C. L'INTÉGRATION D'UN DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LES PROPOS DISCRIMINATOIRES À CARACTÈRE SEXISTE OU HOMOPHOBE

1. Un renforcement progressif du dispositif pénal de lutte contre le sexisme et l'homophobie

Le dispositif de lutte contre le sexisme et l'homophobie a été renforcé de manière significative au cours de la période récente. En premier lieu, la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a complété l'article 2-6 du code de procédure pénale afin de permettre aux associations de lutte contre les discriminations en raison du sexe ou des moeurs, d'exercer les droits reconnus à la partie civile en cas d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité physique de la personne ou en cas de dégradation de biens, lorsque ces faits ont été commis précisément en raison du sexe ou des moeurs de la victime.

Par ailleurs, la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations avait intégré à l'article 225-1 du code pénal qui réprime les discriminations, l'orientation sexuelle.

Enfin, les dispositions de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure ont créé l'article 132-77 du code pénal qui prévoit expressément la possibilité de retenir une nouvelle circonstance aggravante lorsqu'un crime ou un délit est commis à raison de l'orientation sexuelle de la victime. Pour la première fois, la loi prévoyait ainsi la prise en compte du mobile homophobe comme circonstance aggravante de certaines infractions pénales d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des individus ou d'agressions sexuelles.

Les données statistiques pour l'année 2003 issues du casier judiciaire national, qui ne sont encore que provisoires, ne font apparaître aucune condamnation sanctionnant une infraction commise sur le fondement de l'article 132-77 du code pénal avec la circonstance aggravante de l'orientation sexuelle de la victime. Il semble donc trop tôt pour dresser un premier bilan de l'application de la loi du 18 mars 2003 sur ce point 3 ( * ) . Néanmoins, avant même qu'elle ne soit intégrée dans notre droit positif, cette circonstance aggravante était déjà prise en considération par les juridictions répressives pour apprécier la gravité des faits et les mobiles des auteurs d'infractions pénales.

2. Le vote par le Sénat des dispositions relatives à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe

Les dispositions du présent projet de loi relatives à la lutte contre les propos homophobes et le sexisme ont été introduites par quatre amendements du Gouvernement adoptés par le Sénat en première lecture. Ils reprennent l'essentiel des dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe déposé en première lecture à l'Assemblée nationale.

Sans doute, le procédé consistant à déposer au dernier moment des amendements aussi importants a-t-il suscité des réserves légitimes. Néanmoins, sur le fond, ces dispositions avaient d'ores et déjà fait l'objet d'un large débat public. En outre notre commission et le Sénat dans son ensemble avaient débattu de ce sujet lors des lectures successives de la loi Perben 2 au cours de l'hiver 2003-2004 dans un esprit d'ouverture. Enfin, la lutte contre les discriminations à caractère sexiste et homophobe représente un volet important de la lutte contre les discriminations et a donc toute sa place dans le projet de loi relatif à la HALDE.

Aussi l'initiative du Gouvernement a-t-elle été accueillie favorablement par la Haute Assemblée.

Ces dispositions comblent une lacune évidente de notre droit. Certes, l'arsenal législatif réprimant les actes sexistes ou homophobes s'est considérablement renforcé depuis la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. Il devait cependant être complété s'agissant de la diffusion de propos ou de messages de même nature. En effet, si la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, permet de réprimer les diffamations et injures publiques envers un particulier , elle ne punit pas les diffamation et injures commises envers un groupe de personnes à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle. De même la provocation à la discrimination, à la haine et la violence ne sont réprimées que si elles se fondent sur l'appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Or, comme toutes les autres formes de discrimination, la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence homophobe ou sexiste est inacceptable.

Il convient d'ailleurs d'observer que plusieurs pays européens (Belgique, Danemark, Espagne, Pays Bas et Suède) ont adopté des dispositions pénales réprimant l'incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe et de l'orientation sexuelle.

Saisie, lors de la deuxième lecture de la loi « Perben 2 », d'amendements socialistes très proches des présentes dispositions, votre commission avait proposé un avis de sagesse à la Haute Assemblée . Toutefois, le Garde des Sceaux avait alors, compte tenu de l'implication de ces dispositions sur la liberté de la presse, appelé à un temps de réflexion supplémentaire.

Un groupe de travail s'est réuni sous les auspices de la Chancellerie et a procédé à l'audition des représentants des différentes associations de lutte contre les discriminations ainsi que des représentants de la presse écrite et audiovisuelle.

Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale était le fruit de ces travaux. Il prévoyait d'une part, de réprimer les provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle de la même manière que les provocations à caractère raciste ou religieux ; d'autre part, d'aggraver les sanctions contre les diffamations et injures à raison de l'orientation sexuelle et aussi de réprimer ces faits lorsqu'ils sont commis à l'égard d'un groupe de personnes non déterminées ; et enfin, de permettre aux associations de lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou le sexe de se constituer partie civile lorsque les délits de presse visés par ce texte sont en cause.

Le projet de loi gouvernemental a cependant fait l'objet de plusieurs critiques. Les objections ont porté plus particulièrement sur trois points.

- En premier lieu, la notion même de provocation à la discrimination à caractère homophobe ou sexiste a soulevé des interrogations : la condamnation du mariage entre personnes du même sexe pouvait-elle par exemple entrer dans le champ de ce nouveau délit ?

- En second lieu, si le projet de loi avait prévu de réprimer les provocations à la discrimination commises à raison du sexe de la victime ou à raison de son orientation sexuelle, il n'avait prévu d'ajouter que la circonstance d'homophobie pour la diffamation et les injures publiques et non celle de sexisme. Le 18 novembre dernier, la commission nationale consultative des droits de l'homme avait, dans un avis très critique sur le projet de loi gouvernemental, estimé inopportune l'inégalité ainsi introduite par le texte ;

- Enfin, les critiques, notamment celles des éditeurs de presse, ont porté sur l'alignement du délai de prescription des nouveaux délits en matière d'homophobie ou de sexisme sur le délai de prescription des délits en matière de racisme et d'antisémitisme qui avait été porté de trois mois à un an par la loi « Perben 2 ».

Les amendements du Gouvernement ont tenu compte de ces critiques et modifié les dispositions du projet de loi sur ces trois points discutés.

- Le champ des provocations aux discriminations a d'abord été mieux précisé par référence aux articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

- Ensuite, le champ d'application du texte a été étendu : les diffamations et injures à caractère sexiste seraient réprimées de la même manière que les diffamations et injures à caractère homophobe.

- Enfin, le délai de prescription a été ramené à trois mois comme tel est le droit commun pour les délits prévus par la loi sur la liberté de la presse.

Les amendements présentés par le Gouvernement ont ainsi permis, sans doute mieux que le projet de loi initial, de répondre au nécessaire équilibre entre deux exigences fondamentales en matière de loi sur la presse : la lutte contre les discriminations et le respect de la liberté d'expression.

* 3 Toutefois, dans trois affaires récentes, la circonstance aggravante de l'orientation sexuelle de la victime a été retenue. Ces procédures ont fait l'objet d'une ouverture d'information, actuellement en cours : la première en août 2003 du chef de violences volontaires en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner, la deuxième en janvier 2004 du chef de tentative d'homicide volontaire, la troisième en mai 2004 du chef de violences volontaires et d'agressions en réunion.

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