Le 26 juin 1988, les accords de Matignon étaient conclus entre Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur et Michel Rocard. Le 20 août 1988, ils étaient complétés et consolidés rue Oudinot, pour devenir les accords de Matignon-Oudinot. Aussi, nous considérons que les bases posées à Bougival attendent, elles aussi, une suite, un complément, une précision : Bougival attend en quelque sorte son Oudinot.

Avec ma collègue rapporteure, Agnès Canayer, nous l'avons dit et nous le redisons : cette proposition de loi organique de report des élections locales ne doit pas être un passage en force ; il faut donner du temps au temps pour obtenir un consensus sur un accord global. Nous redisons aussi, tout comme vous, madame la ministre, que les discussions ne pourront pas et ne devront pas se tenir sans le FLNKS.

Aussi, le report de ces élections n'est ni le dégel du corps électoral ni l'adoption du projet de loi constitutionnelle traduisant l'accord de Bougival.

Nous saluons d'ailleurs, madame la ministre, le retrait du projet de loi constitutionnelle de l'ordre du jour. Cela permettra, nous l'espérons, la reprise des discussions et le retour de toutes les parties prenantes autour de la table afin d'obtenir un accord consensuel sur l'avenir institutionnel, pour que les habitants de la Nouvelle-Calédonie partagent, enfin, un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Mikaele Kulimoetoke, Marc Laménie et Olivier Bitz applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi organique n'est pas seulement un texte technique : c'est un acte de responsabilité.

Ce n'est pas un texte d'ajustement : c'est une étape pour donner du temps, du sens et une direction claire au dialogue engagé en Nouvelle-Calédonie.

Nous sortons d'une période de grande tension. Chacun ici l'a en mémoire, tout comme les circonstances qui ont conduit à cette situation.

Les violences du mois de mai 2024 ont profondément marqué et meurtri les Calédoniens. Elles ont montré combien la paix restait fragile, combien un nouvel accord global devenait nécessaire.

Pour sortir de cette situation, et après des mois d'intenses et exigeantes négociations entre l'État et les forces politiques calédoniennes, un accord global a été signé : l'accord de Bougival, du 12 juillet 2025.

Cet accord, à l'origine, planifiait et justifiait en lui-même le report des élections provinciales, afin que l'on se donne le temps de mettre en œuvre les évolutions constitutionnelles et organiques qu'il prévoyait : la création d'un État de la Nouvelle-Calédonie et d'une double nationalité, française et calédonienne, les mécanismes de transferts de compétences régaliennes, ou encore le dégel d'une partie du corps électoral.

Cette raison justifie encore aujourd'hui le report des élections. En effet, même si le FLNKS a choisi, a posteriori, de retirer les signatures de ses représentants, nous ne pouvons pas faire comme si l'accord n'était pas soutenu par toutes les autres formations politiques locales – les formations non indépendantistes, bien sûr, mais aussi les indépendantistes de l'UNI-Palika (Union nationale pour l'indépendance-Parti de libération kanak).

Néanmoins, une raison supplémentaire justifie désormais le report : le retrait du FLNKS démontre que l'accord de Bougival mérite certainement d'être éclairé, précisé et, le cas échéant, si l'ensemble des forces politiques signataires s'accordent, complété.

Dans ce contexte, maintenir les élections provinciales à l'échéance prévue serait une erreur. Il faut du temps : du temps pour se parler, du temps pour reconstruire la confiance.

C'est tout le sens de ce texte. Il ne reporte pas pour retarder : il reporte pour apaiser.

Il s'agit non pas de suspendre la démocratie, mais de la rendre possible. Il ne s'agit pas non plus de renoncer au consensus ; au contraire, l'objet du texte est de lui donner une chance supplémentaire de se construire.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé ce choix à une large majorité, et le Conseil d'État en a confirmé la conformité à la Constitution. Nous avons donc une base solide, celle du terrain et celle du droit. Notre légitimité est à la fois démocratique et juridique.

L'accord de Bougival a rouvert la voie du dialogue. Il a permis de réunir autour d'une même table des acteurs qui ne se parlaient plus depuis des années : les loyalistes, le Rassemblement, Calédonie ensemble, l'Éveil océanien, l'UNI-Palika, et le FLNKS.

