Lutte contre les exclusions

RICHERT (Philippe)

AVIS 472 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

Table des matières






INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions qui est soumis à l'examen du Sénat consacre plus des deux tiers de ses dispositions au droit à l'emploi et au droit au logement. Nul ne songerait à remettre en cause cet équilibre compte tenu de l'importance de ces deux facteurs dans le développement de l'exclusion qui s'étend depuis plusieurs années dans notre pays.

Le projet comporte cependant un chapitre 5 qui a pour objectif de garantir le droit à l'égalité des chances par l'éducation et la culture.

Votre commission était donc fondée à émettre un avis sur ce projet de loi qui a été adopté en Conseil des ministres le 4 mars 1998, assorti d'un programme de prévention et de lutte contre les exclusions.

Ce programme annonçait des objectifs ambitieux et certaines mesures spécifiques d'accès à la culture pour tous (programmes d'action concertés pour l'accès aux pratiques artistiques et culturelles, obligation pour les établissements culturels financés par l'Etat d'agir contre les exclusions) ainsi que d'accès à l'éducation (relance des zones d'éducation prioritaire, politique de soutien scolaire se substituant à une logique de sélection par l'échec, lutte contre l'exclusion sociale en milieu scolaire, ouverture d'une école solidaire sur la cité).

S'agissant de l'accès à l'éducation, si certains de ces objectifs sont repris dans l'exposé des motifs du projet de loi (diminution des sorties du système éducatif sans qualification, développement du soutien et de l'accompagnement scolaires gratuits, relance des ZEP prioritaire, développement des opérations " écoles ouvertes "), force est de constater que le dispositif spécifique de lutte contre l'exclusion du projet de loi relevant directement de la compétence de votre commission est singulièrement décevant.

En effet, sur les cinq articles du chapitre 5 figurant dans le projet initial et consacrés au droit à la culture et à l'éducation, au moins trois d'entre eux peuvent être qualifiés, selon la terminologie plaisante du Conseil d'Etat " de droit à l'état gazeux ", ou dans le meilleur des cas, de déclarations générales à faible valeur normative.

La modestie de ces dispositions apparaît d'autant plus étonnante que le droit à la culture et à l'éducation joue un rôle primordial dans l'intégration à la société. Comment ne pas rappeler que l'exclusion scolaire ou le refus de l'école sont fréquemment à l'origine de l'exclusion sociale ?

Alors que les exclus du système scolaire pouvaient aisément s'intégrer autrefois dans une société et une économie encore protégées de l'extérieur, et à forte dominante agricole et rurale, l'ouverture des marchés, la mondialisation, la " technicisation " de notre économie imposent aujourd'hui une règle du jeu qui tend à écarter massivement du processus de production, et de la vie sociale, ceux qui sortent du système éducatif sans qualification et qui se trouvent ainsi fréquemment relégués dans une situation structurelle d'assistés.

Après avoir exposé les dispositions du projet de loi relatives au droit à la culture, le présent rapport pour avis rappellera le contexte dans lequel doivent être examinés les articles consacrés au droit à l'éducation.

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PREMIÈRE PARTIE
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LE VOLET CULTURE DU PROJET DE LOI

Le projet de loi d'orientation soumis à l'examen du Sénat consacre un chapitre, au sein du titre II relatif à la prévention des exclusions, au droit à l'égalité des chances par l'éducation et la culture. Nous nous intéresserons dans cette première partie plus particulièrement à l'accès à la culture qui doit s'entendre ici au sens large, l'article 74 proclamant " objectif national " l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs.

I. DE BONNES INTENTIONS

L'objectif de démocratisation de l'accès à la culture, comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation, doit constituer à la fois un instrument de lutte contre l'exclusion et un moyen de la prévenir en garantissant l'égalité des chances.

Votre rapporteur ne peut qu'approuver la volonté du gouvernement de faire de l'action culturelle un des volets de la lutte contre l'exclusion. Il s'agit là incontestablement d'une bonne intention.

En effet, en dépit des progrès accomplis en faveur de leur démocratisation, les pratiques culturelles et sportives demeurent marquées par de profondes disparités sociales et l'exclusion sociale se double souvent d'une exclusion culturelle.

Néanmoins, ces intentions louables qui, nous le verrons, relèvent, du moins dans le texte du projet de loi, surtout de l'incantation ne font que confirmer si, néanmoins il en était besoin, le bien-fondé des nombreuses initiatives prises d'ores et déjà en ce sens par l'Etat, les collectivités territoriales ou les associations.

A. DES PRATIQUES SPORTIVES ET CULTURELLES MARQUÉES PAR DE NOMBREUSES DISPARITÉS

En dépit d'un effort de démocratisation, les pratiques culturelles et sportives, et de manière plus générale l'accès aux loisirs, demeurent encore marqués par de fortes disparités sociales.

• Les enquêtes réalisées par les services du ministère de la culture soulignent qu'aujourd'hui encore les pratiques culturelles des français traduisent de fortes disparités sociales.

Bien que les pratiques culturelles se soient au cours des vingt dernières années profondément renouvelées, les obstacles à la diffusion des formes les plus classiques de la culture demeurent.

Ainsi, l'augmentation de l'écoute musicale et audiovisuelle, conséquence de la généralisation de l'équipement des ménages en ce domaine, n'a pas été accompagnée d'un développement des sorties culturelles traditionnelles (théâtre, concert, musée). Cette constatation qui ressortait de l'étude réalisée sur la période 1973-1989 semble devoir être confirmée par les résultats de la dernière enquête menée par le ministère.

Celle-ci fait apparaître, en effet, que les pratiques culturelles mettant en relation le public et l'oeuvre d'art restent l'apanage d'un petit nombre. Alors que les dépenses culturelles des ménages augmentent de 15 % chaque année, 83 % des Français ne sont jamais allés à l'opéra, 55 % au théâtre et 71 % n'ont jamais assisté à un concert de musique classique.

• Ces disparités se retrouvent également dans l'accès aux activités sportives.

En dépit d'un mouvement de généralisation qui s'affirme depuis une vingtaine d'années, mais qui a marqué le pas au cours des dernières années, la pratique sportive demeure fortement liée au niveau des revenus et à l'appartenance à une catégorie socio-professionnelle.

Ainsi, si le taux de pratique sportive atteint 94,1 % pour les personnes disposant d'un revenu supérieur à 36.000 francs par mois, il n'est que de 50 % pour celles dont le revenu est inférieur à 5.000 francs par mois.

Par ailleurs, la pratique sportive demeure encore très marquée par l'origine socio-économique : alors que les membres des familles de cadres supérieurs sont environ 60 % à déclarer pratiquer une activité sportive, ce taux descend à moins de 50 % chez les employés et à 40 % dans les familles ouvrières.

Ces disparités qui s'expliquent pour des motifs sociologiques sont également liées à des raisons financières. En effet, la pratique d'un sport, notamment dans le cadre des fédérations et des clubs, est souvent entravée, notamment pour les jeunes des milieux défavorisés par les coûts liés aux frais d'inscription ou par les tarifs demandés pour l'accès aux équipements sportifs.

• De telles différences se retrouvent également dans l'accès aux loisirs et plus particulièrement aux vacances. Il importe de rappeler que 40 % des Français ne partent pas en vacances, cette réalité étant souvent occultée par une image faussée de notre société qui serait de plus en plus axée sur les loisirs.

B. LA DÉMOCRATISATION DES PRATIQUES SPORTIVES ET CULTURELLES EST LÉGITIME

1. Un objectif constant de la politique culturelle.

La démocratisation de l'accès aux loisirs et aux pratiques culturelles et sportives est une constante des politiques conduites depuis la Libération en France dans le domaine de la culture et de la jeunesse par l'Etat puis par les collectivités territoriales dont l'action a été appelée à se développer considérablement au cours des dernières années. Rappelons, en effet, qu'aujourd'hui les dépenses engagées par les collectivités territoriales représentent 49,9 % du financement public de la culture.

Votre rapporteur n'a donc pu que s'étonner que l'objectif d'accès de tous à la culture comme garantie de l'égalité des chances soit présenté par le gouvernement notamment dans l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation comme un principe nouveau.

S'inscrivant dans le courant de pensée, qui s'est développé lors du Front populaire et dans la Résistance et qui a ébauché les fondements d'une politique culturelle et d'éducation populaire, le droit à la culture et aux loisirs a été reconnu pour la première fois par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dans ses onzième et treizième alinéas. Ces dispositions qui ont été reprises par le préambule de la Constitution de 1958 " garantissent à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs " et " l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à la formation professionnelle et à la culture ". A ce titre, elles fondent la légitimité de l'intervention de l'Etat dans ces domaines.

L'article premier du décret n° 59-889 du 24 juillet 1959 portant organisation du ministère de la culture rédigé par André Malraux a traduit ces principes en disposant que " le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d'assurer la plus vaste audience à son patrimoine culturel, de favoriser la création des oeuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent ". Une des premières réalisations conduites en vertu de cette volonté politique aura été la création des maisons de la culture qui, dans leur objectif de mettre en relation l'art et le public et de promouvoir une approche pluridisciplinaire de la culture, participent, en dépit de leur relatif échec, de la même logique que celle dont s'inspirent des établissements culturels ou des associations menant aujourd'hui des actions en faveur des publics défavorisés. Par ailleurs, elle inaugure l'action conjointe de l'Etat et des collectivités territoriales préfigurant, d'une part, le rôle de ces dernières et, d'autre part, une politique de partenariat qui apparaît désormais comme un des fondements de l'action culturelle.

L'organisation de la politique culturelle autour de l'objectif d'élargissement des publics a été affirmée au fil des années. Les conclusions de la commission des affaires culturelles du VIe Plan conservent aujourd'hui toute leur actualité. Elles soulignaient, en effet, que la " notion de développement culturel implique le dépassement de l'ancienne culture réservée à une minorité de privilégiés (...) et implique au contraire l'extension de la culture à tous, et d'abord à ceux qui sont victimes d'inégalités résultant du niveau d'instruction, du niveau de vie, de l'habitat, car ce sont ces défavorisés qui subissent le plus fortement les contraintes d'un système dépersonnalisant ". Les orientations données par des ministres de la culture comme Jacques Duhamel et Michel Guy ont joué un rôle décisif dans l'insertion de la culture au coeur de la société.

Ces orientations, qui se sont traduites par le développement de la contractualisation destinée à associer l'action de l'Etat à celles des collectivités locales et des associations n'ont pas depuis été remises en cause, l'intervention des collectivités locales suppléant en ce domaine à un certain essoufflement des grands mouvements associatifs.

Le développement des institutions culturelles a également contribué à accroître l'offre culturelle.

L'augmentation de la fréquentation des bibliothèques est, à cet égard, significative. Le nombre de bibliothéques municipales est passé de 930 en 1980 à 2.315 en 1995. Plus de 35 millions de citoyens résident aujourd'hui dans une commune dotée d'une bibliothèque municipale. Le taux moyen des inscrits dépasse désormais 18 % de la population desservie, soit plus du double qu'il y a quinze ans et peut atteindre 30 % dans les communes qui ont construit un nouvel équipement. La diversification des fonds a joué un rôle déterminant dans cette généralisation de la fréquentation des bibliothèques comme en témoigne le succès des médiathèques créées par certaines municipalités.

Par ailleurs, l'élargissement de la notion de culture à des formes de plus en plus variées d'expression culturelle a permis d'élargir le public des institutions culturelles. La prise en compte de la culture populaire, par exemple dans le domaine musical, l'attention portée aux nouveaux rythmes a contribué au rapprochement de l'oeuvre et du public.

La politique de la jeunesse et des sports s'est également attachée à favoriser l'accès du plus grand nombre, et en particulier des jeunes, aux loisirs, en généralisant et en démocratisant les pratiques sportives grâce à l'appui des grands mouvements d'éducation populaire. Disposant de peu de moyens directs d'intervention, la politique suivie par les ministres de la jeunesse et des sports successifs a pris la forme d'actions conçues au plan national mais mises en oeuvre par le biais d'un partenariat avec les collectivités territoriales et les associations. Les premières initiatives prises en ce domaine, comme les chantiers de jeunes bénévoles ou les auberges de jeunesse, semblent s'être essoufflées mais l'esprit qui les a inspirées demeure dans les centres de loisirs ou de vacances qui connaissent un succès croissant ou dans l'intérêt grandissant des jeunes pour les formations d'animateur.

2. Une exigence renouvelée par les phénomènes d'exclusion

La généralisation des phénomènes d'exclusion comme les difficultés rencontrées dans les zones périphériques des centres urbains ont souligné avec une acuité nouvelle la dimension sociale de la politique culturelle. A ce titre, l'action culturelle, à l'image de la pratique sportive qui est depuis longtemps considérée comme un facteur puissant d'insertion sociale, apparaît désormais comme un élément nécessaire de la politique de la ville.

Permettant de recréer des liens sociaux distendus, les actions conduites en ce domaine ont eu pour ambition de faire accéder à la création artistique un public peu enclin à fréquenter les grandes institutions culturelles et souffrant souvent de l'absence d'équipements culturels de proximité.

S'il est évident que la lutte contre l'exclusion passe essentiellement par le droit au logement et le droit à l'emploi, l'accès à la culture et aux loisirs revêt une importance particulière. Avoir une activité culturelle ou pratiquer un sport est un élément essentiel de l'affirmation de la liberté individuelle, permettant à la fois de trouver une place dans la société et d'entretenir des contacts sociaux. Les pratiques sportives ou culturelles apparaissent alors comme la condition de l'initiative retrouvée. Elles permettent aux personnes en difficulté de reconquérir un statut et une dignité dans une société où le développement du temps libre tend à accorder aux loisirs une place croissante dans l'identification sociale.

Par ailleurs, il semble essentiel d'éviter que l'exclusion économique se double de l'exclusion culturelle. A ce titre, votre rapporteur souligne que le champ de l'exclusion culturelle dépasse souvent celui de l'exclusion proprement économique : comme l'a déjà souligné votre rapporteur, 40 % des Français ne partent pas en vacances. Cette forme de détente et de loisirs est donc interdite à une part considérable des Français qui représente une population bien plus large que celle des seules personnes répertoriées comme rencontrant des difficultés d'existence. Ce constat vaut également pour les pratiques culturelles dont sont écartées non seulement les victimes d'exclusion ou les habitants des quartiers sensibles mais également un grand nombre de personnes soit en raison de leur éloignement des établissements culturels soit de leur absence de familiarisation à cette forme de loisir.

L'importance qu'est susceptible de revêtir la dimension sociale de l'action culturelle est d'autant plus grande qu'elle correspond à une attente des Français. Ces derniers aspirent, en effet, à un développement des activités culturelles comme en témoigne leur intérêt pour les pratiques amateurs qui attestent du rôle auquel celles-ci peuvent prétendre comme source d'épanouissement personnel et d'intégration sociale.

3. Un impératif déjà largement pris en compte

Les politiques conduites par l'Etat et les collectivités locales ont largement pris en compte la nécessité de faire de la culture et des loisirs des vecteurs de lutte contre l'exclusion.

Si votre rapporteur se félicite de la réaffirmation de cette évidence dans le projet de loi d'orientation, il souligne qu'il ne s'agit pas là -loin s'en faut- d'une nouveauté.

Les actions menées en ce domaine ont poursuivi deux objectifs principaux.

Le premier a consisté à ouvrir les institutions culturelles ou les équipements sportifs au plus grand nombre, notamment grâce à des politiques tarifaires adaptées.

De nombreuses structures culturelles, y compris les grands établissements publics, ont fait des efforts significatifs de baisse tarifaire à l'égard des jeunes ou des personnes en difficulté sociale. Ainsi, près d'un tiers des visiteurs ont librement accès aux collections permanentes des musées nationaux. Les jeunes de moins de 18 ans bénéficient d'une exonération du droit d'entrée, les jeunes de 18 à 25 ans d'un tarif réduit. Par ailleurs, les cas d'exonération fondés sur des critères sociaux (chômeurs, titulaires du RMI ou du minimum vieillesse) ont été multipliés. De nombreuses activités proposées au sein des musées sont gratuites, permettant ainsi à un large public d'y avoir accès. Des opérations similaires sont conduites par des institutions théâtrales ou musicales. Au cinéma, l'instauration à Paris d'un tarif réduit unique pour tous un jour par semaine relève de la même démarche.

En ce qui concerne la pratique sportive, des actions ont été également menées en ce sens. Ainsi, le ticket-sport, qui doit faire l'objet d'une extension dans le cadre des mesures accompagnant le projet de loi d'orientation, permet l'ouverture des installations sportives afin d'offrir des activités gratuites et encadrées aux jeunes qui ne partent pas en vacances et rencontre d'ores et déjà un large succès.

Le second objectif poursuivi a visé à faire de l'action culturelle, au sens large du terme, un instrument d'insertion, notamment à l'égard des jeunes.

La pratique sportive est appelée à jouer un rôle déterminant en ce domaine et de nombreuses initiatives ont été prises, en particulier dans le cadre de la politique de la ville, afin de faciliter l'accès aux équipements sportifs et de promouvoir des animations à vocation socio-éducative.

Elles font l'objet d'actions ciblées, comme les opérations " ville vie vacances " permettant aux jeunes les moins favorisés de partir en vacances, ou s'inscrivent dans un cadre plus général comme celles conduites dans les centres de loisirs et de vacances qui accueillent chaque année environ 4.500.000 enfants.

Le rôle de la culture ou de la création artistique comme vecteur d'insertion sociale a également été pris en compte.

Les projets de quartier mis en place à partir de 1996 dans le cadre du pacte de relance pour la ville ont connu un succès manifeste. Ils s'inscrivaient dans une politique volontariste de développement culturel fondée sur un partenariat entre l'Etat, les collectivités territoriales, les institutions culturelles et les artistes. Fondés sur la rencontre d'un artiste ou d'une institution culturelle et d'un public, ils ont été l'occasion d'échanges fructueux et valorisants, en suscitant des vocations professionnelles et en créant de nouveaux emplois. On ne pourra, à ce titre, que regretter que le gouvernement n'ait pas jugé opportun de poursuivre leur mise en oeuvre. Au delà du fait qu'il est difficile de cerner ce qui les distinguait des nouveaux " programmes d'action concertés " annoncés par le gouvernement, on soulignera l'effet néfaste que peut avoir en matière de lutte contre l'exclusion la succession de dispositifs ponctuels n'ayant pas vocation à la permanence.

Si l'Etat et les collectivités locales sont appelés à jouer dans ces domaines un rôle important, il faut souligner l'appui irremplaçable apporté par le monde associatif. En effet, les associations apparaissent comme le moyen privilégié pour répondre aux préoccupations des populations concernées, ceci valant tant pour les actions culturelles que pour celles conduites en matière de sport ou de loisirs. Certaines de leurs actions sont exemplaires. On évoquera, par exemple, les médiateurs du livre créés par ATD-Quart Monde.

II. UN DISPOSITIF MODESTE

Si le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions consacre un chapitre au droit à l'égalité des chances par l'éducation et la culture, intention louable comme vient de le souligner votre rapporteur, il ne comporte que deux dispositions relatives à l'accès à la culture : l'une fait de l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive et aux loisirs un " objectif national " et la seconde permet de moduler les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif en fonction du quotient familial de leurs usagers.

