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Mercredi 26 janvier 2011

Politique régionale

La politique européenne de cohésion
Rapport de MM. Simon Sutour et Yann Gaillard

M. Yann Gaillard. - Qu'est-ce que la politique de cohésion ? Elle est souvent méconnue des Européens, qui ignorent le rôle central qu'elle joue dans la construction européenne : la politique de cohésion n'est pas qu'un simple fonds de péréquation entre régions européennes destiné à réduire leurs écarts de développement économique et social ; elle est aussi le vecteur d'un développement partagé de l'ensemble de l'Union au bénéfice de chacun des Européens.

C'est pourquoi nous nous sommes mobilisés, Simon Sutour et moi-même, pour faire valoir la plus value de la politique de cohésion et orienter de manière réaliste la position française dans les prochaines négociations. Nous remercions le président de la commission de nous avoir confié cette mission que nous avions déjà eu l'honneur de mener à bien il y a tout juste sept ans pour la programmation en cours 2006-2013.

Dans cet esprit, nous nous sommes rendus à Bruxelles début 2010, pour amorcer notre réflexion, et une nouvelle fois il y a trois semaines, pour la finaliser. Nous avons eu là-bas des entretiens avec la Direction générale du Budget, dont le directeur est un français, M. Hervé Jouanjean, avec la Direction générale de la Politique régionale et avec la Direction générale de l'Agriculture pour évoquer le développement rural. Nous avons également rencontré le cabinet du commissaire européen en charge de la politique régionale, M. Johannes Hahn. La représentation permanente de la France à Bruxelles nous a enfin éclairés sur le sujet, l'Ambassadeur Philippe Etienne nous ayant lui-même donné son point de vue.

Comme la révision des règles de la politique de cohésion obéit désormais à la procédure de codécision, nous avons également tenu à rencontrer la présidente de la Commission « Développement régional » du Parlement européen : c'est à Strasbourg que nous avons été reçus par Mme Danuta Hübner, qui a été précédemment commissaire européen en charge du dossier.

Enfin, nous avons complété nos informations à Paris : d'abord, concernant le développement rural, nous avons reçu à sa demande l'association Leader France. Ensuite, nous avons rencontré le cabinet de Bruno Le Maire, qui est à la fois Ministre de l'agriculture et de l'aménagement du territoire et qui aura donc en main la négociation à venir sur la réforme de la PAC et celle de la politique de cohésion.

Pour finir, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir, ainsi que le président Bizet, avec le Commissaire Hahn lui-même la semaine dernière. Il est en effet venu à Paris présenter ses grandes orientations sur la future politique de cohésion, que la Commission avait rendues publiques en novembre 2010 dans les conclusions de son cinquième rapport sur la cohésion.

Au terme de ce travail, nous sommes convaincus qu'il est nécessaire et possible de se donner les moyens d'une politique de cohésion au bénéfice de toutes les régions européennes, et cela malgré l'étau budgétaire européen et national.

Simon Sutour vous présentera ensuite les grands principes qui nous paraissent devoir être soutenus par les autorités françaises dans l'élaboration de la future politique de cohésion : équité, efficacité et simplicité.

Avant de lui céder la parole, permettez-moi donc de présenter d'abord les enjeux financiers, pour l'Union puis pour la France.

1. La politique de cohésion, c'est 350 milliards d'euros, très convoités mais justifiés : cela représente 35,7% du total du budget européen sur la période 2007-2013, deuxième poste budgétaire après la PAC (qui mobilise 42 % des crédits). Le 18 décembre 2010, le président de la Commission européenne a reçu une « lettre des cinq», à savoir l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande, préconisant de contenir l'augmentation des crédits sous l'inflation dans le prochain cadre financier pluriannuel. Dans ce contexte très restrictif, l'Union affiche pourtant de nouvelles ambitions : le nouveau Service européen pour l'action extérieure, la stratégie Europe 2020... L'efficacité de la dépense est donc regardée de près.

Pourtant, démontrer la plus value de la politique de cohésion n'est pas simple : comment distinguer l'impact propre de cette politique communautaire parmi la multitude des facteurs qui influencent le développement régional ? En outre, cette politique est une politique d'investissement qui ne produit pleinement ses effets qu'à long terme. En 2009, un non-papier de la Commission mettait en avant l'efficacité supérieure des politiques sectorielles. Il envisageait donc de renationaliser la politique de cohésion, au moins pour les États membres les plus riches : pour ces pays, le transit de ces fonds par Bruxelles était présenté comme absurde et coûteux.

C'est méconnaître l'ambition de la politique de cohésion, qui est double : rattrapage des régions en retard mais aussi solidarité entre toutes les régions européennes. C'est aussi ignorer les réalisations concrètes de cette politique : entre 2000 et 2006, 1,4 million d'emplois créés, 38.000 projets de recherche soutenus, 4000 kilomètres de rail et 2000 kilomètres de routes construits, raccordement de plus de 23 millions de personnes à des systèmes de collecte et de traitement des eaux usées...Surtout, grâce à son approche spécifique, la politique régionale européenne apporte une plus-value : en encourageant une approche décentralisée et partenariale, elle permet de construire des stratégies de développement régional intégrées et orientées vers des objectifs communs à toute l'Union. Elle leur assure un cadre financier stable sur sept ans ainsi qu'un effet de levier car  elle n'intervient qu'en complément des autorités publiques nationales : la politique de cohésion assure 25 % de l'investissement public total au niveau régional dans les régions françaises métropolitaines. Chacun de nous peut en témoigner !

