M. le président. Il faut conclure !

Mme Raymonde Poncet Monge. … aux prévisions hasardeuses, aux externalités négatives sous-estimées, voire non prises en compte, aux mesures plombées d'aléas ou d'incertitudes qui évoluent au gré du vent politique ?

La parole du Parlement vaut mieux. Pour ces raisons, le groupe écologiste estime qu'il n'y a pas lieu de poursuivre les débats sur un texte manifestement insincère. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que des travées du groupe CRCE-K. – M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Déposer une motion tendant à opposer la question préalable, c'est refuser le débat. Ce serait aussi nous priver de vos interventions, madame la sénatrice, ce que je regretterais profondément. (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Vous avez présenté quelques sujets sur lesquels vous aimeriez débattre ; j'ai également envie d'en débattre. Chez moi, en Mayenne, où il y a beaucoup de chevaux, on parle du refus d'obstacles. Or je ne suis pas du genre à refuser les obstacles.

Nous avons beaucoup à dire sur l'Ondam, que vous taxez d'insincérité, ou sur l'imprudence. L'imprudence, en réalité, elle est collective. Comment a-t-on pu en arriver là, avec des déficits de plus en plus importants (M. Pierre-Alain Roiron s'exclame.), alors que nous ne sommes ni en crise sanitaire, ni en crise financière, ni en crise tout court ?

M. Mickaël Vallet. Il y a eu Bruno Le Maire !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il faut vraiment que nous puissions dire aux Français que nous allons travailler à une meilleure trajectoire.

Durant mon court week-end, toutes les personnes que j'ai rencontrées m'ont dit compter sur le Sénat. Je ne sais si elles votent à droite, à gauche ou au centre, et peu importe. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Oui, bien sûr …

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Les Français comptent sur le Sénat pour y travailler, parce que c'est un vrai problème.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils comptent sur nous, à gauche !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Beaucoup ont parlé des 80 ans de la sécurité sociale, mais celle-ci n'ira pas beaucoup plus loin avec de tels déficits !

En fait, nous mettons en danger la sécurité sociale en reportant les déficits sur les générations d'après. D'ailleurs, les générations d'après n'y croient déjà plus. Nombre de jeunes que je rencontre me disent : « Nous ne croyons plus à la retraite par répartition et nous sommes déjà en train de capitaliser. »

Mme Monique Lubin. Arrêtez avec ça !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il est donc grand temps de se secouer et d'en débattre.

L'avis de la commission est donc défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

(M. Loïc Hervé remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé

vice-président

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Madame la sénatrice, le terme d'« insincérité », lorsqu'il est prononcé au sujet d'un budget, est un mot lourd de conséquences.

C'est bien pourquoi nous avons une institution indépendante, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), qui a précisément la charge, d'après la Constitution, d'informer le Parlement, par des avis rendus publics, des risques d'insincérité sur des textes budgétaires. Autrement dit, il est chargé de vous alerter si les prévisions macroéconomiques, les prévisions d'inflation, de recettes ou de dépenses venaient à être très majorées ou très minorées, bref, si elles apparaissaient fantaisistes.

Cette instance est très importante, car vous imaginez que la tentation pourrait être grande pour des gouvernements peut-être moins respectueux que d'autres de l'État de droit de présenter des budgets un peu tirés par les cheveux, avec de l'argent magique.

Dans la responsabilité de ministre qui est la mienne, je suis très attachée à ce que toutes nos prévisions, toutes nos projections soient les plus sincères possible. D'ailleurs, si vous lisez l'avis du HCFP, tant sur le projet de loi de finances que sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous constaterez qu'il ne pointe aucun risque d'insincérité. (M. Victorin Lurel ironise.)

Vous avez également comparé ce PLFSS à un « musée des horreurs ».

En ce qui concerne les économies, je tiens à vous dire que presque 100 % d'entre elles sont issues des recommandations du rapport Charges et produits de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), rapport qui a été validé par le conseil d'administration de cet organisme, où siègent à la fois des organisations syndicales et patronales.

