M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Exception d'irrecevabilité

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Cukierman, Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 342.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 122, 2025-2026).

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la motion.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, la sécurité sociale fête cette année ses 80 ans. Et en forme d'hommage, nous nous apprêtons à examiner l'un des pires projets de loi de financement de la sécurité sociale depuis que ce type de texte existe : un hommage morbide, le PLFSS pour 2026 étant qualifié par les organisations syndicales de « musée des horreurs ».

J'énumère quelques-unes de ces horreurs.

Contribution de 2,05 % sur les cotisations versées aux complémentaires santé ; contribution de 8 % sur les compléments salariaux que sont par exemple les titres-restaurants ou les avantages sociaux et culturels financés par les comités sociaux et économiques (CSE) ; suppression du dispositif d'exonération de cotisations salariales sur les apprentis, amputant de 100 euros à 190 euros la rémunération que touchent chaque mois les apprentis ; 7,1 milliards d'euros d'économies sur la santé – sous-financement des hôpitaux, doublement des franchises et participations médicales, limitation des arrêts de travail ; gel de l'ensemble des prestations sociales ; gel des pensions de retraite en 2026 et sous-indexation de 0,4 point les années suivantes, jusqu'en 2030.

Pour éviter de subir les affres qu'a vécues le gouvernement Barnier, le gouvernement Lecornu a cherché un accord de non-censure en proposant ce qu'il qualifie de « suspension » de la réforme des retraites et qui est en réalité un simple décalage de l'application de la réforme Borne. Pis, ce décalage de trois mois applicable aux seules générations nées avant 1968 acte, de fait, le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, un point sur lequel nous avons toujours exprimé notre désaccord.

Ainsi ce projet de loi de financement de la sécurité sociale remet-il en cause frontalement le droit pour « [t]out être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler […] d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence », droit reconnu par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946.

De fait, plusieurs articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 contiennent à nos yeux des mesures inconstitutionnelles.

Tout d'abord, bien que la vitrine ait été grossièrement nettoyée par l'Assemblée nationale, le gel des prestations sociales et des pensions constitue une rupture manifeste du principe d'égalité devant les charges publiques, car il fait peser l'ajustement budgétaire sur les seuls retraités et ménages modestes, à l'exclusion de tout effort comparable demandé aux revenus du capital. Le Conseil constitutionnel l'a déjà rappelé dans ses décisions sur les lois de finances pour 2012 et pour 2014 : on ne saurait cibler une catégorie de citoyens pour équilibrer les comptes sociaux.

Ensuite, la contribution de 8 % sur les titres-restaurants et les avantages versés par les comités sociaux et économiques est très clairement à nos yeux un cavalier social. En effet, elle ne concerne ni les dépenses ni les recettes des régimes obligatoires de sécurité sociale : elle a trait à la fiscalité des entreprises et des salariés, un champ maintes fois exclu du domaine des LFSS par le Conseil constitutionnel.

Enfin, le PLFSS 2026 prévoit des transferts de charges aux collectivités, via notamment l'augmentation sans compensation financière des cotisations CNRACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), en violation de l'article 72-2 de la Constitution, qui impose une compensation intégrale de toute charge nouvelle. Un tel manquement a d'ailleurs déjà conduit à plusieurs censures du Conseil constitutionnel, en 2010, 2014 et 2022.

Certes, la vitrine a été en partie dépoussiérée à l'Assemblée nationale. Mais le pire, dans les magasins, se trouve parfois dans l'arrière-boutique ! (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.) Et cette exception d'irrecevabilité vise tout autant l'avant, le pendant et l'après de ce texte, dont la structure même porte une austérité si lourde qu'elle s'oppose au contrat social qui est au cœur de notre République.

Rappelons que la politique du Gouvernement repose sur un plan d'austérité dont l'objet est de détruire nos services publics pour satisfaire les injonctions de Bruxelles et, ainsi, tenir les engagements du plan budgétaire et structurel de moyen terme, le fameux « PSMT 2025-2029 », négocié par le gouvernement Barnier et appliqué par les gouvernements Bayrou et Lecornu.