Le Parlement européen et la Commission européenne semblent aujourd'hui convaincus de la plus value de la politique de cohésion mais le Gouvernement devra rester vigilant au Conseil européen et y défendre une politique de cohésion pour toutes les régions européennes, dotée de moyens adaptés.

2. Tout en visant la reconduction de l'enveloppe budgétaire qui y est consacrée, il serait plus réaliste, sur le plan financier, de défendre une évolution des règles en vigueur de la politique de cohésion. En effet, l'élargissement en 2004 et 2007 a bouleversé la donne : la population de l'Union a augmenté de plus de 20 %, et sa richesse d'environ 5 % seulement. Le PIB moyen par habitant de l'Union européenne a de ce fait diminué de plus de 10 % et les disparités régionales ont été multipliées par deux. Surtout, le centre de gravité de la politique régionale s'est déplacé vers l'Est.

Deux conséquences :

- un « effet statistique » : la baisse du PIB moyen dans l'Union va faire mécaniquement sortir certaines régions éligibles en 2007 de l'objectif convergence, leur PIB par habitant n'étant plus inférieur à 75 % de la moyenne communautaire ;

- un effet « rattrapage économique », pour d'autres régions, si bien que sur les 84 régions relevant actuellement de l'objectif convergence, 16 d'entre elles en sortiront, ce qui représente une économie évaluée à 50 milliards d'euros pour le budget alloué à la cohésion.

Mais il faut mettre en regard de cette économie mécanique un effet inverse, qui résulterait des règles en vigueur : le règlement des fonds structurels adopté en 2006 prévoit de plafonner les transferts financiers vers les nouveaux États membres entre 3 et 4 % de leur PIB. Cette règle, dite du « capping », a été conçue à l'origine pour contenir les transferts dans les limites de la capacité d'absorption des nouveaux États membres. Mais, si elle était appliquée telle quelle en 2013 à ces 12 États dont le PIB a sensiblement progressé, elle aurait une incidence financière importante : le surcoût qui en découlerait pour la politique de cohésion atteindrait environ 75 milliards d'euros, dépassant l'économie résultant de la sortie mécanique de l'objectif convergence.

Or il n'est pas envisageable que des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne, sans parler du nôtre, contribuent encore plus qu'ils ne le font déjà à la politique régionale. Les 12 nouveaux entrants le savent et, d'après Mme Danuta Hübner, ils sont prêts à revoir l'intensité des aides au profit des régions relevant des États contributeurs nets, pour que ces derniers consentent au maintien d'une politique régionale ambitieuse.

Il est donc indispensable d'imaginer des correctifs afin de rendre soutenable la politique de cohésion :

- d'une part, il nous paraît nécessaire de revoir la règle du « capping », ne serait-ce que pour tenir compte de la capacité d'absorption de ces nouveaux États qui peinent à consommer les fonds européens ;

- d'autre part, rééquilibrer la dynamique de la politique de cohésion au profit de l'Europe des 15, celle d'avant l'élargissement. La Commission elle-même le propose : elle envisage d'augmenter l'aide par habitant aux régions aujourd'hui éligibles à l'objectif compétitivité (nos régions métropolitaines) mais elle suggère aussi de créer une nouvelle catégorie de régions intermédiaires, c'est-à-dire dotées d'un PIB compris entre 75% et 90 ou 100% de la moyenne communautaire.

3. L'équation budgétaire française n'est pas simple non plus.

La France est, elle aussi, soumise à une forte contrainte budgétaire : son solde net à l'égard de l'Union en fait le deuxième contributeur net au budget européen, derrière l'Allemagne. Malgré les limites de la notion de solde net qui ne fait que retracer les flux financiers, c'est un indicateur important pour les finances publiques de notre pays. Or ce solde négatif, qui a été multiplié par 13 en 10 ans et atteint 5 milliards aujourd'hui, devrait se creuser à 7 ou 8 milliards en 2013 en raison de l'application progressive de la PAC aux nouveaux États membres.

L'objectif est donc de ne pas dégrader encore notre solde net. Il s'agit aussi de ne pas sacrifier la PAC, évidemment. Il est naturel que la France, premier bénéficiaire net de la PAC, affiche la défense de cette politique comme une priorité, d'autant qu'est en jeu l'avenir alimentaire de l'Europe. Mais il est probable qu'après 2013, la France cesse d'être bénéficiaire nette au titre de la PAC, en raison de la montée en puissance des aides directes dans les nouveaux États membres de l'Union. Pour nous, la position française dans les négociations sur les perspectives financières après 2013 ne peut donc se résumer au principe selon lequel toute baisse du soutien à l'agriculture affecterait le bilan de la France. La réforme de la politique de cohésion est aussi à prendre en compte dans la perspective légitime d'une sauvegarde du bilan français à l'égard de l'Union.

4. Il est vrai qu'avec un taux de retour de 4 % pour la France, la politique de cohésion fait pâle figure si l'on s'en tient à l'aspect strictement financier des négociations qui s'annoncent. Mais la défense de la politique de cohésion se justifie par son essence-même et par ses réalisations, on l'a dit, et il est même possible que son bilan financier pour la France s'améliore.

