Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà du vote des lois, ce qui compte, c'est qu'elles soient appliquées. Vous y êtes très sensibles, car trop de rapports d'évaluation pointent l'écart entre les intentions du législateur et la mise en œuvre des textes, ce qui parfois s'explique par le fait que les réalités techniques et opérationnelles n'ont pas été assez prises en compte. Le travail qui a été effectué sur cette proposition de loi permet de surmonter cette difficulté.
Nous aurons encore des débats au cours de la navette sur ce texte, auquel nous sommes favorables, car il répond à cet impératif essentiel qu'est la souveraineté numérique. Nous sommes donc très heureux de continuer à y travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et RDPI. – M. Simon Uzenat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Margueritte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Margueritte. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Dany Wattebled, issue des travaux de la commission d'enquête dont il était le rapporteur, présente un enjeu majeur pour la souveraineté de notre pays et la sécurité de nos données publiques. Elle entend répondre à des objectifs totalement légitimes, qui présentent une acuité particulière dans le contexte actuel.
Les administrations et nos collectivités territoriales recourent de plus en plus à des solutions d'hébergement en nuage. Très souvent, ces solutions sont proposées, on le sait, par des prestataires situés en dehors de l'Union européenne, compte tenu de la concentration extrêmement forte du secteur autour d'Amazon, de Microsoft et de Google.
Chacune et chacun mesure les effets et les conséquences de cette dépendance. Le risque que des autorités étrangères accèdent à des données sensibles est bien réel, en raison de la problématique très bien exposée par Mme la rapporteure et par l'auteur de la proposition de loi, à savoir celle des lois extraterritoriales qui permettent à des États tiers de se faire transmettre des données, y compris lorsque celles-ci sont hébergées sur le territoire français et contre l'avis de notre pays.
Notre collègue Dany Wattebled a rappelé tout à l'heure la réponse édifiante faite par le représentant de Microsoft dans le cadre de la commission d'enquête : elle suffit à elle seule à démontrer l'intérêt et la pertinence de cette proposition de loi, à laquelle le groupe Les Républicains sera favorable.
Nous avons de nombreux cas en tête, qu'il s'agisse des données de santé ou des données de l'enseignement supérieur confiées à des entreprises américaines. Le risque est donc évident pour nos collectivités et les acheteurs publics, ce qui motive notre soutien.
Plus précisément, je voudrais insister sur deux points pour expliquer le soutien de mon groupe.
D'abord, le contexte politique est particulièrement tendu, comme je viens de l'expliquer. Il justifie la protection des données qui contiennent des informations sensibles dans le cadre des commandes publiques.
La protection des données publiques est un enjeu non seulement de souveraineté, mais aussi économique.
La France ne part pas de zéro ; Mme la ministre l'a rappelé tout à l'heure. Les travaux de notre collègue Wattebled s'inscrivent dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2021, avec la mise en place d'outils importants, notamment la stratégie « cloud au centre », qui permettent d'héberger les données les plus sensibles dans des espaces souverains.
La deuxième raison qui justifie pleinement le soutien de notre groupe est que ce texte a été utilement modifié par la commission des lois.
Nous comprenons parfaitement l'objectif de l'auteur du texte, qui est d'élargir le dispositif existant aux collectivités territoriales pour protéger toutes les données publiques, quelles qu'en soient les sources. L'ambition est légitime.
Toutefois, comme l'a rappelé Mme la rapporteure, une application uniforme et sans discernement, d'une certaine manière, poserait des difficultés à la fois juridiques et opérationnelles, avec un risque d'inconstitutionnalité et d'incompatibilité avec les règles de concurrence qui prévalent pour la passation de marchés publics.
C'est ainsi que le texte de la commission des lois ne s'applique pas aux communes de moins de 30 000 habitants, et ce pour trois raisons.
La première est évidente : ces collectivités ne disposent pas de la ressource humaine ou de l'expertise technique qui leur permettrait de faciliter la passation de tels marchés.
La deuxième raison est financière : une augmentation du coût comprise entre 25 % et 40 % ne serait pas soutenable dans le contexte budgétaire que nous connaissons, cela porterait atteinte au développement des services publics ou aux investissements des collectivités.
La troisième raison est que le risque d'interception de données sensibles pour ces collectivités est moins fort que pour celles de la strate supérieure.
Nous considérons par ailleurs que l'application du texte à partir de 2028 est une bonne solution pour permettre d'adapter le marché au développement du cloud souverain.
Le chemin proposé par la commission des lois concilie utilement la souveraineté numérique et les contraintes budgétaires, opérationnelles et juridiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étudions cet après-midi la proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques. Ce texte s'inscrit dans la suite de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française.
En 2021, le Premier ministre avait chargé ma collègue du groupe RDPI, Nadège Havet, d'une mission qui a abouti à la publication d'un rapport intitulé Pour une commande publique sociale et environnementale : état des lieux et préconisations. Ce sujet collectif nécessite une attention continue de toute la représentation politique.
Votre démarche, mon cher collègue Wattebled, s'inscrit en vérité dans une dynamique essentielle de souveraineté, puisqu'elle vise à renforcer le niveau de protection des données hébergées en nuage par les acheteurs publics. Dans un contexte géopolitique incertain, cette volonté doit faire consensus.
Ce texte viendra compléter un ensemble de dispositions réglementaires et législatives adoptées ces dernières années afin de protéger les données dites sensibles.
Au sein du groupe Les Indépendants, le président Claude Malhuret avait déjà abordé, par le prisme de TikTok, le problème essentiel de l'exploitation des données par des puissances étrangères.
Nous partageons entièrement votre objectif, à savoir renforcer la protection face aux risques d'ingérence et de dépendance, notamment au moyen de clauses contraignantes pour les prestataires.
Toutefois, la rédaction initiale de l'article unique présentait des fragilités juridiques, limitant son applicabilité. En effet, elle introduisait une règle exorbitante par rapport au droit dérivé européen, ce qui aurait pu justifier son rejet par la Commission européenne.
En outre, une révision du règlement européen sur les marchés publics est prévue au premier semestre 2026, offrant potentiellement un cadre plus adapté pour orienter les fonds publics vers des solutions européennes.
La notion de « données publiques » n'était quant à elle pas suffisamment définie. Cette ambiguïté créerait une insécurité juridique, d'autant que le champ d'application du texte était très large, couvrant tout marché impliquant, même accessoirement, des prestations d'hébergement ou de traitement de données en nuage. Une portée si étendue rendrait le dispositif difficilement opérationnel.
Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale du 8 juillet 2025 – je salue une nouvelle fois le travail de son président, M. Simon Uzenat, et de son rapporteur, M. Dany Wattebled, également auteur de la proposition de loi – souligne la forte exposition de l'État et des collectivités aux risques d'ingérence numérique.
Malgré l'existence d'outils déjà mobilisables, les garanties restent insuffisantes, car certains opérateurs, même implantés en Europe, peuvent rester soumis à des législations extraterritoriales. Seule une clause de non-exposition aux lois étrangères permettrait une protection effective, à condition que son application soit vérifiable.
Madame la rapporteure, vous avez donc proposé une réécriture du texte pour le rendre juridiquement robuste et opérationnel.
Vous avez également prévu l'exclusion des communes de moins de 30 000 habitants, ainsi que des communautés de communes : elles risqueraient de ne pas disposer de ressources humaines et techniques suffisantes pour adapter leurs marchés publics.
Le texte de la commission prévoit enfin un mécanisme de dérogation, dans certains cas, pour les collectivités ou les EPCI, qui, à la date d'entrée en vigueur de l'article, auraient déjà engagé un projet nécessitant le recours à un service d'informatique en nuage.
Nous voterons par conséquent en faveur de ce texte, modifié en commission avec l'accord de son auteur, mais aussi en faveur de l'amendement déposé en séance publique par M. Wattebled afin de maintenir une pression suffisante sur les acteurs concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Laurent Somon et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, sur l'initiative de Dany Wattebled et de son groupe Les Indépendants, a été cosignée par de nombreux sénateurs de différents groupes, car elle constitue la traduction législative directe des travaux de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française, dont il a été le rapporteur.
Je veux à mon tour saluer le travail mené par cette commission, sous la dynamique présidence de notre collègue Simon Uzenat. Elle a rappelé une réalité qui s'impose à tous aujourd'hui : la vulnérabilité de nos données face aux législations extraterritoriales.
Ce constat prend, bien sûr, une résonance toute particulière dans un contexte politique et numérique en profonde mutation. La donnée est devenue une ressource stratégique, un attribut de puissance et, par conséquent, une cible. Cela nous impose de protéger nos données stratégiques contre les risques d'interception ou d'ingérence, qu'il s'agisse du Cloud Act américain ou d'autres législations.
Cette initiative n'est pas isolée ; elle s'inscrit dans un édifice législatif cohérent que nous bâtissons depuis plusieurs années, avec une accélération ces derniers mois. Ce texte prolonge ainsi l'esprit de la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, dite loi Sren, de mai 2024, ou le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et à la cybersécurité, en cours d'examen à l'Assemblée nationale.
Nous avions déjà, lors de différents débats, plaidé pour la sécurisation des données sensibles de l'État et, malheureusement, l'actualité nous rappelle cruellement l'urgence à agir.
Cet impératif de souveraineté se double d'une dimension économique majeure. Représentant près de 400 milliards d'euros par an, la commande publique constitue un levier d'action essentiel pour l'État et les collectivités territoriales. L'auteur de la proposition de loi, M. Wattebled, l'a bien rappelé tout à l'heure : il y a un enjeu tout particulier en ce qui concerne le numérique.
Dès lors, il est légitime, et même indispensable, d'aligner notre puissance d'achat sur nos objectifs stratégiques. En orientant ces investissements vers des solutions garantissant la protection de nos données, nous faisons non seulement acte de prudence, mais nous contribuons aussi activement à la consolidation d'un écosystème numérique européen fiable et pérenne.
Ce texte a été enrichi et amélioré par Mme la rapporteure. Son engagement a permis, avec le soutien de la commission des lois, de trouver un chemin pour dégager une solution opérationnelle.
Les différents orateurs qui m'ont précédé l'ont dit, nous ne pouvons que souscrire aux évolutions proposées : le recentrage sur les données sensibles, l'exonération pour les communes de moins de 30 000 habitants et, enfin, l'introduction de mécanismes de dérogation pour des projets déjà engagés ou en cas d'impossibilité technique.
Ce texte rassemble largement, parce qu'il est urgent et nécessaire. Il résulte d'un travail transpartisan de qualité, raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, INDEP, UC et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alexandre Basquin.
M. Alexandre Basquin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi marque un pas important dans la recherche d'une solution à la question fondamentale de l'hébergement et de la protection des données. Je la salue pleinement et, pour couper court au suspense, je précise d'emblée que le groupe CRCE-K la votera sans réserve.
Pour autant, même si elle traite uniquement des marchés publics numériques, permettez-moi, dans le temps qui m'est imparti, d'aborder la question des données dans son ensemble : le fameux big data.
Je le fais en ma qualité de technocritique assumé. Les données personnelles sont devenues le pétrole de l'industrie numérique et le modèle économique de ces géants du numérique est essentiellement basé sur la monétisation de nos données. C'est un modèle extrêmement rentable : pour preuve, la valorisation boursière des géants du numérique dépasse, et de très loin, le PIB de certains États. C'est tout bonnement vertigineux !
Nos données personnelles sont devenues un véritable business. Elles sont constamment moissonnées, captées, exploitées à l'aide de robots et d'algorithmes hyperpuissants – le pire est sans doute à venir avec l'intelligence artificielle –, se retrouvant dans de nombreuses mains sans que nous le sachions vraiment.
De surcroît, elles sont souvent hébergées sur des serveurs situés à l'étranger ou détenus par des sociétés étrangères. C'est le cas de nos données de santé, qui sont hébergées sur des serveurs implantés aux États-Unis et gérés par Microsoft. L'administration américaine pourrait donc y avoir accès sur simple demande légale. Je rejoins donc la recommandation de la commission d'enquête sur la commande publique, qui réclame à cet égard une solution souveraine.
Je veux aussi évoquer les courtiers en données numériques, les fameux Data Brokers, qui font énormément d'argent sur notre dos dans des conditions particulièrement opaques, en achetant et en revendant nos données personnelles à des entreprises, à des administrations et à des gouvernements, avec des procédés bien ficelés qu'il serait trop long de décrire ici.
Je voudrais cependant vous faire part de deux exemples assez révélateurs.
La société américaine Clearview AI, spécialiste de la reconnaissance faciale, détient une base de données de 3 milliards de visages qui ont été pillés sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les sites publics.
Je voudrais citer également la société Acxiom, qui s'honore de posséder des données sur 2,5 milliards de personnes.
Ces Data Brokers savent tout de nous, y compris les choses les plus intimes. Je trouve cela extrêmement dangereux, parce que notre vie privée ne l'est absolument plus, ce qui fait d'ailleurs dire à l'ancien PDG de Google, Eric Schmidt : « Pour le citoyen de demain, l'identité sera la plus précieuse des marchandises. »
L'activité des Data Brokers est proprement scandaleuse. C'est pourquoi le groupe CRCE–K a déposé une proposition de loi pour interdire le courtage de données numériques sur le sol français. J'en fais pour ma part un combat éthique, et il me semble que ce doit être un combat collectif.
Enfin, pour terminer, permettez-moi de soulever une certaine forme d'hypocrisie gouvernementale.
Le Gouvernement ne cesse de parler de souveraineté numérique, mais nous savons que certains ministères choisissent des solutions numériques américaines. C'est le cas de l'éducation nationale, qui a renouvelé ses licences Microsoft, ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui confie ses données à Palantir Technologies, entreprise pourtant fondée par le libertarien Peter Thiel.
Dans cette période où les ingérences étrangères ne cessent de progresser, je trouve que c'est particulièrement effarant.
Je pourrais aussi parler des nombreuses cyberattaques à l'encontre de nos administrations, mais je ne veux pas être trop long.
En tout état de cause, il nous faut être beaucoup plus offensifs, courageux et fermes sur la question des données. Nous devons, à mon sens, sortir de la mainmise, de la domination des géants du numérique. Avoir les données, c'est avoir le pouvoir. Il y va de la solidité de notre pacte social et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, GEST et INDEP. – Mme Sophie Briante Guillemont et M. Bernard Buis applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde où les questions de souveraineté se font de plus en plus pressantes, où la guerre hybride, faite d'attaques cyber et de désinformation, nous menace de plus en plus, nous nous penchons sur une proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête sur la commande publique, dont Dany Wattebled était rapporteur.
Cette commission a notamment mis en lumière la particulière vulnérabilité de notre pays en matière d'hébergement des données publiques sensibles, nos solutions numériques étant assujetties à des droits étrangers extraterritoriaux.
Cette faille fait peser de nombreux risques sur la souveraineté numérique de la France : perte de contrôle des données sensibles, risque d'utilisation de ces données à des fins de renseignement économique, dépendance accrue vis-à-vis d'acteurs étrangers, vulnérabilité face aux changements de politique étrangère.
Si les risques techniques et juridiques quant à la sécurité du système sont bien identifiés, la mise en place d'un label de qualité SecNumCloud par l'Anssi n'est à l'évidence pas suffisante, comme en témoigne le renouvellement par le ministère de l'éducation nationale, via un accord-cadre, de ses licences Microsoft en mars 2025, pour un montant estimé à 75 millions d'euros sur quatre ans. Ce marché comprend également une partie cloud. Le ministère de l'éducation nationale n'a même pas saisi pour avis la direction interministérielle du numérique (Dinum)…
Alors, certes, nous connaissons les difficultés pour localiser les prestataires répondant aux marchés publics, mais l'auteur de la proposition de loi a tenté de mettre en place un cadre plus clair pour les critères de stockage des données : exclure les prestataires qui seraient soumis à des lois étrangères qui l'obligeraient à communiquer ces données à des autorités étrangères ; garantir que les données soient hébergées sur le territoire de l'Union européenne dans des conditions assurant leur protection contre toute ingérence par d'autres États.
Ce principe est clair et plus efficace que les prescriptions actuelles, qui ont démontré leurs limites.
C'est pourquoi nous regrettons un peu les modifications apportées par la commission des lois, que nous avons déjà connue plus ambitieuse sur ces sujets.
La rapporteure a rappelé le risque d'inconventionnalité et d'inconstitutionnalité du dispositif proposé, lequel conduisait indirectement à écarter les acteurs non européens de la commande publique de cloud. Elle a toutefois rappelé que les textes français et européens, ainsi que les engagements internationaux de la France, notamment l'accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), admettaient de telles restrictions d'accès pour des motifs impérieux d'intérêt général.
Encore une fois, la guerre hybride tend à nous démontrer que les données restent un point d'entrée pour la déstabilisation d'un État, même si, selon l'Anssi, toutes les données détenues par des entités publiques ne présentent pas le même intérêt pour des puissances étrangères. Selon nous, la rédaction initiale de la proposition de loi répond bien à un motif impérieux d'intérêt général.
La frilosité dont notre commission a fait preuve nous amène à exprimer de vraies réserves, car les modifications qu'elle a apportées au texte semblent le vider d'une partie de son ambition, en diminuant son efficacité pour protéger nos données.
En se fondant sur une mesure existante, dont la commission d'enquête a démontré qu'elle n'était pas bien appliquée, en se basant sur la formulation « veiller à », en abandonnant une obligation claire pesant sur l'acheteur public qui aurait pu permettre l'annulation contentieuse des marchés passés en méconnaissance de celle-ci, l'amendement déposé par la rapporteure en commission restreint l'intérêt de ce texte.
Nous partageons les réserves sur les coûts que cela représenterait pour les collectivités territoriales, puisque 80 % des marchés publics ont été lancés par elles en 2023. Il s'agit bien d'un facteur limitant, car le recours à un prestataire souverain présentant de fortes garanties de sécurité risque d'entraîner un surcoût pour ces acheteurs. Ainsi, pour un même prestataire, les tarifs des offres qualifiées SecNumCloud sont supérieurs de l'ordre de 25 % à 40 % à ceux des autres offres.
Cependant, les vols de données récents dans les systèmes de prise de rendez-vous pour des renouvellements de titres dans certaines mairies devraient nous alerter.
Je crains que les modifications de la commission s'apparentent à un pas de côté. L'obstacle reste devant nous et il faudra bien le franchir.
Pour autant, malgré nos réticences sur le manque d'efficacité de ce qui est désormais proposé, nous voterons pour ce texte, en espérant qu'il soit amélioré lors de la navette. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de Dany Wattebled, qui vise à garantir, pour la passation des marchés publics, la souveraineté numérique de la France et la confidentialité de nos données sensibles.
Avant d'aborder le fond de ce texte, je tiens à saluer l'initiative de notre collègue, qui met en œuvre une des recommandations de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités de la commande publique, dont il était le rapporteur.
Tout comme la loi sur le narcotrafic, également issue de travaux préalables du Sénat, cette proposition de loi fait visiblement consensus dans son principe. Le texte a été modifié par notre commission des lois dans un sens qui nous paraît opportun. Je tiens d'ailleurs à saluer les travaux de la rapporteure.
La souveraineté numérique et la confidentialité de nos données sensibles sont deux sujets d'une importance fondamentale pour la France et pour la protection de nos intérêts.
La commission d'enquête a découvert de fortes vulnérabilités concernant les données publiques hébergées par certains acteurs non européens, en raison de leur soumission à un cadre juridique extraterritorial.
En d'autres termes, lorsque l'administration ou les collectivités décident de faire appel, dans le cadre d'un marché public numérique, à certaines entreprises de cloud étrangères, les données risquent d'être transmises aux pays d'origine de ces fournisseurs.
Trois États concentrent principalement le risque : les États-Unis, l'Inde et la Chine. Ces pays ont en effet adopté des textes permettant à leurs services, pour des motifs de sécurité ou d'intérêt général, d'accéder aux données hébergées sur leur cloud, y compris lorsqu'elles concernent des administrations ou des citoyens étrangers.
Ainsi, en vertu de la législation américaine, notamment le Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa) et le Cloud Act, les États-Unis peuvent contraindre un fournisseur de cloud à transmettre des données sur des citoyens étrangers, même si les serveurs ne sont pas hébergés aux États-Unis. Des législations semblables existent aussi en Chine et en Inde.
On comprend bien le risque : en choisissant une solution étasunienne, chinoise ou indienne, nos administrations et nos collectivités peuvent, sans toujours en avoir pleinement conscience, rendre certaines de leurs données accessibles aux gouvernements de ces États.
Dans les faits, selon la Cour des comptes, et sans grande surprise, trois fournisseurs de cloud américains, à savoir Amazon, Microsoft et Google, captent 70 % des parts de marché en Europe. Les fournisseurs européens, eux, ont connu une diminution de leurs parts de marché, de 27 % en 2017 à 16 % en 2021.
Face à cette situation, la France a progressivement affirmé, avec la stratégie dite « cloud au centre », puis avec la loi Sren de mai 2024, un objectif de cloud souverain immunisé autant que possible contre les réglementations extraterritoriales.
Ainsi, l'article 31 de la loi Sren encadre l'hébergement des données présentant une sensibilité particulière pour l'État et ses opérateurs : celles-ci doivent être confiées à des prestataires offrant un niveau de sécurité élevé et une véritable protection contre l'accès d'autorités étrangères, une qualification spécifique étant délivrée par l'Anssi.
La proposition de loi que nous étudions aujourd'hui, telle que modifiée par la commission, vise précisément à étendre le dispositif de l'article 31 de la loi Sren aux grandes collectivités territoriales : régions, départements, communes de plus de 30 000 habitants et principales intercommunalités.
Grâce à une entrée en vigueur différée, les collectivités et les prestataires souverains disposeront du temps nécessaire pour adapter leurs contrats, leurs infrastructures et leurs pratiques.
Nous estimons donc que ce texte permettra effectivement de s'assurer que les données les plus sensibles des personnes publiques ne pourront plus être consultées ou exploitées par des États tiers, en particulier lorsqu'il ne s'agit pas, ou plus, de partenaires alignés avec nos intérêts.