Si aucune de ces dispositions ne peut être considérée comme mal venue, il importe de souligner la modestie d'un dispositif qui -quoi qu'on puisse en dire- ne comporte, à l'évidence aucune innovation majeure et confirme des orientations d'ores et déjà mises en oeuvre.

A. L'ACCÈS DE TOUS À LA CULTURE, À LA PRATIQUE SPORTIVE, AUX VACANCES ET AUX LOISIRS

1. Une déclaration de principe

Une des mesures présentées par Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication dans son programme de démocratisation des pratiques culturelles et artistiques, consistait dans l'inscription du droit à la culture dans le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions. Votre rapporteur ne pourra que relever le caractère symbolique d'une telle mesure : ce n'est pas avec de bonnes intentions qu'on fait une bonne politique.

L'accès de tous à la culture, entendu au sens large par le projet de loi d'orientation, constitue une nouvelle déclinaison du principe d'égalité posé par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui figure, comme nous l'avons souligné plus haut parmi les principes particulièrement nécessaires à notre temps définis dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui précisait les droits économiques et sociaux permettant un exercice réel de la liberté politique.

Selon les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, " il incombe au législateur comme à l'autorité réglementaire de déterminer les modalités de mise en oeuvre " de ces principes à valeur constitutionnelle, or force est de constater que les dispositions du projet de loi qui nous est soumis n'y concourent que très modestement.

La pétition de principe posée à l'article 74 faisant de l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs un " objectif national " se rapproche, en effet, plus du discours politique que du droit positif.

Bien qu'il s'agisse d'un projet de loi d'orientation, cette disposition aurait plus sa place, à l'évidence, dans l'exposé des motifs que dans le corps même du dispositif législatif, l'article premier affirmant déjà que " la présente loi tend à favoriser l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la vie familiale et de la protection de l'enfance ".

Une circulaire de 1983 rappelait aux ministres et à leurs administrations qu'" il faut éviter d'introduire dans les projets de loi des dispositions sans contenu normatif, généralement consacrées à des déclarations de principe ou à la présentation de la philosophie du texte ". Bien que rappelée à de nombreuses reprises, on ne pourra regretter que cette admonestation n'ait, une fois encore, pas été entendue.

Votre rapporteur ne consacrera pas de longs développements à cette disposition à la signification très incertaine et qui ne semble avoir pour seule justification que d'annoncer les mesures destinées à garantir l'égal accès aux pratiques culturelles et sportives qui ne figurent pas dans le projet de loi d'orientation.

2. Un effet d'annonce

Les mesures annoncées par le gouvernement pour lutter contre l'exclusion grâce à un accès plus large aux pratiques sportives et culturelles -à l'exception de la disposition prévue par l'article 78 du projet de loi permettant une modulation des tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif- figurent, non pas dans le projet de loi d'orientation soumis au Parlement mais parmi les mesures d'accompagnement présentées dans le document intitulé " programme de prévention et de lutte contre les exclusions ".

Votre rapporteur, s'il regrette la modestie des dispositions du projet de loi d'orientation soulignera néanmoins que la réussite des actions à vocation sociale dans le domaine culturel relève souvent plus de la mobilisation des équipes des établissements culturels et de l'existence de projets susceptibles d'emporter l'adhésion du public que d'une démarche générale et obligatoire. Il en va de même dans le domaine du sport ou des loisirs.

Les mesures relevant du volet culturel du programme gouvernemental de lutte contre les exclusions bénéficieraient d'une dotation de 125 millions de francs sur les années 1998 à 2000. L'ensemble de cette enveloppe est constituée de crédits déconcentrés relevant du chapitre 43.30.30 " interventions culturelles déconcentrées, développement culturel, enseignement et formation ". La plus grande partie (soit 90 millions de francs sur trois ans) devrait être consacrée à la mise en oeuvre de programmes d'action concertés pour l'accès aux pratiques artistiques et culturelles. Elle correspondrait principalement aux surcoûts que représenteront pour les structures culturelles les actions de lutte contre l'exclusion.

En ce qui concerne la promotion de l'égalité des chances par le sport et les loisirs, le coût des mesures annoncées s'élèverait, pour les années 1999 et 2000 à 280 millions de francs, 266 bénéficiant au ministère de la jeunesse et des sports.

Les mesures présentées par le gouvernement ne sont guère novatrices.

Celles prises au titre de la généralisation de l'accès à la culture visent, d'une part, à développer des actions d'insertion axées sur la pratique culturelle (programmes d'action concertés, création d'emplois de médiateurs culturels) et, d'autre part, à prévoir que les établissements culturels prennent au titre de leurs missions de service public l'engagement de lutter contre les exclusions.

Les premières qui recourent notamment aux possibilités offertes par la loi sur les emplois jeunes ne méritent guère de longs développements. Votre rapporteur relèvera seulement qu'il n'aura pas fallu attendre ce projet de loi pour que des programmes concertés d'action culturelle soient élaborés par l'Etat ou plus généralement par les collectivités locales.

En revanche, votre rapporteur soulignera l'opportunité de la seconde tout en indiquant que la circulaire d'emplois des crédits déconcentrés adressée au début de l'année aux directions régionales des affaires culturelles par le ministère de la culture la prévoyait d'ores et déjà, ce qui peut laisser songeur sur la valeur accordée à la norme législative.

Une telle mesure tend à généraliser les initiatives prises tant par des grands établissements publics culturels nationaux que par des structures locales. S'agissant pour la plupart de structures financées dans leur quasi-totalité par des fonds publics, il est légitime que leurs activités prennent en compte la nécessité de s'ouvrir à tous les publics, cet impératif ne devant pas seulement se traduire par des politiques tarifaires favorables. Outre les effets de seuil attachés par nature à ce type de modulation sociale, ces dernières supposent que les publics en soient informés et puissent se trouver à proximité d'un établissement culturel afin d'éviter que seul le public averti en bénéficie.

L'ouverture des établissements culturels aux publics défavorisés ou plus simplement différents de celui des habitués suppose des actions plus volontaristes. Les opérations conduites en ce domaine par l'Orchestre de Lille sont, à ce titre, exemplaires. Votre rapporteur souligne que la généralisation de ces expériences suppose de combattre beaucoup d'a priori, qu'il s'agisse de ceux du public ou de ceux des établissements culturels.

Votre commission a adopté un amendement modifiant la rédaction de l'article 74 afin de préciser de manière plus explicite que la lutte contre les exclusions constitue une obligation pour les établissements culturels financés par l'Etat. A ce titre, elle sera particulièrement attentive aux modalités selon lesquelles cette obligation sera formulée dans la charte du service public, actuellement en cours de préparation au sein du ministère de la culture, dont l'objet est de définir les missions de service public des établissements subventionnés.

En ce qui concerne l'accès aux loisirs et à la pratique sportive, les mesures annoncées apparaissent pour la plupart comme la poursuite ou le développement à une échelle plus large d'actions déjà anciennes : prise en charge par l'Etat du coût des formations BAFA (brevet d'aptitude à la fonction d'animateur) et BAFD (brevet d'aptitude à la fonction de directeur), élargissement du bénéfice du ticket-sport, harmonisation des conditions de délivrance des bons-vacances. Certaines mesures s'inspirent de mécanismes existants comme le coupon-sport destiné à réduire le coût de l'adhésion à une association sportive qui n'est guère éloigné des chèques loisirs mis en place en 1995 ou des aides aux petits clubs déjà pratiquées.

3. Une omission regrettable

Votre rapporteur ne peut que regretter que ni le gouvernement ni l'Assemblée nationale n'aient souligné le rôle que doit jouer l'école dans la démocratisation de la culture et la lutte contre l'exclusion culturelle.

Au delà des politiques spécifiques destinées à un public donné ou à des zones géographiques déterminées, l'école, institution essentielle de la République, demeure le lieu privilégié pour promouvoir l'égalité des chances. Elle constitue sans aucun doute le moyen le plus efficace pour lutter contre la transmission de génération en génération des phénomènes d'exclusion.

La loi n° 88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques, dont votre commission a souvent regretté l'application très imparfaite, précisait, dans son article premier, que " les enseignements artistiques contribuent à l'égalité d'accès à la culture ".

Le rapport Fauroux remis au ministre de l'éducation nationale en juin 1996 avait à juste titre considéré que l'éducation artistique et culturelle devait être considérée à l'image de la lecture, de l'écriture et du calcul comme un enseignement primordial. Les conclusions présentées par M. Philippe Meirieu, président du comité d'organisation de la consultation nationale sur l'avenir des lycées, ont souligné que les jeunes lycéens aspirent à acquérir une culture commune grâce à la formation dispensée par l'éducation nationale. Les enseignants et plus largement les équipes des établissements scolaires ont donc un rôle décisif à jouer en ce domaine. Ce n'est souvent que grâce à l'école que beaucoup d'enfants auront la chance d'assister un jour à une représentation théâtrale ou de visiter un musée.

Votre commission vous proposera deux amendements destinés, d'une part, à préciser que l'accès à la culture doit être égal pour tous et, d'autre part, à réaffirmer le rôle de l'école dans la lutte contre l'exclusion, notamment grâce au développement des enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires.

B. LES TARIFS DES SERVICES PUBLICS ADMINISTRATIFS À CARACTÈRE FACULTATIF

1. Une conception renouvelée du principe d'égalité des usagers devant le service public

L'article 78 ouvre la possibilité de moduler les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif en fonction du niveau de revenus des usagers. Il consacre dans la loi une évolution jurisprudentielle qui a été parachevée par l'arrêt de section du Conseil d'Etat du 27 décembre 1997 (commune de Gennevilliers et commune de Nanterre).

Le Conseil d'Etat, en reconnaissant que le principe d'égalité des usagers devant le service public ne s'opposait pas à ce que les tarifs d'une école municipale de musique soient fixés en fonction des revenus des familles s'est rallié à une conception du principe d'égalité qu'il avait d'ores et déjà appliquée à de nombreux services publics administratifs facultatifs à vocation éducative ou socio-éducative.

En effet, il avait été amené à considérer qu'il existait une nécessité d'intérêt général en rapport avec l'objet des services publics concernés justifiant que les tarifs d'une crèche (CE, 20 janvier 1989, CCAS de La Rochelle), ceux d'une cantine scolaire (CE, 10 février 1993, Ville de La Rochelle) ou encore d'un centre de loisirs (CE, 18 mars 1993, Mme Dejonckeere et autres) soient modulés en fonction du niveau de revenus des usagers. Si des modulations en fonction du lieu de résidence des usagers selon qu'ils habitent ou non dans la commune avaient été admis pour une école de musique en raison des différences de situation existant entre ces catégories d'usagers, la modulation tarifaire en fonction des revenus avait été refusée par le Conseil d'Etat en 1985 (CE, sect. , 26 avril 1985, Ville de Tarbes).

Le maintien de cette jurisprudence jusqu'à une date récente était difficilement compréhensible et a justifié que des parlementaires et des élus locaux s'en émeuvent. C'est à ce titre que notre excellent collègue Ivan Renar a déposé avec les membres du groupe communiste, républicain et citoyen une proposition de loi (n° 143, 1997-1998) tendant à reconnaître aux communes le droit de moduler les tarifs des écoles municipales de musique et de danse en fonction des ressources des familles.

Le revirement de jurisprudence opéré en décembre dernier harmonisant la position du Conseil d'Etat concernant les services publics à vocation culturelle et celle concernant les services publics à vocation sociale illustre une conception du principe d'égalité des usagers devant le service public plus moderne que celle prévalant traditionnellement en droit public français et garantissant la seule égalité formelle. L'arrêt du 27 décembre 1997 consacre une définition nouvelle de l'intérêt général consistant à garantir l'égalité des chances plus que l'égalité des droits.

Le Conseil d'Etat, dans les développements de son rapport public pour 1996 consacrés à l'égalité, relevait que " le principe d'égalité est, en effet, menacé si la société dont il fonde l'ordre juridique voit s'étendre de nouvelles et graves inégalités. Or, celles-ci ne touchent pas seulement aux revenus mais aux liens fondamentaux qui relient chaque individu à la société, tels que le travail, le logement, l'éducation ou la culture. Lorsque ces liens sont fragilisés, voire rompus, l'égalité des droits risque d'apparaître comme une pétition purement formelle. Dès lors, le principe d'égalité joue davantage sa crédibilité sur le terrain de l'égalité des chances. Compromise par une précarisation d'une partie de la population et notamment de la jeunesse, cette égalité ne peut être confortée que par une conception plus active de la solidarité ".

2. Une disposition légitime

Votre rapporteur ne peut qu'approuver l'esprit dont relève l'article 78 du projet de loi. Il indique que, tout en consacrant la jurisprudence du Conseil d'Etat, il s'inscrit également dans la ligne de nombreuses initiatives prises par des établissements culturels à vocation nationale et par les collectivités territoriales. En effet, la jurisprudence " Ville de Tarbes " a été ouvertement méconnue par nombre de communes, les recours devant les tribunaux administratifs émanant dans la plupart des cas des préfets dans l'exercice du contrôle de légalité et rarement des familles des élèves. Un sondage récemment réalisé par l'institut CSA pour le Crédit local de France indiquait que 56 % des personnes interrogées, contre 36 %, trouvent " normal que les tarifs des services publics culturels soient proportionnels aux revenus des familles ".

Par ailleurs, s'agissant de services publics facultatifs, c'est-à-dire que la loi n'impose pas de créer ni de maintenir, il semble souhaitable et légitime que les collectivités locales qui en prennent la charge soient libres d'en moduler les tarifs selon les revenus des familles et de faire de ces services publics un des vecteurs d'une politique sociale relevant non pas d'un objectif de redistribution des revenus mais du souci de permettre réellement à tous les enfants, sans distinction d'origine sociale, d'accéder à la culture et à la pratique artistique.

Enfin, compte tenu du coût de tels équipements pour les collectivités locales, la participation des familles à leur financement peut être significative. Pour les écoles de musique, elle s'élève aujourd'hui à environ 8 % du budget de fonctionnement. Dans ces conditions, le montant du tarif moyen annuel peut être de nature à interdire à certaines familles de faire profiter leurs enfants des activités ainsi proposées.

L'article 78 qui ne prévoit la modulation tarifaire en fonction du revenu que sous la forme d'une simple faculté est opportun car la solution consacrée en décembre 1997 par le Conseil d'Etat ne concernait pas l'ensemble des services publics administratifs facultatifs et, par ailleurs, n'était pas à l'abri d'un revirement de jurisprudence.

Il est, par ailleurs, légitime. En effet, il précise, d'une part, reprenant sur ce point les termes de la jurisprudence du Conseil d'Etat, que les tarifs les plus élevés ne pourront excéder le coût du service rendu, ce qui évite de conférer aux tarifs une vocation redistributive et, d'autre part, qu'ils ne doivent pas faire obstacle à l'égal accès au service public, ce qui exclut que certaines catégories d'usagers puissent se voir refuser le bénéfice des services offerts au motif que leurs revenus leur permettraient de recevoir une prestation équivalente en dehors du service public.

DEUXIÈME PARTIE
:
LE VOLET ÉDUCATION DU PROJET DE LOI

Le chapitre 5 du projet de loi initial comporte trois articles consacrés au droit à l'éducation :

- l'article 75 tend à consacrer le principe de discrimination positive dans la répartition des moyens du service public de l'éducation ;

- les articles 76 et 77 ont pour objet de rétablir un système de bourses nationales de collège géré par le ministère de l'éducation nationale.

Si on peut opposer le caractère déclaratif de la première disposition au caractère technique des deux suivantes, il convient cependant de noter que l'essentiel des modalités d'application du nouveau régime des bourses de collège seront fixées par voie réglementaire, ce qui conduira votre commission à demander des précisions et des assurances au ministre pour apprécier la portée de cette nouvelle réforme.

L'Assemblée nationale a adopté sans modifications substantielles les articles relatifs au droit à l'éducation.

Elle a cependant complété l'article 75 en précisant que les écoles et les établissements assurent une formation à la connaissance et au respect des droits de la personne, que les activités périscolaires favorisent l'égal accès des élèves aux pratiques culturelles et sportives et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, que les projets d'établissement indiquent les moyens pour prendre en charge les élèves issus des familles les plus défavorisées.

Elle a enfin adopté deux nouveaux articles faisant de la lutte contre l'illettrisme une mission prioritaire du service public de l'éducation et précisant l'appui que le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté est chargé d'apporter dans les établissements aux acteurs de la lutte contre l'exclusion.

I. LA PARTICIPATION DE L'ÉCOLE À LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION : DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ AU PRINCIPE DE DISCRIMINATION POSITIVE

Le droit à l'éducation est défini par la loi du 11 juillet 1975 relative à l'éducation qui dispose dans son article 1er que " tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa famille concourt à son éducation ". Alors que près de 90 % des jeunes de deux à vingt-deux ans sont scolarisés, et que plus de 800 000 enseignants encadrent environ 13 millions d'élèves, l'enseignement scolaire semble avoir répondu à cet objectif.

Ces chiffres qui témoignent de l'effort de la Nation en faveur de l'éducation nationale dissimulent cependant des processus d'exclusion à l'intérieur même du système scolaire, qui remettent en cause le droit à l'éducation.

A. LES INÉGALITÉS SOCIALES ET LE SYSTÈME ÉDUCATIF

Comme le rappelle le récent rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les droits de l'enfant 1( * ) , si le système éducatif a permis de réduire les inégalités sociales, il tend aussi, dans une certaine mesure, à les reproduire.

1. La réduction des inégalités par l'école

Alors qu'un enfant d'ouvrier a encore près de quatre fois moins de chance d'accéder au baccalauréat qu'un enfant de cadre, les trois-quarts des élèves issus d'un milieu ouvrier quittent l'école deux ou trois après la fin de l'obligation scolaire avec un niveau d'études ne dépassant pas le CAP ou le BEP.

D'après les associations regroupées au sein d' " Alerte ", 200.000 jeunes sortiraient chaque année du système scolaire sans formation, dont 80.000 sont considérés comme illettrés.

Cette estimation est sans doute excessive puisque d'après les chiffres de l'éducation nationale, les sorties sans diplôme de l'enseignement secondaire se sont réduites de 202.000 à 97.000 de 1980 à 1995, soit 14 % du nombre total des sorties. Si 27 % des jeunes d'une génération abandonnaient l'école sans qualification il y a 25 ans, cette proportion ne devrait plus concerner, selon la direction de l'évaluation et de la prospective (DEP), qu'un jeune sur dix-sept en 2000.

Certaines indications révèlent également que l'écart entre catégories sociales se réduit. D'après l'étude de la DEP sur les sorties du système scolaire entre 1991 et 1994, la proportion d'enfants d'ouvriers ou de personnels de service intégrant l'université a progressé quatre fois plus que celle d'enfants de cadres par rapport à 1987-1990 : 44 % des enfants de ces premières catégories passent désormais par l'enseignement supérieur, contre 78 % des enfants de cadres, chefs d'entreprises ou enseignants.

