b) Les atouts des pays du Maghreb et d'Afrique

Les pays du pourtour méditerranéen ont également émergé comme une zone géographique dotée d'atouts économiques indiscutables. Les liens que ces pays ont tissés avec les pays européens sont néanmoins limités et ne concernent que quelques pays de l'Union européenne : les pays voisins comme l'Espagne et le Portugal, et surtout la France en raison de l'influence historique de notre pays dans cette zone.

Pour autant, c'est déjà depuis quelques dizaines d'années que les industries textiles et d'habillement ont commencé à se délocaliser vers cette zone , en raison de facteurs se conjuguant pour réduire les coûts de production : proximité de ces pays par rapport aux marchés européens, ce qui limite les coûts de transports, faible coût de la main d'oeuvre et flexibilité du travail. A titre d'exemple, un employé marocain travaille jusqu'à 44 heures par semaine, le dimanche compris, et le coût horaire de son emploi s'établit à 1,89 dollar contre 15,9 en France.

Ainsi, l'entreprise de sous-vêtements Lejaby a récemment fermé quatre usines situées en Rhône-Alpes pour les installer en Tunisie, occasionnant la suppression de 350 emplois. De même, la société Beaudoin, spécialisée dans le vêtement marin, a licencié ses ouvrières de production à Hennebont, dans le Morbihan, pour ouvrir un site nouveau également en Tunisie.

Mais les délocalisations ne concernent pas que la filière textile-habillement. Par exemple, à l'image de l'Inde, pays anglophone qui développe petit à petit ses activités de service off-shore pour des grandes entreprises de services anglo-saxonnes, des pays comme le Maroc et la Tunisie, pays francophones, ont accueilli nombre d'implantations de centres d'appels français ou d'autres activités de services aux particuliers ou aux entreprises (ainsi par exemple de la société d'ingénierie AssystemBrime , sous-traitante dans le secteur aéronautique, installée au Maroc depuis 2001, qui a pu conserver comme client Snecma Moteurs et en gagner de nouveaux grâce à ses coûts compétitifs).

c) L'émergence de superpuissances économiques

Si les PECO et les pays du pourtour méditerranéen accueillent déjà depuis plusieurs années des délocalisations d'entreprises françaises, deux nouvelles zones de localisation sont brutalement apparues au tournant du siècle , avec des perspectives de développement à la mesure de la taille de leur territoire et de l'importance de leur population : la Chine et l'Inde .

(1) La Chine : usine du monde ?

Le plus redoutable des concurrents émergents des pays de l'OCDE est sans conteste la Chine. Doté d'un marché intérieur de 1,3 milliard de consommateurs, dont 300 millions auraient d'ores et déjà atteint le niveau de vie moyen des Européens , ce pays dispose d'un énorme potentiel de rattrapage , induisant une croissance du taux d'équipement des ménages et des besoins considérables dans le secteur de la construction et des travaux publics.

Le développement économique chinois a affiché ces dix dernières années des taux de croissance particulièrement élevés puisqu'ils atteignaient 8 % en moyenne annuelle . Depuis 1980, les échanges extérieurs ont été multipliés par seize et leur rythme de croissance, 14 % en moyenne annuelle , est nettement plus rapide que celui du commerce mondial. La Chine est ainsi devenue le premier producteur mondial d'acier, de textile-habillement, de chaussures, de produits électroniques et de jouets. Cette croissance des exportations a été rendue possible par une montée en puissance des industries locales, mais également par l'implantation en Chine de très nombreuses sociétés étrangères. Ce pays absorbe par ailleurs 4,5 % des importations mondiales. A taux de change constant, il est ainsi devenu la sixième puissance économique mondiale , avec 3,8 % du PIB mondial.

En 2003, la croissance chinoise s'est élevée à 9,1 % , contribuant ainsi pour un tiers à la croissance mondiale , selon le rapport Cyclope 2004, réalisé sous la conduite de M. Philippe Chalmain, professeur associé à Paris IX Dauphine (56 ( * )). Les investissements ont progressé de 43 % (90 % dans le secteur de l'acier) et le produit intérieur brut par tête est passé de 950 dollars à 1.090 dollars.

De plus, ces données relatives à la croissance doivent être corrigées au regard de la répartition géographique de la force de travail , comme le souligne M. Patrick Artus, Directeur des études économiques de la Caisse des dépôts et consignation (57 ( * )). En effet, considérant que 60 % des habitants résident dans des zones rurales, et que leur contribution à la croissance chinoise est en conséquence de plus faible ampleur, on peut en déduire que 40 % de l'économie chinoise croît en fait à plus de 18 % par an .