Le groupe du RDSE, considérant notre autonomie stratégique comme fondamentale, votera naturellement ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes SER, GEST, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013, je rédigeais, au nom de la commission des affaires européennes, un rapport intitulé L'Union européenne, colonie du monde numérique ?
Treize ans plus tard, nos anticipations sont devenues une réalité – cela va même parfois au-delà de ce que nous imaginions ! Internet est devenu un terrain d'affrontement mondial pour la domination du monde par l'économie et la connaissance, un théâtre de cyberattaques en tout genre, toujours plus nombreuses. Les données, nouvel « or noir » du numérique, constituent désormais un actif stratégique majeur. Leur maîtrise est vitale pour notre autonomie et pour le devenir de nos économies et de nos démocraties.
Pourtant, pour leur hébergement et leur traitement, en dépit de nos préconisations d'alors, nous continuons à recourir à des acteurs extra-européens aux comportements prédateurs et aux profits insensés.
Trois grands acteurs américains détiennent ainsi près de 70 % du marché de l'informatique en nuage en Europe, et ce alors même que la loi américaine sur la surveillance permet toujours à l'État fédéral de recueillir, auprès de leurs directions des systèmes d'information, les données des Européens, qu'elles soient personnelles ou publiques, sensibles ou non, sans leur consentement, ni même qu'ils en soient avertis.
La raison invoquée est toujours la même : nous n'aurions pas d'entreprise capable. Pourtant, elles existent bel et bien, elles sont d'ailleurs présentes chaque année au Forum InCyber de Lille, à Vivatech ou aux universités d'Hexatrust – vous le savez aussi, madame la ministre, puisque nous nous sommes déjà croisés lors de ces rendez-vous. (Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique acquiesce.)
Les entreprises françaises y sont nombreuses, ce qui témoigne de la vitalité de l'innovation dans notre pays et de l'excellence de nos écoles d'ingénieurs.
Dans le cadre de notre commission d'enquête sur la commande publique, présidée par Simon Uzenat, nous avons auditionné les représentants de ces entreprises avec le rapporteur Dany Wattebled, auteur de la présente proposition de loi. Ils nous ont tous dit, ou presque, à quel point il était difficile, voire impossible, d'accéder à la commande publique, car tout était verrouillé, alors qu'elles avaient besoin de ce levier pour se développer, consolider la filière et assurer par là même notre souveraineté, ou à tout le moins une progressive autonomie.
En attendant, en l'absence de pilotage stratégique au plus haut niveau de l'État ces dernières années, la Dinum n'en a longtemps fait qu'à sa guise. Nous nous sommes souvent interrogés sur le recours par différents ministères à des solutions extra-européennes.
Le plus grand scandale, dont vous m'avez souvent entendu parler, est d'avoir confié à Microsoft, sans appel d'offres spécifique, la plateforme des données de santé des Français. J'ai interrogé le Gouvernement le 16 juillet 2020 sur ce choix aberrant, au moment même, ironie du calendrier, où la Cour de justice de l'Union européenne invalidait pour la deuxième fois l'accord de transfert des données des Européens vers les États-Unis.
Rapport après rapport, au nom de mon groupe Union Centriste ou de la commission des affaires européennes du Sénat, seule ou avec plusieurs collègues, je n'ai cessé de plaider pour l'urgence d'une stratégie globale et offensive assurant notre souveraineté, ainsi que pour une régulation assortie d'une politique industrielle volontariste passant par la commande publique.
En effet, la reprise en main de notre destin numérique passe par ce qu'ont su faire les Américains et les Chinois avec leurs entreprises domestiques : utiliser la commande publique dans ce secteur comme levier de développement des entreprises françaises et européennes. La commande publique représente quand même 2 000 milliards d'euros par an !
Il n'est donc que temps de nous doter d'un Small Business Act et d'un Buy European Act – pardonnez-moi pour les anglicismes – pour dynamiser la compétitivité de l'informatique en nuage et pour assumer le choix de nos propres systèmes d'intelligence artificielle, qui façonnent déjà notre monde. Je martèle cela depuis quinze ans !
À la suite du rapport Draghi et compte tenu de la nouvelle donne géopolitique mondiale, les yeux des représentants de l'Union européenne se dessillent un peu, et la Commission européenne a enfin inscrit à son programme de travail pour 2026 la révision des directives sur les marchés publics, adoptées en 2014. Il ne faut plus attendre pour agir.
Cette proposition de loi, issue des constats de notre commission d'enquête, est donc très utile. Elle s'inscrit dans le prolongement d'une réflexion que j'avais menée en tant que présidente de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique. Avec le rapporteur, Patrick Chaize, nous avions œuvré pour que l'article 31 de ce texte prévoie une obligation pour les administrations d'État et les opérateurs associés de confier l'hébergement et le traitement de leurs données sensibles ou définies comme telles exclusivement à des acteurs français et européens.
Madame la ministre, vous le savez très bien, puisque nous avons travaillé ensemble dans le cadre de la navette parlementaire pour donner à ce texte une véritable portée. (Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique acquiesce.)
En somme, la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui conforte cet article 31. Notre rapporteure Olivia Richard, s'inspirant d'autres travaux réalisés ces derniers temps au Sénat, notamment sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, a proposé d'élargir son périmètre aux données sensibles ou stratégiques des collectivités territoriales.
Bien entendu, cela concernera les collectivités de plus de 30 000 habitants, seuil retenu dans le projet de loi que je viens de citer pour l'ensemble des dispositifs de protection contre les cyberattaques et harmonisé au niveau européen.
Se prémunir des cyberattaques, c'est non seulement protéger nos infrastructures physiques, mais également nos systèmes d'information et nos logiciels de traitement de données ; c'est aussi sensibiliser les élus à ce sujet et accroître la cybermaturité et la cyberrésilience des Français.
Comme nous l'avons préconisé à l'occasion de l'examen du projet de loi Résilience, qui vise notamment à transposer la directive NIS 2, il faut laisser du temps aux différentes entités, dont les collectivités et les entreprises, pour s'organiser.
La protection de nos données stratégiques et les gains en autonomie sont désormais un impératif. Pour autant, nous devons respecter les exigences européennes et les impératifs opérationnels des acheteurs publics.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte, proposé par notre collègue Dany Wattebled à partir d'une recommandation de la commission d'enquête sur la commande publique et modifié par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il arrive toujours un moment où un pays doit regarder en face les vulnérabilités qui fragilisent sa souveraineté et choisir d'y remédier. C'est tout l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui : affirmer que la maîtrise de nos infrastructures numériques critiques n'est plus une option, que c'est une condition essentielle de notre indépendance.
Les travaux de la commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique, constituée sur l'initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ont mis en lumière une réalité qui ne peut plus être ignorée : en Europe, l'immense majorité du stockage en nuage repose sur quelques acteurs, qui peuvent se trouver contraints, par application extraterritoriale de lois étrangères, de remettre à d'autres puissances nos données, qui sont souvent exploitées à des fins d'intelligence économique.
Autrement dit, même si nos administrations font héberger leurs données au sein de l'Union européenne, y compris sous le label SecNumCloud, celles-ci ne sont pas pleinement à l'abri. Qui pourrait considérer cette situation comme acceptable pour nos données les plus critiques ? La protection de ces dernières est un impératif démocratique.
Nous connaissons le contexte : multiplication des cyberattaques, durcissement des tensions internationales, extension de l'extraterritorialité des lois, guerre cognitive… La donnée publique est un actif à haute valeur ajoutée et un enjeu stratégique majeur, de surcroît dual par nature et cible privilégiée des acteurs malveillants.
Certes, la loi Sren et la doctrine « cloud au centre » ont posé les premiers jalons essentiels, mais elles ne couvrent pas l'ensemble des situations et restent imparfaitement appliquées, faute de décrets d'application, dont certains sont attendus depuis plus d'un an. Ce sont ces zones grises que notre proposition de loi entend couvrir.
Ainsi, pour les marchés touchant à l'hébergement ou au traitement de données sensibles, les prestataires garantiront un hébergement intracommunautaire et, cumulativement, une protection contre toute application de normes extraterritoriales étrangères. Il ne s'agit pas du tout d'ériger des barrières injustifiées. Au contraire, la mesure est proportionnée, limitée, et elle tient compte de la diversité de nos collectivités. Les plus petites communes ne seront pas concernées.
Un calendrier progressif, réaliste, prévoit une application en 2028, voire en 2027, si l'amendement n° 1 rectifié ter de notre collègue Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi, est adopté. C'est un compromis qui nous semble équilibré, car il laisse au marché le temps de se mettre à niveau et de se structurer.
Le texte est donc à la fois réaliste dans son ambition et fidèle à l'esprit d'une souveraineté qui ne se décrète pas, mais se construit technologiquement, avec nos ingénieurs et nos industriels européens.
En fixant des règles claires, nous consolidons un écosystème émergent, dont dépendra demain notre capacité à ne plus subir les diktats technologiques des autres sur nos fondamentaux.
L'absence de cloud souverain européen a constitué une erreur stratégique – nous sommes tous d'accord sur ce point –, mais, désormais, nous ne sommes plus dupes et nous ne raterons pas le second train. La construction d'un EuroStack de bout en bout est une impérieuse nécessité pour l'Europe.
La marge de progression de l'adoption du cloud dans nos administrations est une opportunité pour structurer une offre cohérente, concurrentielle et de confiance, afin de protéger véritablement ce capital informationnel quand il est sensible et de l'activer pour le bien de tous quand il est dormant. La souveraineté numérique n'est pas une nébuleuse insaisissable ; elle est justement à construire dans le nuage.
L'État privilégie déjà, pour une large part, des solutions européennes. Amplifions cet élan, saisissons l'occasion de faire de la commande publique un véritable levier stratégique au service tant de nos entreprises que de notre souveraineté. Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, la commissaire aux finances que je suis estime également que c'est un gage de meilleure gestion de nos deniers publics, dans une approche plus circulaire de la dépense publique.
Cette proposition de loi n'est donc qu'un début. Pour aller plus loin, nous devrons intégrer cette dimension dans les critères de notation des offres et encadrer les dérogations.
Mes chers collègues, voter ce texte, c'est adresser trois messages clairs : à nos concitoyens, nous disons que leurs données publiques sensibles seront protégées avec le même sérieux que leurs libertés ; à nos partenaires européens, nous montrons que la France choisit d'assumer son rôle moteur aux côtés de l'Allemagne dans la construction d'une autonomie numérique commune ; aux entreprises européennes, nous signalons que leurs efforts pour développer des solutions fiables et sécurisées seront soutenus durablement.
Pour une Europe numérique plus forte, ainsi que cela a été dessiné lors du sommet de Berlin, où vous étiez, madame la ministre, monsieur le ministre, pour une France qui maîtrise son destin technologique et pour une démocratie qui protège son bien le plus précieux – sa liberté chérie –, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés à un moment important, à la suite des travaux de notre commission d'enquête, dont je salue très chaleureusement le rapporteur, Dany Wattebled. Cette démarche est profondément transpartisane, ce que toutes les prises de parole d'aujourd'hui illustrent à merveille.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour dire stop à notre impuissance devant les législations extraterritoriales, stop à notre inertie devant notre décrochage, dont nos incohérences au plus haut niveau de l'État depuis plusieurs années ont été la cause – vous n'en portez pas la responsabilité, madame la ministre, monsieur le ministre.
Cela a été dit, les menaces des législations extraterritoriales étaient identifiées par le Gouvernement dès 2021 ; malheureusement, les actes n'ont pas suivi.
Notre souveraineté en matière de numérique et de données est évidemment un enjeu économique, pour l'emploi et l'innovation, mais c'est aussi un enjeu démocratique. De ce point de vue, la réélection de Donald Trump a été un électrochoc salutaire : le temps n'est plus aux prétextes, il est aux solutions.
Or des solutions, nous en avons. Ce texte de compromis en fait partie, madame la rapporteure, et nous le soutiendrons, mais nous ne devons pas perdre de vue l'horizon.
Cet horizon, c'est que, par nature, toutes les données publiques sont sensibles. Sans doute, leur degré de sensibilité peut varier, mais, entre le développement de l'intelligence artificielle, en particulier générative, et l'importance prise par le pilotage par la donnée – au sein de l'État, des collectivités et des hôpitaux, mais aussi des entreprises –, toutes les données sont sensibles, nous devons intégrer ce fait.
Au sein de la commission d'enquête, nous avions proposé une hiérarchisation : au minimum, l'objectif est de garantir l'immunité des données aux législations extraterritoriales et, pour les données les plus sensibles, recourir aux solutions SecNumCloud.
Nous avançons sur ce chemin, nous franchissons cet après-midi un cap, mais nous devrons aller plus loin.
Du reste, nous le répétons, les opérateurs économiques français et européens sont prêts, ils n'attendent que cela, n'espèrent que des marchés, avec des montants à la hauteur des enjeux, et de la visibilité dans le temps.
Reprenons l'exemple d'AWS : l'expansion de cette entreprise est très largement due au fait qu'elle a décroché l'appel d'offres de la CIA (Central Intelligence Agency), pour un montant de plus de 600 millions de dollars.
Or, du point de vue tant du coût que de la sécurité, les opérateurs français et européens sont au rendez-vous, ils sont compétitifs, l'exemple de la gendarmerie, dans notre pays, l'illustre parfaitement.
En matière de formation et de conseil, nous devons également être au rendez-vous ; les services de l'État et les centrales d'achat doivent accompagner nos collectivités locales.
C'est vrai, nous attendons avec impatience la révision des directives sur les marchés publics, nous avons envoyé des messages très clairs en faveur de l'instauration d'un principe général de préférence européenne.
Nous soutenons l'étape que représente l'adoption de ce texte, mais ce n'est qu'une étape et nous ne devons pas perdre de vue l'objectif. Nous ne devons plus perdre de temps, tant notre souveraineté économique est la condition de notre souveraineté démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, RDPI, INDEP et RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à l'examen du texte de la commission.
proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques
Article unique
I. – (Supprimé)
II (nouveau). – Après l'article 31 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, il est inséré un article 31-1 ainsi rédigé :
« Art. 31-1. – I. – Le I de l'article 31 est applicable aux régions, aux départements, aux communes dont la population est supérieure à 30 000 habitants, aux communautés urbaines, aux communautés d'agglomération ainsi qu'aux métropoles.
« II. – Lorsque, à la date d'entrée en vigueur du présent article, une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale mentionnés au I a déjà engagé un projet nécessitant le recours à un service d'informatique en nuage ou qu'il justifie de difficultés techniques ou d'un risque de surcoût important, cette collectivité territoriale ou cet établissement public de coopération intercommunale peut déroger au même I. »
III (nouveau). – Le II entre en vigueur le 1er janvier 2028.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mme O. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Au premier alinéa du I de l'article 27 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, la seconde occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot : « à ».
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Olivia Richard, rapporteure. Il s'agit d'un amendement de coordination avec l'article 27 de la loi Sren, qui définit la notion de service informatique en nuage.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée. Je comprends bien, madame la rapporteure, votre objectif, qui consiste à harmoniser deux définitions.
Toutefois, il convient d'avoir à l'esprit que la définition figurant à l'article 31 de la loi Sren est opérationnelle pour l'Anssi dans le cadre du label SecNumCloud.
Il est par conséquent souhaitable de maintenir la distinction entre les définitions, car l'harmonisation que vous proposez aurait des effets de bord considérables non seulement pour l'Anssi, mais encore pour la sécurité juridique de la filière du cloud.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement et, à défaut, émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame la rapporteure, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
Mme Olivia Richard, rapporteure. Non, je remercie Mme la ministre de ses explications et je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 3 est retiré.
L'amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Wattebled et Uzenat, Mme Lermytte, MM. Chasseing, Chevalier, Grand et Brault, Mme L. Darcos, M. Capus, Mmes Paoli-Gagin, Bourcier, Muller-Bronn et N. Delattre, M. Reynaud, Mmes Antoine et Saint-Pé, M. Daubresse et Mmes Aeschlimann, F. Gerbaud et Josende, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
vigueur
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
un an après la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Le présent amendement vise à fixer l'entrée en vigueur du texte à un an après sa promulgation.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Olivia Richard, rapporteure. Je remercie l'auteur de la proposition de loi pour cette proposition de compromis, qui permet d'aboutir judicieusement à une rédaction tenant compte de la navette parlementaire et de ses aléas.
Pour couper court à toute incertitude, il propose une date d'entrée en vigueur « glissante », si j'ose dire, ce que je trouve tout à fait pertinent.
L'avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Nous progressons, au cours de notre discussion, sur les modalités de mise en œuvre du dispositif proposé.
L'un de nos débats porte sur la pertinence d'une date d'entrée en vigueur « glissante », comme l'a dit Mme la rapporteure.
Cette solution a certes ses avantages, mais elle présente aussi des inconvénients, car cela crée une forme d'incertitude pour les collectivités concernées, qui devront engager des travaux lourds techniquement, puisqu'il s'agit d'identifier les données sensibles, de disposer de l'architecture informatique adéquate et de prévoir, le cas échéant, une migration.
Le délai d'un an proposé suffira-t-il pour toutes les collectivités ? J'ai un doute à ce sujet, d'où mon avis défavorable sur cet amendement. Néanmoins, nous pourrons continuer d'y travailler dans le cadre de la navette.
Puisqu'il s'agit du dernier amendement sur cette proposition de loi, je tiens à conclure en vous remerciant de nouveau pour ce texte, monsieur le sénateur. Les différentes prises de parole en discussion générale l'ont montré, la volonté de sécuriser les données sensibles hébergées par les collectivités locales est transpartisane et il y a une volonté commune – cet amendement le montre aussi – d'identifier la meilleure manière de mettre techniquement ce dispositif en place, en tenant compte des différents niveaux de maturité des collectivités.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Je veux répondre au ministre en trois points.
Premièrement, nous ne ciblons dans ce texte que les régions, les départements, les communes de plus de 30 000 habitants et les grandes intercommunalités, des collectivités qui sont équipées techniquement pour répondre à la contrainte. Soyons quand même conscients que c'est l'État qui est le plus fautif. Par conséquent, l'argument que vous invoquez – la mise en danger des petites collectivités – n'est pas valable.
Deuxièmement, si nous devons procéder comme nous l'avons fait avec la loi Sren, nous attendrons jusqu'en 2030 ou 2035… Le temps que les décrets d'application soient publiés ! C'est un véritable souci.
Troisièmement, enfin, il faut se hâter, car nous sommes en guerre économique et commerciale. Chaque jour compte et chaque jour perdu représente un coût, au détriment de nos entreprises, de nos PME et de nos start-up. L'État en fait des tonnes avec la « start-up nation », mais c'est justement en donnant des contrats à ces entreprises, via le marché et non des subventions, qu'on les soutiendra.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. Je soutiens pleinement cet amendement de Dany Wattebled. Nous n'avons plus le temps d'attendre !
Catherine Morin-Desailly l'a dit, en France, mais c'est également vrai à l'échelle de l'Union européenne, nous passons notre temps à déplorer les effets dont nous chérissons les causes, c'est incroyable !
En outre, les opérateurs économiques nous l'ont indiqué avec force : ils sont prêts. D'ailleurs, si nous avions joué le jeu des marchés publics depuis des années, ils seraient aujourd'hui encore plus forts et feraient figure de solutions évidentes.
Le problème, madame la ministre, monsieur le ministre – je le répète, vous n'en êtes pas responsables, puisque vous n'êtes pas là depuis assez longtemps –, c'est que, si les acheteurs publics locaux voient les services de l'État continuer de recourir aux solutions américaines, sans mesurer l'effet des législations extraterritoriales, on ne peut pas s'étonner qu'ils fassent ensuite la même chose.
Je rappelle les propos du président-directeur général de l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), qui nous avait dit en audition : « On vend ce qu'on nous demande. » Évidemment ! Quand on a toujours fonctionné dans un environnement particulier – en l'occurrence, celui des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) –, on souhaite le conserver pour éviter les complications liées au changement.
Si, par-dessus le marché, les services de l'État continuent d'octroyer à ces acteurs une légitimité, en renouvelant leurs marchés avec eux, on maintient un système qui mène l'écosystème français et européen à sa perte.
Par conséquent, nous devons sonner le clairon, dans le respect des règles applicables – je remercie la rapporteure du travail qu'elle a accompli à cet égard –, afin d'indiquer qu'on n'a plus le temps d'attendre, qu'on doit réagir.
D'ailleurs, si les élus locaux disposent de toutes les informations – nous avons cherché à les informer lors des travaux de la commission d'enquête – et du soutien de l'État et des centrales d'achat, ils seront tous prêts à engager le mouvement. Ensuite, nous verrons ce sillon très profond atteindre, je l'espère, Bruxelles, afin que le principe général de préférence européenne devienne la règle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ne vous inquiétez pas, monsieur le ministre, les délais ne seront pas trop courts, car, on a beau dire, la navette parlementaire prend du temps.
En outre, il faut également considérer que, malgré tout, la situation évolue à Bruxelles aussi. La commission des affaires européennes a entendu le commissaire européen Stéphane Séjourné voilà quelques semaines et le président de l'Autorité de la concurrence, Benoît Cœuré, la semaine dernière et l'on observe une véritable accélération dans la volonté de réviser la directive sur les marchés publics. Il faut donc être en phase avec tout ce qui a été acté en amont ou en parallèle de la loi Sren.
En outre, il y a eu un mouvement en faveur de la réduction des délais de résiliation des solutions extra-européennes, car Google ou Microsoft Azure obligeaient contractuellement leurs clients à s'engager pour des durées longues – trois ans, cinq ans –, de sorte qu'il était compliqué d'en sortir, en raison de frais élevés. Tout cela a été revu et corrigé, la possibilité de renouvellement est devenue plus rapide.
Il faut donc être pragmatique. Or M. Uzenat, qui présidait la commission d'enquête sur la commande publique, l'a bien dit, il y a urgence à migrer vers les solutions les plus autonomes possible. Nos collectivités ont aussi des données sensibles.
