Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 10 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 34
Contre 308

Le Sénat n'a pas adopté.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie

Article 1er

Par dérogation au premier alinéa de l'article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province, prévues au plus tard le 30 novembre 2025 par la loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, ont lieu au plus tard le 28 juin 2026. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l'article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Les mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province prennent fin le jour de la première réunion des assemblées nouvellement élues.

Article 2

Les fonctions des membres des organes du congrès en cours à la date de promulgation de la présente loi organique sont prorogées jusqu'au jour de la première réunion du congrès nouvellement élu en application de la présente loi organique.

Article 3

La présente loi organique entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française.

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d'aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi organique, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous en sommes parvenus à l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi organique. Il s'agit d'un texte d'initiative sénatoriale, qui fait consensus, même si, comme nous venons de le voir, il ne fait pas l'unanimité.

Parler de la Nouvelle-Calédonie suppose de la sérénité et de la clarté. En effet, ce sujet engage des femmes et des hommes attachés à leur terre, à leur histoire et à leur avenir commun. À nous de tous veiller à favoriser un dialogue sincère et constructif, afin que les enjeux soient compris de tous et que les habitants de la Nouvelle-Calédonie ne se sentent pas spectateurs de leur propre destin, tandis que, vus de Paris, les débats semblent d'une autre nature.

À ce stade, les seules modifications sur cette proposition de loi organique introduites au Sénat, puis en commission mixte paritaire, ont porté sur son intitulé, sans qu'il soit touché au dispositif global du texte initial.

La proposition de loi organique vise à présent à permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Nommer un texte qui deviendra une loi, ici une loi organique, va au-delà d'une simple question de vocabulaire. Ce nouvel intitulé est un repère qui participe activement à sa lecture et à son interprétation.

Cette démarche de clarification, qui s'appuie sur la proposition de rédaction du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, prend en compte face au report des élections provinciales la réaction du FLNKS, qui y a vu une contradiction de l'État : d'un côté, des ministres des outre-mer affirmant ne pas souhaiter agir « sans le FLNKS » ; de l'autre, des élections provinciales, premier acte de l'accord du 12 juillet 2025, reportées alors même que cet ajournement a été formellement rejeté par le mouvement indépendantiste.

Si des échanges bilatéraux perdurent, force est de constater que le FLNKS n'est pas revenu à la table des discussions collégiales sur le projet d'accord dit de Bougival.

Nous savons également que le projet du 12 juillet dernier n'a été arrêté en réalité que pour constituer une base de travail. Ce faisant, il s'agissait de permettre aux délégations calédoniennes d'en poursuivre l'examen et d'en discuter avec leurs structures représentatives respectives sur le territoire.

Le document signé à Bougival ne représentait qu'un accord conditionnel, dont l'entrée en vigueur dépendait de la validation des formations politiques calédoniennes.

Les positions demeurent contrastées aujourd'hui, mais chaque camp admet la nécessité de préserver, autant que possible, le fil ténu du dialogue.

En supprimant la référence explicite à l'accord de Bougival, la nouvelle rédaction de l'intitulé de cette proposition de loi organique permet d'adresser un message d'apaisement à l'ensemble des partenaires. Encore faut-il que cette rédaction soit accompagnée de la garantie que l'accord n'est qu'une base de discussion sur laquelle la négociation doit se poursuivre.

Il paraît difficile d'imaginer les formations politiques calédoniennes repartir de zéro et ignorer les acquis de Bougival, qui s'inscrivent dans la continuité de la rencontre de Deva du mois de mars 2025.

L'accord du 12 juillet reste un projet à finaliser, et non à sacraliser. D'ailleurs, l'échéancier indicatif de sa mise en œuvre ne pourra être tenu, le Gouvernant ayant fort heureusement annoncé le retrait de l'ordre du jour des travaux du Parlement du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, déposé au Sénat le 14 octobre dernier.

Voilà autant de signes qui contribuent à désamorcer l'accusation de passage en force, à rassurer les indépendantistes et à restaurer les conditions d'un consensus.