L'ouverture de l'économie chinoise aux investissements internationaux explique en très grande partie ce développement qui ne connaît pas de précédent dans l'histoire économique des pays développés. La Chine est devenue une terre d'accueil privilégiée des investissements directs à l'étranger (IDE) en comptabilisant 53 milliards de dollars d'IDE entrants en 2002, ce qui la place désormais au sixième rang mondial des destinations d'investissements.

Cet afflux de capitaux est lié à de nombreux atouts, au premier rang desquels l'existence d'une main d'oeuvre bon marché . Le coût horaire de la main d'oeuvre s'établit ainsi à 0,41 dollar (0,7 pour la Chine côtière), contre 15,9 dollars en France ou 22,8 dollars au Japon. Les charges sociales y sont également très faibles , les profits très peu taxés et l'organisation du travail jouit d'une flexibilité importante . La Chine attire, de ce fait, de nombreux projets de délocalisation . Une étude américaine a ainsi montré qu'entre octobre 2000 et avril 2001, 80 délocalisations des Etats-Unis vers la Chine se sont produites, conduisant à la destruction de 34.900 emplois américains dans des secteurs comme l'équipement électrique et électronique ou la chimie.

Dans ce contexte d'âpre compétition, il est possible d'évaluer l'intensité de la concurrence que se livrent les économies française et chinoise en croisant la structure géographique et sectorielle des exportations de chaque pays.

Ainsi, en 2001, la Chine représentait 2,7 % de la concurrence totale subie par la France sur les marchés tiers (hors marchés domestiques chinois et français). Si cette concurrence semble modérée, elle tend toutefois à croître sous l'effet du rapide développement de la capacité exportatrice chinoise. On rappellera en effet que le poids de la Chine dans la concurrence globale subie par la France était de seulement 0,8 % en 1990, et encore de 1,6 % en 1995.

Par ailleurs, l'analyse par secteur révèle que la concurrence chinoise est clairement plus importante sur les domaines intensifs en main d'oeuvre , tels que le cuir, les jouets, les articles de sport, tandis qu'elle s'avère encore un peu moins intense dans les secteurs à plus fort contenu technologique, comme l'automobile ou la pharmacie. Cependant, cette dernière affirmation doit être nuancée en raison de l'impressionnant rattrapage technologique que la Chine a récemment entrepris.

En effet, cette attractivité et cette force exportatrice chinoises n'auraient pu justifier la pérennisation de l'avance concurrentielle que la Chine semble s'être appropriée sur les autres nations si elles avaient été exclusivement fondées sur le faible coût du facteur travail. Le renforcement de l'attractivité et des exportations résulte de la volonté déployée par la Chine pour constituer des pôles d'excellence , qui concentrent un ensemble d'entreprises ayant acquis des positions de leaders sur les marchés mondiaux . A titre d'exemple, la région du Delta des Perles a attiré des entreprises réalisant désormais un tiers de la production mondiale de lecteurs de CD, 60 % des têtes laser pour DVD et 70 % des photocopieurs. Par exemple, la société Galanz fabrique dans ses usines situées dans cette région 50 % des fours à micro-ondes vendus dans le monde.

Corrélativement, ces usines ont réussi leur saut technologique et ont atteint des niveaux de productivité élevés grâce à un effort intense d' investissement dans la recherche et le développement , la Chine réalisant des efforts soutenus pour devenir un leader dans les secteurs à haute valeur ajoutée. Le pays dénombre ainsi 740.000 chercheurs et investit chaque année près de 60 milliards de dollars dans la R&D. Ce souci d'excellence est également promu au sein des universités chinoises, qui forment 465.000 ingénieurs par an. Symbole de la nouvelle puissance économique et technologique chinoise, le premier vol spatial chinois habité, réalisé en novembre 2003, restera à cet égard un moment marquant de l'émergence de la Chine dans l'économie technologique.

Cette progression spectaculaire de la création de richesses semble s'inscrire dans la durée puisqu'à l'horizon 2050, les économistes du cabinet Goldman Sachs anticipent un PIB chinois de 45.000 milliards de dollars (1.400 milliards de dollars à ce jour), contre 30.000 milliards pour les Etats-Unis et 25.000 milliards pour l'Inde.

