vingt ans, il fut conseiller général de l'Eure et vice-président de cette assemblée.
Sénateur de l'Eure de 1989 à 2014, il siégea au sein du groupe des Républicains Indépendants, puis du groupe UMP. Joël Bourdin fut membre de la commission des affaires culturelles de 1989 à 1995, puis de la commission des finances, dont il deviendra vice-président en 2004. Il sera président de la délégation sénatoriale à la prospective en 2011.
Son dévouement et son soutien inconditionnel aux plus vulnérables laisseront une empreinte dans notre assemblée.
Militante associative puis syndicale, avant de s'engager en politique au sein du parti socialiste, Gisèle Printz fut conseillère générale de la Moselle. Son engagement en faveur de la cause des femmes marquera l'ensemble de sa carrière ; nous nous en souviendrons ce soir, à l'occasion d'une réunion particulière.
Sénatrice de la Moselle de 1996 à 2014, elle fut membre de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes, dont elle sera vice-présidente.
Grand serviteur de l'État, Daniel Hoeffel fut secrétaire d'État auprès du ministre de la santé et de la famille de 1978 à 1980, ministre des transports de 1980 à 1981, et ministre chargé de l'aménagement du territoire et des collectivités locales de 1993 à 1995.
Figure emblématique de la vie politique alsacienne, président du conseil général du Bas-Rhin, Daniel Hoeffel fit son entrée au Sénat en 1977. Il fut membre du groupe Union centriste des démocrates de progrès (UCDP), puis du groupe Union Centriste (UC), dont il devint président en 1986.
Membre éminent de la commission des lois, il fut un ardent défenseur de la décentralisation. Il fut vice-président du Sénat de 2001 à 2004.
Écouté et respecté de tous ses collègues, Daniel Hoeffel marqua profondément notre assemblée de sa rigueur et de sa droiture. Je me souviens de l'avoir vu présider dans cet hémicycle. Demain, une messe d'action de grâce sera célébrée en son souvenir en l'église Saint-Thomas de Strasbourg, et notre collègue Claude Kern y représentera le Sénat.
Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter nos condoléances les plus attristées aux familles de nos collègues disparus. En leur mémoire, je vous propose d'observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, observent une minute de silence.)
2
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole. La conférence des présidents l'a encore rappelé la semaine dernière : ce temps de parole est de deux minutes, tant pour les sénateurs que pour le Gouvernement. Le Premier ministre bénéficie à cet égard d'un avantage particulier – il peut intervenir ad libitum –, dont il n'abusera cependant pas.
politique de la ville
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre de la ville et du logement, mes chers collègues, le 27 octobre 2005, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, perdaient leur vie, à peine commencée, dans un transformateur électrique de leur cité. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) J'ai une pensée aujourd'hui pour eux et pour leurs familles.
Ce drame entraîna un affrontement violent entre des habitants du quartier et les forces de police.
Depuis vingt ans, d'autres manifestations du même type ont eu lieu, dont celles de 2023, avec onze jours d'émeutes et de grands dégâts dans de nombreuses communes.
L'analyse de ces faits ne saurait être circonscrite, comme c'est – hélas – souvent le cas, à la question sécuritaire. Je rappelle ici que Zyed et Bouna n'avaient rien fait de répréhensible.
Dans le cadre de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous alerte sur les crédits de renouvellement urbain qui font défaut depuis plusieurs mois. Les acteurs, souvent associatifs, qui agissent au cœur de ces quartiers doivent aussi être soutenus davantage.
En définitive, de manière variable d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) à l'autre, l'action menée depuis 2017 n'est souvent pas à la hauteur des attentes légitimes de nos concitoyens concernés.
Monsieur le ministre, sur quels points entendez-vous agir en priorité pour que nos concitoyens vivant dans ces quartiers se sentent membres à part entière de la communauté nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville et du logement.
M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Montaugé, je vous remercie pour votre question, qui prend un relief particulier en ce triste anniversaire des vingt ans des émeutes de Clichy-sous-Bois et du drame que vous avez évoqué.
Cette question me permet en effet de rappeler la volonté du Gouvernement d'être aux côtés des 6 millions de Françaises et de Français qui vivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et auxquels on doit la même égalité des chances et la même promesse républicaine.
Cela signifie que nous devons soutenir l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui accomplit un travail formidable afin que ces quartiers retrouvent un visage dont leurs habitants puissent être fiers.
Nous devons, en outre, soutenir tous les dispositifs relevant de la politique de la ville.
J'exprimerai mon attachement à cette politique le plus simplement possible : sans celle-ci, sans l'aide qu'elle a représenté pour ma famille, qui nous a élevés, mon frère et moi, dans les QPV de la commune de L'Haÿ-les-Roses, je ne me trouverais pas aujourd'hui devant vous.
Mais être attaché à la politique de la ville ne signifie pas que l'on ne puisse pas la rationaliser dans certains endroits pour la rendre encore plus efficace dans d'autres, car elle est évolutive.
Puisque nous sommes, j'y insiste, très attachés à cette politique, nous soutiendrons tout ce qui ira dans le bon sens, en donnant une espérance et des chances à tous les habitants de ces quartiers.
Le comité interministériel des villes (CIV) a réuni tous les partenaires – élus locaux, collectivités, services de l'État, associations, habitants et entreprises. Il en est ressorti quarante-trois mesures.
J'en prends l'engagement devant vous, nous assurerons un suivi de la mise en place de ces mesures, et notamment de l'une d'entre elles qui me tient particulièrement à cœur : le renforcement de la relation entre la police et la population. Nous doublerons ainsi le nombre de délégués à la cohésion police-population (DCPP). Nous veillerons également à assurer la tranquillité publique et la sécurité de ces habitants, ce qui est le préalable fondamental de toutes les autres propositions.
M. le président. Il faut conclure.
M. Vincent Jeanbrun, ministre. Vous pouvez compter sur mon engagement en faveur de ces quartiers et des 6 millions de Français qui y habitent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, en tout état de cause, la ségrégation spatiale n'est pas admissible. Où que ce soit sur le territoire national, il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zone.
L'égalité républicaine effective doit demeurer un objectif majeur. A minima, le développement du droit commun permettant un égal accès aux services publics doit être votre priorité.
Je crois aussi que le Gouvernement devrait valoriser positivement ces quartiers (M. Stéphane Ravier s'exclame.), ce qui n'est pas le cas.
Du fait de leur travail, qui est souvent de première ligne – je tiens à le rappeler –, l'apport de leurs habitants à la vie nationale est considérable. Ne parlons pas seulement de ces quartiers lors des situations de crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
effort financier inédit demandé aux collectivités territoriales dans le projet de loi de finances
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky.
Mme Marie-Claude Varaillas. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Le projet de loi de finances pour 2026 impose aux collectivités territoriales un effort budgétaire sans précédent, pouvant atteindre 8 milliards d'euros une fois consolidées toutes les mesures directes et indirectes qui les affectent.
Alors que leur dette ne représente que 8 % de la dette publique nationale, cette année encore, elles vont subir : la réduction de la compensation des impôts économiques supprimés, le resserrement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), le gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la baisse du fonds vert et l'augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).
Pire encore, le montant du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), instauré l'an passé, sera doublé pour être porté à 2 milliards d'euros, ce qui multipliera par deux le nombre de collectivités concernées. Au travers de ce dispositif, l'État puise dans les comptes des collectivités pour alimenter sa trésorerie, alors que nous savons quel rôle primordial elles jouent dans l'investissement public. Il y a plus grave : les contributions ne seront reversées que si, globalement, l'évolution des dépenses est inférieure à l'inflation pour l'ensemble des collectivités.
Autrement dit, la restitution n'est pas pour demain.
Comment le Gouvernement peut-il justifier un tel transfert de charges vers les territoires, alors que la moitié de la hausse de la dette publique depuis 2017 découle directement des baisses, exonérations et suppressions d'impôt dont il a décidé et qui, selon la Cour des comptes, ont atteint 62 milliards d'euros entre 2017 et 2023 ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Varaillas, je vous remercie pour cette question qui précède le débat budgétaire. Dans votre intervention, vous venez de présenter de manière très juste le projet de budget qui sera examiné par le Parlement.
Le Premier ministre l'a dit, il s'agit d'un budget de responsabilité et d'exigence. Je rappelle que nous avons collectivement une responsabilité : redresser nos finances publiques afin de corriger le niveau du déficit, ce qui inclut les sujets des services publics, de l'école, de la justice et de la police.
L'effort qui est demandé est important, et ce pour tout le monde.
M. Mickaël Vallet. Non, pour les rentiers, tout se passe bien !
Mme Françoise Gatel, ministre. Vous dites que l'effort exigé des collectivités est particulièrement important ; à cet égard, le débat budgétaire aura bientôt lieu au Sénat.
Je souhaite rappeler que le Gouvernement a tenu sa parole dans le projet de budget : les 30 % de prélèvements liés au Dilico seront reversés aux collectivités, et le niveau du déficit de 5 % sera respecté.
Puisque vous avez énoncé un certain nombre de points, je voudrais compléter l'information donnée à vos collègues sénateurs.
Le projet de budget que nous présentons garantit la stabilité de la DGF, qui a augmenté de 790 millions d'euros ces dernières années.
Il permet d'affirmer l'importance de la solidarité territoriale, avec une hausse de 150 millions d'euros de la dotation de solidarité rurale (DSR), qui bénéficie aux territoires ruraux, et de 140 millions d'euros pour la dotation de solidarité urbaine (DSU).