Mme Silvana Silvani. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Dans ce PLFSS, mesdames, monsieur les ministres, vous avez donc décidé de compresser la progression des dépenses de l'assurance maladie à 1,6 %, soit l'Ondam le plus bas depuis 2016, année où il avait été fixé à 1,7 % – mais l'inflation était à l'époque de 0,2 %, quand l'Insee table sur 1 % pour 2026, ce qui signifie un quasi-gel de l'Ondam.

Ainsi, en limitant à 2 % la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, vous remettez en cause l'accès aux soins de nos concitoyens. Mais, là encore, vous vous exposez à une décision d'inconstitutionnalité pour « insincérité manifeste » : en fixant un Ondam incompatible avec l'évolution démographique et épidémiologique, le PLFSS 2026 pourrait être jugé comme reposant sur des hypothèses irréalistes, ce que le Conseil constitutionnel a déjà sanctionné dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Voilà une autre des raisons du dépôt par notre groupe de cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Surtout, mes chers collègues, le match n'est pas terminé, et je vous invite à observer avec attention les amendements déposés par les rapporteurs de la Haute Assemblée et par les membres de la majorité sénatoriale : vous constaterez avec moi que la seconde mi-temps de ce débat budgétaire, au Sénat, promet d'être très difficile.

Il est donc loin le temps où le Sénat était perçu comme le temple du compromis et de la pondération républicaine. On y entend aujourd'hui l'impatience, je cite, de « nettoyer l'hystérie fiscale » de l'Assemblée nationale au « Kärcher ».

Ainsi, notre collègue Henno propose d'augmenter la durée annuelle de travail de 1 607 heures à 1 619 heures. Notre collègue Capus propose d'instaurer une dose de retraite par capitalisation et d'aligner le calcul des retraites des fonctionnaires sur le privé en prenant pour base les vingt-cinq meilleures années au lieu des six derniers mois. Notre collègue Guidez, quant à elle – nous lui devons l'explosion, hier, de nos boîtes aux lettres électroniques ! (Sourires.) –, propose carrément de dérembourser l'ensemble des soins relevant de la psychanalyse. L'année même où la santé mentale est désignée grande cause nationale, c'est un comble !

Puisque nous parlons d'inconstitutionnalité, permettez-moi d'ajouter que la proposition d'aligner la référence du calcul des pensions de la fonction publique sur celle qui prévaut dans le privé, en passant des six derniers mois aux vingt-cinq meilleures années, ne relève en aucun cas, là encore, du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. Une telle disposition constituerait donc un cavalier social, promis à une censure automatique de la part du Conseil constitutionnel.

Mes chers collègues, vous avez beau jeu de reprocher au groupe communiste et à d'autres de verser dans l'idéologie quand vos amendements tendent clairement et en toute transparence à refléter vos intérêts de classe, ou ceux de la classe que vous entendez défendre. (Très bien ! sur des travées des groupes CRCE-K et SER. – Oh ! sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

L'issue de la commission mixte paritaire semble bien hypothétique, voire illusoire, à moins d'accepter de part et d'autre non pas des compromis, mais des reniements. Le Sénat va prendre sa revanche sur la majorité de l'Assemblée nationale en rétablissant tous les articles supprimés, ou une grande partie d'entre eux, et, à l'inverse, en supprimant tous les articles adoptés, ou une grande partie d'entre eux.

Pour notre part, nous refusons ce jeu de dupes dans lequel chacun trouverait son intérêt, sauf la principale intéressée : notre sécurité sociale, celle qui assure à chacune et à chacun la faculté de bien vivre dans notre pays, quelle que soit sa position sociale.

Le 4 septembre 2016, Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, déclarait : « Le modèle de l'après-guerre ne marche plus. Le consensus politique, économique et social qui s'est fondé en 1945 et qui a été complété en 1958 est caduc. [...] Il est directement issu de l'après-guerre et d'un moment de refondation de la vie politique où, d'ailleurs, vous l'aurez noté, les communistes ont su travailler avec les gaullistes. »

À l'heure où le mot de « consensus » est sur toutes les lèvres, il me semble qu'il est urgent non pas d'en rajouter dans l'excès – tel est pourtant le programme annoncé de la semaine à venir –, mais bel et bien, au contraire, de retisser ce lien social dont ont tant besoin nos concitoyens.