Cette proposition de loi organique est née de cette volonté de se parler de nouveau. Elle donne au territoire le temps d'enraciner cet accord dans le droit et dans les faits, sans le figer et sans l'imposer, sans passage en force, mais sans renoncement.

Bougival ne règle pas tout, mais il trace un cap, celui d'un équilibre entre l'aspiration à l'émancipation et l'attachement à la France. C'est aussi celui d'une organisation institutionnelle adaptée à la singularité calédonienne, respectueuse des identités, des histoires et des appartenances.

Ce dialogue doit se poursuivre. Il doit rester ouvert à toutes les sensibilités, y compris celles qui ne se sont pas encore pleinement reconnues dans le texte de Bougival. Le FLNKS en fait naturellement partie.

Je l'ai déjà dit, mais je tiens à le répéter : je ne veux pas faire sans le FLNKS, pourvu que le FLNKS ne fasse pas sans les autres. La main tendue reste la même : construire ensemble, à partir de ce qui nous rassemble. C'est l'état d'esprit du Gouvernement. C'est celui dans lequel je me place et me placerai, dès ce week-end, en me rendant sur place.

Je sais que cet état d'esprit est partagé par le Parlement. Le changement du titre de la proposition de loi organique, décidé par les membres de la commission mixte paritaire, en témoigne : il s'agit de mieux insister sur l'indispensable recherche d'un accord consensuel. C'est bien l'intention du Gouvernement.

Je salue l'apport déterminant du Parlement sur ce texte depuis plusieurs semaines. De son dépôt par six présidents de groupe de votre assemblée sur huit jusqu'au compromis intervenu en commission mixte paritaire lundi, des parlementaires, pourtant de sensibilités différentes, ont montré qu'ils pouvaient se rassembler pour atteindre un même objectif, à savoir la paix civile en Nouvelle-Calédonie.

Les échanges ont prouvé l'existence d'une large convergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat, sur la nécessité du report, la volonté d'accompagner la mise en œuvre de l'accord de Bougival et la recherche d'un consensus politique local.

Croyez bien que le Gouvernement a entendu les messages de la représentation nationale. Nous avons déjà parlé de la nécessité de poursuivre le dialogue, de ne rien imposer et de ne rien précipiter. Je tiens également à évoquer la situation sur le terrain, car aucun accord politique ne pourra tenir sans perspectives économiques et sociales crédibles pour les Calédoniens.

Le Premier ministre l'a dit : il n'y aura pas de paix durable sans développement. C'est pourquoi je prépare, avec les élus et les acteurs économiques, avec les acteurs de la société civile et les associations, un plan d'investissement et de redressement pour le territoire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'acte que nous allons accomplir aujourd'hui s'inscrit dans une longue tradition, que vous connaissez bien. Les accords de Matignon-Oudinot et l'accord de Nouméa ont posé les fondements d'un dialogue historique. Bougival s'inscrira dans cette continuité.

À chaque étape, la République a tenu sa parole : donner au territoire les moyens de choisir son avenir. Le texte que nous examinons aujourd'hui se fixe ce même engagement. Il prolonge une méthode, celle de la fidélité aux accords et du respect du dialogue. En effet, cette fidélité est essentielle. Elle seule permet de reconstruire la confiance, de réconcilier les mémoires et de tracer un avenir partagé.

Pour finir, je tiens à m'adresser directement aux Calédoniennes et aux Calédoniens. À celles et ceux des tribus, des quartiers, des îles Loyauté, de la brousse et de la Grande Terre, à ceux qui doutent, à ceux qui espèrent, à ceux qui veulent simplement vivre en paix, je le dis : ce report n'est pas un recul, c'est une étape. Il ne retire rien à la démocratie. Il ouvre un chemin politique.

Le temps qui s'ouvre doit être mis à profit pour dialoguer et bâtir ensemble un avenir apaisé. L'État sera présent, mais il n'agira pas seul. Tout ce qui sera fait le sera avec les institutions locales, avec les partenaires économiques, avec les coutumiers, avec la société civile, avec les Calédoniens.

