Disponible au format PDF (221 Koctets)


Mardi 11 mai 2010

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

Budget communautaire
Audition de M. Alain Lamassoure,
Président de la commission des budgets du Parlement européen

M. Alain Lamassoure, Président de la commission des budgets du Parlement européen. - Le week-end dernier, nous avons vécu des journées passionnantes qui ont une chance de rester dans l'histoire. Sans doute la date du 9 mai, jour de la déclaration Schuman, est-elle propice à la construction européenne.

Le financement des politiques européennes préoccupe la commission des budgets du Parlement européen. Tous les États membres ont subi, jusqu'à la crise grecque, deux tempêtes successives : d'abord une tempête financière, puis le ralentissement économique, qui en est la conséquence, et dont nous sortons péniblement.

Au-delà de la qualité de la gestion de tel ou tel État membre, il apparaît que le modèle économique de vingt États sur vingt-sept est inadapté aux conditions de l'économie mondiale. En effet, seuls sept États ne font pas l'objet d'une procédure de déficit excessif, à savoir les pays d'Europe scandinave, le Benelux, l'Autriche et la Pologne. Ces pays ont traversé la crise dans d'assez bonnes conditions. Ils ont certes connu la récession économique et les déficits qui en sont la conséquence, mais leurs fondamentaux étaient suffisamment sains pour leur permettre de rebondir.

Les autres États membres peuvent se classer en trois catégories. La première catégorie concerne les « cigales », dont la Grèce fait partie. La Grèce a en effet clairement vécu au-dessus de ses moyens. Je rappelle qu'entre son adhésion à la Communauté européenne, en 1981, et aujourd'hui, la dette publique de ce pays a quadruplé et que les salaires dans la fonction publique ont triplé depuis son entrée dans la zone euro. La Grèce a bénéficié de 250 milliards d'euros au titre des fonds structurels, mais a maquillé ses comptes. Je suis naturellement conscient que d'autres États membres vivent au-dessus de leurs moyens, la Hongrie et la Roumanie par exemple, et je constate d'ailleurs que ceux-ci ont également bénéficié d'une assistance du Fonds monétaire international (FMI).

La deuxième catégorie, celle des « escargots », regroupe les grandes puissances continentales : l'Allemagne, la France et l'Italie. Ces trois pays sont caractérisés par une croissance économique extrêmement faible, voire nulle dans le cas de la France et de l'Italie. L'Allemagne a réalisé des efforts que la France a refusé de faire. Elle a rendu à son économie sa pleine compétitivité grâce à la modération salariale et aux réformes structurelles engagées à l'époque du gouvernement Schröder. Aujourd'hui, les exportations représentent 47 % du produit intérieur brut (PIB) allemand, soit un doublement en dix ans, mais la demande interne est atone. La situation est exactement inverse en France, notre pays connaissant un état de résignation tel que l'on y cherche des justifications à la croissance zéro, voire à la décroissance. En Allemagne, toutefois, les efforts consentis semblent ne pas donner les résultats espérés, ce qui suscite de fortes frustrations.

La troisième catégorie regroupe le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande, qui présentent la particularité d'être des anciens « bons élèves » avec une croissance élevée, un chômage en baisse et une situation budgétaire satisfaisante. Dans chacun de ces pays, la situation s'est complètement retournée en très peu de temps. Je rappelle que la livre sterling a ainsi perdu 25 % de sa valeur en six mois. Sans doute le Royaume-Uni a-t-il pâti d'avoir laissé les services financiers, qui représentent 15 % de son PIB, se développer exagérément. Le cas de l'Espagne est encore plus grave puisque ce pays a misé de façon déraisonnable sur le développement de l'immobilier et connaît une grave crise depuis l'éclatement de la bulle immobilière.

Cette typologie m'amène à poser la question de la coordination des politiques économiques des États membres, c'est-à-dire de la gouvernance économique européenne. Force est de constater qu'il ne suffit pas de s'intéresser aux soldes, le déficit budgétaire ou l'endettement public par exemple, mais qu'il est nécessaire d'aller plus loin et d'élaborer des modèles économiques durables et qui ne sont pas contradictoires selon les États membres, comme c'est le cas aujourd'hui.

C'est l'ensemble de l'Union européenne qui est actuellement confronté à une grave crise. Or, il n'existe que deux manières de sortir d'une crise, soit par le bas, soit par le haut. Jusqu'au week-end dernier, le risque était grand que l'Europe sorte de cette crise par le bas, c'est-à-dire par le protectionnisme. Au lendemain de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, l'Union européenne, notamment sous l'impulsion de la présidence française, et le G 20, avaient certes vigoureusement réagi pour ne pas répéter les erreurs commises à l'occasion de la grande dépression des années 1930. Pour autant, la tentation de faire prévaloir les égoïsmes nationaux, c'est-à-dire de refuser les contraintes européennes, est encore grande, par exemple en Allemagne ainsi qu'en France.

Nous pouvons penser, depuis le week-end dernier, que nous sommes en train de sortir de la crise par le haut, c'est-à-dire en privilégiant la solidarité européenne. Il me semble que cette voie permettra d'obtenir des avantages insoupçonnés, y compris pour alléger les déficits nationaux. Nous sommes en effet confrontés à un exercice très difficile qui consiste à réduire impérativement les déficits sans compromettre le timide redémarrage de la croissance. Pour cela, il faut prêter attention à la qualité de la dépense publique et privilégier celle qui prépare l'avenir.