Pourtant, l'ensemble de ces indicateurs d'excellence, qui semble révéler une attractivité chinoise imbattable en matière d'investissements et une progression sans faille, doit être abordé de manière nuancée. Selon une étude menée par les économistes de la banque d'affaires JP Morgan, la Chine n'aurait en fait capté que 3 % des 136 milliards de dollars investis à l'étranger par les entreprises américaines en 2003 . En outre, sur 900 milliards de dollars d'IDE prévus entre 1990 et 2003, seulement la moitié de ces investissements aurait effectivement été réalisée (484 milliards). Ce constat signifie qu'il existe un décalage entre les projets d'IDE et leurs réalisations que l'on peut, en partie, attribuer aux points faibles qui grèvent ce tableau presque parfait d'une Chine au potentiel sans limite livrant une concurrence sans parade aux économies de l'OCDE.

En effet, comme M. Pierre Cailleteau, directeur des risques pays au Crédit Agricole Indosuez, l'a indiqué à votre groupe de travail lors de son audition, l'économie chinoise, tout en ayant d'incontestables avantages comparatifs, connaît également des faiblesses qui en atténuent l'attractivité et constituent autant d' interrogations sur son devenir à moyen terme .

En premier lieu, elle présente, dans le domaine commercial et des marchés , d'importants obstacles qui peuvent contrarier la volonté d'implantation d'une entreprise étrangère. A titre d'illustration, la Chine soutient son développement économique à l'aide d'une stratégie protectionniste , conjuguant barrières tarifaires et non tarifaires . L'instauration d'une TVA à un taux de 17 % sur les microprocesseurs étrangers, contre 3 % pour les productions chinoises, a ainsi récemment donné lieu à la première plainte des Etats-Unis contre la Chine devant l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC. En outre, le marché chinois est un des marchés où se sont développées de manière considérable les activités de contrefaçon , qu'il s'agisse de produits textiles, électroniques ou de supports culturels, au mépris du respect des droits de propriété intellectuelle . Selon la mission économique de l'ambassade de France en Chine, la contrefaçon représenterait 5 % à 8 % du PIB , et quatre à dix millions d'emplois.

En second lieu et en termes macro-économiques , on observe plusieurs éléments dont la pérennisation pourrait remettre en cause la compétitivité de l'économie chinoise. Tout d'abord, il apparaît que celle-ci est à la limite de la surchauffe , ce qui a pour corollaire l'apparition d'un taux d'inflation important. La sous-évaluation actuelle de sa monnaie (le yuan) ne saurait compenser le handicap d'une hausse des prix à terme puisque cette sous-évaluation doit se réduire naturellement avec la croissance économique du pays. En outre, des phénomènes de surinvestissement tendent à se produire dans les secteurs de l'acier ou du bâtiment, ce qui a conduit récemment le Premier ministre chinois à évoquer une « augmentation excessive de l'investissement » . Enfin, le système financier chinois n'est pas exactement calqué sur les normes des systèmes internationaux. La distribution du crédit en est une parfaite illustration puisqu'elle constitue encore un monopole des banques d'Etat. Quant au taux de créances douteuses , indicateur de la sécurité des transactions, celui-ci demeure élevé.

En troisième lieu, la structure sociale et démographique chinoise apparaît être indirectement à bien des égards un facteur de déstabilisation et de fragilisation de l'économie chinoise. En effet, le décalage économique entre les zones rurales et urbaines (la Chine côtière notamment) révèle une inégalité régionale patente qui conduit à ce que seule une minorité de Chinois bénéficie de l'expansion économique. Selon certaines estimations, les plus pauvres des habitants, qui représentent un cinquième de la population, reçoivent seulement 6 % de la richesse nationale. Par ailleurs, le système économique doit également être apprécié à l'aune du vieillissement progressif de la population , lié à la politique de l'enfant unique. Ce vieillissement pourrait se révéler être un facteur aggravant de l'éventuelle déstabilisation sociale car la population ne bénéficie pas de système de retraite . La Chine ne saurait donc poursuivre son développement économique sans résoudre la question des moyens de subsistance de la population âgée.

En dernier lieu, le productivisme et l'industrialisation accélérés ont totalement négligé la préoccupation environnementale , dans des conditions telles que, même dans ce régime politique encore totalitaire, la société civile se rebiffe et commence à demander des comptes. Plusieurs exemples récents en témoignent (58 ( * )), qui devraient probablement, s'ils se multipliaient grâce à l'émergence d'une opinion publique, conduire les autorités chinoises à modifier les conditions de la croissance de l'économie.