2. La reproduction des inégalités sociales par l'école

En dépit de ces progrès globaux, le système éducatif ne paraît pas en mesure de répondre à la situation des familles très défavorisées ou de grande pauvreté et d'assurer la mise en oeuvre effective du droit à l'éducation.

Dans un ouvrage récent 2( * ) , le recteur Claude Pair, qui a été par ailleurs chargé de rédiger un rapport sur la rénovation du service public de l'éducation nationale 3( * ) indique que dans certains quartiers défavorisés, moins de 10 % des enfants fréquentent la classe correspondant à leur âge et que 37 % sont scolarisés dans des classes spécialisées alors que la proportion nationale est respectivement de 75 % et de 10 % .

D'une manière générale, le système éducatif se révèle impuissant à remédier à la situation d'enfants issus de familles en grande difficulté, vivant dans des quartiers " ghettoïsés " où les références sociales, culturelles et familiales sont en voie de dissolution ; les établissements cumulant toutes les difficultés, comme l'a montré l'exemple de la Seine-Saint-Denis sont ainsi confrontés à la ségrégation sociale et ethnique, à l'insécurité, à la désertion des cantines, au racisme, à la violence et à l'abandon progressif des objectifs scolaires.

3. La coupure du lien entre les familles et l'école

Les effets de la crise économique et de la détérioration de la situation de l'emploi contribuent en outre à couper le lien entre les familles les plus pauvres et l'institution scolaire.

D'après une enquête de l'INSEE de 1994, près de la moitié des ouvriers non-qualifiés estimaient ne pas être en mesure d'aider leurs enfants dans leur travail scolaire, ce pourcentage dépassant 90 % au niveau du lycée, et traduisant ainsi le malentendu développé entre ces familles, les programmes et les méthodes du système éducatif.

Contrairement à sa vocation de réduction, ou au moins de neutralisation des inégalités sociales, l'institution scolaire se transformerait ainsi en machine à exclure.

4. Une répartition peu satisfaisante des moyens d'éducation

Une répartition inadéquate des moyens est en outre à l'origine de la persistance des inégalités au sein du système scolaire et d'un développement de la ségrégation scolaire.

L'inspection générale de l'éducation nationale a ainsi constaté que le nombre d'heures de cours par élève enregistre des variations importantes qui bénéficient d'abord aux élèves favorisés : les lycéens parisiens travailleraient en moyenne trois heures de plus par semaine que leurs homologues de communes plus défavorisées.

On peut constater, en outre, une répartition peu satisfaisante des personnels les plus qualifiés sur les postes les plus difficiles : Paris compte par exemple près de 20 % de professeurs agrégés contre 6,4 % dans l'académie de Lille.

Cette ségrégation se retrouve au sein des établissements, notamment des collèges qui mettent massivement en place des classes de niveau reflétant largement les inégalités sociales de leurs élèves et dont les taux de réussite au brevet, par exemple, peuvent varier dans des proportions considérables.

5. L'école comme marché d'éducation

La ségrégation constatée au niveau scolaire se trouve enfin confortée par les parents d'élèves issus des milieux favorisés qui se comportent en consommateurs d'éducation arbitrant entre les filières et les établissements.

La carte scolaire est ainsi tournée par les familles les plus aisées et informées qui sont en mesure d'arbitrer entre les options facultatives et obligatoires du lycée pour faire les meilleurs choix pour leurs enfants, cet accès à l'information étant en revanche largement ignoré par les plus défavorisés.

Il convient à cet égard de rappeler que la dégradation de la situation scolaire dans le département de la Seine-Saint-Denis et la " ghettoïsation " de ses établissements résultent largement du fait que ses meilleurs élèves se sont progressivement dirigés vers les lycées parisiens.

Ainsi, l'égalité formelle affirmée en matière de droit à l'éducation peut conduire à des inégalités de fait.

La mise en oeuvre du principe de discrimination positive dans l'éducation nationale, notamment avec la création des zones d'éducation prioritaire (ZEP) participe du souci de développer une pratique équitable de l'égalité entre tous les élèves.

B. LA MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE DE DISCRIMINATION POSITIVE DANS L'ÉDUCATION NATIONALE

La notion de discrimination positive s'est d'abord inscrite dans le cadre de la redistribution des revenus par le biais de la fiscalité mais elle déborde aujourd'hui ce cadre pour prendre en compte certaines inégalités constatées par exemple dans le domaine de l'aménagement du territoire, mais aussi et surtout dans celui de l'éducation.

1. La conception initiale de l'école républicaine

En avril 1870, Jules Ferry, député de Paris, déclarait :

" Je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j'en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j'ai d'intelligence, tout ce que j'ai d'âme, de coeur, de puissance physique et morale, c'est le problème de l'éducation du peuple. Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle ".

Fondée sur les grandes lois des premières années de la IIIè République, l'école républicaine reposait d'abord sur l'égalité du droit à recevoir une instruction égale pour tous.

Il convient cependant de rappeler que l'obligation scolaire introduite par la loi dite Ferry de 1882 n'a sans doute pas provoqué les effets massifs évoqués par certains : un million d'élèves supplémentaires ont été inscrits dans les écoles primaires entre 1880 et 1900, ce qui signifie que la scolarisation des enfants depuis l'âge de six ans était déjà largement développée.

Si cette égalité en droit a permis au grand nombre d'acquérir les connaissances requises par le certificat d'études, elle n'a ouvert la voie au baccalauréat qu'à une faible minorité.

Du fait de la croissance démographique qui a suivi la Libération -le niveau des effectifs en primaire constaté en 1900 n'a été dépassé qu'en 1950- il convenait de consacrer des moyens en personnels et en crédits supplémentaires à l'éducation nationale, ces moyens ayant été répartis d'abord de manière égale dans tous les établissements en proportion des effectifs d'élèves.

2. Vers une conception équitable de l'égalité

Constatant que cette conception initiale de l'égalité ne permettait pas de traiter efficacement les enfants issus de milieux défavorisés qui continuaient d'accumuler un retard scolaire irréversible, les gouvernements successifs ont mis en oeuvre des dispositifs spécifiques consacrant une notion équitable de l'égalité.

La loi du 11 juillet 1975 relative à l'éducation dispose ainsi dans son article 7 que dans les écoles et les collèges, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés.

3. La naissance progressive des ZEP

La circulaire n° 81-238 du 1er juillet 1981 relative aux " zones prioritaires " annonçait l'affectation prioritaire des 11.625 emplois qui avaient été créés par une loi de finances rectificative dans les zones où le taux d'échec scolaire était le plus élevé.

Le but de ces créations d'emplois était de contribuer à corriger l'inégalité par le renforcement sélectif de l'action éducative. La loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 consacrera les ZEP en prévoyant notamment, dans ses articles 2 et 4 l'accueil prioritaire des enfants de deux ans dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé et en stipulant que " pour assurer l'égalité et la réussite des élèves, l'enseignement est adapté à leur diversité ".

Dans son avis du 10 mai 1989, le Conseil économique et social a estimé que ces dispositions constituaient l'amorce d'un processus d'école différentielle mais regrettait que les objectifs ainsi définis ne soient pas assortis de critères d'évaluation.

Il convient de noter que le principe de ces dispositions a été également confirmé par la loi d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991.

Plusieurs dispositifs successifs ont traduit le principe d'une discrimination positive au sein de l'éducation nationale, notamment dans le domaine des zones d'éducation prioritaires, mais aussi dans celui de la prévention de la violence dans les établissements scolaires.

C. LA POLITIQUE DES ZEP MENÉE DEPUIS 1982

La politique des ZEP, mise en place en 1982 par le ministre de l'éducation nationale, Alain Savary, visait à réduire les conséquences des inégalités sociales sur la réussite scolaire des élèves et, pour la première fois dans l'éducation nationale, une stratégie inégalitaire était utilisée dans un objectif d'équité.

1. Les principes fondant la discrimination positive

Les principes sur lesquels reposait cette nouvelle politique des ZEP pouvaient être ainsi résumés :

- la réussite scolaire des enfants est largement commandée par leur origine sociale ;

- l'inégalité entre les élèves est accrue par la concentration de populations défavorisées au plan économique, social et culturel dans certains quartiers ou établissements ;

- le système scolaire doit compenser cette inégalité en donnant plus de moyens à ceux qui ont moins et accorder une priorité aux projets, à la formation et à l'évaluation de ces publics ;

- cette politique doit être pilotée au plus près des réalités, ce qui implique que la définition des ZEP, l'examen des projets et l'attribution des moyens relèvent du niveau académique ou départemental ;

- l'école doit lutter contre l'ensemble des difficultés en cohérence avec tous ses partenaires.

En dépit de l'affirmation de ces principes, le déterminisme de l'origine sociale dans la réussite scolaire doit être nuancé et plusieurs enquêtes ont montré que des facteurs internes à l'école ont également des conséquences importantes sur la réussite des élèves.

2. La définition des ZEP

Il convient de rappeler qu'une zone d'éducation prioritaire est constituée d'un ensemble d'écoles et d'établissements publics locaux d'enseignement liés par un projet d'action commun et accueillant des élèves vivant dans un environnement socio-économique et culturel défavorisé.

Le réseau ainsi créé a pour objectif d'améliorer les résultats scolaires des élèves des quartiers défavorisés.

3. Le développement des ZEP

Alors que 362 ZEP ont été créées au cours de l'année 1982-1983, on dénombrait 563 zones d'éducation prioritaire en 1997, dont 530 en France métropolitaine.

Les académies les plus concernées par leur développement sont celles de Lille (64), Bordeaux (34), Nancy-Metz (34), Aix-Marseille (31), Lyon (31) et Créteil (25).

Les 563 zones d'éducation prioritaires regroupent ainsi 5145 écoles, 721 collèges, 97 lycées professionnels et 39 lycées d'enseignement général et technologique.

1,2 million d'élèves y sont scolarisés, soit près de 9,5 % des effectifs de l'enseignement scolaire.

Leur répartition est la suivante :

- 730.000 élèves dans 5.318 écoles ;

- 380.000 élèves dans 724 collèges ;

- 41.000 élèves dans 106 lycées professionnels ;

- 28.000 élèves dans 37 lycées d'enseignement général et technologique.

Ces effectifs sont inégalement répartis : les élèves des ZEP ne représentent que moins de 5 % des élèves des collèges ruraux mais cette proportion atteint près de 25 % dans les villes de plus de 100.000 habitants.

Cette répartition varie également selon les régions : l'académie de Clermont-Ferrand ne compte que 5,5 % de ses collégiens en ZEP alors que celle de Rouen en comporte 26,4 %.

Enfin, 76.400 personnels enseignants et de direction exercent leurs fonctions dans les ZEP.

4. Les moyens spécifiques attribués aux ZEP

Il convient de souligner que les crédits pédagogiques en ZEP sont 2,7 fois plus élevés que dans l'ensemble des autres établissements.

Les enseignants, les personnels de direction et d'éducation qui y exercent perçoivent une indemnité de sujétions spéciales et bénéficient de bonifications dans les barèmes de mutation et d'un avantage spécifique d'ancienneté.

Enfin, des postes supplémentaires sont attribués pour assurer un encadrement adapté à la spécificité du public scolaire et alléger les effectifs par classe.

5. Les établissements sensibles

Les établissements sensibles sont des collèges et des lycées confrontés à des problèmes de violence qui créent un climat d'insécurité, déstabilisent la communauté scolaire et compromettent la scolarité des élèves ainsi que l'action éducatrice des enseignants.

Environ 175 établissements répartis entre 20 académies et situés dans des quartiers défavorisés sur le plan social et économique sont classés en établissements sensibles.

Les mesures prises en faveur de ces établissements tendent à y renforcer la présence d'adultes pour améliorer le taux d'encadrement des élèves (adjoints au chef d'établissement, conseillers principaux d'éducation, maîtres d'internat et surveillants d'externat, personnels ATOS, appelés du contingent), à améliorer les conditions d'enseignement (horaire des enseignants majoré de deux heures, doublement du nombre des professeurs principaux) et à reconnaître les sujétions particulières d'exercice des personnels (nouvelle bonification indiciaire et surclassement des emplois de direction).

6. Un bilan contrasté

Conformément à la plupart des expériences de discrimination positive engagées dans différents domaines, la politique en faveur des ZEP présente un bilan contrasté.

a) Des résultats positifs

Dans un premier temps, les résultats obtenus dans les ZEP se sont traduits par une amélioration des performances scolaires des élèves, une réduction des retards scolaires en fin d'école élémentaire et en sixième et des orientations moins fréquentes vers les classes de niveau et les enseignements professionnels à la fin de la cinquième.

Ils s'accompagnaient également d'une amélioration du climat des établissements concernés, de meilleures conditions d'enseignement, d'une scolarisation plus développée des enfants de deux à trois ans, de classes moins chargées, d'une offre plus large en langues vivantes au collège, de la création de nouvelles sections de " bac pro " dans les lycées professionnels et d'un rattrapage du retard constaté dans les ZEP quant à la proportion d'élèves accédant au baccalauréat professionnel.

b) Des résultats négatifs

Même s'il convient d'éviter tout discours uniforme et simplificateur sur la réussite scolaire en ZEP, force est de constater que les performances scolaires des élèves y sont inférieures à celles des élèves des autres établissements.

Une étude de 1995 4( * ) révélait en effet qu'en classe de CE2, 37,8 % des élèves de ZEP ne maîtrisaient pas les compétences de base en lecture (contre 18,7 % pour les autres élèves), cette proportion atteignant 57,2 % pour le calcul (contre 38,9 %).

En classe de 6e, le différentiel restait important et parfois proche de un à deux : 23,3 % des élèves de ZEP ne maîtrisent pas les compétences de base en lecture (contre 13,2 % pour les autres) ; ce taux était de 39,3 % en calcul (contre 20,8 %) et 58 % en géométrie (contre 35,3 %).

L'environnement général des ZEP ayant eu tendance à se dégrader depuis la création de ces zones, l'effort entrepris n'a permis que de maintenir le niveau moyen des élèves scolarisés. Ce constat n'est paradoxalement pas dépourvu de tout lien avec l'existence même des ZEP.

Comme on peut le constater dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis, la mise en oeuvre d'une politique de discrimination positive peut avoir pour effet de stigmatiser une catégorie de population dans un registre d'assistance ce qui conduit les autres populations à fuir les zones et institutions discriminées et à accroître l'isolement des bénéficiaires de cette discrimination positive.

Le bilan contrasté de l'expérience des ZEP pouvait donc conduire, soit à abandonner cette politique soit à la relancer afin de remettre à niveau des populations en voie de marginalisation.

Le second terme de cette alternative a été préféré par l'actuel gouvernement.

D. LA NÉCESSITÉ D'UNE RELANCE DES ZEP

Si le système éducatif a connu depuis quinze ans des évolutions majeures, se traduisant notamment par un plus large accès d'une génération au niveau du baccalauréat, dans le même temps, dans une conjoncture dominée par le chômage, l'école ne joue plus son rôle d'" ascenseur social " et toutes les études confirment le poids de l'origine sociale dans la réussite scolaire.

Dans ce contexte, le dispositif des ZEP a incontestablement vieilli, et sans remettre en cause l'acquis de quinze années de politique compensatoire, il convient aujourd'hui notamment de s'interroger sur le bien fondé de la carte des ZEP et son articulation avec les 750 zones urbaines sensibles qui devraient être créées d'ici 1999 en vertu du pacte de relance pour la ville.

Prenant acte d'un certain essouflement du dispositif, le Premier ministre déclarait dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997 : " Dans les établissements scolaires, il faut donner plus de moyens lorsque la tâche est plus difficile, encadrer davantage lorsque la contrainte sociale est plus grande. L'égalité, oui, mais qui respecte la diversité. Je demande donc que des moyens supplémentaires soient mobilisés, dès la prochaine rentrée scolaire, pour les zones d'éducation prioritaires ".

1. Le rapport des inspections générales de l'éducation nationale

Se fondant sur une analyse globale des résultats enregistrés dans 410 ZEP, le rapport des inspections générales 5( * ) s'efforce de révéler les déterminants fondamentaux de la réussite scolaire en ZEP.

Il constate d'abord une forte corrélation entre la concentration de catégories socioprofessionnelles défavorisées et les résultats de l'évaluation des élèves en classe de sixième.

Par ailleurs, plus la taille de la ZEP est importante, plus les résultats de ses élèves sont faibles : alors que certaines ZEP regroupent aujourd'hui 10.000 élèves, les ZEP à taille humaine comprennent un ou deux collèges avec les écoles de leurs secteurs, soit environ 2.000 élèves.

De fortes disparités peuvent être constatées entre académies, liées notamment à la taille des ZEP mais aussi au taux de scolarisation des enfants défavorisés à deux ans.

Le rapport analyse ensuite les déterminants qualitatifs de la réussite scolaire en ZEP et observe en particulier :

- que l'aggravation du chômage influe directement sur la réussite scolaire ;

- que la grande pauvreté induit des problèmes de santé qui entravent la réussite à l'école ;

- que le degré d'intégration (et notamment la langue parlée en famille) a des effets indéniables sur la réussite scolaire ;

- que l'instabilité de la population scolaire nuit à l'efficacité de l'école ;

- que l'enclavement des quartiers se retrouve à l'école.

En conséquence les auteurs du rapport préconisent un pilotage dynamique des ZEP, l'adoption de projets cohérents et mobilisateurs impliquant un développement du partenariat, notamment avec les familles, le travail en équipe et la stabilité des enseignants, le développement d'une nouvelle culture pédagogique à travers la formation des maîtres.

2. Les mesures budgétaires adoptées pour 1998

Dans un contexte démographique de réduction des effectifs de l'enseignement scolaire (- 70.000 à la rentrée 1997 et - 64.200 à la rentrée 1998), le maintien des emplois devait permettre de redéployer les moyens d'enseignement en faveur des ZEP et d'améliorer les dispositifs de soutien aux élèves en difficulté.

Les écoles situées en ZEP ont ainsi bénéficié en priorité de l'affectation des 30.000 emplois-jeunes recrutés dans l'enseignement primaire et les 10.000 autres aides-éducateurs pour l'enseignement secondaire ont été affectés dans les collèges les plus difficiles, ceux-ci étant pour leur grande majorité situés en ZEP.

Les ZEP ont également bénéficié des créations d'emplois de personnels non-enseignants et notamment :

- d'une partie importante des 250 emplois d'infirmières et d'assistantes sociales qui ont été affectés au 1er janvier 1998, dans les établissements concernés par le plan violence ;

- d'une grande part des 380 emplois d'infirmières et d'assistantes sociales qui seront créés à la rentrée 1998 ;

- de 120 emplois de personnels ATOS, sur les 550 qui seront créés à la rentrée 1998.

En outre, la loi de finances pour 1998 a permis d'augmenter de 26,5 % les crédits d'innovation pédagogique spécifiquement attribués aux ZEP.

Les ZEP devaient bénéficier enfin en priorité des crédits du fonds social pour les cantines et de l'aide à l'équipement des bibliothèques et des centres de documentation des écoles.