Nous proposons de consolider le fonds de sauvegarde des départements, en le faisant passer de 100 millions à 300 millions d'euros, afin de tenir compte de la fragilité de ces collectivités. (Mmes Silvana Silvani, Cathy Apourceau-Poly et Émilienne Poumirol s'exclament.)
Par ailleurs, nous maintenons 110 millions d'euros au titre des aménités rurales.
Nous répondons à vos attentes, très légitimes, en matière de dégâts liés aux catastrophes climatiques en augmentant la dotation de solidarité pour les collectivités territoriales pour évènement climatique ou géologique (DSEC) de 40 millions d'euros.
Pour ce qui concerne France Services, nous tenons notre promesse puisque le chiffre de 2 900 entités sera atteint. (M. Pascal Savoldelli proteste.)
M. le président. Il faut conclure.
Mme Françoise Gatel, ministre. Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des débats que nous aurons bientôt, je vous invite à conduire un travail collectif très exigeant sur la diminution des normes, afin que nous puissions prévoir des dépenses intelligentes. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, on ne peut pas prétendre faire confiance aux élus locaux tout en les mettant à genoux financièrement !
Vous évoquez une nouvelle étape de décentralisation, alors que le Gouvernement porte gravement atteinte à la libre administration des collectivités, qui demeurent le pilier du service public et de l'investissement local.
Dans nos communes, cela signifie des chantiers reportés, des emplois supprimés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), des projets de transition écologique compromis, alors même que les collectivités assurent près de 60 % de l'investissement public. Cette nouvelle purge, sous prétexte de rétablir des équilibres financiers, menace gravement la mise en œuvre du pacte républicain. Avec mon groupe, nous nous y opposerons avec détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
lutte contre la fraude
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Notre groupe s'alarme de la fièvre fiscale délirante qui s'est emparée de l'Assemblée nationale, alors même que l'on ne s'attaque pas à l'éléphant au milieu de la pièce, si gros qu'il finit par boucher la vue : la fraude.
L'impôt universel qui a été adopté hier par les députés rapporterait 20 milliards d'euros, avant de dévitaliser notre économie. Dans le même temps, la fraude fiscale représente 100 milliards d'euros de perte annuelle, la fraude sociale 30 milliards et le blanchiment 50 milliards, avec un taux de recouvrement qui n'est que de 2 % – pas de quoi pavoiser ! Le tout usant et abusant de sociétés éphémères, véritables chevaux de Troie de la fraude au carrousel, qui représente entre 20 milliards et 25 milliards d'euros.
Monsieur le ministre, le projet de loi de lutte contre la fraude sociale et fiscale que vous nous proposez n'y suffira pas, car c'est un texte parcellaire et ramasse-miettes. Il ne prévoit rien sur les saisies et les confiscations, rien sur la lutte contre la fabrique de l'argent sale et le blanchiment, qui est devenu un métier à part entière, rien contre la corruption et presque rien contre la fraude fiscale !
La lutte contre les fraudes et la criminalité organisée n'est ni de droite ni de gauche, c'est un combat républicain.
Ma question est simple : plutôt que de taxer toujours plus les contribuables et les entreprises, allez-vous écouter et surtout entendre les nombreuses propositions du groupe Union Centriste, très investi sur ces questions, lors des prochains débats ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Loïc Hervé. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice Goulet, je voudrais tout d'abord saluer votre engagement constant, et reconnu de tous, dans la lutte contre la fraude, et notamment contre le blanchiment.
Votre proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment a ainsi été présentée ce matin devant la commission des finances du Sénat. Je tiens également à saluer les rapporteurs de ce texte visant à améliorer l'efficacité des outils antifraude, MM. Stéphane Sautarel et Hervé Reynaud.
Vous l'avez dit, le Gouvernement s'attaque à la lutte contre la fraude en présentant un projet de loi que je crois extrêmement ambitieux, notamment parce qu'il permettra de doter la lutte contre la fraude sociale – fraude aux prestations et aux cotisations – des mêmes instruments que ceux dont nous disposons aujourd'hui en matière de fraude fiscale.
Vous avez raison, ce projet de loi a vocation à être complété et enrichi lors du débat parlementaire ou à l'occasion des travaux qui s'y ajouteront, à l'instar de votre proposition de loi sur le blanchiment.
Vous l'aurez compris, nous sommes à votre disposition pour travailler, compléter et enrichir ces dispositifs. Je vous proposerai dans les prochains jours une réunion, en lien avec les rapporteurs et les services de Bercy, en vue de déterminer les instruments les plus efficaces.
Les débats techniques que nous pouvons avoir sont de bons débats en ce qu'ils démontrent que nous partageons un objectif, la lutte contre la fraude, et que nous pouvons donc travailler ensemble sur la meilleure manière de la mettre en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. J'ai eu l'honneur d'accompagner la semaine dernière le Premier ministre dans les services de la direction du contrôle fiscal. Nous y avons été félicités pour la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, pour l'abaissement du seuil pour les prix de transfert et pour la fin du « verrou de Bercy », résultat d'une croisade de plus de cinq ans que j'ai menée au Sénat avec Éric Bocquet – et j'en profite pour le saluer.
Faites confiance au Sénat. Nous avons des propositions et nous connaissons le terrain. L'administration ressemble parfois à une grosse marmotte (Sourires.) ; je vous propose de la réveiller !
Je vous demande, monsieur le ministre, d'être attentif à nos propositions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
fragilisation du monde associatif et menaces pesant sur ses libertés et ses moyens
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Ma question s'adresse à Mme la ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
Un immense plan social silencieux se prépare, celui du monde associatif : 90 000, soit le nombre de salariés des associations de notre pays qui sont sur la sellette. À l'heure où nous parlons, un tiers des associations disposent de moins de trois mois de trésorerie et nombre d'entre elles mettent déjà la clé sous la porte.
Ce désastre, madame la ministre, n'est en rien le fruit du hasard. Ces budgets en chute libre sont le résultat de vos choix politiques.
Sport, culture, éducation populaire, droits humains... : les associations françaises, qui sont au nombre d'1,4 million, leurs bénévoles et leurs salariés, continuent de porter à bout de bras la solidarité et la cohésion sociale de notre pays.
Jamais le monde associatif n'a été autant fragilisé. Partout, le constat est le même : « Ça ne tient plus. » C'est justement cette phrase que des milliers de bénévoles, mobilisés pour vous alerter, ont criée le 11 octobre dernier. Dans nos ruralités, nos quartiers et nos zones périurbaines, c'est grâce à ces femmes et à ces hommes que nos associations tiennent encore debout. Ils donnent leurs soirées, leurs week-ends, pour défendre l'intérêt général et maintenir le lien social dans nos territoires.
Ils sont notre fierté et ne demandent ni compassion ni grands discours : ils demandent des moyens.
Madame la ministre, les semaines à venir seront décisives. Allez-vous redonner souffle à nos associations en soutenant des budgets à la hauteur des enjeux ? Ou bien soutiendrez-vous celles et ceux, à droite et à l'extrême droite, qui tentent de restreindre encore davantage les libertés associatives, et laisserez-vous mourir ces structures qui font vivre nos territoires ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.
Mme Marina Ferrari, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la sénatrice Ollivier, je vous remercie tout d'abord d'avoir rendu hommage aux associations qui font vivre notre territoire. J'ai l'habitude de dire, comme élue locale, que sans ces hommes et ces femmes qui sont partout aux côtés de nos concitoyens, la France n'aurait pas le même visage.
Vous m'alertez sur les difficultés, qui sont réelles, rencontrées aujourd'hui par nos associations. La manifestation du 11 octobre dernier, que vous avez évoquée, était à cet égard un appel, que nous devons bien évidemment entendre.
Aussi, je tiens à vous préciser que le Gouvernement a entendu la demande des associations. Dans le projet de budget pour 2026, les crédits de mon ministère, et notamment ceux dédiés aux fonds structurels, sont sanctuarisés.
Ainsi, les crédits du fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), lequel n'a cessé de croître au cours des dernières années, sont sanctuarisés à hauteur de 70 millions d'euros. Cette enveloppe permettra, dans nos territoires les plus reculés, d'aider les plus petites associations, qui souvent sont aussi les plus fragiles.
Les crédits du fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) sont également sanctuarisés.
Par ailleurs, je tiens à vous rappeler, madame la sénatrice – mais vous le savez déjà –, que, dans le cadre du projet de budget pour l'année prochaine, le régime fiscal de déduction est préservé. Ces recettes moindres pour l'État représentent un effort qui s'élevait, l'année dernière, à 4 milliards d'euros.
Enfin, une mesure était très attendue, notamment par les associations caritatives, aux demandes desquelles l'exécutif est très attentif : le plafond de la défiscalisation connue sous le nom de « niche Coluche » a été rehaussé de 1 000 à 2 000 euros. Nous avons souhaité, par cette mesure, encourager l'élan de générosité des Français.
Vous avez eu raison de dire que la liberté associative était l'un des piliers de notre démocratie. Le Gouvernement y demeure pleinement fidèle et défend – soyez-en assurée – l'esprit de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.
Mme Mathilde Ollivier. Madame la ministre, les associations ont besoin de stabilité fiscale.
Ce sont vos politiques qui provoquent les défaillances, qu'il s'agisse de la fin du Pass'Sport, de la non-compensation de la prime Ségur, du recul concernant l'aide au développement, du contrat d'engagement républicain (CER), etc. Vous avez le pouvoir de revenir en arrière : c'est une question de volonté politique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
application des dispositions de l'article 5 de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le Premier ministre, dans un État de droit, le Parlement légifère, l'exécutif exécute et la justice juge.
