Mme Laurence Rossignol. Vous ne faites jamais ça, vous les centristes !
Mme Olivia Richard. Pourtant, nous partageons la conviction qu'il est nécessaire de réaffirmer notre attachement à l'État de droit.
Mes chers collègues, si vous cherchez à sensibiliser nos compatriotes sur le danger que représente le Front national – pardon, le Rassemblement national – pour notre État de droit, et à réaffirmer à quel point cet État de droit est précieux, je vous rejoins sans hésiter, et je ne serai pas la seule.
Si, en revanche, votre intention est de défendre un texte « invotable », qui n'a aucune chance de prospérer, pour pouvoir reprocher par la suite à la majorité sénatoriale de ne pas le voter et de ne pas vouloir protéger notre Constitution face au RN, je trouve cela indigne de la crise démocratique que nous vivons ! (M. Pierre-Alain Roiron s'exclame.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est honteux !
Mme Olivia Richard. Le groupe Union Centriste ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Stéphane Le Rudulier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il protéger le peuple de lui-même ? Voilà en quelque sorte la question que se posent les auteurs du texte que nous examinons aujourd'hui.
Nos collègues socialistes s'inquiètent d'un hypothétique recours du Rassemblement national à l'article 11 de notre Constitution pour organiser un référendum visant à la modifier. Pourtant, l'écrasante majorité des spécialistes considèrent que la procédure définie à l'article 11 ne s'applique pas s'il s'agit de modifier la Constitution.
En effet, les révisions constitutionnelles sont encadrées par le titre XVI de notre loi fondamentale, qui contient un article unique – l'article 89. Que la révision prenne la forme d'un projet ou d'une proposition de loi constitutionnelle, cet article prévoit la consultation du Parlement, qui doit voter le texte en des termes identiques.
En outre, dans le cas des textes d'initiative gouvernementale, le Président de la République a deux options pour les faire approuver définitivement : la voie du Congrès, ou celle du référendum.
Au-delà du consensus doctrinal, force est de rappeler que le général de Gaulle a fait usage de l'article 11 par deux fois pour modifier ou tenter de modifier la Constitution. Le Conseil constitutionnel s'était alors déclaré incompétent pour juger les lois adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, dans la mesure où elles découlent de l'expression directe de la souveraineté nationale.
M. Francis Szpiner. Tout à fait !
Mme Laure Darcos. Alors que les mouvements populistes remportent des victoires dans de nombreux pays, y compris en Europe, nous comprenons l'inquiétude du groupe socialiste. Dans un scénario dystopique, les Français pourraient adopter par référendum une révision de la Constitution de nature à faire basculer la France dans un régime illibéral et autoritaire.
Mme Audrey Linkenheld. Dystopique, vraiment ?
Mme Laure Darcos. Les sénateurs socialistes nous proposent d'inscrire explicitement dans la Constitution que la seule procédure de révision possible est celle prévue par l'article 89, qui requiert un examen du texte par le Parlement. Nous comprenons leur raisonnement, mais nous pensons que la réponse apportée n'est pas la bonne.
Tout d'abord, la solution qu'ils nous proposent est inopérante. Même si elles étaient adoptées, ces dispositions n'empêcheraient pas un Président de la République de soumettre au référendum un projet de loi modifiant la Constitution, comme le fit jadis le général de Gaulle. Le Conseil constitutionnel ne pourrait pas davantage s'y opposer qu'en 1962.
Au-delà de son inefficacité, il me semble, ainsi qu'à mon groupe, que cette proposition de loi pose une question de philosophie politique : en démocratie, faut-il craindre le peuple ? Nous ne le croyons pas, et nous trouvons même dangereux de laisser penser que les représentants des Français souhaiteraient les bâillonner.
Depuis de Gaulle, l'écrasante majorité des révisions constitutionnelles ont été approuvées par le Parlement réuni en Congrès. Le dernier référendum sur lequel ils ont eu à se prononcer en 2005 a laissé un souvenir amer à nos concitoyens : alors même qu'ils sont rarement consultés sur des sujets législatifs, il n'a pas été tenu compte de leur vote.
Le choix opéré à l'époque de passer outre ce référendum a envoyé un message terrible aux électeurs, message qui est encore présent dans la mémoire collective vingt ans plus tard. C'est ainsi que l'on nourrit la division entre le peuple et ses représentants !
