Nous avons eu l'occasion de débattre longuement de ce sujet la semaine dernière, lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Souvenez-vous que nous avons voté en faveur d'une augmentation de la majoration de 10 points. Il me semble qu'une telle mesure ne peut être remise en cause une semaine après nos discussions.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable.

Mme Émilienne Poumirol. Quelle déception !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Concernant le travail dissimulé, il est essentiel de maintenir l'unité nationale pour combattre un triple fléau : un fléau pour les personnes qui se retrouvent en situation de travail dissimulé, car elles n'ont pas de droits sociaux ; un fléau pour la sécurité sociale, qui est privée de ressources ; un fléau de long terme, car les personnes dépourvues de droits sociaux se trouveront, demain, en situation de précarité et demanderont le soutien de la collectivité sur la base de ressources qui n'auront pas été collectées.

J'insiste, l'unité nationale sur ce sujet est l'une des conditions du bon fonctionnement de notre pacte républicain. De toute évidence, ces fraudes sont très nuisibles. Dans ces conditions, nous soutenons pleinement l'objectif ici visé.

Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales comporte de nombreuses mesures dans ce domaine ; vous avez d'ailleurs renforcé l'ensemble de l'arsenal – je l'appelle comme cela à dessein – destiné à combattre le travail dissimulé et à assurer un meilleur recouvrement.

Vous avez raison, mesdames les sénatrices, d'avoir rappelé chacune que la difficulté consiste non pas à détecter la fraude – beaucoup de progrès ont été réalisés en ce domaine –, mais à recouvrer l'argent, face à des sociétés éphémères très organisées.

La mesure que vous proposez pose une double difficulté. Premièrement, sur le plan légistique, vous « écrasez » l'écriture d'un article entier qui nous permet notamment de n'accorder aucune réduction ou exonération de cotisations à des personnes qui se trouveraient en situation de travail dissimulé.

Deuxièmement, sur le plan politique, on ferait mieux de s'en tenir à la cohérence des dispositifs que vous avez votés dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Je vous propose donc de suivre ce filon, afin de ne pas avoir de double arsenal juridique.

Je vous confirme que des majorations de pénalité sont d'ores et déjà appliquées en cas de récidive : il est bien normal que la fraude, lorsqu'elle est répétée, coûte plus cher la seconde fois.

Ce sont bien les dispositions que vous avez soutenues lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Dès lors que vos amendements sont satisfaits, le Gouvernement vous demande de les retirer ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. Je le rappelle, ces amendements visent à lutter contre la fraude aux cotisations sociales commises par les entreprises : il s'agit seulement de corriger une situation dans laquelle ces dernières ne versent pas ce qu'elles devraient. J'entends l'argument de la ministre, qui affirme que le dispositif proposé est en partie déjà satisfait.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il est entièrement satisfait !

Mme Marion Canalès. Je constate néanmoins que ce dispositif ne nous engage pas dans la voie de l'hystérie fiscale, contrairement à ce qu'on a reproché à nos groupes politiques respectifs en amont des débats budgétaires. Nos collègues défendent une mesure importante, qui est juste socialement et efficace d'un point de vue économique.

Certes, la récidive est déjà sanctionnée, mais il faut aller encore plus loin, car la fraude aux cotisations sociales commises par les entreprises est insupportable pour le pacte républicain et le consentement à l'impôt. Nos finances publiques auront besoin de cette mesure.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Les discussions que nous avons eues la semaine dernière devraient prendre une autre dimension aujourd'hui. Nous le savons, face aux mesures que nous proposons, vous direz constamment que la dynamique des recettes est insuffisante et qu'il faut taper dans les dépenses. Par conséquent, lorsque vous refusez nos amendements qui visent à augmenter les recettes, je vous invite à vous justifier.

Sur les 12 milliards d'euros de recettes potentielles, une poignée de millions seulement sont recouvrés. Il faudra que vous m'expliquiez comment vous pouvez vous satisfaire de ce tuyau qui est plus que percé !

Vous avez raison, madame la ministre : notre motivation principale consiste à protéger ces salariés qui sont privés de droits en cas de fraude aux cotisations sociales, tout comme ils le sont en cas de sous-déclaration des accidents de travail et des maladies professionnelles – nous en parlerons plus tard.

Or quand on minore ces problèmes et qu'on ne prend aucune mesure pour y remédier, on ne s'occupe pas des droits des travailleurs.