M. Roger Karoutchi. Ça, c'était avant !
M. Laurent Duplomb. Pour exécuter correctement, les agents de l'État doivent faire primer leur mission sur leurs convictions personnelles. Devoir de réserve et esprit de neutralité sont les garanties du bon fonctionnement de notre administration.
Comment accepter, dès lors, que des fonctionnaires laissent transparaître leur propre militantisme dans l'exercice de leurs fonctions ? Ce phénomène enfle. C'est ainsi qu'au sein de l'association Le Lierre, de hauts fonctionnaires se permettent, au mépris de leur devoir de réserve, de communiquer publiquement et de façon critique sur les politiques publiques en matière agricole. Ils sont même allés jusqu'à publier un livre sur le sujet... C'est inadmissible ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes GEST et SER.)
Malheureusement, cela ne s'arrête pas là !
Ma surprise et mon inquiétude grandissent quand le premier représentant de l'État dans la Vienne est lui-même rétif à l'application de la loi.
En effet, l'article 5 de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, en vigueur depuis le 13 août dernier, dispose qu'une analyse socio-économique est nécessaire pour chaque étude touchant aux volumes d'eau destinés à l'agriculture. Or le préfet de la Vienne reste non seulement sourd aux demandes légitimes de la profession, mais il s'assoit aussi carrément sur la loi en refusant d'intégrer cette analyse socio-économique.
Les résultats de cette étude, que les organisations agricoles ont réalisée, sont sans appel : le fait de passer, sur le bassin du Clain, de 28 millions à 16 millions de mètres cubes prélevés menacera, à terme, près de 300 emplois dès 2026 et entraînera 40 millions d'euros de pertes économiques. Ces seuls chiffres valident le bien-fondé de cette loi !
Monsieur le Premier ministre, à quoi cela sert-il de légiférer en France si l'exécutif prend soin de ne pas appliquer la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Stéphane Fouassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la transition écologique.
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Monsieur le sénateur Duplomb, vous m'interrogez sur la mise en œuvre de l'article 5 de votre proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, qui est devenue une loi.
J'aurai tout d'abord, si vous me le permettez, un mot pour les agents auxquels vous avez adressé des reproches : ils font, tout comme les préfets, leur travail dans le respect des lois de la République.
Dans le cas d'espèce, l'article 5 de ladite loi a été pleinement respecté puisque les études complémentaires et les analyses des impacts socio-économiques, rendues obligatoires par votre texte au travers des tests HMUC (hydrologie, milieux, usages, climat), ont été réalisées.
Il existe dans votre loi un équilibre auquel nous tenons toutes et tous ici : l'articulation entre la protection de la ressource en eau et le devenir de nos agriculteurs, dont je sais qu'il vous préoccupe grandement. Cette articulation a été respectée et votre loi a été, sauf erreur, pleinement mise en œuvre.
Les volumes prélevables, ce que prévoit d'ailleurs votre proposition de loi, doivent refléter la ressource disponible et non les besoins théoriques.
M. Yannick Jadot. Il n'y a pas d'eau magique !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. C'est une question, me semble-t-il, de responsabilité collective.
M. Marc-Philippe Daubresse. Réponse de haut fonctionnaire !
M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. Qu'il faille accompagner nos agriculteurs et faire en sorte que la transition ne soit pas brutale, c'est tout le sens de l'action menée par Mme la ministre Annie Genevard, sous l'autorité du Premier ministre. Et les conférences « L'eau dans nos territoires » servent à aider nos agriculteurs à assurer cette transition écologique.
Croyez bien que votre proposition de loi sera appliquée dans son entièreté : c'est un engagement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Jomier. Pas mal !
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour la réplique.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je m'inscris en faux contre vos propos : l'étude socio-économique n'a pas été prise en compte.
Comment expliquer qu'avec 300 emplois menacés et 40 millions d'euros de pertes, on persiste à vouloir diminuer le prélèvement de près de moitié ?
M. le président. Il faut conclure.
M. Laurent Duplomb. Qui peut croire, compte tenu de l'évolution du climat, que l'agriculture puisse se passer d'eau ? Personne ne peut le penser objectivement ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, entre la rigueur aveugle et la démagogie complaisante, il existe un chemin : celui de la responsabilité éclairée. C'est ce chemin que nous souhaitons prendre à vos côtés.
Avec le groupe RDPI, nous portons une conviction inébranlable : maintenir le cap budgétaire bien en deçà des 5 % de déficit est non pas une option, mais une nécessité absolue. Sans ce cap, c'est toute notre crédibilité qui serait affaiblie : des décennies pour la construire, un budget pour la détruire.
Or la parole de la France ne se marchande pas. Elle ne se négocie pas. Elle ne se brade pas. C'est la sécurité financière de tous les Français qui en dépend.
Mais, soyons clairs, la rigueur sans discernement est une impasse. La responsabilité budgétaire ne peut s'affranchir de l'équité territoriale.
À ce titre, nous n'abandonnerons pas les territoires les plus vulnérables, et au premier chef nos outre-mer. L'effort qui leur est demandé suscite de grandes craintes, notamment celle d'un risque d'effondrement social et économique de nos territoires ultramarins, qui sont déjà fragilisés. Les outre-mer ne sauraient être une variable d'ajustement budgétaire.
Fidèle aux combats que nous menons depuis huit ans, le groupe RDPI continuera de défendre la valeur travail avec acharnement. Nous serons toujours les défenseurs de ceux qui produisent la richesse de notre Nation : ces classes moyennes qui constituent l'épine dorsale de notre République et qui, trop souvent, portent seules sur leurs épaules le poids de notre modèle social.
Or, monsieur le Premier ministre, nous voyons se profiler une tentation dangereuse à l'Assemblée nationale : toujours plus de taxation. Nous y sommes fondamentalement opposés, particulièrement lorsque l'outil professionnel est visé.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. François Patriat. Confondre patrimoine professionnel et patrimoine personnel, c'est décourager l'investissement et affaiblir notre tissu économique.
M. Jean-François Husson. Vous avez raison !
M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous prendre l'engagement qu'aucune taxation mélangeant patrimoine professionnel et personnel ne sera décidée par votre gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, qu'il me soit d'abord permis, au nom du Gouvernement, de m'associer à votre hommage aux parlementaires qui nous ont quittés et – je le dis sous le contrôle d'Hervé Maurey et des sénateurs de l'Eure – d'avoir une pensée particulière pour le sénateur Joël Bourdin.
Pour ce qui concerne les territoires d'outre-mer tout d'abord – il y a dans cet hémicycle un certain nombre d'anciens ministres des outre-mer, notamment Mme Girardin et M. Lurel –, les dispositifs qui leur sont spécifiques sont souvent des dispositifs de rattrapage.
Au fond, monsieur le président Patriat, votre question porte sur les mesures d'effort relatives aux niches sociales, c'est-à-dire au dispositif dit Lodéom et aux niches fiscales. J'ai demandé aux ministres concernées, Amélie de Montchalin et Naïma Moutchou, de réunir très vite les parlementaires d'outre-mer, car nous voyons bien que les efforts demandés sur ces lignes budgétaires ne sont pas adaptés aux situations locales.
Mme Catherine Conconne. Bravo !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il s'agit déjà de dispositifs de rattrapage. Par conséquent, pour le dire en mauvais français, le risque de stop and go peut avoir un effet absolument délétère sur la vie économique locale.
Cela signifie donc qu'il faut évidemment – je regarde M. le ministre Lurel – trouver des mesures d'adaptation rapide en fonction des situations locales, parce que, selon les territoires d'outre-mer, la question du bâtiment n'est pas toujours la même que celle du tourisme, qui n'est pas non plus toujours la même que celle de l'agriculture. Nous le voyons bien, il s'agit d'un enjeu de dialogue local et d'adaptation.
Si je devais former un vœu, même si je ne sais pas ce qu'il est possible de faire compte tenu du manque de majorité à l'Assemblée nationale, ce serait de construire des majorités d'idées pour, à la suite des ministres qui se sont interrogés sur ce sujet, adapter ces niches tant fiscales que sociales désormais âgées de dix ou quinze ans aux réalités économiques de ces territoires.
Tel est le premier engagement que je prends devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : mettre très vite autour de la table les parlementaires d'outre-mer, régler l'urgence – c'est-à-dire aborder, durant l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la question des niches sociales et fiscales –, mais aussi profiter de ce moment pour essayer de projeter ces dispositifs en les adaptant.
Je ne peux omettre de citer les situations particulières de la Nouvelle-Calédonie, où des dispositifs spécifiques sont liés au statut de l'archipel, ou de Mayotte, où la situation d'après le cyclone nous oblige évidemment à accélérer un certain nombre d'investissements.
Voilà pour l'outre-mer, qui constitue à mon sens un point clé. Souvent, les parlementaires, les journalistes et les élites parisiennes, pour le dire de manière globale, ne regardent pas suffisamment de près ces questions, alors qu'il s'agit de l'un des gages de la justice et de l'équité territoriale. On ne peut pas aborder les sujets de la décentralisation et de l'adaptation de nos textes à l'ensemble de l'organisation territoriale du pays sans prêter immédiatement une très grande attention aux territoires d'outre-mer.
