Mercredi 10 juin 2009

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -

Audition de M. Jean-Louis Dewost, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Louis Dewost, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).

M. Jean-Louis Dewost a rappelé brièvement les missions de la CNCIS et son fonctionnement. Composée de trois membres seulement -son président, un député et un sénateur- afin de garantir des délibérations rapides et confidentielles, la CNCIS assure en son sein, selon une règle non écrite, le respect du pluralisme, les deux parlementaires désignés appartenant traditionnellement à des familles politiques opposées.

Il a indiqué que le rythme mensuel des réunions permettait d'examiner les dossiers délicats, les autres étant examinés par lui seul par délégation des deux autres membres, sur la base de la jurisprudence préétablie.

Il a jugé que la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques avait rempli son objectif en encadrant strictement les écoutes administratives. Seuls trois ministres -ceux de l'intérieur, de la défense et des finances- ou leurs directeurs de cabinet peuvent les demander. En outre, selon une pratique installée dès les premiers mois suivant la publication de la loi du 10 juillet 1991 et désormais consacrée par une lettre de M. François Fillon, Premier ministre, la CNCIS émet un avis a priori sur les demandes d'interception et non un simple avis a posteriori comme le prévoit la loi.

Il a précisé que, au cours de son mandat, les Premiers ministres en fonction n'avaient pas suivi l'avis de la CNCIS dans trois cas, ces décisions étant à chaque fois clairement assumées au nom de la sécurité nationale.

A propos de la nouvelle faculté ouverte par la loi du 23 janvier 2006 aux services chargés de la lutte contre le terrorisme de requérir les données techniques de connexion afin de prévenir des actes terroristes, il a rappelé que la CNCIS avait un simple rôle de contrôle a posteriori. Toutefois, il a jugé que, au vu de l'expérience, le dispositif mis en place fonctionnait bien et offrait des garanties importantes. En effet, étant désignée par la CNCIS, la personnalité qualifiée chargée d'autoriser les réquisitions de données a développé une jurisprudence calquée sur celle de la CNCIS. A cet égard, il a salué les excellentes relations entre la CNCIS et M. François Jaspart, personnalité qualifiée.

Il a déclaré que, au regard des 90 millions de lignes téléphoniques ouvertes en France, les 6 000 interceptions de sécurité et les 38 000 réquisitions administratives de données de connexion demandées en 2008 demeuraient les mesures d'exception voulues par le législateur.

M. Jean-Louis Dewost a indiqué que la prévention de la criminalité organisée demeurait le principal motif invoqué (47 % des demandes d'interception de sécurité), devant la prévention du terrorisme (29 %) et la protection de la sécurité nationale (22 %), les autres motifs -sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la Nation, reconstitution de ligues dissoutes-demeurant très marginaux.

S'agissant des méthodes de contrôle de la CNCIS, il a indiqué qu'elles avaient beaucoup évolué depuis six ans. La CNCIS tend désormais à recommander des autorisations d'écoute pour des durées inférieures aux quatre mois prévus par la loi. Il a précisé que, en 2008, dans 250 cas, la CNCIS avait ainsi proposé des autorisations pour quinze jours, un mois ou deux mois.

En outre, il a attiré l'attention sur l'introduction depuis deux ans d'un contrôle continu de certaines interceptions. Ainsi, la CNCIS demande dans les affaires délicates -172 en 2008- la production des transcriptions afin de vérifier que les motifs invoqués pour demander l'interception sont justifiés. M. Jean-Louis Dewost a indiqué que, dans une douzaine de cas, le décalage entre les motifs invoqués et la réalité des conversations avait conduit la CNCIS à recommander au Premier ministre l'interruption des écoutes, ce dernier ayant toujours suivi l'avis de la commission.

Par ailleurs, il a indiqué que :

- dans les cas les plus simples, la CNCIS adressait ses préconisations directement aux services sans passer par le Premier ministre ;

- dans les cas les plus compliqués, la commission procédait à l'audition des directeurs des services pour comprendre la nécessité d'une demande d'interception.