C'est donc une organisation paritaire. Ce point est très important, car, sinon, on pourrait se demander d'où sortent ces idées. Elles ne sortent pas de la tête de je ne sais quelle administration déconnectée : ce sont les propositions publiques du conseil d'administration de la Cnam sur le volet « maladie ».

Mme Laurence Rossignol. Ça, c'est un argument insincère !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ensuite, la proposition de gel ou de désindexation des retraites vient du conclave. Les partenaires sociaux ont alors proposé une sous-indexation de 0,4 point pour les années à venir, précisant que cette disposition faisait partie d'un ensemble de mesures indispensables pour revenir à l'équilibre.

Par ailleurs, vous dites que l'Ondam a été construit de manière insincère.

Il est vrai que la situation est quelque peu différente des années précédentes, car ce projet de loi de financement de la sécurité sociale organise – nous allons en débattre – un transfert de charges entre la sécurité sociale, c'est-à-dire la mutualisation collective, et la mutualisation des organismes complémentaires et de leurs assurés.

Cependant, si vous adoptez le point de vue non pas de la sécurité sociale, mais du système de santé, vous constatez que le Gouvernement prévoyait une hausse de 2 % des dépenses effectives, financées en partie par la sécurité sociale, en partie par les complémentaires et en partie par les assurés. Or après le vote à l'Assemblée nationale, ce chiffre est monté à 3,3 %, voire 3,6 % pour les soins de ville et l'hôpital. Il faut bien distinguer ce qui se passe avant transfert et ce qui se passe après transfert.

En outre, vous estimez que les franchises et les dépenses de maladie ne doivent être assumées que par ceux qui en ont les moyens.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je n'ai pas dit cela !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Si, vous avez dit précisément qu'il fallait que nous tenions compte du pouvoir d'achat.

Mme Raymonde Poncet Monge. J'ai dit que le PLFSS aurait un impact sur le pouvoir d'achat !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Effectivement, mais je vous rappelle que la complémentaire santé solidaire (C2S) exonère de facto 18 millions de Français du paiement de franchise. En effet, toutes les personnes éligibles au revenu de solidarité active (RSA), toutes les personnes éligibles à l'allocation aux adultes handicapés (AAH), tous les mineurs et toutes les femmes enceintes sont exonérés de facto de franchise.

Dans ces conditions, j'affirme que nous tenons bien compte des conséquences d'une telle mesure sur le pouvoir d'achat, puisque nous avons décidé d'en exonérer 18 millions de Français. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)

Le débat devrait plutôt porter sur la question suivante : y a-t-il d'autres personnes que nous voudrions inclure dans la C2S ou dans l'exonération ?

Un certain nombre de vos collègues à l'Assemblée nationale ont proposé, par exemple, que l'inscription des personnes au RSA à la C2S soit désormais automatique. D'autres ont proposé qu'un plus grand nombre de jeunes soient exonérés. Ils pourraient l'être jusqu'à 21 ans, au lieu de 18 ans actuellement, notamment pour tenir compte des problèmes de santé mentale de notre jeunesse. Nous pourrions parler de cela.

Mme Raymonde Poncet Monge. C'est hors sujet !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Enfin, je voulais aborder la question de la TVA. Il y a beaucoup de polémiques qui ont fleuri ces jours derniers. Il y en a notamment une, apparue ces dernières heures, sur la taxe foncière et la mise à jour des bases. J'y répondrai dans un autre cadre.

S'agissant de la TVA, on entend dire qu'il y aurait un trou. Oui, effectivement, les recettes de TVA sont de 4 milliards d'euros inférieurs à notre prévision.

Mais je tiens d'emblée à dire qu'il ne s'agit pas d'un problème de prévision en tant que tel. Notre base taxable a augmenté de 1,7 %, puisque la consommation en valeur a augmenté de 1,6 % et le pouvoir d'achat de 1,1 %. Telle est la réalité des chiffres. Effectivement, le taux d'épargne a aussi beaucoup augmenté, mais, en tant que ministre des comptes publics, je m'interroge : pourquoi, alors que notre base taxable est en augmentation, l'impôt, lui, n'augmente pas ? D'où la mission express que j'ai demandée à l'Inspection générale des finances (IGF) et à tous les services de mon ministère.