Vu le contexte actuel et la tendance dans laquelle s'inscrivent nos débats depuis ce matin, il faut durcir les sanctions pour travail dissimulé, en partie total mais bien souvent partiel. Je vous invite à voter cet amendement, chers collègues, car il permettra de prélever des recettes légitimes.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.

Mme Frédérique Puissat. L'intérêt d'un amendement, nous en convenons, est de discuter d'un sujet et de faire progresser les choses pour le pays. Or je rappelle à mes collègues que nous avons déjà eu ces discussions. En effet, lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, Mme Poncet Monge avait déposé un amendement plus sage, visant à augmenter cette majoration de façon équilibrée, et un amendement plus excessif, qu'elle a redéposé dans le cadre de ce PLFSS.

Comme l'a rappelé Mme la ministre, il faut savoir raison garder. Non seulement nous avons tranché la question, mais en plus nous l'avons fait en retenant votre amendement, madame Poncet Monge, car il avait reçu un avis favorable.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Exactement !

Mme Frédérique Puissat. Or voilà que vous y revenez en voulant augmenter des majorations que nous avons déjà réévaluées.

Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales est toujours en discussion et va être examiné à l'Assemblée nationale. Laissons la navette se dérouler avant de rediscuter d'amendements que nous avons déjà adoptés.

Nous pourrions continuer à évoquer ce sujet pendant quatre jours, soirées comprises, mais nous avons déjà tranché la question de façon équilibrée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. L'intérêt d'un débat parlementaire réside dans le dépôt d'amendements, dans la faculté d'ouvrir, voire de rouvrir, des débats, de continuer à en discuter et à les trancher. Comme beaucoup d'autres, ce sujet ne sera jamais clos.

Nous nous accordons sur plusieurs points, à commencer par le fait que cette question recouvre des réalités extrêmement différentes, depuis l'auto-entrepreneur qui ne paie pas ses cotisations jusqu'aux sociétés-écrans, dont c'est l'unique objet, ce qui relève de la criminalité, parfois internationale, en passant par le cinquième rang de sous-traitance dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) employant nombre de travailleurs sans papiers. Ce dernier cas pose le problème des inspecteurs du travail, auxquels il convient d'allouer les moyens nécessaires pour qu'ils aillent sur le terrain.

Cela posé, nous admettons que, sur ce point, le texte précédent était équilibré. Pourquoi proposons-nous alors de rouvrir le débat ? Parce qu'il s'agit d'un problème pour la société, pour la sécurité sociale, ainsi que pour les travailleurs, qui subissent de plein fouet une double, voire une triple discrimination au travail, et une perte de droits.

En effet, même lorsque l'État parvient à recouvrer les sommes par des amendes, cela n'ouvre pas de droits pour les victimes de ce travail dissimulé.

Nous proposons donc d'aller plus loin et d'instruire ce débat, ce que nous n'avons pas fait la dernière fois. Par cette surmajoration, nous souhaitons d'abord que la sécurité sociale retrouve ses petits, ses moyens, mais aussi que l'employeur soit tenu pour responsable du rétablissement des droits des travailleurs qui en ont été privés par sa faute.

Tel n'est pas le cas aujourd'hui : même en cas de recouvrement, le salarié ne retrouve pas ses droits. Voyez, ce débat est intéressant : si nous parvenons à le mettre sur la table et à nous entendre, peut-être pourrons-nous avancer dans le même sens avec cet amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1166.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 999.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1001, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 133-5-4 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 133-5-4-... ainsi rédigé :

« Art. L. 133-5-4-.... – Nonobstant l'article L. 133-5-3 et le code des relations entre le public et l'administration, un employeur est tenu d'accomplir sans délai auprès des administrations et organismes chargés des missions mentionnées au second alinéa du I de l'article L. 133-5-3 du présent code qui en font la demande les formalités déclaratives mentionnées au II du même article L. 133-5-3, lorsqu'il existe des présomptions graves et concordantes qu'il a contrevenu, contrevient ou va contrevenir à ses obligations à l'égard de ces administrations ou organismes ou à l'égard de ses salariés.

« L'existence de présomptions graves et concordantes est notamment considérée comme établie lorsque l'employeur dirige ou dirigeait une personne morale réunissant au moins trois des conditions suivantes :

« 1° Elle a été créée depuis moins de douze mois ;

« 2° Elle a mis fin à son activité moins de six mois après sa création ;

« 3° Elle utilise ou utilisait les services d'une entreprise de domiciliation au sens de l'article L. 123-11-2 du code de commerce ;

« 4° Son siège est ou était situé hors d'un État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ;

« 5° Elle comptait plus de dix associés ou salariés dès le premier mois suivant sa création ou plus de vingt dès le deuxième mois.