Par conséquent, monsieur le ministre, d'ici à la promulgation du texte, chacun aura eu le temps de s'acculturer et de se préparer.
Je voterai donc l'amendement de bon sens de l'auteur de la proposition de loi, auquel la commission des lois est favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié ter.
(L'amendement est adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble du projet de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques.
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Je souhaite simplement remercier Mme la rapporteure ainsi que l'ensemble des collègues de la commission des lois.
Nous avons eu sur ce texte des échanges de qualité et nous sommes parvenus à un résultat assez exceptionnel : un texte consensuel qui contribuera à notre souveraineté numérique et à l'activité de nos start-up et de nos entreprises. C'est le plus important. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante,
est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
La parole est à M. le Premier ministre. (Mme Solanges Nadille applaudit.)
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de me présenter devant vous accompagné de neuf membres du Gouvernement mobilisés pour lutter contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
Ce fléau constitue un véritable défi de société. Il concerne l'ensemble des services de l'État et, plus largement, il touche tous les Français : États, collectivités, entreprises et citoyens, nous sommes tous concernés et nous devons tous mener ce combat collectif.
Ce débat devant la représentation nationale doit nous permettre d'interroger les actions qui ont été menées, ce qui a été réussi et ce qu'il reste encore à faire.
Nous le devons à nos concitoyens victimes du narcotrafic ainsi qu'à leurs familles qui vivent dans la peur. L'assassinat de Mehdi Kessaci, il y a quelques semaines, nous l'a rappelé brutalement et durement.
Ce débat est aussi l'occasion d'envoyer un message aux réseaux criminels qui organisent le narcotrafic : on ne les lâchera pas, on les traquera.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le phénomène du narcotrafic n'est pas nouveau, mais il a considérablement muté. La consommation explose : 3,7 millions de Français ont déjà consommé de la cocaïne. Son marché a dépassé en valeur celui du cannabis, avec pourtant 900 000 consommateurs quotidiens, sans oublier la forte hausse des drogues de synthèse, de plus en plus consommées par nos jeunes.
Le trafic de drogue est estimé à 6,8 milliards d'euros en 2025, soit trois fois plus qu'en 2010, et touche désormais l'ensemble du territoire, des plus petites communes rurales jusqu'aux territoires ultramarins, en passant par les centres urbains. Il menace la tranquillité publique et met en péril notre santé publique, en particulier celle des jeunes, exposés à une consommation toujours plus importante et à un âge toujours plus précoce.
Le narcotrafic est de plus en plus connecté à des filières et à des réseaux criminels internationaux, obligeant nos services à s'adapter en permanence à ces nouvelles routes de la drogue. Au sein de ces réseaux, il mobilise des trafiquants de plus en plus jeunes auxquels on demande de mener des actions de plus en plus violentes.
La lutte contre le narcotrafic est une guerre de mouvement. Les réseaux contre lesquels nous luttons évoluent et adaptent leurs modes d'action en permanence. Nous devons, nous aussi, nous adapter pour les combattre.
Ma conviction est qu'il faut une rupture. Cette rupture ne peut prendre que deux formes : soit la dépénalisation, soit la mobilisation générale. Le Gouvernement opte, évidemment, pour la seconde solution et vous propose la mobilisation générale.
Combattre différemment, c'est ne plus tolérer la drogue dans la société. Pour cela, il faut envoyer un message très fort, un message politique. Le vote qui suivra ce débat en constitue l'occasion.
Ne plus tolérer la drogue, c'est d'abord le dire. Tel est le sens de la politique de prévention portée par le Gouvernement : dire à nos concitoyens, dès le plus jeune âge, que la drogue n'est pas tolérable, car elle est dangereuse. Il faut une prise de conscience, car s'il y a moins de demandes, il y aura moins d'offres. Il est toujours utile de rappeler cette évidence : il y a des trafiquants, car il y a des consommateurs ; il y a une offre, car il y a une demande.
En matière de répression, nous devons combattre le narcotrafic avec le même niveau d'engagement et de détermination que celui avec lequel nous luttons contre le terrorisme, quitte à nous inspirer de son cadre juridique – nous y reviendrons.
Cette mobilisation est un combat avant tout politique, mais il doit aussi être culturel, sanitaire, éducatif, diplomatique et, en fin de chaîne, répressif. Il doit concerner l'ensemble des services de l'État, mais plus largement toute la société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce combat, vous avez déjà agi avec l'adoption de la loi du 13 juin dernier. Cette loi est inédite dans notre histoire par les moyens nouveaux qu'elle octroie. Si beaucoup de mesures sont d'application immédiate, je vous confirme qu'une vingtaine de textes réglementaires seront pris dès les prochaines semaines pour que cette loi s'applique en totalité et conformément au calendrier qui avait été fixé.
Toutefois, les réseaux criminels du narcotrafic ne cessent de se transformer. C'est une guerre de mouvement, vous disais-je. C'est pourquoi le Gouvernement présentera au premier semestre 2026 des mesures législatives pour adapter encore notre arsenal à cette menace, avec notamment l'alignement des réductions de peine et du régime de la libération conditionnelle des narcotrafiquants sur celui des terroristes. Le garde des sceaux, ministre de la justice, abordera ce point.
Ce combat politique a aussi son volet budgétaire. Il faut y mettre des moyens. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit le renfort de 700 enquêteurs supplémentaires dans la police judiciaire. Par ailleurs, plus de 850 agents seront recrutés dans l'administration pénitentiaire, lorsque le budget sera adopté.
Ce combat politique est enfin à mener pour responsabiliser les consommateurs. Comme le chef de l'État l'a annoncé hier, le Gouvernement prévoit de durcir les sanctions à l'encontre de ceux qui consomment. Le ministre de l'intérieur détaillera cette proposition.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le narcotrafic est un combat sociétal. Le combat ne peut pas être uniquement régalien : il exige également de la part du Gouvernement des réponses sociales et éducatives devant obéir à une logique de prévention efficace.
Cet enjeu est central, en particulier pour protéger les plus jeunes. Le combat contre le narcotrafic doit être mené autour des établissements scolaires, en lien avec les collectivités locales, les élus locaux et les polices municipales. Actuellement, la moyenne d'âge des trafiquants mis en cause est de 21 ans ! Il faut casser cette spirale qui aspire trop de nos jeunes dans la toxicomanie et la délinquance. L'éducation nationale sera donc particulièrement mobilisée sur ce sujet. Le ministre vous exposera les dispositifs prévus.
Le combat doit être aussi sanitaire. La ministre de la santé reviendra sur l'ensemble des dispositifs envisagés dès l'année prochaine, en particulier pour la santé mentale des personnes qui consomment des drogues. La santé des jeunes générations est trop importante pour l'avenir de la nation et appelle dès aujourd'hui une action résolue.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le combat contre le narcotrafic est aussi un combat économique. Il doit être mené dans le monde du travail, où le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros. Il est source d'arrêts et d'accidents du travail, ainsi que de pertes de productivité pour les entreprises. Le ministre du travail et des solidarités défendra, lui aussi, des mesures législatives qu'il déclinera dans le futur texte.
Le combat que mènera le Gouvernement est également un combat financier. La lutte contre le blanchiment doit être une priorité. Nous proposerons la création d'une procédure administrative de saisie des biens somptuaires sur le modèle de la lutte antiterroriste. La ministre de l'action et des comptes publics est mobilisée sur ce volet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lutter contre le narcotrafic est un combat diplomatique. Face à des réseaux internationaux, agir seul serait absolument inefficace. Nous devons a minima agir entre pays européens pour avoir des résultats, en harmonisant nos règles à vingt-sept pour réprimer de façon efficace et uniforme les trafics, mais aussi en coordonnant mieux nos services d'enquête, en protégeant mieux nos frontières, en particulier nos ports et nos aéroports. C'est la mission que porte le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Mieux protéger nos frontières, c'est aussi être capable d'intercepter les bateaux qui transitent dans nos eaux territoriales sur les routes de la drogue. La marine nationale a déjà saisi 83 tonnes de drogue en 2025, en particulier dans nos outre-mer – c'est un record. Ses moyens seront aussi renforcés pour poursuivre ce combat. La ministre déléguée auprès de la ministre des armées et la ministre des outre-mer y reviendront.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le combat doit engager l'ensemble de la société française. C'est pourquoi j'appelle le Parlement à envoyer un message très clair de mobilisation à travers son vote.
Puisque le narcotrafic et la criminalité organisée touchent l'ensemble de la société, la réponse doit venir de l'ensemble des acteurs, publics comme privés. Les collectivités, les entreprises et les associations ont un rôle à jouer.
Mais il y a aussi le rôle des parents. L'éducation nationale ne peut pas tout. Nous comptons aussi sur leur responsabilité pour protéger leurs enfants.
Enfin, les consommateurs doivent être responsabilisés et aidés pour renoncer à la drogue. L'État les accompagnera et les soutiendra.
Ce qui serait dramatique pour l'avenir de la nation, c'est de ne rien faire. Que le débat ait lieu, qu'il soit suivi d'un vote et que ce vote soit lui-même suivi d'actions ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a moins d'un an, comme le rappelait à l'instant M. le Premier ministre, vous adoptiez à une très grande majorité sur les travées de cet hémicycle la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Les propositions de loi transpartisanes se font assez rares dans le champ régalien pour que cette adoption mérite d'être soulignée !
Dans le cadre d'une discussion très respectueuse et constructive, la représentation nationale avait clairement signifié que la lutte contre le narcotrafic ne relevait plus d'un clivage entre la gauche et la droite, mais était une question de vie ou de mort.
Le diagnostic est posé avec une grande transparence et beaucoup d'objectivité. Nul ne peut contester ni ignorer dans cette assemblée que, pour la seule année dernière, nous avons connu 367 homicides ou tentatives d'homicide entre délinquants, le plus souvent sur fond de trafic de stupéfiants : 110 personnes ont été tuées et 341 ont été blessées.
Dans le même temps, nous observons une explosion des saisies de cocaïne – cela vient d'être rappelé – et de drogues de synthèse. Le nombre de points de deal a baissé de manière significative dans notre pays : il convient de nous en réjouir et de féliciter les forces de sécurité intérieure.
Le nombre de personnes mises en cause a ainsi augmenté de 7 % en 2024 par rapport à 2023, tendance qui se poursuit en 2025 à un rythme extrêmement soutenu. Sur les 500 000 amendes forfaitaires délictuelles verbalisées, 40 % concernent l'usage de stupéfiants.
Ce constat nous oblige. Il traduit la mobilisation constante des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, en matière de renseignement, ainsi qu'en police judiciaire et administrative, pour démanteler les trafics.
Face au narcotrafic, l'État se mobilise résolument depuis désormais une décennie.
Certaines de mes responsabilités passées m'amènent à rappeler qu'en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, le gouvernement alors en fonction avait expérimenté à Marseille une méthode particulièrement innovante d'échanges accélérés de renseignements pour lutter contre les trafics. C'est dans ce cadre qu'ont été créées les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), aujourd'hui généralisées à l'ensemble du territoire national. Cette dynamique a pris naissance, dès 2015, à Marseille.
En 2018, a été créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast), dans une logique qui a toujours été celle du Président de la République depuis 2017 : décloisonner les services afin qu'ils travaillent mieux ensemble et obtiennent des résultats. À cette époque, l'Ofast avait donc été désigné comme chef de file de la lutte contre les stupéfiants.
Se sont ensuite succédé les stratégies de pilonnage des points de deal, visant à démanteler les réseaux là où le trafic minait le plus le quotidien de nos concitoyens. Puis ont été conduites les opérations « place nette », engagées par Gérald Darmanin, et les opérations « ville à sécurité renforcée », instaurées par Bruno Retailleau.
L'ensemble de ces dispositifs sont encore mis en œuvre et le Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, s'attache à les faire vivre, sans inventer de stratégie nouvelle ni donner un nouveau coup de menton. Il s'agit simplement pour nous d'avancer et d'obtenir des résultats. Il n'y a aucune rupture dans l'action de ce gouvernement, mais il existe, au contraire, une volonté d'intensifier notre action.
À cet égard, le Premier ministre et le Président de la République l'ont annoncé : une action résolue sera engagée à l'encontre des consommateurs. La consommation de drogue alimente le trafic : cette évidence impose une réponse extrêmement sévère et répressive à l'égard des consommateurs.
L'amende forfaitaire délictuelle a démontré son efficacité, avec un taux de recouvrement proche de 56 %. Le Gouvernement proposera de la porter de 200 à 500 euros et d'en améliorer le recouvrement, notamment par le recours aux moyens de la direction générale des finances publiques. Nous pourrons également utiliser les dispositifs actuellement ouverts aux agents de contrôle des transports, qui peuvent bénéficier de droits de communication auprès des impôts ou des services sociaux pour obtenir des adresses postales qui nous permettront d'améliorer le taux de recouvrement.
L'augmentation de l'amende forfaitaire délictuelle en matière d'action sur les consommateurs n'épuise pas les projets du Gouvernement. Nous menons notamment une réflexion sur les permis de conduire et sur les actions qui pourraient être menées en la matière, en termes de police administrative, à l'encontre de ceux qui consomment en permanence des stupéfiants.
Le dernier volet du dispositif est celui qui a été adopté en juin 2025. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est pleinement opérationnelle. Ainsi, l'état-major interministériel de lutte contre la criminalité organisée (Emco), installé à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) et inauguré en mai dernier par le Président de la République, réunit quatorze services qui échangent ainsi en continu des informations relatives aux trafics de stupéfiants.
Par ailleurs, les outils que vous avez souhaité donner aux préfets en matière de police administrative fonctionnent également à plein régime, qu'il s'agisse des interdictions de paraître ou des injonctions adressées aux bailleurs afin d'engager des procédures d'expulsion de délinquants. À ce jour, plus de 1 500 interdictions de paraître ont été prononcées sur l'ensemble du territoire national, 166 injonctions ont été adressées aux bailleurs et 63 saisines du juge judiciaire ont été engagées en vue d'expulsions. L'interdiction de paraître constitue un instrument particulièrement efficace pour éloigner les trafiquants des quartiers gangrenés par les trafics.
J'y insiste, cette lutte contre le narcotrafic passe également par des moyens. Le projet de loi de finances pour 2026 – j'ai eu l'occasion de le souligner, lorsque le budget de mon ministère a été examiné – prévoit une augmentation importante des crédits alloués à la filière judiciaire, avec la création de 700 emplois, dont 300 spécifiquement fléchés vers la lutte contre la criminalité organisée. Ces effectifs, très attendus, constituent une avancée significative pour lutter contre le narcotrafic.
Voilà ce que je voulais vous dire en propos préliminaire. Je serai prêt, évidemment, à répondre tout à l'heure à l'ensemble de vos questions. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à dire, après M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur, le plaisir qui est le mien d'évoquer la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, texte issu du Sénat.
Je remercie tout particulièrement Étienne Blanc, qui en fut l'un des principaux instigateurs, à la suite de la mission qu'il a conduite avec Jérôme Durain, que je salue également. J'ai une pensée pour François-Noël Buffet, qui nous a accompagnés dans l'élaboration de ce texte, largement amendé à la fois grâce au travail des parlementaires et à celui du Gouvernement.
Le premier point que je souhaite aborder concerne le régime carcéral instauré par la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
En quatre mois, un nouveau régime pénitentiaire a été mis en place, validé par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel. Les soixante-six recours engagés contre l'État ont échoué.
Ce régime a permis l'ouverture de deux prisons de haute sécurité, à Vendin-le-Vieil et à Condé-sur-Sarthe, afin d'y placer, dans des conditions respectueuses des droits de l'homme et de l'État de droit, mais proportionnées à leur dangerosité – comme en atteste notamment la terrible affaire Amra –, des personnes impliquées dans la criminalité organisée. Ces personnes se trouvent désormais coupées non seulement des flux financiers considérables dont elles disposaient, mais également de leurs réseaux corruptifs et structures criminelles.
À cet égard, je souhaite souligner – et je sais pouvoir compter sur l'unanimité du Sénat – le courage des agents publics, singulièrement de ceux du ministère de la justice, qui subissent des menaces. Quinze magistrats se trouvent actuellement sous menace de mort ; plusieurs bénéficient d'une protection. Jusqu'à une période récente, de telles mesures concernaient exclusivement les magistrats antiterroristes. Elles s'appliquent désormais à des magistrats de Marseille, procureurs de la République ou juges d'instruction, mais également au procureur général de Douai, que je tiens à saluer ici, dont la tête a été mise à prix, il y a quinze jours, sur les réseaux sociaux, pour 200 000 euros, et qui vit aujourd'hui sous protection policière.
Tel est aussi le cas d'agents pénitentiaires. Je pense, à cet instant précis, à ceux qui ont été assassinés à Incarville, à leurs familles, à ceux qui ont été blessés, ainsi qu'à plusieurs agents pénitentiaires exposés à des risques majeurs. Je pense également au directeur de détention adjoint de la prison des Baumettes, qui vit encore sous protection policière, ainsi qu'aux greffiers, eux aussi confrontés à des menaces ou à des tentatives de corruption.
Ce régime carcéral, inspiré de l'article 41 bis de la loi pénitentiaire italienne, fonctionne désormais efficacement. Il nous permet de couper les liens criminels et d'écarter durablement les individus les plus dangereux, qui, depuis leurs cellules, continuaient à commander des assassinats, à diriger leurs trafics et à organiser le blanchiment d'argent.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne la création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Votre proposition de loi prévoyait initialement un parquet anti-stupéfiants. Je remercie les rapporteurs d'avoir accepté son élargissement à l'ensemble de la criminalité organisée.
En quatre mois, les décrets d'application ont été publiés. Une circulaire instituera des juges de l'application des peines spécialisés en matière de criminalité organisée et une circulaire pénale précisera les missions confiées à ce Pnaco. Le procureur national, une femme, a été désigné : Mme Vanessa Perrée, actuelle cheffe de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), prendra ses fonctions le 5 janvier prochain au tribunal de Paris, conformément à la volonté du législateur.
Ce parquet comptera, à son lancement, une trentaine de magistrats et permettra également de renforcer les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et les pôles infra-Jirs. Une centaine de magistrats supplémentaires par rapport aux annonces de mon prédécesseur, Éric Dupond-Moretti, sera affectée à la lutte contre la criminalité organisée, non seulement au sein du Pnaco, mais aussi au niveau des Jirs et des infra-Jirs.
Le troisième point que je veux souligner concerne l'importance de la dimension internationale. La criminalité organisée, comme l'a rappelé M. le Premier ministre, repose sur des ramifications internationales majeures, qu'il s'agisse du blanchiment des capitaux, de l'approvisionnement en drogue, des moyens de communication ou des laboratoires, qui relèvent désormais d'une véritable démarche criminelle en recherche et développement (R&D).
Des progrès restent nécessaires, mais les dernières avancées avec les Émirats arabes unis sont significatives. Depuis le 1er janvier, quatorze extraditions ont été obtenues, alors qu'elles étaient bloquées depuis plus de quatre ans et que nous n'avions obtenu aucune extradition.
Par ailleurs, les premières saisies et confiscations ont été réalisées par les autorités émiriennes il y a 48 heures : plus d'une trentaine d'appartements ont été saisis et confisqués à Dubaï dans un dossier marseillais impliquant un narcotrafiquant qui gérait, depuis sa prison, le blanchiment de son argent. C'est la première fois que les Émirats arabes unis collaborent avec nous à ce niveau. Quand on sait le rôle qu'a pu jouer Dubaï comme « paradis » pour les narcotrafiquants, c'est un très bon signe.
Cette coopération doit désormais s'étendre, conformément à la demande du Premier ministre et du Président de la République, au Maroc, à l'Algérie, à la Tunisie, ainsi qu'à certains pays d'Asie du Sud-Est, notamment la Thaïlande.
Je me tiens, avec M. le ministre de l'intérieur et l'ensemble des ministres présents, à la disposition des parlementaires pour répondre à leurs questions. Je remercie une nouvelle fois le Sénat de son soutien constant et unanime à la proposition de loi portée par MM. Durain et Blanc dans la lutte contre le narcotrafic. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les drogues sont un lent et invasif poison pour la santé des Français.
Parler de narcotrafic sans parler de prévention n'aurait pas de sens. Il ne peut en effet y avoir de légèreté quand 450 000 adultes ont consommé de la cocaïne dans l'année, quand 750 000 adultes ont consommé de l'ecstasy (MDMA) dans l'année, quand 5 millions d'adultes ont consommé du cannabis dans l'année !
En 2023, 14,6 % des adultes de 18 à 64 ans ont déjà consommé au moins une fois une drogue illicite autre que le cannabis, soit une hausse de 50 % par rapport à 2017.
Cette banalisation de la consommation a des conséquences concrètes pour notre système de santé. Les passages aux urgences ont explosé : ceux liés à la cocaïne ont été multipliés par trois depuis 2012.
La drogue a aussi des conséquences sur nos familles. Elle les enferme dans un engrenage fait de sentiments d'impuissance, de déni, de culpabilité silencieuse qui ronge peu à peu les liens. Ces réalités, sur le coût humain et sanitaire, doivent s'imprimer dans nos représentations.
C'est pourquoi le Gouvernement souhaite agir en mettant la prévention et l'accès aux soins au cœur de la bataille. J'insisterai sur quatre piliers.
Le premier pilier consiste à faire prendre conscience des risques. Chaque Français doit les connaître : le risque de perdre rapidement le contrôle ; les risques encourus par nos jeunes ; les risques pour la santé mentale, la consommation de cannabis, par exemple, multipliant par deux la survenue de psychoses ; les risques cardiovasculaires, les risques pour les fonctions cognitives.
Ces risques peuvent se manifester dès la première prise. Afin que chaque Français dispose de cette information, une grande campagne nationale de prévention sera déployée au premier trimestre 2026. Elle combinera marketing social et actions de terrain.