Le groupe SER votera en faveur de ce texte, car le report des élections provinciales constitue avant tout une nécessité politique. Des élections organisées au mois de novembre prochain ne feraient que cristalliser les divisions existantes, auxquelles s'ajoutent des enjeux économiques, sociaux et sanitaires graves. En effet, comment redonner un avenir économique à la Nouvelle-Calédonie sans visibilité politique et sans stabilité institutionnelle ?

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain entend rester fidèle à la méthode calédonienne mise en œuvre par Michel Rocard et Lionel Jospin : celle qui repose sur le dialogue, le respect, l'impartialité de l'État et la progressivité et qui a permis de garantir la paix civile en Nouvelle-Calédonie pendant plus de trente ans.

L'accord du 12 juillet doit évoluer, mûrir, intégrer les évolutions nécessaires sur les points essentiels connus de tous les négociateurs : la reconnaissance de l'identité kanake, le mécanisme de transfert des compétences, le respect du principe de l'autodétermination, pour que le processus engagé à partir de 1988 aboutisse enfin à une décolonisation réussie.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Robert Wienie Xowie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant même de me prononcer sur le devenir de ce texte, je connais d'ores et déjà le résultat du vote. Certes, j'exprimerai sans doute des regrets : celui que les sénateurs n'aient pas su entendre les observations ni les alertes formulées par le FLNKS ; celui qu'ils n'aient pas été à la hauteur de l'enjeu du moment.

Peut-être ma parole ne pèse-t-elle pas lourd dans cet hémicycle, peut-être n'a-t-elle pas la résonance qu'elle devrait avoir, mais il me paraît essentiel de rappeler ici que, par ce vote, nous nous engageons collectivement sur une voie qui, malheureusement, n'a toujours pas suscité de consensus ; voie qui, de surcroît, marginalise le FLNKS, représentant légitime d'un peuple colonisé, d'un peuple dont la parole devrait être au centre, et non à la marge, de toute décision politique le concernant.

Je ne vais pas contraindre votre vote – telle n'est pas ma démarche –, mais ne nous imposez pas non plus la date des élections ou le motif de leur report, selon des critères qui vous sont propres. Il faut cesser de décider à notre place et de prétendre savoir mieux que nous ce qui serait bon pour nous.

Ce cri, ce constat, tous les territoires ultramarins l'ont déjà formulé maintes et maintes fois. Ils n'ont cessé de le rappeler : nous voulons être entendus, respectés, considérés comme des partenaires à part entière, et non comme de simples sujets d'un débat dont les conclusions seraient toujours écrites à l'avance.

Lundi dernier, la commission mixte paritaire s'est réunie. Elle a validé un report des élections provinciales et, chemin faisant, a modifié l'intitulé de la proposition de loi organique pour ne plus y mentionner l'accord de Bougival. On nous explique maintenant qu'il faudrait donner du temps pour relancer les discussions et espérer un consensus.

Après deux reports et un amendement porté par le groupe socialiste à l'Assemblée nationale visant à décorréler l'ajournement des élections de la mise en œuvre des dispositions de Bougival, afin de favoriser la recherche d'un accord consensuel, qu'est-ce qui nous empêche de tenir les élections et de discuter plus sereinement avec des élus légitimes ? « Ce texte n'est ni une réforme constitutionnelle ni le dégel du corps électoral », a déclaré le député socialiste Arthur Delaporte.

Le Parlement n'est pas une antichambre où l'on fait taire les voix qui dérangent. À l'Assemblée nationale, une motion de rejet préalable a été utilisée pour bloquer tout débat et expédier le texte directement en commission mixte paritaire. C'est au mieux un mauvais signal, au pire un détournement de procédure contraire à l'esprit de l'article 44 de la Constitution, qui garantit le droit d'amendement et en fait une condition du débat démocratique.

Certes, le Conseil constitutionnel veille à ce que l'on ne fasse pas de ce droit un usage manifestement excessif. Ici, tout montre que l'on a joué des règles pour empêcher la discussion et neutraliser le Parlement.

