Mercredi 8 février 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Organisation du service dans les entreprises de transport aérien de passagers - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine le rapport de M. Claude Jeannerot sur la proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.

M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Personne ne peut ignorer la couverture médiatique de cette proposition de loi, dont les usagers des avions ont eu l'occasion, ces derniers jours, d'expérimenter les conséquences... Déposée par le député Eric Diard, elle continue de susciter de vifs débats. La majorité gouvernementale poursuit ainsi l'entreprise commencée avec la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs.

Je ne partage pas tous les objectifs de cette proposition de loi. Evitons néanmoins la caricature. Contrairement à ce qui a pu être dit, elle n'instaure pas un service minimum dans le transport aérien, ni même un service garanti - il suffit de regarder l'intitulé du texte. Cela impliquerait la réquisition des salariés grévistes, ce qui ne semble pas envisageable dans un secteur aussi ouvert à la concurrence. Comme c'est le cas avec la loi de 2007, en cas de grève massivement suivie, aucun service ne pourra être assuré.

Ces observations ne rendent pas pour autant ce texte acceptable. Certains de nos collègues, en particulier Catherine Procaccia, oeuvrent depuis plusieurs années déjà pour un projet similaire. Conscient des difficultés que rencontrent les voyageurs en cas de perturbation du trafic aérien consécutive à un conflit social, j'estime, et mes auditions l'ont confirmé, qu'il ne constitue pas une réponse adaptée.

La commission du développement durable de l'Assemblée nationale a entièrement réécrit ce texte pour l'insérer dans le code des transports. Ses articles 1er, 3 et 4 ont été supprimés et leurs dispositions intégrées à l'article 2. Parallèlement, le passage en séance publique a ajouté quatre articles supplémentaires.

L'article 2 crée un nouveau chapitre du code des transports, regroupant toutes les dispositions relatives au droit à l'information des passagers du transport aérien et à l'exercice du droit de grève. Largement inspirées de la loi de 2007 sur la continuité du service public dans le transport terrestre, ces mesures visent spécifiquement les activités aéroportuaires concourant directement au transport aérien de passagers. Est ouverte la possibilité de négocier, au sein des entreprises du secteur, des accords-cadres organisant une procédure de prévention des conflits et renforçant le dialogue social. Ces mécanismes d'alerte sociale, qui existent déjà chez Air France, font intervenir la négociation avant le déclenchement de la grève. Différence majeure avec la loi de 2007, la négociation d'un tel accord restera facultative, en raison de l'absence de contraintes de service public.

Le coeur du dispositif, qui suscite le plus de critiques, impose aux salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols de déclarer à leur employeur, quarante-huit heures à l'avance, leur intention de faire grève. Comme en 2007, le but affiché est d'améliorer l'organisation du service et l'information des passagers.

En séance, l'Assemblée nationale a instauré un second délai : les salariés qui ont fait part de leur intention de faire grève ou qui sont en grève devront, sous peine de sanction disciplinaire, informer leur employeur vingt-quatre heures à l'avance soit de leur renoncement à faire grève, soit de leur volonté de reprendre le travail. Cette contrainte supplémentaire m'inspire les plus vives réserves. Les organisations syndicales sont unanimes à estimer qu'elle porte atteinte à la capacité de libre détermination des salariés. D'après les personnes que j'ai entendues, elle serait en outre inopérante car il n'est pas possible, en à peine vingt-quatre heures, de réaffecter des pilotes à de nouveaux vols ou des agents de maintenance à des tâches qui auraient été annulées préventivement. Qui plus est, ce mécanisme pourrait prolonger artificiellement une grève d'une journée : un salarié qui décide de cesser de faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin. Il s'exposerait, comme celui qui aurait fait grève sans déposer de déclaration d'intention, à une sanction disciplinaire.

L'article 2 transpose aussi le dispositif de médiation de la loi d'août 2007, ainsi que le référendum consultatif des salariés sur la poursuite de la grève. Il organise enfin l'information des passagers. Ceux-ci seraient en droit d'obtenir de leur compagnie aérienne une information « gratuite, précise et fiable », au plus tard vingt-quatre heures avant le début de la perturbation du trafic liée à une grève. Je constate la faiblesse de ce dispositif par rapport à ce qui est imposé aux salariés. Ce droit à l'information ne s'appliquera qu'en cas de grève, alors que dans le transport terrestre il vaut pour toutes les perturbations. Le manquement à cette obligation par l'entreprise de transport n'est pas sanctionné.