Le deuxième pilier est l'amélioration de l'offre. Consultations jeunes consommateurs (CJC), travail alternatif payé à la journée (Tapaj), centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), médecine de ville, hôpital : l'offre existe, mais manque de lisibilité et d'efficacité.
Une évaluation des parcours de prise en charge et de l'articulation ville-hôpital est en cours pour que nous puissions avancer. L'objectif est double : efficacité et lisibilité.
Le troisième pilier est la meilleure intégration des stupéfiants dans la prévention, surtout auprès des enfants et des adolescents. Je vous annonce que nous souhaitons généraliser le dispositif Unplugged. L'enjeu est d'armer les enfants et les adolescents pour dire non, pour gérer leurs émotions et pour mieux se connaître. Testé en France et en Europe, ce programme a démontré son efficacité pour réduire le risque de consommer des substances addictives.
Je veux ensuite transformer chaque contact avec un professionnel de santé en une opportunité d'avoir un impact direct sur le sujet. D'abord, en généralisant la question de l'usage des stupéfiants dans Mon Bilan Prévention. Ensuite, en adoptant la démarche Making Every Contact Count (Mecc) dans 100 établissements de santé prioritaires. Il s'agit concrètement d'utiliser chaque interaction pour interroger les patients sur leurs habitudes et opérer des changements vers des modes de vie favorables à la santé.
Je souhaite, en parallèle, que nous ouvrions la réflexion sur le développement de métiers de santé publique entièrement dédiés à la prévention et à l'« aller-vers ».
Le quatrième pilier est le renforcement de nos dispositifs de veille et d'alerte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les drogues touche au cœur de nos enjeux économiques, sécuritaires, démocratiques et, bien sûr, sanitaires.
Elle s'inscrit pleinement dans les priorités que je porte pour 2026 : protéger la santé de nos enfants, renforcer la santé mentale et garantir un meilleur accès aux soins. Vous pouvez compter sur mon engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des armées et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en complément de ce qui a déjà été dit, je voudrais ajouter que les décisions que vous avez prises au travers de la loi de programmation militaire commencent à produire des résultats.
Cette loi, sous l'autorité du Premier ministre, a porté une attention particulière à l'outre-mer, et nous en voyons les effets en matière de capacité de nos armées, singulièrement de notre marine, à lutter contre les différentes formes de trafic, notamment le narcotrafic.
Les résultats commencent à se manifester. Au mois d'août dernier, le troisième des six patrouilleurs outre-mer de nouvelle génération a été livré à La Réunion. Il porte, madame la ministre des outre-mer, le nom d'un Compagnon de la Libération né à Saint-Louis de La Réunion, ce qui n'est pas anodin. Il dispose d'une capacité de surveillance et d'un rayon d'action accrus, ce qui est évidemment essentiel.
Je confirme que tous les patrouilleurs seront livrés d'ici à 2027 et que nous renouvelons également nos moyens aériens. Un premier Falcon 50 a été livré à Tahiti en avril et a effectué sa première patrouille la semaine dernière dans la zone économique exclusive de Wallis-et-Futuna. S'y ajoutent les avions de surveillance et d'intervention maritime, avec une tranche optionnelle de cinq Albatros qui a été notifiée en septembre 2025, ce qui permettra à terme de disposer de douze avions au total, dont huit seront livrés d'ici à 2030.
Ces premiers résultats doivent être poursuivis dans le cadre de la programmation militaire, car cette stratégie fonctionne. La preuve en est que, depuis le début de l'année 2025, comme le Premier ministre l'a rappelé, plus de 83 tonnes ont été saisies, soit deux fois plus que l'année précédente.
Cela est évidemment lié à l'augmentation de la consommation et des flux de cocaïne vers l'Europe, mais aussi à la structuration de notre renseignement et à l'expertise de notre marine nationale – vous la connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs –, dont je salue le caractère dual dans l'action et l'amélioration permanente de son expérience en la matière.
Ayant rencontré récemment les forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), j'ai pu constater l'importance de leur action dans cette région.
Enfin, ces résultats sont aussi évidemment liés aux évolutions législatives, dont celle qui nous a permis, grâce à vous, de ne plus avoir à rapporter l'intégralité d'une cargaison de drogue saisie pour instruire la procédure judiciaire – un échantillon suffit désormais –, ce qui a renforcé les capacités opérationnelles de nos armées.
Cette évolution nous permet de continuer d'affaiblir les filières, d'augmenter le préjudice causé aux organisations criminelles et d'affirmer la souveraineté de la France sur ses espaces maritimes.
J'ajoute, pour ce qui concerne nos armées, que, en matière de coopération internationale, dans le cadre de ce qui a été fait dans le Pacifique Sud avec le South Pacific Defence Ministers' Meeting (SPDMM), de ce que nous devons développer davantage sur le plateau des Guyanes et de ce que nous faisons dans le sud de l'océan Indien, la France a une expertise particulière liée à la spécificité de sa puissance maritime et de l'action de l'État en mer.
Je pense que nous avons largement les moyens, fondés sur cette expérience, de développer un véritable leadership en matière de coopération sous-régionale et internationale. (MM. Ludovic Haye et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le monde du travail n'est pas épargné par le fléau de la drogue, bien au contraire.
Les conduites addictives au travail, c'est-à-dire la consommation d'alcool, de médicaments, de psychotropes, de cocaïne ou encore de cannabis, constituent un enjeu croissant de santé, de sécurité et de maintien dans l'emploi.
Les médecins du travail évaluent à 7 % la proportion de salariés qui souffrent d'une addiction au cannabis : c'est deux points de plus qu'il y a quinze ans.
Or la prise de drogue renforce considérablement les risques en matière de sécurité au travail, pour celui qui consomme comme pour celles et ceux qui l'entourent. Elle se traduit par une baisse d'attention, des accidents potentiellement mortels, des tensions entre collègues, une désorganisation du travail et, pour les salariés en question, un risque accru de décrochage professionnel, donc de spirale négative vers la précarité.
Oui, la drogue détruit socialement les gens et peut les conduire à la rue, et ce dans tous les territoires – les métropoles et leurs zones périurbaines, comme les villes moyennes et la ruralité.
Le coût social des drogues est estimé à 7,7 milliards d'euros, mais le coût humain est primordial.
Concernant la santé des travailleurs, le ministère du travail et des solidarités prend le sujet très au sérieux, en particulier sous l'angle de la prévention.
Le cinquième plan Santé au travail, qui doit être publié au premier semestre prochain, proposera de renforcer l'accompagnement des employeurs et de mobiliser davantage encore les services de prévention et de santé au travail pour sensibiliser les salariés. Nous proposerons aussi d'améliorer la prise en charge des salariés consommateurs de stupéfiants.
Il y a un lien entre drogue et santé mentale, sur deux aspects au moins : soit la drogue est une fausse solution face à un problème, soit elle est un facteur aggravant. La santé mentale au travail est un axe que nous devons renforcer, en nous appuyant sur la charte de l'Alliance pour la santé mentale, soutenue par le Gouvernement, et sur le déploiement des formations aux premiers secours en santé mentale.
La prévention suppose aussi une part de contrôle, qui doit être exercée avec fermeté.
Les employeurs peuvent déjà, si le règlement intérieur de leur entreprise le prévoit et pour des postes qui le justifient, organiser des dépistages inopinés. S'y soustraire, pour les salariés, est passible de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement.
Dans le cadre du plan Santé au travail, nous souhaitons être encore plus clairs et inscrire dans le code du travail une interdiction générale et absolue de travailler sous l'emprise de substances psychotropes.
Mais prévenir, c'est aussi nous donner les moyens de protéger les publics vulnérables du risque de tomber dans la drogue. L'enjeu est particulièrement fort pour les jeunes qui connaissent des difficultés sociales comme économiques : ils sont une cible facile pour les narcotrafiquants.
Dans le projet de loi de finances, nous renforçons les moyens alloués aux établissements d'insertion professionnelle et sociale pour les jeunes en décrochage. En fin de parcours, après neuf mois de prise en charge, 70 % de ces jeunes trouvent un travail. Aucun autre dispositif n'est aussi efficace.
Pour le ministère du travail et des solidarités, les priorités sont claires : protéger les travailleurs des risques liés à la consommation de drogue, mieux accompagner les employeurs et les acteurs de la prévention et lutter contre les risques qui entraînent le décrochage social, notamment pour les jeunes.
La lutte contre le narcotrafic est notre affaire à tous. Le monde du travail et des solidarités se mobilisera pleinement au service de cette grande cause. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, l'école n'est malheureusement pas à l'abri du narcotrafic, en tout cas de celui qui a lieu dans son environnement, et de toutes les conséquences délétères qu'il emporte.
Il ne s'agit plus de faits isolés aux abords de quelques établissements : c'est bien une logique d'emprise progressive et structurée qui finit par resserrer ses liens autour des élèves et de leurs parents et par mettre l'école sous pression.
Je veux partager avec vous deux chiffres relatifs à l'évolution entre 2022 et 2025, tirés de « Faits établissement », c'est-à-dire l'application par laquelle les chefs d'établissement nous font remonter les faits graves ou anormaux. Premièrement, les signalements liés à la détention et à la consommation de stupéfiants ont augmenté de 16 % en trois ans. Deuxièmement, les signalements liés au trafic dans les établissements ou à leurs abords ont augmenté de 56 %.
Ces situations n'ont plus de caractéristiques géographiques ou sociologiques particulières, puisqu'elles touchent aussi bien les métropoles que les territoires ruraux et, dans les trois quarts des cas, se situent hors réseau d'éducation prioritaire, ce qui signifie qu'il n'y a pas de corrélation avec celui-ci.
Les conséquences sont connues : un climat scolaire dégradé, une réussite scolaire en chute libre, avec notamment un absentéisme beaucoup plus important des élèves, et in fine une école qui se retrouve devoir être le refuge et le bouclier des élèves et qui parfois se sent comme un sanctuaire assiégé.
C'est exactement ce que j'observais ce lundi matin, avec le ministre de l'intérieur, auprès des équipes du collège Champollion du quartier des Grésilles à Dijon.
Ce collège, comme vous le savez, a été partiellement incendié dans la nuit de vendredi à samedi dernier, dans un quartier marqué par le combat des services de police et de justice contre le narcotrafic. Ses équipes se sont immédiatement mobilisées et, dès lundi matin, elles étaient sur site, unies, debout. Je tiens solennellement à rendre hommage à ces femmes et à ces hommes, qui font tout simplement que l'école tient, au service des élèves et des familles : elle tient pour refuser la fatalité du narcotrafic et permettre à chacun de s'en sortir.
Ce refus est, bien sûr, adossé à une politique de prévention claire, à la fois aux abords de l'école – j'en ai parlé pour ce qui concerne la sécurité – et, surtout, dans son enceinte, puisque notre mission est évidemment de prévenir.
Prévenir, c'est d'abord accueillir nos élèves et les extraire de l'influence insidieuse des narcotrafiquants, en les accueillant en sécurité dans nos murs.
Prévenir, c'est aussi instruire. À cet égard, je veux reprendre l'expression d'une des professeurs de Champollion, que j'ai rencontrée lundi matin : « Nous faisons en sorte que les élèves soient sur des chaises de classe pour qu'ils ne finissent pas sur les chaises des guetteurs. »
Prévenir, c'est également lutter contre les conduites addictives, non seulement par les enseignements, mais aussi par une prise en charge par la santé scolaire, à travers notre réseau de 8 000 infirmières et 9 000 psychologues qui repèrent et orientent vers la médecine de ville. Vous savez que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, nous allons renforcer ces professions à hauteur de 300 équivalents temps plein (ETP).
Tels sont les éléments que je souhaitais partager avec vous. Je me tiens évidemment à votre disposition pour la suite des débats. Je veux vous assurer de la constance avec laquelle l'école s'engage elle aussi pour que les enfants ne soient pas, un jour, la proie des narcotrafiquants. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Mathieu Darnaud et Mme Muriel Jourda applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est submergée par le narcotrafic et la criminalité organisée qui l'accompagne.
Tous les territoires de la République sont désormais concernés, comme le Premier ministre l'a rappelé. Les conséquences ravageuses de ce phénomène menacent à la fois la santé publique et la sécurité de nos compatriotes.
Avec la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, fruit de travaux parlementaires engagés au Sénat, la France s'est dotée, pour lutter contre ce fléau, d'un arsenal, constitué notamment d'un état-major interministériel, d'un parquet anti-criminalité organisée et d'autres outils.
Face à la mondialisation accélérée des trafics, la guerre contre les trafiquants appelle une action internationale sans relâche, traitant des causes du problème.
Éradiquer le mal à la racine, telle est la mission que le Premier ministre a confiée à mon ministère, qui entend s'engager pleinement dans cette bataille.
Cet engagement se traduit par la multiplication des accords de coopération sécuritaire avec les pays de production, de transit comme de rebond ; par le renforcement de nos effectifs dans les pays concernés – effectifs du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais également personnels en provenance du ministère de l'intérieur, des armées, de la justice ou encore des douanes que nous accueillons au sein de nos postes diplomatiques – ; par l'orientation de l'aide au développement pour financer des projets de culture de substitution, de renforcement de la sécurité des ports ou encore de lutte contre le blanchiment d'argent ; enfin, par un régime de sanctions internationales contre les criminels.
Nous avons lancé, il y a quelques semaines, à Bruxelles, la création d'un régime de sanctions dédié qui nous permettra d'interdire l'accès au territoire européen aux criminels réfugiés à l'étranger et impliqués dans des trafics de drogue et d'armes ou la traite d'êtres humains et de geler leurs actifs.
Comme je l'ai annoncé lorsque je me suis rendu, voilà quelques semaines, aux côtés du Président de la République, en Amérique latine et dans les Caraïbes, c'est sur cette région que porte le premier axe de nos efforts. De fait, c'est dans cette région qu'est produite l'ensemble de la cocaïne qui déferle dans les rues des villes et des villages de France, où elle est désormais consommée par plus d'un million de personnes.
La production, en pleine explosion, est localisée principalement en Colombie, au Pérou et en Bolivie. Elle transite vers l'Europe via l'Équateur, le Brésil, le Panama, le Venezuela, le plateau des Guyanes et les Caraïbes. Nos territoires ultramarins sont évidemment en première ligne.
Le deuxième axe de nos efforts porte sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Le garde des sceaux en a parlé il y a quelques instants.
C'est au Maghreb qu'est produit l'essentiel du cannabis importé en France. Par ailleurs, de nombreux narcotrafiquants y sont réfugiés. L'enjeu est d'obtenir des extraditions, des judiciarisations sur place ou des saisies d'actifs appartenant à ces criminels.
Le Maroc est aussi un pays de rebond pour la cocaïne, tandis que certains pays du Golfe constituent des points de grande vigilance pour le blanchiment d'argent issu du narcotrafic.
Le troisième axe de nos efforts concerne les pays des Balkans occidentaux, que nous voulons inciter à durcir leur réglementation en matière de lutte contre la criminalité organisée. La coalition créée sous les auspices de la Communauté politique européenne nous permettra de les amener à prendre des mesures touchant à l'ensemble des dimensions de la lutte contre la criminalité organisée.
Enfin, nous ferons du narcotrafic une priorité de la présidence française du G7, car un fléau de dimension mondiale nécessite une coordination et une réponse mondiales. Nous porterons des initiatives en matière de renseignement, de résilience des infrastructures, de lutte contre les trafics en mer et les flux financiers illicites.
Le Premier ministre l'a dit, la lutte contre le narcotrafic est un combat qui s'inscrit dans la durée. Il va nous falloir adapter les moyens de l'État pour faire face à un adversaire en train de muter. Ce combat nécessite des moyens indispensables, qui ont d'ailleurs été intégrés au projet de loi de finances pour 2026.
Soyez donc assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la pleine mobilisation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, face à la menace grave que font peser le narcotrafic et la criminalité organisée sur notre pacte républicain, la réponse de l'État doit être totale, cohérente et déterminée, sans angle mort.
Mais, chacun le sait ici, le narcotrafic s'adapte vite ; l'État doit donc toujours avoir un temps d'avance. Depuis ma nomination, mon action a été structurée autour de trois priorités pour reprendre l'avantage.
La première priorité est l'argent, carburant de ces organisations criminelles. Couper l'argent, c'est couper le moteur du narcotrafic. C'est pourquoi nous renforçons la lutte contre le blanchiment et la saisie des avoirs criminels.
La coopération est resserrée et opérationnelle, notamment au sein de l'Emco, cité par Laurent Nunez.
La mobilisation des services sous mon autorité – Tracfin, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et l'Office national anti-fraude (Onaf) – est totale pour traquer l'argent sale partout où il se cache, en ciblant davantage les montages complexes, notamment les circuits internationaux.
Les résultats sont là : les déclarations de soupçon ont augmenté de plus de 90 % depuis 2020, et cette tendance devrait encore s'accentuer grâce à la loi de juin dernier, qui assujettit notamment à certaines obligations de nouvelles professions comme les loueurs et vendeurs de voitures de luxe et de yachts.
Nous devons cependant aller plus loin, en particulier dans le secteur non financier, pour que chaque euro blanchi devienne un risque et ne soit jamais une opportunité.
Les moyens de Tracfin ont également été renforcés dès 2025, ils continueront de l'être. Dès janvier prochain, la nouvelle procédure de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, le Gaban, entrera en vigueur. Elle permettra que l'argent soit immobilisé avant même qu'il ne puisse disparaître ou s'évaporer.
La deuxième priorité est l'adaptation de nos méthodes et de nos moyens. Les trafiquants ayant industrialisé leurs pratiques, l'État doit moderniser les siennes, d'abord en renforçant massivement les capacités de contrôle, avec plus de scanners dans les ports – à Marseille, au Havre, à Dunkerque, à Fort-de-France –, plus de capacités dans les aéroports, un scanning de tous les flux postaux et routiers, en accordant une attention particulière aux outre-mer, qui, nous le savons, sont en première ligne des trafics.
Il faut aussi plus de présence en mer, ce qui implique le renforcement de la garde côtière douanière, en complément de la Marine nationale. C'est une nécessité opérationnelle au vu des saisies – cela a été mentionné à l'instant par Alice Rufo.
Cette modernisation a un coût : 5 millions d'euros pour un scanner fixe. Cependant, le coût de l'inaction serait bien plus élevé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier devant vous les douaniers, qui ont déjà saisi 29 tonnes de cocaïne en 2025, pour un montant de 2 milliards d'euros qui ne se retrouvent pas dans les circuits de blanchiment.
Notre troisième priorité est de défendre la probité des agents publics. La corruption, nous le savons, est une attaque directe contre la République. Protéger nos agents et renforcer la prévention ne peut se faire sans un meilleur mécanisme de signalement et de sanctions, quand celles-ci s'avèrent nécessaires.
Mais, je veux le dire, protéger les agents, c'est aussi leur donner la capacité de sortir de l'engrenage, de pouvoir se signaler et de se sentir autorisés à le faire. Le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2025-2029 doit donc être pleinement mis en œuvre dans toutes les administrations à risque.
Pour conclure, je veux dire que le narcotrafic est une priorité pour les Français. Les administrations de Bercy y prennent toute leur part, sans naïveté et sans relâche. Face aux narcotrafiquants, la République ne cède pas : elle se défend. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les outre-mer, nous le savons bien, la lutte contre le narcotrafic ne commence pas dans les prétoires. Elle commence sur une piste d'aéroport à Cayenne, sur une vedette en mer des Caraïbes, sur une côte des Antilles, loin de l'Hexagone.
Ce que nos forces interceptent là-bas n'est pas principalement destiné à y rester. Les outre-mer sont un point de passage, un point d'impact, mais aussi un rempart.
Cette réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez regardée en face. Le rapport d'information de Victorin Lurel et de Philippe Bas, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer présidée par Micheline Jacques, décrit sans détour la place centrale du narcotrafic et appelle à un véritable choc régalien. Vous y soulignez la nécessité de densifier les forces, de renforcer les coopérations policières et judiciaires avec nos partenaires régionaux et de faire de la diplomatie des outre-mer un levier stratégique contre des réseaux internationaux.
Les faits confirment pleinement vos analyses. Les outre-mer sont aujourd'hui traversés par les grandes routes mondiales de la drogue, dans la Caraïbe, mais aussi désormais dans le Pacifique, au large de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Ce qui est bloqué en Guyane, en Martinique ou en Guadeloupe n'arrivera pas à Marseille, à Lyon ou à Paris.
En 2025, 35,2 tonnes de cocaïne ont été saisies en haute mer dans la zone caraïbe, contre 28,3 tonnes l'an dernier. Il y a dix ans, on parlait de quelques tonnes seulement… Cette progression dit l'ampleur du phénomène, mais elle dit aussi l'intensité de l'action conduite par l'État, grâce à nos forces armées, à la douane, aux unités spécialisées et, bien sûr, en coordination étroite avec nos partenaires internationaux dans le respect du droit de la mer.
Mais il faut être lucide : les outre-mer ne sont pas seulement des zones d'interception. Ce sont aussi des territoires exposés, parfois durement frappés. La consommation d'Ice en Polynésie française, les phénomènes de trafic local et de rebond vers l'Hexagone et, surtout, la situation aux Antilles, où le taux d'homicide est cinq fois supérieur à la moyenne nationale, appellent une réponse ferme et durable.
C'est tout le sens des moyens engagés : radars de surveillance maritime en Martinique et en Guadeloupe, drones de longue autonomie, aéronefs de la douane dotés de capacités de détection renforcées, contrôles systématiques à l'aérien en Guyane, dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
Je pense aussi à l'effort porté sur les ports et les aéroports, avec le déploiement de scanners en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion.
Cependant, frapper les flux ne suffira pas : il faut démanteler les réseaux, assécher les financements et empêcher l'enracinement d'organisations criminelles. Le renforcement de la Jirs de Fort-de-France et l'action de l'Ofast et de la police judiciaire s'inscrivent dans cette logique.
La répression seule ne suffira pas. La prévention, l'insertion et les alternatives à l'argent de la drogue sont indispensables si nous voulons obtenir des résultats durables.