3. Le plan de relance des ZEP

En présentant ce plan de relance lors du Conseil des ministres du 14 janvier 1998, la ministre déléguée à l'enseignement scolaire a rappelé que l'école, dans les ZEP comme ailleurs, doit apporter aux élèves des savoirs, une culture commune, et une formation qui permet l'insertion sociale en application du principe discriminatoire.

Ce plan de relance passe par la réalisation de cinq objectifs :

- la reconnaissance du métier d'enseignant dans les ZEP ;

- la mise en place des réseaux d'éducation prioritaire et la révision de la carte des ZEP ;

- l'élaboration de projets pédagogiques au service de la réussite scolaire des élèves de ZEP ;

- des " contrats de réussite " dans les ZEP ;

- le renforcement des liens avec les partenaires de l'éducation nationale.

Dans cette perspective, une consultation nationale de l'ensemble des acteurs concernés à travers des forums académiques a été engagée de janvier à avril 1998, qui devrait déboucher sur des assises nationales au début du mois de juin 1998.

E. UN PRINCIPE DISCRIMINATOIRE ÉGALEMENT DÉCLINÉ DANS LES PLANS SUCCESSIFS DE PRÉVENTION DE LA VIOLENCE SCOLAIRE

A côté des ZEP, le principe de discrimination positive a également été décliné dans les mesures de prévention de la violence dans les établissements scolaires.

1. La montée préoccupante de la violence dans certains établissements scolaires

En dépit des incertitudes subsistant quant à la mesure du phénomène de la violence scolaire, une enquête de 1995 de l'inspection générale révèle que près de la moitié des lycées et collèges seraient concernés par la violence, ce pourcentage passant à 72 % pour les établissements classés en ZEP et en zone sensible.

En outre, les établissements seraient inégalement concernés selon leur implantation : 81 % en banlieue parisienne, 70 % dans la périphérie des grandes villes, 45 % dans les grandes villes et 32 % en milieu rural.

A ce niveau de gravité, force est de reconnaître que l'école n'est plus égale pour tous, que les écoles des riches n'ont plus rien à voir avec celles des pauvres, celles des villes avec celles des banlieues, celles qui intègrent avec celles qui excluent.

L'égalitarisme républicain est ainsi battu en brèche en matière scolaire et la lutte contre la violence et l'insécurité à l'école impose d'aider certains établissements plus que d'autres, conformément à la philosophie qui avait présidé à la création des ZEP en 1982.

2. Le plan de mesures contre la violence du 20 mars 1996

Les mesures présentées par le gouvernement précédent s'ordonnaient autour de plusieurs objectifs :

- renforcer et améliorer l'encadrement des élèves ;

- apporter une aide aux élèves et aux parents ;

- soutenir les enseignants confrontés au problème de la violence ;

- faire participer les enseignants à des initiatives pédagogiques adaptées ;

- assurer un suivi des enseignants débutants en établissements sensibles et difficiles ;

- protéger les établissements et améliorer leur environnement.

Dans le cadre de ce plan de prévention, des appelés du contingent ont notamment été prioritairement affectés dans les établissements scolaires des quartiers urbains défavorisés en vue d'améliorer l'encadrement des élèves et de contribuer à l'animation socio-éducative.

Il convient cependant de noter que ce plan n'a pas enregistré tous les effets attendus, qu'il s'agisse de la réduction de la taille des établissements, de la création de postes de médiateurs ou de la mise en place d'un fonds d'assurance pour les enseignants.

3. Le plan de prévention de la violence du 5 novembre 1997

Présenté par les divers ministres concernés, ce nouveau plan doit être expérimenté sur neuf sites incluant 412 collèges et lycées, ainsi que leur réseau d'écoles primaires, et devrait concerner près de 700 000 élèves.

Ces sites ont été choisis sur proposition des recteurs en fonction des indicateurs de violence fournis par le ministère de l'intérieur et devaient bénéficier de postes supplémentaires en personnels d'éducation et de santé.

Afin de renforcer la présence des 4 700 appelés du contingent encore en place dans les ZEP, 3050 adultes, pour l'essentiel des emplois-jeunes, devaient être affectés sur ces neuf sites tandis que 8 250 adjoints de sécurité devaient se consacrer aux tâches de surveillance à la sortie des établissements.

Le dispositif doit être expérimenté, notamment dans la région lyonnaise, en Seine-Saint-Denis et dans les quartiers Nord de Marseille.

Ce plan devrait être évalué à l'automne 1998 avant le lancement de sa deuxième phase.

F. LES CONSTATATIONS EFFECTUÉES PAR VOTRE COMMISSION

Une délégation de votre commission a effectué un déplacement le 16 octobre 1997, au collège Magellan de Chanteloup-les-Vignes pour mesurer les conséquences du classement d'un établissement situé en ZEP et en zone sensible et apprécier les réponses apportées aux difficultés des élèves.

Ce collège, récent et de taille humaine, accueille environ 400 élèves de milieux sociaux variés et le plus souvent défavorisés : 32 nationalités y sont représentées et une grande partie des familles des élèves, souvent monoparentales, sont au chômage.

La délégation de votre commission a pu effectuer le constat suivant :

- les actions et les projets programmés par l'établissement apparaissent particulièrement riches et divers mais nécessitent un encadrement renforcé des élèves et un abaissement corrélatif des effectifs par classe ;

- le projet d'établissement a pour objectif prioritaire d'apporter une aide aux élèves pour créer leur propre système de valeurs, ou d'utiliser largement les nouvelles technologies de l'information et de la communication dans certaines disciplines (mathématiques, technologie), de prévenir la violence en développant le respect de règles, notamment par la pratique d'un sport, de favoriser l'ouverture sur l'extérieur en préparant les élèves à quitter leur quartier et à établir des contacts avec les entreprises dans la perspective de leur orientation, de développer le soutien scolaire ;

- le bon fonctionnement de l'établissement est fondé sur le dynamisme et l'investissement personnel de l'équipe éducative et de direction et suppose une certaine autonomie des enseignants par rapport aux exigences pédagogiques officielles ainsi qu'une formation spécifique pour aider ces derniers à affronter des difficultés auxquelles ils ne sont pas actuellement préparés ;

- cet équilibre apparaît d'autant plus fragile qu'il n'est pas relayé à l'extérieur de l'établissement par l'action d'accompagnement des familles, des associations, des acteurs sociaux, bref si la politique des ZEP n'est pas articulée avec une politique de la ville.

La commission a enfin été frappée par le dynamisme et la jeunesse de l'équipe éducative et de direction et par la relative stabilité des enseignants qui explique sans doute une large part des résultats satisfaisants obtenus.

*

* *

Sans remettre en cause le principe de la discrimination positive, dont le bilan apparaît en effet contrasté, le gouvernement a donc manifesté sa volonté de relancer le dispositif des zones d'éducation prioritaires.

L'insertion de l'article 75, d'une formulation très générale et déclarative, dans le projet de loi d'orientation sur l'exclusion, destiné à compléter l'article 1er de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation, a pour objet de consacrer au plan législatif ce principe dans la répartition des moyens du service public de l'éducation.

II. VERS UN RETOUR AMÉNAGÉ AUX BOURSES DE COLLÈGE

Afin de remédier aux imperfections et à la complexité du système des bourses de collège et du cycle d'orientation des lycées, qui était géré par l'éducation nationale, l'article 23 de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille a institué un nouveau système d'aide à la scolarité, désormais versée par les organismes débiteurs de prestations familiales.

Les difficultés constatées dans sa mise en oeuvre, qui ont tenu notamment aux dysfonctionnements entraînés par une mauvaise information des familles et un champ d'application qui ne recouvrait pas celui des bénéficiaires antérieurs ont conduit cette réforme à l'échec.

L'aide à la scolarité n'a pas été non plus sans influence sur le problème préoccupant, observé depuis plusieurs années, de la baisse de fréquentation des cantines scolaires.

Pour ces raisons, le gouvernement a décidé de revenir à un système de bourses de collège aménagé et simplifié.

A. LES RAISONS DE LA RÉFORME DE 1994

Hérité d'un système fondé sur le mérite des élèves et régi par la loi n° 51-1115 du 21 septembre 1951 portant ouverture de crédits, le régime des bourses de collège se caractérisait notamment par sa complexité pour les familles et ses gestionnaires et par un coût de gestion hors de proportion avec le montant des bourses attribuées.

L'article 1er de la loi du 21 septembre 1951 se bornait à indiquer que des bourses seraient attribuées aux élèves, désormais sur un critère de ressources des familles, que les enfants seraient inscrits dans un établissement public ou privé et que les modalités d'octroi des bourses seraient fixées par décret ; plusieurs circulaires d'application ont été prises pour préciser les modalités d'un système qui régit toujours les bourses attribuées aux élèves inscrits dans les classes des lycées publics, des lycées privés sous contrat ou de ceux habilités à recevoir des boursiers nationaux.

1. Les critiques adressées aux bourses de collège

a) La complexité du système

Le système des bourses de collège comportait des points de charge permettant de faire varier le montant de la bourse, en fonction des revenus et de la composition de la famille et du type d'enseignement suivi par les élèves (classes d'enseignement général de collège, classes de 3e d'insertion, classes de 3e et de 4e technologiques, classes préprofessionnelles de niveau, classes préparatoires à l'apprentissage, classes de 3e et de 4e préparatoires au CAP, cycles d'insertion professionnelle par alternance, enseignements généraux et professionnels adaptés).

b) Le faible montant des bourses distribuées

Attribuées à plus d'un million d'élèves, soit environ 30 % des collégiens, les bourses de collèges représentaient au total un coût de 680 millions de francs.

D'après l'enquête menée par la direction des lycées et des collèges en janvier 1994, 52 % des boursiers des collèges percevaient deux parts de bourse (168,30 F la part), soit 336,60 F pour l'année scolaire, le montant moyen annuel s'élevant à 647 F.

Le nombre maximum de parts pouvait être porté à douze dans l'enseignement technologique, une prime d'équipement pouvant être attribuée en outre à certains élèves boursiers de quatrième préparatoire.

Il reste que le montant moyen des bourses de collège, et surtout le montant minimum servi à plus de la moitié des bénéficiaires, était hors de proportion avec des frais de demi-pension évalués à 2 500 F et avec des dépenses scolaires annuelles estimées à environ 1 200 F.

Compte tenu de leur faible montant, les bourses de collège ne représentaient qu'une part réduite dans le budget des familles affecté à la scolarité.

c) Un versement fractionné

Ces faibles montants, non revalorisés depuis 1979, faisaient cependant l'objet d'un versement fractionné, soit, pour le taux le plus bas, 112,20 F par trimestre.

En outre, ces versements n'intervenaient que tardivement, c'est-à-dire au mois de décembre pour le premier trimestre, et ne permettaient pas de participer aux dépenses de la rentrée scolaire.

d) Un coût de gestion disproportionné par rapport à leur montant

En dépit de leur montant dérisoire pour la majorité des familles concernées, les bourses de collège représentaient un coût de gestion disproportionné pour l'Etat : le coût de gestion des bourses a été évalué à 250 F par bourse pour l'éducation nationale.

e) Un système d'instruction et de liquidation des dossiers trop lourd

Les dossiers de demande de bourse établis par les familles devaient comporter les pièces justificatives de leurs revenus pour chacun des enfants potentiellement bénéficiaires. Collectés dans les collèges, ces dossiers étaient ensuite transmis aux inspections académiques qui en assuraient l'instruction ; le versement des bourses était assuré par les établissements une année après le dépôt des dossiers.

Ce système lourd et peu transparent ne permettait pas de procéder à une évaluation rigoureuse des ressources des familles, ni de contrôler les revenus qui étaient susceptibles d'évoluer après la première année d'attribution de la bourse, et était à l'origine de longs délais de réponse pour ces familles.

2. Les aspects positifs de l'aide à la scolarité

a) Le rappel des grandes lignes de la réforme

Se substituant aux bourses des collèges, l'aide à la scolarité peut être attribuée, pour chaque enfant à charge, aux bénéficiaires d'une prestation familiale, de l'aide personnalisée au logement, de l'allocation aux adultes handicapés ou du RMI, dont les ressources ne dépassent pas un plafond de référence annuel majoré à partir du premier enfant de 30 % par enfant à charge et revalorisé chaque année comme le SMIC au 1er juillet.

Si le montant de l'aide varie en fonction des ressources, il correspond désormais à deux taux par rapport à la base mensuelle de calcul des prestations familiales, soit 16,40 % pour le montant minimum et 52,57 % pour le montant maximum.

L'aide à la scolarité est servie par les organismes débiteurs des prestations familiales (CAF, caisses de la MSA, caisses des régimes spéciaux autonomes).

Les bénéficiaires doivent être âgés de 11 ans avant le 1er février de l'année suivant la rentrée scolaire et de moins de 16 ans au 15 septembre de l'année considérée.

L'aide à la scolarité est enfin versée en une seule fois en même temps que l'allocation de rentrée scolaire.

b) Un système simplifié pour les familles et les gestionnaires

•  La substitution de l'aide à la scolarité au système des bourses de collège et le transfert aux CAF bénéficient d'abord aux familles .

Celles-ci n'ont plus à établir un dossier spécifique de demande ni à fournir de pièces justificatives puisque les CAF disposent de l'ensemble des informations nécessaires à l'ouverture du droit à l'aide à la scolarité.

Les critères d'attribution des bourses de collège tiennent désormais à des conditions d'âge relatives à l'élève, à des conditions de ressources et à des conditions d'éligibilité à l'une des prestations servies par les caisses d'allocations familiales.

Il en résulte une simplification des critères d'attribution par rapport au système antérieur.

Par ailleurs, la CAF constitue l'interlocuteur unique des familles alors que le système des bourses de collège mettait en jeu les établissements scolaires et les inspections académiques.

Enfin, le versement de l'aide à la scolarité intervient en même temps que celui de l'allocation de rentrée scolaire, en une seule fois, à un moment où les frais de scolarité sont les plus importants.

D'après les enquêtes réalisées par les CAF de Mâcon et de Grenoble auprès des bénéficiaires de ces deux allocations, les sommes versées à ces deux titres ont été affectées à hauteur de 86 % à des dépenses ayant un lien avec la rentrée scolaire.

Le passage des bourses de collège à l'aide à la scolarité a permis de réduire les coûts de gestion du système et de réaliser une économie de 300 postes budgétaires dans les inspections académiques, qui a été chiffrée à 27 millions de francs par la loi de finances pour 1994.

Il convient cependant de noter que l'allègement des charges de gestion n'a pas été ressenti par les établissements en 1994-1995 du fait de la mise en place de l'allocation exceptionnelle.

c) Des moyens plus importants

- L'enveloppe globale

Alors que l'enveloppe budgétaire distribuée au titre des bourses de collège s'élevait à 697,5 millions de francs en 1993-1994, le montant versé aux familles au titre de l'aide à la scolarité était évalué par la CNAF à 772 millions de francs à la rentrée scolaire de 1994.

- Les compléments du fonds social collégien

Prévu par le nouveau contrat pour l'école et mis en place par la loi de finances pour 1995, le fonds social collégien a permis de compléter le système de l'aide à la scolarité.

Ce fonds a permis de verser une allocation exceptionnelle pour l'année scolaire 1994-1995, d'une part aux familles bénéficiaires au cours de l'année antérieure d'une bourse de collège et qui ont été écartées du bénéfice de l'aide à la scolarité et, d'autre part, à celles qui ont perçu une aide d'un montant inférieur pour des raisons tenant aux nouveaux critères d'admission : les dépenses à ce titre ont été évaluées à 140 millions de francs.

Le fonds social collégien permet en outre de répondre à des situations d'urgence sociale précisées dans la circulaire du 14 avril 1995 : les sommes allouées à ce titre étaient de l'ordre de 60 millions de francs.

Au total, les familles devaient recevoir 972 millions de francs au titre de l'aide à la scolarité et du fonds social collégien en 1994-1995, soit une progression de près de 40 % de l'enveloppe budgétaire par rapport à celle des bourses de collège en 1993-1994.

B. LES DIFFICULTÉS DE MISE EN OEUVRE DE L'AIDE À LA SCOLARITÉ

Plusieurs études officielles ont relevé les difficultés de mise en oeuvre de la réforme ainsi que ses dysfonctionnements. Il s'agit, pour l'essentiel :

- du rapport de notre excellent collègue M. Claude Huriet et de M. Charles de Courson, député, " relatif à l'analyse de la réforme des bourses de collèges et à la mise en place de l'aide à la scolarité et aux propositions d'améliorations " publié en avril 1995 à la suite de la mission qui leur avait été confiée par les ministres chargés de l'éducation nationale et des affaires sociales le 24 janvier 1995 ;

- du rapport annuel de la Cour des Comptes au Parlement sur la sécurité sociale de septembre 1997 ;

- des rapports des inspections générales de l'éducation nationale sur la baisse de fréquentation des cantines scolaires, qui a d'ailleurs été constatée avant la réforme de 1994.

1. Les difficultés nées d'une sous-information des familles et de la coexistence de deux dispositifs d'aide intervenant à la rentrée scolaire

a) La sous-information des familles

Comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes, la mise en oeuvre de la réforme a pâti d'une sous-information des familles qui résulte principalement du fait que les CAF ont donné la priorité au paiement de l'aide à la scolarité à la date prévue et que ce paiement est intervenu en même temps que celui de l'allocation de rentrée scolaire.

L'information réalisée au niveau national se bornait à préciser que l'aide à la scolarité se substituait aux bourses de collège, les CAF rappelant aux familles intéressées qu'elles n'avaient aucune démarche à effectuer pour bénéficier des aides à la rentrée scolaire.

Les familles ont ainsi reçu à la fin du mois d'août 1994 les versements cumulés de l'aide à la scolarité et de l'allocation de rentrée scolaire sans information particulière sur la réforme des bourses ; certaines d'entre elles ont pu utiliser en totalité ces deux prestations et se sont trouvées dépourvues pour le paiement des frais de demi-pension des trimestres ultérieurs.

Cette information a été améliorée pour les rentrées 1995 et 1996 et les notifications de versement adressées aux allocataires distinguent désormais clairement l'allocation de rentrée scolaire, sa majoration et l'aide à la scolarité.

b) La coexistence de l'allocation de rentrée scolaire et de l'aide à la scolarité

La combinaison de ces deux dispositifs d'aide liés à la rentrée scolaire se caractérise par sa complexité :

- l'allocation de rentrée scolaire diffère de l'aide à la scolarité quant à l'âge des enfants bénéficiaires (6 à 18 ans contre 11 à 16 ans) et quant aux plafonds de ressources qui sont plus élevés ;

- les ressources prises en compte par la caisse d'allocations familiales pour l'allocation de rentrée scolaire correspondent au revenu imposable, comme pour l'aide à la scolarité, mais comportent des abattements ; un alignement des conditions de ressources de l'aide à la scolarité sur celles de l'allocation de rentrée scolaire a été évalué par la CNAF à 390 millions de francs ;

- les conditions d'octroi de l'allocation de rentrée scolaire tendent à reporter son paiement après examen de la situation des enfants pour les familles ayant un enfant de 16 à 18 ans ;

- le montant des aides varie d'une année sur l'autre en raison de l'évolution du montant de la majoration exceptionnelle de l'allocation de rentrée scolaire.