J'en viens maintenant aux problèmes budgétaires que connaît l'Union européenne. A priori, ces problèmes paraissent insolubles. En effet, l'Union européenne est confrontée aux discours contradictoires de ses dirigeants. Je rappelle qu'en 2005, les chefs d'État et de gouvernement des pays contributeurs nets avaient signé une lettre dans laquelle ils indiquaient ne pas accepter que le budget communautaire dépasse le seuil de 1 % du PIB européen. C'est pourquoi l'actuel cadre financier 2007-2013 est fondé sur le taux de 1,045 %, qui apparaît comme un dogme intangible. A titre personnel, je suis favorable à ce qu'on alloue au budget européen des ressources financières propres et je déplore que cette idée soit perçue comme choquante par certains.

Dans le même temps, le Conseil européen du mois de juin prochain adoptera la stratégie Europe 2020, dans le but de réussir là où la stratégie de Lisbonne a échoué. Il faudra bien pourtant financer les grands axes promus par cette stratégie, que d'aucuns qualifient de « vaisseaux amiraux ». Nous devrons surmonter le caractère contradictoire de ces deux discours et donc trouver des ressources pertinentes pour alimenter le budget européen et allouer un certain niveau de dépenses aux priorités politiques définies. J'appelle donc votre attention sur la nécessité de consacrer des moyens, publics ou privés, suffisants pour financer ces grandes priorités. La modicité du budget communautaire laisse une place aux financements nationaux.

Je propose que des représentants des parlements nationaux débattent ensemble des modalités du financement des objectifs communs que l'Union européenne s'est fixés. Concrètement, cette réflexion pourrait prendre la forme d'un débat d'orientation budgétaire conduit, à titre expérimental, dans les parlements nationaux, au moins ceux de la zone euro. Elle pourrait durer deux jours et utiliser les moyens modernes de communication. Un tel débat apporterait de réelles innovations. Il impliquerait de recourir à des hypothèses économiques communes. Surtout, il permettrait d'étudier la compatibilité des politiques budgétaires nationales avec le financement des politiques européennes, ce qui n'exclut naturellement pas l'existence de spécificités nationales. Je pense à la part importante des dépenses militaires en France. Dès lors que le budget permet de mesurer la solidarité, je me demande s'il est réaliste de plafonner durablement la solidarité européenne à 1 % du PIB communautaire. J'estime par conséquent qu'il est indispensable de rouvrir le dossier des ressources propres.

J'en viens maintenant, de façon plus spécifique, à la crise grecque. Selon moi, celle-ci ouvre un chapitre nouveau de l'histoire européenne et démontre la crédibilité de la démarche que je préconise. La crise grecque illustre, après la tempête financière et la récession économique, la nouvelle crise qui affecte l'Union européenne, celle de l'endettement public. Les effets du ralentissement économique, conjugués aux conséquences des différents plans de relance, ont creusé les déficits. Or, l'Union européenne n'a pas été capable de prendre avec la rapidité suffisante les mesures nécessaires pour empêcher la survenue de cette troisième crise. Le plan de sauvetage des banques européennes, mis en place après la faillite de Lehman Brothers, était pourtant d'une ampleur bien plus importante, soit 1 700 milliards d'euros, dont 480 milliards supportés par l'Allemagne. Les opérateurs financiers se sont rendu compte de l'inertie des dirigeants européens et ont compris que la faillite d'un État membre n'était plus une hypothèse d'école, ce qui a provoqué une panique sur les marchés. Les obligations d'État sont apparues comme des actifs toxiques, comme l'avaient été les subprimes en leur temps.

Le dispositif de garantie des crises spéculatives d'un montant de 750 milliards d'euros, dont 60 milliards proviennent d'un emprunt contracté par la Commission européenne et garanti par le budget communautaire, mis en place le week-end dernier, revêt une ampleur considérable et ouvre des perspectives nouvelles. Il est fondé sur l'article 122 du traité de Lisbonne, qui reprend d'ailleurs une disposition du traité de Maastricht, qui permet aux États membres de la zone euro de recevoir une assistance financière en cas de graves difficultés échappant à leur contrôle. À cet égard, il ouvre une brèche qui permet d'effectuer des choix politiques différents en Europe.

De même, la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui a jugé conforme à la Constitution allemande la loi mettant en oeuvre le dispositif d'assistance à la Grèce, démontre également que le principe de solidarité peut, dans des circonstances exceptionnelles, primer le principe de responsabilité. Enfin, je note que la Banque centrale européenne, en contradiction avec les dispositions du traité, a pris des « mesures non conventionnelles », c'est-à-dire qu'elle achète des obligations d'État.

Ce contexte crée une configuration politique complètement nouvelle. Les dirigeants européens ont soudainement pris conscience qu'ils ne pouvaient sortir de la crise que par le haut. Je considère qu'il faut poursuivre dans la même direction. Cet exemple réussi de solidarité européenne doit nous inciter à aller plus loin et à compléter le volet financier de la construction européenne par un volet budgétaire afin de poser ensemble les fondements d'une croissance économique plus forte et davantage durable en termes environnementaux et sociaux.

