Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le ministre, loin du vacarme de l’Assemblée nationale, que je connais bien pour l’avoir fréquentée, vous avez entendu ici des propos sages, mesurés, concrets, efficaces, tenus dans le respect des uns et des autres, ce qui caractérise le Sénat depuis longtemps.
Il est vrai que, depuis quatre ans, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous tirons la sonnette d’alarme en dénonçant le caractère néfaste et parfois irresponsable de certaines politiques gouvernementales – pas toutes – conduites précédemment.
Il a fallu attendre la nomination de Valérie Létard, qui connaît bien le logement, pour que le sujet soit enfin pris en compte et que l’on écoute le Sénat, qui a exposé l’ensemble des problèmes, structurels et non uniquement conjoncturels, qui précipitent et accélèrent cette crise du logement.
Monsieur le ministre, quand j’étais à votre place il y a quelques années, j’ai moi aussi connu une importante crise du logement. Nous réalisions alors à peu près à 230 000 constructions neuves par an – 270 000 seront réalisées à la fin de cette année – et, avec Jean-Louis Borloo, que vous avez cité et que je salue, nous sommes tout de même arrivés au chiffre de 486 000 constructions annuelles. Cela signifie qu’il est possible de redresser une politique !
Encore faut-il pouvoir résister à un certain nombre de tentations, que plusieurs de nos collègues ont soulignées à juste titre. Elles relèvent toutes d’une forme de cécité de Bercy, qui ne raisonne que de manière comptable, sans réfléchir à une logique de croissance et de développement du logement.
Les ventes aux investisseurs privés constituent un vrai sujet, que Cyril Pellevat a évoqué tout à l’heure. Sans reprendre tous les chiffres cités, il n’y aura que 9 000 réservations de logements pour l’investissement privé à la fin de cette année, quand il y en avait environ 54 000, soit six fois plus, il y a cinq ans. Tous les secteurs, l’ancien comme le neuf, sont donc concernés. Nous sommes face à une catastrophe.
J’ai essayé d’en parler avec le Président de la République, avec qui je me suis entretenu il y a trois ans. J’ai eu l’impression d’avoir un mur devant moi. Il ne comprenait pas les ressorts de cette crise, ou ne voulait pas les comprendre, car il est intelligent ; quelque part, il n’aime pas les propriétaires.
Monsieur le ministre, nous comptons donc sur vous et sur le Gouvernement – j’ai bien entendu les propos du Premier ministre, que je connais bien et que j’apprécie – pour engager de toute urgence un plan pour le logement, laquelle implique, comme l’a justement dit notre collègue Dominique Estrosi Sassone, que ce plan soit pluriannuel.
Oui, comme vous l’envisagez, il faut un plan pour le logement pragmatique et coconstruit, sans doute, mais il faut surtout un plan pluriannuel, qui garantisse des financements dans la durée. Sans cela, année après année, la tentation de Bercy – quels que soient les ministres, ce ne sont pas eux que je critique, c’est le système – sera de reprendre d’une main ce qui a été donné par l’autre.
Compte tenu du temps de parole qu’il me reste, je ne donnerai qu’un exemple, celui du statut du bailleur privé locatif, dont beaucoup ont parlé ; je les en remercie. À l’Assemblée nationale, la création de ce statut a fait l’objet d’amendements transpartisans.
Pourquoi est-il important de créer un tel statut, et pourquoi, ainsi que Jean-Baptiste Blanc l’a justement dit, faut-il porter l’amortissement à un niveau important, à 5 % pour le neuf, et à 4 % pour l’ancien ? Parce que, sans cela, nous n’aurons pas l’effet de choc de confiance que vous appelez de vos vœux.
Nos collègues socialistes ont eu raison de le souligner, il ne faut pas non plus tomber dans un excès qui consisterait à favoriser des investisseurs massifs comme Louis Vuitton. Ceux que nous visons, ce sont bien les petits bailleurs privés.