Monsieur le président Patriat, vous posez ensuite la question des quelques principes qui pourraient être mis sur la table pour tenter d'organiser l'examen du projet de loi de finances, non seulement à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat. J'aurai moi-même l'occasion de me rendre à l'Assemblée nationale dans les prochains jours pour m'investir dans les débats.
Premier principe, que j'ai répété à de nombreuses reprises, y compris par sensibilité politique personnelle : il ne faut pas, à mon sens, refuser de poser par principe la question de la justice fiscale.
Un débat est apparu sur la progressivité de l'impôt, notamment pour les 0,01 % des contribuables les plus riches de ce pays. De fait, quand on regarde les études macroéconomiques, il y a un léger tassement sur la fin de la courbe qui peut poser un certain nombre de questions. Il ne faut pas balayer ce débat d'un revers de main, car nous devons de toute façon à nos concitoyens, compatriotes, contribuables et électeurs des clarifications et des réponses, souvent techniques, sur ce sujet.
Deuxième principe, ainsi que la sénatrice Goulet l'a indiqué – je l'en remercie –, il est vrai qu'il y a quelque chose de particulier à vouloir créer de nouvelles lois fiscales sans s'assurer au préalable que les précédentes, adoptées par l'Assemblée nationale et le Sénat, sont bien appliquées. C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité que le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, tant en recettes qu'en dépenses, soit inscrit à l'ordre du jour des deux Assemblées.
Son examen commencera d'ailleurs au mois de novembre au Sénat, pour donner également de la visibilité à ce sujet. Le chiffre a été rappelé par Mme la sénatrice Goulet tout à l'heure : nous parlons de quelque 20 milliards d'euros à récupérer, qui ne sont pas prélevés aujourd'hui.
Pour l'essentiel, cette fraude est d'ailleurs plus fiscale que sociale. Elle est due à un certain nombre de mensonges et de déclarations frauduleuses, ce qui nous renvoie à des questions touchant l'organisation du pays, et notamment à la préhistoire numérique dans laquelle les services de l'État peuvent se trouver – même si je ne reprendrai pas la métaphore de la marmotte…
M. Loïc Hervé. C'est un animal protégé ! (Sourires.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un certain nombre de travaux du Sénat – j'en discutais il y a quelques instants avec Mme la sénatrice Lavarde – ont aussi montré qu'il fallait tout simplement être capable de décloisonner, de croiser des fichiers et d'adapter la loi à toutes ces circonstances. Il s'agit là, évidemment, de l'une des exigences qu'il faudra remplir.
Le troisième principe, …
M. Pascal Savoldelli. C'est une nouvelle déclaration de politique générale ?
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Le troisième principe – j'essaie d'être précis et complet, monsieur le sénateur, et il devrait vous plaire – est qu'il faut traiter la question de l'optimisation fiscale. En effet, si nous discutons de la taxation des 0,01 % les plus riches de ce pays, c'est qu'un certain nombre de mécanismes relèvent non pas de la fraude, mais tout simplement d'adaptations à la loi fiscale, sans forcément que la volonté du législateur soit mise en question.
Au fond, il y aurait deux types de contribuables : ceux qui ne peuvent pas s'adapter, qui ne savent pas optimiser, et ceux qui peuvent jouer avec la règle sans forcément frauder. Je le répète, cette question de justice doit être traitée : on ne peut faire comme si elle n'existait pas.
Je pose tout de suite la question des biens somptuaires. Un certain nombre de dispositifs ont été créés pour protéger la transmission de l'outil patrimonial professionnel. Toutefois, avec le temps, ici ou là, quelques dérives ont pu être constatées, suscitant des interrogations. Il faudra donc que l'Assemblée nationale et le Sénat s'emparent de ce sujet.
D'autres questions de principe se posent encore – monsieur le président du Sénat, veuillez m'excuser d'être aussi long…
M. le président. Veillez tout de même à maîtriser votre temps de parole, monsieur le Premier ministre. (Sourires.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il y a tout de même un problème à aborder la question de la fiscalité sans jamais parler de croissance, d'attractivité et d'emploi. Progressivement, nous sommes en train de déconnecter le débat fiscal de la question économique générale et globale.
Tel est le premier vœu que je forme et que je porterai à l'Assemblée nationale : nous ne vivons pas sur une île et nous ne pouvons pas déconnecter notre régime fiscal de la question plus globale de l'attractivité et de la croissance, d'autant plus que certaines dispositions fiscales n'auraient de sens que si elles étaient portées à l'échelon européen ou international, en tout cas dans le périmètre de l'OCDE.
M. André Guiol. Eh oui !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. C'est évidemment l'un des points importants sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir.
Enfin, comme aurait dit le président Pompidou : ne vendez pas la vache. Monsieur le président Patriat, vous parlez du patrimoine professionnel. Je vous réponds donc très directement : le débat sur le flux, sur les revenus, donc sur le lait, nous permet peut-être d'avancer sur la question de la progressivité de l'impôt et de la justice fiscale.
Il y a une réalité : toucher à la croissance, c'est tuer la vache, et tuer la vache, c'est abandonner toute perspective d'avoir du lait un jour. C'est l'un des fils qui, à mon sens, doit guider les débats de l'Assemblée nationale et du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
taxe zucman
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, depuis quelques jours, le concours Lépine des taxes les plus déjantées bat son plein à l'Assemblée nationale, mené par les « pistoleros » de la justice fiscale. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Claude Malhuret. Je vois qu'en ce moment vous appréciez les histoires de vaches et de lait ; je voudrais donc vous raconter celle de la vache de Zuc.
C'est un paysan que les gens de son village ont surnommé Zuc. Ce dernier n'est pas très fort en économie, il n'a qu'une vache et celle-ci n'a que la peau sur les os. Elle ressemble plus à une vache sacrée famélique d'nde qu'à une belle charolaise du Bourbonnais. (Sourires sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Franck Montaugé. Mais non, elle est magnifique !
M. Claude Malhuret. Un matin, Zuc se lève pour aller dans son champ et là, c'est le drame : la vache est morte. Zuc tombe à genoux, se roule par terre. Il crie, lève les mains au ciel et demande : « Mon Dieu, pourquoi as-tu tué ma vache ? » Soudain, un énorme grondement de tonnerre retentit. Il entend une voix formidable venue d'en haut : « Zuc, tu me casses les oreilles avec tes cris. Qu'est-ce qui t'arrive ? »
Tout tremblant, Zuc répond : « Mon Dieu, c'est horrible, tu as fait mourir ma vache. » La voix répond : « Ce n'est pas moi qui l'ai tuée, c'est toi qui ne lui as presque rien donné à manger depuis six mois. Mais tu me fais de la peine. Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider. Veux-tu que je ressuscite ta vache ? »
M. Pascal Savoldelli. C'est une thérapie ?
M. Claude Malhuret. Zuc lui répond : « Non, mon Dieu, je demande simplement la justice : tue la vache de mon voisin ! » (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Appauvrir les uns pour enrichir les autres, c'est la recette séculaire de l'enfer pavé de bonnes intentions du camp du bien. Tous les pays qui l'ont appliquée n'ont jamais enrichi personne, mais ils ont tous réussi à ruiner tout le monde.
M. Yannick Jadot. Et la Révolution française ? Et 1789 ?
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, la France crève d'un excès de dépenses, de dettes et de taxes, mais au lieu de faire des économies, depuis huit jours, les députés adoptent des centaines d'amendements, créant chaque jour de nouveaux impôts.
Je vous supplie de résister et de défendre avec nous la ligne dont le pays a besoin : moins d'impôts, moins de dépenses publiques, plus d'emplois et de liberté pour les Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Claude Malhuret. Aussi ma question est-elle simple : que comptez-vous faire face à cette assemblée saisie de folie fiscale ? (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, ne vendez pas la vache, disait le président Pompidou, ainsi que je l'indiquais à l'instant. Au-delà du lait, cela pose plus précisément la question du patrimoine professionnel.
Un premier principe est que notre société et notre vie économique ont besoin de capitaux, de préférence de capitaux français. J'ai eu l'honneur d'être ministre des armées pendant trois ans et demi : dès qu'une PME sous-traitante de notre appareil de défense est en difficulté – je parle sous le contrôle du président Perrin –, il n'est pas rare que certains veuillent très vite un plan de sauvegarde, voire une nationalisation.
Il serait tout à fait curieux de décourager les capitaux français de rester en France ou les capitaux européens de rester en Europe, et donc de créer une énorme vulnérabilité revenant à ouvrir la plupart de notre outil productif à des capitaux chinois, américains ou venant de pays du Golfe.
On ne peut déconnecter le débat sur la fiscalité de celui sur l'économie, l'emploi, l'attractivité et la croissance. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.) C'est le débat technique qui permettra d'aller plus loin que le seul débat politique.
Monsieur le président Malhuret, vous avez été secrétaire d'État aux droits de l'homme. Un autre principe important est de respecter notre Constitution. J'y insiste, car notre Constitution n'est pas là pour protéger des privilèges ; elle n'a pas non plus à s'appliquer à la carte. L'État de droit doit être respecté en toutes circonstances.
L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui établit l'égalité des charges devant l'impôt, pose aussi la question des capacités contributives.
Au fond, il s'agit d'un côté d'assurer la justice fiscale et, de l'autre, de ne pas adopter des dispositifs fiscaux inconstitutionnels, parce qu'ayant une dimension objectivement confiscatoire.
Il y a là un deuxième principe qui permet, à mon avis, de guider les débats à l'Assemblée nationale et, j'en suis certain, au Sénat : on ne peut pas appliquer l'État de droit à la carte. On l'a peut-être trop ou pas assez rappelé ces derniers temps sur d'autres sujets.
