C. ORGANISER ET SOUTENIR LES FILIÈRES DANS UNE LOGIQUE D'INNOVATION

Afin d'aider notre outil industriel à relever ces défis, il convient de l'inscrire dans la nouvelle économie de la connaissance en renforçant la recherche-développement , en aidant l'innovation et en favorisant l'économie en réseau . En outre, pour protéger les filières les plus exposées aux délocalisations , il est nécessaire d'accroître le soutien qui leur est accordé pour leur permettre de conserver la maîtrise de leur processus productif , de développer leurs parties « amont » et « aval » et d'investir dans leurs segments riches en valeur ajoutée .

1. Le nécessaire renforcement de la recherche et développement

Il est impératif que la France retrouve une place de leader dans les secteurs de haute technologie car la contribution de ces activités au dynamisme de la croissance est appelée à devenir déterminante . Tout comme l'a indiqué à votre commission et à votre groupe de travail lors de son audition M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, la recherche est un domaine également soumis aux délocalisations, dans le cadre d'une véritable guerre technologique entre différents pays menée sur un marché mondial de la recherche et des chercheurs . Soulignant l'importance des enjeux attachés à cette compétition mondiale dans le domaine de la recherche, le ministre a au reste déclaré que, nul ne pouvant se satisfaire de ce que l'Europe soit à l'avenir une zone de faible productivité et de faible innovation, il importait de fournir les efforts nécessaires à la recherche. Pour votre commission, cette reconquête nécessite à l'évidence, des investissements massifs dans le secteur de la recherche et développement ainsi qu'une réforme en profondeur de l'organisation de notre appareil de recherche publique .

En ce qui concerne l' accroissement des soutiens financiers dédiés à la recherche , il convient de rappeler que cet objectif a été consacré au niveau communautaire puisque le Conseil européen de Lisbonne de 2000 avait fixé comme objectif à l'Union européenne de devenir l'économie la plus compétitive à l'horizon 2010 . Il était indiqué que la réussite d'une telle stratégie avait pour corollaire un renforcement des dépenses de R&D à hauteur de 3 % du PIB de chaque Etat membre . Les nouvelles théories de la croissance appuient d'ailleurs la pertinence d'une telle stratégie. En effet, un grand nombre d'études empiriques démontre que les différences des niveaux de PIB par tête et des taux de croissance de la productivité entre les pays sont dues à la qualité des systèmes et politiques de R&D et des systèmes éducatifs.

Or, les statistiques montrent que la France accuse un retard par rapport à ses principaux partenaires européens et à ses concurrents, tant au niveau des dépenses de recherche, en valeur absolue, des publications scientifiques et des dépôts de brevets. En outre, une analyse plus fine permet d'affirmer que ce déficit n'est pas lié uniquement à l'insuffisance des dépenses de R&D.

Les causes de ce handicap français sont, pour certaines, connues et spécifiques à la France. L' uniformité du statut des chercheurs du secteur public fait tout d'abord obstacle à la valorisation de l'excellence et des individus les plus talentueux . Par ailleurs, la structuration du secteur public de la recherche autour de grands établissements scientifiques et technologiques entraîne elle aussi des lourdeurs : comme l'a indiqué à votre groupe de travail M. Christian Blanc lors de son audition, sa « verticalité » réduit les possibilités de synergies et permet difficilement de redéployer les moyens financiers entre les établissements pour valoriser et soutenir les filières de recherche stratégiques.

Reste que la question des moyens financiers accordés au secteur de la recherche demeure au centre de ces préoccupations. D'une part, l'arbitraire de la gestion budgétaire a fortement affecté les moyens des laboratoires de recherche qui, au cours des années passées, n'ont pu disposer d'une visibilité suffisante en la matière en raison de gels et d'annulations de crédits souvent répétés . D'autre part, l'existence de quelques « poids lourds » de la recherche française (nucléaire, spatial et aéronautique pour les plus importants) laisse peu de moyens pour soutenir les autres secteurs. Il est ainsi impératif, sans sacrifier les filières dans lesquelles la France a fait la preuve de son excellence, de renforcer les moyens des secteurs d'avenir tout en évitant , quelle qu'en soit la difficulté, de succomber à la tentation du saupoudrage , comme cela peut être le cas avec les crédits incitatifs délivrés par le ministère de la recherche (132 ( * )).