D’ailleurs, 75 % des bailleurs privés possèdent au maximum deux ou trois logements dans leur portefeuille, et non pas dix ou vingt, comme je l’ai entendu çà ou là. Ce ne sont donc pas les rentiers ou les spéculateurs que nous voulons favoriser, c’est la construction de la pierre.
Pourquoi Dominique Estrosi Sassone a-t-elle esquissé tout à l’heure l’idée d’une loi de refondation avec une programmation pluriannuelle, qui manque cruellement à la politique du logement ? Parce qu’il n’y a pas de cap. Cela veut dire qu’il faut baisser, voire supprimer la RLS, ainsi que l’ont voté majoritairement les députés issus de plusieurs bancs de l’Assemblée nationale ; cela veut dire qu’il faut relancer l’accession à la propriété grâce au nouveau PTZ, et éviter tout rétrécissement de la part de Bercy.
Je sais ce qu’est le PTZ, car j’en ai été l’un des pères, même si, comme l’aurait dit un député que Patrick Kanner et moi-même avons bien connu, quand le bébé est beau, il ne manque pas de pères pour le reconnaître. Or les tentatives de rétrécissement du PTZ ont été fréquentes et ont à chaque fois touché les plus vulnérables. Il faut donc évidemment être vigilant sur ce point.
Il faut également en finir avec la décision infondée de la Banque de France d’imposer un taux d’effort plafond pour les accédants à la propriété.
Il faut aussi – je terminerai par ce point – envisager des solutions de reconversion. Le logement, c’est du fiscal, du financement et du foncier. Comme la crise du foncier, plusieurs collègues l’ont indiqué à juste titre, est énorme, il faut enfin songer à convertir en logements des fonciers commerciaux et de bureaux qui existent et qui sont déjà imperméabilisés.
Monsieur le ministre, voilà qui permettrait de recréer de la confiance, comme vous l’avez appelé de vos vœux, dans le respect des contraintes budgétaires. Vous pouvez compter sur le Sénat pour être vigilant et pour vous aider à faire en sorte que cette politique soit orientée non pas par Bercy, mais bien par le ministre du logement. (M. Jean-Baptiste Blanc applaudit.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelles réponses apporter à la crise du logement ? »
L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? ».
Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux d’introduire ce débat ô combien important, proposé par le groupe socialiste du Sénat, alors que l’heure du bilan économique tant vanté du macronisme semble arrivée.
Dans un pays où les revenus du capital ont littéralement explosé, avec 100 milliards d’euros de distribution de dividendes et de rachats d’actions enregistrés au CAC40 l’an dernier – au passage, c’est un record historique et européen –, il est grand temps de revenir sur les réformes du capital menées depuis huit ans, quand, dans le même temps, la France a vu exploser le nombre de ses travailleurs pauvres, et de ses pauvres tout court. Près de 10 millions de personnes sont en effet touchées par la pauvreté dans notre pays, un record historique là aussi, inédit depuis l’après-guerre.
Concrètement, le mandat d’Emmanuel Macron a plongé 1,2 million de personnes dans la pauvreté. Mais avant d’entrer dans la politique nationale, il me semble important de prendre du recul et de faire preuve d’un peu de profondeur historique.
Depuis le milieu des années 1960, le niveau de taxation des revenus du capital et du travail a connu des évolutions contrastées. Le niveau moyen de taxation des revenus du capital est ainsi resté relativement stable, alors que le niveau d’imposition sur les revenus du travail a connu une forte augmentation.
Si l’on se concentre sur le cas français, on observe une forte hausse du taux de la taxation sur les sociétés dans les années 1970 – de moins de 20 %, ce dernier est passé à près de 40 % en une décennie –, suivie d’une très forte hausse jusqu’au début des années 1990, puis une chute aboutissant à un niveau historiquement bas, à près de 15 % aujourd’hui.