2. Les conséquences des effets de champ de la réforme de 1994

Le remplacement du critère d'inscription en collège par un critère d'âge (avoir entre 11 et 16 ans) a entraîné plusieurs effets de champ : certains élèves qui n'auraient pas reçu de bourses ont pu bénéficier d'une aide à la scolarité, certains bénéficiaires potentiels de bourses ont été exclus de l'aide à la scolarité et enfin des effectifs non négligeables d'élèves ont disposé d'une bourse dont le montant était supérieur à celui de l'aide à la scolarité.

Le rapport de la mission parlementaire estime, avec une grande marge d'incertitude que 130 000 à 180 000 élèves auraient été écartés du bénéfice de l'aide à la scolarité.

a) Les élèves écartés de l'aide à la scolarité

Trois catégories d'élèves étaient concernées :

- les élèves de moins de 11 ans, inscrits au collège donc en avance dans leur scolarité, dont le nombre est estimé à 6 500 ;

- les boursiers des collèges ayant plus de 16 ans au 15 septembre 1994, soit environ 56 600 élèves ;

- les élèves des collèges dont les familles d'un seul enfant ne perçoivent aucune des prestations sociales exigées : leur nombre a été évalué entre 30 000 et 40 000.

Le rapport de MM. Huriet et de Courson souligne, en outre, deux autres conséquences de la réforme :

- dans le système des bourses de collège, les ressources des familles étaient appréciées avec deux ans de décalage alors que les CAF retiennent les ressources de l'année précédente. Ce phénomène a encore été amplifié puisque la bourse était attribuée à l'entrée en classe de sixième puis reconduite jusqu'en troisième sans que les ressources de la famille soient à nouveau vérifiées, sauf redoublement ou changement d'établissement ;

- les différences de plafond de ressources entre les deux régimes jouent en défaveur des familles monoparentales et des familles très nombreuses.

Le nombre d'enfants écartés de ce fait a été estimé entre 50 000 et 100 000.

b) Les élèves dont le montant de la bourse était supérieur à celui de l'aide à la scolarité

Le nombre de ces élèves a été évalué par l'éducation nationale à 80 000, soit 7 % des effectifs des boursiers des collèges.

Etaient notamment concernés les élèves des classes de quatrième et de troisième technologiques, des sections d'enseignement spécialisé et des cycles d'insertion professionnelle par alternance : ceux-ci bénéficiaient de bourses d'un montant moyen de 1 400 F, compte tenu des parts supplémentaires qui leur étaient attribuées dans le système antérieur.

Il convient de rappeler que 300 000 élèves sont scolarisés dans ces filières et que la proportion de boursiers y est de 50 %. La réforme de 1994 aurait eu pour conséquence de réduire l'aide qui leur était accordée d'un montant évalué entre 98 F et 1108 F.

c) Les nouveaux bénéficiaires de l'aide à la scolarité

A l'inverse, la réforme a eu pour conséquence de faire bénéficier de l'aide à la scolarité des élèves qui ne percevaient pas de bourses de collège.

Il s'agit :

- des élèves de plus de 11 ans encore scolarisés à l'école primaire et dont les familles répondent aux critères de ressources : 80 000 à 100 000 élèves seraient concernés ;

- des élèves de moins de 16 ans inscrits en second cycle et répondant aux critères de ressources : leur nombre est estimé à 80 000.

d) Une comparaison difficile entre les anciens et les nouveaux bénéficiaires

D'après les données fournies à la Cour des Comptes par la direction des lycées et collèges et la CNAF, il est possible d'établir les comparaisons suivantes, étant rappelé que les chiffres relatifs aux bourses se rapportent aux élèves bénéficiaires et que ceux concernant l'aide à la scolarité sont exprimés en nombre de familles bénéficiaires.

Evolution du nombre de boursiers :

- 1992-1993 : 1,039 million ;

- 1993-1994 : 1,059 million ;

Evolution du nombre de bénéficiaires de l'aide à la scolarité :

- rentrée 1994 : 657 000 familles en métropole, soit 885 752 enfants dont 55,3 % au montant minimum ;

- rentrée 1995 : 682 000 familles en métropole, soit 914 168 enfants dont 53 % au montant minimum.

3. La faiblesse des plafonds de ressources et le montant dérisoire de l'aide à la scolarité

a) L'évolution du barème

Le barème de l'aide à la scolarité a évolué depuis sa création ainsi qu'il suit :

Plafonds de références (annuels) pour un montant de l'aide à la scolarité de 337 F

 

Plafonds annuels de l'aide à la

Plafonds annuels des bourses

(en francs)

 

scolarité

(en francs)

Familles

1 salaire

Familles

2 salaires

Familles monoparentales

1 enfant

43 393

47 700

53 000

63 600

2 enfants

53 407

53 000

58 300

68 900

3 enfants

63 421

63 600

68 900

79 500

4 enfants

73 435

74 200

79 500

90 100

5 enfants

83 449

90 100

95 400

106 000

par enfant supplémentaire

10 014

15 900

15 900

15 900

Plafonds de références (annuels) pour un montant de l'aide à la scolarité de 1 080 F

 

Plafonds annuels de l'aide à la

Plafonds annuels des bourses

(en francs)

 

scolarité

(en francs)

Familles

1 salaire

Familles

2 salaires

Familles monoparentales

1 enfant

23 466

25 830

28 700

34 440

2 enfants

28 881

28 700

31 570

37 310

3 enfants

34 296

34 440

37 310

43 050

4 enfants

39 711

40 180

43 050

48 790

5 enfants

45 126

48 790

51 660

57 400

par enfant supplémentaire

5 415

8 610

8 610

8 610

Après les revalorisations intervenues, le barème actuel est le suivant :

Pour avoir droit à une aide à la scolarité d'un montant de 346 F par enfant, les revenus de la famille ne doivent pas dépasser les plafonds suivants :

47 233 F pour un enfant ;

58 133 F pour deux enfants ;

69 033 F pour trois enfants ;

+ 10 900 F par enfant supplémentaire.

Pour une aide à la scolarité d'un montant de 1 108 F par enfant, les revenus de la famille ne doivent pas dépasser les limites suivantes :

25 542 F pour un enfant ;

31 436 F pour deux enfants ;

37 330 F pour trois enfants ;

+ 5 294 F par enfant supplémentaire.

b) Des plafonds de ressources trop bas et un montant de l'aide dérisoire

Il convient de rappeler que quelque 520 000 élèves, soit plus de la moitié des boursiers de collèges perçoivent l'aide à la scolarité à son montant le plus bas (346 F), ce qui représente une aide de moins d'un franc par jour (94 centimes) tandis que ceux qui perçoivent l'aide la plus forte (1 108 F) touchent environ 3 francs par jour.

Comme le signale l'association " Familles de France ", qui dénonce le " scandale " de l'aide à la scolarité, " pour y avoir droit, il faut être dans une situation de grande pauvreté (...) pour obtenir une aumône plutôt qu'une aide, une charité plutôt qu'une justice ".

Compte tenu de la faiblesse des plafonds de ressources, qui sont pourtant réévalués régulièrement, l'aide à la scolarité est ainsi pratiquement réservée aux familles dépendant de minima sociaux.

Il est par ailleurs éclairant de rapprocher les effectifs de collégiens boursiers -environ un million- du nombre d'enfants qui vivent dans une famille dépendant de minima sociaux.

D'après la CNAF, sur les 3,3 millions de ménages bénéficiaires des minima sociaux, un quart d'entre eux ont des enfants à charge.

Au total, 1,5 million d'enfants vivent dans une famille dépendant de ces minima, soit 43 % du RMI, 28 % de l'allocation spécifique de solidarité qui s'élève à 2 400 F par mois, 17 % de l'allocation de parent isolé et 10 % de l'allocation adulte handicapé.

Par ailleurs, 58 % des allocataires sont des personnes isolées et 17 % des couples sans enfants.

L'aide à la scolarité apparaît ainsi désormais réservée pour l'essentiel aux familles défavorisées et assistées qui ne subsistent que grâce à ces diverses allocations.

4. Les remèdes apportés pour répondre aux difficultés de mise en oeuvre de l'aide à la scolarité

a) Un expédient provisoire : l'allocation exceptionnelle

Afin de compenser les pertes financières résultant pour les familles du passage des bourses de collège à l'aide à la scolarité, le paragraphe V de l'article 23 de la loi du 25 juillet 1994 a institué, à titre transitoire pour l'année scolaire 1994-1995, une allocation exceptionnelle à la charge de l'Etat.

Cette allocation devait être versée aux familles ayant bénéficié d'une bourse en 1993-1994 afin de leur garantir l'année suivante une aide d'un montant équivalent, soit qu'elles aient perdu le bénéfice de la bourse antérieure, soit qu'elles aient constaté une diminution de l'aide.

Ses conditions d'application ont été fixées par un décret du 16 janvier 1995 après qu'une circulaire du 28 octobre 1994 ait permis aux académies d'engager l'instruction des dossiers : les paiements de l'allocation exceptionnelle se sont prolongés jusqu'à la fin de l'année scolaire, cette prestation ayant pour certaines familles valeur d'indemnisation.

Cette allocation a été financée pour une grande part par un prélèvement sur la dotation du fonds social lycéen et un report de crédits de bourses de collège restés sans emploi en fin d'exercice budgétaire 1994.

Au total, d'après le rapport de la Cour des Comptes précité, 160,6 millions de francs ont été payés au titre de l'allocation exceptionnelle, dont 136 millions de francs sur les crédits délégués au fonds social collégien et 24,6 millions de francs au titre du fonds social lycéen.

Cette allocation a été versée à 287 417 élèves, pour un montant moyen de 559 F par bénéficiaire.

b) Une solution permanente : le fonds social collégien

Prévu par la mesure n° 35 du " nouveau contrat pour l'école " annoncé en juin 1994, le fonds social collégien a été créé par la loi de finances pour 1995 et doté de 100 millions de francs, ce montant ayant été porté à 150 millions de francs en 1996 et à 180 millions de francs en 1997 et en 1998.

Aux termes de la circulaire du 14 avril 1995, le fonds social collégien et le fonds social lycéen sont destinés à faire face aux situations difficiles que peuvent connaître les collégiens, les lycéens, les élèves de l'enseignement spécialisé du second degré ou leurs familles : les élèves reçoivent alors une aide exceptionnelle sous forme de concours financiers directs ou de prestations en nature leur permettant de financer tout ou partie des dépenses scolaires (frais d'internat de demi-pension, de transports ou de sorties scolaires, achat de fournitures scolaires).

Les crédits correspondants sont répartis entre les académies en fonction de l'effectif des élèves, de critères sociaux relatifs à la famille et, au niveau académique, par les recteurs qui prennent en compte les différentes situations sociales.

c) Les situations non réglées

Afin d'apporter une réponse permanente aux familles exclues du système d'aide à la scolarité, le rapport de la mission parlementaire formulait trois propositions :

•  l'extension de l'aide à la scolarité, versée par les CAF, aux collégiens de plus de 16 ans dont les familles sont prestataires ;

•  l'extension de l'aide à la scolarité aux familles d'un enfant non prestataires et aux collégiens de moins de 11 ans : ces deux catégories auraient pu bénéficier d'une aide déconcentrée à la scolarité, gérée et payée directement par les établissements scolaires, répondant aux mêmes critères d'attribution et du même montant que l'aide à la scolarité versée par les CAF.

Ces deux propositions supposaient des modifications législatives et leur coût était évalué à 60 millions de francs, chiffre qui peut être rapporté au nombre d'élèves exclus sur la base de ces critères d'âge et de taille de la famille (90 000).

•  la majoration de l'aide à la scolarité pour les élèves de l'enseignement technologique et spécialisé.

Le rapport proposait de maintenir une aide spécifique pour les élèves les plus défavorisés de ces sections : celle-ci aurait pris la forme d'une majoration systématique de 500 F pour tout élève ayant bénéficié d'une aide à la scolarité d'un montant de 1080 F, son coût étant estimé à 36 millions de francs.

En fait aucune solution n'a pu être dégagée pour les enfants uniques dont les familles n'étaient pas prestataires de CAF ni pour les élèves scolarisés en collège ne répondant pas aux conditions d'âge. En particulier, aucune suite n'a été donné à la demande du ministre de l'éducation nationale adressée le 10 octobre 1995 à son collègue chargé de la solidarité, et consistant à faire prendre en compte ces derniers par les CAF.

En revanche, les élèves de moins de 16 ans scolarisés en lycée ont la possibilité de cumuler le bénéfice des bourses de lycée, d'un montant très supérieur, avec celui de l'aide à la scolarité.

En définitive, le fonds social collégien a été appelé à remédier aux conséquences fâcheuses de la réforme et les expédients ajoutés au système d'aide à la scolarité ont en fait permis de rétablir les grandes lignes du dispositif d'origine.

C. LES INCIDENCES DE LA MISE EN OEUVRE DE L'AIDE À LA SCOLARITÉ SUR LA FRÉQUENTATION DES CANTINES SCOLAIRES

Si la réforme de l'aide à la scolarité n'est pas à l'origine de la désaffection constatée à l'égard des cantines scolaires, puisque ce mouvement s'était engagé antérieurement dans des établissements situés en ZEP ou dans des collèges sensibles, elle n'en a pas moins contribué à réduire encore la pratique de la restauration scolaire chez les collégiens.

1. Les craintes exprimées par l'IGAEN dès 1994 pour les établissements sensibles

Dans son rapport de juin 1994 6( * ) relatif aux établissements sensibles, puis dans celui relatif à la préparation de la rentrée 1995, l'IGAEN a exprimé ses craintes quant aux conséquences de la réforme de l'aide à la scolarité : alors que les bourses étaient antérieurement versées aux familles par le collège lui-même, montant déduit des frais de demi-pension, l'aide à la scolarité est désormais directement attribuée par les CAF aux familles bénéficiaires.

L'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale soulignait par ailleurs que les modalités de versement retenues (en une seule fois au tout début de l'année scolaire) exigeaient pour le moins un effort d'information des familles ; certaines d'entre elles n'ont pas perçu en effet que l'allocation reçue en début d'année se substituait aux trois versements antérieurs.

Les inquiétudes de l'inspection générale étaient par ailleurs partagées par les chefs d'établissements et par leurs gestionnaires redoutant que la réforme rende plus difficile l'accès des familles les plus défavorisées à la restauration scolaire et se traduise par un nombre croissant d'impayés, des abandons de demi-pension en cours d'année scolaire et une baisse des inscriptions.

La mise en place du nouveau dispositif se serait ainsi traduite, par une réduction de 75.000 demi-pensionnaires entre les années scolaires 1993-1994 et 1994-1995.

Si cette réforme du système des bourses n'a pas entraîné une désaffection massive à l'égard des cantines scolaires, ce phénomène étant engagé antérieurement, il reste qu'elle n'a pas contribué à le ralentir.

Un second rapport de l'inspection générale 7( * ) rappelle que le taux de demi-pensionnaire est de 36 % dans les ZEP et de 22,3 % dans les collèges sensibles contre 60 % dans l'ensemble des collèges.

2. Un mouvement plus général de moindre fréquentation des cantines scolaires entretenu par la réforme de l'aide à la scolarité.

La note 8( * ) établie par les deux inspections générales relative à la fréquentation des cantines scolaires constate que la diminution des effectifs de demi-pensionnaires ne se limite pas aux seuls établissements sensibles et que toutes les académies connaissent une baisse de la fréquentation des restaurants scolaires, liée notamment à la réforme du système des bourses de collège.

D'après cette note, l'académie de Reims aurait enregistré une baisse de 6 % du nombre des demi-pensionnaires entre 1995 et 1996 pour une réduction des effectifs de 1,7 % , ces chiffres étant portés respectivement à 4,6 % et à 2,4 % dans les lycées professionnels alors qu'aucune variation significative n'était observée dans les lycées d'enseignement général.

Un mouvement de baisse est également constaté dans les collèges sensibles ou situés en ZEP dans les académies de Versailles, de Poitiers, de Lille, de Rennes, de Rouen et de Toulouse.

Les enquêtes menées dans ces académies montrent que les difficultés financières des familles se traduisent d'abord par un retard des paiements de la demi-pension et par des abandons purs et simples en cours d'année. L'enquête réalisée dans l'académie de Grenoble auprès des élèves des collèges et des classes de quatrième et troisième technologiques des lycées professionnels révèle ce phénomène de désaffection à l'égard des cantines, par exclusion ou abandon :

- 1992-1993 : 297 élèves.

- 1993-1994 : 343 élèves

- 1994-1995 : 453 élèves.

Des résultats analogues ont été constatés dans l'académie de Lille :

- 1992-1993 : 375 élèves ;

- 1993-1994 : 414 élèves ;

- 1994-1995 : 553 élèves.

Si la réforme de l'aide à la scolarité n'est pas la seule cause de la désaffection à l'égard des cantines, qui résulte d'abord du développement d'une pauvreté sectorielle, cette réforme a contribué, par un effet pervers, à aggraver ce phénomène.

Afin de remédier à la baisse de fréquentation des cantines et de compléter l'action du fonds social collégien, la loi de finances pour 1998 a dégagé 290 millions de francs en faveur du nouveau fonds social pour les cantines.

Selon un bilan partiel établi par l'éducation nationale en février 1998 dans neuf académies, ce fonds a permis à 25 000 nouveaux demi-pensionnaires de fréquenter la cantine et devrait en toucher 100 000.

*

* *

Afin de remédier aux difficultés sus-rappelées de mise en oeuvre de l'aide à la scolarité, le gouvernement, conformément à l'avis exprimé par la plupart des organisations représentées au conseil supérieur de l'éducation, a décidé de rétablir un système aménagé et simplifié de bourses nationales de collège qui serait à nouveau géré par l'éducation nationale.

EXAMEN DES ARTICLES

CHAPITRE V
DROIT À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
PAR L'ÉDUCATION ET LA CULTURE
Article 74

Objectif national d'accès de tous à la culture,
à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs

I. Commentaire du texte du projet de loi

Cet article figure en tête du chapitre 5 du titre II du projet de loi consacré à l'égalité des chances par l'éducation et la culture. Il érige en objectif national l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs.

A la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi, cette disposition relève de deux des orientations conférées au projet de loi par le gouvernement selon une distinction qui, au demeurant, peut laisser songeur. D'une part, elle traduit la volonté de garantir l'accès aux droits fondamentaux en affirmant le principe de l'accès de tous à la culture. D'autre part, elle participe de la logique de prévention des exclusions, en promouvant l'égalité des chances par le sport, les vacances et les loisirs.

Outre le fait que cette dualité de préoccupations ne ressort pas de la rédaction proposée par le gouvernement, votre rapporteur souligne le caractère purement déclaratif de cette disposition qui pourrait avoir à la rigueur sa place dans une loi d'orientation si elle était accompagnée d'un dispositif normatif substantiel. Or, force est de constater, et nous l'avons déjà souligné dans l'exposé général, que le chapitre 5 du projet de loi ne comporte, outre cet article, qu'une seule disposition législative relative à la culture et qui, au demeurant, ne constitue que la transcription dans la loi d'une jurisprudence récente du Conseil d'Etat.