L'article 2 A n'a qu'un lien très ténu avec l'objet de la proposition de loi : il concerne la ratification de deux ordonnances qui ont créé le code des transports.

Les articles 2 bis et 2 ter ont été ajoutés en séance à l'Assemblée nationale dans des conditions qui n'ont pas permis leur correcte expertise par nos collègues députés. Ils portent sur l'habilitation des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à contrôler les manquements aux dispositions d'un règlement européen de 2008 sur le transport aérien. Ces mesures, qui figurèrent un temps dans le projet de loi relatif aux droits des consommateurs, nous reviennent sous une forme légèrement différente, mais non satisfaisante : elles ne s'insèrent pas correctement dans les articles du code de la consommation visés ; l'habilitation, trop large, dépasse le champ de compétences des agents de la DGCCRF ; il n'y a pas de lien avec l'organisation du service ou l'information des passagers en cas de perturbation du trafic. Je ne suis pas favorable à leur maintien dans le texte.

La dernière disposition de ce texte entend compléter la loi du 21 août 2007 sur le transport terrestre pour en corriger, nous dit-on, l'une des failles. Un récent mouvement de grève à la SNCF dans la Loire a montré que certains syndicats peuvent abuser de la déclaration d'intention, en incitant un grand nombre de salariés à la déposer puis à venir travailler normalement le jour dit. L'entreprise, qui a adapté son plan de transport en fonction de ces déclarations d'intention, ne peut plus renforcer son offre de service le jour même. Les salariés auront donc perturbé le trafic sans avoir été en grève. Comme à l'article 2, il est proposé de créer un délai minimum de « dédit » de vingt-quatre heures pour le salarié qui renonce à faire grève ou qui décide de reprendre le travail.

Je comprends la légitime exaspération des usagers affectés par ces tactiques, qui ne sont pas le fait des grandes organisations syndicales. Reconnaissons aussi qu'elles résultent d'une rupture du dialogue social qu'il appartient aux deux camps de surmonter. Je regrette qu'aucune concertation avec les partenaires sociaux n'ait précédé le vote de cet article. Le législateur ne doit pas céder à l'emportement ni surréagir. Comme indiqué précédemment, cette mesure peut aussi forcer un salarié gréviste à rester en grève vingt-quatre heures de plus.

Les nombreux parallèles avec la loi d'août 2007 sous-estiment les spécificités du transport aérien, qui n'est pas régi par un grand opérateur intégré mais pour lequel, de l'agent de sûreté au commandant de bord, toute une chaîne d'intervenants contribue à la bonne réalisation des vols. Des dizaines de métiers et d'entreprises sont concernés. Le dialogue social et les statuts des salariés sont loin d'être homogènes. Si, à Air France, la négociation avec les pilotes est permanente, ce n'est pas le cas pour tous les sous-traitants de l'assistance en escale. L'intervention de grands groupes dans ce secteur n'empêche pas les conflits. Je vois mal comment ce texte apaisera la situation dans les plates-formes aéroportuaires. Je crois davantage aux efforts entrepris par tous les acteurs, pouvoirs publics, donneurs d'ordres et employeurs, pour revaloriser le statut, améliorer les conditions de travail et mieux reconnaître tous ceux dont l'action est parfois invisible ou mal comprise du passager.

Je m'élève en outre contre la méthode employée. Une proposition de loi est trop souvent le moyen pour le Gouvernement de se soustraire aux obligations qui lui incombent lorsqu'il dépose un projet de loi. Paradoxalement, ce texte encadrant le droit de grève n'a pas fait l'objet d'une concertation avec les partenaires sociaux. Le Conseil d'Etat n'a pas rendu d'avis, malgré de sérieuses questions de constitutionnalité. Nous ne disposons pas d'étude d'impact. L'Assemblée nationale n'a pas appliqué son protocole de consultation et sa commission des affaires sociales ne s'est même pas saisie pour avis.