Comment comprendre cette baisse de 4 milliards d'euros ? Il y a eu de la consommation et des investissements, mais cette base taxable ne s'est pas transformée en impôts.

La sous-déclaration de la valeur des petits colis est une piste que nous examinons. Il y a là probablement quelques centaines de millions d'euros de perte de TVA, voire peut-être un petit milliard d'euros.

Il y a la fraude, toujours importante malheureusement, d'où le projet de facturation électronique.

Il y a également les sous-déclarations et l'activité hors TVA, qui, nous le savons, sont sans doute devenues dans nos territoires des pratiques plus courantes qu'elles ne l'étaient voilà quelques années.

Enfin, il y a une explication par la distorsion de la consommation. Nous avons peut-être un peu moins acheté de voitures et, plus généralement, un peu moins de biens à 20 % de TVA et un peu plus de biens à 5,5 %.

Je le répète, j'ai demandé une mission qui nous permette de faire la lumière sur cette situation.

Madame la sénatrice, ces discussions méritent du temps, des faits et des arguments. C'est pourquoi il serait dommage d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable, qui priverait cet hémicycle de débats.

Comme il est de la responsabilité du Gouvernement, nous pourrons, avec mes collègues, vous apporter les éclairages nécessaires, sujet par sujet, thème par thème, pour que vous puissiez souverainement vous prononcer en connaissance de cause. Il y a plus de 1 000 amendements, donc plus de 1 000 occasions, au fond, d'en débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord indiquer que nous voterons cette motion.

Madame la ministre, nous vous avons entendue à plusieurs reprises. Vous avez votre version de la réalité, mais nous en avons une autre. Le déficit actuel est un déficit organisé, voulu.

Les plus de 80 milliards d'euros correspondant aux exonérations sur les cotisations sociales depuis 2017, c'est un choix, et non pas un problème de croissance. C'est un choix politique d'une majorité, qui crée le déficit au profit des plus riches et qui, ensuite, impose à tous les Français des restrictions pour pouvoir combler ce déficit. Telle est la réalité du débat que nous devons avoir avec ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Madame la ministre, vous orchestrez très habilement, depuis maintenant quelques semaines, le discours suivant : il y a une baisse des recettes, le déficit est important, donc il faut faire des coupes dans les droits sociaux.

Nous voterons cette motion, comme la précédente et comme la suivante, et nous irons au débat sur tous les amendements s'il le faut, parce que notre modèle de sécurité sociale n'est pas celui que vous défendez.

Vous êtes en train de la mettre à terre, de la piétiner. Ce faisant, c'est tout le lien social et la protection des plus démunis dans notre pays que vous mettez en danger. Bref, vous déniez à chacune et à chacun d'entre nous le droit à bien vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. À défaut de sincérité dans le budget – j'y insiste –, j'espère au moins que le débat, lui, sera sincère, et que vous le serez tout autant, madame la ministre.

Vous avez presque autant parlé que nous pour exposer des arguments que vous aviez déjà présentés tout à l'heure – soit !

De plus, je vous fais remarquer que vous avez déformé mes propos concernant le pouvoir d'achat. J'ai parlé de l'effet récessif des mesures de votre PLFSS. Ce sont des effets récessifs macroéconomiques connus que le Trésor, l'OCDE et d'autres organismes mesurent sur la consommation – celle-ci rapporte la TVA, que vous compensez si mal –, ainsi que sur l'emploi.

Pourtant, vous savez nous en parler, des effets récessifs, et vous ne vous priverez pas de le faire demain, quand nous voudrons augmenter certaines taxes sur le capital ou des cotisations sociales. Vous n'aurez à la bouche, je n'en doute pas, que les effets macroéconomiques récessifs.

C'est ce que j'ai voulu dire et vous m'avez attribué des propos inexacts, sans doute pour répondre à côté et développer pendant six minutes les mêmes arguments. J'espère donc que le débat sera un peu plus correct.

Je maintiens que vous ne tenez absolument pas compte des réserves, des aléas et des appels à la prudence de la Cour des comptes, du Haut Conseil des finances publiques et de différents organismes. Certes, vous relevez qu'ils n'ont pas qualifié le budget d'insincère. Mais ils vous ont indiqué à plusieurs reprises que vos recettes étaient surestimées et que vos dépenses n'étaient pas correctement évaluées.