Enfin, et c'est mon dernier point, il me semble que l'on ne peut décorréler le chapitre des recettes de celui des dépenses.
Mme Silvana Silvani. Quelle information !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Au fond, il s'agit de la question que le président Kanner m'a posée la semaine dernière sur la protection des plus fragiles et des différentes saisines des présidents de groupe du Sénat demandant d'avancer sur des mesures pluriannuelles d'économies structurelles et évoquant notamment la question de la réforme de l'État.
Cela nous amène à deux considérations pour les temps à venir.
Il faut que le Gouvernement entre plus vite en discussion avec les différentes formations politiques, notamment pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
M. Jean-François Husson. Il arrive !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un certain nombre de mesures, comme le gel des minima sociaux ou des petites retraites, sont des sujets qui, légitimement, posent question. On ne peut pas les décorréler du chapitre des recettes du projet de loi de finances (PLF) et du PLFSS. Le moment est venu de parler des dépenses et des recettes en même temps.
En ce qui concerne les dépenses, une première réunion s'est tenue avec les différents ministres sur la réforme de l'État pour aborder les questions relatives aux agences, à la décentralisation, à l'adaptation d'un certain nombre de politiques publiques pour les territoires d'outre-mer, que je mentionnais il y a un instant. Il est grand temps de sortir de notre myopie de l'annualité budgétaire, d'être capables de voir un tout petit peu plus loin que le bout de notre nez et de dessiner une réforme de l'État.
Je veux dire aux derniers parlementaires qui pourraient douter de nos engagements que la volonté de compromis va dans les deux sens.
Si nous sommes prêts à avancer sur un certain nombre de demandes faites sur ces travées, il faudra aussi que nous soyons capables de trouver un consensus sur la réforme de l'État.
Nos concitoyens demandent que l'on traite un certain nombre de problèmes à la racine sans démagogie, sans faire de fonctionnaire-bashing, sans opposer les collectivités locales à l'État et vice-versa, mais en étant capables, tout simplement, de repartir de zéro et de faire preuve de créativité. C'est le seul chemin que je vois pour sortir notre pays de la situation dans laquelle il se trouve. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
difficultés de la médecine du travail
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Éric Gold. Madame la ministre de la santé, la médecine du travail est le premier maillon de la prévention au travail. Elle protège la santé physique et mentale des salariés. Elle réduit les risques d'accidents et de maladies professionnelles et permet d'éviter des pathologies plus lourdes et plus coûteuses pour la collectivité.
Toutefois, ce pilier de la prévention vacille aujourd'hui. Dans le secteur privé, près d'un tiers des salariés n'a pas de suivi régulier. Dans le secteur public, des milliers d'agents n'ont jamais rencontré un médecin du travail. Dans certains territoires d'outre-mer, ce service n'existe même pas.
Dans un service interentreprises de médecine du travail du Puy-de-Dôme, on a compté jusqu'à quatre semaines d'attente. Or, après certains arrêts de travail, notamment si un aménagement de poste est nécessaire, ce qui concerne environ 30 % des arrêts maladie de longue durée, les employeurs doivent organiser une visite de reprise pour leurs salariés dans les huit jours qui suivent le retour effectif.
Certaines visites de reprise n'ont donc pu se faire dans les délais, ce qui a contraint les salariés à prolonger leur arrêt de travail ou à prendre des congés, alors qu'ils étaient aptes à retourner à leur poste. C'est une situation ubuesque, vous en conviendrez, tout particulièrement dans le contexte budgétaire que nous connaissons.
Malgré la suppression du numerus clausus, la médecine du travail n'attire plus, entraînant un accès dégradé à la prévention et une fatigue accrue pour les professionnels qui restent.
Madame la ministre, alors que l'examen du budget de la sécurité sociale a débuté à l'Assemblée nationale, comment comptez-vous redonner de l'attractivité à la médecine du travail ? Envisagez-vous de simplifier les procédures, en remplaçant, par exemple, certaines visites de reprise par un suivi infirmier encadré ?
Madame la ministre, la médecine du travail n'est pas un coût, c'est un investissement pour la santé. Elle mérite mieux qu'une ordonnance de pénurie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sonia de La Provôté et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Gold, vous m'interrogez sur la prévention et sur la médecine de santé au travail. Avec mon collègue Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités, nous nous sommes engagés à améliorer la situation.
Avant de vous répondre, je tiens à remercier l'ensemble des professionnels actuellement engagés dans la santé au travail, qui sont aujourd'hui en nombre insuffisant, ainsi que vous l'avez souligné. Comme ministre, je continuerai de porter toutes les mesures que j'avais défendues comme parlementaire, qui permettent de faire évoluer les métiers et de partager des compétences, puisque cette réponse de court terme permet d'améliorer la situation.
La suppression du numerus clausus, que vous avez mentionnée, est une mesure de long terme. Nous formons 20 % à 30 % de médecins supplémentaires, mais il faut du temps pour que ceux-ci arrivent sur le terrain.
Pour ce qui est des mesures de court terme, en 2025, nous allons tripler le nombre de praticiens à diplôme hors Union européenne pour la santé au travail.
M. Loïc Hervé. C'est bien !
Mme Stéphanie Rist, ministre. Au printemps dernier, nous avons lancé une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) afin de constater ces difficultés. Lorsque ses travaux seront rendus, nous reviendrons vers la Haute Assemblée, mon collègue ministre du travail et des solidarités et moi-même, pour avancer sur ce sujet.
C'est un enjeu majeur de prévention, vous l'avez dit, qui entraîne aussi une diminution des coûts et une amélioration de la santé de nos compatriotes. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. J'y associe mon vieux compère Ghislain Cambier, ainsi que nos collègues Amel Gacquerre, Jean-Marc Boyer, Daniel Gueret, Jean-Claude Anglars et tant d'autres, souvent de tous bords confondus.
Monsieur le Premier ministre, le 15 octobre dernier, devant le Sénat, vous avez présenté un gouvernement de mission et d'objectifs. Vous avez parlé de confiance, d'efficacité, de réforme de l'action publique, de décentralisation, de sens retrouvé : des mots forts, que nous partageons tous.
Toutefois, dans nos territoires, cette feuille de route a un goût d'inachevé : rien ou presque sur la transition écologique – soit ! –, mais surtout, pas un mot sur la sobriété foncière et aucune allusion au zéro artificialisation nette (ZAN).
Sur le terrain, les maires sont dans l'incompréhension. Le ZAN, tel qu'il est appliqué, ne freine pas l'artificialisation : il fige les territoires avec un urbanisme comptable. Il bloque des projets de logement, retarde des équipements publics ainsi que des projets de réindustrialisation et d'énergie renouvelable.
C'est pour répondre à ce constat que le Sénat a travaillé, par-delà les clivages, en adoptant le 18 mars dernier, à une large majorité, la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). Ladite proposition de loi n'est pas du tout une remise en cause du ZAN, comme cela a été dit.
M. Yannick Jadot. Ah non, pas du tout !
M. Jean-Baptiste Blanc. Elle prévoit une méthode claire, réaliste et contractuelle pour réussir ce défi complexe, fondée sur la concertation. Cela redonne confiance aux maires, réconcilie écologie et cohérence territoriale et place la sobriété foncière sous le signe du bon sens et non de la contrainte.
Monsieur le Premier ministre, les élus sont prêts ; les acteurs économiques, les associations, nos concitoyens, tous attendent ce texte. Dès lors, pourquoi attendre février 2026 pour l'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale ? Pour nos territoires, un tel retard est incompréhensible : ils n'ont plus le temps. Nos élus ont besoin maintenant d'un cadre nouveau, lisible, d'un cap clair.
Vous avez dit vouloir un gouvernement de mission et d'objectifs. Le ZAN est un objectif, Trace en est la trajectoire. La question est donc simple : qu'attend le Gouvernement pour inscrire, dès les prochaines semaines, la proposition de loi Trace à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et permettre enfin aux élus de bâtir une transition juste ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – Mme Marie-Claude Lermytte et MM. Vincent Louault et Daniel Chasseing applaudissent également.)
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, je reconnais dans votre question la détermination et l'endurance du Sénat sur un certain nombre de sujets, dont celui-ci. Je vous remercie de me fournir ainsi l'occasion de préciser les intentions du Gouvernement.
Effectivement, dans les prochaines semaines – l'adjectif nous convient à tous, puisqu'il n'est pas quantitatif –, en tout cas dès la rentrée de janvier prochain, le Gouvernement a annoncé son intention d'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale la proposition de loi Trace adoptée par le Sénat.
Monsieur le sénateur – et je m'adresse aussi aux parlementaires ayant rédigé avec vous un courrier au Premier ministre, à savoir Mme la sénatrice Gacquerre et MM. les sénateurs Boyer, Gueret et Cambier –, chacun le dit, nous ne pouvons ignorer l'exigence de frugalité foncière, lors même que, dans notre pays, nous avons consommé en 50 ans l'équivalent de ce que nous avions consommé en 500 ans.
M. Vincent Louault. C'est incroyable !
Mme Françoise Gatel, ministre. Toutefois, le ZAN est sans doute l'exemple même d'une disposition normative qui n'a pas été calibrée et qui ne prend pas suffisamment en compte la différenciation des territoires.
Je vous propose donc, monsieur le sénateur, que nous entreprenions un dialogue pour faire le point sur la proposition de loi Trace. Néanmoins, le Parlement est composé de deux chambres, et l'Assemblée nationale a un point de vue un peu différent de celui du Sénat.