Par ailleurs, cet article apparaît redondant avec l'article premier qui précise déjà que la loi " tend à favoriser l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la vie familiale et de la protection de l'enfance ". On peut, en outre, s'interroger sur le terme d' " objectif national " utilisé par le texte de l'article 74 alors que celui d' " objectif prioritaire " est retenu à l'article 36 pour l'accès aux soins pour tous qui est considéré par l'exposé des motifs, à l'image de l'accès de tous à la culture, comme un droit fondamental.

On se contentera, en guise d'appréciation, de citer Portalis : " la loi ordonne, permet ou interdit ".

Quoi qu'il en soit, la multiplication des textes de principe rend difficile d'innover en la matière. En effet, le principe affirmé par l'article 74 se superpose tant à des normes de valeur constitutionnelle qu'à des dispositions législatives.

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame comme particulièrement nécessaires à notre temps les deux principes suivants : la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs " (onzième alinéa) et " garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture " (treizième alinéa).

Le Conseil constitutionnel a considéré que ces principes ont une valeur constitutionnelle en vertu de leur inscription dans le préambule de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958. Néanmoins, il leur a conféré une portée limitée, en précisant qu' " il incombe, au législateur comme à l'autorité réglementaire, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes posés par ces dispositions, les modalités concrètes de leur mise en oeuvre " (décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 à propos du onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946). Pour l'heure, aucune disposition législative n'a été annulée par le Conseil constitutionnel sur leur fondement. Le Conseil d'Etat, quant à lui, a également reconnu la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Sous réserve de la théorie de la loi écran, la jurisprudence récente semble s'orienter vers une application directe de ses dispositions. Si une telle évolution est logique pour le treizième alinéa qui constitue une déclinaison du principe d'égalité, elle mérite d'être notée pour le onzième alinéa (cf. CE, 7 mars 1990, Union nationale des associations familiales).

Au-delà de ces dispositions constitutionnelles, des textes législatifs comportent d'ores et déjà des dispositions de même nature que celles proposées par l'article 74. On peut citer l'article premier de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives qui précise que les activités physiques et sportives " sont un élément fondamental de l'éducation, de la culture et de la vie sociale " et que " leur développement est d'intérêt général et leur pratique constitue un droit pour chacun quels que soient son sexe, son âge et ses capacités ou sa condition sociale ". On rappellera également qu'aux termes de l'article premier de la loi n° 88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques " les enseignements artistiques contribuent à l'épanouissement des aptitudes individuelles et à l'égalité d'accès à la culture ".

Votre rapporteur souligne, à cet égard, qu'il serait préférable de s'attacher à appliquer les lois en vigueur plutôt que de poser de nouveaux principes à la valeur incertaine. En effet, alors que l'école est le lieu privilégié pour garantir aux enfants une égalité des chances dans le domaine culturel, la loi relative aux enseignements artistiques, comme votre commission l'a souligné au demeurant à maintes reprises, n'est encore que partiellement mise en oeuvre.

Le deuxième alinéa de l'article 74 énumère les collectivités et organismes impliqués dans la mise en oeuvre de cet objectif national. L'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale et les associations, contribuent à sa réalisation. L'accès de tous à la culture, à la pratique sportive et aux loisirs n'est donc pas de la seule responsabilité de l'Etat. A l'évidence, la réalité de la politique culturelle comme celle de la politique de la jeunesse et des sports, fondées sur un large partenariat avec les associations et une implication grandissante des collectivités territoriales, le prouvent. Par ailleurs, nous rappellerons que le préambule de 1946 attribuait à la Nation -et non uniquement à l'Etat- la responsabilité des principes garantissant l'égal accès de tous à la culture et aux loisirs.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a précisé que l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs permet de garantir l'exercice effectif de la citoyenneté, disposition plus déclarative que normative et sur le sens de laquelle on peut s'interroger.

Par ailleurs, elle a complété l'article 74 afin de lui conférer une utilité minimale consistant à énoncer en termes généraux les différentes mesures d'accompagnement du projet de loi destinées à garantir l'accès à la culture et l'égalité des chances par le sport et le tourisme. Celles-ci sont contenues dans le programme de prévention et de lutte contre les exclusions présenté par le gouvernement.

A cette fin, dans un énoncé qui ne se veut pas limitatif, l'Assemblée nationale a précisé, en premier lieu, que la réalisation de l'objectif national passe par :

- le développement de la formation dans le secteur de l'animation et des activités périscolaires ;

- l'organisation d'activités sportives hors du temps scolaire ;

- la sensibilisation des jeunes qui fréquentent les structures de vacances et de loisirs collectifs aux questions de société ;

- et le développement des hébergements touristiques à caractère social familial et par l'organisation du départ en vacances des personnes rencontrant des difficultés pour en assurer le coût financier.

Votre rapporteur ne peut que souscrire à ces intentions en espérant qu'elles se traduiront par des mesures concrètes. Il remarque, par ailleurs, qu'elles correspondent dans de nombreux cas à des dispositifs expérimentés depuis longtemps.

En second lieu, l'Assemblée nationale a complété l'article 74 afin de préciser que les collectivités et organismes visés au second alinéa peuvent mettre en oeuvre des programmes d'action concertés pour l'accès aux pratiques artistiques et culturelles, ce qui n'est pas à proprement parler une nouveauté. Elle a précisé également que les établissements participant au service public de la culture financés par l'Etat s'engagent à lutter contre les exclusions. Cette précision recueille l'assentiment de votre rapporteur qui considère que les initiatives prises en ce domaine par les établissements culturels doivent être généralisées.

III. Position de la commission

Votre commission a adopté trois amendements à cet article.

Le premier complète la rédaction du premier alinéa afin de préciser que l'objectif national est constitué par l'égal accès de tous à la culture et aux loisirs. En effet, l'accès de tous à la culture et aux loisirs doit s'exercer dans le respect du principe d'égalité, ce dernier pouvant, au nom de l'équité, justifier, comme l'ont admis les jurisprudences constitutionnelles et administratives, des discriminations positives afin de garantir l'égalité réelle, c'est-à-dire une véritable égalité des chances. Votre commission souligne à cet égard que cette modification n'est pas une innovation dans la mesure où le treizième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 posait déjà le principe de " l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture " .

Le deuxième amendement propose une nouvelle rédaction du deuxième alinéa de cet article. Outre des modifications de forme, elle tend à apporter une amélioration de fond en rappelant que les enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires contribuent, comme le précisait la loi n° 88-20 du 16 janvier 1988 précitée, à l'égalité d'accès à la culture. En effet, votre commission, regrettant l'application encore très imparfaite de cette loi, souhaite affirmer son attachement au rôle que peuvent jouer les enseignements artistiques dans le développement des aptitudes individuelles et dans la démocratisation de la culture, deux objectifs qui ne peuvent que contribuer à la lutte contre les exclusions. Elle considère, en effet, qu'en dépit de ses lacunes en ce domaine, l'école doit demeurer le lieu privilégié pour assurer l'égalité des chances et lutter contre la transmission de génération en génération des situations d'exclusion.

Le troisième amendement modifie la rédaction du troisième alinéa de l'article 74 afin de préciser de manière plus explicite que les établissements culturels financés par l'Etat ont pour obligation de lutter contre les exclusions.

Article 75

Consécration législative du principe de discrimination
positive en matière d'éducation

I. Commentaire du texte du projet de loi

En insérant un alinéa nouveau après le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, cet article consacre, sur un plan général, le principe de discrimination positive en matière d'éducation.

Il précise à cet effet que pour garantir le droit à l'éducation, " la répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des situations notamment en matière économique et sociale ".

Cet article confère ainsi une base légale à la politique menée en faveur des zones d'éducation prioritaires depuis 1982.

La politique des ZEP s'est en effet développée à partir de 1982, en s'appuyant notamment sur les circulaires n° 81.238 du 1er juillet 1981 et n° 90.028 du 1er février 1990.

La loi d'orientation de 1989 a prévu pour sa part, dans son article 21, que la répartition des emplois du service public de l'éducation prenait en compte les contraintes spécifiques des zones d'environnement social défavorisé et des zones d'habitat dispersé, afin de réduire les inégalités constatées entre les académies et entre les départements et de résorber les écarts de taux de scolarisation en améliorant les conditions d'encadrement des élèves.

Les limites de la notion de discrimination positive ont été posées par le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel.

Dans son rapport public pour 1996, le Conseil d'Etat constatait que " le principe d'égalité n'atteint réellement son but que s'il est aussi le vecteur de l'égalité des chances. Celle-ci doit être promue plus activement pour enrayer l'aggravation des inégalités économiques, sociales et culturelles. Une telle action peut passer par une différenciation des droits, dès lors que l'intérêt général résultant de l'objectif de réduction des inégalités rend juridiquement possible une dérogation raisonnable au principe d'égalité des droits. "

Dans le même sens, le Conseil constitutionnel, dans ses décisions n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986 et n° 94-358 DC du 26 janvier 1995, autorise d'ores et déjà des discriminations positives en matière économique et sociale, en particulier s'agissant de la situation de certaines zones défavorisées, dans le cadre d'une politique d'aménagement du territoire et dans un but d'intérêt général.

Le service public de l'éducation apparaît donc fondé à entreprendre une lutte contre les inégalités sociales en répartissant d'une manière inégalitaire les moyens qui lui sont affectés.

Passant de 362 à l'origine à 563 en 1997, les ZEP regroupent aujourd'hui environ 1,2 million d'élèves, soit près de 10 % des effectifs de l'enseignement secondaire.

Fondées sur le principe de discrimination positive, elles ont pour objet de lutter contre l'échec scolaire et de rétablir une égalité des chances entre les élèves en attribuant davantage de moyens dans les zones qui cumulent les handicaps économiques, sociaux et culturels.

Compte tenu d'un essoufflement du dispositif et d'une inadaptation actuelle de la carte des ZEP, le gouvernement a décidé de relancer le dispositif en privilégiant les apprentissages fondamentaux, en améliorant les conditions de travail des enseignants, en proposant des contrats de réussite avec les établissements, en mettant en place des réseaux d'éducation prioritaires et en renforçant les liens entre l'éducation nationale et ses partenaires.

L'objet de l'article 75 est ainsi de donner une base législative au dispositif des ZEP et de consacrer le principe de la répartition inégalitaire des moyens qui leur sont accordés depuis 1982.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

- Sur proposition de sa commission spéciale, l'Assemblée nationale a d'abord complété l'article 75 en précisant que les " différences de situations objectives " doivent être prises en compte pour la répartition des moyens du service public de l'éducation.

- Dans le même article, elle a ensuite introduit un paragraphe II tendant à compléter le 5ème alinéa de l'article 1er de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation pour préciser que l'école doit assurer une formation à la connaissance des droits de la personne, afin de prendre en compte les phénomènes d'exclusion sociale qui sont susceptibles de leur porter atteinte.

- Elle a également adopté un paragraphe III qui complète l'avant-dernier alinéa de l'article 1er de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation prévoyant que les activités périscolaires visent notamment à favoriser, pendant le temps libre des élèves, leur égal accès aux pratiques culturelles et sportives et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication.

- Enfin, elle a introduit un nouveau paragraphe IV complétant le 1er alinéa de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation et précisant que le projet d'établissement doit indiquer les moyens particuliers mis en oeuvre pour prendre en charge les élèves issus des familles les plus défavorisées.

III. Position de la commission

Votre commission estime que la rédaction de l'article 75 du projet de loi est excessivement générale et n'apporte pas les éclaircissements souhaitables quant aux déclinaisons possibles du principe de discrimination positive.

Elle ne prend pas en compte les inégalités globales constatées au plan local, entre les académies et les départements, ni les contraintes spécifiques des zones socialement défavorisées et des zones d'habitat dispersé qui sont visées à l'article 21 de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation.

Elle ne mentionne pas, pour la répartition des moyens mis au service des élèves, les inégalités résultant des situations économiques et sociales des familles, des quartiers et des établissements scolaires, telles que celles-ci sont explicitement énoncées dans l'exposé des motifs du projet de loi.

La formulation retenue pour valider la politique des ZEP pourrait laisser craindre que les portions de territoire non déclarées prioritaires en matière d'éducation, notamment en milieu rural, que les établissements non classés sensibles ou ne figurant pas dans une ZEP, même s'ils connaissent des difficultés, que les familles confrontées à des situations délicates habitant des zones non défavorisées, seraient écartées du bénéfice de la manne distribuée par l'éducation nationale au titre de la mise en oeuvre de la notion de discrimination positive.

Comme les moyens considérables de l'éducation nationale n'ont pas vocation, compte tenu des contraintes budgétaires, à augmenter dans des proportions importantes, il convient de rappeler qu'une répartition préférentielle de ces moyens vers les ZEP se traduit nécessairement par leur réduction dans les zones non défavorisées, notamment en milieu rural mais aussi urbain, ou suburbain, dont les familles peuvent également connaître des difficultés.

Cette évolution peut avoir pour conséquence d'entraîner une fermeture accélérée des classes uniques en milieu rural, processus actuellement gelé par le moratoire de 1993, mais aussi priver de nombreuses familles défavorisées, situées hors des ZEP, de diverses activités périscolaires, notamment dans le domaine culturel et sportif.

En effet, peut-on considérer que des élèves issus de familles très modestes habitant en zone rurale, soumis aux contraintes horaires lourdes des transports scolaires, sont favorisés par rapport à certains des collégiens de ZEP, notamment dans l'exercice d'activités périscolaires et culturelles ?

Par ailleurs, il n'est pas certain que l'encadrement renforcé des établissements classés en ZEP constitue la formule la plus efficace pour améliorer les performances scolaires de leurs élèves : les efforts menés depuis plus de quinze ans dans ces zones n'ont permis de réduire que de quelques unités le nombre d'élèves par classe, sans modifier substantiellement les conditions de scolarité.

La mise en place d'une politique ambitieuse et personnalisée d'aides aux élèves et de dispositifs de soutien apparaît, pour votre commission, sans doute plus efficace qu'une baisse dérisoire, et pourtant très coûteuse, des effectifs par classe.

Les difficultés des élèves, qu'elles soient de nature scolaire ou d'une autre origine, quel que soit leur quartier ou leur établissement, devraient ainsi être prises en compte individuellement à côté de la reconnaissance de réseaux d'éducation prioritaires bénéficiant aux écoles et aux établissements qui concentrent le plus de difficultés.

La combinaison de ces deux dispositifs, l'un général visant des zones difficiles, l'autre individualisé, visant les élèves, serait en outre de nature à réduire les inconvénients des effets de seuil découlant du classement ou non en zone d'éducation prioritaire.

Ainsi, si elle ne peut qu'exprimer son accord avec une déclaration de principe consacrant la discrimination positive dans le système éducatif, votre commission considère que celle-ci ne saurait bénéficier exclusivement aux ZEP et devrait également tenir compte des situations individuelles difficiles qui viennent d'être évoquées.

Elle vous proposera en conséquence un amendement tendant à préciser les critères qui doivent être pris en compte dans la répartition des moyens du service public de l'éducation.

Sous réserve de cette modification, elle a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 75 du projet de loi.

Article additionnel après l'article 75

Aménagement de la mission et du service des enseignants

Constatant qu'une grande partie des élèves favorisés bénéficient d'une aide dispensée, soit par leur environnement familial, soit par un marché privé du soutien scolaire aujourd'hui florissant, votre commission considère, en évitant toute stigmatisation de la démarche des familles en faveur de leurs enfants, que ces pratiques sont contradictoires avec les objectifs de justice sociale de l'école républicaine.

La consultation nationale qui vient d'être organisée sur l'avenir des lycées a notamment révélé une demande importante de suivi personnel et d'accompagnement des élèves et la perspective de mise en place de programmes référentiels communs à l'ensemble des lycéens, aussi bien dans les filières générales que technologiques et professionnelles, implique à l'évidence que tous les élèves aient la possibilité de recourir à une aide individualisée, au sein même des établissements.

Cet objectif conduit logiquement à redéfinir la mission et le service des enseignants dont la fonction ne doit plus se limiter à dispenser l'enseignement obligatoire de leur discipline mais s'étendre à des activités de soutien, d'aide individualisée et d'accompagnement des élèves sous une forme gratuite, notamment pour les plus défavorisés, mais aussi pour ceux dont le milieu familial est en rupture avec les normes et la pédagogie de l'école.

Cet objectif vaut encore plus pour le collège et l'école primaire où les retards accumulés se traduisent rapidement par une situation d'échec scolaire.

Dans son rapport final, M. Philippe Meirieu, président du comité d'organisation de la consultation nationale sur l'avenir des lycées, propose notamment de réduire de 18 à 15 heures l'horaire d'enseignement des professeurs certifiés devant élèves et de dégager quatre heures hebdomadaires pour assurer des activités pédagogiques et de soutien.

Sans aller jusqu'à rendre obligatoire cette nouvelle organisation du service à l'ensemble des enseignants, votre commission proposera un dispositif incitatif destiné aux enseignants volontaires qui accepteraient une réduction de leur horaire d'enseignement en échange d'un horaire de soutien individualisé aux élèves supérieur d'une heure à la réduction acceptée. Elle soulignera, en outre, la nécessité d'évaluer ces activités de soutien afin de s'assurer de leur efficacité.

Elle vous demande en conséquence de compléter l'article 14 de la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 qui définit la mission des enseignants et d'adopter ainsi un article additionnel après l'article 75 du projet de loi.

Article additionnel après l'article 75

Participation des enseignants
aux actions d'insertion des jeunes et à l'éducation permanente

Aux termes de l'article 14 de la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, les enseignants sont responsables de l'ensemble des activités scolaires des élèves, apportent une aide au travail personnel de ces derniers, les conseillent dans leur orientation et participent aux actions de formation continue des adultes.

S'agissant de l'insertion professionnelle, c'est-à-dire d'un accompagnement personnalisé vers l'emploi des jeunes en difficulté, l'article 2 du projet de loi a pour objet de créer un dispositif de " trajet d'accès à l'emploi " (TRACE) dans le programme de prévention et de lutte contre les exclusions.

Le dispositif TRACE a pour objectif d'accompagner vers l'emploi les jeunes confrontés à un risque d'exclusion professionnelle et devrait concerner notamment les jeunes issus des quartiers sensibles ou sortis du système scolaire sans diplôme ou qualification.

Ils se verront proposer un parcours d'insertion personnalisé articulant des périodes de remobilisation, d'acquisition des savoirs de base, de formation professionnelle et de mise en situation professionnelle (CES de courte durée, contrats d'orientation, emploi dans une entreprise d'insertion, contrat de travail temporaire), financé par le FNE dans le cadre des dispositions du code du travail concernant la formation professionnelle permanente.

A cet effet, l'Etat passera des conventions avec les régions qui sont compétentes en matière de formation qualifiante et préqualifiante des jeunes.

L'article 2 du projet de loi précise également que les conditions de mise en oeuvre de ces actions d'accompagnement feront l'objet de conventions conclues entre l'Etat, les missions locales et les agences locales pour l'emploi.

