Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre esprit constructif et de vos propositions.

Vous avez parfaitement raison : notre politique doit avoir pour objectif le logement pour tous et englober un parcours résidentiel allant de l’hébergement d’urgence jusqu’à la pleine propriété.

Vous avez raison également de dire que le logement, notamment social, est un droit inaliénable. Je l’ai dit ici lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement : sans le logement social dans lequel mon petit frère et moi-même avons grandi, nous n’aurions pas eu le même parcours et je ne serais pas devant vous aujourd’hui. Soyez donc certaine de mon attachement à la question du logement, y compris social.

Vous l’avez dit, nous devons placer le bailleur privé au cœur de nos politiques. Vous avez souligné qu’il serait utile de plafonner les loyers. Cette mesure fait partie des propositions du rapport de Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson, qui suggèrent la mise en place de bonus, d’aides et de défiscalisation complémentaire si les loyers sont encadrés.

En tout état de cause, pour ce qui concerne la méthode, c’est vous, dans cet hémicycle, qui ajusterez ces mesures. Pour ma part, je trouve la proposition de Marc-Philippe Daubresse pertinente ; elle permet de répondre, si ce n’est totalement, du moins en partie, à votre attente.

Je manque de temps pour vous exposer plus largement mon ambition pour lutter contre le niveau des loyers et le prix du foncier, mais ces éléments seront au cœur du plan pour le logement, car ils sont essentiels : si le foncier coûte trop cher, in fine, tout est trop cher. Or, lorsque les Français n’arrivent plus à se loger ou que le logement représente une charge financière inacceptable pour les ménages, il ne peut en découler qu’un appauvrissement des familles françaises, que, pour ma part, je ne saurais accepter.

Je vous remercie de votre esprit particulièrement constructif et j’espère vous retrouver prochainement pour poursuivre ce débat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Je veux insister sur la nécessité de construire des logements. C’est une politique d’importance pour l’ensemble de la filière économique, créatrice d’emplois et qui rapporte également à l’État. Le rattrapage que nous attendons depuis 2018 doit enfin avoir lieu !

À cet égard, votre ministère a réalisé une étude très intéressante sur les besoins en construction de logements. Nous disposons donc désormais de la base que nous demandions depuis longtemps pour identifier les besoins.

Cette étude a pris pour échelle les bassins d’emploi au sein des territoires. J’ai participé à une table ronde avec la Fédération française du bâtiment (FFB) sur le sujet : il me semble que nous devons tous nous appuyer sur le travail réalisé par votre ministère pour démontrer les besoins en la matière.

Cette étude distingue besoins de logements et de construction. Et dans certains territoires, les chiffres sont les mêmes.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le logement n’est pas un bien comme les autres. Il est même un droit constitutionnel, en vertu des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, selon lesquels la « Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

J’ai peur de devoir vous le dire, mais, aujourd’hui, la Nation ne tient pas cet engagement. Monsieur le ministre, nous sommes issus du même département : on y compte à ce jour 110 000 demandeurs de logement.

La Nation facilite même les expulsions, depuis la loi Kasbarian. L’ancien ministre dont elle tient son nom vient de revendiquer le triste record du nombre de familles mises à la rue ! Monsieur le ministre, j’espère que vous n’avez pas l’intention de battre ce record inhumain. Les expulsions ont bondi de 29 % en un an, de 223 % en vingt ans !

Pourtant, à vous entendre, ce que vous tentez d’assurer, c’est la rentabilité des investisseurs. Sous couvert de créer un statut du bailleur privé, vous vous apprêtez à soutenir encore la concentration du patrimoine, alors que 3 % des propriétaires possèdent déjà 50 % du parc privé locatif.

Ce modèle du soutien aux investisseurs est inefficace. Les chiffres sont désastreux et ne font qu’empirer : 12 millions de Français sont fragilisés par la crise du logement, 5 millions de personnes vivent dans des passoires énergétiques et 2,8 millions de demandes de logement social sont en attente. Ces chiffres, vous les connaissez, monsieur le ministre. (M. le ministre opine du chef.) Sans intervention publique, il n’y aura pas de solution. Et pourtant, ce n’est pas le choix que vous faites.