« En cas de retard injustifié dans l'accomplissement d'une formalité déclarative relevant du premier alinéa du présent article, d'omission de données devant y figurer, d'inexactitude des données déclarées ou d'absence de correction dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 133-5-3-1 du présent code, il est appliqué une pénalité dans la limite de 15 % du plafond mensuel de sécurité sociale en vigueur, arrondi à l'euro supérieur, au titre de chaque salarié ou assimilé pour lequel est constaté le défaut de déclaration, l'omission ou l'inexactitude. »

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement tend à sanctionner les employeurs coupables de fraude aux cotisations sociales par le recours à la création d'entreprises éphémères. Il est proche du précédent, mais leur différence n'est pas un détail : il n'est question ici que de la sécurité sociale.

Le niveau de recouvrement demeure très en deçà des évaluations ou des détections. La fraude aux cotisations sociales fait l'objet de très peu de redressements et le taux de recouvrement n'est que de 10 %. Ce n'est pas très sérieux, car quelques centaines de millions d'euros sont tout de même en jeu.

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale, si tant est qu'il soit écouté, préconise donc de prévenir la fraude au travail dissimulé en intensifiant les contrôles.

Le plan de recrutement prévu par la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2023-2027 y répond partiellement, mais intervient après qu'un quart des effectifs consacrés, pour partie, à la lutte contre le travail dissimulé a été supprimé.

Nous proposons de reprendre un dispositif déjà adopté par le Sénat lors de l'examen de précédents PLFSS, lequel vise à sanctionner les employeurs ne remplissant pas leurs obligations déclaratives, dès lors qu'il existe des présomptions graves et concordantes de manquement. Nous avons retenu ce terme à propos des chômeurs, sommes-nous disposés à faire de même ici ?

Il s'agit, dans de tels cas, de limiter l'évitement de cotisations par la création, puis la disparition, de personnes morales.

Je rappelle que ces amendements ont été adoptés par le passé, même s'ils ne l'ont pas été dans le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, ce qui est un peu décevant au regard des votes antérieurs du Parlement.

M. le président. L'amendement n° 802 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Bitz et Canévet et Mmes Sollogoub et Romagny, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 133-5-4 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 133-5-4-… ainsi rédigé :

« Art. L. 133-5-4-…. – Nonobstant l'article L. 133-5-3 et le code des relations entre le public et l'administration, un employeur est tenu d'accomplir sans délai auprès des administrations et organismes chargés des missions mentionnées au second alinéa du I de l'article L. 133-5-3 du présent code qui en font la demande les formalités déclaratives mentionnées au II du même article L. 133-5-3 lorsqu'il existe des présomptions graves et concordantes qu'il a contrevenu, contrevient ou va contrevenir à ses obligations à l'égard de ces administrations ou organismes ou à l'égard de ses salariés.

« L'existence de présomptions graves et concordantes est notamment considérée comme établie lorsque l'employeur dirige ou dirigeait une personne morale réunissant au moins trois des conditions suivantes :

« 1° Elle a été créée depuis moins de douze mois ;

« 2° Elle a mis fin à son activité moins de 12 mois après sa création ;

« 3° Elle utilise ou utilisait les services d'une entreprise de domiciliation au sens de l'article L. 123-11-2 du code de commerce ;

« 4° Son siège est ou était situé hors d'un État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ;

« 5° Elle comptait plus de dix associés ou salariés dès le premier mois suivant sa création ou plus de vingt dès le quatrième mois ;

« 6° Elle utilise les services d'une banque en ligne.

« En cas de retard injustifié dans l'accomplissement d'une formalité déclarative relevant du premier alinéa du présent article, d'omission de données devant y figurer, d'inexactitude des données déclarées ou d'absence de correction dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 133-5-3-1 du présent code, il est fait application des deux derniers alinéas de l'article L. 133-5-4 du même code. »

La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Mme Goulet propose un amendement de forme similaire, mais dont l'argumentaire diffère quelque peu.

Elle rappelle que la création de ces entreprises éphémères – nous en voyons tous – est parfaitement légale en soi et ne constitue pas une fraude : il suffit de déclarer une raison sociale, de nommer un dirigeant et de constituer un capital ; bref, l'accomplissement de toutes les formalités officielles rend ces sociétés tout à fait légales.