Le taux de taxation sur les revenus des capitaux a connu des évolutions similaires entre les années 1970 et 1990, même s’il a eu tendance à augmenter depuis le début des années 1990.
Sur la même période, le taux de taxation sur les revenus du travail a augmenté de manière continue entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui, tout en restant plus élevé que la moyenne de celui des autres pays développés.
Ces différentes évolutions sont le résultat de changements structurels caractéristiques de l’ensemble des pays développés. Je pense, par exemple, à la mondialisation des échanges commerciaux, à l’adoption de nouvelles technologies ou encore à la déréglementation du marché du travail.
La libéralisation financière, synonyme à la fois de diversification des sources de financement pour les entreprises et d’intensification des transactions financières internationales, a pu contribuer également à réduire le taux moyen d’imposition sur les sociétés et sur les revenus du capital.
Ce mouvement s’est en effet traduit par la montée en puissance de divers investisseurs institutionnels, fonds d’investissement ou fonds de pension, dont le poids relatif varie selon les pays. À titre d’exemple, les fonds d’investissement se sont particulièrement développés en France dès les années 1980, quand les fonds de pension y sont demeurés quasi inexistants.
Or le taux de rentabilité des entreprises, dont dépend la rémunération des investisseurs, augmente avec la baisse du taux de taxation sur les sociétés.
L’effet baissier de la libéralisation financière sur le taux effectif de taxation des sociétés est particulièrement observable dans les pays d’Europe continentale – Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas – et d’Europe du Sud – Espagne, Italie –, dans lesquels la montée en puissance des investisseurs institutionnels a été très rapide.
En réalité, la hausse du niveau de taxation sur les revenus du travail traduit simplement le fait que la fiscalité s’est davantage portée sur ces revenus, qui sont par définition moins mobiles.
La tendance à l’œuvre s’explique donc par la libéralisation financière. Elle a fait l’objet de maintes alertes. En 2007, déjà, dans un entretien au Financial Times, Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale américaine, observait lui aussi cette « caractéristique très étrange » du capitalisme contemporain : « La part des salaires dans le revenu national aux États-Unis et dans d’autres pays développés atteint, disait-il, un niveau exceptionnellement bas selon les normes historiques. »
De son côté, la Banque des règlements internationaux (BRI), qui regroupe les banquiers centraux de la planète, notait en juillet 2007 : « La part des profits est inhabituellement élevée et la part des salaires inhabituellement basse. L’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’ont pas de précédent dans les quarante-cinq dernières années » Le phénomène s’est encore accentué depuis lors.
Mais revenons en France, où les politiques de l’offre étaient censées faire ruisseler tous leurs dividendes sur les salaires de nos travailleurs. Il semblerait que cela n’ait pas été le cas, malgré les efforts répétés du Président de la République pour faire baisser, à grands frais, le niveau de taxation pesant sur les grands groupes.
Une étude de l’Insee publiée en septembre dernier a ainsi dressé le bilan de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, qui a été ramené, rappelons-le, de 33 % en 2016 à 25 % en 2022. La première conséquence directe de cette baisse est la suivante : alors que le bénéfice fiscal des redevables de l’impôt sur les sociétés a augmenté très fortement – + 71 % – sur la période, pour atteindre près de 280 milliards d’euros en 2022, le montant de l’impôt sur les sociétés à acquitter, avant réductions et crédits d’impôt, a lui augmenté dans une bien moindre mesure – + 31 % –, pour atteindre 68 milliards d’euros.
Pis, les entités qui ont le plus bénéficié de cette baisse d’impôt massive lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron sont les plus grands groupes.
L’Insee nous apprend notamment que le taux implicite d’impôt sur les sociétés – ou rapport du montant d’impôt acquitté sur l’excédent net d’exploitation – des grandes entreprises s’est réduit de 5 points sur la période 2016-2022, pour atteindre seulement 14,3 %. C’est beaucoup plus que la réduction dont ont bénéficié les petites et moyennes entreprises (PME), dont le taux implicite d’impôt sur les sociétés « n’a reculé que de 1,7 point, pour s’établir à 21,4 % en 2022 ».