Il prévoit en outre que des conventions pourront également être conclues entre l'Etat et des établissements, organismes ou associations d'enseignement général ou technologique assurant la formation professionnelle des jeunes ou préparant leur insertion professionnelle et sociale, dans les conditions fixées par l'article L.982-2 du code du travail.

L'éducation nationale n'est donc pas absente de la mise en oeuvre du programme TRACE et il convient de rappeler que celle-ci a mis en oeuvre depuis 1986 un dispositif d'insertion des jeunes, dit DIJEN, qui a été fondu dans la mission d'insertion générale de l'éducation nationale (MIGEN) après que la loi quinquennale pour l'emploi de 1993 ait stipulé dans son article 54 qu'aucun jeune ne devait sortir du système scolaire sans formation.

L'animation de la mission d'insertion de l'éducation nationale est actuellement assurée par quelque 700 personnels contractuels recrutés et renouvelés chaque année par les recteurs en fonction des besoins de leur académie ; il serait d'ailleurs souhaitable que des possibilités de titularisation plus aisées que celles qui sont offertes par les concours externes leur soient proposées puisque certains d'entre eux sont en fonction depuis douze ans.

S'agissant de la mission générale d'insertion de l'éducation nationale, votre commission tient à souligner que le maintien au sein de l'institution scolaire, jusqu'au terme de la scolarité obligatoire, de jeunes en situation d'échec scolaire irrémédiable, ou qui rejettent manifestement le système scolaire, est sans doute néfaste pour ces élèves ainsi que pour les établissements qui les accueillent.

Sans revenir à des formules aujourd'hui considérées comme des structures de relégation, telles les anciennes classes préparatoires à l'apprentissage et les classes préprofessionnelles de niveau, ni développer les classes d'initiation préprofessionnelle d'apprentissage, prévues par l'article 55 de la loi quinquennale sur l'emploi, qui n'ont pas connu le succès escompté, il conviendrait sans doute qu'une expérimentation puisse être engagée dans certains établissements accueillant des élèves particulièrement défavorisés afin de les autoriser à suivre une formation en alternance avant le terme de l'obligation scolaire.

L'éducation nationale est également présente dans le domaine de la formation continue des adultes, à laquelle participent les enseignants, conformément aux dispositions de l'article 14 précité, par le biais des groupements d'établissements (GRETA) dont l'action s'inscrit dans le cadre de plans académiques de développement élaborés et animés par les délégués académiques à la formation continue.

Les GRETA participent, en liaison avec les entreprises, à des actions de formation continue de leurs personnels et les 315 groupements offrent aux stagiaires la possibilité de suivre un parcours individualisé : ils délivrent chaque année quelque 15 000 diplômes allant du CAP au BTS et plus de 520 000 stagiaires, salariés ou demandeurs d'emploi, ont suivi des formations en 1995 ; les formations générales à caractère professionnel regroupent près de la moitié des stagiaires, tandis que les formations administratives ou commerciales en regroupent près du quart, les formations de niveau CAP et BEP constituant les plus gros effectifs.

Sous réserve d'une disponibilité des locaux et des personnels nécessaires, les établissements scolaires participent donc largement à la formation des adultes dans le cadre de l'éducation permanente et à tous les niveaux (STS, formation complémentaire post-CAP, BEP ou " bac pro "...).

Le recours aux structures de l'éducation nationale permet d'offrir des solutions de proximité et d'individualiser les formations : développement des connaissances de base notamment au sein d'ateliers pédagogiques, formations qualifiantes très personnalisées au sein de centres permanents, formation aux langues étrangères.

Ce dispositif a été complété depuis 1994 par la mise en place de centres de bilan et de centres de validation, en application du " nouveau contrat pour l'école ", qui ont pour fonction d'aider les jeunes et les adultes à construire un projet personnel, d'assurer une mission d'information et d'accompagner la validation des acquis professionnels.

A cet effet, les décrets réglementant les diplômes professionnels prévoient leur découpage en unités capitalisables.

En 1995, ces structures de bilan et de validation ont accueilli 62 000 personnes, dont 50 000 jeunes bénéficiant d'un cours personnalisé de qualification et d'insertion professionnelle et 12 000 adultes au titre de la validation des acquis professionnels.

Afin de consacrer sur le plan législatif, et de développer le rôle important joué par l'éducation nationale en matière d'insertion professionnelle des jeunes en situation difficile, et celui des enseignants dans le domaine de la formation continue, votre commission proposera de compléter l'article 14 de la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 qui définit leur mission.

L'article 14 devrait ainsi préciser que les enseignants participent aux actions d'insertion professionnelle des jeunes à l'issue de la scolarité obligatoire, aux actions de formation continue des adultes et à une politique d'éducation permanente validant notamment les acquis professionnels tout au long de la vie active.

Elle vous demande, en conséquence, d'adopter cet article additionnel.

Article 75 bis

Comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté

I. Texte adopté par l'Assemblée nationale

A l'initiative de MM. Denis Jacquat et Jacques Barrot, l'Assemblée nationale a examiné un amendement qui avait pour objet de créer au sein de chaque académie un comité d'appui aux acteurs de la lutte contre l'exclusion.

La création de cette structure spécifique aurait permis de favoriser la diffusion des expériences innovantes engagées en ce domaine, les contacts entre l'école et les parents de milieux défavorisés ainsi que la formation des enseignants à la connaissance de la vie des familles, comme cela avait déjà été expérimenté avec succès notamment dans l'académie de Lille.

Suivant les observations du gouvernement, l'Assemblée nationale a préféré que l'appui apporté aux acteurs de la lutte contre l'exclusion se fasse au niveau des établissements scolaires, et non en créant une nouvelle structure au sein de chaque académie ; elle a en conséquence renvoyé cette action aux comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté qui devraient être créés dans les établissements en application du plan pour la santé scolaire annoncé en conseil des ministres le 11 mars 1998.

II. Position de la commission

Votre commission considère qu'il importe en effet de décentraliser autant que possible l'appui apporté aux acteurs de la lutte contre l'exclusion et le niveau choisi, celui de l'établissement, lui paraît le mieux adapté à cette action et évite de créer en outre un comité supplémentaire au niveau académique.

Elle a émis, en conséquence, un avis favorable à l'adoption de cet article.

Article 76

Suppression de l'aide à la scolarité

I. Commentaire du texte du projet de loi

Cet article tend à supprimer l'actuel système d'aide à la scolarité institué par la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille et modifié par la loi du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social.

Il abroge en conséquence les paragraphes I à V et le paragraphe VIII de l'article 23 de la loi de 1994, les articles 56 et 57 de la loi de 1995, ainsi que les dispositions correspondantes du code de la sécurité sociale (1er et 6ème alinéas de l'article L. 241-6).

Comme il a été indiqué dans l'exposé général du présent avis, l'aide à la scolarité a été substituée en 1994 au système des bourses de collège qui était à la fois trop complexe, peu avantageux pour les familles et dont la gestion était trop coûteuse.

L'aide à la scolarité est versée par les caisses d'allocations familiales et attribuée aux familles bénéficiant d'une prestation familiale, de l'APL, de l'aide aux adultes handicapés ou du RMI.

S'ajoutent à ce critère social la prise en compte d'un plafond de ressources et une condition d'âge, c'est-à-dire que l'aide à la scolarité n'est versée qu'aux familles des enfants entre 11 et 16 ans.

Si cette réforme s'est traduite par certains avantages pour les familles et les gestionnaires du système (enveloppe globale plus élevée, coûts de gestion réduits, attribution à un nombre plus important de familles), elle a été aussi à l'origine de graves dysfonctionnements.

Les raisons de l'échec de la réforme qui ont été développées précédemment peuvent être ainsi résumées :

- les familles ont d'abord pâti d'un manque d'information sur la réforme qui s'est traduite pour elles par un versement unique de l'aide à la scolarité en même temps que l'allocation de rentrée scolaire : il en est résulté une confusion pour nombre de familles habituées à percevoir les bourses de collège en trois versements étalés tout au long des trimestres de l'année scolaire ;

- la modification des critères d'attribution de l'aide à la scolarité, par rapport aux bourses de collège, a eu pour conséquence d'exclure un certain nombre de bénéficiaires potentiels :

• les élèves de moins de 11 ans ou de plus de 16 ans, déjà ou encore inscrits en collèges, soit environ 90 000 élèves ;

• les enfants de familles ne percevant aucune prestation familiale, et notamment les familles modestes ayant un seul enfant à charge, soit 40 000 élèves.

En revanche, les élèves de l'enseignement primaire de plus de 11 ans et les élèves de moins de 16 ans déjà scolarisés au lycée, soit environ 80 000 élèves sont éligibles à l'aide à la scolarité.

- le versement unique de cette aide en début d'année scolaire, qui est souvent intégralement dépensé, au même titre que l'aide à la rentrée scolaire, a pu être à l'origine de difficultés financières lors du paiement trimestriel des frais de demi-pension, même s'il convient de rappeler que ces frais sont sans commune mesure, avec le montant minimum ou même maximum de l'aide à la scolarité.

Afin de remédier à certains de ces dysfonctionnements, une allocation exceptionnelle, qui n'a pas été reconduite, était prévue dans la loi de 1994 et le recours du fonds social collégien, créé par le nouveau contrat pour l'école, et géré par les établissements, a permis de répondre aux situations les plus délicates.

Au-delà de ces expédients, qui ne constituent pas un droit pour les familles, et qui nécessitent une démarche de leur part auprès des établissements, il importait donc de revenir au système des bourses de collège en le simplifiant.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté l'article 76 sans modification.

III. Position de la commission

Votre commission, qui a été saisie à de multiples reprises des difficultés de mise en oeuvre de la réforme de l'aide à la scolarité, ne peut que se féliciter du rétablissement d'un système de bourses de collège aménagé et simplifié et donc de l'abrogation des dispositions correspondantes de la loi de 1994.

Elle constate par ailleurs que le principe de ce rétablissement a fait l'objet d'un avis favorable à la quasi-unanimité des membres du Conseil supérieur de l'éducation le 5 mars 1998, seule l'UNAF s'abstenant.

Toutes les autres organisations membres, tant syndicales que familiales, ou de parents d'élèves, ont approuvé cette mesure.

Votre commission a, en conséquence, émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

Article 77

Rétablissement d'un système de bourse de collège

I. Commentaire du texte du projet de loi

Cet article introduit un nouvel article 21-1 dans la loi d'orientation du 10 juillet 1989 sur l'éducation afin de rétablir un système de bourse de collège en remplacement de l'aide à la scolarité qui a été supprimée par l'article 76 sus-examiné.

Il tend ainsi à transposer l'article 23 de la loi du 25 juillet 1994 sur la famille, qui avait institué l'aide à la scolarité, et maintient donc une distinction entre les bourses nationales d'études versées aux familles des élèves fréquentant les classes des lycées publics et privés sous contrat ou des lycées privés habilités à recevoir des boursiers nationaux, qui restent régies par la loi du 21 septembre 1951 portant ouverture de crédits sur l'exercice 1951, et les nouvelles bourses de collège.

- Le paragraphe I du nouvel article 21-1 de la loi d'orientation précise d'abord les conditions d'attribution des bourses de collège  : il remplace le critère d'âge requis pour l'attribution de l'aide à la scolarité (11-16 ans) par une condition d'inscription de l'élève, quel que soit son âge, dans un collège public, un collège privé sous contrat ou un collège privé habilité à recevoir des boursiers nationaux.

Le critère des ressources des familles reste en revanche apprécié, comme pour l'aide à la scolarité, selon un plafond variant avec le nombre d'enfants à charge et revalorisé comme le SMIC.

Il en est de même pour le calcul du montant de la bourse qui est égal à un pourcentage de la base mensuelle de calcul des prestations familiales.

D'après les indications fournies, les bourses de collège devraient désormais comporter un troisième taux d'un montant de 1 800 F par an, pour les élèves des familles les plus défavorisées, qui s'ajouterait aux deux taux existants de l'aide à la scolarité (346 F et 1 108 F).

- Le paragraphe II du nouvel article 21-1 précise que les bourses nationales de collège sont à la charge de l'Etat et attribuées par le ministre chargé de l'éducation nationale.

Il convient de rappeler que la loi de finances pour 1998 prévoit 850 millions de francs pour l'aide à la scolarité qui seront donc affectés au financement des bourses de collège, le surcoût entraîné par les mesures nouvelles et le troisième taux étant évalué à 150 millions de francs.

Son deuxième alinéa indique que les bourses sont servies aux familles par les collèges publics ou par les services académiques pour les élèves inscrits dans un collège privé.

Le remplacement des caisses d'allocations familiales, qui versaient l'aide à la scolarité, par les établissements, devrait permettre d'appréhender plus précisément les familles en difficulté et, à ces dernières, de mieux distinguer la bourse de l'allocation de rentrée scolaire.

D'après les indications fournies, les mesures réglementaires d'application de cet alinéa devraient préciser que le versement de bourse sera trimestriel pour les deux taux les plus élevés et intervenir en une fois, au mois de décembre, pour le premier taux, cette solution paraissant opportune compte tenu de la faiblesse du montant annuel servi.

Ce deuxième alinéa précise enfin que la bourse sera servie aux familles par les établissements, après déduction éventuelle des frais de pension ou de demi-pension.

Ce dispositif de précompte automatique par l'établissement des frais de demi-pension, qui ne vaut que pour les établissements publics, apparaît plus satisfaisant que les systèmes qui prévalaient antérieurement : en application de l'article L. 553-4 du code de la sécurité sociale, la procédure de saisie-attribution pouvait, en effet, être appliquée à l'aide à la scolarité, tandis que l'article 57 de la loi du 4 février 1995 portant DDOS permettait, en cas de non-paiement des frais de cantine, que l'aide à la scolarité soit versée à l'établissement, sur sa demande, après information et mise en demeure préalable de l'allocataire.

Le rétablissement du versement trimestriel de la bourse, accordé au paiement trimestriel de la demi-pension, et ce dispositif de précompte automatique par l'établissement devraient contribuer à améliorer la fréquentation des cantines scolaires, notamment dans les zones d'éducation prioritaires.

- Le paragraphe III du nouvel article 21-1 substitue le nouveau dispositif du paragraphe I aux anciennes bourses nationales attribuées aux élèves de collège en application de la loi du 21 septembre 1951.

Il a ainsi pour conséquence de créer deux types de bourses pour l'enseignement secondaire, celles des collèges et celles des lycées, alors que le système antérieur de l'aide à la scolarité ne prévoyait qu'une seule catégorie de bourses comportant des régimes différenciés.

- Le paragraphe IV du nouvel article 21-1 précise la portée de l'article 1er de la loi du 21 septembre 1951 qui continue de régir les bourses nationales d'études du second degré pour les seuls élèves inscrits dans les classes des lycées publics, des lycées privés sous contrat ou des lycées privés habilités à recevoir des boursiers nationaux.

Cet article 1er se borne à indiquer que des bourses sont attribuées aux élèves sur un critère de ressources des familles, qui a succédé à l'ancien critère de mérite, que les parents peuvent inscrire leurs enfants dans un établissement public ou privé et que les modalités d'octroi de ces bourses sont fixées par décret.

Le paragraphe IV confère ensuite une base législative à l'attribution des bourses nationales aux élèves des établissements régionaux d'enseignement adapté qui sont chargés d'accueillir des élèves souffrant d'une déficience physique ou d'un trouble social associé.

En outre, il permet de pérenniser le système dérogatoire dont bénéficie l'enseignement agricole.

Il convient à cet égard de rappeler qu'une initiative de votre commission des affaires culturelles, dans la discussion de la loi du 4 février 1995 portant DDOS, a permis aux élèves des établissements de l'enseignement agricole, de continuer à percevoir leurs bourses après la création de l'aide à la scolarité afin d'éviter des pertes de revenus pour les familles.

- Le paragraphe V prévoit enfin un décret pour définir les modalités d'application du nouvel article 21-1 de la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a d'abord modifié la place de cet article dans la loi d'orientation de 1989 sur l'éducation en insérant le nouveau dispositif des bourses de collège non plus dans le titre III relatif aux établissements d'enseignement mais dans le chapitre III (droits et obligations) du titre premier relatif à la vie scolaire et universitaire.

Au paragraphe II de l'article, elle a supprimé la précision aux termes de laquelle ces bourses sont attribuées par le ministre chargé de l'éducation nationale en estimant que celle-ci était inutile et contraire à l'esprit de la réforme qui vise à déconcentrer au plus près possible des élèves et de leur famille, l'appréciation des situations.

Au paragraphe IV de l'article, elle a adopté un amendement rédactionnel concernant les établissements régionaux d'enseignement adapté.

Elle a enfin supprimé le paragraphe V qui prévoit que les modalités d'application de l'article seront définies par un décret simple, qu'elle a jugé inutile, le gouvernement disposant d'un pouvoir réglementaire d'application des lois en vertu de l'article 21 de la Constitution.

III. Position de la commission

Si elle ne peut que se satisfaire d'un retour à un système de bourses simplifié pour les familles, votre commission souhaiterait cependant obtenir des assurances du gouvernement quant aux modalités d'application de l'article 77 qui sont renvoyées pour l'essentiel au règlement.

Elle souhaiterait notamment recevoir des précisions sur les conditions d'attribution d'un troisième taux de bourse s'ajoutant aux deux taux existants, et qui serait créé en faveur des familles les plus défavorisées, ainsi que sur les modalités du versement des bourses qui redeviendrait trimestriel, à l'exception du premier taux.

Elle voudrait surtout obtenir du gouvernement l'engagement que le montant des bourses, notamment pour le premier taux, et les plafonds de ressources des familles seront substantiellement revalorisés.

En effet, compte tenu des plafonds existants, les bourses de collège resteront pour l'essentiel réservées aux familles assistées subsistant grâce aux différents minima sociaux alors que les salariés rémunérés au SMIC en seront exclus.

A cet égard, elle ne peut que s'inquiéter des dérives d'un système de bourse qui avait été créé à l'origine pour les élèves méritants et qui bénéficie aujourd'hui quasi exclusivement aux familles bénéficiant de l'assistance.

Elle note enfin que les crédits affectés aux fonds sociaux (120 millions de francs pour le fonds social collégien et lycéen, 290 millions de francs pour le fonds social pour les cantines) représentent aujourd'hui plus de la moitié des crédits dévolus à l'aide à la scolarité (850 millions de francs) et ne peut qu'exprimer son inquiétude devant la montée en puissance d'aides sociales accordées aux élèves les plus défavorisés, accordées au cas par cas par les chefs d'établissement après une démarche personnelle des familles, au détriment de l'exercice d'un droit aux bourses subordonné à des conditions objectives de ressources des familles.

Votre commission considère ainsi qu'une revalorisation et une extension du champ des bénéficiaires des bourses de collège sont indispensables, sauf à développer encore davantage les formules sociales d'assistance qui devraient être réservées aux cas marginaux. Elle observe enfin que le coût d'une revalorisation et d'une extension des bourses serait sans commune mesure avec les crédits considérables dégagés par la seule éducation nationale pour financer les emplois-jeunes (4,5 milliards de francs pour trois ans).

Sous réserve de ces observations, elle a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 77.