L'État tiendra parole : la ministre, le Gouvernement, les présidents des chambres, les parlementaires. Une fois encore, sur la Nouvelle-Calédonie, les élus de la majorité et de l'opposition, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, ont montré qu'ils savaient s'unir lorsque l'intérêt du pays et du territoire l'exigeait. Vous pouvez collectivement nous faire confiance.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons ne prétend pas tout résoudre. Il est loin d'être une fin en soi. Il ne ferme aucune porte, il en ouvre plusieurs. Il offre un cadre pour construire une solution partagée. Il trace une méthode, celle de l'humilité, du dialogue et du respect.

En l'adoptant, vous ferez plus que reporter un scrutin : vous confirmerez un engagement collectif, celui de poursuivre, ensemble, la construction d'un avenir fédérateur pour la Nouvelle-Calédonie, un avenir qui doit être le temps de l'identité, dans un véritable destin commun.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la motion.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 44 et de l'alinéa 12 de l'article 42 du règlement du Sénat, nous défendons aujourd'hui une motion d'irrecevabilité constitutionnelle de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Il ne s'agit ni d'un geste d'humeur ni d'une posture partisane. C'est un acte de responsabilité démocratique. C'est un cri d'alerte, face à un texte imposé par la force, à l'arraché, en violant la Constitution.

Nous dénonçons tout d'abord une pratique qui semble, hélas ! se répandre, celle d'une motion de rejet préalable déposée à l'Assemblée nationale par le groupe parlementaire soutenant le Gouvernement, non pas pour s'opposer au texte en discussion, mais pour contourner le débat parlementaire. En effet, le 22 octobre dernier, une motion de rejet préalable a été déposée sur ce texte par deux députés du groupe Ensemble pour la République.

Si le règlement de l'Assemblée nationale le permet pour faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou pour décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer, ce n'est pas pour ces motifs que la motion a été déposée. Au contraire, ce dépôt n'avait d'autre motif que la volonté d'accélérer la procédure et de passer outre le droit d'amendement, pourtant constitutionnel !

Cette manœuvre a ouvert la voie à une commission mixte paritaire, convoquée dans la précipitation et utilisée pour court-circuiter le débat et faire taire l'opposition.

Ce n'est malheureusement pas une première ! Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel vous avait pourtant mis en garde, madame la ministre, vous, votre gouvernement et votre groupe parlementaire : vous ne pouvez user des motions pour en détourner la finalité. Non, la « motion de rejet positive », telle qu'elle nous a été présentée par le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement en conférence des présidents la semaine dernière, n'existe pas : elle n'est un concept ni constitutionnel ni réglementaire.

Vous avez utilisé un mécanisme tout aussi contestable le 2 juin dernier, lorsque la motion de rejet préalable déposée sur la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse a été adoptée grâce aux voix d'un groupe favorable au texte, pour, une nouvelle fois, contourner le débat démocratique.

Déjà, le Conseil constitutionnel vous avait mis en garde : ni le Parlement ni le Gouvernement ne doit faire un « usage excessif » de ses droits.

Détourner trois fois la question préalable de sa raison d'être, comme vous l'avez fait, est évidemment excessif. Un tel concept viole la Constitution et le droit d'amendement des parlementaires prévu à l'article 44. C'est une atteinte grave au fonctionnement normal du Parlement, donc à la Constitution elle-même.

Le groupe CRCE-K dénonce cette manœuvre et en appelle à votre responsabilité, mes chers collègues : il est de notre devoir de protéger le Parlement et la Constitution.

L'annonce du Premier ministre de renoncer à l'usage de l'article 49, alinéa 3, de notre Constitution ne l'empêche pas d'user d'autres stratagèmes encore plus antidémocratiques pour parvenir à ses fins, la preuve vient d'en être donnée. C'est cela le pouvoir de l'exécutif. Vous vous exposez aux mêmes déboires avec ce texte sur la Nouvelle-Calédonie.

La violation de la Constitution ne s'arrête pas là. En effet, ce texte a été inscrit à l'ordre du jour à la demande d'un gouvernement démissionnaire. Pourtant, depuis une décision du Conseil d'État de 1952, le droit est clair : un gouvernement démissionnaire ne peut expédier que les affaires courantes.