Toutes ces menacent potentielles et faiblesses intrinsèques conduisent d'ailleurs certains économistes à remettre en cause l'idée d'un « miracle chinois », qui ne pourrait durablement prospérer dans les conditions et au rythme actuels (59 ( * )).

(2) L'Inde : bureau du monde ?

L'ouverture de l'économie indienne aux échanges internationaux est elle aussi récente . En effet, l'optimisation de la croissance n'a longtemps pas constitué une priorité pour le pouvoir politique. Au contraire, les autorités prônaient le développement autarcique , l'autosuffisance et le protectionnisme, et évitaient, autant que faire se peut, de recourir à l'endettement extérieur. Une politique de licences très stricte et des droits de douane prohibitifs dissuadaient, par ailleurs, les investissements étrangers.

Cette autarcie a cessée à partir de 1991 , date à laquelle le pays s'est ouvert sur l'extérieur . L'économie s'est alors libéralisée et la législation a été assouplie. Afin de donner toute son efficacité à cette nouvelle orientation de développement économique, ces mesures ont été notamment accompagnées d'une diminution des droits de douane . Les marchés parallèles ont alors perdu de l'ampleur et l'économie indienne a connu, dès le début des années 1990, une croissance annuelle par habitant de 3,5 %.

Un deuxième palier dans l'évolution de la croissance a été constaté à compter de 1996, lorsque l'Inde a connu une formidable accélération de son développement économique. Affichant un taux de croissance annuel moyen de 7,5 %, ce saut a permis de faire émerger une classe moyenne dotée d'un pouvoir d'achat suffisant pour favoriser un nouvel essor de la consommation . Tout comme la Chine, l'Inde est alors entrée dans une phase de forts investissements dans le secteur des infrastructures, notamment des routes. Témoignage de ce dynamisme maintenu, la croissance de l'économie indienne a dépassé 8 % entre le dernier trimestre 2003 et le dernier trimestre 2002.

A l'instar d'un grand nombre de pays émergents, l'Inde dispose de nombreux atouts décisifs de nature à séduire les investisseurs internationaux, et en particulier une main d'oeuvre abondante, flexible et économiquement compétitive . Toutefois, l'Inde se distingue des autres pays en développement par le haut niveau général de qualification de cette main d'oeuvre : non seulement celle-ci est abondante, mais elle constitue aussi un vivier de salariés qualifiés dans de nombreux domaines . Dotée d'un milliard d'habitants, l'Inde compte en effet 650.000 ingénieurs, tous anglophones, et environ 29 millions d'étudiants. Ce flux de « matière grise » ne cesse en outre de s'accroître puisque, chaque année, près de 165.000 jeunes sortent diplômés d'écoles d'ingénieurs de haut niveau.

Disposant d'une main d'oeuvre très qualifiée, de coûts des facteurs de production globalement très compétitifs mis en oeuvre dans le cadre d'un système financier performant, l'Inde a fait son apparition sur la scène internationale des délocalisations notamment dans le secteur des nouvelles technologies et des services , qu'ils soient peu qualifiés ou plus sophistiqués. A titre d'illustration, une récente étude, intitulée « Where to locate ? » et réalisée par le cabinet ATKearney (60 ( * )), a placé l'Inde en tête des pays dans lesquels il était rentable de s'implanter pour y exploiter des activités de prestations de service . Les salaires y sont en effet particulièrement compétitifs puisqu'un ingénieur est rémunéré environ 6.000 euros en moyenne par an, soit cinq à six fois moins qu'en France. Ces atouts n'ont, bien entendu, pas échappé aux multinationales, qui ont ouvert de nombreuses filiales en Inde dans le secteur des services. Cette attractivité indienne dans le domaine des services s'est également accompagnée d'un fort développement de la capacité exportatrice indienne : le pays a ainsi exporté, pour l'année 2003, 12 milliards de dollars de services informatiques, contre seulement 1,5 milliard pour la Chine.

Mais l'Inde ne se contente pas de se spécialiser dans le domaine des services informatiques et des centres d'appels téléphoniques anglophones. Ainsi que l'a indiqué à votre groupe de travail, lors de son audition, M. Michel Testard, consultant en management du cabinet Trinity Partnership et spécialiste de l'« outsourcing offshore » vers le continent indien, le développement d'une industrie high-tech constitue une priorité du gouvernement indien depuis 1998, date de l'adoption d'un plan national à l'initiative du Premier ministre, M. Shri Atal Behari Vajpayee. Le pays a ainsi massivement investi les secteurs des technologies de pointe comme le nucléaire, l'aérospatiale ou encore le secteur pharmaceutique, spécialisé dans le domaine des produits génériques.