La proposition de la Commission de redéployer des crédits de l'objectif convergence vers l'objectif compétitivité bénéficierait en effet à toutes les régions métropolitaines françaises, qui reçoivent, sur la période 2007-2013, 10,2 milliards d'euros du FEDER et du FSE. Rappelons que le taux de retour de la France sur l'objectif compétitivité est de 18,66 % : c'est précisément ce créneau de la politique de cohésion, sur lequel notre pays est clairement bénéficiaire net, que la Commission entend renforcer. Nous demandons donc de ne pas laisser passer cette chance pour les régions françaises, chacune d'elles ayant à y gagner, et particulièrement les sept d'entre elles qui deviendraient éligibles à ce surcroît d'aide.

Nous estimons qu'il est temps que le Gouvernement soutienne clairement cette proposition de la Commission, susceptible d'apporter à nos régions une aide estimée à environ 3 milliards d'euros par le cabinet du commissaire Hahn. Treize millions de Français pourraient ainsi bénéficier d'une amélioration de leur bien-être grâce au soutien renforcé de l'Union européenne. Vous le voyez, une nouvelle politique de cohésion, redéployée vers l'objectif de compétitivité et dotée de règles de « capping » plus sévères, n'affecterait en aucune sorte le bilan de la France, bien au contraire. Une ferme prise de position de la France en faveur de cette architecture est attendue par la Commission européenne ; elle serait, selon nous, de nature à faire pencher la balance de manière décisive.

La défense de la politique de cohésion est donc pleinement compatible avec celle de la PAC. Elle en est d'ailleurs le corollaire, puisque le deuxième pilier de la PAC permet la mise en oeuvre de la politique de cohésion en milieu rural. Or le débat actuel sur la politique de cohésion semble ignorer la problématique rurale : M. Johannes Hahn n'évoque jamais le monde rural, insistant en revanche longuement sur la nécessité de mettre en place un programme urbain ambitieux.

Nous non plus n'ignorons pas les problématiques urbaines, qu'elles soient liées à la dégradation de l'environnement ou à l'exclusion sociale. Mais nous tenons à rappeler que le développement des régions à prédominance rurale, qui couvrent plus de 50 % du territoire européen et accueillent près de 20 % de la population, est un enjeu essentiel. C'est pourquoi nous vous proposons d'appeler le Gouvernement à se mobiliser aussi pour le maintien d'une enveloppe financière consistante pour le volet non agricole du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). C'est l'un des outils concrets de mise en oeuvre de la dimension territoriale de la cohésion inscrite dans le traité de Lisbonne. Si l'enjeu financier de l'enveloppe consacrée à ces axes 3 et 4 du FEADER peut sembler minime au regard du budget global de la PAC ou de la politique de cohésion, son impact territorial est néanmoins décisif.

La France peut et doit donc défendre une politique de cohésion ambitieuse et renouvelée. Je laisse maintenant la parole à Simon Sutour pour vous en présenter les grands axes.

M. Simon Sutour. - Yann Gaillard vous a convaincus que la France pouvait défendre une politique de cohésion renouvelée sans sacrifier la PAC ni creuser son solde net à l'égard de l'Union.

Ceci étant posé, je voudrais vous présenter les trois principes qui nous semblent devoir fonder la réforme de la politique de cohésion : équité, efficacité, simplicité.

1. Équité

Le traité de Lisbonne, en vigueur depuis le 1er décembre 2009, a consacré la dimension territoriale de la cohésion : cela implique de concevoir la nouvelle politique de cohésion dans la perspective d'un traitement équitable des territoires.

Son architecture actuelle n'est pas satisfaisante à cet égard. L'Union est aujourd'hui coupée en deux : d'un côté, les régions dont le PIB est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire ; de l'autre, celles dont le PIB dépasse ce seuil de 75 %. En-deçà du seuil, les régions relèvent de l'objectif convergence, qui mobilise 81% du budget de la politique de cohésion ; au-delà du seuil, elles relèvent de l'objectif compétitivité qui reçoit 16% du budget (les 3% restant allant à l'objectif de coopération territoriale qui concerne toutes les régions européennes). L'aide reçue au titre de l'objectif convergence est massive, dix fois supérieure à celle allouée au titre de l'objectif compétitivité. Pour amortir le choc du passage de la zone convergence à la zone compétitivité, il existe des systèmes d'entrée et de sortie progressives, dits « phasing in » et « phasing out ».

Considérons une région dont le PIB est légèrement supérieur à 75% de la moyenne communautaire. Elle peut se trouver dans trois cas de figures différents : soit elle relevait déjà de l'objectif compétitivité avant l'élargissement, et elle continue simplement à en relever ; soit l'effet statistique dû à l'élargissement fait mécaniquement passer son niveau de PIB au-dessus du seuil des 75 %, sans que la région considérée se soit nécessairement enrichie, et elle relève alors encore de l'objectif convergence, mais selon des modalités spécifiques et dégressives pour accompagner sa sortie de la zone « convergence » (« phasing out ») ; soit enfin, l'enrichissement de la région l'a propulsée hors de la zone convergence et elle relève alors de l'objectif compétitivité, mais reçoit à ce titre une aide particulière et dégressive destinée à amortir le choc de la baisse brutale des versements européens (« phasing in ») .

Pour un même niveau de richesse : trois intensités différentes d'aides européennes. Cette réponse inéquitable aux effets de seuils doit être revue.