Je ne peux qu'exprimer mon désaccord avec cette proposition de loi. Néanmoins, conformément à l'accord politique entre les présidents de groupes pour l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour sur proposition d'un groupe d'opposition ou minoritaire, notre commission ne peut pas rejeter ce texte afin qu'il soit débattu, en séance publique, dans sa rédaction initiale. C'est à ce stade que nous aviserons.

Mme Annie David, présidente. - Je vous indique que si l'Assemblée nationale n'a pas mis en oeuvre son processus de consultation, notre rapporteur a procédé, comme il se doit s'agissant d'un texte sur les salariés et le droit de grève, à l'audition des différents partenaires sociaux.

M. Ronan Kerdraon. - Je salue la lucidité et le réalisme de votre rapport, dont je partage entièrement les doutes et les observations. Reconnu et garanti par la Constitution, le droit de grève ne s'exprime pas n'importe comment, mais seulement en cas d'absence ou d'échec de la négociation. Ce texte s'inscrit dans une longue liste d'atteintes à ce droit fondamental, en particulier au sein des collectivités locales avec le service minimum d'accueil dans l'éducation nationale. Une fois de plus, ce Gouvernement veut donner l'image de l'action mais la gesticulation n'est pas l'action ! Vous avez souligné le caractère inopérant de ce texte, dans les conditions spécifiques d'exercice des métiers du transport aérien. Pourquoi vient-il aujourd'hui ?

M. Jean Desessard. - Oui, pourquoi ?

M. Ronan Kerdraon. - Pour faire en cinq semaines ce qui n'a pas été fait en cinq ans ? Par électoralisme, affichage et opportunisme !

M. Jean Desessard. - Eh oui !

M. Ronan Kerdraon. - La quasi-absence de négociation ne s'explique que par la volonté d'éviter le débat pour faire passer ce texte en urgence à quelques semaines de l'élection présidentielle. Les salariés ont le droit de faire entendre leurs revendications, leur mécontentement. J'ai été pris dans des mouvements de grève, j'ai dû attendre dans les aéroports. Mais ne laissons pas croire que les syndicats recourent au droit de grève à tort et à travers ! Absence de concertation avec les syndicats et charge à la hussarde au Parlement : voilà qui résume assez bien les cinq dernières années de ce Gouvernement.

Mme Catherine Procaccia. - Je rejoins certaines de vos remarques : cette proposition de loi pourrait être améliorée ; elle ne pose le droit à l'information des passagers qu'en cas de grève, alors que pour les transports terrestres, nous avions introduit, à mon initiative, une disposition sur les conditions climatiques, ainsi qu'une autre sur les examens nationaux, afin que les jeunes ne risquent pas de rater des épreuves à cause d'une grève. Je regrette que vous ne corrigiez pas les imperfections de ce texte.

Vous parlez de la rapidité du Gouvernement, pour des motifs électoralistes. Voici quatre ans, une proposition de loi a été déposée par soixante-dix sénateurs UMP, qui concerne les transports aériens, mais aussi maritimes, pour lesquels je rappelle, en pensant à la Corse, qu'il n'y a aucun accord. Où est la précipitation ? Je regrette pour ma part que nous n'ayons pas discuté de ce texte plus tôt.

Vous invoquez l'absence de concertation. Sauf erreur, je n'ai pas le souvenir d'avoir reçu d'invitation aux auditions que vous avez menées. Lorsque j'étais rapporteur de textes sociaux, j'invitais l'ensemble des collègues à y prendre part. Vous savez que la déclaration quarante-huit heures à l'avance n'est pas une atteinte au droit de grève, le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé là-dessus. Comme l'objectif de ce texte est d'éviter, et non d'empêcher la grève, je regrette comme vous que le dialogue social ne soit pas imposé. Selon la proposition adoptée par l'Assemblée, il est facultatif. Vous dites qu'il existe à Air France ; peut-être, mais il y a d'autres opérateurs et aussi les pompiers, les agents de sécurité : un dialogue social plus constructif serait une avancée pour tous.