En conséquence, forte de ces atouts de compétitivité et d'attractivité, l'Inde pourrait, à terme, renforcer sa position, voire surpasser celle de la Chine en matière d'attraction des investissements directs étrangers. En effet, elle n'occupe encore en 2002 qu'une position relativement modeste, le 28 ème rang mondial, en termes de flux entrant d'IDE, qui était quinze fois inférieur à celui de la Chine.

Toutefois, ici encore, un investisseur étranger ne saurait faire abstraction des fragilités propres à tout pays en développement doté à la fois d'un système économique en pleine expansion et d'une structure sociale très inégalitaire . En l'occurrence, en dépit d'un essor certain des régions agricoles (les salaires agricoles ont crû de 2,5 % par an dans les années 1990), les inégalités ont augmenté depuis 1990 : une étude de MM. Thomas Piketty et Abhijit Banerjee, économistes (61 ( * )), démontre ainsi que la part des 0,01 % personnes les plus riches dans le revenu national indien a été multipliée par 40 depuis 1981. Les régions les plus prospères (le sud et l'ouest) ont crû plus vite alors que les plus pauvres (nord et nord-est) stagnaient. Les inégalités se sont également accrues entre zones rurales et urbaines ainsi qu'à l'intérieur de chaque région, et ce plus rapidement en outre dans celles qui ont été principalement concernées par la libéralisation.

Le retard enregistré dans la résorption des inégalités, en dépit d'une forte croissance, s'explique en partie par le fait que l'amélioration du niveau de vie et le développement des services publics, dont celui de la santé, ne constituent pas une priorité pour l'Inde, qui n'y consacre que 0,9 % de son PIB. Comme le souligne Mme Esther Duflo, économiste et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) (62 ( * )), l'Inde ne pourra durablement ignorer la question de la redistribution des gains de la croissance ni celle de l'organisation d'un service public de qualité sans risquer de fragiliser à terme la construction de son tissu économique . A cet égard, la récente défaite du parti au pouvoir aux élections générales indiennes et le retour du Parti du Congrès constitue un avertissement sérieux témoignant de la régression de l'adhésion populaire aux conditions sociales dans lesquelles s'effectue la croissance indienne.

Outre ces difficultés politiques et sociales, il existe aussi des obstacles strictement économiques à une implantation commerciale en Inde, au nombre desquels figure le maintien d'un certain protectionnisme . Par exemple, les exportateurs éprouvent encore des difficultés à accéder au marché indien car les droits de douane, en dépit d'une diminution notable, se situent toujours à un niveau moyen de 30 %, contre 10 % en Chine. De même, comme celle-ci, l'économie indienne est menacée de surchauffe : la production industrielle augmente de 20 % par an et la consommation de matières premières de 30 %, dans un contexte environnemental particulièrement dégradé (réseaux d'énergie vétustes et sous-dimensionnés, pollution de l'eau et de l'air, etc.). Enfin, le déficit public dépasse les 10 % du PIB, la dette publique elle-même est égale à ce PIB, et les services publics indiens se caractérisent par une productivité et une efficacité très faibles.

* (56) « Cyclope 2004 : Les marchés mondiaux » - Sous la direction de M. Philippe Chalmin - Economica.

* (57) Capital n° 150 - Dossier spécial Chine - Mars 2004.

* (58) On prendra pour exemples la suspension par le gouvernement chinois de la réalisation d'un projet de treize barrages hydroélectriques sur le fleuve Nu, dans une région de la province du Yunnan inscrite en 2003 par l'Unesco sur la liste du Patrimoine mondial, à la suite d'une campagne d'opinion menée notamment sur Internet ( in Libération du 15 avril 2004), ou encore la fermeture, par le gouvernement local de la province du Jiangsu, d'une usine chimique, moins de deux ans après son installation, la pression médiatique ayant qualifié le site d'accueil de « village du cancer » en raison de l'accroissement anormal du taux de décès dus au cancer ( in Libération du 10 juin 2004).

* (59) Voir l'interview de Mme Françoise Lemoine, chercheuse au CEPII - in Le Monde - 9 mars 2004.

* (60) «Where to locate ? - Selecting a country for offshore business processing» - ATKearney - 2003.

* (61) « Top Indian Incomes, 1956-2000 » - CEPR Discussion Paper n° 4137 - Décembre 2003.

* (62) « L'Inde brûle de mille feux » - in Libération - 26 janvier 2004.

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