Enfin, il a remarqué :

- la proportion croissante des interceptions demandées dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, indice probable d'une recrudescence du trafic ainsi que de la priorité qu'il constitue pour les services compétents ;

- la montée des mouvements violents, contestataires ou alternatifs qui oblige la CNCIS à une très grande prudence pour faire la part entre ce qui relève de l'exercice normal de la liberté d'expression ou de manifestation et les dérives vers la criminalité organisée, voire le terrorisme, prudence d'autant plus grande que l'atteinte à l'ordre public ne suffit pas à justifier une interception. Dans les cas où une interception est finalement autorisée, la CNCIS n'y consent que pour une durée limitée et elle en demande les transcriptions.

M. Patrice Gélard a demandé :

- s'il était envisagé de relever le contingent d'interceptions simultanées ;

- si la nouvelle jurisprudence de la CNCIS interprétant désormais ce contingent comme se référant à un nombre maximum de « cibles » -un individu qui fait l'objet de plusieurs écoutes est comptabilisé une seule fois- était respectueuse de l'esprit et de la lettre de la loi du 10 juillet 1991 ;

- si le développement et la consécration par le Premier ministre d'un contrôle a priori des demandes d'interception par la CNCIS, alors même que la loi du 10 juillet 1991 n'a prévu qu'un contrôle a posteriori, ne méritait pas que cette pratique soit inscrite dans la loi ;

- quelle était la jurisprudence de la CNCIS pour faire la part entre la prévention du terrorisme et le respect de la liberté d'expression ou de culte :

- si la réquisition des données techniques de connexion dans le cadre de la prévention du terrorisme depuis 2006 avait permis de mieux cibler les demandes d'interception pour ce motif et, par conséquent, d'en diminuer le volume ;

- si les services étaient demandeurs d'une extension des réquisitions de données techniques de connexion à la lutte contre la criminalité organisée ;

- s'il ne serait pas justifié, eu égard à l'importance des missions de la CNCIS pour la protection des libertés, que la nomination de son président soit soumise à la procédure prévue par le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Mme Alima Boumediene-Thiery s'est inquiétée des garanties de destruction effective des enregistrements à l'expiration du délai légal. Elle a également demandé s'il y avait des écoutes à caractère politique.

M. Pierre-Yves Collombat a demandé s'il existait des écoutes en dehors du cadre légal décrit par M. Jean-Louis Dewost.

Répondant à Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Jean-Louis Dewost a affirmé n'avoir jamais eu à connaître d'une demande d'interception intéressant de près ou de loin une personnalité politique. Il a ajouté que le pluralisme de la CNCIS prévenait ce risque de dérive.

Il a indiqué que le groupement interministériel de contrôle (GIC) qui centralise techniquement les demandes d'interception avait automatisé la destruction des enregistrements. Quant à la destruction des transcriptions, elle fait l'objet d'un procès-verbal signé par l'officier général commandant le GIC. Il a indiqué n'avoir aucun doute sur le respect de ces obligations légales.

Répondant à M. Pierre-Yves Collombat, il a rappelé que les interceptions judiciaires étaient beaucoup plus importantes -environ 25 000 par an. S'agissant en revanche des écoutes illégales, il a indiqué que, par nature, il était impossible d'en avoir connaissance. Il a précisé qu'il existait une commission du matériel au sein du secrétariat général de la défense nationale chargée d'autoriser l'acquisition par les services officiels des matériels permettant techniquement des écoutes. Toutefois, il a concédé qu'il est impossible de garantir qu'aucun autre organisme, privé ou public, ne se livre à des interceptions illégales. Il a ajouté que les services de renseignement étrangers échappaient à tout type de contrôle.

Mme Virginie Klès a demandé à connaître les recours des citoyens en cas d'écoute illégale.

M. Jean-Louis Dewost a indiqué que la CNCIS recevait environ 150 appels de particuliers chaque année. Chaque dossier est alors instruit et fait l'objet d'une réponse.

Il a ajouté que, en cas d'écoute illégale ou « sauvage », les sanctions pénales étaient extrêmement lourdes et qu'il revenait à chacun de saisir la justice.

Répondant à M. Patrice Gélard, il a expliqué que la nouvelle jurisprudence relative à la comptabilisation du contingent d'interceptions simultanées était compatible avec la loi du 10 juillet 1991 et offrait l'avantage de ne pas soumettre à la procédure classique les urgences techniques qui consistent pour les services à demander une nouvelle interception lorsqu'un individu déjà surveillé change son téléphone très fréquemment. Il a précisé que la CNCIS exigeait de se faire communiquer la liste des différents vecteurs utilisés par un même individu.