M. Simon Sutour. - Au cours des années 1999-2006, le budget communautaire représentait plus que 1,045 % du PIB de l'Union, norme retenue pour le cadre financier actuel. Il n'a donc pas augmenté depuis une dizaine d'années, alors que l'Europe a connu d'importantes évolutions, à commencer par les élargissements successifs. Avec notre collègue Yann Gaillard, je travaille actuellement sur l'avenir de la politique régionale, qui suscite des inquiétudes pour le cadre financier postérieur à 2013. Il est fort probable, en effet, que les crédits de la politique régionale diminuent sensiblement à l'avenir, avec des conséquences évidentes sur le terrain. Je crains que cette évolution ne favorise une mauvaise perception de l'Union européenne dans les collectivités territoriales. Or, les arbitrages qui seront effectués entre les deux objectifs de la politique régionale risquent de se faire au détriment de l'objectif 2 qui concerne la compétitivité régionale et l'emploi.

M. Robert del Picchia. - La décision prise le week-end dernier par le Conseil européen revêt un caractère historique et ouvre des perspectives positives pour la construction européenne. Il est nécessaire de profiter de ce contexte favorable pour renforcer la gouvernance économique européenne. Je me demande comment il serait possible de convaincre non seulement l'Allemagne, mais aussi la plupart des opinions publiques de la nécessité de doter l'Europe d'un véritable gouvernement économique.

M. Pierre Fauchon. - Peu de commentaires ont été faits sur la carence terrible de la Commission européenne dans la gestion de la crise grecque, qui m'a pourtant paru flagrante. La Commission a certes perdu du pouvoir depuis l'époque où elle était présidée par Jacques Delors, mais elle avait encore un devoir de veille. Elle aurait dû envoyer des signaux d'alerte plus tôt sur les problèmes de fiabilité des statistiques grecques. Je vois dans cette situation un déficit institutionnel inquiétant pour la gouvernance européenne. Des mesures structurelles visant à une meilleure organisation devraient être prises.

M. Roland Ries. - L'Europe est passée en quelques jours du pessimisme noir à l'euphorie. D'autres sources d'inquiétudes existent cependant, en particulier la situation financière de l'Espagne ou du Portugal. Quelles sont les évolutions prévisibles ?

Mme Bernadette Bourzai. - Je suis frappée par le scepticisme, voire l'amertume de l'opinion publique envers la construction européenne, consécutif à la multiplication des plans de sauvetage financiers, qui ont d'abord concerné les banques puis maintenant certains États membres, et qui s'accompagnent de mesures de rigueur. Ces différents mécanismes d'aide illustrent le besoin de régulation qui se fait ressentir.

M. Alain Lamassoure. - Convaincre les Allemands, qui s'attachent davantage à la lettre qu'à l'esprit des traités, de la nécessité d'un plan d'assistance financière aux États de la zone euro constituait le principal problème. Je constate qu'ils ont fini par s'y rallier, prenant conscience de la nécessité d'une discipline commune. Le pacte de stabilité et de croissance a été conçu en 1997 dans un contexte très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Il paraît indispensable de revoir certains critères sur lesquels il repose, la façon dont est prise en compte l'inflation par exemple, au profit de l'appréciation de la viabilité des modèles économiques. La crise islandaise en constitue une bonne illustration : la prospérité islandaise dissimulait un endettement représentant quatre fois la valeur du PIB du pays.

On a toujours dit qu'il n'était pas question de laisser un pays de la zone euro faire faillite. Est-ce nécessairement juste ? Je rappellerai simplement que l'État de Californie a fait récemment faillite sans compromettre pour autant l'économie américaine.

L'association des parlements nationaux au renforcement de la gouvernance européenne, y compris dans des domaines autres que l'économie, serait de nature à rassurer l'Allemagne.

Les fonds structurels, en termes budgétaires, sont désormais plus importants que les dépenses agricoles, les premiers devraient représenter 40 % du budget communautaire en 2013, contre 30 % pour les secondes. Selon moi, la baisse prévisible des crédits de la politique de cohésion, qui touchera l'objectif 2, ne comporte pas de risque politique majeur. Il est certain que la France doit réfléchir aux objectifs qu'elle entend privilégier. Je m'interroge sur l'opportunité de continuer à saupoudrer les crédits de la politique de cohésion, qui financent généralement des centaines de projets dans chaque région. Nous aurions sans doute intérêt à concentrer ces moyens budgétaires sur des programmes structurants correspondant aux enjeux européens, tels que les transports, les biotechnologies, l'énergie ou la recherche.

M. Simon Sutour. - Vos propos m'inquiètent, d'autant plus qu'ils rejoignent ceux tenus par le président du Parlement européen au Sénat, il y a quelques mois. Les collectivités territoriales sont dans une situation financière très délicate et le financement de nombreux projets locaux dépend des fonds communautaires. Je redoute les conséquences de l'évolution que vous décrivez sur la façon dont l'Europe sera perçue par les opinions publiques.

M. Alain Lamassoure. - L'application du principe de subsidiarité sera d'autant plus importante dans un contexte budgétaire très dégradé. Selon moi, l'intérêt des collectivités territoriales françaises sera mieux défendu par la France que par l'Europe. Je regrette que le cadre actuel de gestion des crédits communautaires soit excessivement rigide. L'inadaptation de nombreux instruments financiers limite considérablement la réactivité indispensable dans certaines situations, même si des progrès ont été réalisés, en particulier pour faire face aux conséquences des catastrophes naturelles, comme ce fut le cas avec la tempête Klaus.