En plus d'être inopérante sur le plan juridique, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons alimenterait une fois encore le sentiment que partagent nombre de nos concitoyens de n'être ni écoutés ni entendus. Les institutions et les représentants du peuple que nous sommes n'ont pourtant pas besoin de davantage de défiance…
Enfin, si cette proposition de loi constitutionnelle devait être adoptée par le Parlement, elle ne pourrait être approuvée que par un référendum. En somme, ce référendum reviendrait à demander au peuple de bien vouloir accepter par avance de ne plus être consulté sur la modification de la Constitution.
Mme Corinne Narassiguin. C'est faux !
Mme Laure Darcos. Pour sortir de cette impasse ubuesque, certains imaginent un hypothétique texte d'initiative gouvernementale pouvant, in fine, être approuvé par le Parlement réuni en Congrès, afin d'éviter la tenue d'un référendum. Voilà qui achèverait d'acter le divorce entre nos concitoyens et leurs représentants !
La faille constitutionnelle pointée par nos collègues socialistes constitue une menace réelle, qui pèse sur la protection des droits et des libertés individuelles. Les Françaises et les Français doivent en prendre conscience et choisir la manière dont ils souhaitent y répondre. Nous pourrions par exemple imposer une participation minimum, ou encore une majorité qualifiée.
En tout état de cause, il nous semble qu'une campagne présidentielle se prête bien mieux à un tel débat que l'espace réservé à un groupe parlementaire. Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais formuler plusieurs observations sur la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise aujourd'hui.
Première observation : ce texte semble relever d'une logique contextuelle, de circonstance. Or le temps du droit constitutionnel n'est pas celui de la politique. Il ne me semble pas opportun qu'une révision de notre loi fondamentale soit subordonnée à des arrière-pensées partisanes, dont l'objet serait peu ou prou de bloquer une hypothétique future majorité.
Deuxième observation : le texte qui nous est soumis supprime une procédure utile. D'un point de vue juridique, le recours à l'article 11 en vue de réviser la Constitution est condamné par une partie dominante de la doctrine. Pour autant, d'un point de vue politique, il peut se justifier par le simple fait qu'une seule des deux chambres – Sénat ou Assemblée nationale – peut interdire durablement, voire indéfiniment, une révision de la Constitution recueillant l'adhésion de la majorité des citoyens.
Cette proposition de loi constitutionnelle se heurte donc selon moi à une difficulté d'ordre démocratique.
Du reste, si, pour certains, la procédure définie à l'article 11 est en concurrence avec celle que prévoit l'article 89, pour d'autres, il s'agit d'une simple coutume constitutionnelle. Le président François Mitterrand s'est d'ailleurs rallié à cette seconde thèse en 1988.
Troisième observation : cette proposition de loi constitutionnelle me paraît inutile. Le référendum d'initiative présidentielle ne fait l'objet d'aucun contrôle préventif par le Conseil constitutionnel, celui-ci ne s'estimant pas compétent pour contrôler la constitutionnalité d'un processus relevant de l'expression directe de la souveraineté populaire.
Partant de ce postulat, malgré le dispositif que vous proposez, une loi ordinaire adoptée selon la procédure définie à l'article 11 portant, par exemple, sur la politique de l'immigration ou sur l'âge de départ à la retraite – et donc pas sur une quelconque révision de la Constitution –, pourrait comporter des dispositions d'ordre constitutionnel et, donc, empiéter, de fait, sur la compétence dévolue au pouvoir constituant.
Dans un tel cas, ce texte serait donc sans effet, à moins de retirer l'initiative du référendum à l'exécutif ou à la soumettre au contrôle préalable du Conseil constitutionnel. Les conséquences d'un tel rééquilibrage des pouvoirs doivent faire l'objet d'une réflexion beaucoup plus approfondie que celle qui motive cette proposition de loi constitutionnelle.
Quatrième observation : le référendum prévu à l'article 11 ne relève pas des pouvoirs propres du Président de la République. Ce dernier ne dispose pas, contrairement à ce qui figure dans l'exposé des motifs de ce texte, d'un droit d'initiative spontanée. Son seul pouvoir consiste à accepter ou non de soumettre un projet de loi au référendum et de convoquer le collège électoral.