Les affaires courantes, ce sont les actes nécessaires à la continuité de l'État, c'est-à-dire les mesures de gestion, de sécurité et les décisions administratives qui ne peuvent attendre. Ce ne peut en aucun cas être des initiatives législatives majeures. Car je reprends vos propres mots, madame la ministre : cette proposition de loi organique, qui modifie un calendrier électoral, donc l'expression même de la souveraineté populaire, est un « texte majeur ».

Là encore, je vous ai entendu : vous parlez de « motion de rejet positif », nouveau concept du Nouveau Monde, par lequel il s'agit de reporter pour apaiser et non de reporter pour retarder. Autant de concepts qui, je l'avoue, m'échappent, mais ce n'est guère étonnant, puisqu'ils n'ont aucun fondement réel.

Qui plus est, dans sa décision du 19 septembre dernier, le Conseil constitutionnel a tranché et confirmé la légitimité et la constitutionnalité du gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. En effet, les Sages de la rue Montpensier ont pu rappeler le cadre constitutionnel spécifique transitoire applicable à la Nouvelle-Calédonie, qui confère une valeur constitutionnelle à l'accord dit de Nouméa et prévoit expressément le gel du corps électoral.

Dès lors, ce gel n'est pas caduc, et l'urgence de reporter pour la troisième fois les élections dans l'attente d'une hypothétique modification du corps électoral n'est en rien caractérisée. Le Gouvernement, même en période de transition, ne peut donc pas se prévaloir de l'urgence pour étendre ses compétences au-delà des affaires courantes.

Une note du secrétariat général du Gouvernement du 2 juillet 2024 confirme d'ailleurs ce propos, appelant à une « extrême prudence » de la part d'un gouvernement démissionnaire pour solliciter le Parlement. Les affaires courantes y sont reconnues comme strictement limitées.

Selon nous, un texte dont l'urgence a été écartée par le Conseil constitutionnel et qui entraîne, pour la troisième fois, le report d'une élection majeure au sein d'un territoire n'entre en aucun cas dans la catégorie des « affaires courantes ».

Une nouvelle fois, nous sommes face à une violation des compétences du Gouvernement et du Parlement, telles qu'elles sont prévues par la Constitution.

Ce choix politique, qui est le vôtre et celui du Gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, est d'autant plus regrettable qu'il se fait aux dépens du peuple kanak. Vous vous cachez derrière des artifices juridiques de façade pour faire primer un texte injuste au profit d'intérêts politiques.

Ce peuple a déjà subi à plusieurs reprises le mépris de Paris. Ce passage en force serait une violation de la Constitution, mais aussi de son droit de vote.

Reporter les élections provinciales, c'est retirer la parole au peuple kanak. Le faire dans de telles conditions est d'autant plus grave. Ni le peuple français ni le peuple kanak ne méritent un tel sort !

Peu avant les événements tragiques de mai 2024, le ministre des outre-mer de l'époque, aujourd'hui Premier ministre, a déclaré aux représentants du peuple kanak : « En démocratie, les élections se tiennent à l'heure. » Mais en démocratie, le débat politique est organisé, la parole du peuple est écoutée et les institutions sont respectées !

En effet, respecter le droit d'un peuple à élire ses représentants, c'est respecter le droit d'un peuple à disposer de lui-même. Et si c'est à regret que nous constatons que l'Histoire se répète, il n'est pas trop tard pour donner au peuple kanak la liberté de choisir ses représentants.

Madame la ministre, vous faites ici le choix politique de bafouer le droit international et les résolutions de l'ONU, comme vous faites le choix de violer notre Constitution. Vous vous entêtez dans une voie sans issue à nos yeux, en méprisant le peuple kanak, le peuple français et notre démocratie tout entière.

Mes chers collègues, face à la violence de cette situation, je vous invite à prendre de la hauteur. Que diriez-vous si le gouvernement d'un autre pays violait sa Constitution et le droit international et refusait le débat démocratique au Parlement pour éviter l'expression du suffrage d'un peuple colonisé qui réclame son indépendance depuis presque deux siècles ? Vous ne pourriez que le dénoncer.