Parfois, il s'agit de commerces de proximité que chacun voit ouvrir, engranger des cotisations, puis fermer, échappant ainsi à tout contrôle. Des suspicions se font jour, mais les administrations ne disposent d'aucun moyen pour se retourner contre les auteurs de ces manœuvres.

Je ne souhaite pas couvrir d'opprobre toute une profession, mais je pourrais citer ces fameux barbiers, dénoncés par l'Union des entreprises de proximité (U2P). Ces pratiques jettent finalement le discrédit sur l'ensemble du métier, alors que des professionnels parfaitement réguliers s'insurgent de l'inaction publique.

Nathalie Goulet va plus loin, en affirmant que ces commerces sont les chevaux de Troie de la criminalité organisée.

Dès lors, tant que nous n'aurons pas établi une définition précise et fourni des moyens aux administrations éprouvant une réelle suspicion à l'égard de certaines de ces sociétés, dont le caractère éphémère est connu, nous ne pourrons pas avancer.

C'est pourquoi je défends l'adoption de cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Le sujet est évidemment d'importance. Je vous rappelle cependant que nous avons déjà débattu ces dernières semaines de ces questions, en commission et dans l'hémicycle ; ces amendements avaient été présentés à cette occasion et n'ont pas abouti.

Notre objectif ne saurait être d'introduire dans le PLFSS des mesures ayant été rejetées il y a une semaine.

Je vous invite donc à la raison et au retrait de ces amendements ; à défaut, l'avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Nous débattons donc de nouveau de ces questions importantes, comme il y a quelques jours.

Nous réaffirmons notre accord complet sur le fond : le Gouvernement et Tracfin partagent évidemment l'objectif de lutter contre la fraude fiscale et sociale.

Je rappelle rapidement les arguments que nous avions présentés : il nous faut rendre ces dispositifs suffisamment opérants ; à ce titre, certains critères inscrits dans ces propositions ne nous semblent pas adéquats.

Un autre sujet a fait l'objet de nombreux débats, madame la sénatrice Poncet Monge : le fait que la fraude ne se présume pas.

Mme Raymonde Poncet Monge. Oh ! Et pour les chômeurs, alors ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je sais que ce sujet vous est cher, mais il s'agit d'une jurisprudence constante.

Enfin, je précise que l'employeur doit procéder à la déclaration sociale nominative, qui est la meilleure voie pour parer à tous ces risques.

Nous avons déjà discuté de ces éléments et je n'ai pas changé d'avis.

Mme Raymonde Poncet Monge. C'est bien dommage !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. Je souhaite défendre l'amendement de Nathalie Goulet, car il me semble revêtir une importance particulière.

Si nous entendons que les services disposent de tous les moyens nécessaires pour lutter contre la fraude et l'appréhender efficacement, il est indispensable que cette définition claire soit établie. À défaut, la lutte contre le blanchiment demeurera particulièrement difficile.

Lors de l'examen de cette question durant la préparation du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, il nous a été indiqué que nous devions nous référer à un guide de la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf), lequel n'existe pas !

On nous a également informés que les structures utilisées évoluaient ; pour autant, le schéma de création de ces sociétés demeure classique : immatriculation, domiciliation et recours à une banque en ligne. Comme l'a évoqué Mme Sollogoub, il s'agit d'activités de type barbier ou onglerie, qui servent de mode de blanchiment, sans encaissement de TVA ni de cotisations sociales.

Dès lors, il est impératif que nos services disposent des outils et des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre ces actions de blanchiment, qui sont inadmissibles.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.

Mme Nadia Sollogoub. J'abonde dans le même sens. M. le ministre fait valoir que la fraude ne se subodore pas, c'est précisément la raison pour laquelle il est nécessaire de disposer de critères objectifs ; les services le savent.

Il existe des déclencheurs, des lumières qui s'allument, des avertisseurs : lorsqu'une société met fin à son activité moins de douze mois après sa création, ou qu'elle utilise ou a utilisé les services d'une entreprise de domiciliation, par exemple.

Ces critères sont clairs et connus de tous. Certes, nous en avons déjà débattu la semaine dernière, mais Nathalie Goulet a dû vous prévenir que nous y reviendrions lors de l'examen du texte suivant.

Nous persistons donc, car la situation est inadmissible pour nos cotisants, alors que nous recherchons des moyens et des ressources. Ces pratiques ont lieu au vu et au su de tous et je vous assure que les petits commerçants réclament également ces mesures. (M. Christopher Szczurek applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.