Or la proposition de loi constitutionnelle repose sur une interprétation quelque peu erronée de l'article 11. En effet, ses auteurs considèrent que le « pouvoir propre du chef de l'État lui permet de soumettre un texte au référendum sans examen par les chambres parlementaires ». Ce n'est pas totalement exact.
Dans le cas du projet de loi référendaire, le Gouvernement doit prononcer une déclaration devant chaque assemblée, suivie d'un débat. À cette occasion, rien n'interdit à l'Assemblée nationale de renverser le Gouvernement, sur le fondement de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution, si elle s'estime victime d'un détournement de procédure.
Cinquième et dernière observation : cette proposition de loi constitutionnelle prive le peuple de sa souveraineté. Bien entendu, je ne suis pas favorable à un détournement de la Constitution. Toutefois, la consultation du peuple offre, pendant une période de campagne électorale, les garanties d'un débat démocratique et pluraliste susceptible d'éclairer les citoyens sur les questions qui leur seront soumises.
Contrairement à ce que semblent considérer les auteurs du texte, l'issue du référendum n'est pas acquise. J'en veux pour preuve le référendum de 1969. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est clair que nul ici ne met en cause la souveraineté populaire ni le recours au référendum.
Le cœur de notre délibération repose sur deux piliers essentiels : l'établissement de limites constitutionnelles claires et la définition du rôle que le Parlement doit exercer dans tout processus de révision de notre Constitution.
La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui vise à ce qu'à l'avenir toute révision constitutionnelle ne puisse intervenir que selon les dispositions de l'article 89. Elle ne bouleverse en rien l'idée originelle de notre Constitution ; elle la conforte.
Bien que la doctrine constitutionnelle soit majoritairement alignée sur cette question, l'histoire nous enseigne à quoi nous expose l'absence de limites. En 1962, le référendum a eu lieu malgré l'avis défavorable du Conseil d'État, la motion de censure de l'Assemblée nationale et la dénonciation du président du Sénat, Gaston Monnerville.
En deux mois, la France est passée à l'élection présidentielle au suffrage universel direct. Ce précédent démontre la faisabilité et la rapidité d'un recours à l'article 11 pour toucher au cœur même du pacte constitutionnel.
Au-delà de ce précédent, la faisabilité juridique d'un référendum de révision de la Constitution fondé sur l'article 11 et les effets institutionnels qu'il induit posent question.
La nature même du référendum constitutionnel est contestable, dans la mesure où il réduit des objets souvent complexes à une simple alternative. La question posée ne fait l'objet ni de travaux en commission, ni d'amendements, ni de compromis, ni de délibération… Elle se résume à une campagne, puis un verdict !
Nul doute que la parole du peuple doit être écoutée, mais elle ne doit pas se résumer à un choix binaire ; notre démocratie mérite mieux ! En 1962, la décision du Conseil constitutionnel de se déclarer incompétent pour juger de la conformité d'une loi adoptée par référendum a ajouté à ce tableau un angle mort qui nous invite à la plus grande prudence.
Défendre l'article 89 comme l'unique voie de révision de la Constitution, ce n'est pas se défier du peuple ! Cet article prévoit bel et bien la possibilité de soumettre le projet de révision au référendum. Simplement, il lui adjoint une délibération parlementaire préalable. Ce faisant, il confère au Parlement une place singulière ; il en fait un acteur incontournable d'un équilibre délicat à tenir. C'est cette chorégraphie qui confère aux révisions constitutionnelles passées toute leur légitimité.
Cette clarification a un mérite simple : elle limite les contournements du Parlement et évite tout usage démagogique du référendum, qu'il émane de l'extrême droite ou de l'extrême gauche. Les tentations de court-circuiter le Parlement au nom d'une urgence ne sont l'apanage d'aucun camp. Elles prospèrent à chaque fois que l'on préfère aller vite plutôt que faire bien.
Notre responsabilité commune est d'éviter qu'une majorité passagère, portée par l'émotion, ne bouscule notre équilibre démocratique.
Pour notre part, sans triomphalisme et sans nous faire d'illusion sur l'avenir de ce texte, nous y voyons un rappel utile des bonnes pratiques institutionnelles dont le Sénat s'est toujours porté garant. Il ne retire aucune voix au peuple : il remet simplement la clef du référendum constitutionnel à sa place légitime, c'est-à-dire dans la procédure de l'article 89.