Le droit de grève des salariés n'est absolument pas remis en question. Pour toutes les destinations concernées par la continuité territoriale, les départements et territoires d'outre-mer, y compris la Corse, des obligations spécifiques pourraient déjà s'appliquer sans polémique. Vous avez choisi de crier à l'atteinte au droit de grève. C'est un choix politique. J'espère que nous pourrons améliorer ce texte en séance, en pensant à tous les usagers, à toutes les personnes en situation difficile, comme ces écoliers partant en voyage de classe aux Etats-Unis qui se voient refuser l'accès à l'avion où avaient pourtant pris place une quinzaine de leurs camarades. C'est inacceptable !

Que fait-on pour les usagers ? Ils ne partent pas tous en vacances, il y en a qui travaillent ! Lors de la dernière grève qui a touché les aéroports à l'automne, j'ai relancé la proposition de loi. J'ai écrit au ministre du travail, puisqu'il s'agit avant tout de dialogue social, ainsi qu'au ministre des transports, pour demander une action d'urgence ! Depuis 2007-2008, si les entreprises avaient voulu instaurer un véritable dialogue social, elles auraient pu le faire ! La situation des usagers est toujours aussi critique. Il aurait fallu aller plus loin, pour éviter les grèves, instaurer le dialogue social, informer les passagers des perturbations climatiques, pour que des milliers de personnes ne passent pas la nuit dans les aéroports comme ce fut le cas l'an dernier.

M. Gérard Dériot. - Très bien !

Mme Isabelle Pasquet. - Il n'y a pas grand-chose à redire aux arguments du rapport. Je partage vos interrogations sur le dialogue social. Mme Procaccia a souligné que les entreprises ne l'ont pas instauré. Pourquoi ne les y incite-t-on pas, plutôt que d'aller vers des sanctions ? Remettre en cause le droit de grève, c'est prendre les choses à l'envers. Un accord avait été conclu, en 2004, à la SNCF, qui avait fait jouer tous les ressorts des institutions représentatives du personnel (IRP). Il a été remis en cause par la loi de 2007, ce qui n'a pas fait progresser le dialogue social dans l'entreprise.

Cette proposition de loi ne met sur les rails aucune solution efficace. Nous voulons tous améliorer les choses. Pour éviter les grèves longues et intempestives, il faut revenir au dialogue entre les directions d'entreprises et les salariés. Quel rôle fait-on jouer aux IRP ? Comment les directions s'investissent-elles pour répondre aux interrogations des salariés ? Le préavis est là pour ouvrir un temps de négociation. La grève ne survient que s'il n'a pas débouché sur un accord. Les salariés ne font pas grève par plaisir, ils y perdent de l'argent. On parle des usagers otages des grévistes. Les salariés des transports aériens sont aussi otages des politiques de l'emploi et des salaires de leurs patrons. Ils ont envie, à un moment donné, qu'elles changent.

Les vingt-quatre heures de « dédit » m'inquiètent. A Saint-Etienne, il y a eu des incidents lors d'une grève longue, une organisation syndicale s'est servie de cette...

Mme Catherine Procaccia. - ... faille !

Mme Isabelle Pasquet. - ... pour discuter avec l'entreprise : on en revient au dialogue social ! Cela concernait une poignée de salariés. Cette loi va toucher des centaines de milliers de salariés. C'est dangereux ! En cas de grève, ce délai doit être mis à profit pour négocier et obtenir satisfaction. Nous sommes en décalage avec les réalités vécues par les salariés. Je suis totalement défavorable à ce texte.

Mme Patricia Schillinger. - Je vous remercie pour votre excellent rapport. Le dialogue social ne s'enclenche pas. Nous sommes de nouveau confrontés à ce problème, que j'avais déjà constaté en travaillant sur le rapport que j'ai rédigé avec Joël Bourdin sur le pacte social dans l'entreprise. Si ce dialogue existait dans les branches, nous ne serions pas face à un texte qui suscite un malaise dans certaines entreprises de transports.

Que se passe-t-il en Europe ? Combien y a-t-il eu de grèves depuis dix ans dans les transports aériens ? Quel est le niveau du malaise ressenti dans ce secteur ? Certes, le dialogue ne s'établit pas, en raison de ce malaise et de la précarité, mais il faut aussi tenir compte des usagers. Bloquer un territoire entier parce que le dialogue n'existe pas, ce n'est pas admissible non plus ! Songeons à l'économie, au tourisme, à tous les voyageurs qui ont besoin de ce mode de transport et qui endurent des moments pénibles !