Vous soutenez le rétablissement de la ponction de 200 millions d’euros sur les finances des bailleurs sociaux, alors même que votre prédécesseure avait promis le gel de la RLS, laquelle repart finalement à la hausse dans le projet de budget du Gouvernement. Dont acte !

Vous ne voulez pas lancer la construction nécessaire de 200 000 logements ? Alors, attaquez-vous au moins aux causes ! Citons, parmi celles-ci, les insuffisances du marché du logement et les travers du secteur privé, qui, d’un côté, permet une spéculation à l’origine d’une explosion des prix du foncier et des constructions, et, de l’autre, laisse les loyers atteindre des niveaux de plus en plus inaccessibles par souci de rentabilité !

Tous ceux qui font le procès du logement social commettent une grave erreur, tant sociale que politique.

Prenons la région qui m’est la plus chère, l’Île-de-France : il n’est pas vrai que les plus pauvres soient logés dans le parc social. La réalité, c’est que les plus pauvres vivent dans un parc privé, en partie insalubre, inadapté, et que beaucoup d’entre eux sont exploités par des marchands de sommeil. La réalité, c’est que la crise du logement vient bien du parc privé.

Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Les prix du foncier ont été multipliés par quatre depuis 2000 dans la région Île-de-France. Le prix des logements est 72 % plus élevé qu’en 2000, alors que le revenu disponible par ménage n’a progressé que de 4 %. En vingt-cinq ans, les loyers ont presque doublé dans l’agglomération parisienne.

La situation n’est pas toujours meilleure pour ceux qui sont propriétaires de leur logement, puisque 115 000 copropriétés sont dégradées. Les constructeurs comme les particuliers ont de plus en plus de mal à vendre, à cause de coûts exorbitants, notamment en matière de foncier.

Tout cela est un cercle vicieux : en achetant des logements plus chers, les propriétaires souhaitent ensuite les mettre en location et en répercutent le coût sur les loyers, qui, à force d’augmenter, deviennent inaccessibles.

L’encadrement des loyers a fait ses preuves. Actons sa pérennisation, alors que la fin de son expérimentation est prévue pour novembre 2026.

Monsieur le ministre, entendez-vous encourager la pérennisation de l’encadrement des loyers ?

Comptez-vous également mettre en œuvre un encadrement des prix du foncier, qui, lui aussi, fait ses preuves là où des villes s’en saisissent, notamment au travers de chartes des promoteurs ?

Enfin, allez-vous agir sur le parc privé, dont le dérèglement est à l’origine de la crise du logement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Pascal Savoldelli, j’ai effectivement le plaisir de vous croiser régulièrement dans ce beau département qu’est le Val-de-Marne.

Même si nous ne sommes pas toujours d’accord, il nous arrive de nous rejoindre sur l’essentiel. C’est notamment le cas lorsque vous rappelez le rôle fondamental du logement dans notre Constitution. Le logement est en effet un droit inaliénable et opposable ; et c’est une chance.

Je le répète : je suis un enfant du parc HLM et, pendant mes dix années de mandat de maire, ma principale préoccupation a été de créer un véritable parcours résidentiel dans ma commune, ce qui impliquait évidemment le soutien à la construction et au logement social.

Je regrette cependant que vous rejetiez le statut du bailleur privé, comme s’il fallait opposer propriétaires et locataires.

Comme l’indiquent Marc-Philippe Daubresse et son coauteur dans leur rapport, l’objectif n’est pas de permettre à de très riches investisseurs d’acquérir des dizaines de logements pour en tirer le maximum de profit. Au contraire, ce statut vise à inciter des familles plus modestes, qui ont un petit bas de laine, à arbitrer en faveur d’un investissement, qui soit rentable, dans la pierre plutôt que dans l’épargne en banque, de manière à loger un maximum de familles.

En effet, un quart des foyers français sont logés dans des biens qui appartiennent à de petits investisseurs. Dans le rapport, il était suggéré de plafonner le nombre de logements concernés par une défiscalisation. Selon moi, cela garantirait que la mesure s’adresse bien aux investisseurs familiaux de petite taille.