Parce que toute réflexion sur la Constitution mérite de s'inscrire dans le temps long, parce que la délibération parlementaire est non pas un obstacle, mais une garantie, parce que le Sénat a vocation à protéger l'équilibre des pouvoirs, les membres de mon groupe voteront majoritairement en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle, notre volonté constante étant de préserver la République de ses emballements ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui afin d'examiner la proposition de loi constitutionnelle d'Éric Kerrouche visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89 de la Constitution.
Seul cet article régit en effet une modification de notre Constitution. En vertu de ses dispositions, toute révision de la norme suprême doit être votée par les deux assemblées avant d'être soumise à un référendum ou adoptée par le Parlement réuni en Congrès.
Or, depuis les débuts de la Ve République, un flou plane sur l'utilisation de l'article 11 de la Constitution, en vertu duquel peut être soumis à référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent.
Dans un premier temps, le flou a été alimenté par le général de Gaulle lui-même,…
M. Francis Szpiner. Et il a bien fait !
Mme Corinne Narassiguin. … qui a eu recours à l'article 11 à deux reprises pour modifier la Constitution via deux référendums, en 1962, puis en 1969, le conduisant à la fin que l'on connaît.
Pourtant, tous les constitutionnalistes s'accordent à dire que cette utilisation de l'article 11 est inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel abonde d'ailleurs dans ce sens – je vous renvoie à sa jurisprudence, en particulier à la décision Hauchemaille de 2000.
Ce que nous proposons via notre texte, c'est donc de lever ce flou en modifiant directement la Constitution afin d'écrire noir sur blanc que seul l'article 89 permet de réviser la loi fondamentale. Le but est de sécuriser la pratique en évitant tout revirement de jurisprudence.
Aujourd'hui, un parti souhaite tirer profit de ce flou juridique : c'est le Rassemblement national. Toutes ses intentions sont affichées dans la proposition de loi constitutionnelle Citoyenneté–Identité–Immigration, déposée à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2024.
Les dirigeants du Rassemblement national souhaitent détourner la Constitution et contourner le Parlement en organisant, via l'article 11, un référendum sur l'immigration. En réalité, il s'agirait bien plus que d'une simple consultation sur l'immigration. Le but est de modifier radicalement notre Constitution, en très peu de temps.
Leur plan nauséabond est fin prêt : instaurer la « priorité nationale », qu'il s'agisse du logement, de l'emploi ou des aides sociales, limiter le droit d'asile, supprimer le droit du sol, réprimer l'aide aux sans-papiers, consacrer la supériorité du droit national sur les traités internationaux, mettre fin à la régularisation des étrangers sauf, « à titre exceptionnel », en conseil des ministres,… (MM. Aymeric Durox, Joshua Hochart, Stéphane Ravier et Christopher Szczurek s'exclament.)
Mme Audrey Linkenheld. Laissez parler l'oratrice !
Mme Corinne Narassiguin. … interdire aux binationaux l'accès à des emplois dans l'administration, dans les entreprises publiques et par des personnes morales chargées d'une mission de service public.
M. Pierre Ouzoulias. C'est Vichy !
Mme Corinne Narassiguin. D'ailleurs, peu importe le contenu politique de leur proposition de loi constitutionnelle. Nous connaissons le projet xénophobe et raciste du Rassemblement national et nous continuerons de le combattre politiquement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
Mme Corinne Narassiguin. Le véritable sujet, c'est la Constitution, son interprétation, son application et l'impérieuse nécessité de protéger notre État de droit.
Si le RN accédait au pouvoir démocratiquement, il serait fondé à vouloir mettre en œuvre son projet politique, y compris par une révision constitutionnelle. Mais cette révision ne peut pas être inconstitutionnelle, camouflée dans le cheval de Troie de la question migratoire.
M. Aymeric Durox. C'est le peuple qui décide !
Mme Corinne Narassiguin. Si nous parlons du Rassemblement national, c'est parce que ses projets nous rappellent que la brèche de l'article 11 de la Constitution n'a jamais été colmatée. Or ce parti a clairement manifesté l'intention de s'y engouffrer : remercions-le de sa transparence. Mais la triste réalité est que tout parti au pouvoir serait capable de cette dérive illibérale.