Je rencontrerai les députés concernés et j'œuvrerai avec vous – je suis sûre que vous y serez disposés – à rapprocher les points de vue pour que nous sortions de l'impasse. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Je voudrais vous parler de deux économistes de renommée mondiale : Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, et Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI. Tous deux soutiennent sans ambiguïté la taxe proposée par Gabriel Zucman sur les très hauts patrimoines. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Eh oui !
Mme Florence Blatrix Contat. Pourquoi ? Parce que notre système fiscal permet aujourd'hui aux ultra-riches de s'affranchir de la solidarité nationale. Pendant que leur patrimoine s'envole, passant de 200 milliards d'euros en 2015 à plus de 1 200 milliards d'euros aujourd'hui, leur contribution, elle, diminue. Les 0,01 % les plus riches sont imposés deux fois moins que le reste de la population. Où est la justice ? Où est l'égalité ?
Pourtant, l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est clair : la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. »
Joseph Stiglitz le dit, la France peut montrer l'exemple au monde. Olivier Blanchard le confirme, la taxe Zucman est nécessaire, plus efficace que la taxe sur les holdings, jugée insuffisante. Les Français, eux, ont tranché : ils soutiennent cette taxe à 86 %. Pourtant, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement refuse cette mesure sans proposer aucune alternative crédible.
Or c'est à vous qu'il revient de présenter des solutions susceptibles de rassembler une majorité ; c'est à vous qu'il revient de trouver des ressources fiscales permettant de dégager des rendements significatifs et de rétablir la justice fiscale.
Refuser d'agir, c'est faire le choix d'augmenter les franchises médicales, de geler les pensions, les aides personnalisées au logement (APL) ou encore l'allocation aux adultes handicapés.
Monsieur le ministre, allez-vous enfin proposer une contribution significative des hauts patrimoines, indispensable pour redresser nos finances publiques et épargner les classes moyennes et populaires, ou persisterez-vous à protéger les fortunes les plus colossales ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice Blatrix Contat, il est évident que, lorsque des efforts importants sont demandés, pour qu'ils soient acceptés, il faut qu'ils soient partagés.
Mais le problème de la France, ce n'est pas que les taux d'impôt sont trop bas : ils sont à un niveau record en Europe. Le problème de la France, c'est que ces taux d'impôt sont effectivement parfois contournés. Ils le sont de manière illégale – c'est la lutte contre la fraude, nous en avons parlé – ou ils peuvent l'être de manière légale, mais abusive – c'est la suroptimisation fiscale à laquelle le Premier ministre a fait référence à l'instant. Je ne peux donc pas vous laisser dire que le Gouvernement ne s'est pas emparé de cette question. (M. Pascal Savoldelli proteste.)
Le Premier ministre a évoqué le fait que des multimillionnaires ou des milliardaires voient leur taux d'impôt effectif baisser, parce qu'ils abusent de l'optimisation fiscale. Ce constat a guidé des dispositions qui figurent dans le texte initial qui vous est présenté.
Je pense à la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus ou encore à la taxe sur les holdings. Vous faites référence aux travaux de l'Institut des politiques publiques de Paris, qui a précisément montré l'usage qui pouvait être fait de ces holdings. Nous nous y attaquons et, bien entendu, nous aurons ensuite des débats pour pouvoir enrichir et compléter nos propositions.
Cependant, le débat sur la justice sociale ne peut pas uniquement porter sur la fiscalité. La justice sociale, c'est aussi les emplois ; la justice sociale, c'est aussi les salaires (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.) ; la justice sociale, c'est aussi la réindustrialisation, dont nous parlons suffisamment au Parlement.
M. Mickaël Vallet. À qui le dites-vous ?
M. David Amiel, ministre délégué. Je ne voudrais donc pas que ce que nous faisons dans le projet de loi de finances vienne défaire ce que nous souhaitons construire par ailleurs.
M. Thierry Cozic. Cela fait huit ans que vous êtes aux responsabilités !
M. David Amiel, ministre délégué. C'est la raison pour laquelle l'appareil de production, l'outil productif, les biens professionnels que le Premier ministre a évoqués doivent être protégés. En effet, en 1981, le gouvernement le plus à gauche de la Vᵉ République avait décidé de ne pas toucher aux biens professionnels,…
M. Yannick Jadot. Bettencourt et Mitterrand !
M. David Amiel, ministre délégué. … les premiers débats d'alors ayant montré les risques que cela ferait peser sur l'économie française. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Pas du tout !
M. David Amiel, ministre délégué. Tirons donc les leçons du passé, améliorons ce qui doit l'être. Défendons évidemment la justice sociale et fiscale, mais protégeons notre économie ; à défaut, ce seront, comme toujours, les classes populaires et les classes moyennes qui paieront la facture. (MM. Martin Lévrier et François Patriat applaudissent. Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
projet de loi de simplification de la vie économique
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Monsieur le Premier ministre, ma question concerne le projet de loi de simplification de la vie économique ; je vous l'adresse au nom de la commission spéciale que j'ai l'honneur de présider.
L'examen de ce projet de loi, adopté par le Sénat en octobre 2024 puis par l'Assemblée nationale en juin dernier, est à l'arrêt depuis six mois. Pourtant, sous le regard de mes collègues rapporteurs Catherine Di Folco et Yves Bleunven, nous avons enrichi ce texte de mesures concrètes, parmi lesquelles le test PME, défendu par notre collègue Olivier Rietmann.
Ce projet est très attendu par nos TPE et nos PME. Nos entreprises n'en peuvent plus : nous nous dirigeons vers un record du nombre de défaillances, notamment dans l'industrie automobile et dans le bâtiment.
Ce que ces entreprises demandent, ce n'est pas davantage d'aides ; ce qu'elles réclament, c'est de la stabilité, de la confiance et surtout de la simplification pour pouvoir travailler librement.
Que dire, par exemple, de l'avalanche de paperasse liée aux obligations d'information des salariés ou aux obligations sociétale et environnementale, en particulier dans le secteur du logement ? Ou du passage en force vers le tout électrique, la fiscalité punitive sur les véhicules envoyant toute la filière automobile dans le mur ?
Plutôt que de persister dans un délire fiscal imaginé par certains dans le projet de loi de finances contre nos entreprises et nos concitoyens, agissez sur la véritable urgence qu'est la folie normative. Elle coûte près de 100 milliards d'euros par an à notre économie, dont 5 milliards d'euros aux seules collectivités locales. Voilà où se trouvent les vraies économies possibles : c'est près de 3,5 % de notre PIB !
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous confirmer que, lorsque la commission mixte paritaire sur le projet de loi de simplification de la vie économique aura trouvé un compromis, le Gouvernement inscrira immédiatement ses conclusions à l'ordre du jour ? Quel ministre sera chargé de défendre ce texte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Bleunven, Olivier Cigolotti et Stéphane Fouassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat.
M. Serge Papin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat. Monsieur le sénateur et président de la commission spéciale, la simplification est l'un des sujets qui figurent sur la feuille de route économique du Gouvernement.
Au travers du projet de loi de simplification de la vie économique, nous souhaitions répondre à certaines attentes des entreprises. Tel était le cœur du texte. Le dispositif concret du test PME, que vous avez cité, va dans ce sens. Notre ambition reste la même : alléger les démarches administratives en les simplifiant, prioriser et accélérer l'activité pour gagner en croissance et renforcer la confiance entre l'État et les acteurs économiques, grâce à des règles plus stables et mieux adaptées aux réalités du terrain. Ce projet de loi a fait l'objet de longs débats ; aussi, je tiens à remercier les parlementaires qui se sont engagés sur ce texte.
David Amiel, Sébastien Martin et moi-même sommes à votre disposition, monsieur le sénateur, mais vous connaissez les contraintes actuelles : priorité est donnée au budget.
M. Laurent Burgoa. C'est compliqué…
M. Serge Papin, ministre. L'examen de ce texte important reprendra, comme le laisse apparaître le calendrier prévisionnel de l'ordre du jour des assemblées transmis par le ministre chargé des relations avec le Parlement. Pour ma part, après m'être plongé dans le projet de loi, je vous fais une confidence : il est compliqué de simplifier. (Sourires sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
antisémitisme à l'université
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.
Le 15 octobre dernier, en plein cœur de l'université Paris VIII, s'est déroulée une scène d'une gravité absolument inqualifiable : près de 200 étudiants ont participé à un événement où il a été fait ouvertement l'apologie du terrorisme et au cours duquel les massacres du 7 octobre ont été glorifiés. Il a été demandé aux participants : « condamnez-vous le 7 octobre ? » ; la réponse a été un « non » collectif et assumé. Des intervenants ont légitimé ces massacres en les qualifiant de « lutte armée », des appels explicites à « s'armer » et à « être en première ligne » ont été lancés devant les 200 étudiants.
Cette conférence a donné la parole à des figures emblématiques du terrorisme. Georges Ibrahim Abdallah, condamné à perpétuité pour complicité d'assassinat, a été présenté comme une « figure révolutionnaire glorieuse ».
M. Loïc Hervé. Un humaniste !
M. Pierre-Antoine Levi. Myriam Abou Daqqa, cadre du Front populaire de libération de la Palestine, organisation classée terroriste par l'Union européenne, a tenu des propos appelant à la violence. Comment peut-on tolérer qu'une université offre une tribune à des représentants d'organisations terroristes ?