Mes chers collègues, la Kanaky n'est pas un chapitre secondaire de notre ordre du jour. C'est un pays avant tout, où s'écrit depuis des décennies un processus de décolonisation, encadré par les accords de Matignon de 1988 et de Nouméa de 1998. Ces accords ont permis la reconnaissance des droits du peuple kanak, un rééquilibrage, l'émergence d'une citoyenneté propre et une paix civile à laquelle nous tenons tous.

Chaque fois que nous avons forcé le pas, chaque fois que nous avons voulu décider depuis Paris, sans consensus, nous avons ravivé les tensions. Qui peut oublier ce que l'entêtement des parlementaires a coûté en mai 2024 : quinze morts, un quart du PIB envolé, des familles meurtries et des institutions fragilisées ? Tout est parti d'un passage en force sur le dégel du corps électoral. Faut-il véritablement rejouer cette séquence ? Ne répétez pas les erreurs du passé.

On nous dit : « Reportons encore pour apaiser ». Mais reporter n'apaise pas. Reporter prolonge l'incertitude, délégitime les exécutifs en place et enfonce le pays dans la défiance. Reporter, ce n'est pas donner du temps au temps, c'est confisquer le temps du peuple. Si vous voulez réellement rendre le dialogue possible, commençons par restaurer la légitimité démocratique. Ce qui nous manque, c'est non pas un nouveau report des élections, mais la volonté politique d'écouter le pays et de renouer avec l'esprit du consensus.

Le texte n'est plus lié à Bougival. Chacun appréciera la pudique réécriture : on garde le report, on efface le mot « Bougival » et on espère faire croire que l'intention a changé. Or les mots ont changé, mais pas la méthode. Madame la ministre, pour reprendre une chanson d'Édouard Wamai, un artiste kanak local : « Rien na sazé » – comprenez : rien n'a changé.

On demande au Parlement de valider une trajectoire déjà tracée, de la verrouiller en CMP, de réduire le temps du débat, de neutraliser les amendements et, enfin, au Sénat de suivre. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky refuse la politique du fait accompli. Notre devoir est simple : rendre la parole au peuple. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, le Gouvernement revient devant le Parlement pour reporter les élections provinciales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Une fois de plus, il nous est demandé de valider une décision unilatéralement prise à Paris dans la précipitation, au motif qu'il faudrait poursuivre un prétendu dialogue.

Mais quel dialogue, quelle écoute réelle, quelle confiance sont encore possibles alors que, depuis des mois, les représentants du peuple kanak, comme l'ensemble des forces politiques locales, constatent que l'État décide seul, qu'il consulte pour la forme, mais qu'il n'entend rien ?

Ce texte, sous des dehors techniques, traduit une profonde erreur politique. Il prévoit une mesure non pas de sagesse, mais d'arrogance.

On prétend prolonger les mandats pour permettre un accord, alors que c'est précisément l'absence d'écoute et de respect qui empêche tout accord. Le Gouvernement n'a rien appris des tensions de l'an dernier, rien appris des colères, rien appris des blessures, rien appris des violences qui ont embrasé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie lorsque Paris a voulu imposer sans consensus une réforme électorale rejetée par une partie du pays. Aujourd'hui, l'exécutif, avec le même réflexe autoritaire, demande au Parlement de proroger les institutions locales.

En octobre 2021, Sébastien Lecornu, alors ministre des outre-mer, affirmait avec fermeté que, « dans une démocratie, on tient les élections à l'heure ». Cette déclaration pleine de principes républicains résonne aujourd'hui de manière ironique. Une telle volte-face traduit une méfiance profonde à l'égard du verdict populaire. Reporter le scrutin, c'est craindre le jugement du peuple que l'on prétend pourtant servir.

Cette peur de la démocratie trahit une tentation autoritaire, celle de suspendre le temps électoral pour préserver le pouvoir en place. Or, dans une véritable République, la légitimité ne se reporte pas, elle se renouvelle.