À celles et à ceux qui veulent célébrer les noces de chêne entre l'État républicain et « la sociale », voici ce que nous disons : oui, votez notre motion pour déjouer le mauvais tour fait à notre modèle de protection sociale !

À celles et à ceux qui pensent encore pouvoir sortir de la séquence budgétaire avec quelques victoires sur l'accessoire et des reculs sur le principal, voici ce que nous disons : refuser de voter cette motion, c'est accepter l'adoption des amendements de la majorité sénatoriale et être comptable des coupes budgétaires que celle-ci défend.

Mme Cécile Cukierman. Je veux le dire avec gravité pour conclure : si notre groupe a fait le choix de déposer cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, c'est non pas par peur des débats ou par refus de discuter, mais parce que l'on connaît déjà l'issue de la pièce de théâtre qui est en train de se jouer au mépris de la lettre et de l'esprit même de notre Constitution.

Telles sont les raisons du dépôt de cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Marion Canalès applaudit également.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. J'ai écouté votre réquisitoire, ma chère collègue ; j'y ai entendu l'envie de commencer à débattre sur certains sujets, puisque la deuxième partie de votre intervention nous donnait un aperçu de votre point de vue.

La commission ne peut qu'être opposée à une motion tendant à déclarer le texte irrecevable : le refus du débat ne saurait être une solution. Du reste, je l'ai dit, nous avons bien senti d'emblée toute votre envie de débattre.

Vous mettez en avant deux arguments.

Le premier est celui du faible taux de croissance de l'Ondam prévu dans le PLFSS pour 2026 : de 1,6 % dans le texte initial, il est porté à 2 % par la majorité sénatoriale, après que le Gouvernement a annoncé la majoration de l'objectif de dépenses de 1 milliard d'euros.

Les auteurs de la motion considèrent que ce taux « remet en cause le droit à la protection de la santé reconnu par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 ». Je veux toutefois rappeler que la France est le quatrième pays où les dépenses de santé, exprimées en points de PIB, sont les plus élevées. Les termes de la motion sont donc peut-être quelque peu excessifs…

Le second argument est paradoxalement celui du décalage de la réforme des retraites. Selon les auteurs de la motion, ce décalage n'irait pas assez loin : il faudrait abroger dès à présent cette réforme, elle aussi contraire, à leurs yeux, à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)

Là encore, les termes de la motion me semblent quelque peu excessifs : à l'étranger, un âge légal de départ à la retraite fixé à 64 ans est considéré comme parfaitement normal. À titre d'illustration, j'ajouterai que l'âge légal est de 67 ans au Danemark comme aux Pays-Bas…

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous nous apprêtons à débattre d'un sujet majeur dans la vie des Français : la sécurité sociale.

Ce sujet mérite un débat ; il mérite aussi que, sous le contrôle des parlementaires, l'État de droit soit respecté. Et nul n'a ici l'intention de faire voter ou même de proposer des mesures inconstitutionnelles !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est arrivé dans le passé !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certes, madame la sénatrice. Mais la bonne nouvelle est que le Conseil constitutionnel fait son œuvre : il censure de très nombreuses dispositions, parfois, d'ailleurs, contre la volonté du Gouvernement. Je pense à toutes ces mesures de lutte contre la fraude votées en PLFSS qui ont été systématiquement censurées, ce qui a conduit au dépôt d'un projet de loi spécifique.

J'étais présente, hier, lors du vote solennel du Sénat sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. J'ai entendu vos positions, mesdames, messieurs les sénateurs : il en ressort que, d'un point de vue constitutionnel, un texte dédié était incontestablement un progrès.