Les outre-mer, vous l'avez compris, sont aux avant-postes. Ils encaissent les chocs en premier et protègent l'ensemble du territoire national. Le budget qui est soumis au Parlement répond à cette exigence. C'est une question de sécurité nationale et de responsabilité républicaine. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, personne ne vous croirait si vous disiez, ce soir, au Sénat, que la concordance des dates entre le débat qui nous réunit et le déplacement du Président de la République hier à Marseille relève du cas fortuit ou du pur hasard. (Sourires.)
Personne ne vous croirait non plus si vous prétendiez que cet échange ne relève pas d'une vaste opération de communication voulue par un exécutif aujourd'hui dépassé par la vague du narcotrafic, une vague qui submerge désormais la France, celle de la métropole comme de l'outre-mer, des zones urbaines comme des territoires ruraux.
M. Guy Benarroche. Bravo !
M. Étienne Blanc. Pour démontrer que l'État, dans cette dernière décennie, n'a pas été à la hauteur, on peut rappeler que c'est bien ici, au Sénat, que fut décidée, en application de l'article 51-2 de notre Constitution, sur l'initiative du groupe Les Républicains, alors présidé par Bruno Retailleau, la création d'une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
Vous voyez, monsieur le Premier ministre, que c'est bien le Parlement, et non le Gouvernement comme celui-ci le dit hélas trop souvent, qui aura éveillé les consciences sur ce sujet crucial !
Les Républicains considéraient qu'il était temps d'ouvrir les yeux sur une activité criminelle considérable. J'ai eu l'honneur, en ma qualité de rapporteur, de remettre, avec mon excellent collègue Jérôme Durain, le rapport de cette commission d'enquête au président Larcher le 7 mai 2024.
Qu'avions-nous écrit à l'époque ? Le constat pourrait se résumer en trois chiffres saillants.
Le premier est le chiffre d'affaires du commerce des drogues. En 2023, on l'estimait à environ 6 milliards d'euros ; on l'évalue, en cette fin 2025, proche de 8 milliards d'euros. Monsieur le garde des sceaux, cette somme représente 80 % de votre budget !
Le deuxième chiffre est le nombre de délinquants qui vivent de cette activité, totalement ou partiellement. Ce chiffre avoisine désormais 250 000. Mettons-le en rapport avec le nombre de policiers et de gendarmes qui assurent la sécurité des Français : ils sont environ 255 000. Il y a donc autant d'agents qui leur courent après qu'il y a de narcotrafiquants !
Le troisième chiffre, enfin, est sans doute le plus effrayant : en 2023, la France a déploré 451 victimes d'homicides ou de tentatives d'homicide liés au narcotrafic.
Les 600 pages de notre rapport ont eu le mérite d'expliquer dans le détail comment fonctionne cette entreprise criminelle, mais nous avons aussi dénoncé et même stigmatisé les lacunes des moyens matériels et juridiques dont dispose l'État pour tenter d'y remédier.
Le président du Sénat nous a demandé, à Jérôme Durain et moi-même, de préparer un texte pour donner une suite à ce rapport, auquel il avait trouvé du sens. Ce texte, vous l'avez rappelé – c'est une exception, mais c'est aussi un signe –, fut adopté à l'unanimité par le Sénat et promulgué au mois de juin après le passage à l'Assemblée nationale.
Posons-nous la question : pourquoi aura-t-il fallu attendre une initiative parlementaire – en l'occurrence, sénatoriale – pour que le narcotrafic soit enfin considéré comme un péril pour la nation ?
Durant les dix dernières années, les gouvernements successifs furent d'une passivité désolante, passivité que vous voudriez effacer aujourd'hui – nous le comprenons bien, monsieur le Premier ministre – en venant ce soir devant le Sénat accompagné par pas moins de neuf membres du Gouvernement – excusez du peu –, comme si le nombre voulait démontrer la force d'une volonté politique, dont, à titre personnel, je me permets toutefois de douter !
Mais ne boudons pas notre plaisir : nous sommes heureux d'accueillir ce conseil des ministres délocalisé au Palais du Luxembourg… (Sourires.)
Je voudrais que nous profitions de cette vaste opération de communication gouvernementale pour sortir de cette insupportable pratique politique, devenue une habitude, qui fait de tout sujet sur lequel le Gouvernement communique un sujet considéré comme réglé.
Si de notre débat de ce soir pouvaient émerger des propositions concrètes, une amplification des mesures, des dispositions réalistes et crédibles, alors il aura été utile. Sinon, il ne restera que du vent…
Pour ma part, je voudrais suggérer ou aborder quelques mesures.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous qui êtes en charge de l'organisation des prochaines élections municipales, quel dispositif concret allez-vous préparer pour que soient écartées les candidatures de proches des réseaux de narcotrafiquants ?
Ceux-ci ont bien compris que ce sont les maires qui décident de l'installation des caméras, qui attribuent les logements sociaux dans les quartiers sensibles, qui ont autorité sur la police municipale et qui financent les associations dans les quartiers. Les narcotrafiquants l'ont compris et veulent s'insérer dans le processus électoral. Donner à des narcotrafiquants le moindre pouvoir dans ces domaines serait terriblement dangereux !
Pouvez-vous nous dire précisément comment vous allez écarter ce risque, alors que – je suis désolé de le rappeler – vos fichiers ont été pillés par des réseaux dont les narcotrafiquants sont sans doute proches ?
Madame la ministre de la santé, l'administration pléthorique de l'avenue Duquesne fut capable de réaliser de vastes campagnes de lutte contre le tabac qui détruit les poumons et contre l'alcool qui détruit le foie, mais pourquoi n'a-t-elle rien fait ou si peu contre les drogues qui détruisent les cerveaux ?
Quand, comment et avec quels moyens lancerez-vous vos administrations dans une puissante campagne de communication et de sensibilisation sur ce sujet épineux ?
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, j'ai tenu, à Clermont-Ferrand, devant les maires du département du Puy-de-Dôme, une réunion sur le narcotrafic. L'adjoint à la sécurité du maire de la ville est intervenu pour nous révéler que, à l'occasion d'un déplacement dans une école primaire – je dis bien une école primaire ! –, la directrice de cette école lui a appris que des enfants, dans la cour de récréation, confectionnaient des petites enveloppes de papier dans lesquelles ils inséraient des feuilles de platane séchées pour « jouer » au deal de cannabis…
Qu'allez-vous faire concrètement – et quand – pour remplir votre responsabilité essentielle d'éducateur de la jeunesse de notre pays, sachant qu'un grand nombre de nos lycéens nous ont dit, à la fin de nos travaux, que jamais, dans leur cursus scolaire, on ne leur avait parlé de la drogue !
Madame la ministre des outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Saint-Martin sont devenues des zones de rebond. Les narcotrafiquants, désormais, y stockent des quantités considérables de cocaïne. Ils les protègent par la violence des armes avant qu'elles soient acheminées vers le golfe de Guinée ou les ports européens.
Les forces navales, dont nous avons auditionné les représentants, ont besoin de frégates, de vedettes, d'hélicoptères, de marins et de pilotes pour surveiller la vaste zone des Caraïbes, qui est infestée par la drogue, ainsi que l'océan Atlantique. Que ferez-vous concrètement pour répondre aux cris de détresse de ces élus d'outre-mer ?
Je les ai rencontrés à l'occasion de la dernière assemblée générale des maires de France. Ils n'avaient qu'un mot à la bouche : « Ne nous abandonnez pas » !
Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, les entreprises criminelles contre lesquelles vous devez vous battre sont devenues de puissantes multinationales. Leur siège et leurs collaborateurs sont dispersés sur l'ensemble de la planète, tout comme leurs avoirs criminels.
Que ferez-vous, seul ou avec l'Europe, aux côtés de nos alliés américains ou d'autres pays encore, pour faire céder les pays refuges que nous connaissons – Émirats arabes unis, Maroc, Algérie et tant d'autres ?
Oui, ces pays doivent céder sur les extraditions, sur la confiscation des avoirs criminels et sur l'échange de renseignements. Dans un contexte – hélas ! – de perte d'influence de la France dans le monde, nous attendons avec impatience vos réponses.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez accompagné sans ambiguïté les travaux législatifs du Sénat, en qualité de ministre de l'intérieur, puis dans le cadre de vos fonctions actuelles.
Comment pouvez-vous expliquer devant la Haute Assemblée que les décrets d'application sur le nouveau statut des repentis, sur les infiltrés, sur les indicateurs ou encore sur l'anonymisation des procédures ne soient pas encore signés ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est inscrit comme cela dans la loi !
M. Étienne Blanc. Et leur publication est annoncée d'ici trois, quatre ou six mois !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. C'est vous qui avez fixé ces dates !
M. Étienne Blanc. Le Gouvernement ne peut pas rester dans cette contradiction qui consiste, d'une part, à saluer les mérites d'une loi qu'il juge fort utile et, d'autre part, à procrastiner et tergiverser, en témoigne le peu d'empressement – je le regrette – à adopter ces décrets d'application…
Madame la ministre de l'action et des comptes publics, durant tout le long débat budgétaire, vous avez fait preuve de constance – il faut vous reconnaître cette qualité – dans votre discours sur la faiblesse de nos finances publiques.
En France, le narcotrafic représente un chiffre d'affaires de 7 milliards à 8 milliards d'euros France.
Or l'État a saisi 117 millions d'euros d'avoirs criminels en 2023 : ce sont donc 6 milliards à 7 milliards d'euros qui se sont évaporés sous les yeux d'un gouvernement impuissant et impécunieux.
Vous avez là, madame la ministre, des moyens considérables pour doter la marine, la gendarmerie, la police ou encore la douane des outils matériels et humains qui leur manquent si cruellement, ce qui provoque parfois chez eux un découragement compréhensible.
Nous pourrions aller bien plus loin dans la litanie des manques, des lacunes et des incohérences dans une lutte contre un fléau qui gangrène la société française. C'est un sujet qui ne saurait tolérer plus longtemps les atermoiements de l'exécutif et encore moins ces insupportables campagnes de communication, à l'instar de celle qui a eu lieu hier à Marseille.
Quelle idée que de déclarer que le montant de l'amende forfaitaire délictuelle pour consommation de stupéfiants serait rehaussé à 500 euros, quand on sait que moins de la moitié de son produit est actuellement recouvrée !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, et M. Laurent Nunez, ministre. C'est faux !
M. Étienne Blanc. Sur un tel montant, vous n'en récupérerez pas même 10 % !
Ces campagnes de communication nous lassent. Nous attendons des actes. Nous ne voulons plus de discours ! Le Président de la République aurait été mieux inspiré de nous expliquer comment les 50 % qui manquent dans les caisses de l'État seraient recouvrés…
Agitation médiatique, poudre aux yeux ! Mais on ne peut pas traiter aussi légèrement de sujets aussi graves.
Monsieur le Premier ministre, nous écrivions, avec Jérôme Durain, dans notre rapport, que la France était au bord du gouffre. Ces mots n'étaient pas excessifs : le phénomène nous échappe.
À la fin de nos travaux, nous avons pris connaissance d'une déclaration d'une délégation de magistrats mexicains venus en France dans le cadre d'un échange avec l'École nationale de la magistrature.
Ils avaient mis en garde : si la France n'est pas un narco-État, toute une série de signes – meurtres, violences corruption – doit vous inquiéter. Au Mexique, ont-ils expliqué, les choses ont commencé comme cela, et la réaction s'est bien trop fait attendre. Et aujourd'hui, c'est un narco-État.
Ces magistrats nous ont exhortés à armer la France face à une guerre qui doit dire son nom – une guerre terrible, qui gangrène notre pays.
C'est notre devoir pour la France, bien sûr, mais aussi pour cette jeunesse perdue, celle qui « chouffe », qui « deale », qui « charbonne », qui « salafe », qui surveille et qui maintenant assassine, rançonne, menace et sombre dans le crime.
Les 600 pages de rapport que nous avons rédigées expliquent pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Mais elles n'ont pu entrer dans le détail de ces drames humains qui s'étalent dans la presse de nos quotidiens régionaux.
Celui, par exemple, de ce gosse de quinze ans, enlevé par une bande rivale à Marseille dans les quartiers nord, attaché à une chaise au fond d'une cave obscure, lardé d'une cinquantaine de coups de couteau et brûlé vif au chalumeau, avant que son corps, démembré, soit rendu aux siens. La vidéo de son martyr a circulé sur les réseaux sociaux pour intimider et faire peur. C'est cela, la réalité du narcotrafic.
Alors, de grâce, moins de mots, moins de communication, moins d'esbroufe. Menez cette bataille pour la sécurité des Français. Menez-la, surtout, pour tenter de sauver une jeunesse perdue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat aborde une nouvelle fois la question du narcotrafic : ce piège, dont nous voulons sortir la France, semble se refermer chaque jour un peu plus sur notre pays, dans nos villes comme dans nos campagnes, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer.
Il menace à la fois la sécurité de nos concitoyens, la cohésion sociale de nos territoires et, à terme, peut-être, les fondements même de notre État de droit.
L'assassinat, il y a quelques jours à Marseille, de Mehdi Kessaci nous l'a tragiquement rappelé. Je veux avoir, encore une fois, une pensée pour Amine et toute sa famille.
La question du narcotrafic se pose donc à nouveau au Parlement, quelques mois après le vote d'une proposition de loi transpartisane, largement co-construite ici même après une longue commission d'enquête sénatoriale.
Sollicité par le groupe Socialistes et apparentés de l'Assemblée nationale, le Gouvernement nous demande ce soir notre avis sur la nécessité de renforcer encore notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et les moyens mobilisés contre le narcotrafic.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat sera, comme précédemment, au rendez-vous de la lutte contre le narcotrafic et contre la criminalité organisée.
Nous l'avons montré à l'occasion de la commission d'enquête présidée par notre ancien collègue Jérôme Durain, qui a également été co-rapporteur, avec Étienne Blanc, dont je salue l'intervention précédente, de la proposition de loi adoptée à l'unanimité par cet hémicycle.
La commission d'enquête sénatoriale avait fourni un diagnostic extrêmement complet, rigoureux et documenté sur le narcotrafic. Ce travail parlementaire, que nous défendons fièrement, a permis de dépasser les impressions, les postures et les réactions émotionnelles pour établir des constats solides, fondés sur des auditions nombreuses, des déplacements de terrain et une analyse approfondie des mécanismes criminels.
Le narcotrafic est devenu une réalité nationale diffuse, qui s'inscrit dans le quotidien de millions de nos concitoyens. Ce n'est plus un phénomène périphérique ou cantonné à quelques quartiers ou villes identifiés de longue date.
Cette diffusion territoriale s'accompagne d'une transformation profonde des modes opératoires. Le narcotrafic s'est ubérisé. Il utilise les réseaux sociaux pour recruter, vendre, livrer. Il s'appuie sur des messageries cryptées, des circuits logistiques discrets et des plateformes numériques qui permettent de contourner les dispositifs classiques de contrôle.
Les différentes interventions ministérielles le montrent à leur façon : les menaces liées au narcotrafic sont diverses, à la fois sécuritaires, sanitaires, sociales, économiques et même démocratiques, puisqu'elles pèsent aussi sur nos magistrats et fonctionnaires.
Lorsqu'un territoire bascule, lorsque la loi du plus fort remplace la loi de la République, lorsque l'État recule dans le quotidien des citoyens, c'est toute la confiance collective qui se fissure.
Ce constant est vrai en métropole comme dans nos territoires ultramarins, qui ont besoin d'un soutien tout particulier, tant ils sont devenus des zones de rebond stratégiques sur les routes internationales de la drogue.
Ce diagnostic étant rappelé, que convient-il de faire ?
Le Gouvernement nous pose une première question : faut-il renforcer encore le cadre juridique ? Il n'y a pas de raison, en soi, de s'y opposer.
Cependant, avant de renforcer encore ce cadre, il nous importe que la législation actuelle soit vraiment mise en œuvre. Cela suppose donc déjà d'appliquer pleinement la loi votée il y a six mois.
Le directeur de l'Ofast nous a exposé hier quelques chiffres, que le ministre de l'intérieur a confirmés ce soir et qui montrent des progrès. En outre, la création du Pnaco est bien engagée, comme l'a confirmé le garde des sceaux.
De même, l'amélioration des outils pour suivre l'argent, saisir et confisquer les avoirs criminels est actée, ainsi que des dispositifs spécifiques visant les têtes de réseaux.
Les pouvoirs nouveaux donnés aux préfets commencent à être utilisés, en lien avec les maires et les bailleurs sociaux, contre les trafiquants d'hyperproximité et le blanchiment via certains commerces de proximité.
Enfin, la création de quartiers pénitentiaires dédiés aux trafiquants les plus puissants n'est pas passée inaperçue – la disposition ne figurait d'ailleurs pas dans le texte initial de la proposition de loi.
Tout cela va globalement dans le bon sens, de même que les actions supranationales présentées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères en novembre 2025 et rappelées ce soir.
Il n'en reste pas moins que six mois après sa publication, seulement 14 % des 37 décrets nécessaires à l'application complète de la loi sont publiés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce taux.
Notre priorité est d'aller plus vite dans l'application de ces dispositions. Ainsi, notre débat aura sans doute la vertu de donner un petit coup d'accélérateur, si j'en crois les annonces qui ont été faites.
J'ai aussi entendu quelques propositions nouvelles – certaines plus que d'autres… Je ne doute pas que nous ayons l'occasion de les examiner plus en profondeur.
Pour notre part, nous avons aussi des propositions à faire.
J'ai ainsi déposé avec plusieurs sénateurs de mon groupe une proposition de loi visant à encadrer l'utilisation de véhicules surpuissants par des conducteurs inexpérimentés, car ce phénomène entretient un lien étroit avec le trafic de stupéfiants.
Il existe un autre lien, trop souvent invisibilisé : celui entre narcotrafic, proxénétisme et violences faites aux femmes.
La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre l'exploitation sexuelle à l'ère de la cyberprostitution déposée par Laurence Rossignol souligne avec force ce phénomène. De nombreuses victimes de la prostitution sont contraintes à la consommation de drogues pour supporter la violence prostitutionnelle. Les réseaux de proxénétisme et les réseaux de drogues sont ainsi profondément imbriqués.
Il y a là matière à renforcer encore le cadre juridique et j'invite le gouvernement à s'y pencher.
La ligne de conduite de notre groupe est toujours la même : nous sommes favorables à employer les moyens nécessaires pour réduire l'asymétrie entre les narcotrafiquants et nos forces de sécurité et de justice, à condition, néanmoins, de ne pas porter atteinte à l'équilibre précaire entre sécurité et liberté.
Ce qui peut advenir de certains fichiers sensibles montre bien qu'il vaut mieux être précautionneux !
Bien sûr, quand il est question d'outils technologiques sophistiqués ou de techniques spéciales d'investigation, il n'est pas toujours aisé de placer le curseur au bon endroit. Mais nous devons nous laisser guider par la boussole qu'a rappelée le Conseil constitutionnel : l'efficacité ne saurait justifier un affaiblissement durable de l'État de droit.
J'en viens à la deuxième question posée par le Gouvernement.
Pour le groupe SER, la priorité est en effet d'améliorer la prévention. En effet, la lutte contre le narcotrafic ne se résume pas à la lutte contre les narcotrafiquants. Cette lutte ne sera efficace que si l'on s'intéresse aussi aux produits et à ceux qui les consomment. Ainsi, notre groupe ne croit pas que réprimer davantage les consommateurs ou chercher à tout prix les responsabiliser constitue une solution.
La commission d'enquête Blanc-Durain concluait que, pour « gagner la bataille culturelle », il fallait répondre à l'enjeu de la prévention. C'est aussi notre point de vue, ainsi que je l'avais défendu ici même, au nom de mon groupe, à l'occasion de la discussion générale sur la proposition de loi Narcotrafic.
Des enfants de plus en plus jeunes sont recrutés comme guetteurs, livreurs ou pire. Cette réalité est le résultat d'un cumul de vulnérabilités : décrochage scolaire, précarité sociale, désaffiliation familiale, problème de santé mentale ou encore absence de perspectives.
La prévention doit passer par des campagnes plus percutantes.
Le rapport Blanc-Durain soulignait ce paradoxe : « L'État fait beaucoup moins d'efforts de prévention contre la consommation de drogues que contre le tabac ou l'alcool. Une telle inertie est incompréhensible. […] Il est essentiel d'adapter le discours aux publics visés et d'éviter l'écueil de la moralisation. »
À cet égard, nous ne sommes pas certains que l'annonce du Président de la République sur le rehaussement de 200 à 500 euros de l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs réponde tout à fait à cette recommandation, surtout quand on en connaît le taux de recouvrement…
Il faut sincèrement et collectivement se demander comment parler des drogues et s'adresser avec justesse à tous ceux qui sont tentés d'en consommer, que ce soit, pour certains, à des fins récréatives ou, pour d'autres, pour répondre à des difficultés personnelles ou professionnelles, comme l'a souligné le ministre du travail.
Reconnaître cette réalité, ce n'est pas forcément rouvrir le débat sur la dépénalisation ou la légalisation, même si cela viendra un jour. Au contraire, c'est accepter d'échanger sans tabou ni a priori pour explorer toutes les solutions pour sortir du piège du narcotrafic.
Il faut plus de prévention, de réduction des risques, de prise en charge médicale et sociale, de dispositifs comme les haltes soins addictions, sauvées dans le PLFSS grâce la force parlementaire, mais qu'il faudra étendre. Je regrette que cela n'ait pas été mentionné explicitement par le Gouvernement.
Prévenir, c'est agir d'un point de vue sanitaire, mais aussi investir dans l'éducation, l'insertion, l'apprentissage, l'emploi, le logement, la mobilité.
Il nous faut une politique publique globale, structurée, continue, inscrite dans le temps long, articulée autour du sanitaire, du social, du sociétal, et associant nos collectivités locales.
Quand la République propose un horizon, la tentation qu'offre le narcotrafic s'amenuise. La présence, ce soir, de tous les ministres concernés par ces sujets nous apparaît plutôt un bon signe.