Vous avez évoqué les copropriétés dégradées. C’est un enjeu auquel nous devons nous attaquer. Ce sera probablement l’un des sujets clés de la mission de préfiguration qui a été lancée sur la troisième phase de rénovation urbaine, dite Anru 3.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, il faut conclure.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Enfin, j’aborde sans dogmatisme dans le débat sur l’encadrement des loyers.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, je suis désolée, vous ne pouvez pas dépasser votre temps de parole sur chaque question.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, tâchons d’interpréter fidèlement vos propos ; si je comprends bien, vous êtes disposé à pérenniser l’encadrement des loyers ; est-ce bien cela ? Vous devez me répondre les yeux dans les yeux, c’est oui ou non !

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Madame la présidente, ai-je le droit de répondre ?

M. Pascal Savoldelli. C’est une mesure attendue.

Par ailleurs, je vous ai posé trois autres questions auxquelles, même si votre temps de parole est limité, vous n’avez pas répondu.

Tout d’abord, j’espérais vous entendre dire que vous ne teniez pas à entrer en compétition avec l’un de vos prédécesseurs, qui revendique le record du nombre d’expulsions en France. Vous ne m’avez pas répondu, c’est votre choix.

Ensuite, je vous ai interrogé sur l’encadrement des prix du foncier, qui a été expérimenté par certaines communes, et pas que des communes de gauche ; là encore, pas de réponse.

Enfin, je vous ai demandé si vous alliez agir sur le parc privé, au regard de la démonstration que je venais de vous faire : pas de réponse non plus.

Vous l’avez dit vous-même, à juste titre, le logement est une bombe sociale, mais, au regard de votre action depuis votre prise de fonctions, il me semble que vous allumez la mèche… (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRCE-K et sur les travées du groupe GEST.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Toujours dans la nuance !

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement est une violence quotidienne. Elle frappe les ménages modestes, les classes moyennes, les jeunes, les familles monoparentales, les travailleurs pauvres, les retraités. Elle enferme, elle empêche, elle fracture.

Pendant que les besoins explosent, la production de logements sociaux diminue, la rénovation énergétique ralentit ; mais les prix, eux, s’envolent.

Face à cela, la politique du Gouvernement est – comment le dire poliment et sans colère ? – insuffisante ? indifférente ? Non, je la qualifierai d’absente !

Depuis 2017, la Macronie, souvent soutenue par la droite républicaine, a cassé les bailleurs sociaux, a changé de politique sur la rénovation thermique aussi souvent que de gouvernement et a laissé s’installer une spéculation débridée favorisant une fois de plus les plus riches au détriment des plus pauvres !

M. Daniel Salmon. Tout à fait !

Mme Antoinette Guhl. Alors, à la question posée aujourd’hui – « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? » – le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires répond clairement : tout d’abord, il faut remettre le logement social au cœur de l’action publique, c’est une urgence ; ensuite, il faut sortir de la spirale spéculative ; en outre, il faut garantir un réel droit au logement ; enfin, il nous faut prendre soin plus particulièrement de notre jeunesse et de notre planète.

Premièrement, disais-je, nous devons faire du logement social notre priorité. La réduction de loyer de solidarité doit cesser au plus vite, car, en privant les bailleurs sociaux de plus de 1 milliard d’euros par an, ce sont les plus pauvres que vous blessez. À ce titre, le budget 2026 s’annonce encore une fois catastrophique. Vous êtes en train d’assécher les bailleurs sociaux et, ce faisant, c’est toute la chaîne du logement qui s’effondre. Vous qui êtes les rois de l’économie, vous plantez tout un secteur économique, celui du bâtiment.

Deuxièmement, il faut sortir de la spirale spéculative. Au travers des niches fiscales et des locations touristiques, vous détournez les moyens publics : 11 milliards d’euros en douze ans pour trois niches fiscales – le dispositif Censi-Bouvard, les sociétés d’investissements immobiliers cotées (Siic) et les locations meublées non professionnelles (LMNP) –, dont vous faites cadeau aux plus riches alors qu’une telle somme aurait permis de construire au moins 70 000 logements sociaux ! Nous proposons de supprimer ces niches fiscales qui profitent aux 4 % de Français qui détiennent à eux seuls 50 % du parc locatif privé et de basculer les revenus des meublés touristiques vers le régime foncier, de plafonner la location touristique aux seuls propriétaires occupants et de rendre l’encadrement des loyers obligatoire dans toutes les zones tendues.