Il a jugé prématuré un bilan de cette nouvelle jurisprudence pour décider du relèvement ou de la baisse du contingent.

S'agissant de l'inscription dans la loi du contrôle a priori des demandes d'interception, il a déclaré que ce système était si ancré et admis par toutes les autorités compétentes qu'il n'imaginait pas qu'un Gouvernement puisse revenir en arrière.

A propos des réquisitions des données techniques de connexion, il a estimé que cette faculté nouvelle offerte aux services compétents n'avait pas eu d'effet évident sur le nombre d'interceptions de sécurité demandées pour prévenir le terrorisme. En revanche, il a relevé que certains services avaient été tentés de contourner la jurisprudence de la CNCIS sur les interceptions de sécurité par le biais des données techniques de connexion. Toutefois, l'étroite coordination entre la CNCIS et M. François Jaspart, personnalité qualifiée, avait permis d'éviter qu'une demande de données techniques soit autorisée après qu'une demande d'interception portant sur le même individu et pour les mêmes motifs a été rejetée.

A propos des modalités de nomination du président de la CNCIS, il a déclaré ne pas avoir d'avis sur la question. Il a simplement remarqué que le président de la CNCIS était désigné par le Président de la République sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de cassation. Il a estimé qu'il faudrait choisir entre le maintien de ce mécanisme de proposition et la procédure du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

M. Yves Détraigne a demandé les raisons de l'existence, au sein des opérateurs de communications, d'un service des Obligations légales.

M. Jean-Louis Dewost a expliqué que la loi imposait aux opérateurs de se doter d'un service spécialisé, isolé au sein de l'organigramme, sécurisé et habilité au secret-défense, pour procéder aux interceptions demandées par les autorités. Il a indiqué que la CNCIS contrôlait régulièrement ces services.

Audition de M. Roger Beauvois, président de la Commission nationale de déontologie et de la sécurité (CNDS)

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Roger Beauvois, président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS).

M. Roger Beauvois a confirmé la stabilité du nombre de saisines -environ 145- de la CNDS entre 2006 et 2008. Toutefois, si la tendance observée sur les cinq premiers mois de 2009 se confirmait, l'année en cours pourrait connaître une hausse sensible des saisines jusqu'à 200.

Il a indiqué que, sur 147 dossiers traités, 106 concernaient la police nationale, 13 la gendarmerie nationale, 18 l'administration pénitentiaire, 6 la police municipale, 1 les douanes et 1 une société de sécurité privée.

Il a expliqué la prépondérance de la police nationale dans les affaires traitées par la nature et l'importance de la délinquance en zone police. En revanche, il s'est étonné qu'une seule affaire concerne les sociétés de sécurité privées alors même que leurs activités sont en forte hausse depuis plusieurs années. Une explication tiendrait à la méconnaissance de l'existence de la CNDS et de l'étendue exacte de sa compétence.

Sur ces 147 dossiers, il a précisé que 30 % avaient été déclarés irrecevables soit parce qu'ils étaient hors de la compétence de la commission, soit parce qu'ils étaient relatifs à des faits datant de plus d'un an.

Sur la centaine de dossiers recevables, 60 % ont révélé des manquements. Le plus souvent, sont en cause des violences illégitimes commises à la suite de faits bénins, les personnes interpellées ne présentant pas une dangerosité particulière. M. Roger Beauvois a observé que ces faits étaient toujours difficiles à établir, les seuls éléments du dossier étant les témoignages des deux parties.

Parmi les problèmes récurrents depuis plusieurs années, il a cité :

- les gestes techniques professionnels d'intervention parfois excessifs ;

- le recours abusif, voire quasi-systématique, au menottage et à la fouille à nu ;

- les retenues arbitraires sans placement en garde à vue, notamment lorsqu'il s'agit de mineurs ;

- les refus d'enregistrer une plainte contre des fonctionnaires de police.

Il a expliqué que la CNDS s'est rendue à Mayotte et en Guyane à la suite de plusieurs saisines relatives au placement en rétention administrative d'étrangers en attente de leur éloignement. Outre les conditions matérielles indignes de la rétention qui ne permettent pas aux étrangers d'exercer effectivement leurs droits, il a relevé que, en Guyane, certains actes de procédure étaient falsifiés, notamment à propos des heures d'interpellation.

S'agissant des établissements pénitentiaires, il a déclaré que le principal problème concernait le traitement et la prise en charge des détenus les plus fragiles.