La Commission européenne s'est montrée décevante dans la gestion de la crise financière et de la crise grecque, même si elle avait alerté à plusieurs reprises sur la situation de la Grèce sans être écoutée par les États membres. Personnellement, je ne comprends pas le silence de José Manuel Barroso, pas plus d'ailleurs que celui de Herman Van Rompuy et de Jean-Claude Juncker. Le traité de Lisbonne a pu laisser croire qu'il y aurait trop de dirigeants européens, alors qu'on a trop souvent eu l'impression qu'il n'y en avait pas du tout. Mais je crois que cette situation tient davantage aux circonstances et à la personnalité des titulaires de ces fonctions. Il est indéniable qu'il a manqué une voix européenne pour s'adresser à la fois aux marchés, à l'opinion publique européenne et aussi à l'opinion publique grecque. De ce point de vue, la communication des responsables européens a connu des lacunes.

Les nouvelles compétences communautaires prévues par le traité de Lisbonne donnent matière à réviser les perspectives financières. Le Président Barroso est toutefois extrêmement prudent sur cette question qu'il n'aborde pas véritablement, préférant évoquer une simple « remise à niveau » dans les mois à venir.

Le plan de gestion des crises élaboré le week-end dernier vise précisément à éviter la propagation de la crise grecque à d'autres États membres et je suis optimiste sur ses effets.

Le besoin de régulation en Europe est manifeste. Les décisions prises lors des sommets successifs du G20, qui constitue un cadre informel, font l'objet d'un suivi. Des progrès sont également enregistrés au niveau de l'Union européenne, en particulier sous l'impulsion de Michel Barnier et avec le soutien déterminé du Parlement européen et de son rapporteur sur ces questions, notre compatriote Jean-Paul Gauzès, plus que celui du Conseil. On peut raisonnablement penser que l'autorité européenne de supervision sera instituée d'ici la fin de l'année. Jusqu'où peut-on aller toutefois en matière de réglementation prudentielle sans prendre le risque de voir les banques réduire leurs prêts au financement de l'économie ? La réponse à cette question doit être largement réfléchie afin de ne pas aboutir aux effets contraires à ceux recherchés.

Mercredi 12 mai 2010

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

Élargissement
Relations entre l'Union européenne et l'Ukraine
Communication de MM. Gérard César et Simon Sutour

M. Gérard César. - Je vous rappelle que, pour établir ce rapport, nous avons effectué un déplacement à Bruxelles puis rencontré l'ambassadeur d'Ukraine à Paris. Nous nous sommes également rendus sur place, à Kiev et Odessa, du 28 février au 5 mars dernier, soit juste après l'investiture du Président Ianoukovytch, élu quelques jours auparavant. Je vous présenterai la situation intérieure de l'Ukraine, avant que Simon Sutour vous expose l'état des relations de ce pays avec l'Union européenne, celles-ci étant très largement conditionnées par celle-là.

C'est dans un pays en quête de stabilité que nous nous sommes rendus. L'Ukraine est assurément aujourd'hui un État démocratique, même si la démocratie y demeure fragile. La forte conflictualité de la vie politique porte préjudice au bon fonctionnement de l'État.

La « Révolution orange », à l'automne 2004, avait donné la victoire à Viktor Iouchtchenko face à Viktor Ianoukovytch à l'issue d'un « troisième tour » de l'élection présidentielle organisé en raison du caractère frauduleux du second tour. Elle a permis de mettre un terme au système incarné par l'ancien Président Koutchma et a notamment favorisé l'épanouissement de la liberté d'expression et d'une société civile extrêmement dynamique. Elle a fait de l'Ukraine une démocratie qui choisit aujourd'hui librement ses dirigeants et l'on peut espérer que cette évolution restera irréversible. Il convient d'insister sur ce point, car, les pays baltes exceptés, c'est sans doute le seul cas, peut-être avec la Géorgie, parmi les anciennes républiques soviétiques.

Pour autant, la « Révolution orange » n'a pas atteint tous ses objectifs et les espoirs qu'elle a engendrés ont été déçus et ont laissé la place au désenchantement et à un certain fatalisme, l'instabilité politique provoquant la lassitude, voire l'agacement des citoyens. Ses dirigeants ont en effet manifesté une irresponsabilité évidente. Les querelles à la tête de l'État, notamment entre le Président Iouchtchenko et son Premier ministre, Mme Ioulia Tymochenko, pourtant sa principale alliée en 2004, sont devenues permanentes et ont provoqué des crises politiques qui ont régulièrement bloqué le fonctionnement des institutions. Nous en donnons plusieurs exemples dans notre rapport. Cette situation a naturellement porté préjudice à la conduite des réformes dont le pays a pourtant un besoin urgent. De surcroît, l'influence des oligarques sur la vie politique demeure importante.

La situation constitutionnelle contribue à accroître l'instabilité politique, en raison de la répartition peu claire des pouvoirs consécutive à l'affaiblissement des prérogatives présidentielles au profit de celles du gouvernement et du parlement résultant d'une révision constitutionnelle votée à l'époque de la « Révolution orange ». Aussi une nouvelle révision de la Constitution ukrainienne est-elle indispensable. L'Ukraine est également en proie à des divisions d'ordre géographique, politique et linguistique, entre l'Est et le Sud du pays, russophone et bastion du Parti des régions du président Ianoukovytch, et l'Ouest et le Centre, tourné vers l'Europe et où la langue ukrainienne est utilisée.

