b) Les coûts propres à l'entreprise

Par ailleurs, un certain nombre de coûts cachés ne sont souvent pas bien pris en compte au niveau microéconomique lors des projections initiales.

Par exemple, l'attractivité salariale d'une délocalisation doit être pondérée avec soin . Tout d'abord, l'insuffisante qualification de la main d'oeuvre et sa plus faible productivité nécessitent souvent un effort de formation significatif qui, en soi, impose déjà un coût supplémentaire. Mais celui-ci peut s'avérer récurrent, et donc fort lourd à supporter en définitive, en raison de la très importante rotation de cette main d'oeuvre , extrêmement sensible aux variations salariales même les plus faibles : ainsi, M. Laurent Petizon a indiqué au groupe de travail que, dans les pays émergents, les employés pouvaient quitter l'entreprise pour être embauchés par un concurrent si celui-ci proposait une augmentation de leur salaire horaire d'une dizaine de cents seulement. Cette versatilité est un important facteur de charge , qu'augmentent encore non seulement la perte de qualification, mais aussi le risque de transfert à la concurrence d'informations sur les méthodes de production .

En outre, les gains réalisés sur des profils techniques ou d'encadrement (rapport pouvant aller de 1 à 10 entre un pays à bas coût et un pays européen) doivent être relativisés en partie du fait de la pénurie des profils managériaux locaux , qui peuvent alors être rémunérés sur une base comparable à celle des pays européens. Le facteur productivité joue aussi un rôle important puisqu' un employé local doit être parfois remplacé par plusieurs employés de pays à bas coûts , ce qui limite encore l'impact brut de la délocalisation au point de vue salarial (surtout s'il s'agit d'ingénieurs ou de personnels d'encadrement).

En ce qui concerne par ailleurs la transition vers l'organisation productive recherchée , les coûts de supervision de l'installation et de gestion de projet par des cadres expatriés , fortement rémunérés, doivent être correctement prévus. Ils sont d'ailleurs d'autant plus importants que le délai d'adaptation s'avère long. D'autres coûts sont liés à la mise en place de contrats internes à l'entreprise afin de préciser le contour de ses relations et des obligations auxquelles sa filiale délocalisée et elle-même s'engagent mutuellement, ou afin de fixer précisément son cahier des charges au sous-traitant situé à l'étranger.

En tout état de cause, l'éloignement des sites accroît la nécessité des déplacements et augmente par conséquent les frais afférents aux voyages . De même, la segmentation du processus de production conduit à étendre les réseaux de communications existants à l'intérieur de l'entreprise , ainsi qu'à renforcer l'équipe de management , afin de recréer virtuellement l'unité géographique rompue entre les différentes entités la composant.

Non seulement ces nombreux coûts doivent être pris en considération, mais les gains attendus de la délocalisation recèlent eux-mêmes des coûts méconnus, qu'il convient d'examiner avec soin.

Il en est ainsi des coûts liés au maintien de la qualité de la relation nouée avec le client . ATKearney souligne que la gestion client n'étant pas délocalisable, elle devient plus lourde et donc plus chère pour un service délocalisé. Afin de conserver un bon niveau de qualité malgré la délocalisation, il est souvent nécessaire de créer des postes d'agents de liaison entre centres et de formaliser davantage les procédures et outils relationnels, ce qui prolonge le temps de transition et alourdit les investissements. Enfin, le cabinet de conseil relève qu'une une fois informés de la délocalisation de leur fournisseur, certains clients demandent parfois à bénéficier de l'avantage coût ainsi créé, ce qui peut alors fortement réduire l'intérêt de l'opération pour le fournisseur concerné .

Le cabinet ATKearney estime dès lors que les coûts cachés et autres risques liés à la délocalisation peuvent représenter , selon les cas, de 15 % à 60 % du total des gains apparents attendus de la décision . Il relève que l' impact d'une délocalisation est souvent surestimé , avec des cibles affichées par les entreprises de 50 % à 70 % de réduction de coûts dans un délai de six mois à un an. Or, de façon plus réaliste, une délocalisation réussie permet de réaliser des gains de 20 % à 40 %, avec un temps de transition pouvant aller jusqu'à trois ans selon la complexité des tâches traitées.

Le schéma suivant, qui identifie notamment les trois grandes catégories de surcoûts (voyages, télécommunications et réseaux, et autres coûts) à prendre en considération pour toute délocalisation, synthétise cet ensemble d'interactions, dont la résultante est l' économie nette engendrée par l'opération envisagée :

Source : ATKearney

Finalement, le cabinet ATKearney observe que l'attractivité relative des pays à bas coûts peut être mesurée selon trois types de critères, à pondérer selon les priorités de l'entreprise délocalisatrice : facteurs humains de savoir-faire (formation, disponibilité, flexibilité, etc...), facteurs structurels d'environnement (infrastructures, qualité du service public, stabilité de l'Etat...), facteurs financiers (coût de la main d'oeuvre, frais d'immobilisation, fiscalité...).

Comme en témoigne le document figurant page suivante, certains pays développés , tels que le Canada ou l'Irlande, se positionnent très favorablement dans le classement des pays d'accueil établit par ATKearney (respectivement 2 ème et 7 ème ), grâce à une infrastructure forte, à une population bien formée, et à une politique volontariste et claire d'accueil (spécialisation, démarchage proactif des entreprises...), et ce malgré leur indice financier élevé . Ceci prouve qu'il est possible de jouer sur d'autres tableaux que le coût de la main d'oeuvre pour retenir les entreprises sur le territoire national . Il est d'ailleurs à noter que, dans tous les cas, le marché potentiel représenté par le pays récepteur est un facteur majeur pour la stabilité des investissements qui y sont réalisés .

Il est instructif d'observer, à cet égard, qu'il existe même des phénomènes de re-localisation, apportant la preuve d'une mauvaise anticipation, par l'entreprise, des gains nets que la délocalisation est en mesure d'apporter effectivement . Ainsi, la compagnie parisienne Les Taxis Bleus a renoncé à ses centres d'appels marocains au bout de trois mois après avoir constaté une dégradation de la qualité de l'accueil téléphonique (77 ( * )) ; aux Etats-Unis, c'est le fabriquant d'ordinateurs Dell qui a dû rapatrier une partie des services délocalisés en Inde en raison des trop nombreuses plaintes de ses clients. En effet, les entreprises ne sont pas toujours satisfaites des choix qu'elles ont effectués, comme en témoigne le document suivant :

Source : ATKearney

Ainsi, toutes les délocalisations ne se traduisent pas nécessairement par des réussites . A cet égard, la Fédération française de la tannerie mégisserie a indiqué que les quelques tentatives menées depuis trente ans par les entreprises du secteur pour lutter contrer la concurrence du Brésil et de l'Argentine d'abord, de l'Inde ensuite, puis de la Chine et de la Corée aujourd'hui, s'étaient soldées par des échecs, les entreprises n'ayant pas réussi à obtenir des résultats satisfaisants en terme de qualité et de rentabilité.

* (77) In La Tribune - 14 avril 2004.

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