On ne construit pas la paix dans la contrainte. On ne rétablit pas la confiance en passant en force. On ne peut pas prétendre respecter la parole donnée en étouffant la voix d'un peuple. Ce report n'est pas un geste de dialogue, c'est une manière de gagner du temps sans rien régler. C'est le choix du statu quo, maquillé en responsabilité.

Derrière les mots lisses « consensus » et « stabilité », c'est en réalité la peur du débat démocratique que l'on dissimule. En prorogeant des mandats, on confisque la parole des électeurs du Caillou. On prétend protéger la paix, mais on risque au contraire de raviver les tensions, en donnant une fois de plus le sentiment que Paris décide à la place des habitants du territoire.

Mes chers collègues, la responsabilité du Parlement est grande, car à force de vouloir maîtriser le calendrier politique, c'est le fil fragile du vivre-ensemble que l'on use, que l'on effiloche, que l'on brise. L'histoire récente devrait nous rendre humbles et non pas arrogants. Pourtant, le Gouvernement persiste, enfermé dans une logique de contrôle et de méfiance.

Enfin, je tiens à revenir sur ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, où le recours à la motion de rejet préalable a étouffé le débat. En s'alliant avec le Rassemblement national et une partie du socle présidentiel, les députés ont détourné cet outil parlementaire de sa vocation première.

L'objectif était non pas de convaincre, mais de faire taire, d'empêcher que la représentation nationale débatte au grand jour d'un sujet essentiel. Derrière cette stratégie, il y a une logique limpide : renvoyer le texte en commission mixte paritaire pour décider à huis clos, loin des caméras, loin du peuple, loin surtout de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

Ce tour de passe-passe institutionnel, sous couvert de procédure, vise à dérober au regard public un enjeu qui mérite au contraire clarté, confrontation d'idées et transparence démocratique.

Je le dis solennellement, si la République veut être respectée, elle doit d'abord respecter : respecter ses principes, respecter les peuples, respecter la parole donnée. L'avenir de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie se construira non pas en reportant successivement les élections ou en imposant des décisions depuis Paris, mais en s'appuyant sur la reconnaissance sincère d'une histoire, d'une mémoire et d'une dignité collectives, et, surtout, en respectant la parole donnée.

Pour toutes ces raisons, parce qu'il refuse la méthode du passage en force et parce qu'il en appelle à un réel courage politique et à un dialogue loyal, le groupe Écologie, Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, deux semaines se sont écoulées depuis que le Sénat s'est prononcé en faveur du report des élections locales en Nouvelle-Calédonie. Certains parleront d'avancée à l'issue de cette navette parlementaire ; pour ma part, je déplore la manière employée.

En effet, une partie du groupe du RDSE était déjà très mitigée, voire incertaine, sur la position à adopter, à l'aveugle et dans l'urgence, sur ce texte. Elle s'interrogeait notamment sur les raisons de la volte-face du FLNKS et du Sénat coutumier sur l'accord de Bougival, alors qu'ils en étaient signataires le 12 juillet 2025, et sur leur choix concernant le report des élections. Cet accord, je l'avais pourtant qualifié alors d'avancée historique, car il traduisait une volonté d'autonomie frôlant l'indépendance.

Prendre nos responsabilités de parlementaires, oui, mais des responsabilités éclairées : telle est la ligne directrice du RDSE.

Ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale – nous n'en ferons pas la même analyse, madame la ministre – est pour moi incompréhensible et inacceptable. D'un côté, La France insoumise a tenté de pratiquer une absurde obstruction, en déposant 1 659 amendements sur les trois seuls articles de cette proposition de loi organique. De l'autre, un député de Nouvelle-Calédonie du groupe Ensemble pour la République, soutenu par ses collègues du socle commun, a fait voter une motion de rejet préalable.

Ce sont deux attitudes totalement contraires aux valeurs et aux coutumes de la culture calédonienne, dans lesquelles le dialogue et le respect prévalent à chaque étape. Nous ne sommes pas en mesure aujourd'hui de mesurer les effets néfastes de ces postures.