Quant à la Cnam, elle produit de nombreux rapports – nous en avons lu beaucoup avec Mme Doineau cet été –, et vous y piochez ce que vous voulez. En revanche, vous ne retenez pas la recommandation de M. Vacher, par exemple. Demain, nous vous présenterons toutes les observations que nous avons trouvées, et que vous gardez sous silence, dans les rapports que vous avez cités. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ? …

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 32 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 277
Pour l'adoption 34
Contre 243

Le Sénat n'a pas adopté.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi en commission.

Demande de renvoi en commission

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 744.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (n° 122, 2025-2026).

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pourquoi le groupe CRCE-K a-t-il fait le choix de déposer une motion tendant au renvoi du projet de loi de financement de sécurité sociale en commission ?

Quand on parle de la sécurité sociale, on parle avant tout de la vie des gens, et chaque budget que nous votons a des répercussions sur eux. En effet, derrière les chiffres, il y a des visages, ceux d'hommes et de femmes qui travaillent chaque jour, qui sont retraités, qui souffrent de la fragilité de leur situation, qui sont malades ou en situation de handicap.

Nous avons également fait ce choix, parce que nos hôpitaux et nos Ehpad sont pour la plupart en déficit. Or, avec un Ondam à 1,6 %, vous allez définitivement plomber notre système de soins. Songez que 6,5 millions de concitoyens n'ont plus de médecin traitant.

Un renvoi en commission est nécessaire, parce que même le vice-président Alain Milon a déclaré que nous avions reçu un texte touffu et peu cohérent.

N'aurions-nous pas dû travailler sur tous ces sujets en commission ? Au lieu de cela, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous n'avez fait que marteler votre obsession de réduire le déficit de la sécurité sociale à 15,5 milliards d'euros, quand celui-ci, dans les propositions de la copie déjà austéritaire du Gouvernement, était à 17,5 milliards d'euros.

Toutefois, nous savons toujours pouvoir compter sur les droites sénatoriales pour faire plus et mieux encore ! À l'heure des célébrations des 80 ans de la sécurité sociale, il est triste de voir que les débats sur les moyens de lutter contre l'insécurité sociale, la précarité et la peur du lendemain ont fait place aux débats sur les choix de coupes budgétaires pour réduire « le trou de la Sécu ».

Ce fameux « trou », évoqué dans les médias comme un siphon qui emporterait toutes les générations futures, est une construction politique qui date d'une soixantaine d'années. En juin 1967, Georges Pompidou a évoqué pour la première fois « le trou financier de la sécurité sociale ». Depuis 1967, les gouvernements successifs ont justifié toutes leurs contre-réformes par la nécessité de réduire les déficits au nom du « trou noir de la sécurité sociale ».

Les déficits justifient de s'en prendre aux plus faibles, aux malades, aux retraités, aux apprentis. En revanche, les déficits ne justifient jamais de mettre à contribution les plus forts, les grandes entreprises, les revenus financiers et les milliardaires.

Finalement, c'est en cela que votre politique est la plus nocive : vous affaiblissez la sécurité sociale d'un côté et, de l'autre, vous menez la bataille idéologique contre un système de solidarité en protégeant les puissants. Nous sommes dans une bataille de classes !

J'aimerais, à cet instant, vous lire un extrait d'une intervention de Simone Veil, au Sénat, le 8 juin 1994 : « Gardons-nous d'oublier notre bien commun qu'est la sécurité sociale, gardons-nous de l'appréhender seulement sous l'angle des charges et des déficits, rappelons-nous ce qu'était la société française auparavant. La sécurité sociale, ce n'est pas seulement un trou financier, c'est d'abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale qui existe en France, que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures. »

Plutôt que de débattre sur le niveau de déficit à atteindre, nous devons nous interroger sur le projet de société que nous souhaitons et sur les équilibres qu'il requiert.