Il est d'ailleurs inutile d'aller chercher bien loin : par la voix de son président, Bruno Retailleau, le parti Les Républicains a également défendu une révision de la Constitution afin d'« élargir les possibilités offertes par l'article 11 » pour organiser un référendum sur les questions migratoires. (M. Laurent Burgoa proteste.) Les élus du groupe Les Républicains ont également soutenu, dans cet hémicycle, des mesures inconstitutionnelles de préférence nationale pour l'accès aux droits sociaux.
Nous savons aussi que, dans toutes les familles politiques, certains peuvent être tentés par une pratique autoritaire et verticale du pouvoir, par la facilité du populisme, par la remise en cause des contre-pouvoirs.
Il n'y a donc finalement rien de surprenant à voir que, sur une partie de ces travées, d'ailleurs largement désertées, comme au sein du Gouvernement, l'on s'oppose à cette proposition de loi constitutionnelle visant à protéger notre État de droit : on constate régulièrement que l'État de droit est loin d'être la priorité de tous.
Que l'on ne nous reproche pas de redouter la consultation populaire : les socialistes ont toujours défendu une démocratie plus participative. Nous avons utilisé à plusieurs reprises le référendum d'initiative partagée (RIP), que ce soit contre la privatisation d'Aéroports de Paris ou contre le projet de démantèlement d'EDF. (M. Laurent Burgoa s'exclame.) Nous n'avons cessé de dénoncer les verrous appliqués au RIP, comme le seuil de 4,7 millions de signatures à atteindre.
Ici même, en novembre 2023, notre collègue Yan Chantrel a proposé, au nom de notre groupe, de réformer la procédure du référendum d'initiative partagée, en abaissant les seuils à 93 parlementaires et à 1 million d'électeurs. En outre, dans son projet présidentiel de 2022, le parti socialiste a défendu l'instauration d'un référendum d'initiative citoyenne.
M. Stéphane Ravier. Vous avez fait 1,75 % !
Mme Corinne Narassiguin. La révision de la Constitution ne peut pas être un tour de passe-passe jouant sur les émotions et les peurs, un contrat que l'on demanderait à nos concitoyens de signer sans lire les clauses de bas de page.
La révision de la Constitution doit être un processus législatif exigeant, fruit d'un débat démocratique mettant en lumière toutes les modifications constitutionnelles proposées, afin qu'elles puissent être examinées sous tous les angles.
C'est au Parlement de faire ce travail d'éclairage et d'amendement, pour que le projet le plus abouti possible soit soumis au référendum.
Mes chers collègues, voter ce texte, c'est protéger le pouvoir du Parlement et des parlementaires, qui sont – je le rappelle – les représentants de la Nation. Refuser cette modification, en tant que parlementaire, c'est finalement se désarmer soi-même. (M. Aymeric Durox proteste.)
Cette proposition de loi constitutionnelle vise tout simplement à protéger les fondements de notre État de droit et de notre Constitution contre toute dérive autoritaire, d'où qu'elle vienne. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi, à la demande du groupe socialiste, la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89.
Comme son intitulé l'indique, ce texte a pour objet d'écarter le recours à l'article 11 de la Constitution dans le cadre d'une révision de la norme suprême.
Mme la rapporteure l'a rappelé, la Constitution offre deux procédures de révision constitutionnelle : l'article 89 détaille la procédure officielle de révision ; quant à l'article 11, il permet au Président de la République de soumettre directement au vote du peuple un projet de révision portant sur des domaines explicitement définis. Cette procédure exclut le Parlement d'une validation préalable.
Mieux, l'objet et le périmètre des référendums des articles 11 et 89 ont été clairement distingués par le Conseil d'État dans son fameux arrêt Sarran de 1998 : lorsque le peuple exerce sa souveraineté par ce biais, il le fait « soit en matière législative dans les cas prévus par l'article 11 de la Constitution, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l'article 89 ».
Venons-en à l'opportunité de voter cette proposition de loi constitutionnelle.
Nos collègues du groupe socialiste justifient leur initiative en invoquant les révisions constitutionnelles passées. Ils citent ainsi la révision de 1962 relative à l'élection au suffrage universel direct du chef de l'État et celle, avortée, de 1969, relative à la régionalisation et au Sénat.
Le choix du général de Gaulle de recourir à des projets de loi votés via un référendum de l'article 11 pour modifier la Constitution avait – on s'en souvient – provoqué d'importantes discussions entre juristes. Mais ces dernières sont restées théoriques, l'ensemble des révisions engagées depuis lors l'ayant été selon les termes de l'article 89.