Troisièmement, il y a urgence à garantir un droit réel au logement. Cela passe, y compris dans les outre-mer, par l’interdiction des expulsions sans relogement, mais aussi par la mise en place d’une véritable garantie universelle des loyers sécurisant locataires et propriétaires, et par un permis de louer renforcé pour lutter contre l’habitat indigne.

Tout cela doit être fait en prêtant une attention particulière à notre jeunesse, comme l’ont rappelé Mmes Berthet et Artigalas. En effet, 70 % des moins de 25 ans logés hors du foyer parental se logent dans le parc privé ; or celui-ci coûte très cher, quand il n’est pas inaccessible dans certaines villes, d’autant que les petites surfaces coûtent encore plus cher au mètre carré. Le logement représente 60 % du budget des jeunes. Et je ne m’étendrai pas sur les offres de co-living à 900 euros par mois pour une chambre de 12 mètres carrés, défiant toute réglementation. Résultat : la jeunesse galère et se retrouve plus précarisée que jamais. Loger la jeunesse, c’est garantir l’avenir du pays. Monsieur le ministre, vous avez été nommé ; maintenant, nous comptons sur vous pour vous atteler à cette question.

Enfin, nous devons réussir la transition écologique. La rénovation énergétique des bâtiments doit être massive, complète et lisible. Nous refusons tout recul sur l’interdiction progressive des passoires thermiques.

Mes chers collègues du groupe Les Républicains, vous nous interrogez sur les réponses que nous voulons apporter à la crise du logement ; je crois vous avoir répondu. Permettez-moi, à présent, de vous présenter celles dont nous ne voulons pas : nous ne voulons pas de rupture avec une conception républicaine du logement ; nous ne voulons pas faire du logement une récompense méritocratique réservée à quelques-uns ; nous ne voulons ni de recul sur le droit ni de marché sans règle ; nous ne voulons pas de jeunesse abandonnée ; et nous ne voulons pas de territoire oublié.

La crise du logement est une bombe sociale, réagissons vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Madame la sénatrice Guhl, j’ai bien entendu vos alertes sur la politique du logement. Sachez que le Gouvernement agit et continuera de le faire de manière déterminée et concrète. En effet, nous partageons votre souci de loger nos concitoyens, particulièrement les jeunes et les publics les plus vulnérables, cela va de soi.

Votre question est pour moi l’occasion de répondre à celle de Pascal Savoldelli sur l’encadrement des loyers. Comme je commençais de le dire, il faut aborder ce sujet sans dogmatisme et laisser le débat se tenir, y compris entre élus locaux.

Cette question a fait l’objet d’évolutions qui dépassent maintenant les clivages politiques classiques. Pour ma part, je suis un défenseur de la liberté, notamment celle, si chère au Sénat, des élus locaux à déterminer leur politique. Cependant, il n’est pas question non plus de faire preuve de dogmatisme sur ce point.

Enfin, je suis particulièrement soucieux de lutter farouchement contre les passoires thermiques. C’est un enjeu tant pour le pouvoir d’achat et le bien-vivre des familles, que pour la transition écologique. Je vous remercie donc de mener ce combat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour la réplique.

Mme Antoinette Guhl. J’entends votre réponse, monsieur le ministre, mais les chiffres figurant dans le projet de budget pour 2026 parlent d’eux-mêmes, à votre place : vous diminuez de 587 millions d’euros les APL ; vous réduisez la prévention de l’exclusion en privant les associations des moyens d’agir pour assurer l’accompagnement social ; vous laissez s’effondrer le secteur de la rénovation énergétique. Enfin, les crédits consacrés au logement social sont clairement insuffisants. Pour l’instant, vos paroles ne sont absolument pas suivies d’actes !

Nous attendons, sur ce sujet si important dans la vie quotidienne des Français, des actes concrétisant les belles paroles que vous venez de prononcer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, le répétons et le déplorons, le logement représente le premier poste de dépense des Français. Cette charge pèse aujourd’hui lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages. Chacun peut en mesurer les effets délétères.

Cette crise, qui ne concerne pas le seul parc social, n’est pas spécifique à une région ou à quelques villes ; elle affecte tous les territoires, urbains ou semi-ruraux.