Puisque le modèle a fonctionné pour le volet répressif, qui constitue le premier acte de notre lutte commune contre le narcotrafic, nous vous proposons de l'appliquer aussi au volet de la prévention, qui en forme le deuxième acte.
Le Parlement, en particulier le Sénat, s'honorerait à lancer rapidement une commission d'enquête sur la prévention et l'accompagnement dans le cadre de ce deuxième acte. Nous pourrions ainsi poser un diagnostic et partager des recommandations.
Certes, un tel travail prendrait sans doute six mois. Mais c'est finalement à cette échéance que l'ensemble des décrets d'application de la loi de juin 2025 auront été publiés et, espérons-le, que de nouvelles habitudes de coopération et de coordination auront été prises définitivement.
C'est à l'aune de ces travaux que nous saurions quelles mesures législatives ou réglementaires sont utiles.
À cet égard, il faudra inclure dans la prévention les produits stupéfiants connus, mais également les autres produits, non classés comme tels, à commencer par le protoxyde d'azote, dont la consommation explose, notamment chez les jeunes.
Dans la proposition de loi visant à réserver la vente de protoxyde d'azote aux seuls professionnels qu'elle a récemment déposée, notre collègue Marion Canalès, très investie, au sein de la commission des affaires sociales, sur ces questions, tire les leçons de la réalité que j'ai décrite. Puisque les textes précédents sur le sujet n'ont pas montré d'effets, elle demande l'interdiction de ce produit qui fait des ravages depuis bien trop longtemps.
Le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur ont eux aussi fait récemment des annonces à ce sujet. Quel que soit le véhicule juridique choisi, nous devons enfin nous donner les moyens de combattre le fléau du « proto » et éviter que ne se reproduisent des accidents tragiques comme celui qui a coûté la vie du jeune Mathis à Lille il y a quelques semaines.
J'en viens à la troisième et dernière question que nous pose le Gouvernement.
Oui, nous avons besoin de moyens, et nous sommes évidemment favorables à en mobiliser davantage. Nous l'avions dit à l'occasion de l'examen de la proposition de loi Narcotrafic et nous n'avons cessé de le répéter durant les débats budgétaires ces dernières semaines.
Nos amendements visant à mieux doter encore la justice ou la police ont été rejetés, mais ils reflètent clairement notre position.
C'était aussi le cas des propositions émises dans le cadre du PLFSS ou du PLF pour lutter contre les addictions, soutenir la réduction des risques et conforter des structures comme la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et, plus largement, toutes celles qui œuvrent tous les jours dans nos quartiers, dans nos villages : les associations, les centres sociaux, les clubs de sport, les éducateurs en tout genre.
Pour avoir une chance réelle d'éviter que le piège du narcotrafic ne se referme très vite sur notre pays, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, répond favorablement aux questions posées par le Gouvernement dans ce débat en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Nous souscrivons à une grande partie des solutions esquissées.
Souscrire à des esquisses, ce n'est ni tout accepter ni annoncer par avance des votes favorables aux textes de loi qui nous seraient soumis.
Souscrire à des esquisses, c'est se tenir prêt, comme nous l'avons toujours fait, avec exigence et vigilance, sans perdre de vue le double impératif de vivre en sécurité et en liberté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
Mme Isabelle Florennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux, avant toute chose, rendre hommage aux femmes et aux hommes qui, chaque jour, sont en première ligne face au narcotrafic : policiers, gendarmes, douaniers et magistrats.
Leur engagement et leur courage permettent à notre pays de tenir face à un phénomène dont l'emprise s'étend chaque année sur notre territoire. Et s'il y a bien un mot qui décrit ce que nous sommes en train de subir, c'est celui de submersion.
Submersion, parce que les routes par lesquelles la drogue arrive dans notre pays sont innombrables.
Submersion, parce que les moyens d'introduire ces produits sont de plus en plus diversifiés et sophistiqués.
Submersion, enfin, parce que les modes de distribution et de vente n'ont jamais été aussi nombreux et rapides.
Le narcotrafic n'est plus cantonné aux grandes métropoles : cela fait bien longtemps qu'il a gagné les villes moyennes, les petites communes et, désormais, les zones les plus rurales.
Entre 2010 et 2023, la valeur économique du trafic a bondi de 189 %. En treize ans, elle est passée de 2,3 milliards à 6,8 milliards d'euros. Le trafic, aujourd'hui, s'infiltre partout.
Source d'une violence décuplée, il se transforme sous l'effet d'une numérisation et d'une ubérisation qui illustrent, de façon glaçante, la rationalité économique de ces réseaux criminels.
Pourtant, nous nous sommes pleinement impliqués sur ces questions. Les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic et la loi qui en est issue sont une success story sénatoriale.
Toutefois, sans vision stratégique d'ensemble de la lutte contre les fraudes et le blanchiment, les travaux législatifs restent décousus et les structures travaillent encore trop souvent en silos.
Nous l'avons dit le 5 novembre 2025 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, adoptée à l'unanimité : cinq textes parcellaires nous ont été soumis en moins de six mois, sans qu'aucun permette véritablement de s'attaquer au fond du blanchiment, dans un mikado législatif consistant à bouger un peu, sans toucher à l'ensemble, en ne changeant surtout rien.
Cette politique des petits pas législatifs n'est pas conforme aux besoins de la lutte contre la fraude et la criminalité organisée. Les travaux de la commission d'enquête menée sur l'initiative du groupe Union Centriste sont sans appel : il faut changer de méthode et instituer une culture nouvelle, celle d'une vision globale des infractions et une appréhension financière d'ensemble.
Les trafiquants sont opportunistes et ne s'interdisent rien. Cessons de répéter qu'il faut frapper les criminels au portefeuille, quand nous ne recouvrons que 2 % des avoirs criminels !
Comment être crédibles quand la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) ne dispose même pas de toutes les licences nécessaires pour accéder aux données essentielles ?
Comment être efficaces quand, au sein d'un même ministère, des services utilisent des outils de décryptage de la blockchain incompatibles entre eux, ce qui empêche tout échange de données entre deux étages d'un même bâtiment ?
Nous venons d'ailleurs d'apprendre que le ministère de l'intérieur a fait l'objet d'un piratage la semaine passée. Cela est regrettable ; heureusement, monsieur le ministre, vos services ont réussi à interpeller un suspect.
Comment affirmer que notre stratégie est opérationnelle, alors qu'un certain nombre de décrets d'application de la loi du 13 juin 2025 ne sont toujours pas publiés ?
Il faut absolument renforcer et réarmer nos procédures de saisie et de confiscation.
Par exemple, l'enquête patrimoniale doit être menée pendant l'enquête judiciaire, mais aussi après le jugement. Le criminel ne doit plus pouvoir continuer à profiter de l'argent de son crime – comme ce trafiquant qui investit dans l'immobilier à Dubaï en cryptoactifs, avec son portable, depuis sa cellule des Baumettes !
Concernant les cryptoactifs, 100 % des dossiers de criminalité organisée font désormais mention de l'usage de cryptomonnaies, totalement ou partiellement. C'est pourquoi il faut renforcer l'efficacité de la police, de la gendarmerie comme du droit.
Dans de nombreux cas, les criminels disposent, entre eux, de véritables systèmes comptables et maîtrisent parfaitement les mécanismes et les ficelles.
Les cryptomonnaies n'ont pas remplacé le cash : les méthodes s'additionnent et se complètent. Il faut rappeler, d'ailleurs, que les cryptoactifs sont des valeurs traçables, contrairement à ce que l'on croit souvent, à la différence du cash.
Cette réalité nous conduit naturellement à un autre volet essentiel de la lutte contre la criminalité organisée : le blanchiment.
Je tiens ici à saluer le travail de ma collègue Nathalie Goulet, très engagée sur cette question, qui regrette de ne pouvoir être présente ce soir. Sa proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment adoptée le mois dernier vise précisément à prévenir fraudes, en particulier la lutte contre les entreprises éphémères.
La société éphémère est en effet le véritable cheval de Troie de la criminalité organisée : 20 à 25 milliards d'euros de fraude à la TVA chaque année, et rien ne semble l'arrêter.
On nous dit qu'il ne faut pas ralentir la création d'entreprises ni entraver la liberté du commerce, et que « les délinquants changeront de méthode ».
Résultat : faute de définition claire, des milliers d'entreprises créées chaque année n'ont d'autre vocation que le blanchiment, le carrousel TVA, le dumping économique sur nos territoires ou la fraude aux Urssaf.
Inutile de s'émouvoir devant la multiplication de certaines enseignes, telles que les kebabs ou les barbiers : il faut au contraire une véritable acculturation aux mécanismes de blanchiment.
Blanchir est en effet devenu un métier, un service : c'est pourquoi il faut s'attaquer aux acteurs du blanchiment et surtout mettre en place une politique d'ensemble avec les services, et non avec les experts ou pseudo-experts ni les multiples services de conformité qui n'échangent qu'entre eux, en oubliant les hommes et les femmes de terrain.
La délinquance financière ne constitue pas seulement une infraction économique : elle est devenue un levier stratégique du crime organisé, un facteur de fragilisation des institutions démocratiques et un puissant moteur de distorsion du modèle républicain.
Cette guerre contre le narcotrafic et le blanchiment passe aussi par une plus grande fermeté dans nos prisons.
Trop longtemps, nous avons fermé les yeux sur les objets introduits illégalement en détention – téléphones portables, drones, projectiles – qui permettent à de nombreux trafiquants de continuer à diriger leur réseau depuis leur cellule et même, parfois, de commanditer des assassinats.
Cela passe par une lutte sans complaisance contre la corruption, où qu'elle se niche : dans l'administration pénitentiaire, dans la sphère politique ou dans le secteur industriel.
Vous l'avez bien compris, monsieur le garde des sceaux. C'est pourquoi je tiens à saluer la création, grâce à vous, de deux prisons de haute sécurité, l'une à Condé-sur-Sarthe et l'autre à Vendin-le-Vieil.
Enfin, n'oublions pas les maires, auxquels nous pouvons donner une feuille de route, car ils sont en première ligne : il leur est ainsi possible d'user du droit de préemption lorsque des locaux vacants sont susceptibles d'être utilisés pour ouvrir un commerce connu pour être un blanchisseur.
De même, ils peuvent inscrire des contraintes dans les cahiers des charges des marchés, par exemple l'interdiction de produits de contrefaçon.
Enfin, il leur incombe de former les polices municipales pour repérer les changements d'affectation ou les commerces éphémères.
Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je vous propose d'adopter une position encore plus volontariste, après le réveil et le sursaut qu'a permis le travail sur le narcotrafic, pour étendre cette démarche ferme et volontaire à l'ensemble de la criminalité organisée. Nous devrions notamment donner de nouveaux moyens à nos services pour lutter contre le blanchiment, mère de tous les vices.
Par ailleurs, les moyens alloués à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), dont l'une des missions essentielles est la lutte contre la fraude et les grands trafics internationaux, augmenteront de 3,6 % en 2026 par rapport à 2025 et ses moyens humains seront renforcés.
Ce signal doit être poursuivi et amplifié si nous voulons réellement nous donner les moyens de gagner face à ce fléau.
Le groupe Union Centriste propose, par ailleurs, la création d'un groupe de suivi des textes et enjeux de la criminalité organisée, à la suite des deux commissions d'enquête menées, l'une, sur le narcotrafic, par Étienne Blanc et Jérôme Durain, l'autre, sur la délinquance financière, par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet.
Notre engagement ne saurait faiblir sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, Les Républicains, INDEP et SER.)
(M. Xavier Iacovelli remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli
vice-président
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la drogue est une gangrène qui menace chaque pays touché par son trafic », disait le président Jacques Chirac en 2003. Vingt ans plus tard, force est de constater que cette gangrène a fortement progressé.
Le narcotrafic est non pas une délinquance parmi d'autres, mais l'axe majeur de la criminalité organisée. Structuré, financiarisé et violent, il s'enracine dans nos territoires, s'adapte en permanence à l'action publique et conteste, par la force, l'autorité même de l'État.
Longtemps cantonné à quelques quartiers ou à certaines grandes métropoles, il s'étend aujourd'hui aux villes moyennes, aux zones périurbaines, aux territoires les plus ruraux, aux collèges, aux lycées, et même aux vestiaires des stades. Les coups de feu ne sont plus exceptionnels. Pour certains de nos concitoyens, ils deviennent presque un bruit de fond. Voilà le moment de bascule que nous vivons.
Notre groupe tient à saluer l'implication des pouvoirs publics. Les forces de sécurité intérieure, les douanes, l'Office anti-stupéfiants (Ofast) et les magistrats spécialisés sont pleinement mobilisés. Les quantités de drogue saisies atteignent des niveaux inédits. Des records sont battus en mer, dans les ports, sur nos routes, dans nos aéroports.
La marine nationale est en pointe : en 2025, elle a saisi plus de 83 tonnes de drogue, d'une valeur globale de 3,6 milliards d'euros. C'est 70 % de plus qu'en 2024 !
Mais ces saisies, aussi nécessaires soient-elles, révèlent surtout l'ampleur du phénomène. Elles ne sont pas le signe d'un trafic maîtrisé, mais celui d'un trafic industrialisé. Les milliers de points de deal, la permanence des flux, la rapidité de reconstitution des réseaux montrent que nous avons affaire non pas à une criminalité contenue, mais à une véritable économie parallèle, installée et internationale.
Cette économie criminelle s'appuie sur les nouvelles technologies : les cryptomonnaies pour dissimuler l'argent ; les messageries cryptées pour organiser le trafic à l'échelle internationale. Les enquêtes l'ont montré : ce sont des millions de messages échangés, des milliers d'acteurs impliqués, bien au-delà des capacités humaines traditionnelles de traitement.
Les réseaux sont fragmentés et spécialisés. Ils fonctionnent selon une forme de taylorisme criminel : logisticiens, collecteurs, blanchisseurs, ou encore distributeurs. Les flux sont continus, les quantités fractionnées, les responsabilités diluées.
Des progrès majeurs ont été réalisés par les services d'enquête, notamment s'agissant des messageries cryptées. Nos agents devraient cependant bénéficier de moyens plus importants si nous voulons faire tomber les réseaux.
Cette sophistication technologique bouleverse profondément notre rapport au temps pénal. Elle permet aux réseaux de survivre aux arrestations, de se reconstituer rapidement et, parfois, de poursuivre leurs activités malgré l'incarcération de leurs chefs.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez pris le problème à bras-le-corps, et nous saluons votre action.
Derrière les trafics, derrière ces flux et ces chiffres, il y a une réalité humaine, tragique et brutale : la drogue fait des victimes, parmi ceux qui la vendent et parmi les consommateurs.
Elle fait aussi des victimes parmi celles et ceux qui n'avaient rien demandé. J'ai ainsi une pensée pour Socayna, cette étudiante en médecine fauchée par une balle perdue alors qu'elle se trouvait dans sa chambre.
J'ai aussi une pensée pour tous nos concitoyens dont le quotidien est dominé par la peur et la violence du trafic.
J'ai une pensée, enfin, pour celles et ceux qui osent dire non et qui refusent la loi du silence, comme le frère, lâchement assassiné, d'Amine Kessaci.
Parce que les profits explosent, parce que les enjeux financiers sont devenus colossaux, il n'y a pas que les produits qui sont importés ; les méthodes le sont aussi. En Europe, nous voyons désormais poindre la violence des cartels latino-américains : armes de guerre, règlements de compte en pleine rue, et des mineurs, parfois âgés d'à peine 14 ans, utilisés comme tueurs à gages… Cette violence n'est pas une dérive ; elle est un outil assumé de gestion, de domination et de conquête des territoires.
Dans la lutte contre les trafics, les ports sont l'un des points névralgiques. Celui de Rotterdam a engagé une sécurisation massive. Celui d'Anvers reste fortement sous tension. En France, le port du Havre a besoin de moyens supplémentaires pour faire face à la pression criminelle croissante.
Les dockers sont menacés. Les agents pénitentiaires sont intimidés. La corruption devient un levier stratégique. En effet, le narcotrafic ne peut prospérer sans blanchiment massif des profits, sans infiltration de l'économie légale, sans pressions, sans enlèvements, sans exécutions ciblées. Tant que l'argent du crime circulera plus vite que nous ne le saisissons, nous laisserons aux réseaux un avantage décisif…
Il y a enfin l'éléphant dans la pièce : les consommateurs. Sans eux, il n'y a pas de trafic de drogue. Et je veux d'emblée le dire, la responsabilité pénale n'est pas incompatible avec la prévention et les soins.
Nous ne pouvons pas détourner le regard. Le modèle propre aux Pays-Bas, pays tenté par la distinction entre drogues dures et douces, a montré ses limites et prouvé son impuissance. La banalisation de l'usage, la tolérance implicite et l'hypocrisie collective nourrissent directement les réseaux criminels.
Qu'on le veuille ou non, la consommation finance directement l'évasion de Mohamed Amra, les attaques contre les prisons, les enlèvements et les assassinats... Derrière l'ecstasy en rave party, derrière le rail de coke en boîte de nuit, il y a des chambres de torture et des exécutions ! Les consommateurs portent une très lourde responsabilité !
Le changement d'échelle du narcotrafic que nous connaissons aujourd'hui est lié à une substance en particulier : la cocaïne. Un kilo de cette drogue s'achète environ 1 000 euros en Amérique latine et se revend jusqu'à 60 000 euros en Europe. En 2023, plus de 1 million de Français ont consommé au moins une fois de la cocaïne, près de deux fois plus qu'en 2017. Une telle rentabilité a pour corollaire des capitaux criminels considérables ; elle alimente une violence sans frein et transforme le trafic de drogue en une industrie internationale.
Comme si le tableau n'était pas assez sombre, nous devons garder à l'esprit que nous ne sommes pas encore confrontés à ce que connaissent d'autres pays, notamment les États-Unis : je pense au fentanyl, à ses ravages sanitaires et ses milliers de morts. Les signaux faibles existent et il serait dangereux de les ignorer. Il faut agir rapidement et fermement !
Ce que je veux dire par là, ce n'est absolument pas que la justice est laxiste. Avec un taux d'occupation carcérale de 136 %, il serait injuste et inefficace de mettre en cause les magistrats.
Ce n'est pas la justice qui est défaillante ; c'est la promesse qui lui est faite et qui n'est pas encore tenue. Tant que nous ne créerons pas de nouvelles places de prison réellement sécurisées, tant que l'incarcération ne coupera pas les réseaux, nous ne pourrons pas exiger davantage de ceux qui rendent la justice.
Face à une économie criminelle mondialisée, notre réponse doit être globale : pénale, financière, technologique, sans angle mort. La lutte contre le narcotrafic exige des moyens, et, surtout, du courage.
Quand nous regardons ce qui se passe chez nos voisins en Europe, nous n'avons ni à nous féliciter ni à rougir ; mais nous voyons bien que la solution miracle n'existe pas encore.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra, bien sûr, l'initiative du Gouvernement. Cette bataille de longue haleine, nous ne pouvons pas nous permettre de la perdre ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a encore quelques années, le narcotrafic était perçu comme un phénomène périphérique : un problème de quartiers, un sujet pour les grandes métropoles, un angle mort de l'action publique tant qu'il restait contenu.
Aujourd'hui, cette illusion s'est dissipée. Le narcotrafic n'est plus une menace diffuse : il est omniprésent. Il touche à notre sécurité, à notre jeunesse, à notre santé publique. Il porte atteinte à l'intégrité de l'action publique et se répand partout sur notre territoire.
Si nous débattons ce soir, c'est parce que la République est directement défiée et que le Gouvernement a choisi d'y répondre sans détourner le regard.
Pour mesurer l'ampleur de cette menace, il faut d'abord regarder ce qui l'alimente : la consommation.
Comme l'ont révélé les travaux de la commission d'enquête sénatoriale menés par notre ancien collègue Jérôme Durain et par Étienne Blanc, qui est présent ici et que je salue, nous faisons face à un double mouvement préoccupant : l'émergence de nouveaux produits dévastateurs, à bas coût, et la banalisation des drogues dites dures.
La cocaïne en est l'illustration la plus frappante. Vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les ministres, les saisies atteignent des records année après année. Derrière ces chiffres, il y a une réalité brutale : près de 1,1 million de Français ont consommé de la cocaïne en 2023, presque deux fois plus qu'en 2017.
Il nous faut assumer une vérité parfois dérangeante. Le consommateur est un maillon du système. Il finance la violence, alimente la corruption et rend possible l'enrôlement des plus jeunes.
La réponse doit être ferme. Les amendes forfaitaires délictuelles, lorsqu'elles sont recouvrées, constituent un outil pertinent. Je salue, à cet égard, l'implication des ministères de l'intérieur et de la justice, de Bercy, ainsi que celle des ministres présents dans notre hémicycle – leur présence atteste de l'importance accordée par le Gouvernement à cette lutte. La proposition du Président de la République d'augmenter le montant de ces amendes marque notre volonté de mettre fin à cette banalisation.
Mais la répression seule ne suffit pas. La consommation est aussi un enjeu de santé publique, de prévention et de prise en charge des addictions. C'est à cette condition que nous tarirons durablement la demande.
Cette économie criminelle prospère avant tout grâce à l'enrôlement de nos jeunes. Les réseaux recrutent, ruinent des trajectoires de vie et compromettent leur avenir. Quand on propose de 150 à 200 euros par jour à un adolescent, le recrutement devient tragiquement simple. Les trafiquants exploitent la vulnérabilité, la précarité et l'absence de perspectives.
En 2023, les individus mis en cause pour trafic de stupéfiants étaient à 19 % des mineurs. L'enrôlement des mineurs, érigé en circonstance aggravante par la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, doit trouver toute sa traduction dans la réponse pénale. Protégeons davantage nos jeunes en renforçant leur accompagnement, et ce pour les éloigner durablement de logiques les conduisant à la délinquance.
Pour asseoir leur domination, les réseaux ont durci leurs méthodes : intimidation, ultraviolence, fusillades, assassinats ciblés, racket. L'actualité récente nous l'a rappelé avec brutalité.