C'est pourtant face à cette situation que nous nous trouvons. Il est donc de notre devoir de mettre fin à ces pratiques anticonstitutionnelles et bien dangereuses pour notre République, notre démocratie et notre État de droit.

Madame la ministre, vous avez rappelé combien le Parlement avait travaillé sur ce texte. Je connais l'issue du vote qui aura lieu sur cette proposition de loi organique dans quelques instants : une majorité entérinera cette décision de bafouer la démocratie. Je rappelle tout de même que ce texte a été adopté hier à l'Assemblée nationale avec seulement quinze voix d'écart.

Sur ce sujet, le Parlement est loin d'être unanime, tout comme sont loin d'être unanimes les hommes et les femmes qui vivent en Nouvelle-Calédonie. Cette précipitation et cette volonté systématique de passer outre sont révélatrices davantage d'une fébrilité que de l'expression d'une conviction à avancer dans le respect de nos droits.

Au nom du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, au nom du respect de la Constitution, au nom de la dignité du Parlement, au nom du peuple kanak, je vous demande donc de voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, mes chers collègues.

C'est un acte non pas de blocage, mais de sauvegarde du droit, de la démocratie et de la République. Parce que le respect de la Constitution doit être notre métronome, il est de notre devoir à tous de la défendre, surtout quand le pouvoir exécutif tente de la contourner. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Sans surprise, la commission des lois va émettre un avis défavorable sur cette motion d'irrecevabilité constitutionnelle.

Nous connaissons évidemment l'argumentation du groupe CRCE-K pour justifier son opposition au report des élections. Pour autant, nous considérons que cette motion n'est pas le bon outil juridique, car ce texte ne pose aucune difficulté de nature constitutionnelle.

C'est d'ailleurs la position du Conseil d'État dans son avis du 4 septembre dernier : ce troisième report repose bien sur un motif d'intérêt général, puisque l'accord de Bougival crée des perspectives de négociations pour permettre des avancées et ouvrir la voie au compromis le plus large possible, ainsi que l'a souligné la rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire.

Par ailleurs, la procédure ne pose pas non plus de problème constitutionnel, puisque, le 12 octobre dernier, le Gouvernement en titre a poursuivi la procédure en cours et maintenu l'inscription de ce texte à l'ordre du jour des travaux du Parlement. D'ailleurs, la navette parlementaire ne s'est pas interrompue et le texte a été examiné à l'Assemblée nationale selon la procédure ad hoc. (M. Akli Mellouli s'exclame.)

Le texte qui a été adopté en commission mixte paritaire lundi dernier est celui qui a été voté par le Sénat – n'était son intitulé, qui a été modifié. Le compromis trouvé en commission mixte paritaire reprend donc les travaux de notre assemblée, et c'est bien cette version qui est soumise à votre décision, mes chers collègues. Une fois votée, elle sera transmise au Conseil constitutionnel, qui seul a la capacité de se prononcer sur la constitutionnalité du texte.

Nous émettons donc un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Le Gouvernement va également émettre un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je ne puis laisser sans réponse les propos qu'a tenus Mme Cukierman sur la motion de rejet préalable adoptée la semaine dernière à l'Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, deux députés du groupe La France insoumise – Nouveau Front populaire avaient à eux seuls déposé près de 2 000 amendements sur cette proposition de loi organique, qui ne compte que trois articles.

M. Christian Bilhac. Ils ont du temps à perdre !

Mme Naïma Moutchou, ministre. Ils ne visaient nullement à en modifier le fond : il s'agissait de remplacer la date du 30 novembre par celle du 1er décembre, du 2 décembre, du 3 décembre, etc., et cela dans une stratégie d'obstruction totalement assumée. Voilà ce qui s'est passé.

Comment ceux qui ont voulu empêcher le débat et le vote peuvent-ils parler ensuite de déni de démocratie ? Le déni de démocratie est bien de leur fait, et non de celui qui a déposé la motion de rejet. Une telle tentative de blocage est grave. C'est du jamais vu sur le dossier calédonien.