Si l'Ukraine est une démocratie, elle n'est pas encore un véritable État de droit et les résultats en matière de bonne gouvernance se font attendre. Trois domaines au moins doivent faire l'objet de progrès :

- d'abord, la loi électorale doit être réformée, notamment en vue d'établir un code électoral unifié conforme aux normes européennes, de même que la situation du système judiciaire qui reste particulièrement préoccupante, les avis de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe étant insuffisamment pris en compte ;

- ensuite, de graves atteintes aux droits de l'Homme continuent de se produire en Ukraine, en particulier, selon Amnesty International, des actes de torture et des mauvais traitements, tandis que les cas d'impunité demeurent trop nombreux ;

- enfin, la corruption, qui prend des formes variées et plus ou moins graves, atteint des proportions inquiétantes et la situation se détériore. Le climat des affaires n'est donc guère favorable et l'insécurité juridique pénalise les investissements étrangers.

L'Ukraine connaît une situation économique et sociale très dégradée. Si elle dispose d'un potentiel économique important, elle a connu une croissance trop fortement dépendante de la valorisation des ressources énergétiques et des matières premières et n'a pas suffisamment investi, de telle sorte que ses infrastructures sont largement obsolètes.

Le pays a été durement touché par la crise économique actuelle. Son produit intérieur brut a chuté de 15 % en 2009 et la production industrielle de 20 %. Les conséquences sociales de cette crise sont particulièrement rudes. Les conditions de vie de la grande majorité de la population sont encore très difficiles, en particulier dans les campagnes. Le salaire moyen ukrainien était de 155 euros en janvier 2009. L'espérance de vie n'est que de 68 ans. Le système de santé est très délabré et l'alcoolisme constitue un grave problème de santé publique.

Dans ces conditions, l'Ukraine dépend largement de l'aide que la communauté internationale lui apporte. Le Fonds monétaire international (FMI), en particulier, lui a octroyé, en novembre 2008, une aide de 16,4 milliards de dollars sur 24 mois, versée en plusieurs tranches. Le versement de la 4e tranche, de 3,8 milliards de dollars, a été suspendu en raison du non respect par le pays de divers engagements pris envers le Fonds.

Ce tableau de la situation intérieure du pays peut paraître sombre. Cependant, les développements politiques récents permettent d'espérer que les conditions qui permettront à l'Ukraine d'engager d'indispensables réformes sont désormais réunies.

En premier lieu, les élections présidentielles des 17 janvier et 7 février derniers ont été conformes aux standards internationaux, notamment ceux de l'OSCE et du Conseil de l'Europe. Ces élections, bien que perdues par les dirigeants de la « Révolution orange » au profit du candidat malheureux de 2004, ont confirmé l'ancrage démocratique de l'Ukraine. Le processus électoral n'a certes pas été irréprochable, en particulier du fait de modifications permanentes de la loi électorale, y compris quelques jours avant chacun des deux tours. Pour autant, les observateurs internationaux présents sur place ont considéré que les élections présidentielles s'étaient bien déroulées et que le scrutin avait été sincère.

En second lieu, l'Ukraine a connu des évolutions politiques récentes plutôt positives. Le Président Ianoukovytch, qui, en 2004, apparaissait comme un « tricheur », cherche à corriger son image d' « homme de Moscou ». Il avait déjà beaucoup changé bien avant les dernières élections présidentielles. Alors qu'il était Premier ministre, il avait négocié l'adhésion de son pays à l'OMC et, s'il a toujours été hostile à ce que l'Ukraine devienne membre de l'OTAN, comme la grande majorité de ses compatriotes du reste, il n'a pas réduit sa collaboration avec l'alliance militaire. En réalité, on peut penser que le nouveau président est avant tout un pragmatique qui essaiera de stabiliser son pays. C'est d'ailleurs ce qu'il a déclaré dans son discours devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le 27 avril dernier.

De ce point de vue, l'évolution observée en Ukraine est plutôt encourageante. L'alternance s'est déroulée dans un climat apaisé. Les résultats des élections n'ont pas fait l'objet de contestations vraiment sérieuses de nature à remettre en cause leur légitimé. Mme Tymochenko a d'abord annoncé qu'elle ferait appel des résultats devant les tribunaux afin d'en obtenir l'annulation, avant d'y renoncer, même si elle n'a jamais reconnu sa défaite.

De même, la passation de pouvoirs a été rapide et une nouvelle coalition au Parlement a permis d'éviter une longue période de transition. Nous assistions d'ailleurs tous les deux, Simon Sutour et moi-même, à une séance de la Rada, l'assemblée parlementaire ukrainienne, lorsque son président a annoncé la fin de la coalition soutenant Mme Tymochenko. Une nouvelle coalition a été formée une dizaine de jours plus tard, autour du Parti des régions, et un nouveau Premier ministre, Mykola Azarov, a été nommé.

Pour autant, il convient de rester vigilant. Les conditions dans lesquelles la Rada a été tout récemment amenée à ratifier l'accord prolongeant le stationnement de la flotte russe à Sébastopol ont en effet bafoué les principes de la démocratie parlementaire et du respect des droits de l'opposition.