C'est au nom du principe d'équité que nous défendons la proposition du commissaire Hahn de créer une nouvelle catégorie de régions en transition, c'est-à-dire dont le PIB dépasse le seuil des 75 % de la moyenne communautaire mais reste inférieur à cette moyenne : toutes les régions disposant du même niveau de richesse, dans cette tranche intermédiaire, recevraient alors le même niveau d'aide, sans distinction et quelle que soit leur histoire, et sans dégressivité sur la période de programmation. Cette nouvelle enveloppe financière plus ciblée permettrait donc de mieux soutenir des régions françaises qui en ont besoin. Outre la Martinique qui sortira en 2013 de l'objectif convergence, sept régions métropolitaines sont concernées : la Corse, le Languedoc-Roussillon, la Picardie, le Limousin, le Nord-Pas de Calais, la Basse-Normandie et la Lorraine.

C'est une chance pour nos régions, qui bénéficiera surtout à sept d'entre elles mais qui ne diminuera pas le soutien apporté aux 15 autres. Nous devons encourager le Gouvernement à soutenir clairement cette proposition du commissaire Hahn, fondée sur un principe d'équité qui représente un progrès fondamental et concret de la cohésion entre les territoires européens. La Commission attend ce soutien de la France, d'autant que l'Allemagne semble aujourd'hui préférer le maintien du système de « phasing in and out », moins coûteux.

Mais l'équité n'est pas l'égalité : elle n'empêche pas de tenir compte des spécificités géographiques de certains territoires subissant de fortes contraintes géographiques. Nous pensons ici aux régions ultrapériphériques (RUP) dont la spécificité a été consacrée par le traité de Lisbonne.

Nos 4 départements d'outre-mer sont les seuls de la République française à être éligibles à l'objectif convergence. En tant que RUP, ils reçoivent aussi une dotation complémentaire du FEDER qui représente 15 % des aides que leur verse l'Europe. L'avenir de cette dotation est loin d'être assuré à l'avenir et le cabinet du Commissaire Hahn nous a indiqué que le faible taux de consommation des crédits européens dans les DOM ne servait pas leur cause... Le Gouvernement doit donc se mobiliser pour que la spécificité des DOM soit reconnue à Bruxelles, en matière de politique de cohésion mais aussi de politique commerciale. Je reconnais la bonne volonté manifestée à ce sujet par la Ministre en charge de l'outre-mer, lors de la séance de questions cribles thématiques qui s'est tenue sur l'outre-mer et l'Europe le 18 janvier dernier au Sénat, mais je ne suis pas certain de partager son optimisme... Notre commission reviendra bientôt sur ce sujet.

2. Deuxième principe de la nouvelle politique de cohésion que nous défendons : l'efficacité.

Pour rentabiliser le budget de la cohésion, la Commission entend soumettre les versements à des conditions nouvelles. Notamment, jugeant qu'une politique macroéconomique saine conditionne l'efficacité des fonds structurels, elle propose d'annuler les crédits des États qui ne respecteraient pas le pacte de stabilité ! C'est à nos yeux inacceptable : comment sanctionner les échelons régionaux pour un déficit public dont ils ne sont pas responsables ? En plus, cela accentuerait le retard des zones déjà en difficulté financière. Mme Danuta Hübner, présidente de la commission Développement régional du Parlement européen, y est elle aussi fermement opposée : elle considère que le traitement des entorses au pacte de stabilité relève des enceintes de gouvernance économique mises en place au niveau européen. Elle se demande aussi quelle base juridique pourrait valablement asseoir un tel type de conditionnalité. Nous vous proposons donc de demander au Gouvernement de s'opposer fermement à l'introduction d'une telle conditionnalité macroéconomique.

Nous ne sommes pas opposés à toute nouvelle conditionnalité, mais elle doit être précise, justifiée et directement en rapport avec la politique de cohésion... En tout état de cause, nous préférons à la sanction un système d'incitations : c'est pourquoi nous soutenons la proposition de la Commission de constituer une réserve « Performance » destinée à récompenser les régions faisant le plus d'efforts pour bien dépenser les fonds structurels. Cette réserve serait constituée à l'échelle de l'Union, et non plus de chacun des États comme actuellement : elle serait allouée, à mi-parcours, aux régions qui auraient le plus progressé dans la réalisation des objectifs, qui auront été fixés dans le contrat de partenariat négocié entre la Commission et chaque État au début de la période de programmation. Cette démarche positive serait plus motivante qu'une sanction.

Accroître l'efficacité de la politique de cohésion, ce n'est pas seulement rentabiliser au mieux son budget, c'est aussi, selon nous, dynamiser l'usage des fonds en misant sur l'échelon territorial.

Une opportunité s'offre ainsi de redonner un souffle à la politique de cohésion en faisant converger son action vers les objectifs de la stratégie Europe 2020. L'une des explications de l'échec de la stratégie de Lisbonne est sans doute d'avoir négligé les territoires. La réussite, dans toutes les régions européennes, d'une stratégie aussi ambitieuse que la stratégie Europe 2020 passe donc par son appropriation sur le terrain. Dans cette perspective, il est assurément utile de concentrer l'action sur quelques objectifs, en nombre d'autant plus réduit que les fonds versés sont moins importants pour éviter un « saupoudrage » inefficace. Mais nous devons veiller à ce que le « menu » dans lequel les États membres choisiront leurs priorités d'action reste suffisamment ouvert. A cet égard, il est préoccupant, et sans doute discutable au regard du principe de subsidiarité, que la Commission envisage de se réserver le droit de rendre obligatoires certaines priorités... Il ne serait pas non plus raisonnable qu'au nom de l'efficacité, l'intégralité des fonds de la politique de cohésion soit fléchée vers les objectifs d'Europe 2020 : les autorités françaises devraient défendre une marge de liberté pour permettre d'ajuster la politique de cohésion aux particularités régionales.