La clarté juridique est évidemment un objectif louable, mais cette proposition de loi constitutionnelle n'en présente pas moins un certain nombre de problèmes, qui ont conduit la commission des lois à la rejeter.
Tout d'abord, selon la grande majorité de la doctrine, la demande de nos collègues socialistes est déjà satisfaite : j'en veux pour preuve les auditions conduites par Mme Josende au cours des travaux préparatoires de la commission. En effet, si le recours à l'article 11 pour modifier notre Constitution pouvait encore prêter à discussion dans les années 1960, il ne fait aujourd'hui plus guère de doute qu'une telle manœuvre ne constitue pas un mode de révision valide.
De surcroît, le Conseil constitutionnel peut être saisi des questions de régularité des opérations référendaires, en application de sa jurisprudence Hauchemaille de 2000. Dès lors, nous disposons déjà des outils nécessaires pour faire obstacle à l'usage de l'article 11 afin de réviser la Constitution.
Ensuite, vient l'argument de l'efficacité. Si d'aventure un projet de révision constitutionnelle était soumis au vote des Français en application de l'article 11 de la Constitution, les dispositions du présent texte permettraient-elles de s'y opposer ? Notre collègue rapporteure a démontré que non.
On nous suggère d'exclure les projets de loi constitutionnelle du champ des textes éligibles au référendum de l'article 11 : mais un tel garde-fou reste sans effet si le texte déposé ne porte pas le nom de projet de loi constitutionnelle, comme c'était justement le cas en 1962 et en 1969. Force est donc de constater que l'objet de cette proposition de loi constitutionnelle est purement sémantique.
Enfin, dans l'esprit, on nous propose d'opérer un resserrement de l'expression du suffrage référendaire. Or un tel choix soulève également certaines interrogations ; il mériterait de faire l'objet de travaux et de réflexions préparatoires plus poussés. En tout état de cause, il changerait en profondeur les équilibres institutionnels qui ont façonné la Ve République, telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Pour toutes ces raisons, les élus du groupe Les Républicains, qui s'inscrivent dans la tradition gaulliste, estiment qu'il n'est pas opportun d'adopter aujourd'hui cette proposition de loi constitutionnelle.
Nous approuvons en intégralité les arguments développés il y a quelques instants par Mme la rapporteure. Nous suivrons donc son avis, en votant contre le présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Aymeric Durox et Christopher Szczurek applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier. (MM. Aymeric Durox, Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.)
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi toutes les histoires que ma fille Jehanne, âgée de quatre ans, aime que je lui raconte,…
M. Akli Mellouli. Elle n'a pas de chance…
M. Stéphane Ravier. … il en est deux qu'elle préfère à toutes les autres : celle des trois petits cochons et du grand méchant loup, et celle de Jack et du haricot magique, avec l'ogre qui dévore les petits enfants.
Elle me demande chaque fois de donner des prénoms aux personnages, en particulier au loup et à l'ogre, sans doute pour offrir une forme de réalité à ces histoires inventées et pour mieux identifier le danger, le mal... la bête immonde !
Avec cette proposition de loi constitutionnelle, vous, les socialistes, éternels conteurs d'histoires imaginaires, vous avez identifié et désigné le mal, le danger, la bête immonde qui dévore les enfants, sous l'appellation infamante d'« extrême droite ».
Vous avez usé vos arguments jusqu'à la corde pour salir le prénom, l'illustre prénom de Jean-Marie ! L'ogre se prénomme désormais Marine. Quant au grand méchant loup, il se prénomme Jordan. Mais c'est toujours la même peur que l'on agite, la même fable que l'on répète pour endormir son monde, ou plutôt pour l'empêcher de dormir.
Lors de la dernière révision constitutionnelle, vous brandissiez la pseudo-menace trumpiste pesant sur l'avortement en France. Aujourd'hui, c'est l'arrivée du grand méchant RN au pouvoir. Mais les Français ne sont pas des enfants et, de vos histoires délirantes, ils n'ont que faire. Vous êtes trop rongés par la populophobie, la prolophobie et la plèbophobie pour le comprendre !
Nombre d'entre vous comptent sur la procédure d'empêchement des juges pour contrer la candidature à la présidentielle de celle qui obtient 35 % dans les sondages. Mais vous aimeriez surtout qu'elle soit empêchée d'agir par un vote direct des Français, une fois élue.