Madame la sénatrice Cukierman, vous avez parlé de « l'année blanche » en alléguant l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. C'est intéressant : ce débat remonte à 1987, lorsqu'il a été décidé pour la première fois d'indexer les pensions de retraite non plus sur les salaires, mais sur l'inflation, disposition inscrite dans la loi en 1993. Il y a eu, depuis lors, de nombreuses années où les retraites n'ont pas été indexées sur l'inflation : entre 2013 et 2015, l'Agirc-Arrco a sous-indexé les retraites complémentaires ; en 2014 et en 2016, sous François Hollande, les retraites ont été gelées ; en 2019, le gouvernement d'Édouard Philippe a décidé d'une sous-indexation.

J'ai entendu que cibler une catégorie de la population serait inconstitutionnel ; l'histoire nous montre que tel n'est pas le cas. Si tel avait été le cas, vous pensez bien que le Gouvernement n'aurait évidemment pas proposé ces mesures et ne les aurait pas soumises au Conseil d'État, lequel, en tout état de cause, nous aurait découragés de les inscrire dans le texte.

Madame la sénatrice Cukierman, vous dites qu'il s'agit du « pire » de tous les PLFSS.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mais le déficit actuel est aussi le pire que la sécurité sociale ait jamais connu ! Jamais notre déficit n'avait dépassé les 20 milliards d'euros, hors crise sanitaire ou crise économique. Or les années 2024 et 2025 ne sont pas des années de crise sanitaire ou économique !

La croissance économique a atteint 1 % en 2024. Elle est certes très faible en 2025, mais on ne saurait qualifier de « récession » cette situation : en l'absence de crise économique ou financière mondiale, notre déficit est passé de 11 milliards à 15 milliards puis à 23 milliards d'euros – c'est là le plus inquiétant. Nous voyons bien que la pente naturelle de nos dépenses de santé est celle d'une croissance au moins deux fois supérieure à notre croissance économique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il faut aller chercher des recettes !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Chercher des recettes quand il y a de la croissance économique, c'est légitime ; mais quand il n'y a pas de croissance économique, cela veut dire, si nous vous écoutons, augmenter chaque année le poids des dépenses de santé dans le PIB.

On pourrait concevoir qu'une telle décision soit prise, mais à la condition de bien en mesurer la portée : la part dans le PIB des dépenses relevant de l'Ondam est déjà passée de près de 8 % à près de 9 % – dit autrement, nos dépenses de santé ont crû de 1 point de PIB –, et cela en moins de dix ans – en huit ans exactement.

Il y a là des signaux d'alerte, et cette situation mérite un débat éclairé : elle mérite les heures que nous allons, pour de bonnes raisons, y passer ensemble.

Il est donc utile que les sénateurs et les sénatrices ne votent pas cette motion de rejet et que le débat ait lieu, sujet par sujet. Les nombreux rapporteurs de branche l'ont montré : il y a largement de quoi travailler à construire un vaste compromis sur l'un des grands outils de notre unité nationale.

J'émets donc un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Éric Gold applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 342, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 278
Pour l'adoption 34
Contre 244

Le Sénat n'a pas adopté.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 122, 2025-2026).

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la motion.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, mesdames, ministre les ministres, mes chers collègues, après rebondissements et tractations, il revient au Sénat d'examiner un PLFSS privé de vote à l'Assemblée nationale.

Entre le texte initial et celui qui a été transmis au Sénat, le déficit projeté pour 2026 s'est aggravé : il serait désormais de 24 milliards d'euros.

La supposée irresponsabilité des députés pointée du doigt pour expliquer ce déficit majoré masque difficilement les inconséquences et l'insincérité du projet de budget initial.

Insincère du point de vue de l'efficience, le projet du Gouvernement ne prévoyait pour ainsi dire aucun effort sur les recettes et 9 milliards d'euros de mesures de baisse des dépenses, dont un chiffre sans précédent de 7 milliards d'euros sur l'Ondam, la moitié de cette somme relevant de transferts de financement, dont l'ampleur pose question, vers d'autres acteurs. Ces dispositions ne sont donc pas de vraies mesures d'économies pérennes gagées sur l'efficience des dépenses.

De plus, le calcul du taux de progression de l'Ondam intègre les économies attendues du texte de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, alors même que le comité d'alerte indique que la réalité des économies attendues « n'est que partiellement avérée ».