Jamais le capital n’aura été aussi gâté, et les chiffres que je viens de citer résument parfaitement les huit dernières années d’une politique de l’offre inefficace et coûteuse au point d’avoir fait dérailler le déficit du pays à un niveau historique.
M. Vincent Delahaye. Cela n’a rien à voir !
M. Thierry Cozic. Il n’y a pas eu, toutefois, que des perdants dans cette histoire. Au cours des seize dernières années, certains ont vu leur fortune multipliée par six et le capital des 500 personnes les plus riches de France a explosé, quand les revenus de la classe moyenne ont quasiment stagné.
Cet accroissement de la richesse de quelques-uns n’est pas tombé du ciel, pas plus qu’il ne relève de la main invisible du marché ; il découle directement de décisions prises par des responsables publics en chair et en os, l’édiction de règles fiscales favorables au capital ayant produit des effets très concrets.
C’est ainsi que, depuis que le président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a crû de plus de 114 %, quand les dividendes ont progressé de 46 %. De leur côté, les rachats d’actions, qui ne sont, je le rappelle, que des opérations boursières spéculatives, ont bondi de 286 % ! Dans le même temps, le Smic brut a connu une augmentation de 19 % et le salaire moyen brut de 15 %.
Je rappelle aussi que le Gouvernement s’est toujours opposé à une augmentation minime du Smic, qui aurait pourtant permis un choc de demande et entraîné des gains de productivité pour notre pays.
Voici le choix économique qui a été fait depuis huit ans : mener une politique de l’offre qui le dispute souvent à la politique de l’offrande et qui permet d’accroître les marges des entreprises en visant un plein emploi dégradé, le tout au prix d’une baisse de productivité de l’économie, de la précarisation des travailleurs et de la destruction de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l’action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord de cette invitation à débattre d’un sujet important : l’articulation entre la fiscalité du capital et celle du travail.
La question touche autant aux finances publiques qu’à la nature même de notre contrat social. Elle est certes d’ordre budgétaire, mais elle est aussi et avant tout, j’en suis convaincu, économique, sociale et politique.
Il y a aujourd’hui en France, me semble-t-il, deux grandes urgences.
La première est une urgence sociale : trop de Français ont la perception que le travail ne paie pas ou ne paie plus. L’écart entre le salaire brut et le salaire net, l’insuffisante mobilité salariale ou le poids des dépenses contraintes – en particulier les dépenses de logement et de transport – rognent le pouvoir d’achat des actifs et minent le contrat social, qui repose sur la méritocratie et l’espoir de pouvoir vivre de son travail.
La seconde urgence est économique : dans le monde entier, se produisent une très grande accélération des investissements et, pour reprendre les termes du débat de ce jour, une très grande accélération de la mobilisation du capital.
En réprimant la consommation et en freinant les salaires, la Chine dégage un capital considérable, qu’elle met au service d’une ambition stratégique menaçant d’ailleurs la souveraineté européenne, ainsi que celle de nombreux autres pays. Elle parvient à avoir la mainmise sur de très nombreux secteurs industriels, y compris parmi les plus avancés technologiquement.
À cet égard, la Chine est très loin de ce qu’elle était dans les années 2000. Sa politique économique va bien au-delà de baisses d’impôts ciblées : elle consiste en de véritables subventions en faveur du capital, que celles-ci soient explicites ou implicites.
Je ne m’attarderai pas davantage sur les États-Unis, qui mobilisent, pour investir notamment dans l’intelligence artificielle, des montants de capitaux considérables, surpassant infiniment ceux que l’Europe est en mesure de mobiliser.
Les deux questions – la capacité à mobiliser du capital, d’une part, la nécessité de faire en sorte que le travail paie, de l’autre – sont évidemment liées. Or le lien qui les unit s’appelle la croissance, un sujet dont nous parlons trop peu dans nos débats actuels. Nous vivons en effet dans une sorte de projet de loi de finances perpétuel, qui nous éloigne sans doute du cœur de la question économique, à savoir la productivité et l’emploi.