Mme Isabelle Debré. - Je suis sénateur depuis sept ans. Depuis que la majorité sénatoriale est devenue minorité, ce que je ne conteste pas, notre commission a complètement changé. Avant, le rapporteur rapportait, puis la parole était donnée à l'opposition, qui critiquait, ce qui est normal, proposait...

M. Jacky Le Menn. - Normal !

Mme Isabelle Debré. - ... et posait des questions. Aujourd'hui, après le rapporteur, la parole a été donnée aux membres de la majorité sénatoriale, non pour poser des questions, mais pour faire de la politique, ce qui n'est pas le rôle d'une commission. Nous sommes ici pour légiférer, pour poser des questions, améliorer les textes qui nous sont soumis : nous avons mieux à faire que des déclarations politiques ! L'hémicycle est le lieu pour cela. Nous pouvons faire un peu de politique, mais nous sommes ici avant tout pour améliorer le texte...

Mme Gisèle Printz. - C'est ce que nous faisons !

Mme Patricia Schillinger. - J'ai posé des questions !

Mme Isabelle Debré. - Vous êtes la seule ! Je constate, c'est tout. J'en viens au fond. Le rapporteur l'a dit : « je comprends la légitime exaspération des usagers affectés par ces tactiques, qui ne sont pas le fait des grandes organisations syndicales. » Où est l'attaque contre les organisations syndicales dénoncée par M. Kerdraon ?

Vous avez exprimé votre désaccord avec ce texte qui, j'en conviens, est améliorable, comme l'a dit Catherine Procaccia. Avez-vous l'intention de l'améliorer ou de le rejeter, purement et simplement ?

Mme Annie David, présidente. - Je suis élue depuis 2001 et j'ai été membre de la commission des affaires culturelles, puis de la commission des affaires sociales, où j'ai siégé dans l'opposition jusqu'en septembre 2011. Après l'exposé du rapporteur, la parole était donnée à la droite comme à la gauche, dans l'ordre des inscrits, comme nous continuons à le faire. Aucune parole, qu'elle émane de la majorité ou de l'opposition, n'a été bridée ici, à aucun moment. Avant que la majorité sénatoriale évolue, on faisait déjà de la politique en commission ! Je me souviens de rapporteurs faisant l'éloge des textes présentés par la majorité, ce qui est normal...

Mme Isabelle Debré. - Certes !

Mme Annie David, présidente. - Les choses n'ont pas changé. Faire de la politique, au Parlement, dans une commission des affaires sociales, c'est tout à fait normal, sinon nous ne serions pas dans notre rôle. Il est nécessaire de faire de la politique, en bonne intelligence, dans le respect de chacune et chacun, de droite ou de gauche. C'est ce à quoi je m'efforce, notamment en donnant la parole dans l'ordre des inscriptions. Dans cette commission, la parole est libre, chacun s'exprime comme il le souhaite, pour des déclarations politiques comme pour des questions au rapporteur, lequel est également libre de ses réponses. Poursuivons ainsi dans le respect de nos valeurs respectives et notre commission continuera à travailler en bonne intelligence.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Je ne rappellerai pas les débats de 2007. Ce ne sont pas les grèves qui causent les perturbations les plus graves et les plus fréquentes. J'emprunte régulièrement l'une des douze lignes SNCF les plus désastreuses de France. Le matériel n'est pas à l'heure au départ, des feuilles tombent sur les rails, sans parler de multiples pannes. La SNCF n'est plus en cause, c'est l'Etat, comme il l'a voulu. Et l'on nous annonce que le matériel ne sera pas renouvelé avant trois ans... Les grèves ne causent pas l'essentiel des perturbations. Je prends aussi le métro et je vous assure qu'à la RATP, il n'y a pas beaucoup de grèves, mais beaucoup de perturbations !

M. Jean Desessard. - Et de suicides dus à la précarité sociale !

M. Jean-Pierre Godefroy. - Pourquoi montrer du doigt les mouvements de grève ? Isabelle Pasquet a raison, on ne part jamais en grève la fleur au fusil, mais avec l'angoisse, la peur au ventre. C'est un combat que l'on mène, au prix d'une perte de salaire, avec la volonté de trouver des solutions et non pour que cela dure.