Par ailleurs, il n'est pas tenu compte du constat de la Cour des comptes selon lequel, dans le passé, la maîtrise médicalisée des dépenses de santé a rarement atteint ses objectifs en matière d'économies. Or cette politique est reconduite sans autre forme d'analyse des causes, en une sorte de fuite en avant ignorante des aléas de cette régulation.

En outre, des dérapages sont à prévoir compte tenu de l'insuffisante prise en compte du ressaut de l'activité hospitalière, laquelle reprend son évolution tendancielle après la période de rattrapage et risque de nécessiter de nouveau l'annulation des mises en réserve.

Insincère si l'on intègre ces seuls points, le taux retenu pour la progression de l'Ondam, qu'il s'établisse à 1,6 % ou soit rehaussé à presque 2 %, est même intenable et irréaliste, dès lors qu'il repose, comme le souligne le comité d'alerte, sur des prévisions « incertaines » et « circulaires ».

La manœuvre est évidente : cet Ondam insincère, construit sans aucune concertation et contre l'ensemble des acteurs du champ de la santé, sera mécaniquement dépassé et fera l'objet d'une saisine du comité d'alerte au cours de l'année prochaine, chemin le plus court pour déroger aux conventions médicales et aux prérogatives du Parlement.

Personne n'est dupe ni ne peut l'être ! Le Gouvernement fait mine de renoncer au 49.3 en prétextant le respect du débat parlementaire, mais piétine la démocratie sociale.

Insincère, ce budget l'était dans ses prémisses et son économie générale. Il l'était dans ses prévisions macroéconomiques. Si le déficit s'accroît entre l'objectif voté l'année dernière et le niveau où va se clore l'exercice en cours, c'est aussi, comme le souligne la Cour des comptes, « en raison de prévisions trop optimistes pour la troisième année consécutive ». Trois années de prévisions macroéconomiques trop optimistes ont ainsi rendu la trajectoire pluriannuelle incohérente, ce qui contrevient à l'exigence d'un débat éclairé.

Alors que l'OCDE table sur une prévision d'inflation pour l'année à venir de 1,6 %, le consensus des économistes, quant à lui, présentant un chiffre de 1,45 %, vous retenez, à titre de prévision sous-jacente à la construction de l'Ondam, une inflation de 1,1 % seulement, et ce afin de majorer le taux hors inflation.

La prévision de croissance de la masse salariale du secteur privé pour 2025, fixée à 2,5 %, a dû être corrigée à 1,8 % ; et, derechef, votre prévision pour 2026 est déjà jugée trop optimiste par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), les recettes à venir s'en trouvant surestimées.

Enfin, vous tenez mal compte de l'effet récessif des coupes budgétaires, estimé par l'OFCE à 0,8 point de PIB.

Certes, l'exercice financier n'est pas pluriannuel. Mais, faute d'efforts sur les recettes, vous comptez sur le gel des prestations et des pensions, sur la hausse des franchises et sur les transferts, appelés à devenir récurrents, de milliards d'euros de dépenses vers les ménages et les complémentaires : c'est méconnaître les effets de telles mesures sur le pouvoir d'achat des ménages, dont le moindre n'est pas l'intensification de la pauvreté ; c'est ignorer l'impact sur les futures recettes de la dégradation de la consommation des ménages et de leur confiance dans l'avenir.

En projet de loi de finances pour 2024, les recettes de TVA ont été surestimées de 11 milliards d'euros. Et nous terminons l'année 2025 avec des recettes de TVA en baisse de 5 milliards d'euros par rapport aux prévisions budgétaires…

Inconséquentes, vos prévisions ne tiennent pas compte des externalités négatives des mesures austéritaires ; et si les recettes de TVA ne dépendent pas de la seule consommation des ménages, leurs surestimations successives affectent négativement l'ensemble des comptes publics, et en l'espèce nos comptes sociaux, d'autant que le transfert d'une part de TVA en compensation des allégements généraux s'affranchit désormais, depuis 2019, du principe de compensation à l'euro près.