Enfin, le Président Ianoukovytch a choisi d'effectuer son premier déplacement à l'étranger à Bruxelles. Rappelons qu'il avait fait le même choix lorsqu'il était Premier ministre, alors que le Président Iouchtchenko s'était d'abord rendu à Moscou. Si le nouveau président cherchait évidemment à rassurer les dirigeants européens, il n'en demeure pas moins que ce déplacement illustre l'intérêt que porte l'Ukraine au développement de ses relations avec l'Union européenne.

M. Simon Sutour. - Les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine sont empreintes d'une certaine ambivalence. Toutes deux cherchent à les développer, mais attendent de l'autre qu'elle fasse les efforts que réclame leur approfondissement.

L'Ukraine nourrit de fortes attentes à l'égard de l'Union européenne, qui ne sont pas toujours réalistes. Nous avons pu constater au cours de notre déplacement en Ukraine combien les dirigeants de ce pays, quelles que soient leurs opinions politiques, voient l'avenir de leur pays dans l'Union européenne et souhaitent qu'il en devienne un État membre. Sur cette question, il y a consensus parmi la classe politique ukrainienne, ce qui est assez rare pour être souligné. Cette perspective est aussi largement souhaitée par l'opinion publique. Les principaux candidats à l'élection présidentielle avaient pris des engagements pro-européens pendant leur campagne et le Président Ianoukovytch, lors de son déplacement à Bruxelles, a affirmé que, « pour l'Ukraine, l'intégration européenne est la priorité clé de sa politique extérieure ». Gérard César et moi-même avons reçu hier une délégation de parlementaires ukrainiens du Parti des régions qui se rendent dans les différents États membres, et qui ont réitéré les aspirations européennes des nouveaux dirigeants du pays.

Les Ukrainiens ont pourtant le sentiment que, en dépit de leurs fortes aspirations européennes, l'Union européenne se montre frileuse à leur égard. Pour résumer, on pourrait dire qu'ils veulent de l'Europe, mais ils se demandent si l'Europe veut vraiment d'eux. Nous avons parfois perçu de la part des personnalités que nous avons rencontrées un certain découragement, voire un sentiment d'injustice. Les dirigeants ukrainiens ne comprennent pas que l'Union européenne ne prenne pas davantage en compte les efforts accomplis. Ils regrettent l'existence d'un « double standard » défavorable à leur pays, par rapport aux États des Balkans par exemple, qui, contrairement à l'Ukraine, bénéficient d'une perspective européenne.

Deux dossiers illustrent cette frustration envers l'Union européenne.

Le premier concerne la politique européenne de voisinage (PEV), dans le champ de laquelle entre l'Ukraine. La PEV reste distincte du processus d'élargissement et ne préjuge pas de l'évolution future des relations des États concernés avec l'Union. Or, l'Ukraine accepte mal la PEV et considère qu'elle risque de la maintenir durablement dans un statut de voisin, alors qu'elle aspire à devenir un État membre à part entière de l'Union européenne. Elle estime que c'est une manière de lui refuser la perspective européenne qu'elle demande. Elle est plus intéressée en revanche par le développement du Partenariat oriental. Nous pouvons toutefois rappeler que l'Union européenne apporte une aide financière substantielle à l'Ukraine, en particulier dans le cadre de la PEV. Elle lui fournit une assistance macro-financière exceptionnelle sous forme de prêt d'un montant maximal de 610 millions d'euros, qui s'ajoute à une aide annuelle de 130 millions d'euros versée à l'Ukraine au titre de l'Instrument européen de voisinage et de partenariat. Au titre du cadre financier actuel, c'est-à-dire pour les années 2007 à 2013, l'Union européenne aura aidé l'Ukraine à hauteur de plus de 960 millions d'euros. Depuis 1991, ce pays a bénéficié d'une assistance communautaire évaluée à 2,5 milliards d'euros.

La deuxième source d'incompréhension majeure porte sur la politique européenne des visas. L'Ukraine réclame avec insistance un régime de circulation sans visa en Europe pour ses ressortissants, ce qui n'est actuellement pas le cas. L'Union européenne lui refuse la feuille de route qu'elle demande et qu'elle a pourtant accordée aux États des Balkans occidentaux. Cette situation est extrêmement mal ressentie par les Ukrainiens qui estiment que les démarches exigées d'eux pour obtenir des visas sont humiliantes.

Il est cependant indéniable que l'Ukraine envoie des messages contradictoires qui suscitent des inquiétudes en Europe. Afficher sa foi européenne ne suffit pas. L'intégration européenne implique des devoirs et des obligations et il n'est pas certain que les dirigeants ukrainiens en aient pleinement conscience. Ils n'ont pas toujours tenu un discours réaliste à leurs compatriotes, laissant supposer que l'adhésion à l'Union européenne serait rapide.

En outre, la volonté politique pour engager les réformes nécessaires à l'adoption des standards européens a souvent fait défaut. C'est le cas, par exemple, de la réforme du secteur gazier. L'Ukraine a adhéré à la Communauté de l'énergie en décembre 2009, ce qui devrait lui permettre de reprendre l'acquis communautaire en la matière, alors que ses infrastructures sont largement obsolètes. Mais cette adhésion n'est pas encore devenue effective, faute pour l'Ukraine d'avoir rempli les conditions qui avaient été exigées d'elle, l'augmentation du prix du gaz en particulier.