Notre modèle de sécurité sociale est fondé sur la cotisation sociale, laquelle constitue le salaire socialisé. Or, lorsque le financement de la sécurité sociale voit la part des cotisations patronales disparaître, c'est indirectement le salaire brut des salariés qui diminue.

En 1993, les cotisations sociales représentaient 82 % des ressources du régime obligatoire de sécurité sociale. En 2024, elles ne représentent plus que 49 %, soit moins de la moitié des recettes de la sécurité sociale. L'instauration de la contribution sociale généralisée (CSG) et sa montée en charge, ajoutée aux exonérations de cotisations compensées par les recettes de TVA et de diverses taxes, a contribué à dénaturer notre modèle et à assécher les recettes de la sécurité sociale.

Le rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, dont les travaux ont été conduits par notre collègue Olivier Rietmann et mon collègue et camarade Fabien Gay, a mis en exergue l'absence de transparence et, surtout, l'absence de contreparties exigées en retour.

À l'heure où chaque euro doit être justifié par le bénéficiaire du RSA, le privé d'emploi, la femme enceinte et les salariés, les entreprises peuvent-elles continuer de percevoir 211 milliards d'euros chaque année sans contrepartie ?

Cela n'est plus tenable, et le rapport du Sénat est particulièrement bienvenu, alors que nous dénoncions cette opacité depuis des années.

Si nous avions conditionné les aides publiques versées à l'entreprise Greybull pour la reprise de l'aciérie Novasco, le ministre délégué chargé de l'industrie n'en serait pas à dénoncer un repreneur « voyou », qui a mis 1,5 million sur les 90 millions d'euros promis, tandis que l'État, lui, a versé 85 millions d'euros pour assurer la reprise de l'activité. Le Gouvernement se retrouve démuni face à ce fonds d'investissement, pourtant connu des services de l'État comme non fiable.

Je pense aux 549 salariés de Saint-Étienne, Custines et Hagondange qui se retrouvent sur le carreau et, avec eux, leurs familles et l'ensemble des sous-traitants dépendant de Novasco. Parler de la sécurité sociale, c'est parler des vies humaines, et pas seulement des milliards de déficits.

Je regrette que le Gouvernement et la majorité sénatoriale, si prompts à supprimer les exonérations de cotisations sociales des apprentis et des titres-restaurants, ne le soient pas tout autant pour supprimer les exonérations de cotisations patronales. Voilà des recettes qui pourraient renflouer les caisses.

Mme Silvana Silvani. Exactement !

Mme Cathy Apourceau-Poly. L'an dernier, le Gouvernement a péniblement accepté de réduire de 3 milliards d'euros les allégements généraux, mais au lieu de transférer la réduction au budget de la sécurité sociale, il a fait le choix de transférer les 3 milliards d'euros au budget de l'État. C'est proprement scandaleux, d'autant que cela s'ajoute aux 2,8 milliards d'euros d'allégements non compensés par l'État à la sécurité sociale.

Ce PLFSS, c'est également le concours Lépine des mesures injustes socialement : hausse des cotisations des complémentaires retraites, doublement des franchises et des participations, gel et désindexation des prestations sociales et des pensions de retraite.

Nos collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales ont jugé utile de proposer de rétablir ces mesures antisociales avec des pseudo-correctifs.

Vous souhaitez exclure l'allocation aux adultes handicapés (AAH) des prestations gelées en 2026 dans un geste de grande humanité, mais les allocations familiales, l'allocation de rentrée scolaire (ARS), la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), la prestation de compensation du handicap (PCH), l'allocation versée en cas de décès d'un enfant pourront être gelées sans difficulté.

Par ailleurs, vous souhaitez geler les pensions de retraite supérieures à 1 400 euros. Là encore, nous aimerions avoir des explications sur ce chiffrage et l'estimation du nombre de retraités concernés. J'ai lu attentivement le rapport de notre collègue Pascale Gruny, et le chiffre n'y figure pas.

Je rappelle que, l'an dernier, le gouvernement Barnier est tombé à la suite de l'adoption par le Sénat de l'amendement dit Wauquiez qui prévoyait un gel au-dessus de 1 500 euros au 1er janvier 2025.