Il a ajouté que le rapport d'activité pour 2008 de la CNDS contenait un éclairage précis sur le traitement des mineurs par les forces de sécurité, dénonçant en particulier :

- l'insuffisante prise en compte de la fragilité psychologique et physique des mineurs ;

- des contrôles d'identité répétés par des agents connaissant déjà les mineurs ;

- le recours au menottage et à la fouille à nu à titre de sanction.

Après avoir rappelé les moyens de la CNDS -un budget pour 2008 de 730.000 euros, sept emplois à temps plein et le recours fréquents à des stagiaires-, M. Roger Beauvois a dressé un bilan de l'année 2008.

Au passif de l'action de la CNDS, il a souligné son manque de notoriété, le faible nombre de saisines rapporté à l'activité intense des forces de sécurité en étant une des conséquences. Il a aussi regretté que les autorités publiques ne soient pas plus promptes à transmettre les documents et informations requis par la CNDS pour instruire une affaire.

A l'actif, il a relevé la hausse sensible des saisines au cours des cinq premiers mois de 2009 qui pourrait être le fruit d'une notoriété accrue. Il s'est aussi félicité que les recommandations d'ordre général de la CNDS soient le plus souvent reprises sous la forme d'instructions par les directeurs des services concernés. Enfin, il a indiqué que la déontologie occupait désormais une place plus importante dans la formation initiale et continue des policiers et gendarmes.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a constaté que les parlementaires demeuraient très majoritairement à l'origine des saisines.

Observant que la CNDS avait conclu, le 24 octobre 2008, une convention de fonctionnement avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il a souhaité savoir comment ces deux autorités se partageaient le contrôle des centres de rétention administrative et des établissements pénitentiaires.

M. Roger Beauvois a indiqué que la CNDS connaît d'une affaire dès lors que le comportement d'un agent engage sa responsabilité individuelle. En revanche, si un manquement est le révélateur d'un problème d'organisation générale, l'affaire est transmise au Contrôleur et inversement.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a demandé à partir de quels éléments la CNDS parvient à apprécier si une affaire est un cas isolé ou le révélateur de comportements fréquents.

M. Roger Beauvois a répondu que la récurrence de certains problèmes, même à partir d'un petit échantillon, permet de faire la distinction.

Evoquant une note aux services en date du 9 juin 2008 relative aux conditions du recours aux palpations et fouilles de sécurité et au menottage, dans laquelle le directeur général de la police nationale reprenait les recommandations de la CNDS, M. Jean-Jacques Hyest, président, a demandé si, un an après, ces instructions avaient été suivies d'effet.

Tout en se félicitant de cette note, M. Roger Beauvois a jugé que, en pratique, elle avait été suivie de peu d'effets. Il a indiqué qu'il était fréquent que des fonctionnaires de police fassent référence à des instructions antérieures ou imaginées pour justifier certains comportements, semblant ignorer les instructions les plus récentes.

A propos des fouilles à nu, il a regretté que la décision de les pratiquer soit prise par le responsable des locaux de garde à vue et non par l'officier de police judiciaire ayant ordonné le placement en garde à vue. Il a ajouté que la fouille à nu était souvent une façon pour les agents de se protéger contre tout risque d'incident.

A cet égard, il a rappelé qu'une des recommandations de la CNDS était de garantir aux agents respectant les critères pour apprécier l'opportunité d'une fouille à nu, que, en cas d'incident, leur responsabilité ne pourrait être engagée.

M. Alain Anziani a demandé si la CNDS tient un tableau de bord des suites données à ces recommandations et avis en cas de manquement.

M. Jean-René Lecerf a déploré la méconnaissance par de nombreux agents pénitentiaires de l'interdiction de procéder à des fouilles internes. En outre, il a observé qu'un individu peut être soumis à une succession de fouilles, en particulier lorsque, au cours d'un transfèrement ou d'une extraction, il est pris en charge par des services différents. Il a demandé si ce problème ne pourrait pas faire l'objet d'une recommandation et si l'utilisation de portiques de sécurité ne permettrait pas de diminuer sensiblement le recours aux fouilles.

M. Jacques Mézard a demandé si le faible nombre de saisines ne pouvait pas s'expliquer par la crainte de s'exposer à des représailles.