De même, certaines déclarations du candidat Ianoukovytch ont pu jeter le trouble en confortant son image « pro-russe ». Il a ainsi évoqué la possibilité pour l'Ukraine de reconnaître l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie ou encore de participer au projet d'union douanière que pourraient constituer la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, mais qui serait contraire à la fois aux principes de l'OMC et aux négociations en cours avec l'Union européenne en vue de la création d'une zone de libre-échange. Le nouveau président a toutefois indiqué par la suite qu'il avait renoncé à faire participer son pays à ce projet d'union douanière. Il a aussi confirmé vouloir proposer à Gazprom et à diverses sociétés européennes du secteur de l'énergie liées à cette compagnie de prendre des parts dans la gestion des gazoducs ukrainiens. Or, la Russie poursuit l'objectif de prendre le contrôle du réseau ukrainien de transit de gaz vers l'Europe.

Enfin, l'Ukraine a récemment conclu un accord avec la Russie en vertu duquel le bail de la flotte russe à Sébastopol, sur la mer Noire, serait prolongé de 25 ans, soit jusqu'en 2042 au lieu de 2017, en échange d'une réduction de 30 % du prix du gaz livré par la Russie. Gérard César a évoqué la profonde division que cet accord a provoquée dans le pays.

Les relations qu'entretient l'Union européenne avec l'Ukraine sont forcément influencées par ce contexte, qui explique la prudence, voire la frilosité de la première envers la seconde.

Ces relations sont régies par un accord de partenariat et de coopération de 1998. Des négociations ont été ouvertes en 2007 dans l'objectif de conclure un accord d'association, dont le cadre politique a été défini au Sommet de Paris du 9 septembre 2008. La présidence française de l'Union européenne s'est beaucoup impliquée dans la négociation de cet accord, que les Ukrainiens revendiquaient depuis plusieurs années. Le consensus a été très difficile à dégager, compte tenu de la division des États membres sur la meilleure façon d'encourager les réformes en Ukraine. Certains, comme les États baltes, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne ou la Suède, souhaitent lui offrir une perspective d'adhésion, d'autres, en particulier le Benelux, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, préfèrent s'en tenir à la politique européenne de voisinage.

La présidence française a finalement réussi à faire valoir son objectif d'un « paquet politique », comportant trois principaux éléments :

- l'affirmation du caractère européen de l'Ukraine, « pays européen » qui « partage avec les pays de l'Union européenne une histoire et des valeurs communes » ;

- la conclusion d'un accord d'association ne préjugeant pas de l'évolution des relations Union européenne/Ukraine ;

- le lancement d'un dialogue sur les visas en vue de leur suppression à long terme, sans feuille de route.

Le Sommet de Paris n'a pas offert de perspective d'adhésion à l'Ukraine et ses résultats sont donc restés très en-deçà des ambitions de celle-ci. Il lui a toutefois donné l'occasion d'obtenir une avancée majeure dans la reconnaissance de ses aspirations. L'accord d'association offre l'opportunité de rapprocher l'Ukraine des standards européens grâce aux coopérations sectorielles qu'il prévoit. Il comprend également un accord de libre-échange.

Les négociations sur le contenu de l'accord d'association se sont poursuivies en 2009 et sont quasiment achevées sur le volet politique. En revanche, peu de progrès ont été enregistrés sur l'accord de libre-échange et la date de conclusion de cet accord a été reportée à plusieurs reprises, compte tenu des sujets sensibles abordés, en période électorale notamment. Lors de son déplacement à Bruxelles, le 1er mars dernier, le Président Ianoukovytch a souhaité que l'accord d'association avec l'Union européenne soit conclu au premier trimestre 2011 au plus tard.

La prudence européenne est également justifiée par le caractère complexe, et même passionnel, des relations qu'entretient l'Ukraine avec la Russie. Ces relations sont denses pour des raisons évidentes, historiques et linguistiques en particulier. Elles sont aussi marquées par de nombreux sujets de tensions, dont le plus médiatisé concerne le gaz. L'Ukraine a parfois ressenti la politique extérieure russe comme une menace, plus encore après la guerre entre la Russie et la Géorgie en août 2008.

L'élection de M. Ianoukovytch va fort probablement se traduire par un renforcement des liens de l'Ukraine avec la Russie. La conclusion du récent accord sur le prix du gaz russe démontre que ce rapprochement a déjà commencé. Pour autant, le nouveau président devrait surtout chercher à établir des relations plus apaisées avec la Russie, ce qui contribuera à la stabilité de la région, et à promouvoir une politique étrangère multilatérale visant l'équilibre avec ses différents partenaires. C'est en tout cas ce qu'il a déclaré dans son discours devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à Strasbourg, le 27 avril dernier.

Pour approfondir ses relations avec l'Ukraine, l'Union européenne attend de ce pays qu'il effectue un certain nombre de réformes. Le Conseil Affaires étrangères du 22 février dernier a précisé ces réformes, de façon informelle toutefois : le respect des conditions du FMI, la modernisation du secteur gazier, l'amélioration du système de contrôle migratoire, le rapprochement des normes communautaires en matière commerciale de manière à faciliter la conclusion de l'accord de libre-échange, le renforcement de la lutte contre la corruption.

Les Ukrainiens ont désormais pris conscience qu'ils ne pouvaient réclamer une adhésion de leur pays à l'Union européenne à brève échéance. Ils souhaitent en revanche obtenir une perspective d'adhésion, au motif que celle-ci aurait une dynamique d'entraînement sur le mouvement des réformes.