Or, depuis 2019, donc, la sous-compensation sur fraction de TVA a déjà coûté en cumulé à la sécurité sociale, selon la Cour des comptes, près de 18 milliards d'euros de perte de recettes.

Voilà l'une des causes majeures du déficit. Voilà aussi un débat tronqué : l'insincérité des prévisions et des données macroéconomiques retenues, comme l'absence d'information quant à l'impact récessif sur le PIB et sur l'emploi des mesures austéritaires, par exemple du gel ou des sous-indexations pluriannuelles des pensions de retraite, prive le Parlement des vrais arbitrages à l'heure même où vous faites mine de lui rendre la main.

D'autres aléas sont pointés, comme la surestimation des économies attendues de la limitation de la durée des indemnités journalières : beaucoup jugent que ces économies sont de pur affichage.

Vous avez présenté un projet inacceptable, qualifié par un ancien directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) de « musée des horreurs », puis avez reculé sur certaines dispositions, comme le décalage de l'application de la réforme des retraites, mais n'avez concédé qu'une recette nouvelle, largement insuffisante pour compenser ces retraits, dont celui de l'année blanche.

Là est la raison du creusement du déficit initial. Mais la politique des caisses vides, qui met en grand danger notre sécurité sociale, sort pour le moment renforcée de la séquence.

D'ailleurs, en fait de politique des caisses vides, le Gouvernement décide autoritairement d'une rétrocession vers l'État de 3 milliards d'euros de recettes de TVA affectées à la sécurité sociale, y compris par un revirement totalement arbitraire opéré pour moitié sur l'année dernière.

Mesdames, monsieur les ministres, votre budget initial et les propositions que vous avez formulées lors de son examen à l'Assemblée nationale manquent de sérieux.

Une trajectoire budgétaire sérieuse repose à parts équilibrées sur des mesures d'efficience des dépenses et sur des recettes nouvelles récurrentes.

« Invotable » et d'ailleurs non voté, le projet de budget transmis au Sénat est le résultat logique de votre refus de considérer les faits économiques qui démontrent que le problème majeur des comptes publics et de la sécurité sociale, c'est la dynamique des recettes !

Cela a été souligné récemment par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l'écart entre les dépenses et les recettes des administrations publiques était en 2024 de 5,8 % du PIB, soit plus de 2 points de plus qu'en 2017, lorsque vous êtes arrivés au pouvoir.

La conclusion de l'OFCE est sans appel : « La dégradation du solde structurel observé entre 2017 et 2024 s'explique essentiellement par la baisse non financée des prélèvements obligatoires, et non par une dérive des dépenses publiques. Bien au contraire, celles-ci ont reculé de 0,3 point de PIB sur la période. »

Nier les alertes, les faits, les données objectives relève presque chez vous de la post-vérité, surtout lorsque vous faites mine de découvrir a posteriori l'ampleur de la dérive budgétaire.

En l'occurrence, dès l'année dernière et à plusieurs reprises, la Cour des comptes et le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) ont émis des alertes sur la situation de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui dévie de sa fonction de trésorerie. Elle assure en effet une quasi-gestion des déficits et de la dette, ce qui est normalement le rôle de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), laquelle pâtit de sa disparition programmée et de l'absence d'une trajectoire crédible de retour à l'équilibre.

Aucune loi organique ou mesure dans le PLFSS n'est pour autant prévue. L'inaction emporte l'irresponsabilité : vous ne traitez pas le risque de crise des liquidités pour justifier demain la prise de mesures urgentes et non débattues.

Ce budget inconsistant est bien celui du Gouvernement.

Après le chantage sur le budget de la sécurité sociale pour sauver le décalage de la réforme, la ministre de l'action et des comptes publics annonce désormais que l'avenir du décalage dépend du vote du PLF, tout aussi dangereux que le PLFSS.

Saisie probable du comité d'alerte des finances publiques et risque du passage par ordonnances : qu'aura décidé in fine le Parlement ? Sur quoi allons-nous donc débattre, si ce n'est sur un budget insincère, inconséquent,…