Outre la convergence avec la stratégie Europe 2020, la dynamisation des fonds passe aussi par la promotion d'une méthode de développement plus proche des territoires :

- mieux associer les échelons locaux à la définition des objectifs et des priorités nationales ;

- mobiliser les forces vives autour de territoires de projet, dans une démarche partenariale de développement intégré qui prend son origine sur le terrain, dans l'esprit des programmes Leader de développement rural ;

- diversifier les échelles d'intervention locale, par exemple autour de bassins fluviaux ou maritimes ou de massifs montagneux.

3. Enfin, troisième et dernier principe de la politique de cohésion après 2013 : la simplicité

Rendre plus simple la politique de cohésion, c'est la rendre plus accessible, plus visible et favoriser aussi l'usage régulier des fonds.

Dans cet esprit, la priorité nous semble être d'obtenir une harmonisation des règles de gestion des différents fonds. Nous avions d'abord imaginé plaider pour la fusion des fonds consacrés au développement rural dans l'enveloppe budgétaire consacrée à la politique de cohésion. Mais, après nos échanges avec Mme Loretta Dormal-Marino, directeur-général adjoint à la DG Agriculture et développement rural de la commission européenne, nous estimons que la cause du monde rural sera mieux défendue au sein de la PAC que noyée dans la politique de cohésion, laquelle accorde naturellement priorité aux zones les plus denses, c'est-à-dire urbaines, et aux objectifs de la stratégie Europe 2020.

Nous nous contenterons donc du cadre stratégique commun que la Commission entend créer pour les divers fonds qui contribuent à la cohésion : le Fonds de cohésion, le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen, le Fonds européen agricole pour le développement rural et le Fonds européen pour la pêche. Cette stratégie commune permettra d'articuler entre eux ces différents instruments financiers, d'éviter le chevauchement de leur champ d'action ou de prévenir les lacunes.

Nous souhaitons que cela permette aussi d'aligner les règles de gestion du FEADER sur celles du FEDER : ces deux fonds interviennent souvent en parallèle mais leurs règles de gestion diffèrent. Ainsi, nous invitons le Gouvernement à plaider pour un retour à l'inclusion de la TVA non récupérable dans l'assiette de calcul des dépenses éligibles, pour tous les fonds y compris le FEADER. Nous jugeons aussi que les dépenses privées devraient être prises en compte dans la dépense totale pour le calcul des subventions, comme c'est le cas pour le FEDER qui peut ainsi soutenir des projets d'associations ou d'entreprises.

Enfin, nous encourageons le Gouvernement à obtenir la révision de certaines règles, sans nuire bien sûr à l'usage régulier des fonds. Les règles européennes de mise en oeuvre de la politique de cohésion sont effectivement complexes, même si les autorités nationales ont une responsabilité certaine en la matière.

Afin de ne pas déstabiliser les porteurs de projets, il serait bon de ne modifier les règles que si elles simplifient effectivement la vie de l'autorité de gestion ou du porteur de projet. Nous insistons sur quelques pistes :

- pour permettre la mise en route de la programmation, ne pas appliquer la première année la règle dite du « dégagement d'office », qui supprime les crédits non consommés deux ans après leur engagement. La Commission le propose, il nous semblerait opportun que le Gouvernement le soutienne ;

- contrôler de manière proportionnelle les projets, en fonction de leur taille. C'est une proposition pertinente de Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, qui a rendu en mai 2010 un rapport au Premier Ministre sur la bonne utilisation des fonds structurels en France ;

- donner leur chance aux partenariats public-privé, auxquels les collectivités sont dissuadées de recourir par les règles en vigueur. En effet, l'article 55 du règlement européen prévoit des reversements de subventions si les recettes générées par le projet dépassent les prévisions... Il faut en finir avec cette insécurité et revenir à la règle précédente, plus simple, qui minorait le taux de cofinancement pour ce type de projets. Combiner fonds structurels et PPP est un véritable enjeu, surtout dans le contexte actuel de crise des finances locales et en raison de l'effet de levier considérable des PPP ;

- enfin, il serait utile de simplifier les nouveaux instruments financiers, innovation de la période 2007-2013. Il s'agit de nouvelles formes de financement de l'investissement qui combinent subventions et prêts. Ils présentent donc l'avantage d'exercer un plus grand effet de levier que les subventions traditionnelles, ce qui est précieux en période de contrainte budgétaire.

Voilà résumée notre contribution au débat, qui manifeste notre attachement à la politique de cohésion, seule capable de permettre à nos concitoyens de toucher du doigt l'Union européenne dans ses réalisations les plus concrètes. Notre contribution arrive avant le 31 janvier 2011, date à laquelle la Commission clôturera la consultation qu'elle a ouverte la Commission européenne sur le fondement de son cinquième rapport sur la cohésion paru en novembre 2010. La Commission européenne devrait faire ses propositions pour les prochaines perspectives financières de l'Union à la fin du printemps, puis elle devrait soumettre en juillet son projet de nouvelles règles pour la politique de cohésion après 2013, dont le Parlement européen sera alors saisi.