De fait, si nous avions le taux de productivité des États-Unis ou le taux d’emploi de l’Allemagne, nous n’aurions plus, en réalité, de problème de finances publiques : nous pourrions alors financer le modèle social que nous sommes ici, j’en suis convaincu, une grande majorité à vouloir défendre.
Dès lors, je tire de ce qui précède quatre conclusions pour la France.
La première est évidemment la nécessité de réduire la dépense publique, pour éviter une nouvelle explosion des prélèvements obligatoires.
En effet, si notre structure de prélèvements est globalement proche de celle des pays de la zone euro – nous pourrons entrer dans le détail de cette analyse –, pour la taxation, qu’il s’agisse de celle du capital ou de celle du travail, nous nous situons au sommet de la pyramide des pays européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous renvoie sur ce sujet à la très bonne étude de France Stratégie, réalisée par des économistes tout à fait indépendants.
Nous pourrions au moins nous mettre d’accord sur ce constat, dans la mesure où il émane d’économistes indépendants, qui ne sont pas suspects d’une quelconque appartenance politique.
La seconde conclusion est la nécessité d’éviter la notion fourre-tout de capital. Quand on parle de l’épargne des Français – l’autre façon, en réalité, de désigner le capital –, la question clef est en réalité celle de son usage. Malheureusement pour l’Europe, les autres pays, États-Unis et Chine en tête, l’ont très bien compris. Notre priorité doit être d’encourager la réindustrialisation, plutôt que la rente.
C’est précisément pour encourager la réindustrialisation que nous avons lancé, après les réformes de 2018 – nous y reviendrons sans doute longuement au cours du débat –, un mouvement de baisse des impôts de production, dont nous savons qu’ils pèsent de manière disproportionnée sur l’industrie et qu’ils distinguent considérablement la France de ses voisins européens, en particulier de l’Allemagne.
C’est la raison pour laquelle le texte initial du projet de loi de finances pour 2026 prévoit de poursuivre la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Lutter contre les rentes, c’est d’abord éviter l’optimisation fiscale abusive. Nous aurons l’occasion d’évoquer demain la question de la lutte contre le blanchiment, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de la sénatrice Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. David Amiel, ministre délégué. Nous aborderons également la question de la lutte contre la fraude lorsque nous examinerons la semaine prochaine dans cet hémicycle le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.
L’optimisation fiscale, même légale, est une forme de rente dont bénéficient certains contribuables, qui, au fond, manipulent des dispositifs n’ayant pas été conçus pour cela.
C’est la raison pour laquelle le projet de loi de finances initial prévoit la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR).
C’est la raison pour laquelle un certain nombre de niches fiscales, je n’en doute pas, seront débattues au Sénat, comme elles l’ont été à l’Assemblée nationale.
C’est la raison pour laquelle, enfin, pour lutter contre ce qui est une forme de rente, il est nécessaire de prolonger la taxe sur les rachats d’actions.
La troisième conclusion que je tire, c’est l’impératif de coordination internationale. Monsieur le sénateur, vous avez fait référence à l’instant à la mondialisation. Si nous voulons lutter contre la capacité du capital à se jouer des frontières nationales pour aller là où les taux d’imposition sont les plus bas, nous devons nous coordonner au niveau européen comme au niveau international.
Pendant des années, nous nous sommes entendus dire que cela n’était pas possible. D’aucuns nous soupçonnaient même, parfois, de manœuvres dilatoires. Or la mise en place, dans le cadre de l’OCDE, de l’impôt minimum sur les sociétés et du pilier 2 des règles globales anti-érosion de la base d’imposition sont la démonstration que c’est possible.
En matière de taxation des grandes fortunes, nous devons être capables de mener la révolution que nous avons engagée concernant l’impôt sur les sociétés des plus grandes entreprises et des multinationales.