M. Roger Beauvois a indiqué que les demandes de poursuite disciplinaire étaient rarement suivies d'effets, ce qui avait d'ailleurs conduit la CNDS, en une occasion, à user de son pouvoir de publier au Journal officiel un rapport spécial. Toutefois, il a jugé que l'utilisation de ce pouvoir devait rester exceptionnelle pour conserver sa portée.

A propos des fouilles dites internes, il a indiqué que la CNDS avait été très rarement saisie de ce type d'affaire et que ces faits n'avaient jamais été établis. Toutefois, il a reconnu que les affaires concernant l'administration pénitentiaire étaient très peu nombreuses et donc peu significatives, les détenus ayant sans doute beaucoup de difficultés à saisir un parlementaire.

Pour aller plus loin, il a estimé que la seule solution consisterait à renforcer les pouvoirs de la CNDS.

Audition de M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Jean-Marie Delarue a d'abord procédé à un bilan de son activité près d'un an après sa désignation comme Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il a indiqué qu'il avait réuni une équipe pluridisciplinaire constituée de 12 contrôleurs à temps plein, 10 contrôleurs à temps partiel et 4 emplois administratifs. Il a relevé, en revanche, que la possibilité ouverte par le décret du 12 mars 2008 de recruter des intervenants extérieurs n'avait pu être utilisée dans la mesure où ces derniers doivent continuer à exercer leur occupation principale, ce qui est difficilement compatible avec une mission de contrôle.

M. Jean-Marie Delarue a souligné l'afflux des courriers reçus par l'institution (144 lettres reçues en 2008 et probablement, si les tendances observées depuis le début de l'année se confirment, 900 lettres en 2009), concernant, pour l'essentiel, jusqu'à présent, les conditions de détention. Il a noté que 52 visites avaient été effectuées en 2008 et 81 depuis le 1er janvier 2009, soit une moyenne de 16 visites par mois qui correspondait à l'objectif qu'il s'était assigné. Il a ajouté qu'il avait privilégié le choix de lieux ordinaires de privation de liberté plutôt que certains établissements plus emblématiques. Il a rappelé également qu'il avait noué des contacts avec des associations, d'autres autorités administratives indépendantes -avec lesquelles des conventions avaient été signées afin d'éviter l'enchevêtrement des compétences- et des organismes internationaux tels que le comité européen pour la prévention de la torture et le sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a observé qu'il avait utilisé tous les pouvoirs qui lui étaient conférés par la loi -notamment l'information des ministres aux fins de mise en oeuvre de leur pouvoir disciplinaire et, en une occasion, la saisine du procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale- à l'exception, à ce stade, de la possibilité de proposer des modifications dans notre législation.

M. Jean-Marie Delarue a regretté que la loi instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté n'ait pas repris les dispositions de l'article 21 du protocole des Nations Unies du 16 septembre 2005 garantissant une protection aux personnes qui saisissaient l'institution indépendante de contrôle. Il a noté, à cet égard, qu'il avait indiqué à l'administration pénitentiaire, qui avait établi une liste nominative des personnes détenues ayant saisi le Contrôleur général, que cette pratique lui paraissait incompatible avec la protection des personnes. Il a par ailleurs relevé qu'il avait interprété la saisine par voie de courrier comme lui permettant, à l'instar des visites qu'il effectue, de formuler des recommandations à l'intention des chefs d'établissements.

Evoquant les suites données à ses recommandations, M. Jean-Marie Delarue a d'abord souligné la qualité des relations nouées avec les différents ministres responsables des lieux de privation de liberté. Il a noté que l'institution n'avait rencontré aucune difficulté sérieuse dans le déroulement de ses visites. Il a néanmoins dû relancer certains ministères -par exemple le ministère des finances s'agissant des observations sur les locaux des douanes.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a ensuite rappelé les constats dressés dans le cadre de son premier rapport d'activité. Il a d'abord fait état de la violence des rapports de force au sein des établissements pénitentiaires alors même que ces derniers devraient être exemplaires en raison de la mission qui leur est confiée. Il a noté que les hôpitaux psychiatriques se trouvaient dans un état plus satisfaisant que celui constaté par le passé. Selon lui, la situation des centres de rétention apparaissait convenable tandis que celle des établissements pénitentiaires était très variable d'un lieu à l'autre. Il s'est montré en revanche très préoccupé à l'égard des locaux de rétention et de garde à vue. Il a attiré l'attention sur les aspects fondamentaux que constituaient, dans des lieux de privation de liberté, les relations avec les personnels, les liens familiaux ou encore la possibilité d'exercer une activité. Il a rappelé à cet égard que 15 % seulement des détenus disposaient d'un travail en maison d'arrêt. Il a constaté en outre que les liens avec les familles laissaient beaucoup à désirer, y compris dans les établissements psychiatriques. L'inactivité apparaissait selon lui comme l'un des points communs des lieux de privation de liberté, ce qui ne manquait pas d'inquiéter au regard de la resocialisation qu'ils ont pour mission de promouvoir.