M. Jacques Blanc. - Nous pouvons nous féliciter : le virage de la cohésion territoriale a été pris depuis que le traité de Lisbonne en a fait un objectif pour l'Union européenne. Le temps des malentendus sur l'aménagement du territoire, que l'Allemagne assimilait à la politique d'urbanisme et qui se heurtait donc au principe de subsidiarité, est révolu. Le rapport d'information que je vous présenterai prochainement sur la politique européenne en faveur de la montagne sera l'occasion de creuser encore la notion de cohésion territoriale.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture ainsi que de l'aménagement du territoire et fin connaisseur des négociations européennes, ce qui est un atout politique, a affiché la semaine dernière son intention de ne pas dépouiller la politique agricole commune en défendant la politique de cohésion. La création d'une nouvelle catégorie de régions intermédiaires représente une bonne réponse pour la France qui n'en serait pas pénalisée.

Concernant la simplification de la politique de cohésion, j'insiste sur la responsabilité de la France dans la complexité des règles de mise en oeuvre des fonds structurels. Il nous faut donc mener des efforts en interne pour simplifier les procédures et accélérer les versements. Il est inacceptable que les crédits soient perdus en application de la règle du « dégagement d'office ».

Je me réjouis du rapport qui vient de nous être présenté. Nous avons une action commune à mener avec le Gouvernement auprès de la Commission et du Parlement européen, où s'est déjà constitué un groupe d'élus des montagnes et des régions ultrapériphériques. J'entends également mobiliser le Comité des régions d'Europe.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Permettez-moi de rebondir sur l'atout que constitue la réunion, dans le champ de compétence d'un même ministre, de l'aménagement du territoire et de l'agriculture. Je partagerais volontiers votre optimisme si ce ministre était réellement chargé de toutes les questions relatives à l'aménagement du territoire. Or, je constate que l'élaboration du schéma d'infrastructures terrestres relève du ministère de l'écologie, alors que les routes, les autoroutes, les voies ferrées et les aéroports constituent des éléments déterminants pour l'aménagement des territoires.

M. Jean Bizet. - Vous soulevez une question très pertinente. On ne peut scinder l'aménagement du territoire !

M. Simon Sutour. - Permettez-moi de compléter mon propos en soulignant que le soutien à la proposition du commissaire Hahn de créer des régions intermédiaires n'est pas encore entier dans notre pays. Notamment, l'Association des régions de France éprouve des difficultés à soutenir une proposition qui favorise essentiellement, mais pas seulement, sept régions françaises sur les vingt-six que compte notre pays. D'autres résistances sont aussi à l'oeuvre. Il est possible que certains s'inquiètent à la direction du budget du ministère de l'économie et des finances, mais je tiens à souligner que notre bilan à l'égard de l'Union européenne peut s'améliorer grâce à une répartition des fonds, au sein de l'enveloppe budgétaire consacrée à la politique de cohésion, plus favorable à notre pays.

M. Yann Gaillard. - Pour ma part, je souhaite insister sur le fait que la politique de cohésion, en entretenant la solidarité territoriale, participe de l'intérêt supérieur de l'Europe. Elle ne peut entrer en contradiction avec la politique agricole commune.

M. François Marc. - Je voudrais d'abord remercier les rapporteurs pour l'engagement personnel qu'ils manifestent sur ce sujet essentiel car j'estime également que la politique de cohésion est au coeur de la finalité européenne. Je soutiens entièrement vos préconisations en matière de simplification, comme l'a fait mon collègue Jacques Blanc, notamment pour gommer les différences difficilement compréhensibles entre les règles de gestion du FEADER et celles du FEDER. Il est certain que nous pouvons déjà oeuvrer efficacement à l'intérieur de notre administration dans le sens de la simplification.

J'ignore quelles seront les perspectives financières de l'Union ni quelles enveloppes devront être rognées, mais je m'interroge sur l'interpénétration des politiques européennes. Est-ce qu'elles sont conçues et appliquées de manière à constituer un ensemble cohérent ? Lorsque l'Union consacre des fonds à manifester sa solidarité envers un pays de la zone euro soumis aux attaques des marchés financiers, est-il tenu compte du bénéfice qu'en tire l'État membre concerné dans les négociations relatives aux politiques communautaires financées par les budgets européens ? Pourrait-on par exemple imaginer que l'Irlande puisse profiter du soutien financier qui lui a été accordé, persister dans son refus d'augmenter le taux d'imposition des sociétés et revendiquer en outre d'améliorer sa situation en matière de politique agricole commune et en matière de politique de cohésion ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - La situation de l'Irlande exige qu'on ne la pénalise pas plus encore, afin que les différents secteurs de son économie puissent contribuer à résoudre ses difficultés actuelles. L'Irlande a besoin des entreprises attirées par ses bas taux d'imposition sur les sociétés pour réussir son plan de redressement.

M. Yann Gaillard. - Je ne pense pas qu'il faille rechercher une excessive clarté dans les décisions prises au bénéfice de tel ou tel État membre, dans les différents domaines de la politique européenne. Il ne faut pas espérer faire de la politique de cohésion le grand oeuvre, mais elle reste une politique de solidarité importante qui doit donc être défendue à ce titre.