Les travaux lancés en 2024 par la France dans le cadre du G20 au Brésil intègrent cet objectif, qui fait partie des prochaines grandes conquêtes que nous devons évidemment défendre.
Ma quatrième et dernière conclusion porte sur la nécessité de mener une réflexion sur le financement de notre protection sociale. En France, la protection sociale repose très majoritairement sur le travail. Elle a été construite à une époque où l’intelligence artificielle n’existait pas, où la démographie était galopante et où la mondialisation était balbutiante. Or ce temps est révolu. (Mme Émilienne Poumirol et M. Thomas Dossus s’exclament.)
Il faut donc que nous réfléchissions à l’assiette du financement de notre protection sociale, afin d’éviter qu’elle n’écrase toujours davantage le pouvoir d’achat des actifs.
La fiscalité n’est pas seulement une affaire de rendement ou d’efficacité. Elle est peut-être, avant tout, une affaire de confiance. En effet, l’impôt n’est accepté que s’il est compris et il n’est compris que s’il est juste.
M. Thomas Dossus. Ah !
M. David Amiel, ministre délégué. Nous devons donc évidemment rendre notre fiscalité plus juste.
Dans cette période d’ajustement budgétaire, un certain nombre d’efforts seront demandés à ceux qui le peuvent. J’ai évoqué la contribution différentielle sur les hauts revenus ; je peux citer également la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés.
Toutefois, pour être comprise, notre fiscalité doit aussi être stable. Lorsqu’elle change tous les ans, au gré des humeurs ou des débats, elle crée une méfiance très profonde chez les Français et, au fond, sape le consentement à l’impôt.
Il est vrai que nous développons, en France, tous partis politiques confondus, une forme de passion fiscale. Sans doute est-il plus facile d’augmenter ou de baisser un impôt que de s’attaquer au cœur de nos politiques publiques, aux questions de l’école, de la santé, des services publics ou de l’aménagement du territoire… Si nous voulons renforcer le consentement à l’impôt, la stabilité fiscale doit être notre priorité.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les Turcs étaient aux portes de Constantinople, les Byzantins débattaient du sexe des anges.
M. Olivier Paccaud. C’est vrai !
M. Emmanuel Capus. Ce soir, alors que la France craque de partout, que l’hôpital est exsangue et que les collectivités locales sont à l’os, nous débattons des impôts nouveaux que les socialistes voudraient créer. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Comme si la frénésie créatrice d’impôts des députés ne suffisait pas, comme si nous n’étions pas déjà les champions du monde des prélèvements et comme si nous étions les seuls au monde à estimer que nous pouvons combler 170 milliards d’euros de déficits en augmentant encore les impôts ! (Mme Émilienne Poumirol s’exclame.)
Ce débat est donc à tout le moins décalé, pour ne pas dire lunaire. Il permet toutefois de comprendre que, si la gauche était au pouvoir, il n’y aurait qu’une seule alternative : l’augmentation des impôts ou l’augmentation des impôts. (Sourires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Ce serait le chaos ! (Sourires sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Emmanuel Capus. Pourtant, le seul débat que nous devrions avoir aujourd’hui est celui de la baisse de la dépense publique.
Les Français y sont prêts : 82 % d’entre eux déclarent préférer que nous baissions la dépense publique – vous nous y avez d’ailleurs invités, monsieur le ministre –, plutôt que d’augmenter de nouveau les impôts.
Ma question est donc très simple : quelle dépense publique le Gouvernement propose-t-il de baisser, afin de réduire parallèlement les impôts sur le travail, qui sont trop élevés, et les impôts sur le capital, qui sont – vous l’avez-vous-même précisé, monsieur le ministre – les plus élevés du monde, et cela pour, enfin, rendre leur argent aux Français ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Vincent Delahaye applaudit également. – Mme Émilienne Poumirol s’exclame.)