À la suite de ce refus d'obstacle à l'Assemblée nationale, le texte a été envoyé en commission mixte paritaire, provoquant ce je qualifierai de perte de cap. Je m'interroge sur la proposition socialiste de supprimer toute mention à l'accord de Bougival dans l'intitulé et dans le corps du texte, afin de restaurer le dialogue.

Le vote de l'amendement présenté par les présidents de groupe ici, au Sénat, avait pourtant pour objectif de montrer que l'accord de Bougival pouvait être encore amendé avant sa traduction dans une loi, puis dans la Constitution. C'était la voie médiane qu'il fallait respecter, pour que chaque partie prenante à cet accord se trouve considérée et pour que le FLNKS puisse revenir à la table des négociations. En effet, rien ne se fera sans lui, et il le sait.

Les accords de Nouméa, puis d'Oudinot et de Matignon ont encadré le chemin de réconciliation parcouru par le peuple calédonien. L'accord de Bougival était une nouvelle étape et non un changement de direction pour construire un avenir. Un avenir commun est en effet possible sur ce territoire, sans jamais remettre en cause le droit à l'autodétermination du peuple calédonien.

La reprise du dialogue, le retour à la confiance entre les acteurs et le consensus nécessaire à l'évolution institutionnelle ne se trouveront pas plus facilement si l'on renie les paroles données, si l'on retire les signatures apposées et si l'on ne construit pas les futures étapes, lesquelles n'échapperont pas à l'indispensable consensus : le projet de loi constitutionnelle, la soumission à l'approbation des Calédoniens de l'accord politique, l'adoption de la loi organique spéciale et, enfin, les élections provinciales. Les subterfuges ou les écrans de fumée ne pourront jamais constituer la base solide d'un consensus local.

J'entends ici et là qu'il faut donner du temps au temps : bien entendu, dans l'absolu et surtout, d'ailleurs, dans le cadre du dialogue en Nouvelle-Calédonie. Mais, en même temps, nous prenons l'engagement aujourd'hui de reporter les élections provinciales au mois de juin 2026. Madame la ministre, je vous demande d'être le garant, ici ce soir, de cet engagement. Il ne peut y avoir de quatrième report.

Bien entendu, le groupe du RDSE votera ce texte, car nous ne pouvons nous arrêter au milieu d'un chemin déjà très fastidieux, au risque de tout faire s'effondrer.

J'ai entendu vos propos mesurés et engagés, madame la ministre ; je vous en remercie. Vous avez noté le respect que nous devons à l'histoire de la Calédonie et des Calédoniens. Je vous demande de faire en sorte que le Gouvernement ne revienne en aucun cas, sous prétexte que le contexte aurait changé, sur les bases de l'accord du 12 juillet 2025.

J'espère aussi de tout cœur que les membres du FLNKS aborderont à l'avenir ces discussions en faisant preuve de la volonté constructive que je leur connais, qu'ils amenderont le texte tout en préservant les acquis qui répondaient déjà à leurs souhaits.

J'espère enfin que l'État se donnera les moyens de respecter l'échéancier prévu dans ce texte, le risque étant, à défaut, de perdre toute crédibilité auprès des Calédoniennes et des Calédoniens, qui vivent depuis les événements du printemps 2024, qu'ils soient indépendantistes ou non, avec un doute permanent sur la destinée de leur pays.

Anéantir les espoirs qu'avait suscités l'accord de Bougival, aussi imparfait soit-il, sans parvenir au bout du processus électoral, serait l'erreur de trop.

Enfin, je tiens à dire à mon collègue sénateur de Calédonie combien j'ai apprécié de travailler pendant trois années avec l'ensemble des partis politiques du territoire, et combien également j'ai aimé œuvrer avec le FLNKS, chez qui, je le sais, le dialogue est la règle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste.

M. Olivier Bitz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire dont la réunion s'est tenue lundi dernier. Avec ce texte, il s'agit de repousser de nouveau les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, élections qui déterminent également la composition du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Nous avons eu la chance d'examiner ce projet de loi organique ici même il y a quinze jours. Je regrette d'ailleurs que l'utilisation de moyens procéduraux d'obstruction et de subterfuges à l'Assemblée nationale ait privé la représentation nationale de la possibilité de débattre de ce texte. Il n'est très franchement pas raisonnable de déposer 1 800 amendements : à l'évidence, il y a eu une réelle volonté de ne pas débattre sérieusement de la question, pourtant sérieuse, de la Nouvelle-Calédonie.