M. Jean-Marie Delarue a estimé que les comportements condamnables, certes minoritaires, se produisaient souvent aux interstices de procédures par ailleurs bien réglées. Il a cité pour exemple les fouilles à répétition. Il a souligné la difficulté de parvenir à un équilibre entre sécurité et dignité des personnes, relevant que le premier de ces impératifs prévalait, parfois de manière univoque, sur le second. Il a ainsi évoqué l'obligation pour les femmes gardées à vue de retirer leur soutien-gorge alors même qu'aucun risque démontré de suicide ne justifiait une telle exigence. Il a mentionné également le droit d'expression des personnes et indiqué que le paiement de frais d'adhésion à certaines associations socio-culturelles dans les établissements pénitentiaires ne donnait pas en contrepartie, pour les détenus, le droit, pourtant légitime, d'être représenté au sein des conseils d'administration de ces structures.

M. Jean-René Lecerf s'est interrogé sur l'adéquation des moyens du Contrôleur général à ses missions. Il s'est également inquiété des conditions dans lesquelles les personnes détenues sont traitées dans les hôpitaux psychiatriques à la suite d'une hospitalisation d'office. Il a souhaité connaître le sentiment du Contrôleur général sur l'installation de caméras de surveillance dans des cellules -comme il l'avait constaté au dépôt du Palais de Justice de Paris- et sur le risque d'une atteinte excessive au droit à l'intimité des personnes privées de liberté.

M. Alain Anziani s'est félicité de l'action menée par le Contrôleur général en indiquant que cette institution était devenue incontournable pour le respect des libertés publiques. Il a déploré que l'examen du projet de loi pénitentiaire adopté par le Sénat, et pour lequel la procédure d'urgence avait été décidée par le Gouvernement, soit encore différé à l'Assemblée nationale. Il a souhaité obtenir des précisions sur le nombre de suicides et l'exactitude des chiffres produits en ce domaine par l'administration pénitentiaire. Il s'est demandé enfin si les personnels de cette administration étaient en mesure d'adhérer aux règles pénitentiaires européennes.

M. Jean-Pierre Vial, tout en partageant les constats du Contrôleur général sur les conditions matérielles de la garde à vue, a souhaité connaître son opinion sur le recours croissant à cette procédure alors même que le nombre des crimes et des délits semble se stabiliser.

M. François Zocchetto a approuvé la volonté du Contrôleur général d'éviter une médiatisation excessive qui aurait pu affaiblir la portée de ses observations. Il a par ailleurs déploré que parmi les projets envisagés dans le cadre du plan de relance, ceux concernant les hôpitaux psychiatriques et les unités pour malades difficiles aient pris le plus de retard. Il a noté, en effet, qu'aucun des chantiers envisagés n'avait été engagé. Par ailleurs, il s'est étonné que les locaux de garde à vue soient totalement négligés dans la conception des nouveaux commissariats de police ou gendarmeries.

Mme Alima Boumediene-Thiery a estimé que l'obligation des détenus d'adhérer à des associations pour bénéficier de la télévision n'était pas légale. Elle s'est demandé s'il ne serait pas préférable de mettre en régie l'accès à la télévision. Elle a attiré l'attention sur la situation des femmes dans les prisons, leur faible effectif ne leur permettant pas de disposer, en pratique, des mêmes droits que les hommes. Enfin, elle a interrogé M. Jean-Marie Delarue sur le respect des règles pénitentiaires européennes en matière d'utilisation du téléphone par les personnes détenues.