Mme Marion Canalès. Ces amendements relatifs aux entreprises éphémères, véritables chevaux de Troie de la criminalité organisée et des fraudes, notamment aux cotisations sociales, revêtent une importance extrême. Certes, nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ce point lors d'autres discussions, mais il demeure fondamental.

Monsieur le ministre, lorsque vous affirmez que nous proposerions des dispositifs tendant à jeter l'opprobre sur des entreprises à partir de simples suspicions de fraude, je ne peux souscrire à votre propos.

À propos d'actions déclenchées par des soupçons de fraude, nous avons, lors de la précédente discussion du texte relatif aux fraudes, voté ici même des amendements concernant les assurés sociaux ; nous avons instauré des peines et des condamnations à leur encontre, à partir de simples suspicions.

Même en considérant qu'il n'est pas bienvenu de condamner des entreprises suspectées, le sujet n'a rien d'anodin, ainsi que l'ont démontré les jeux Olympiques : 10 % d'entreprises éphémères ont profité de ce grand moment pour frauder sur les cotisations. Il ne s'agit pas d'un sujet mineur !

Il est indispensable d'y apporter une réponse dans le cadre de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, car ces cotisations nous échappent, alors que les dépenses sont importantes et que nous cherchons des recettes.

Dès lors, vos arguments ne sauraient tenir : il nous faut voter ces deux amendements.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, en votre qualité de ministre du travail, nous sommes en droit d'attendre de vous des signes et des preuves de votre détermination à lutter contre le travail dissimulé. Ce qui a été déjà voté ne suffit pas.

Vous connaissez l'adage : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour » ; il en va de même de la lutte contre le travail dissimulé, il faut que vous donniez des preuves, et celles que vous avez inscrites dans le projet de loi précédent sont insuffisantes.

Les indices que nous évoquons ne sont ni des signaux faibles ni même des « indices sérieux », lesquels suffisent pourtant pour sanctionner les demandeurs d'emploi.

Non, il est ici question de présomptions graves et concordantes. Si vous étiez hostile au principe même de la présomption, vous auriez dû émettre un avis défavorable sur le dispositif similaire applicable aux assurés sociaux !

Au-delà de cette polémique, sur laquelle nous ne reviendrons pas, des présomptions graves et concordantes devraient suffire pour traiter un sujet aussi grave que la lutte contre le travail dissimulé.

Je tiens à souligner que le travail dissimulé partiel est actuellement gagnant : dans de nombreux secteurs, une partie des employeurs y ont recours ; ils sont si peu appréhendés et si peu sanctionnés que la pratique reste rentable ; elle perdurera donc.

Il est indispensable que ces pratiques, terribles pour les droits des travailleurs et, souvent, pour leur sécurité, car les conditions de travail sont à l'avenant, soient démontrées quand elles se produisent et sévèrement sanctionnées.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.

Mme Frédérique Puissat. Je ne développerai pas davantage mon propos, car j'entrevois l'issue du vote sur ces deux amendements ; je me bornerai à rappeler que nous les avions rejetés lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales dont j'étais rapporteur, alors qu'ils avaient été déposés dans des termes identiques.

Personne ne considère que les entreprises éphémères constitueraient un non-sujet ; nous l'avons d'ailleurs traité dans le cadre de ce projet de loi. Toutefois, nous avions estimé que ces amendements n'étaient pas opérants et nous avons abordé cette question par le biais d'autres dispositions et l'insertion d'articles additionnels spécifiques, conformément aux orientations qu'Olivier Henno et moi-même avions définies.

Nous pouvons mettre ces amendements aux voix, mais je vous rappelle que nos collègues députés travaillent actuellement sur le texte relatif aux fraudes. Ces amendements y seront déposés et seront peut-être modifiés afin de gagner en efficacité.

Je vous propose donc de laisser les députés œuvrer sur ce projet de loi. Nous nous sommes tous accordés pour exprimer notre satisfaction de voir le Gouvernement déposer un texte consacré à la fraude ; regroupons toutes les dispositions afférentes en son sein, plutôt que de les disperser entre ce texte et le PLFSS.

Par conséquent, je suggère le retrait de ces amendements.

À défaut, par souci de cohérence avec ma position précédente, je voterai de nouveau contre. Ce vote ne signifie pas que nous nous désintéressons des entreprises éphémères, mais nous jugeons ces dispositifs inopérants, les amendements et articles additionnels que nous avons déjà adoptés nous semblant plus efficaces.