Les délais de quarante-huit et de vingt-quatre heures témoignent d'une profonde méconnaissance des entreprises et du dialogue social : c'est donner un moyen de pression supplémentaire sur les gens qui ont un emploi précaire ou un CDD. On dira à ceux qui prennent le risque de se mettre en grève et de se déclarer quarante-huit heures à l'avance qu'ils ont vingt-quatre heures pour y renoncer. Or, le dialogue social est ainsi fait qu'il se dénoue en fin de préavis. Il ne faut pas empêcher, dans cette dernière ligne droite, les contacts entre la direction et les syndicats, c'est là que se joue la négociation. Loin de rendre service aux entreprises, on commet une erreur grave.

Il me semblait qu'on ne devait pas toucher aux droits des salariés ou au code du travail sans concertation préalable.

N'en déplaise à Isabelle Debré, je vais faire un peu de politique : où est l'urgence d'un tel texte, sinon dans la proximité des élections ? Il est normal que les élus politiques aient des réactions politiques !

Mme Colette Giudicelli. - Je remercie Catherine Procaccia d'avoir parlé de la Corse, département français comme les autres. J'ai dans ma famille un jeune homme tétraplégique qui ne peut voyager en avion parce qu'il doit rester en permanence allongé, aussi ai-je été sensible à la mention qu'elle a faite du transport maritime. Il est difficile, lorsqu'on habite sur une île et qu'on a besoin de soins médicaux, d'attendre que certains veuillent bien arrêter leur grève. Le père a dû tout abandonner pour s'installer à Lille, ce qui permet à ce garçon de voyager en train, la SNCF étant tout à fait équipée pour le prendre en charge.

On a beaucoup parlé de dialogue social et de précarité. Depuis trois ans que je suis sénateur et que je prends l'avion au moins deux fois par semaine, j'ai connu une dizaine de grèves. Quelle est la précarité sociale d'un pilote d'Air France et quel est son salaire moyen ? Les aiguilleurs du ciel font grève aussi. Ils ont un problème de dialogue social, mais quand on a été coincé des heures dans un avion, on a une autre vision. Ce ne sont pas que les messieurs du Cac 40 qui voyagent ! Catherine Procaccia a évoqué les voyages scolaires. Le comité des oeuvres sociales de ma ville a emmené ce week-end une soixantaine d'enfants à Disneyland, dont trois tout petits, qui ont été bloqués. Il a fallu qu'il paie l'hôtel, avec son argent. Ces grèves sont lourdes de conséquences. Dites-moi combien gagnent les pilotes !

Mme Muguette Dini. - Je suis favorable à ce que qu'on prenne des dispositions pour que les passagers ne soient plus pris en otages, ce qui est scandaleux. Certains exemples ont été cités mais on peut aussi évoquer les cas des personnes âgées, des jeunes enfants ou des bébés... Quelles que soient les raisons invoquées, cela me paraît inadmissible.

L'intitulé du texte comporte deux éléments : pour informer les passagers, reconnaissez qu'il faut d'abord avoir organisé le service ! Cependant, je reconnais que la SNCF informe aussi les voyageurs des retards en cas de difficulté climatique.

Le délai de vingt-quatre heures de dédit pose un problème, puisque comme Jean-Pierre Godefroy l'a souligné, une solution est souvent trouvée in extremis dans la négociation : les salariés doivent pouvoir reprendre alors le travail, même sans l'avoir déclaré la veille ! Il serait bon de réduire ce délai.

Le dialogue social évoqué par Isabelle Pasquet n'a pas dû être très productif car il a fallu une loi, en 2007, pour parvenir au bon équilibre entre fonctionnement des transports et respect du droit de grève.

Mme Isabelle Pasquet. - Faux !

Mme Muguette Dini. - En cas de grève, les banlieusards savent désormais combien de trains circuleront et à quelle heure : c'est un progrès.

Mme Isabelle Pasquet. - La loi de 2007 a remis en cause le dialogue social instauré en 2004 !

Mme Muguette Dini. - Les usagers de la ligne Saint-Etienne-Lyon, durant la grève, ont été plus qu'exaspérés ! De telles situations ne sont pas dues à une « rupture du dialogue social » comme l'a indiqué le rapporteur, mais à l'attitude de toutes petites organisations syndicales, qui vont très loin dans leurs actions. Elles ont mis à sac la liaison Saint-Etienne-Lyon, l'épisode récent a été dramatique.