M. Simon Sutour. - En réponse à l'interrogation de mon collègue François Marc, je rappellerai que les propositions du commissaire Hahn ont nécessairement été validées par le collège de la Commission et résultent donc d'arbitrages entre les commissaires. De toutes les façons, l'arbitrage final est rendu en Conseil européen. Sans doute cet arbitrage peut-il ne pas apparaître toujours rationnel, comme celui qui a pu conduire au maintien du rabais britannique depuis l'époque de Mme Thatcher. Les décisions prises à Bruxelles peuvent nous paraître obscures, l'Union étant un « grand paquebot »...

M. Jean Bizet. - Je note pour ma part qu'après les premières réactions « épidermiques » qui ont pu suivre le sauvetage de la Grèce et de l'Irlande, le ton a changé. L'Allemagne commence à dire qu'en portant secours à ces deux pays, elle a sauvé sa propre monnaie qui est notre monnaie commune.

M. Christian Cointat. - Je tiens pour ma part à approuver le rapport qui vient de nous être présenté.

M. Jean Bizet. - J'aimerais pour conclure remercier les rapporteurs. Ils nous ont convaincus qu'il n'y avait pas d'opposition entre la politique agricole commune et la politique de cohésion. La perspective d'une nouvelle catégorie de régions en transition nous offre l'opportunité de faire émerger celles de nos régions métropolitaines qui accusent un retard économique. Je souscris aussi à l'idée de récompenser les territoires les plus vertueux par le biais d'une réserve de performance à l'échelle européenne. Je crois aussi que mettre la stratégie Europe 2020 au coeur de la politique de cohésion est un gage de cohérence. Enfin, je plaide également pour une meilleure implication des élus locaux dans la simplification de la mise en oeuvre des fonds structurels.

À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 266 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html

Agriculture et pêche

Organisation du marché du lait
Proposition de résolution de M. Jean Bizet

M. Jean Bizet. - A l'initiative de notre commission, le Sénat a adopté le 16 juillet dernier une résolution européenne sur le marché du lait. Cette résolution réagissait au rapport du groupe à haut niveau sur le lait (GHN) rendu public le 15 juin 2010.

Rappelons que ce groupe avait été créé le 5 octobre 2009 à la suite de la crise du lait. La France avait très largement poussé à sa création sous l'égide de la Commission européenne. Composé de représentants de chaque État membre, il était présidé par M. Jean-Luc Demarty, à l'époque directeur général de la DG agriculture de la Commission européenne.

Le GHN avait pour mission de dégager des solutions à moyen et long terme pour le secteur laitier qui tiendraient compte de la fin des quotas en 2015. L'objectif était de définir un cadre réglementaire contribuant « à stabiliser le marché et le revenu des producteurs et à améliorer la transparence sur le marché ».

Quelles étaient ses principales recommandations ?

Afin de réduire la volatilité des prix, le groupe d'experts se prononçait en faveur du maintien des mécanismes d'intervention sur les marchés en vigueur.

Afin de rééquilibrer les rapports de force entre producteurs, transformateurs et distributeurs, le rapport proposait :

- de développer la contractualisation par écrit entre producteurs et transformateurs, les États membres pouvant la rendre obligatoire ;

- d'adapter l'application du droit de la concurrence à la réalité du fonctionnement du marché du lait, en particulier en fixant a priori la définition du marché pertinent. Des organisations de producteurs seraient autorisées à négocier ensemble les contrats, y compris le prix, si leurs parts de marché cumulées n'excèdent pas une limite quantitative exprimée en pourcentage de la production de lait européenne ;

- d'améliorer la transparence du marché.

Enfin, afin d'améliorer la compétitivité et la valeur ajoutée des productions, le rapport, peu disert, proposait simplement d'améliorer l'étiquetage et les labels d'origine, ainsi que de développer la recherche et l'innovation.

Ces recommandations du GHN devant inspirer une proposition législative de la Commission européenne avant la fin de l'année 2010, le Sénat avait rapidement adopté sa résolution européenne.

La résolution du 16 juillet 2010 appuyait globalement les recommandations du GHN. Elle se réjouissait en particulier de la proposition incitant les producteurs à contractualiser par écrit avec les transformateurs et de la référence à un pourcentage du marché européen du lait pour la détermination du marché pertinent. Sur ce dernier point, le Sénat était conscient de son caractère très novateur par rapport à l'orthodoxie du droit européen de la concurrence.

Ce satisfecit global n'interdisait pas quelques réserves et propositions complémentaires.

Le Sénat suggérait ainsi de donner plus de poids aux organisations interprofessionnelles, par exemple pour élaborer des contrats-types ou améliorer la transparence du marché. Si le GHN évoquait les organisations interprofessionnelles, citant l'exemple du secteur des fruits et légumes, ses recommandations demeuraient très vagues.

Il demandait aussi que le pourcentage de la production laitière européenne fût fixé à un niveau élevé compte tenu de la très forte concentration de l'ensemble du secteur aval de la filière et de la croissance des échanges intra-européens. En ce qui concerne les mécanismes d'intervention, les procédures devraient être allégées, afin de réagir aussi vite que possible en cas de retournement du marché.