À Marseille, on retrouve dans l'assassinat de Mehdi Kessaci, frère du militant associatif Amine Kessaci, tous les marqueurs d'un crime d'intimidation, d'une barbarie sans nom. J'ai une pensée émue pour la famille Kessaci, ses proches, et toutes celles et tous ceux qui refusent de céder à cette logique criminelle.
Cette violence frappe l'ensemble du territoire, avec une intensité particulière dans les outre-mer. Les espaces maritimes ont besoin de dispositifs à la hauteur. Certes, la gendarmerie et la marine accomplissent un travail remarquable, mais il faut renforcer les moyens, autrement dit les effectifs et les équipements, pour traquer les trafiquants ; il faut aussi leur donner un cadre juridique adapté.
Je pense aux Antilles, où le trafic s'accompagne d'une circulation accrue d'armes lourdes et d'une pénétration du narcotrafic dans le tissu social et familial, à la Polynésie française sur l'axe Amérique du Sud-Australie, et à la Guyane, où le phénomène des mules touche toutes les strates de la société. Dans ce département, le dispositif « 100 % contrôle » a permis de ralentir le trafic, mais il mobilise massivement les forces de l'ordre.
D'autres solutions existent : les Pays-Bas et la Belgique utilisent des scanners corporels pour détecter la cocaïne. Les élus guyanais, notamment notre collègue Marie-Laure Phinéra-Horth, demandent leur installation sur les lignes sensibles. Mesdames, messieurs les ministres, cette demande appelle une réponse rapide de votre part.
Face à une telle menace, nous avons choisi d'agir. La loi sur le narcotrafic, fruit d'un travail parlementaire transpartisan, en est le parfait exemple. Elle renforce le pouvoir d'action de la justice et de l'État : fermetures administratives des lieux liés à la criminalité, prolongation des gardes à vue des mules, lutte contre le blanchiment.
Vous l'avez rappelé, mesdames, messieurs les ministres, l'argent est le nerf de la guerre. Frapper au cœur des réseaux, c'est les frapper au portefeuille. Le travail des services de police et de renseignement pour traquer l'argent sale est excellent, et je veux le saluer. Mais nous devons aller plus loin, taper plus fort encore, avec davantage de saisies et sous contrôle du juge.
La création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) traduit un changement de paradigme. Par sa spécialisation et son articulation avec l'état-major interministériel, ce parquet permet d'adapter l'action publique à une menace diffuse et structurée.
Cette lutte doit aussi être menée derrière les murs de nos prisons. Le drame d'Incarville a révélé de graves failles. Les mesures du protocole d'Incarville et de la loi sur le narcotrafic, notamment l'anonymisation des agents, sont essentielles.
L'isolement des grands narcotrafiquants au sein des quartiers de lutte contre la criminalité organisée constitue une rupture indispensable pour empêcher les têtes de réseau de continuer à œuvrer depuis leur lieu de détention. Cet enfermement hermétique, sans téléphone portable, fondé sur un régime strict, est la bonne méthode.
Mes chers collègues, la situation est alarmante, mais il n'y a pas de fatalité ! Oui, il nous faut renforcer notre cadre juridique, nos dispositifs de prévention et nos moyens, pour que nos outils répondent à une menace qui évolue sans cesse. C'est une question non pas seulement de sécurité, mais aussi de souveraineté.
Dans ce combat, nous devons protéger celles et ceux qui font vivre l'autorité publique au quotidien : forces de l'ordre, magistrats, agents pénitentiaires, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), élus locaux. Face à ceux qui imposent peur, corruption et violence, la République ne doit pas céder ! Elle peut compter sur notre engagement.
Au nom du groupe RDPI, je réaffirme notre soutien résolu à l'action du Gouvernement dans cette lutte déterminée ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'issue de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, notre groupe a fait un choix clair, celui de la responsabilité, en votant ce texte.
Nous l'avons fait parce que la situation est grave, parce que les trafics de stupéfiants ne cessent de s'étendre, parce que les réseaux criminels se structurent, se professionnalisent et se financiarisent, et parce que, dans de nombreux territoires de la République, l'emprise mafieuse a pris une ampleur incontrôlable. Je pense évidemment à Marseille, mais aussi à bien d'autres villes.
Les narcotrafiquants ont d'ailleurs franchi un cap supplémentaire avec le meurtre immonde de Mehdi Kessaci. Nous assistons à un basculement : nous sommes confrontés à une menace qui va crescendo, jusqu'au chaos…
Nous avons voté ce texte, car nous savons que l'inaction aurait été une faute. Mais nous l'avons aussi voté en conscience, en acceptant que certains sujets majeurs ne soient pas traités, non parce qu'ils seraient secondaires, mais parce qu'un compromis politique avait été trouvé pour en permettre l'adoption.
Aujourd'hui, mes chers collègues, nous sommes à un moment décisif. Car si le traitement de ces sujets continue d'être repoussé dans le temps, si nous persistons à considérer ces questions comme périphériques, alors, il faut le dire clairement, cette loi sera insuffisante. Elle ne permettra pas de sortir durablement la France du piège du narcotrafic.
Cette lutte ne saurait être uniquement répressive et se limiter à l'aval du phénomène. Elle doit être globale, cohérente et déterminée. Nous devons désormais élaborer un nouveau véhicule législatif pour traiter le fléau.
Je veux d'abord aborder la question absolument centrale du blanchiment de l'argent issu de ce trafic. Le narcotrafic est avant tout une économie criminelle et mondialisée, une économie qui génère des flux financiers colossaux, une économie qui ne prospère que parce que l'argent peut être blanchi, investi, dissimulé et recyclé.
Soyons lucides : sans blanchiment, il n'y a pas de trafic à grande échelle. Sans blanchiment, les réseaux ne peuvent ni se développer, ni se structurer, ni corrompre.
Or ce blanchiment ne se fait pas dans le vide, si je puis dire. Il s'opère à travers des circuits financiers, bancaires, immobiliers et commerciaux parfaitement identifiables, parfois avec la complaisance, la négligence, ou encore la complicité d'acteurs économiques puissants.
Les banques ne peuvent pas être éternellement les grandes absentes de ce débat. Lorsque certaines ferment les yeux sur des flux manifestement suspects, lorsqu'elles considèrent que les amendes sont un coût acceptable, lorsqu'elles préfèrent la rentabilité au respect de la loi, elles deviennent des maillons essentiels de la chaîne criminelle.
On ne peut pas, d'un côté, afficher – à juste titre – une fermeté sans concession à l'égard des trafiquants, et, de l'autre, faire preuve d'une indulgence persistante envers ceux qui permettent à l'argent sale de circuler. Il nous faut renforcer considérablement la justice financière, les moyens d'enquête des services spécialisés, les contrôles bancaires et les sanctions. Il faut que les moyens de lutte contre le blanchiment soient perçus comme un risque réel. Ils doivent devenir dissuasifs. Les faits de blanchiment doivent donc faire systématiquement l'objet de poursuites.
Cette question du blanchiment me conduit à évoquer l'aspect international du trafic de drogue, qui est par essence transnational. Les drogues consommées en France sont produites ailleurs. Les profits générés ici sont blanchis là-bas, et inversement.
La France ne peut pas prétendre lutter efficacement contre ce phénomène sans une stratégie internationale ambitieuse et cohérente. Cela suppose de renforcer la coopération judiciaire et policière, mais aussi de fixer des exigences politiques claires vis-à-vis des pays producteurs et des États complaisants.
La lutte contre le narcotrafic doit devenir un enjeu diplomatique de premier plan. Sans cela, nos efforts nationaux resteront fragiles, contournables et insuffisants.
J'en viens maintenant à la question primordiale de la prévention sanitaire et de la santé publique.
La consommation de drogues progresse et les situations de dépendance s'aggravent. Les usagers sont de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux, de plus en plus isolés. Et pourtant, la réponse sanitaire demeure dramatiquement sous-dimensionnée : les structures de soins sont saturées et les structures de prévention manquent de moyens.
On ne réduira pas durablement l'emprise des trafiquants sans une politique de santé publique ambitieuse, assumée et à laquelle – j'y insiste – on consacrera des moyens.
Or, dans le projet de loi de finances pour 2026, les moyens du ministère de la santé sont en diminution. Les personnes malades et les soignants sont, d'année en année, toujours plus abandonnés.
Ainsi, l'expérimentation des haltes soins addictions (HSA) n'est pas pérennisée. Elle est prolongée uniquement de deux ans, dans deux villes seulement, et sous-financée. Pourtant, les trois évaluations, respectivement menées par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas), concluent toutes à la pertinence et à l'efficacité du dispositif. En outre, le Gouvernement diminue les crédits alloués à la Mildeca, alors que son rôle est primordial.
L'exécutif annonce aussi vouloir mettre l'accent sur la prévention au travers de l'éducation nationale, mais il supprime dans le même temps 4 000 postes d'enseignants.
Enfin, pour ne citer que ce point, on réduit drastiquement les moyens des associations, alors même que la politique de prévention de notre pays repose beaucoup sur leur travail.
La sécurité est un droit fondamental, mais la santé l'est tout autant. Les opposer serait une erreur politique et stratégique.
J'insiste également avec force sur l'importance de la protection de l'enfance. Aujourd'hui, plus de 350 000 mineurs et jeunes majeurs relèvent de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Chacun sait ici que ces enfants sont devenus les cibles privilégiées des réseaux mafieux, qu'il s'agisse de trafic de stupéfiants ou de prostitution. Sur les 15 000 mineurs en situation de prostitution, 80 % sont des jeunes filles prises en charge par l'ASE.
Combien d'enfants enrôlés par ces réseaux se retrouvent impliqués dans le trafic de stupéfiants ? Ils sont recrutés, exploités, souvent sous la contrainte, et parfois dans les foyers censés les protéger. Cette situation indigne constitue un échec collectif et révèle un abandon organisé.
Comment prétendre lutter contre le narcotrafic si nous laissons ces enfants sans protection ? Comment peut-on parler de fermeté alors qu'on laisse prospérer ce vivier de main-d'œuvre pour les mafias ? La protection de l'enfance n'est pas un sujet annexe, mais une condition indispensable de l'efficacité de notre action.
Sans un soutien massif aux départements, sans un renforcement de l'ASE, sans des professionnels en nombre suffisant et reconnus, nos lois resteront des proclamations sans effet réel.
Mes chers collègues, partout où l'État recule, les mafias progressent. Partout où les services publics s'affaiblissent, les trafiquants s'installent !
L'an dernier, nous avons pris notre part de responsabilité en votant ce texte. Aujourd'hui, la responsabilité, c'est d'aller au bout de la démarche, d'assumer une approche globale avec de véritables moyens, de traiter enfin les questions du blanchiment, du rôle des acteurs financiers, de la santé publique et de la protection de l'enfance. Sans cela, le piège du narcotrafic continuera de se refermer sur nous. Avec cela, nous pourrons réellement commencer à faire reculer cette menace ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons tous la même analyse de la loi sur le narcotrafic de 2025 : ce texte était essentiel, attendu et urgent.
Cette loi a constitué une étape importante : elle a renforcé les capacités d'enquête, clarifié les compétences juridictionnelles et consolidé l'arsenal pénal contre les réseaux criminels. Nous attendons désormais les décrets d'application manquants.
Dans la foulée, la commission d'enquête sur la délinquance financière et la criminalité organisée que j'ai eu l'honneur de présider, et dont notre excellente collègue Nathalie Goulet était rapporteur, a permis de déplacer le regard du législateur – et j'espère du Gouvernement ! – sur l'enjeu que constituent le blanchiment et le crime financier.
Nous avons compris que le narcotrafic n'était pas seulement une chaîne logistique de produits illicites. C'est une économie intégrée, structurée et rationnelle dont la finalité n'est pas la violence, mais l'accumulation, la sécurisation et la transformation de flux financiers massifs. « Faire du fric », voilà l'objectif à tous les étages des réseaux criminels !
Notre sujet n'était donc pas le narcotrafic en tant que tel, mais le devenir de l'argent issu de l'ensemble des activités criminelles organisées : stupéfiants, traite des êtres humains, contrefaçon, trafic d'espèces protégées, œuvres d'art. La diversification est incroyable, mais tous ces trafics ont un point commun : ils n'ont de sens que s'ils contribuent à enrichir les criminels.
Le blanchiment est un point de passage obligé de tous les trafics.
M. Michel Canévet. C'est un point d'entrée !
M. Raphaël Daubet. Ce truisme a plusieurs conséquences majeures.
Première conséquence : le crime financier est celui qui vient ouvrir une brèche dans l'économie légale. Le trafic se fait plus ou moins à l'écart de la société, entre dealers et consommateurs, mais le blanchiment, lui, s'engouffre dans le monde légal. Cela représente entre 38 milliards et 58 milliards d'euros par an en France, ce qui est énorme, d'autant que l'État n'en récupère que 2 %... Autrement dit, l'écrasante majorité des profits criminels se cristallise dans l'économie légale.
Ce que nous avons observé, audition après audition, c'est une interpénétration croissante entre économie licite et économie criminelle. Le blanchiment se fait non plus uniquement par dissimulation, mais par normalisation. Des entreprises qui existent juridiquement, et qui ont parfois une activité légale réelle, servent aussi à recycler des fonds d'origine illicite.
C'est là que le risque démocratique apparaît et que l'État de droit recule.
Deuxième conséquence : le crime financier implique de développer une vision globale du phénomène criminel et d'insuffler une culture de la lutte contre l'argent sale à tous les niveaux de la société, dans toutes les administrations et dans tous les territoires, et ce en gardant à l'esprit que c'est la corruption qui devient un risque systémique.
Nous avons montré que les atteintes à la probité étaient l'instrument par lequel les entreprises criminelles s'immisçaient progressivement dans l'économie, y compris dans les marchés publics. Ce constat n'est plus seulement le nôtre ; il est désormais confirmé par la Cour des comptes dans un rapport récent, et par l'inspection générale de la police nationale (IGPN), qui observe une hausse préoccupante des consultations illégales. La contrepartie est souvent difficile à prouver, mais le résultat est le même : une corruption diffuse, à bas bruit, quotidienne, qui fragilise en profondeur l'intégrité de l'action publique.
Nous avons proposé une approche par les risques permettant d'identifier les secteurs, les territoires et les fonctions les plus exposés. Nous préconisons de renforcer le cadre pénal, d'alourdir les peines encourues en matière de corruption et d'étendre les obligations de prévention prévues dans la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II.
Le Gouvernement a adopté, il y a un mois, un plan de lutte contre la corruption comptant trente-six mesures. Je me réjouis de cette nouvelle, même si je m'inquiète des moyens qui lui seront alloués.
Troisième conséquence : tant que les trafiquants pourront jouir de leur patrimoine pendant et après la prison, ils continueront de prendre des risques et considéreront leur peine d'emprisonnement comme un accident du travail qui ne les empêche pas de s'enrichir.
En fait, malgré un arsenal juridique que l'on pourrait imaginer robuste, la lutte contre le blanchiment souffre d'un manque structurel de stratégie. Nous faisons face à un empilement de dispositions – sur les plans préventif, déclaratif, répressif –, qui n'a pas de véritable cohérence d'ensemble.
Sur le plan préventif, le dispositif repose largement sur les obligations déclaratives des professions assujetties à Tracfin. Ce cadre est indispensable, mais son efficacité est profondément aléatoire : certaines professions jouent le jeu, mais d'autres pas vraiment, voire pas du tout.
Sur le plan répressif, l'arsenal est théoriquement puissant – présomption de blanchiment, saisies, confiscations –, mais sa mise en œuvre reste entravée par plusieurs limites majeures.
Première limite : le cloisonnement des services. Les données sont trop fragmentées entre les administrations fiscale, douanière, judiciaire et financière.
Deuxième limite : le déficit d'enquêteurs spécialisés. Les dossiers économiques et financiers sont longs, techniques, exigeants, et ne suscitent plus les vocations. Il est clairement ressorti de nos auditions que la réforme de la police judiciaire de 2023 avait aggravé cette situation.
Troisième limite : le retard technologique. Le blanchiment contemporain exploite pleinement les cryptoactifs, les mécanismes d'opacification, les montages juridiques complexes. Or l'État, lui, reste contraint par des outils parfois obsolètes et des capacités de traitement des données insuffisantes.
Enfin, la coopération internationale est un défi majeur, car les réseaux criminels n'ont pas de frontières. Je salue, à cet égard, les bonnes nouvelles qui nous viennent des Émirats arabes unis.
La loi de 2025 a principalement été pensée en aval, une fois que l'infraction est caractérisée. Or le blanchiment se joue en amont, dans les zones grises du droit économique, dans les interstices de la régulation, au travers de la création de structures juridiquement licites, mais économiquement toxiques.
Les travaux de notre commission d'enquête, puis la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, que Nathalie Goulet et moi-même avons présentée,...
M. Michel Canévet. Excellent texte !
M. Raphaël Daubet. ... ont précisément eu pour but de combler cet angle mort, en sus des dispositions propres à la loi sur le narcotrafic. Il faudra que la navette parlementaire poursuive rapidement son cours, mais nous devrons aller plus loin encore, en nous inscrivant dans une logique de prévention des schémas de blanchiment.
M. Michel Canévet. C'est vrai !
M. Raphaël Daubet. Mes chers collègues, la lutte contre le narcotrafic ne se gagnera pas uniquement sur le terrain pénal. Nous aurons gagné le combat lorsque le crime cessera d'être rentable. C'est à ce prix que la République pourra reprendre durablement l'avantage ! (Applaudissements sur des travées des groupes GEST, UC et INDEP. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour ce qui paraît être un point d'étape du processus engagé avec la commission d'enquête sur le narcotrafic dont j'avais demandé la création il y a deux ans, avec mes collègues des Bouches-du-Rhône Marie-Arlette Carlotti et Jérémy Bacchi.
Si le narcotrafic touche l'ensemble de notre territoire, des zones rurales aux outre-mer, Marseille et sa région semblent être, hélas ! un laboratoire avancé de cette criminalité organisée.
Notre assemblée s'est saisie du sujet. Elle a mené des travaux de qualité, sous l'impulsion du président et du rapporteur de la commission d'enquête, notre ancien collègue Jérôme Durain et le sénateur Étienne Blanc. Le rapport issu de cette commission d'enquête comportait trente-cinq propositions, que le texte adopté au printemps dernier avait vocation à traduire dans la loi.
Cette loi reflète une approche réellement novatrice de la répression du narcotrafic : viser le haut du spectre ; taper au portefeuille ; lutter contre le blanchiment ; apporter une attention particulière aux points d'entrée des produits ; créer un statut des repentis ; et réorganiser nos institutions judiciaires en créant le tant attendu parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco).
Nous avons soutenu les grandes mesures de ce texte, mais nous avons, dès les premières discussions, alerté sur le besoin d'y consacrer des moyens.
Il y a quelques années, nous avions créé une juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), auquel le Pnaco se substitue. Je ne ferai offense à personne en disant que la machine n'a que trop peu fonctionné, en raison d'un manque de soutien à la fois politique, matériel et financier et de ressources humaines insuffisantes.
La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été adoptée il y a peu, mais il est déjà visible que sa mise en œuvre patine. Il faut dire que la réforme précipitée de la police judiciaire n'a pas aidé… Pour notre part, nous continuons à plaider pour une réelle revalorisation de la filière investigation, et, en particulier, de l'investigation financière.
Avant de venir nous demander ce qu'il faudrait faire de plus, le Gouvernement ferait mieux de s'atteler à faire paraître les décrets prévus par la loi ! Sur les trente-deux décrets nécessaires à la bonne application de celle-ci, les journalistes ne recensaient récemment que cinq décrets publiés, relatifs à la création de quartiers de haute sécurité et au Pnaco.
Mesdames, messieurs les ministres, voilà déjà un levier à actionner, et vite ! Il est temps de publier ces décrets, et notamment celui qui a trait au statut des repentis ! Action !
Par ailleurs, nous estimons que le traitement du blanchiment doit être amélioré. À cet effet, la piste de la criminalisation de ces infractions doit être étudiée. La coordination des tribunaux judiciaires avec les tribunaux de commerce doit également être renforcée. En outre, les prérogatives des greffes de ces derniers doivent être accrues pour qu'ils puissent, sous l'autorité des magistrats, mieux vérifier l'identité des dirigeants, des actionnaires et des bénéficiaires des entreprises, notamment lorsqu'il s'agit de ressortissants étrangers, et mieux tracer les flux financiers.
Et puis il y a tout ce qui n'est pas dans ce texte, y compris des mesures primordiales pour lutter contre le nec plus ultra de l'économie libérale mondialisée que constitue le narcotrafic.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, il est urgent d'en faire une grande cause nationale, et nous regrettons qu'aucune initiative n'ait émergé en ce sens.
De même, des dispositifs de prévention doivent être mis en œuvre à destination des consommateurs en général, mais aussi des personnes en situation de grande précarité, car elles sont les cibles privilégiées des trafiquants lorsqu'ils cherchent des petites mains pour gonfler les effectifs du « lumpenprolétariat » de cette industrie.
Aucune campagne d'information n'a été mise en place pour prévenir la consommation de drogues, la première embauche ou l'entrée dans le trafic ! Rien n'a été fait en matière de parcours de soins et de prise en charge des addictions ! Aucune réflexion n'a été menée sur l'intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages. En somme, aucune politique de santé publique n'a été déployée !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Oh, tout de même !
M. Guy Benarroche. Rien n'a été décidé sur le volet économique et social, dont il a pourtant été question au cours des travaux de la commission d'enquête, et ce alors qu'il s'agit d'un levier majeur de la lutte contre le narcotrafic ! Rien n'a émergé dans le domaine de la politique de la ville, de la lutte contre la précarité, du logement, ou encore de l'insertion par l'école et le travail !