Reporter pour la troisième fois consécutive les élections n'est évidemment pas anodin d'un point de vue démocratique. Ce report, dont il n'a pas pu être débattu à l'Assemblée nationale, ne fait pas l'unanimité – c'est factuel – parmi les forces politiques calédoniennes.

Je suis intervenu il y a quinze jours à cette tribune, au nom du groupe Union Centriste, sur le fond du texte. Je ne reviendrai pas aujourd'hui sur ce que j'ai dit alors : j'insisterai simplement sur la nécessité absolue pour l'État de demeurer impartial sur le dossier calédonien à l'égard de tous les acteurs locaux. En effet, chaque fois que l'État a renoncé à cette position, la capacité à trouver une solution politique au dossier calédonien s'est éloignée.

Si l'État ne peut évidemment pas choisir un camp contre un autre, il est un acteur du processus qui doit permettre de dégager un consensus. La solution ne peut pas être le fait d'une majorité seulement ; tous les acteurs représentatifs du territoire doivent y être associés.

Là encore, chaque fois que l'État a voulu avancer sans s'être assuré d'un consensus local sur la marche à suivre, qu'il s'agisse du référendum Pons en 1987 ou de la volonté récemment de dégeler le corps électoral, la situation s'est au mieux enlisée. Bien souvent, elle s'est dégradée et a entraîné des troubles que ni la Nouvelle-Calédonie ni l'État ne peuvent se permettre, d'aucun point de vue.

Oui, le report des élections provinciales nous apparaît aujourd'hui comme une nécessité. Rien ne serait pire, en effet, que des élections organisées à la va-vite, dans de mauvaises conditions. Ni les candidats, ni la population, ni les pouvoirs publics ne sont aujourd'hui prêts à ce débat démocratique ou à son organisation. Ce que j'exprime n'est certes pas forcément satisfaisant du point de vue des principes, mais nous devons faire preuve de pragmatisme et laisser encore du temps au dialogue.

Pour autant, il ne s'agit pas d'appliquer et d'imposer l'accord de Bougival, qui n'a pas suscité l'unanimité. Appliquer un accord qui ne fait pas l'objet d'un consensus, c'est choisir un camp plutôt qu'un autre. Essayer de passer en force – telle n'est pas la volonté du Gouvernement, nous l'avons bien entendu – ne ferait que tendre encore davantage la situation.

La démarche de Bougival, qui, rappelons-le, a été lancée par le Président de la République après l'échec du rendez-vous de Deva, n'a pour l'instant pas encore abouti. Le travail doit se poursuivre, mais nous savons tous qu'il est extrêmement difficile. Toutefois, nous avons besoin non pas seulement d'un débat sur Bougival, mais d'un accord entre toutes les forces politiques calédoniennes, comme en 1988 et en 1998.

Dans cette perspective, c'est bien une discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Calédonie qui doit se poursuivre. Celle-ci doit bien évidemment s'appuyer sur ce qui a déjà été acté entre certaines parties à Bougival.

La nouvelle formulation trouvée en commission mixte paritaire nous convient mieux. Sachez, madame la ministre, que nous sommes extrêmement sensibles aux évolutions du Gouvernement, notamment au retrait du projet de loi constitutionnelle en l'état, ainsi qu'à vos propos à cette tribune. Ils montrent à l'évidence une volonté de dialogue avec toutes les parties calédoniennes.

Mettons à profit le nouveau délai que nous offre le report des élections provinciales pour trouver les voies et moyens d'un consensus, seule manière d'aboutir à la définition d'un nouveau destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer ce soir n'est pas un texte comme un autre. Elle vise à reporter l'élection des membres du congrès de Nouvelle-Calédonie et des assemblées des trois provinces.