En 2024, dans les Bouches-du-Rhône, 94 % des 150 000 demandes de logement social étaient sur liste d’attente. Près d’un logement sur dix – 9 % – du parc privé est potentiellement indigne, Marseille concentrant à elle seule près de 40 000 logements dégradés, parfois insalubres, voire dangereux ; dois-je rappeler le drame de la rue d’Aubagne ? Mais ne pensez surtout pas que ces constats se limitent aux Bouches-du-Rhône !

En outre, du fait de la flambée du prix du foncier, l’accès à la propriété dans notre pays est devenu difficile pour les jeunes générations. En 1975, il fallait en moyenne dix années de remboursement pour acquérir un logement ; aujourd’hui, il en faut vingt-trois. Cette situation nourrit un sentiment de déclassement et d’injustice, qui fragilise notre pacte social.

Souvent, dans les débats censés permettre de prendre la mesure de cette crise du logement, certains privilégient une approche technique. C’est une erreur.

Je pense à l’application de l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, en vertu duquel le parc de résidences principales doit compter au moins 25 % de logements locatifs sociaux. Si, pour certaines communes, aucune difficulté n’est à relever, tel n’est pas le cas dans les Bouches-du-Rhône, où la rareté et le coût du foncier disponible, ainsi que les contraintes environnementales, la saturation des infrastructures ou encore les refus d’octroi de permis de construire pour des raisons indépendantes de la volonté des municipalités sont sanctionnés par des pénalités qui peuvent atteindre 1,3 million d’euros.

C’est une manière bien commode de se donner bonne conscience, en oubliant que la question du logement est d’abord politique. En effet, derrière cette pénurie de l’offre de logement, parallèle à une panne de la construction, s’additionnent et se chevauchent des politiques publiques éclatées, des dispositifs partiels, des réformes proposées à la va-vite et, enfin, le fameux – autant que funeste – « zéro artificialisation nette ».

Ces injonctions contradictoires incitent certains propriétaires à laisser leur logement vacant. Tout cela a donné naissance à un véritable « maquis », alors que l’État s’est peu à peu désengagé de son rôle de pilote.

Le logement exige une vision d’ensemble, une stratégie cohérente. C’est ce qu’attendent les élus de terrain et les habitants, qui ne comprennent pas comment, dans un pays comme le nôtre, on peut encore manquer de toits.

Les dernières lois de finances ont parfois donné le sentiment d’un État hésitant, qui réduit une année, avant de rétablir partiellement l’année suivante, les crédits du fonds national des aides à la pierre et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

En 2024, la ministre Valérie Létard avait annoncé un nouvel engagement de 116 millions d’euros pour 2026. Il ne faudrait pas que cela se réduise à un effet d’annonce ! Peut-on espérer, monsieur Jeanbrun, que cette enveloppe soit moins éphémère que les gouvernements qui se succèdent depuis quelques mois ?

Enfin, la décision de geler les APL en 2026 soulève de fortes interrogations. Cette mesure, destinée à réaliser 108 millions d’euros d’économies, touchera nécessairement – nous le savons – les plus fragiles. Une véritable politique du logement ne saurait se contenter de ces expédients.

Ma question est simple : dans ce contexte d’incertitude et d’instabilité, comment les acteurs du logement peuvent-ils continuer à remplir leur mission ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Je vous remercie, madame la sénatrice Jouve, de votre intervention, qui me donne l’occasion de dire que je partage votre souci de lutter contre l’habitat indigne, lequel se trouve essentiellement – vous avez eu raison de le rappeler – dans le parc privé.

Vous le savez, le locataire de ce type de logement dispose actuellement d’un recours pour faire geler les APL que perçoit son propriétaire, mais le délai de mise en œuvre de cette procédure est bien trop long ; en le réduisant, nous pourrions collectivement lutter contre l’habitat indigne.

Vous avez évoqué la complexité de notre système, qui ne facilite pas, c’est vrai, la production de logements. Sur ce point, nous avons réussi, avec l’Assemblée nationale et le Sénat, à faire progresser la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, présentée par le député Harold Huwart et actuellement en cours d’examen, qui permettra de mettre en place plusieurs outils très puissants et représentera une grande avancée. Elle devrait – je l’espère – entrer en application dès la fin de ce mois de novembre.