Nous considérons, Gérard César et moi-même, que le moment d'accorder une telle perspective d'adhésion à l'Ukraine n'est pas encore venu. Ce ne serait pas réaliste. Ni la situation intérieure de ce pays ni l'état de l'Union européenne ne sont actuellement favorables. L'Ukraine doit démontrer concrètement qu'elle souhaite un jour devenir un État membre de l'Union.

Pour autant, nous estimons que les réformes attendues d'elle doivent rester réalistes. Compte tenu des enjeux que représente ce pays, de son caractère démocratique et des derniers développements qu'il a connus, nous pensons que l'Union européenne doit faire un geste supplémentaire en faveur de l'Ukraine.

Même si ce n'est pas la position du gouvernement français, nous sommes personnellement favorables à ce qu'une feuille de route vers un régime sans visa, assortie de critères précis, soit accordée aux Ukrainiens, dès lors que ceux-ci auront rapidement accompli les réformes visant à :

- stabiliser durablement la vie politique du pays ;

- régler les problèmes qui empêchent actuellement l'exemption de visas, en particulier les lacunes en matière de contrôle des documents d'identité et des mouvements migratoires ;

- lutter contre l'insécurité juridique qui pénalise les investisseurs étrangers.

Au-delà du caractère symbolique d'une telle décision, l'octroi d'une feuille de route à l'Ukraine permettrait non seulement de favoriser la coopération concrète de ce pays avec l'Union européenne, mais aussi de mettre les Ukrainiens face à leurs responsabilités sur un sujet qui leur tient à coeur, la feuille de route supposant l'accomplissement d'un certain nombre d'exigences préalablement définies.

L'Ukraine, qui a une histoire longue et riche, est un pays méconnu, en particulier en France, alors que les Ukrainiens sont francophiles. Nous avons pu le constater lors de la discussion très intéressante que nous avons eue avec des étudiants de l'Alliance française à Odessa.

M. Jean Bizet. - Je me félicite du caractère très équilibré de votre rapport. L'Ukraine est en effet un pays stratégique, ne serait-ce qu'en raison des liens qu'elle entretient avec la Russie. Pour autant, il est nécessaire, comme vous l'avez indiqué, de rappeler à ses dirigeants qu'ils ont aussi des devoirs.

M. Jacques Blanc. - À l'occasion de la préparation de mon rapport d'information sur la politique européenne de voisinage, j'avais rencontré des responsables ukrainiens et j'avais pu me rendre compte combien cette politique était mal vécue en Ukraine. Ce pays souhaite en effet obtenir le statut de pays candidat. En revanche, il est un acteur important du Partenariat oriental ainsi que dans la région de la mer Noire.

Compte tenu de la façon dont se déroulent les négociations avec la Turquie, il me semble raisonnable de ne pas promettre à l'Ukraine une perspective d'adhésion, même si des gestes positifs à son endroit, sur les visas par exemple, sont bienvenus.

M. Simon Sutour. - Le caractère européen de l'Ukraine est une évidence. En revanche, il est certain que ce pays n'a pas encore atteint le niveau de développement de la plupart des États membres de l'Union européenne.

M. Gérard César. - Les Ukrainiens considèrent comme des brimades les formalités exigées d'eux pour l'obtention d'un visa vers les pays de l'Union européenne, d'autant plus que, depuis plusieurs années déjà, les ressortissants européens n'ont plus besoin de visa pour voyager en Ukraine. Le dépôt d'une demande de visa est soumis à des conditions difficiles à remplir pour la plupart des Ukrainiens, l'ouverture d'un compte bancaire suffisamment approvisionné par exemple.

M. Charles Gautier. - Je voudrais savoir combien de Français sont établis en Ukraine et obtenir des informations sur les relations économiques entre ce pays et les principaux États membres de l'Union européenne.

M. Simon Sutour. - La communauté française établie en Ukraine compte environ 800 personnes. Il est indéniable que le climat des affaires est rendu particulièrement complexe par la forte insécurité juridique qui existe en Ukraine. Nous avons ainsi rencontré, dans la région d'Odessa, un viticulteur français installé en Ukraine depuis plusieurs années qui connaît d'importantes difficultés pour développer son exploitation.

Lorsque nous abordons l'Ukraine, nous devons éviter toute approche manichéenne selon laquelle le camp « orange » serait démocratique et pro-européen, tandis que le Parti des régions serait peu respectueux des droits de l'Homme et excessivement proche de la Russie. La situation est plus nuancée. Certains responsables ukrainiens ont eu tendance à instrumentaliser le nationalisme à des fins politiques. Il n'en demeure pas moins que l'Ukraine connaît différents clivages, par exemple linguistiques et religieux, les catholiques se situant plutôt à l'ouest du pays tandis que les orthodoxes, dont il existe de nombreuses obédiences, sont plus nombreux à l'est et au sud.

Il me semble que nous devons continuer à aider les Ukrainiens et à les faire progresser.

M. Yann Gaillard. - Les liens entre l'Ukraine et la Pologne sont forts et anciens. L'un des plus grands écrivains polonais est d'origine ukrainienne.

M. Gérard César. - Nous avons pu constater que le sentiment religieux était extrêmement prégnant en Ukraine et que les églises orthodoxes étaient très fréquentées.

La commission a adopté à l'unanimité la publication du rapport d'information, paru sous le numéro 448 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html