En réponse aux commissaires, M. Jean-Marie Delarue a apporté les précisions suivantes :

- dans le cadre du budget du Contrôleur général des lieux de privation des libertés pour 2010, six emplois supplémentaires ont été demandés -parmi lesquels quatre emplois de contrôleurs et deux emplois administratifs ; ce renforcement est rendu nécessaire en particulier par la nécessité de vérifier sur place la réalité des faits allégués dans des courriers de plus en plus nombreux ; par ailleurs les contrôleurs supplémentaires permettraient d'effectuer des visites plus longues dans chaque établissement (pouvant aller jusqu'à dix jours contre quatre à cinq jours aujourd'hui) ;

- les conditions dans lesquelles les hospitalisations d'office des personnes détenues sont mises en oeuvre aujourd'hui ne sont pas satisfaisantes ; en effet les intéressés sont placés dans des chambres d'isolement et soumis en pratique à un régime plus rigoureux que celui qui leur est réservé en détention (privation de tabac, télévision ...) ; dans ces conditions ils demandent à être réintégrés en établissement pénitentiaire et l'hospitalisation d'office d'une durée réduite n'aura eu généralement qu'un bénéfice thérapeutique très limité ;

- les suicides en prison sont liés à des facteurs complexes et divers -sentiment de faire l'objet de mauvais traitements, comportement des autres détenus, coupure des liens familiaux...- l'état général des prisons constituant un contexte propice au passage à l'acte. L'administration pénitentiaire ne publie plus de chiffres sur le nombre de suicides au motif, peu convaincant, que la médiatisation de ce phénomène favoriserait le risque suicidaire. Elle n'en tient pas moins un décompte précis des morts par suicide en prison, sans prendre toujours en compte néanmoins les décès intervenant en milieu hospitalier à la suite d'un acte suicidaire commis en détention. Par ailleurs, les tentatives de suicide, de l'ordre de 1 500 par an, sont douze fois plus nombreuses que les suicides effectifs. Chaque détenu peut ressentir à un moment ou à un autre la tentation du suicide ;

- la référence aux règles pénitentiaires européennes a permis d'engager une dynamique favorable ; néanmoins, ces principes ne recueillent pas l'adhésion de tous les personnels et leur mise en oeuvre est encore loin d'être satisfaisante ;

- il n'appartient pas au contrôleur général des lieux de privation des libertés de porter une appréciation sur l'évolution du nombre des gardes à vue (soit un doublement au cours des dix dernières années) ; cette augmentation doit se faire dans le respect de la dignité des personnes et, à cet égard, la situation actuelle est préoccupante. Une plus grande attention aux durées de garde à vue et notamment la limitation des gardes à vue de « confort » permettrait une meilleure utilisation des locaux ;

- la sectorisation des soins psychiatriques ne fonctionne pas de manière satisfaisante ; l'insuffisance des moyens ne permet pas d'assurer le suivi des obligations de soins au risque de laisser les patients sans contrôle ; les investissements concernant la sécurisation des établissements psychiatriques semblent prévaloir sur l'effort qui devrait porter en priorité sur les unités pour malades difficiles ou les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ;

- les locaux de garde à vue sont le plus souvent inadaptés ; ainsi, l'action entreprise pour créer un point d'eau dans ces locaux au sein des commissariats de police a été rendue pour partie inopérante par le fait que les vasques ont été encastrées dans le mur et qu'il est impossible de boire sans gobelet. Certaines normes paraissent même en régression puisque les chambres d'isolement sont désormais conçues sur le modèle des cellules de dégrisement ce qui conduit à une aggravation des conditions d'isolement, facteur de tensions ;

- la gestion des associations socioculturelles intervenant en détention appelle sans doute la plus grande attention. La privatisation de la cantine dans un établissement pénitentiaire a conduit à une forte augmentation des coûts pour les détenus ;

- les difficultés présentées par la situation des femmes en prison sont communes à celles rencontrées par les autres minorités -notamment les mineurs- et paraissent difficiles à résoudre compte tenu de l'état actuel des établissements pénitentiaires ;

- le développement de l'accès au téléphone dans les établissements pénitentiaires appelle des réserves : plusieurs postes ont été en effet installés dans les cours de promenade et exposent les utilisateurs à des pressions ou des menaces ; d'une manière générale la mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes ne convainc pas entièrement ; l'amélioration de la vie des détenus et des personnels de surveillance doivent être deux objectifs complémentaires et non contradictoires ;

- la question de la vidéosurveillance préoccupe le Contrôleur général et devrait être l'un des thèmes de son prochain rapport. L'installation de caméras a également été constatée dans des chambres d'isolement des hôpitaux psychiatriques.