Pour le reste, vous pouvez compter sur ma volonté d’agir concrètement sur ces différents sujets. Je me tiens à votre disposition pour examiner ces questions avec vous.

Vous connaissez la philosophie de cette équipe gouvernementale – et ce rappel vaut pour chacune de vos interventions de ce jour, mesdames, messieurs les sénateurs – : le Gouvernement propose, nous en débattons collectivement et, à la fin, vous tranchez.

Je ne doute donc pas que la question des APL et de leur gel sera débattue dans cet hémicycle, et je fais confiance à la Haute Assemblée, dont la sagesse est connue, pour trouver les meilleurs scénarios et les meilleurs équilibres budgétaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bleunven.

M. Yves Bleunven. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la clarté des propos de ma collègue Amel Gacquerre sur la rénovation énergétique et le logement social. Je veux aussi remercier Martine Berthet et Viviane Artigalas, qui ont réalisé, avec moi, le rapport d’information intitulé Programmer, adapter, innover : 25 clés pour le logement des jeunes.

Nous ne pouvons aujourd’hui que constater le grave déséquilibre existant entre l’offre et la demande en matière de logement, notamment chez les jeunes actifs. Je souhaite, pour ma part, insister sur deux leviers complémentaires : d’une part, l’offre de logements et, d’autre part, la régulation des coûts de construction. La crise du logement se réglera non pas uniquement via les aides ou la réglementation, mais aussi – et peut-être d’abord – par la capacité à construire davantage, plus vite et à un prix convenable.

Le parcours résidentiel n’est plus aussi binaire qu’auparavant ; il faudra donc inventer les fameux maillons manquants. À cette fin, l’innovation doit être au cœur des enjeux pour introduire plus de souplesse et d’agilité, en multipliant l’offre de logements, afin qu’elle corresponde aux réalités de vie. Nous devons encourager toutes les formes d’habitat innovantes, qu’elles soient modulables, réversibles ou adaptées à l’évolution des besoins.

Tout cela, les élus locaux le savent. C’est pourquoi je plaide pour davantage de confiance envers les collectivités territoriales et pour un droit à l’expérimentation en matière d’urbanisme et de logement. Ces collectivités connaissent leurs besoins, leurs contraintes foncières, leurs équilibres économiques. Nous avons absolument besoin d’une application décentralisée de la politique du logement !

Un autre problème réside dans le coût de la construction, souvent rédhibitoire. Le constat est simple : ces vingt dernières années, le coût du logement a plus que doublé par rapport au revenu disponible. Dès lors, comment pouvons-nous agir ?

Tout d’abord, nous pouvons agir sur le prix du foncier, qui explose véritablement dans certaines zones. Nous devons mieux mobiliser le foncier public, encourager les opérations de requalification urbaine et lutter contre la spéculation. À défaut, nous continuerons à empiler des dispositifs d’aide sans jamais nous attaquer à la racine du mal.

Ensuite, en ce qui concerne l’accumulation des règles, les opérateurs subissent une avalanche de normes, lesquelles sont parfois contradictoires entre elles et souvent trop complexes. Je ne dis pas qu’il faut renoncer à la qualité ou à la performance énergétique – bien au contraire –, mais il faut savoir distinguer la norme utile de la norme inutile, celle qui protège du risque de celle qui alourdit sans raison.

Enfin, je crois qu’il est aujourd’hui nécessaire d’ouvrir un débat sur la transparence des coûts de la chaîne de valeur de la construction. L’indice des coûts des matériaux (ICM) a explosé au moment de la guerre en Ukraine et de la flambée des prix de l’énergie. Aujourd’hui, force est de constater que cet indice n’a que faiblement baissé, ce qui est totalement anormal. La concentration des opérateurs dans une forme oligopolistique peut sans doute expliquer cette situation ; nous en reparlerons sans doute prochainement au sein de la commission des affaires économiques.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous voulons véritablement faire bouger les choses face à cette crise devenue presque ordinaire, malgré son urgence, écoutons ce que les maires ont à nous dire, poussons les collectivités à l’innovation et libérons les coûts de construction ! (Mme Amel Gacquerre applaudit.)