Article 78

Modulation des tarifs des services publics
administratifs à caractère facultatif

I. Commentaire du texte du projet de loi

L'article 78 ouvre la possibilité de fixer les tarifs des services publics administratifs facultatifs en fonction du niveau de revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer.

Il précise que les tarifs les plus élevés ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée.

Cette disposition transcrit dans la loi une jurisprudence du Conseil d'Etat, en l'étendant à l'ensemble des services publics administratifs à caractère facultatif.

Elle répond en cela à une préoccupation exprimée à de nombreuses reprises par les parlementaires et les élus locaux à propos des écoles de musique pour lesquelles la juridiction administrative refusait jusqu'à une date récente, au nom du principe d'égalité, aux collectivités locales la possibilité de fixer des tarifs différenciés selon les revenus des usagers.

Ce n'est, en effet, que depuis un arrêt du 27 décembre 1997, commune de Gennevilliers et commune de Nanterre, que le Conseil d'Etat a admis cette possibilité pour les écoles de musique alors qu'il avait d'ores et déjà admis cette dérogation au principe d'égalité pour de nombreux services publics administratifs facultatifs.

Selon la règle énoncée dans la célèbre jurisprudence Denoyez et Chorques (Conseil d'Etat, Section, 10 mai 1974), les discriminations tarifaires entre les usagers d'un même service public ne sont possibles que si une loi l'y autorise, si existent entre les usagers des différences de situation appréciables ou si elles répondent à une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service.

Appliquant ces critères, l'arrêt de section du Conseil d'Etat du 26 avril 1985, ville de Tarbes, avait considéré, à propos d'une école de musique créée et gérée par la commune, que " les différences de revenus entre les familles des élèves n'étaient pas constitutives, en ce qui concerne l'accès au service public, de différences de situation justifiant des exceptions au principe d'égalité qui régit cet accès (et) que, d'autre part, compte tenu de l'objet du service et de son mode de financement, il n'existait aucune nécessité d'intérêt général justifiant, pour la fixation des droits d'inscription, une discrimination fondée sur les seules différences de ressources entre ces usagers ".

Il faut souligner que si des modulations tarifaires en fonction du revenu ne pouvaient être admises pour les écoles de musique au regard du principe d'égalité, des tarifs différents selon que les usagers sont ou non domiciliés dans la commune pouvaient être établis, le Conseil d'Etat considérant qu'il existe entre ces catégories d'usagers des différences de situation qui justifient cette discrimination (arrêt CE Sect. 5 octobre 1984, commissaire de la République de l'Ariège). A travers cette jurisprudence, s'exprime l'idée qu'il serait paradoxal de déposséder de toute liberté de gestion les collectivités qui ont pris l'initiative de créer ces services et qu'il n'est pas possible de les contraindre à offrir sans contrepartie leurs services publics aux autres collectivités. Cette dernière considération a néanmoins été atténuée, le Conseil d'Etat précisant, d'une part, dans le même arrêt, que le tarif le plus élevé demandé aux non-résidents ne devait pas excéder le prix de revient du service rendu et, étendant, d'autre part, le bénéfice de l'égalité de traitement, (CE Sect. 13 mai 1994, commune de Dreux), aux personnes qui ne résident pas dans la commune mais qui ont un lien suffisant avec cette dernière.

En ce qui concerne les services publics administratifs facultatifs, il faut également indiquer que dans des cas de plus en plus nombreux, le Conseil d'Etat avait été amené à admettre qu'une modulation des tarifs puisse être décidée en fonction des différences de revenus des usagers, l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les usagers du service public puissent quelque soit leur niveau de revenu y avoir accès justifiant, dans ces cas, la dérogation au principe d'égalité.

Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que les tarifs d'une crèche pouvaient varier en fonction des ressources des familles " au nom de l'intérêt général qui s'attache à ce qu'(une) crèche puisse être utilisée par tous les parents qui désirent y placer leurs enfants, sans distinction selon les possibilités financières dont dispose chaque foyer " (CE, 20 janvier 1989, CCAS de La Rochelle). Il en a jugé de même pour les cantines scolaires (CE, 10 février 1993, Ville de La Rochelle) puis pour les centres de loisirs (CE, 18 mars 1993, Mme Dejonckeere et autres).

Cette possibilité de modulation au nom de l'intérêt général admise aisément par le Conseil d'Etat pour des services publics administratifs facultatifs à vocation sociale ou socio-éducative n'a donc été que récemment admise pour les services publics culturels que sont les écoles de musique.

Les termes de l'arrêt du 27 décembre 1997 frappent par leur symétrie avec ceux utilisés pour les services publics " sociaux " : la modulation tarifaire est justifiée " eu égard à l'intérêt général qui s'attache à ce que le conservatoire de musique puisse être fréquenté par tous les élèves qui le souhaitent, sans distinction de leurs possibilités financières ", opérant en ce domaine une évolution vers une conception équitable de l'égalité.

Le principe d'égalité des usagers devant le service public qui constitue traditionnellement en droit public français un principe de non-discrimination garantissant l'égalité en droit devient donc un levier permettant de garantir l'égalité réelle des usagers.

Les conclusions du commissaire du gouvernement sont à cet égard éclairantes. Elles relèvent, en effet, que les considérations d'intérêt général en rapport avec l'objet du service qui justifient que des tarifs différenciés puissent être édictés " ne procèdent pas d'un objectif de redistribution des revenus, lequel ne serait pas en rapport avec l'objet du service des écoles de musique, mais du souci de permettre réellement à tous les enfants, sans distinction d'origine sociale, d'accéder à l'enseignement de la musique. " Cette conception du principe d'égalité est partagée par le Conseil constitutionnel qui autorise des dérogations au principe d'égalité dès lors que l'intérêt général résultant de l'objectif de réduction des inégalités les rend possible.

Le Conseil d'Etat a précisé que cette dérogation était compatible avec le principe d'égalité " dès lors notamment que les droits les plus élevés restent inférieurs au coût par élève du fonctionnement ".

Cette condition, déjà posée par le juge en ce qui concerne les différenciations tarifaires par rapport au critère de résidence dans la commune est reprise par l'article 78. Elle implique que la modulation tarifaire ne puisse avoir pour objet la redistribution des revenus entre les usagers du service public.

Dans la pratique, cette condition limitative laisse une large marge de manoeuvre aux collectivités locales pour fixer leurs tarifs, la référence au quotient familial n'étant définie que par le niveau du revenu et le nombre de personnes vivant au foyer et la modulation demeurant en tout état de cause une simple faculté.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a complété l'article 78 afin de préciser que les modulations tarifaires ne doivent pas faire obstacle à l'égal accès de tous les usagers au service public, ceci signifiant que les différences de traitement entre usagers doivent rester compatibles avec le principe d'égalité. Cette précision bienvenue a pour objet de préciser que ces différenciations tarifaires ont pour seul objet d'assurer l'égalité réelle de tous les usagers du service public et ne doivent pas avoir d'autres motifs, notamment celui de refuser à une catégorie d'usagers l'accès au service au motif que ses revenus lui permettent de bénéficier d'une prestation équivalente hors du service public en cause.

III. Position de la commission

Votre commission vous propose d'adopter cet article sous réserve de modifications rédactionnelles.

Article 78 bis

Lutte contre l'illettrisme

I. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'article 12 du projet de loi d'orientation vise à inscrire la lutte contre l'illettrisme dans le code du travail et institue à cette fin un nouvel article L. 900-6.

L'article 12 dispose ainsi que la lutte contre l'illettrisme fait partie de l'éducation permanente, que les actions de lutte contre l'illettrisme sont des actions de formation au sens de l'article L. 900-2 du code du travail, c'est-à-dire que l'ensemble de la réglementation relative à la formation professionnelle continue (actions de préformation, d'adaptation, de promotion, de prévention, de conversion, de perfectionnement au bilan de compétences) sera donc applicable aux actions de lutte contre l'illettrisme.

Il offre enfin la possibilité aux entreprises de plus de neuf salariés d'imputer les dépenses consacrées aux actions de lutte contre l'illettrisme sur le montant de leurs contributions obligatoires au financement de la formation professionnelle.

L'Assemblée nationale a adopté un nouvel article 78 bis définissant la lutte contre l'illettrisme comme une mission prioritaire du service public de l'éducation et y associant les autres services publics.

II. Position de la commission

Votre commission ne pouvait que regretter que le projet de loi initial consacre à la lutte contre l'illettrisme une seule disposition se limitant à la remise à niveau des adultes, alors que la prévention dès l'enfance et la sensibilisation des familles doivent constituer, à l'évidence, les priorités de la lutte contre l'illettrisme.

Les estimations les plus crédibles évaluent entre 10 et 20 % la proportion des élèves entrant en sixième qui rencontrent des difficultés de compréhension devant la lecture et une étude de 1997 de l'INSEE établit que 10 % des jeunes hommes d'une classe d'âge ont des problèmes de base en ce domaine.

Selon une autre étude de 1996 fondée sur les tests de lecture du service national, le bilan de l'illettrisme s'établirait ainsi : 18,5 % des appelés se situeraient en-deçà du seuil de la lecture d'un texte approfondi et, parmi cette population non diplômée, 6 % des jeunes n'auraient pas accès à l'écrit, 8 % ne sauraient lire que des mots isolés, 14 % que des phrases isolées et 22 % ne seraient capables que d'une lecture superficielle de textes.

Dans le même sens, chargé d'une mission sur ce thème par le Président de la République, M. Alain Bentolila évalue à 10 % les élèves de CM2 en profonde détresse et dénonce l'absence de politique cohérente contre l'illettrisme, en relevant l'incapacité du système scolaire à récupérer les élèves en grande difficulté.

En dépit d'initiatives pédagogiques récentes prises depuis 1990, et réaffirmées dans les nouveaux programmes pour l'école primaire en 1995, de la création d'un observatoire national de la lecture, ce constat sévère reste fondé.

Estimant que l'école joue évidemment un rôle prioritaire dans la lutte contre l'illettrisme, votre commission souhaiterait obtenir des précisions du gouvernement sur les nouvelles orientations qui avaient été annoncées l'an dernier en faveur de la lecture (initiation en maternelle, dépistage des élèves à partir d'évaluations périodiques, définition d'itinéraires individualisés, approche plus ludique de l'apprentissage de la lecture), et sur les résultats du colloque consacré aux inégalités devant la lecture qui devait être organisé au début de 1998.

Sous réserve de ces observations, la commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le rapport pour avis de M. Philippe Richert, rapporteur, sur le projet de loi n° 445 (1997, 1998), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions au cours d'une réunion tenue le 3 juin 1998 sous la présidence de M. Adrien Gouteyron .

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Franck Sérusclat , approuvant les propos du rapporteur pour avis, a partagé ses regrets concernant la modestie des dispositions relatives à l'accès à la culture et à l'éducation présentées dans le projet de loi. Il s'est, par ailleurs, interrogé sur l'opportunité d'adopter un nouveau dispositif d'attribution des bourses.

M. Lylian Payet , considérant que l'exclusion culturelle est la pire de toutes les exclusions, a déploré que le volet culture du projet de loi soit réduit à la portion congrue.

Après avoir exprimé son accord avec l'exposé du rapporteur, M. Serge Lagauche a relevé que le mouvement en faveur de la démocratisation de la culture avait vu le jour sous le Front populaire. A propos des problèmes posés par le régime de l'aide aux familles et la baisse de fréquentation des cantines scolaires, il a rappelé les efforts accomplis par les départements dans le domaine de la restauration scolaire et qui se traduisent aussi bien par une amélioration des conditions d'accueil des élèves que par la modulation des tarifs de cantine.

M. Jean Bernadaux , s'est inquiété de fermetures de classes et de suppressions de postes dans certaines zones d'éducation prioritaires, alors que les communes avaient créé des emplois-jeunes. Il a fait observer que les emplois-jeunes devaient venir en complément et non en compensation des moyens dégagés par l'éducation nationale. Soulignant l'intérêt du fonds social collégien, il a souhaité que la revalorisation des bourses de collèges ne se traduise pas par une réduction des crédits qui lui sont affectés.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- l'institution de l'aide à la scolarité, en 1994, avait pour objet de réduire le coût de gestion des bourses de collège par l'éducation nationale, en confiant la gestion du nouveau système aux caisses d'allocations familiales ;

- la substitution d'un critère d'âge à la condition d'inscription en collège a eu pour effet d'écarter du bénéfice de l'aide les collégiens de moins de onze ans en avance dans leur scolarité et ceux de plus de 16 ans encore inscrits au collège ;

- la mise en oeuvre de la réforme des bourses de collège a révélé des inconvénients ultérieurs qui sont nés notamment d'une confusion entre les deux aides versées en une fois à la rentrée scolaire (allocation de rentrée scolaire et aide à la scolarité) et qui résultent du fait que certaines familles n'ont plus été en mesure de payer les frais de demi-pension des trimestres ultérieurs et ainsi ont été conduites à retirer leurs enfants des cantines scolaires ;

- le rétablissement du système des bourses de collège s'accompagnerait d'une simplification des procédures pour les familles, notamment quant à l'instruction des dossiers ;

- en dépit des améliorations proposées par la commission des affaires sociales, pour étendre notamment le bénéfice de l'aide à la scolarité aux collégiens de plus de 16 ans, un retour à un système géré par l'éducation nationale apparaît préférable à un aménagement du système actuel qui resterait géré par les CAF ;

- la politique culturelle a un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre les exclusions. Il ne doit pas être minoré. Néanmoins, le projet de loi d'orientation ne constitue pas le cadre adéquat pour refonder l'ensemble de la politique culturelle et de la politique de l'éducation ;

- il est exact que la politique de développement de l'accès à la culture et aux loisirs a débuté avant la Libération, mais l'égal accès à la culture a été inscrit pour la première fois dans les textes par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

- si des suppressions de postes ont pu intervenir dans les ZEP en raison notamment de l'évolution démographique de ces zones, on y constate cependant une amélioration globale de l'encadrement des élèves ; en revanche, il ne semble pas qu'une corrélation puisse être observée entre ces suppressions de postes et le recours aux emplois-jeunes dont le rôle apparaît complémentaire par rapport à celui des enseignants ;

- le projet de loi d'orientation ne porte pas atteinte aux possibilités d'intervention du fonds social collégien mais il convient de souligner que les crédits affectés aux fonds sociaux (fonds social collégien et lycéen, fonds social pour les cantines) représentent plus de la moitié des crédits des bourses de collège ;

- si les bourses de collège sont attribuées automatiquement aux familles sous réserve que celles-ci répondent aux conditions de ressources posées, les fonds sociaux, gérés par les chefs d'établissement, devraient être réservés aux besoins d'urgence et ne pas être détournés de leur vocation , sauf à encourager le développement de l'assistanat.

M. Adrien Gouteyron, président , a rappelé que la réforme de 1994 instituant l'aide à la scolarité était fondée sur d'excellents arguments mais a constaté que sa mise en oeuvre, comme l'avaient souligné les rapports des inspections générales de l'éducation nationale, avait eu des effets sociaux néfastes pour les familles défavorisées.

La commission a procédé à l'examen des articles au cours duquel sont intervenus, outre le rapporteur pour avis et le Président Adrien Gouteyron, Mme Danièle Pourtaud et MM. Jean Bernadaux, Jean Bernard, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Serge Lagauche, André Maman, Pierre Martin, Lylian Payet et Franck Sérusclat.

Après avoir adopté les amendements proposés par son rapporteur, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des dispositions du chapitre V du titre II du projet de loi ainsi modifiées.

AMENDEMENTS PRÉSENTÉS PAR LA COMMISSION

Article 74

Amendement

Rédiger comme suit le début du premier alinéa de cet article :

L'égal accès de tous...

Article 74

Amendement

Rédiger ainsi le deuxième alinéa de cet article :

La réalisation de cet objectif passe notamment par le développement des enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires, l'organisation d'activités sportives et culturelles hors du temps scolaire, l'aide à la formation dans le secteur de l'animation et des activités périscolaires ainsi que des actions de sensibilisation des jeunes fréquentant les structures de vacances et de loisirs collectifs. Elle passe également par le développement des hébergements touristiques à caractère social et familial et l'organisation du départ en vacances des personnes en situation d'exclusion.

Article 74

Amendement

Remplacer la seconde phrase du dernier alinéa de cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Au titre de leur mission de service public, les établissements culturels financés par l'Etat ont pour obligation de lutter contre les exclusions.

Article 75

Amendement

Rédiger ainsi le I de cet article :

I - Il est inséré, après le deuxième alinéa de l'article premier de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, deux alinéas ainsi rédigés :

" Pour garantir ce droit, la répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situations objectives notamment en matière économique et sociale.

" Elle a pour objet de renforcer l'encadrement des élèves dans les écoles et établissements d'enseignement situés dans des zones d'environnement social défavorisé et des zones d'habitat dispersé, et de permettre de façon générale aux élèves en difficulté de bénéficier d'actions de soutien individualisé.

Article additionnel après l'article 75

Amendement

Après l'article 75, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Il est inséré après le deuxième alinéa de l'article 14 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation deux alinéas ainsi rédigés :

" Le service du personnel enseignant des établissements d'enseignement du second degré comporte des activités d'enseignement et des activités d'encadrement pédagogique destinées notamment à apporter une aide personnalisée aux élèves en difficulté.

" Une indemnité spécifique peut être accordée à ces personnels acceptant une réduction des maxima de service hebdomadaire d'enseignement et consacrant le nombre d'heures ainsi dégagé, majoré d'une heure, à ces activités de soutien individualisé. "

Article additionnel après l'article 75

Amendement

Après l'article 75, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La dernière phrase du deuxième alinéa de l'article 14 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation est remplacée par un alinéa ainsi rédigé :

" Ils participent aux actions d'insertion professionnelle des jeunes à l'issue de la scolarité obligatoire, aux actions de formation continue des adultes et à une politique d'éducation permanente validant les acquis professionnels tout au long de la vie active ".

Article 75 bis

Amendement

A - Rédiger ainsi le premier alinéa de cet article :

Après l'article 21 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 précitée, il est inséré un article 21 bis ainsi rédigé :

B - En conséquence, rédiger comme suit le début du premier alinéa de cet article :

" Art. 21 bis - Le comité...

Article 78

Amendement

Rédiger comme suit les deux derniers alinéas de cet article :

Les tarifs ainsi fixés ne font pas obstacle à l'égal accès de tous les usagers au service.

Les tarifs les plus élevés ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée.



1 Rapport de la commission d'enquête sur l'état des droits de l'enfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité n° 871 AN, IIè législature.

2 L'école devant la grande pauvreté - 1998.

3 Rénovation du service public de l'éducation nationale : responsabilité et démocratie - Février 1998

4 Source : Éducation et formation n° 41, 1995.

5 Les déterminants de la réussite scolaire en zone d'éducation prioritaire - IGEN - IGAEN - Catherine Moisan et Jacky Simon - Septembre 1997.

6 Les établissements sensibles dans leur environnement - juin 1994.

7 Le fonctionnement des établissements sensibles, juillet 1994.

8 Note relative à la fréquentation des cantines scolaires - Alain Dulot, Céline Wiener - IGAEN - IGEN - mars 1996

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