Depuis lors, la commission mixte paritaire s'est réunie et a adopté le texte. L'Assemblée nationale s'est prononcée et en a voté les conclusions. Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd'hui amenés à vous prononcer sur ce texte. Par conséquent, il n'y a ni blocage ni passage en force.

M. Akli Mellouli. On ne l'a pas encore adopté !

Mme Naïma Moutchou, ministre. J'ai déjà indiqué que le congrès de Nouvelle-Calédonie et le Conseil d'État avaient conforté cette décision de report. Je n'y reviens donc pas.

En vérité, le vrai blocage, ce serait de décider de ne pas reporter ces élections. Ce serait grave ! S'il fallait organiser des élections dans le climat de tension actuel, les négociations seraient gelées et le processus politique tomberait. Ce serait probablement un recul de plusieurs années. Voilà ce qui se passerait. (M. Akli Mellouli proteste.)

Ce n'est pas ce que nous voulons pour les Calédoniens. C'est pourquoi, oui, nous assumons de donner la chance au temps et aux discussions, en formant le vœu que nous parvenions à un accord global avec tous.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, ni vous ni moi ne pouvons prédire la situation de la Nouvelle-Calédonie au mois de juin prochain.

Une nouvelle fois, on nous explique que la situation ne permet pas d'organiser des élections et qu'il faut les reporter. Tant mieux, ai-je envie de vous dire. Pour ma part, je ne connais que les certitudes aujourd'hui, je ne fais pas de pari sur l'avenir.

Il n'y aurait aucun déni de démocratie, selon vous, madame la ministre ? Ils sont pourtant nombreux, qui dépassent largement le cadre de ce texte !

Évidemment, vous pouvez vous en prendre à un groupe de l'Assemblée nationale qui n'a fait qu'utiliser son droit d'amendement, même si vous considérez que c'était avec excès. Reste que, dans une démocratie où ceux qui perdent les élections continuent de gouverner, où une motion de rejet préalable est votée par ceux-là mêmes qui sont favorables au texte en question, où l'on estime que ce n'est jamais le bon moment de tenir les élections, alors même qu'un référendum a été imposé à une population locale qui en demandait le report pour respecter les temps de deuil après l'épidémie de covid, les leçons de démocratie ont beau jeu !

Si ce que je viens de décrire se passait dans n'importe quel autre pays, on parlerait de dictature.

Continuons ainsi. Continuons de croire que tout va bien et que le Parlement a retrouvé son pouvoir parce que le Gouvernement a renoncé au 49.3. Certes, à l'Assemblée nationale, il ne fait pas d'obstruction en déposant des amendements, mais il prend un temps exceptionnel, alors que les soixante-dix jours accordés à l'examen du budget sont précieux. De leur côté, les députés La République en Marche commentent chaque amendement.

Madame la ministre, vous et moi, nous avons une expérience de parlementaires. Vous et moi, nous connaissons les procédures.

Aussi, nous n'avons pas de leçons à recevoir : la façon d'agir du Gouvernement et l'organisation des travaux au Sénat comme de l'Assemblée nationale ne sont pas dignes d'une démocratie.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.

M. Akli Mellouli. Madame la ministre, je tiens à rétablir les faits. Il faut cesser de se mentir : cette proposition de loi organique a été déposée bien avant l'accord de Bougival. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Elle a été déposée au mois d'août dernier !

M. Akli Mellouli. Elle est donc sans rapport avec ces négociations.

Elle a été déposée au Sénat par plusieurs groupes parlementaires, et on nous avait même demandé d'en être signataires. Cette demande de report remonte à un moment. Votre prédécesseur a d'ailleurs indiqué qu'il s'agissait d'un protocole de report.

Je ne reprendrai pas les propos de Cécile Cukierman sur l'obstruction parlementaire ; nous aurons l'occasion d'y revenir lors des explications de vote sur l'ensemble. Essayons d'élever le débat : reconnaissez qu'il y a un passage en force et n'utilisez pas les oripeaux de la démocratie pour nous faire croire que c'est le contraire qui se passe. De grâce, soyons en phase avec nos convictions et nos valeurs.