Monsieur le ministre, vous avez convoqué le président de Paris VIII. Qu'est-il ressorti de cet entretien ?
M. Roger Karoutchi. Rien !
M. Pierre-Antoine Levi. Quelles mesures concrètes avez-vous prises ? Le garde des sceaux a transmis il y a quelques jours une circulaire en guise de rappel, invitant les magistrats de France à faire preuve de la plus grande fermeté dans le traitement des cas d'antisémitisme dans les enceintes universitaires. Je l'en remercie, car le traitement des nombreux signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale donne l'impression d'un grand immobilisme.
La justice doit être intraitable et particulièrement ferme, d'autant que l'apologie du terrorisme est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement. Les organisateurs et intervenants de cette conférence doivent faire l'objet de poursuites pénales immédiates et les étudiants identifiés être exclus définitivement.
Les décrets d'application de la loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, que j'ai défendue avec mon collègue Bernard Fialaire, sont encore en cours d'examen par le Conseil d'État. J'espère leur validation au plus vite : il y a urgence. En attendant, quelles sanctions exemplaires prendrez-vous ? Les universités françaises ne peuvent plus accepter que ce genre de faits d'une particulière gravité se multiplient. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
M. Max Brisson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.
M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace. Monsieur le sénateur Levi, les propos que vous évoquez sont inadmissibles. J'ai eu honte en les entendant. Ils sont une insulte à l'ensemble des valeurs républicaines qui doivent être défendues par les universités et qui constituent le socle de notre société démocratique.
Ces propos, comme vous l'indiquiez, tombent sous le coup de la loi. Aussi, le soir même des événements, j'ai demandé au rectorat de procéder à un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, ce qui a été fait. Le lendemain, j'ai convoqué dans mon bureau le président de l'université Paris VIII, qui m'a confirmé avoir pris plusieurs mesures, à savoir la mise en place d'une enquête interne et la création d'un protocole plus strict de validation des événements.
Mme Laurence Rossignol. Oh là là !
M. Philippe Baptiste, ministre. Au regard de la gravité des faits, j'ai saisi l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Bernard Jomier ironisent.), lui confiant la mission d'établir les responsabilités des uns et des autres. Les conclusions seront tirées dans trois semaines.
Par ailleurs, le garde des sceaux, Gérald Darmanin, a signé une nouvelle circulaire enjoignant les parquets à faire preuve d'une vigilance particulière sur les faits liés à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur ; je l'en remercie. Immédiatement, le procureur de Bobigny s'est saisi du dossier.
Monsieur le sénateur, ces actes ne resteront pas impunis. Depuis ma prise de fonction, j'ai fait de la lutte contre l'antisémitisme une priorité et je continuerai d'appliquer le principe d'une tolérance zéro à l'ensemble de ces actes.
J'ai soutenu ici même la proposition de loi que Bernard Fialaire et vous-même avez défendue. Elle tend à donner davantage d'outils aux présidents d'université, notamment sur le volet disciplinaire. Les décrets d'application seront pris d'ici à la fin du mois de novembre.
Soyez assuré de la détermination absolue du Gouvernement pour lutter contre tous les faits antisémites, en particulier dans les universités. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, UC et INDEP.)
taxation sur l'héritage
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Ma question, à laquelle j'associe Alexandra Borchio Fontimp, s'adresse à M. le Premier ministre.
La présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a estimé que l'héritage « qui tombe du ciel » n'était « pas sain » et a appelé, de nouveau, à le taxer davantage. Pourtant, hériter consiste à recevoir non pas seulement un bien, mais également une histoire familiale, grâce à un effort accumulé. L'héritage assure une continuité entre les générations. Il est un ciment essentiel de la cohésion de notre pays.
Je parle ici non pas de riches, mais de classes moyennes, que l'on ampute d'une partie de leur histoire familiale. Dans une maison bâtie pierre après pierre, dans un commerce tenu toute une vie, dans de l'argent mis de côté pour protéger les enfants réside, au-delà de la valeur comptable, la mémoire du travail et de la constance dans l'effort. L'héritage est un enracinement : il a une valeur morale et culturelle.
Alors que quinze pays de l'OCDE ont supprimé l'impôt sur les successions, la France persiste à participer au concours Lépine de l'impôt, ce dernier étant déjà responsable de l'appauvrissement des classes moyennes. La protection familiale et la prévoyance semblent devenir une faute et la réussite un soupçon. Si l'on vide de sa substance la liberté de transmettre, le droit de propriété, déjà très malmené en France, perdra tout son sens : le propriétaire deviendra un usufruitier temporaire, dont les biens reviendront à l'État.
Protéger la transmission signifie non pas refuser la solidarité nationale, mais respecter un équilibre. L'héritage est un lien entre le passé et l'avenir. Il incarne la solidarité intergénérationnelle, l'idée que l'on travaille non pas pour soi seul, mais aussi pour ceux qui viendront après nous.
Un pays se renforce en permettant de transmettre, non en pénalisant ceux qui bâtissent et s'enracinent. « Le déraciné se croit ouvert alors qu'il est vide (…) : il confond l'ouverture et la désorientation », disait Barrès. Taxer, taxer toute une vie et jusqu'à la tombe, ça suffit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Jacquemet et Évelyne Perrot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice, lorsque l'on a travaillé toute sa vie, on souhaite évidemment transmettre à ses enfants, pour les aider. C'est une aspiration fondamentale, naturelle. Même si chacun a ses références, il n'est pas besoin de citer Maurice Barrès (Mme Valérie Boyer s'exclame.) : l'héritage fait partie du pacte républicain au sein duquel, dans notre immense majorité, nous nous retrouvons.
Vous m'interrogez sur les mesures de fiscalité en matière de succession et de donation.
D'abord, eu égard à une épargne massive et concentrée, étant le fait de personnes d'un âge de plus en plus élevé, et face à des jeunes qui ne parviennent plus à accéder à la propriété, la priorité, à l'heure actuelle, est de faciliter et d'accélérer les donations. Le Gouvernement sera prêt à travailler avec le Parlement à des mesures allant en ce sens.
Ensuite, pour faire le lien avec ma réponse précédente et puisque vous avez fait référence aux taux d'imposition très élevés dont doivent s'acquitter la plupart des Français, je précise qu'il me paraît important de lutter partout contre la suroptimisation fiscale, c'est-à-dire les comportements abusifs. À la suite des nombreux rapports parlementaires relatifs à cette question, il nous faut travailler à l'Assemblée nationale et au Sénat, puis en commission mixte paritaire.
La boussole doit rester la même : protéger ceux qui prennent des risques, qui investissent et qui créent des richesses et de l'emploi. Je pense en particulier à la nécessité de défendre notre tissu de PME et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) industrielles contre ceux qui veulent supprimer le pacte Dutreil, une mesure qui serait véritablement criminelle pour notre économie et pour notre tissu productif.
Mme Valérie Boyer. Ce n'est pas la question !
M. David Amiel, ministre délégué. Enfin, nous devons améliorer la reconnaissance du travail. Les Français ne sont pas en mesure d'acheter un premier appartement ou une première maison sans apport de leurs parents. Ils ne parviennent plus à s'en sortir – l'héritage devient dès lors un débat –, parce que le travail ne paie plus assez. (Exclamations sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous sommes bien d'accord !
M. le président. Il faut conclure.
M. David Amiel, ministre délégué. À court terme, nous devons nous attaquer à ce problème dans le projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.
Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, il est temps de vous reconnecter au peuple réel. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. ) Préserver l'héritage, c'est préserver la France. Les Français attendent de la justice fiscale, pas la lutte des classes pour assurer leur succession familiale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Comme mon groupe le demande avec constance depuis des années, il faut réduire les taxes en vigueur en agissant sur les niches, qui déséquilibrent l'ensemble du système, respecter le deuil, en allongeant, comme le demande M. Rapin, le délai légal d'acquittement des droits et favoriser les donations et transmissions en lignes directe et indirecte, démesurément taxées.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Valérie Boyer. Protéger l'héritage, c'est préserver la cohésion de notre Nation et maintenir le fil invisible entre les générations, celui du travail, de la responsabilité et de l'espérance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
dermatose nodulaire
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
M. Serge Mérillou. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.
La précédente épizootie de grippe aviaire – 22 millions de volailles ont été abattues en 2022 – a traumatisé nos éleveurs. Pourtant, madame la ministre, vous avez décidé, sous la pression de Bercy, de réduire la prise en charge par l'État de la vaccination contre l'influenza aviaire. Il s'agit d'économies budgétaires de bouts de chandelle, qui mettent en péril toute la filière avicole et qui coûteront à l'État des centaines de milliers ou des millions d'euros en indemnisations.
L'Allemagne est actuellement submergée par l'épizootie. Chez nous, 100 000 volailles viennent d'être abattues ; le coût du vaccin pour les éleveurs n'y est pas pour rien. C'est une détresse psychologique pour eux et un désastre économique pour nos sites de transformation des canards, notamment en Dordogne, département dont je suis élu.
En pleine crise de la dermatose nodulaire contagieuse des bovins (DNC), l'interdiction d'exportation arrive à son terme : que comptez-vous faire ? Au-delà, face à la pénurie de vétérinaires dans la ruralité, créerez-vous enfin une nouvelle école vétérinaire spécifique à l'élevage, à Limoges ?