Cette tentation s'exprime au reste également au plan communautaire . Si l'Union européenne est présente dans les secteurs traditionnels, elle soutient relativement peu, et donc plutôt mal, les grands projets innovants : pour M. Jean-Louis Beffa, elle est même « inexistante dans les nouvelles technologies qui constituent pourtant le coeur du développement industriel de demain » .

Tous les maux ne doivent cependant pas être imputés à l'Etat qui assure, en définitive, un financement conséquent du secteur de la recherche. En effet, comme le précisaient les conclusions du sommet de Lisbonne, l'effort de recherche repose aussi sur le secteur privé, qui a vocation à y contribuer à hauteur de 2 % du PIB (contre 1 % pour le secteur public). Alors que l'Etat, en France, mais aussi dans d'autres pays de l'Union européenne, consacre effectivement une proportion de son PIB conforme à cette préconisation, le secteur privé se situe bien en deçà de cet objectif .

Pour votre groupe de travail, le fonctionnement du crédit impôt recherche constitue certainement l'un des freins à la hausse des investissements en recherche et développement . Il adhère d'ailleurs aux propos de notre collègue M. René Trégouët, qui, dans son rapport spécial sur les crédits de la recherche dans le projet de loi de finances pour 2003 (133 ( * )), s'inquiétait « de l'effet dissuasif du déclenchement presque systématique d'une procédure de contrôle fiscal à l'encontre des nouveaux candidats au bénéfice de l'avantage du mécanisme du crédit d'impôt recherche » . Reste que cette lacune du secteur privé ne peut, là non plus, être uniquement mise à la charge de l'Etat. Il convient également que les chefs d'entreprise français prennent conscience qu'il est de leur intérêt d'investir massivement dans le secteur de la recherche afin de pouvoir restructurer leurs activités productives sur les secteurs à haute valeur ajoutée.

Au total, il y a, pour votre commission, urgence à soutenir plus massivement les activités de recherche en France et à réformer l'organisation du secteur de la recherche . A ce titre, elle ne peut que se féliciter de la démarche engagée par le Gouvernement, laquelle devrait mener, avant la fin de l'année 2004, à la présentation devant le Parlement d'un projet de loi d'orientation pour la recherche. Un tel texte constitue une occasion unique pour remédier aux faiblesses de notre appareil de recherche et pour donner une meilleure visibilité financière à nos scientifiques.

Sans préjuger du résultat de la concertation confiée aux professeurs Etienne-Emile Baulieu et Edouard Brézin, co-présidents du Comité national d'initiative et de proposition pour la recherche scientifique devant prochainement remettre ses propositions au Gouvernement afin d'élaborer des pistes de réforme, votre commission souhaite mettre l'accent sur quelques points qui lui semblent particulièrement importants.

Il importe tout d'abord de mettre fin à la pratique des annulations budgétaires , qui constituent un handicap majeur pour le fonctionnement des laboratoires. Ces derniers n'ont en effet pas de visibilité suffisante quant à leurs perspectives financières et sont trop souvent obligés d'annuler, dans l'urgence, des programmes de recherche par manque de moyens financiers.

En outre, un débat de fond doit s'engager sur la question du statut des chercheurs . Certes, le statut public qui a été accordé aux scientifiques en 1982 est un acquis important qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause. Toutefois, ce système a, par certains côtés, des inconvénients au nombre desquels la rigidité des statuts et des carrières scientifiques, la difficulté d'effectuer des mobilités vers d'autres organismes ou vers l'entreprise. Les conditions de rémunération font aussi partie de ces inconvénients. L'excessive rigidité des grilles salariales et l'impossibilité de valoriser financièrement les scientifiques les plus méritants constituent deux facteurs qui handicapent notre système de recherche. Il est par exemple très difficile de moduler les rémunérations des chercheurs en fonction de leurs résultats, même si certaines initiatives de cette nature existent et doivent être saluées (134 ( * )). Pour votre commission, il est urgent de mener une réflexion sur ce sujet, qui constitue l'une des lourdeurs principales du système de recherche publique.

Enfin, le système de financement de la recherche doit impérativement être simplifié et réorienté vers les secteurs économiquement les plus porteurs , qu'il s'agisse du secteur des biotechnologies - pour lequel le soutien financier français est cinquante fois inférieur au soutien américain - ou de celui des nano et micro-technologies.

* (132) Fonds de recherche technologique et Fonds national pour la science .

* (133) Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2003 n° 68 Tome III (2002-2003) - Annexe 26.

* (134) Telle celle de l'INSERM qui a créé des contrats dits d'interface offrant au chercheur une rémunération fixe et une part variable dépendant des résultats.

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