En rétablissant l'article 44, vous allez réduire le pouvoir d'achat de nos aînés dont le niveau de pension se situe en dessous du seuil de pauvreté.

À quelques mois des élections municipales, vous souhaitez envoyer un message de fermeté à l'égard des plus précaires. Nous allons vous aider à en faire la publicité.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la pension moyenne en France est de 1 545 euros nets. Avec l'amendement de la majorité sénatoriale, les pensions vont baisser de 20 euros par mois et de 240 euros par an en moyenne, et cela sous le prétexte de lutter contre l'hystérie fiscale.

La majorité sénatoriale a prévu de passer le Karcher sur notre modèle social, afin de protéger les revenus financiers, les entreprises du CAC40 et les milliardaires.

Je tiens à le redire ici, nous sommes convaincus que seule l'abrogation de la scélérate réforme des retraites, dite Borne, permettra à des millions de salariés de vivre plus longtemps et en bonne santé.

Enfin, la commission des affaires sociales peut-elle nous éclairer sur ses intentions en cas d'échec de la commission mixte paritaire ?

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je vous invite à voter notre motion tendant au renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Ma chère collègue, vous proposez ni plus ni moins de renvoyer le texte en commission. Or si tel était le cas, nous ne pourrions pas respecter les cinquante jours et nous serions alors hors délai constitutionnel. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Cela vous arrange peut-être, mais nous avons un rôle que nous estimons important : débattre ensemble.

Certes, les conditions sont celles que nous rencontrons aujourd'hui, avec un texte qui a été porté à notre connaissance très tardivement et une précipitation dans l'examen. Nous avons cependant aussi montré notre capacité à agir, même dans des délais si contraints.

Mme Silvana Silvani. Vous n'avez pas pu travailler !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Si ! Nous avons conduit des auditions, et je vous rappelle que nous y travaillons toute l'année dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Par ailleurs, chaque groupe politique peut organiser des réunions sur ces sujets. Je sais d'ailleurs que c'est le cas du groupe CRCE-K.

Dès lors, en montrant que le Sénat est capable de s'adapter à ce régime rapide, nous apportons la preuve de notre capacité à trouver des solutions pour ramener notre système de sécurité sociale vers l'équilibre. J'y insiste, nous avons besoin de sauver le système dans sa totalité. Nous ne pouvons pas passer à côté de notre mission en renvoyant le texte en commission et en reportant sans cesse les décisions.

Que se passera-t-il si la commission mixte paritaire n'est pas conclusive ? Ne lisant pas dans le marc de café, je ne le sais pas ! Je voudrais tout de même vous rappeler que l'année dernière, la CMP a été conclusive et que, deux jours plus tard, le gouvernement Barnier est tombé. Je ne sais pas ce qu'il faut privilégier. Il fut un temps où nous ne connaissions que des CMP non conclusives et où, pour autant, une nouvelle lecture permettait d'affiner le texte final.

J'émets donc un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Je voudrais revenir sur le sujet de l'Ondam et, en particulier, du sous-objectif relatif aux établissements de santé. J'ai entendu dire, en particulier par M. Milon, que ce sous-objectif serait déconnecté de la réalité. Or je ne suis pas d'accord.

Certes, cette année, le contexte budgétaire nécessite une maîtrise de nos dépenses, donc un Ondam resserré. Pour autant, nous y prévoyons une hausse de 2,6 milliards d'euros des dépenses pour les établissements de santé en 2026 par rapport à 2025.

Aux 112 milliards d'euros prévus dans le texte initial ont été ajoutés, par amendement gouvernemental, 850 millions d'euros de manière à prendre en compte la réalité et tout particulièrement le travail en cours sur les tarifs hospitaliers ; je rappelle à ce propos que ceux-ci seront présentés dès janvier prochain – c'est une bonne nouvelle pour les établissements de santé que de connaître ces tarifs au début de l'année.

Notre effort de maîtrise des dépenses doit permettre à notre sécurité sociale de retrouver une trajectoire crédible ; Mme la rapporteure générale l'a bien souligné. J'ajouterai simplement que cela nous permettra aussi de continuer à financer des mesures importantes.

Ainsi, la santé mentale est la grande cause nationale de l'année 2025.