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour explication de vote.

M. Olivier Bitz. Je souhaite apporter mon soutien à l'amendement de Mme Goulet, car nous savons bien que la lutte contre la fraude est un travail de longue haleine.

Dans le texte relatif à la lutte contre les fraudes figurent des propositions formulées par notre collègue Nathalie Goulet voilà trois ou quatre ans et qui avaient été rejetées à l'époque par notre assemblée. Elles ont finalement été adoptées.

Je propose donc que nous gagnions un peu de temps : certes, une position a été prise il y a quelques semaines, mais la lutte contre ces entreprises éphémères est absolument prioritaire.

Pour ce qui concerne la perspective du travail de l'Assemblée nationale et de nos collègues députés, pardonnez-moi de vous dire que je fais peu confiance à la forme qu'aura ce texte à sa sortie du Palais-Bourbon.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Madame Poncet Monge, vous me demandez des preuves ; je vous apporterai non pas des preuves d'amour, mais des preuves de désamour de la fraude.

Celles-ci résident d'abord dans l'action de l'Office européen de lutte antifraude (Olaf), qui a saisi 600 millions d'euros l'année dernière grâce à des procédures de gel et de saisie visant les sociétés éphémères.

Elles se manifestent également au quotidien : Tracfin et les services de renseignement placés sous mon autorité me transmettent chaque jour des informations, grâce à la mise en place d'un système en circuit court : lorsque Tracfin détecte une société éphémère, le dossier est immédiatement judiciarisé et les avoirs gelés. Nous saisissons et gelons ainsi des dizaines de millions d'euros chaque trimestre.

Pour être opérante, cette action doit s'inscrire dans le respect du droit. Or en Europe, il est impossible de suspendre l'activité d'une société sur le fondement d'une simple suspicion ; il faut identifier, contrôler, geler, judiciariser et sanctionner. Telle est la chaîne qui fonctionne.

Madame la sénatrice Sollogoub, vous le savez, tout comme Mme Goulet : nous l'avons accompagnée, avec le Premier ministre, auprès des services qui mènent ce combat quotidiennement. Je la remercie d'ailleurs pour le travail très pertinent qu'elle a accompli sur le financement de la criminalité organisée.

Pour être forts et efficaces, nous devons être juridiquement irréprochables. Nous affrontons des organisations criminelles disposant de ressources financières considérables, voire excessives. Cet argent leur permet de s'offrir des avocats et d'engager des procédures pour emboliser le système et gripper la machine, quand nous souhaitons saisir et sanctionner.

Je peux citer des exemples : nous demandons aux tribunaux de commerce de nous signaler les sociétés qu'ils suspectent de fraude, non pour les suspendre, ce que le droit ne permettrait pas, mais pour déclencher un contrôle immédiat. Cette méthode s'avère bien plus efficace que l'amendement que vous défendez.

Par ailleurs, nous exigeons désormais la fourniture des attestations de conformité fiscale et sociale pour toute liquidation amiable. Cela empêche la liquidation amiable de sociétés supportant en réalité de lourdes dettes sociales et fiscales.

Les preuves abondent donc, il ne s'agit pas d'amour, sinon pour la cause que vous portez collectivement, mais de désamour de la fraude.

Mme la sénatrice Puissat a parfaitement raison : nous avons déposé ce projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales concomitamment au projet de loi de finances PLF et au PLFSS afin d'offrir un véhicule juridique solide à vos propositions sur les fraudes et d'éviter ainsi que le Conseil constitutionnel ne les qualifie de cavaliers législatifs.

Nous tenions, en outre, à traiter en même temps les volets fiscal et social, parce que notre approche est devenue singulière : nous sommes bien plus performants en matière de recouvrement fiscal que social…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous transposons donc au social les méthodes qui fonctionnent pour le fiscal.

Les chiffres sont éloquents : sur 16 milliards d'euros de fraude fiscale détectée, nous en recouvrons près de 12 milliards d'euros ; sur 5 milliards d'euros de fraude sociale détectée, nous n'en recouvrons qu'un seul. Ce ratio démontre clairement la nécessité de mettre au service de la sphère sociale les outils éprouvés dans la sphère fiscale, tels que la flagrance, le gel et la saisie.

J'espère vous avoir apporté la démonstration de mes preuves d'amour pour la cause et de désamour pour la fraude !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1001.