Madame la ministre, nous faisons face non pas à de simples maladies du vivant, mais aux failles d'un modèle confronté au dérèglement climatique. Engagerez-vous enfin une vraie politique sanitaire, durable et préventive ? Les éleveurs, mais aussi les citoyens, attendent du changement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Serge Mérillou, vous avez raison : le réchauffement climatique a accru le nombre d'épisodes sanitaires à haut risque, que redoutent nos élevages en France et partout en Europe.
Mme Laurence Rossignol. Duplomb !
M. Bernard Jomier. Dites-le à Duplomb !
Mme Annie Genevard, ministre. Vous évoquez d'abord l'influenza aviaire. Pour faire face à cette terrible épizootie, la France a déployé une stratégie efficace, fondée sur un diptyque : la surveillance active, pour dépister l'infestation, et la vaccination. De ce point de vue, je dois dire que notre approche est payante. La France a dépensé plus de 1 milliard d'euros pour une politique qui porte ses fruits.
La dégressivité de la prise en charge du vaccin au fil des années avait été convenue avec la filière. Néanmoins, l'État reste bien présent au travers des actes des vétérinaires mandatés, qui supervisent la vaccination et la gestion de la période post-vaccinale. L'État ne se dérobe donc absolument pas ; j'y insiste : le ministère et la filière s'étaient mis d'accord pour que cette dernière prenne progressivement en charge la vaccination.
En matière de DNC, l'État assume au moment de l'émergence de la maladie la totalité des frais : les bêtes abattues sont remplacées et les financements assurés. Nous prenons en charge les pertes d'exploitation ainsi que la désinfection des bâtiments d'élevage. Bref, vous ne pouvez pas dire que l'État se dérobe à ses responsabilités.
Enfin, vous avez raison de poser la question de la stratégie sanitaire. En la matière, j'ai lancé dès mon arrivée les assises du sanitaire animal, car il faut effectivement penser globalement et dans la durée.
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Mon groupe appelle à l'adoption d'un plan global de prévention, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), et à la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour toutes les pertes, directes et indirectes.
D'autres solutions existent, c'est tout le sens de la proposition de loi visant à renforcer la santé animale que je viens de déposer avec Frédérique Espagnac, Franck Montaugé, Christian Redon-Sarrazy et bien d'autres de mes collègues socialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
garantir et accélérer l'application des décrets relatifs à la prévention du cancer de sein
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
En ces derniers jours d'octobre, je m'interroge sur l'absence, presque dérangeante, du décret d'application de la loi du 5 février 2025 visant à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie. Puisque les deux assemblées ont adopté les mesures contenues dans ce texte, pourquoi ce silence ?
Madame la ministre, je fais mienne, depuis des années, la mobilisation en faveur d'une meilleure prise en charge de ce cancer. Je la défends dans cet hémicycle de manière transpartisane, m'inscrivant dans la continuité de travaux de mes collègues. Aussi, la réponse récente du Gouvernement à ma question, lequel nous signale qu'un décret sera prochainement transmis pour avis au Conseil d'État, me paraît bien insuffisante.
Madame la ministre, je m'adresse à la femme que vous êtes, femme engagée et médecin, hier encore parlementaire de terrain. J'adopterai, comme vous l'avez souvent fait, une approche pragmatique en vous demandant une réponse claire à mes interrogations.
Pouvez-vous nous garantir que cette loi tant attendue sera appliquée d'ici à la fin de l'année ? Puisque nous faisons de la politique dans cet hémicycle, êtes-vous en mesure de me préciser ce que vous comptez faire pour accélérer la publication des textes utiles à la santé des Français ? Mettre au minimum huit mois à appliquer une loi n'est ni audible ni soutenable pour les malades. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Antoine et Émilienne Poumirol, ainsi que M. Akli Mellouli applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice Demas, je connais votre engagement pour la santé des femmes. Vous connaissez le mien et, surtout, celui du Gouvernement, pleinement mobilisé pour que la prise en charge des femmes concernées soit complète et équitable tout au long de leur parcours. Le mois d'Octobre rose nous rappelle d'ailleurs qu'il s'agit d'un enjeu à la fois médical, humain et sociétal.
Je ne reviens pas sur le décret : comme vous l'avez précisé, il est en cours d'élaboration. Le Gouvernement a besoin d'un peu de temps, madame la sénatrice, pour éviter les redondances.
J'ai toutefois pu annoncer, la semaine dernière, une partie des mesures contenues dans ce prochain texte, notamment la prise en charge à 100 % des prothèses capillaires, c'est-à-dire des perruques, pour toutes les femmes. Nous pouvons nous accorder sur cette avancée. Des travaux sont aussi en cours pour assurer la prise en charge du tatouage des seins et pour inscrire les soutiens-gorges compressifs sur la liste supplémentaire.
J'y insiste : nous avons encore besoin d'un peu de temps pour faire en sorte que les mesures que nous prendrons dans ce décret soient effectives. Vous savez pouvoir compter sur mon engagement pour poursuivre ce travail.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.
Mme Patricia Demas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Toutefois, vous me l'accorderez, il existe un décalage entre le quotidien des Français, à savoir leur vécu de la maladie, et la réponse – tardive – de l'État. La lenteur administrative n'est pas une fatalité : il vous appartient de fixer des délais pour que les lois soient appliquées. Il y va de la crédibilité de nos politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et RDSE. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
présence de psychologues dans les établissements scolaires
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.
Le 24 septembre dernier, dans mon département du Bas-Rhin, dans mon canton, un élève de 14 ans a agressé au couteau une enseignante du collège de Benfeld, avant de se donner la mort. Cette tragédie soulève, une nouvelle fois, la question de la santé mentale des adolescents, qui exige une feuille de route à la hauteur de la situation alarmante que nous connaissons tous dans cet hémicycle.
D'année en année, la situation de ces jeunes s'est aggravée, particulièrement depuis la période angoissante du covid et du passe sanitaire, qui a exacerbé les vulnérabilités existantes. Alors qu'il aurait fallu renforcer l'attention que nous accordons à ces adolescents, nombre d'enquêtes et de rapports pointent une pénurie de médecins, de psychologues et d'infirmières scolaires. Sur le terrain, les enseignants m'ont exprimé leur détresse et leur sentiment d'impuissance quand il faudrait relayer vers le personnel médical les élèves en souffrance.
Le collège de Benfeld, qui compte 800 élèves, illustre cette déshérence : une psychologue présente une journée et demie par semaine, aucun médecin scolaire et des infirmières réparties sur plusieurs écoles. Le collège de Sundhouse, trente kilomètres plus loin, subit le non-remplacement de l'infirmière scolaire et de la psychologue, malgré des absences de longue durée.
Ces consultations sont pourtant un maillon essentiel. Le Sénat a d'ailleurs fait adopter en mai dernier la reconnaissance d'une spécialité infirmière autonome pour les professionnels de l'éducation nationale. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que le décret d'application de ce texte sera publié rapidement ? Au-delà, quelles seront les mesures prises concrètement en milieu scolaire pour la santé mentale, désignée grande cause nationale de l'année 2025 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing, Mme Monique de Marco, Mme Émilienne Poumirol et M. Jacques Fernique applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. Madame la sénatrice Laurence Muller-Bronn, je vous remercie de votre question, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, elle me permet de témoigner à nouveau de ma solidarité à l'égard de ma collègue victime du drame de Benfeld, drame qui s'inscrit dans le cadre de la tragédie plus large que vous évoquez.
En second lieu, votre question fait précisément écho à l'une des trois priorités que je me suis fixées en arrivant, à savoir la santé physique et psychique de nos élèves.
Une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée il y a trois semaines montre que 30 % des jeunes de 11 à 24 ans présentent à un moment des troubles anxieux ou dépressifs. Depuis l'épisode du covid, une forte augmentation du nombre de consultations aux urgences psychiatriques a été observée chez nos élèves. Votre constat est donc absolument partagé. La ministre de la santé et moi-même travaillons ensemble sur le sujet.
Quelles mesures projetons-nous de mettre en œuvre ?
Premièrement, nous sommes en train de déployer dans tous les établissements le protocole Santé mentale. Celui-ci permet un premier repérage : concrètement, deux personnes par établissement seront formées, d'ici au mois de décembre, pour déceler les troubles de santé mentale. Elles pourront s'appuyer sur un conseiller, destiné à les épauler.
Deuxièmement, la ministre de la santé et moi-même travaillons à la mise en place d'un dispositif coupe-file. Actuellement, lorsque le trouble d'un élève est repéré par une infirmière ou un médecin scolaires, l'intéressé est orienté vers la médecine de ville ; or, pour obtenir un rendez-vous, il doit attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Nous cherchons donc à mettre l'élève immédiatement en contact avec un médecin.
Troisièmement, en matière de moyens, le Gouvernement s'apprête, grâce au projet de loi de finances, à recruter 300 infirmières, psychologues et assistantes sociales supplémentaires.
M. le président. Il faut conclure.
M. Edouard Geffray, ministre. L'objectif est précisément d'apporter une réponse complète à ces troubles.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.
Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le ministre, c sont là des annonces. L'agression s'est produite le 24 septembre dernier, nous sommes le 29 octobre et rien n'a changé, comme j'ai pu le constater en suivant les conseils d'administration des collèges.
Le personnel est déjà formé : nous disposons de psychologues et d'infirmières, mais ils ne sont pas dans les établissements. Comme ils me l'ont affirmé, les enseignants…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Laurence Muller-Bronn. … voient quels élèves sont en difficulté, mais ne peuvent les envoyer nulle part. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants. Elle sera reprise à 16 h 30 pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq,
(À suivre)
 
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                             
                                                            