Ce texte est la conséquence directe d'événements d'une gravité exceptionnelle survenus en Nouvelle-Calédonie. Il fait suite tout d'abord à trois référendums lors desquels une majorité d'électeurs s'est prononcée pour rester française, les taux de participation ayant été supérieurs à 80 % en 2018 et en 2020 – le référendum de 2021 s'est déroulé dans les conditions que nous savons. Il fait suite également au démarrage du processus de dégel du corps électoral, prévu depuis longtemps et à un moment qui avait été accepté par tous.

La suite, nous la connaissons : la mobilisation d'une base militante radicalisée conduisant à une insurrection le 13 mai 2024 ; un bilan humain extrêmement lourd, des tués, des blessés ; des dégâts matériels estimés à plus de 2 milliards d'euros ; de graves conséquences pour le quotidien des habitants.

Depuis lors, 10 000 habitants ont quitté la Nouvelle-Calédonie. En 2024, le PIB a reculé de 14 %, 11 000 emplois ont été détruits, les investissements ont baissé de 25 % et les exportations de 40 %. Telles sont, mes chers collègues, les conséquences de l'instabilité et du chaos. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

J'ajoute que certains pays en ont profité pour faire preuve d'ingérence et agir contre les intérêts de la France, sans se préoccuper du sort des habitants de la Nouvelle-Calédonie.

Puis, l'accord de Bougival a été signé au mois de juillet dernier, un moment décrit comme historique et peut-être – nous l'espérons tous – déterminant pour l'avenir. Il s'agit du premier accord signé par l'ensemble des partis calédoniens depuis vingt-sept ans, depuis l'accord de Nouméa.

Cet accord clôt le processus d'autodétermination, après la série des référendums, et offre un cadre institutionnel stable et pérenne. Avec l'inscription d'un État de la Nouvelle-Calédonie dans la Constitution et l'instauration d'une nationalité calédonienne, il constitue une reconnaissance inédite des spécificités du territoire et son histoire.

Contenant une série de dispositions sur la répartition des compétences et sur le corps électoral provincial en vue des prochains scrutins, mais aussi en faveur du développement économique, l'accord vise à apporter des réponses concrètes pour stabiliser la situation et à ouvrir des perspectives pour l'avenir. Personne ne peut se considérer comme perdant, personne ne peut se considérer comme gagnant. C'est certainement le meilleur signe d'un accord équilibré.

Depuis lors, le Front de libération nationale kanak et socialiste, sous la pression – disons les choses – d'une base radicalisée, a décidé de retirer sa signature de l'accord. Toutefois, ce dernier demeure soutenu par une grande partie des acteurs locaux, qu'ils soient non indépendantistes ou indépendantistes. Il va désormais falloir modifier la Constitution et consulter les Calédoniens par référendum. Le chronomètre est lancé !

Avant toute chose, il faut voter ce texte et reporter les élections prévues au 30 novembre 2025. C'est devenu un préalable indispensable. Nous avons le devoir d'agir en responsabilité, d'abord pour éviter le chaos sur place, ensuite pour créer les conditions de la réussite de l'accord de Bougival.

Pourtant, plusieurs d'entre nous l'ont dit, ce texte a fait l'objet d'une tentative d'obstruction totalement irresponsable de la part de députés à l'Assemblée nationale. Conscients de ne pas avoir de majorité sur les bancs de l'hémicycle, les députés d'extrême gauche ont décidé d'empêcher l'examen du texte dans les délais en déposant près de 1 600 amendements. C'est la stratégie du pire, en totale cohérence, me direz-vous, avec leur ligne politique… (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Si cette proposition de loi et le décalage des élections n'étaient pas votés, si la date du 30 novembre était maintenue, que se passerait-il sur place ?

M. Akli Mellouli. Des élections !

M. Pierre-Jean Verzelen. Personne ne peut répondre à cette question, mais nous n'avons pas le droit de prendre en otage l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il est ici question du quotidien de nos compatriotes, de leur sécurité, de la stabilité que la République doit être en mesure de leur apporter.