Enfin, anticipant la future réforme de la PAC, le Sénat esquissait quelques pistes tirées des enseignements de la crise du lait. Il préconisait notamment d'inciter les producteurs à s'organiser. L'organisation économique des producteurs peut être un facteur de compétitivité lorsqu'elle se traduit par une mise en commun de moyens ou une diversification des débouchés.

Or, l'exemple français montre que l'organisation des producteurs reste insuffisante. Certes, le GHN lève un obstacle juridique pour négocier ensemble les prix du lait. Mais il ne va pas plus loin.

Conformément à ses engagements et à la demande du Conseil, la Commission européenne a présenté le 9 décembre 2010 une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers.

Cette proposition législative s'inspire fidèlement des conclusions du GHN.

Elle encourage et encadre la contractualisation par écrit.

Elle autorise des organisations de producteurs à négocier le prix de livraison de lait cru pourvu que le volume total de lait cru concerné n'excède pas, pour une même organisation de producteurs 3,5 % de la production totale de l'Union et 33 % de la production nationale de tout État membre concerné par les négociations.

Ce pourcentage de 3,5 % se situe dans la moyenne haute des hypothèses initiales. Cette combinaison permettrait à l'ensemble des producteurs bretons de négocier collectivement.

Sur le rôle des organisations interprofessionnelles, le texte de la Commission européenne est plus ambitieux que le GHN, puisqu'il reconnaît aux organisations interprofessionnelles du secteur du lait des compétences étendues analogues à celles du secteur des fruits et légumes. Elles pourront élaborer des contrats-types, affiner la connaissance du marché ou améliorer la qualité des produits.

Sur les autres points comme l'étiquetage ou les mécanismes d'intervention, la proposition de règlement renvoie aux discussions en cours sur la réforme de la PAC.

Que penser de cette proposition de règlement ?

Le Sénat ne peut qu'approuver cette reprise des principales recommandations du GHN. Et ce d'autant plus que les préconisations du Sénat sur le rôle des organisations interprofessionnelles ont été entendues.

La proposition de règlement prévoit la remise de deux rapports d'évaluation en 2014 et 2018. Ils devront permettre en particulier de mesurer la pertinence du seuil de 3,5 % de la production laitière européenne pour rééquilibrer le pouvoir de négociation des producteurs. Car deux questions se posent :

- ce seuil n'est-il pas trop bas compte tenu de la concentration de l'aval de la filière lait et des caractéristiques de ce marché ? On a évoqué à un moment un seuil qui permettrait de regrouper tous les producteurs de Bretagne et de Normandie, voire d'une partie des pays de la Loire.

- cette faculté nouvelle suffira-t-elle à inciter les producteurs, français notamment, à s'organiser économiquement ?

Conformément aux conclusions du groupe de travail du Sénat sur la réforme de la PAC, une incitation financière serait aussi la bienvenue. Dans le secteur des fruits et légumes, les organisations de producteurs peuvent constituer un fonds opérationnel financé par les contributions des membres et une aide financière communautaire.

Ces fonds financent des actions de planification de la production, d'amélioration de la qualité des produits, de mise en valeur commerciale, de protection de l'environnement ou de prévention et de gestion des crises.

Un dispositif de ce genre dans le secteur du lait et des produits laitiers serait tout à fait imaginable.

Pour ces raisons, je vous propose d'adopter la proposition de résolution qui suit et qui vous a été transmise hier.

M. François Marc. - Lors des débats sur la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche l'année dernière, la question du transfert ou non de la propriété du lait par le producteur à l'organisation de producteurs (OP) avait été soulevée. Les OP sans transfert de propriété auraient un pouvoir de négociation plus faible, car elles seraient moins unies. Cela apparaît-il dans le texte de la Commission ?

M. Jean Bizet. - La proposition de règlement ne se prononce pas sur ce point. Elle laisse aux producteurs la liberté de s'organiser comme ils le souhaitent. Dans les deux hypothèses, avec ou sans transfert de propriété, les organisations de producteurs pourront négocier le prix de vente du lait cru.

Je crois que le plus important est d'abord de consolider la démarche de contractualisation, car beaucoup de transformateurs ne sont pas prêts aujourd'hui à jouer le jeu.

*

À l'issue de ce débat, la commission a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution suivante :


Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution européenne du Sénat  n° 157 (2009-2010) du 16 juillet 2010,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers (E 5894),

- accueille favorablement les propositions de la Commission européenne relatives aux relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, au pouvoir de négociation des producteurs, au rôle des organisations interprofessionnelles et à la transparence du marché du lait ;

- se félicite tout particulièrement que les organisations interprofessionnelles se voient reconnaître des missions étendues, comme le Sénat le préconisait dans sa résolution du 16 juillet 2010 ;

- estime que le rapport d'évaluation prévu en 2014 devra permettre de vérifier que les seuils de concentration des producteurs n'ont pas été fixés à un niveau trop bas ;

- propose de permettre aux organisations de producteurs de créer des fonds opérationnels abondés par des crédits communautaires, comme c'est déjà le cas dans le secteur des fruits et légumes ;

- juge qu'une mesure de ce type encouragerait les producteurs à se regrouper pour mettre en oeuvre des stratégies conjointes (amélioration de la qualité des produits, mise en valeur commerciale, prévention et gestion des crises...) et demande au Gouvernement de la promouvoir ;

- considère ce texte comme une première réponse aux dysfonctionnements du marché du lait et attend d'autres initiatives, notamment en matière d'étiquetage ou de réduction de la volatilité des prix.