Et rien n'a été fait en matière d'accompagnement et de traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs familles ! C'est pourtant l'une des demandes fortes dont nous ont fait part les familles que nous avons fait auditionner, mes collègues des Bouches-du-Rhône et moi-même. Nous avons voulu introduire un article à cet effet dans le texte, mais, faute d'engagement du Gouvernement, nous nous sommes heurtés à l'article 40 de la Constitution. Monsieur le Premier ministre, engagez-vous !
Nous avons entendu les annonces du Président de la République sur le relèvement du montant des amendes forfaitaires délictuelles (AFD). La position de mon groupe sur ces amendes est constante : cet outil est, au mieux, inefficace.
Nous en avons assez de voir le délai pour accéder à un juge s'allonger encore et encore à cause du manque de moyens de la justice ! La Défenseure des droits avait alerté en 2023, considérant que le mécanisme de l'AFD dérogeait au principe de l'opportunité des poursuites, au droit d'accès au juge, aux droits de la défense, et au principe de l'individualisation des peines.
Le Président a également remis sur la table le sujet de la culpabilité des consommateurs en fustigeant ceux qui alimentent le narcotrafic et les morts qui vont avec, car ce serait « festif » d'acheter de la cocaïne. Mais la consommation ne crée pas l'offre ! Alors que la cocaïne serait en passe de devenir la première drogue dans notre pays, croire que la consommation est motivée par son caractère festif relève de la pure méconnaissance…
Comme le rappelait la semaine dernière le président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), la consommation de cocaïne touche toutes les professions et tous les milieux. Elle ne concerne pas que les jeunes d'une certaine catégorie sociale…
Le Président de la République a également affirmé avoir « remis des moyens » policiers, déclarant que 500 policiers de plus étaient déployés, soit « 300 policiers net ». Personne ne peut vérifier ce chiffre. Or il est important que les maires puissent connaître le nombre de policiers nationaux dans leurs territoires.
Il a rappelé que son action avait permis de diviser par deux le nombre de points de deal. On dirait un préfet de la Belle Époque qui se féliciterait d'avoir réduit les accidents de calèche par son contrôle accru des attelages… Les modalités de distribution ont changé ! Elles se sont diversifiées. Les systèmes de livraison dits « Uber shit » se sont développés partout sur notre territoire.
La formulation de la question que vous posez, monsieur le Premier ministre, est révélatrice. Vous parlez de la menace que représentent le narcotrafic et la criminalité organisée pour notre pacte républicain. Nous pensons plutôt que l'abandon du pacte républicain a marqué le commencement de la spirale infernale de la criminalité organisée.
Le pacte républicain, c'est l'égalité des chances ! Ce sont des services publics partout et pour tous, des hôpitaux qui ont les moyens de fonctionner, une médecine qui soigne et mène de réelles politiques de prévention, une école forte, qui permet à chacun de se réaliser et de s'élever, une aide sociale à l'enfance (ASE) qui protège mieux les plus fragiles qui lui sont confiés.
Le pacte républicain suppose le soutien aux centres sociaux et aux missions locales sur le terrain, le déploiement des policiers nationaux au contact de la population, des transports qui désenclavent les territoires oubliés de la République, une politique de la ville qui fonctionne, une politique de rénovation urbaine à hauteur des besoins du terrain, et une politique de logement plus stratégique et soutenue.
Au-delà de cette vision globale de la prévention, nous avons défendu et continuons de défendre le besoin d'un accompagnement rapide et spécifique des familles menacées et endeuillées par le narcotrafic. Certaines associations, dont celle de mon ami et camarade Amine Kessaci et de sa maman, Conscience, s'efforcent d'assumer cette mission avec les faibles moyens qui sont les leurs, et que vous ne cessez de réduire année après année.
Nous le savons, le recrutement des réseaux du crime organisé se nourrit de l'exclusion sociale, qui commence par le décrochage scolaire. À défaut d'une politique globale qui freinerait le délitement de l'école, il convient donc de porter une attention particulière à ce décrochage scolaire.
Nous avons parlé de grande cause nationale, car nous considérons que, dans les écoles, il est aussi nécessaire d'alerter sur les dangers de l'enrôlement insidieux des réseaux de narcotrafic que d'intervenir sur la sécurité routière. Il convient de dépeindre la réalité, qui est loin des clichés sur l'argent facile, et de mettre en garde contre les modes de recrutement des criminels, les dangers physiques et vitaux, et les risques pénaux associés au trafic, et ce dès l'école primaire, monsieur le Premier ministre !
La grande cause nationale doit également contribuer à ce que l'on porte une attention particulière à la prévention sanitaire.
Enfin, notre groupe proposera une convention citoyenne, ainsi qu'un nouveau cycle de réunions de la conférence nationale des présidents des tribunaux judiciaires, des tribunaux de commerce, des procureurs de la République, des commissaires de police et des douaniers.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, il convient de remettre l'humain – les habitants – au cœur de la réflexion, et d'écouter non seulement les associations, qui, même à bout de souffle, luttent sur le terrain, mais aussi les victimes et leurs proches.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Guy Benarroche. Oui, la répression est nécessaire, mais il faut également penser une prévention globale et réparer enfin le pacte républicain, qui est attaqué par le narcotrafic, en luttant contre les vulnérabilités des personnes qui tombent dans les griffes de ces réseaux criminels ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Hussein Bourgi et Raphaël Daubet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Je me dois de répondre rapidement à certains propos qui ont été tenus.
Tout d'abord, je ferai remarquer au Sénat, comme je l'ai fait tout à l'heure à l'Assemblée nationale, que si nous n'avons pas pris certains décrets, c'est parce que les parlementaires eux-mêmes en ont décidé autrement. Nous avons d'ailleurs déjà eu un débat intéressant au sujet de l'effectivité des décrets d'application.
Monsieur le sénateur Blanc, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est vous qui avez fixé dans la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic des dates d'échéance pour les décrets. C'est pourtant inhabituel…
Par ailleurs, nous sommes empêchés de faire paraître certains décrets, car vous avez souhaité que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) émette un avis au préalable. Bruno Retailleau, alors ministre de l'intérieur, et moi-même avions pourtant expliqué, lors de l'examen du texte, qu'il valait mieux ne pas demander l'avis de la commission pour l'ensemble de ces décrets. En effet, vous savez bien que celle-ci met entre cinq et six mois à se prononcer.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est jamais de votre faute !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est donc quelque peu malvenu de reprocher au Gouvernement de ne pas avoir publié les décrets.
En ce qui concerne mon ministère, celui de la justice, il ne nous reste qu'un décret à finaliser, celui qui a trait au statut des repentis. À ce sujet, vous conviendrez qu'il n'est pas aisé de construire en six mois, certes avec l'aide du service interministériel d'assistance technique (Siat), une « filiale », si je puis dire, permettant une totale anonymisation des personnes qui parlent.
Il convient de trouver à ces dernières des lieux où se cacher, y compris à l'étranger, de leur trouver une identité de couverture, ainsi parfois qu'à leur famille, de leur procurer un logement, voire de leur faire subir des opérations de chirurgie esthétique pour qu'elles ne soient pas reconnues…
Six mois, c'est cinq fois moins de temps qu'il en a fallu à l'Italie pour mettre en application l'article 41-bis de leur règlement pénitentiaire et leur statut des repentis.
Ceux qui considèrent qu'il est possible de faire beaucoup plus vite seraient sans doute les premiers à nous reprocher d'être allés trop vite si un repenti se faisait éliminer par l'organisation criminelle à laquelle il appartenait, et de n'avoir pas su garantir l'anonymat de la personne.
Il est donc important de rappeler que c'est le Parlement qui a fixé des dates d'échéance et requis des avis de la Cnil. Nous ne faisons en réalité que respecter votre volonté.
En outre, nous avons été extrêmement rapides pour mettre en place le Pnaco et les mesures relatives au régime carcéral. À ce propos, je regrette, monsieur Blanc, que vous n'ayez pas souligné que la question du régime carcéral avait été oubliée dans le texte initial. Vous l'aviez certes mentionné dans le rapport que vous avez soumis au président Larcher, mais vous n'avez pas inclus de dispositions sur le régime carcéral dans le texte de loi qui en est issu.
Pourtant, chacun sait bien qu'une grande partie des difficultés que nous rencontrons en dépendent, comme l'ont relevé, et je les en remercie, les sénatrices Linkenheld et Florennes. Nous avons mis en place très rapidement un régime carcéral extrêmement efficace, que vous avez vous-même visité.
Vous auriez pu, dans le tableau très noir que vous venez de dresser, évoquer ce sujet majeur, mais les quinze minutes de temps de parole qui vous étaient imparties étaient sans doute insuffisantes pour le faire…
Par ailleurs, monsieur le sénateur Blanc, madame la sénatrice Linkenheld, l'AFD n'est pas ce que vous croyez. Le ministre de l'intérieur vous communiquera certainement des chiffres concernant le taux de recouvrement. (M. le ministre de l'intérieur acquiesce.)
Monsieur Blanc, vous avez été maire de Divonne-les-Bains, Mme Linkenheld est une grande élue locale, dans ce magnifique département qu'est le Nord, et j'ai moi-même été maire. Nous savons très bien qu'avant l'instauration de cette amende les policiers et les gendarmes, lorsqu'ils appréhendaient quelqu'un en possession de cannabis, se contentaient souvent de prendre le joint, de le jeter par terre, de l'écraser et de dire à la personne de partir. De tels faits n'étaient jamais judiciarisés, sauf lorsque d'autres faits répréhensibles étaient constatés.
En ce sens, la création de l'AFD a été très importante.
Tout d'abord, elle constitue une amende pénale, qui donne lieu à une inscription au casier judiciaire. Cela permet par exemple au ministère de la justice de refuser à des consommateurs de passer le concours de l'École nationale de la magistrature (ENM), ce qui n'était pas le cas auparavant.
Ensuite, elle permet d'effectuer des contrôles de police, auxquels les agents n'auraient pas pu procéder sans cela, et donc de trouver, parfois, autre chose que de la drogue. Par exemple, les policiers peuvent découvrir des armes blanches ou s'apercevoir que la personne contrôlée est en situation irrégulière… Sans cette amende, les policiers ne pourraient pas réaliser de contrôles d'initiative ; ils seraient obligés d'attendre les réquisitions du procureur de la République.
J'ajoute que vous vous apercevrez dans quelques instants que le recouvrement de ces amendes est bien plus important que vous le prétendez.
À cet égard, sachez que le projet de loi de finances pour 2026 comporte une disposition très importante, qui permet à la ministre des comptes publics – qui nous écoute, de là où elle se trouve – et à moi-même de mettre directement en relation la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les commissaires de justice pour recouvrer les amendes. C'est la première fois qu'une telle mesure est adoptée.
Je regrette qu'à l'époque la rapporteure de la proposition de loi sur le narcotrafic ne se soit pas ralliée à notre position, à Bruno Retailleau et à moi-même. Des obstacles nous empêchant de juger plus rapidement auraient pu être levés.
Chacun peut constater que les dossiers relatifs à la criminalité organisée, notamment à Paris et à Marseille, révèlent des liens entre trafic de drogue, proxénétisme – vous avez eu raison de le souligner, madame Linkeheld – et bien d'autres trafics encore. Le Sénat avait initialement proposé de créer un parquet national anti-stupéfiants ; de notre côté, nous avons beaucoup insisté pour en faire un parquet national anti-criminalité organisée, car de nombreux types de délinquances se rejoignent autour du dieu argent.
Pour accélérer le traitement des dossiers, nous avons proposé de simplifier les procédures, ce que vous avez refusé de faire. Nous sommes tout de même parvenus à introduire une mesure de simplification concernant les demandes de remises en liberté – qui nous avait valu de longues discussions au Sénat – lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
Les magistrats nous disent aussi qu'ils sont souvent mis en difficulté par des manœuvres dilatoires : des personnes en détention provisoire sont parfois remises en liberté pour une mauvaise date ou une signature oubliée. Ces pratiques ne concernent sans doute qu'une infime partie des avocats pénalistes, mais elles existent.
Je regrette, monsieur Blanc, que vous ne l'ayez pas mentionné non plus, car il s'agit de l'un des écueils les plus souvent déplorés par la profession. Encore récemment, un syndicat de magistrats a fait publier une tribune dans laquelle il déplore la stratégie de rupture qui est parfois adoptée par la défense, dont le but ultime est de faire sortir une personne de détention provisoire et d'éviter un procès.
En deux ans, le nombre de personnes détenues pour des faits de criminalité organisée a augmenté de 42 %. Actuellement, 19 500 personnes sont détenues dans les prisons françaises pour de tels faits. Plus de 5 000 procès en lien avec la criminalité organisée sont en attente d'audiencement. Cela s'explique surtout par la paupérisation réelle dont avait fait l'objet le ministère de la justice avant que nous accédions aux responsabilités…
En 2016, M. Urvoas lui-même évoquait une institution judiciaire « en voie de clochardisation ». Pour autant, je constate que le ministère de la justice n'a pas vu les effectifs de magistrats progresser entre 2012 et 2017, alors que la France comptait huit fois moins de procureurs et de magistrats par habitant que les grands pays qui nous entourent, par exemple l'Allemagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne.
Il est très important de simplifier la procédure pénale, car il ne faut pas que la forme l'emporte sur le fond. Je proposerai donc de traiter enfin cette question à l'occasion de l'examen du projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective (Sure), qui ne portera pas spécifiquement sur le narcotrafic, mais aura trait à l'audiencement criminel.
Sans remettre en question les droits de la défense, je souhaite simplifier la procédure pénale, pour régler les problèmes de forme qui « embolisent » complètement les chambres d'instruction. J'espère que je serai suivi par le Sénat sur ce point, car il s'agit de l'un des problèmes les plus importants auxquels nous sommes confrontés dans la lutte que nous menons contre le narcotrafic.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. Je répondrai tout d'abord à quatre questions qui ont été posées au cours du débat, puis je vous livrerai une réflexion personnelle, qui sera moins celle du ministre de l'intérieur que celle d'un haut fonctionnaire qui a la prétention d'avoir un peu d'expérience sur ces sujets pour les avoir traités pendant vingt ans. Je dresserai un panorama plus global, afin d'appeler à la modestie et à l'humilité, car ces dossiers en exigent beaucoup.
Monsieur le sénateur Blanc, vous m'avez demandé comment nous allions recouvrer l'amende forfaitaire délictuelle. Actuellement, le taux de recouvrement est de 53 %. En neutralisant les pertes liées aux envois par voie postale, par exemple parce que l'adresse n'est pas la bonne, ce taux pourrait même atteindre 62 %.
L'une des pistes que nous étudions est de faire profiter les policiers des mêmes droits que certains corps de contrôle, notamment les contrôleurs des transports en commun, qui peuvent vérifier l'adresse postale qui leur a été communiquée en croisant les informations qu'ils ont recueillies avec celles que détient l'administration fiscale.
Une autre piste, mentionnée à l'instant par Gérald Darmanin, est de mobiliser les commissaires des finances publiques pour améliorer le recouvrement.
Avant la création de l'AFD, sous le quinquennat de François Hollande, nous appliquions l'amende douanière. À Saint-Ouen, nous étions parvenus à éradiquer des points de deal rien qu'en notifiant de telles amendes aux personnes qui venaient acheter. Je suis donc assez confiant sur l'intérêt de l'AFD.
Ensuite, vous avez été plusieurs à nous interroger sur l'organisation d'une campagne de communication. Nous sommes tous d'accord pour mener des campagnes les plus offensives possible, et le Premier ministre a annoncé dans sa déclaration que nous le ferions.
Par ailleurs, monsieur le sénateur Benarroche, vous avez critiqué le fait que le Président de la République se soit félicité de ce que le nombre de points de deal ait été divisé par deux. Il n'empêche que c'est une réalité ! Il y en avait 160 il y a trois ans, il n'y en a plus que 80… (M. Guy Benarroche proteste.)
Vous avez parfaitement raison de dire que c'est en partie dû aux livraisons « Uber shit ». Cela ne nous a pas échappé. Lorsque j'étais préfet de police et que le ministre de l'intérieur était Gérald Darmanin, ce dernier avait demandé la création de groupes consacrés à ce type de livraison. Ces groupes travaillent sur les réseaux sociaux, effectuent des contrôles sur la voie publique et démantèlent des réseaux « Uber shit ». Du reste, il s'agit bien souvent des mêmes réseaux que ceux qui dealent sur la voie publique. Nous avons donc bien tenu compte de cette dimension.
Enfin, nous avons toujours veillé – et le Président de la République a surveillé cela de très près – à maintenir les effectifs de police à Marseille, voire à les faire progresser. Le nombre d'agents des services de police menant des investigations judiciaires n'a cessé de croître. C'est extrêmement important.
De manière plus générale, monsieur le sénateur Blanc, cela vous choquera peut-être, mais je vous le dis avec beaucoup d'humilité et de modestie, nous n'avons pas découvert la question avec votre rapport. J'ai un peu d'expérience comme haut fonctionnaire. J'ai travaillé sur ces sujets sous le quinquennat de François Hollande, sous les deux quinquennats d'Emmanuel Macron, et même un peu avant 2012.
Très honnêtement, monsieur le sénateur, le rapport qui a été fait par le Sénat est évidemment un plus. Il apporte une stratification supplémentaire dans un ensemble de strates héritées du passé. En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, nous ne cessons d'apprendre de ce qui a été fait dans le passé. Nous tirons profit des expériences passées pour faire toujours mieux.
C'est ce que nous faisons depuis 2015. Vous avez forcément vu le film BAC Nord, dont l'intrigue se déroule en 2012. Il montre bien qu'à cette époque, à Marseille, la brigade anticriminalité (BAC) et la police judiciaire travaillaient sur les mêmes dossiers, sans aucune coordination. Cela ne pouvait pas fonctionner !
Lorsque Bernard Cazeneuve était ministre de l'intérieur, il a mandaté un – plus ou moins – jeune préfet de police pour expérimenter une nouvelle méthode, qui a été par la suite généralisée sur tout le territoire national sous le quinquennat de François Hollande. Depuis lors, les services travaillent mieux ensemble et ont gagné en efficacité.
Ensuite, sous le premier quinquennat du président Macron, nous avons créé l'Office anti-stupéfiants (Ofast) pour qu'il joue le rôle de chef de file et évite un fonctionnement en silo – car il est toujours préférable que les services se parlent.
Vous conviendrez, monsieur Blanc, que votre propos était très offensif à l'encontre du Gouvernement. Nous travaillons sur ces sujets depuis dix ans. Oui, c'est compliqué. Oui, il faut s'adapter en permanence au trafic. Oui, nous voyons bien que les réseaux sont de plus en plus structurés et s'étendent désormais sur tout le territoire national.
Mais on ne peut pas dire, comme vous l'avez fait, que rien n'a été fait pendant dix ans… Je vous le dis avec modestie : ce n'est tout simplement pas vrai que rien n'a été fait au cours de la dernière décennie en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants !
Quoi qu'il en soit, je salue le travail qui a été réalisé par le Sénat. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui s'inspire du rapport de la commission d'enquête sénatoriale, nous donne des outils exceptionnels. Je le reconnais bien volontiers.
L'idée du Président de la République de placer la lutte contre le trafic de stupéfiants au même niveau que la lutte contre le terrorisme et de calquer les dispositifs comme le Pnaco et l'état-major de lutte contre la criminalité organisée (Emco) sur leurs équivalents en matière de terrorisme sera également extrêmement bénéfique.
J'ai le sens de l'intérêt général, et je pense que tout ce qui a été fait par les gouvernements successifs en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants a été positif. Ce gouvernement s'inscrira dans la même démarche pour faire toujours mieux et toujours plus.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. La question de la prévention a été évoquée par plusieurs d'entre vous.
Je le dirai simplement : oui, nous devons mener une politique de prévention à la fois ambitieuse et adaptée.
Ambitieuse, parce qu'elle ne l'a probablement pas été assez jusqu'à présent. À cet égard, la ministre de la santé vous a parlé de tout ce que nous mettions en place ensemble.
Adaptée, parce que les messages doivent être passés très tôt. En effet, ce que perçoit le regard de l'enfant des comportements dans son environnement, y compris de ceux de ses parents, recouvre une dimension prescriptive.
Par ailleurs, il faut savoir viser juste. Nous avons toujours abordé la question de la prévention contre les drogues à travers le seul prisme de la santé publique, en disant qu'elles sont dangereuses. Or il convient également de faire comprendre aux jeunes, par les discours que nous leur délivrons, que la consommation de drogue finance un circuit criminel. Objectivement, c'est quelque chose que nous n'expliquions qu'assez peu jusqu'à récemment.
Nous effectuerons ce travail de prévention.
Pour conclure, je vous invite à considérer l'école comme un corps, auquel les tentacules du narcotrafic ne pourront pas s'accrocher si nous faisons tous bloc autour de lui. Autrement dit, la prévention n'est pas que l'affaire de l'école : les parents, les collectivités territoriales, les élus locaux et les associations doivent également jouer un rôle. En effet, je vous confirme que nous ne réglerons pas le problème tout seuls.
En revanche, si nous faisons tous bloc autour de l'école et de ses personnels et que nous ne laissons rien passer, alors nous progresserons en matière de prévention et nous desserrerons la pression qu'exerce le narcotrafic sur l'institution scolaire.
Vote sur la déclaration du Gouvernement
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration portant sur la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.
Conformément à l'article 39, alinéa 6, de notre règlement, il va être procédé au scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement ; aucune explication de vote n'est admise.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 342 |
| Pour l'adoption | 342 |
Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 18 décembre 2025 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
Proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 202, 2025-2026) ;
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale (texte de la commission n° 195, 2025-2026).
À l'issue de l'espace réservé au groupe UC et au plus tard de seize heures à vingt heures :
(Ordre du jour réservé au GEST)
Proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs, présentée par Mme Monique de Marco et plusieurs de ses collègues (texte n° 107 rectifié, 2024-2025) ;
Proposition de loi visant à mieux concerter, informer et protéger les riverains de parcelles agricoles exposés aux pesticides de synthèse, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (texte n 107, 2025-2026).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
JEAN-CYRIL MASSERON