Monsieur le rapporteur, quelles organisations syndicales avez-vous rencontrées ?

M. Jean-Noël Cardoux. - On devrait, au sein de cette commission, pouvoir donner son avis sans être interrompu. Je respecte ce principe, j'espère être traité pareillement, même si mes propos ne rencontrent pas l'adhésion de tous.

Je ne vois rien dans ce texte qui porte atteinte au droit de grève. Il rétablit le droit de grève tel qu'il était pratiqué dans le passé et tel qu'il aurait dû rester ! L'évolution des dernières années a été perverse, certains salariés déclenchent des grèves, par un curieux hasard, juste au moment où l'effet des perturbations sera le plus fort - au début des vacances par exemple - et le trafic aérien en est paralysé. C'est une déviance. Les syndicats cherchent à causer le maximum d'embarras et assurer la médiatisation de leur mouvement : manière de faire le forcing dans les négociations.

Le texte vise à revenir à la case départ : négociations, dialogue social et le moins de gêne possible pour les usagers. Songez aux entreprises et à ceux qui travaillent et perdent un temps considérable ! La mondialisation et la compétitivité qu'elle exige de nous ne souffrent pas la perte de tant d'heures.

Dans les semaines et les mois à venir, nous aurons souvent l'occasion de voir, comme sur ce texte, de quel côté se situe l'immobilisme, de quel côté sont le dynamisme et le souci de trouver des solutions.

M. Ronan Kerdraon. - Le changement, c'est maintenant !

Mme Gisèle Printz. - Cette proposition de loi est une façon déguisée de porter atteinte au droit de grève. J'ai souvent fait grève autrefois, parce que nous n'étions pas entendus par le patronat. Faisons comme le Gouvernement nous y invite si souvent ces derniers temps, imitons l'exemple allemand. Le dialogue social, chez notre voisin, fait avancer les choses.

Mme Annie David, présidente. - Le dédit de vingt-quatre heures me choque, il prouve une méconnaissance du fonctionnement des mouvements sociaux, car lorsqu'une négociation aboutit, la grève s'arrête immédiatement. Il serait ahurissant que les grévistes attendent encore vingt-quatre heures avant de reprendre le travail. Je tiens à rappeler que dans les entreprises privées, il n'y a ni préavis de grève, ni dates de début et de fin prédéterminées !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Mme Proccacia affirme que le texte était dans les tuyaux depuis longtemps ; alors pourquoi ne pas l'avoir examiné avant, par exemple dans la foulée de la loi de 2007, au lieu d'attendre la toute fin de la session parlementaire ? Jean-Pierre Godefroy a parfaitement raison de souligner que, paradoxalement, aucun dialogue social n'a été mené sur ce texte ! Je sais du reste que nos collègues de droite le regrettent aussi.

Ce qui s'applique pour une petite fraction du service public aérien, je songe à la desserte de l'outre-mer et de la Corse, ne peut être généralisé.

Nos collègues de droite opposent droit des usagers et droit des salariés. Prendre en compte les intérêts des usagers ne saurait conduire à passer par pertes et profits les droits des salariés. Au lieu de limiter le droit de grève, organisons un dialogue social digne de ce nom.

Qu'il n'y ait pas de confusion sur le préavis, il concerne le seul service public et n'est pas transposable au transport aérien, sauf aux contrôleurs du ciel. Patricia Schillinger a raison, on ne saurait entériner le déficit du dialogue social en lui substituant, par la loi, des mesures administratives. Mieux vaudrait s'employer à créer de meilleures conditions de dialogue. Comment croire que les réponses pourraient se trouver ailleurs que dans un approfondissement du dialogue social ?

Je tiens à rassurer Mme Debré : nous voulons le dialogue au sein de la commission, nous n'avons pas de vérité toute faite. Oui à la sérénité, mais ne perdons pas de vue les valeurs qui fondent notre pacte social. La fin ne justifie jamais les moyens. Vous nous demandez si nous déposerons des amendements : bien sûr, car nous ne récusons pas notre rôle et nous voulons affirmer nos convictions. Jean-Pierre Godefroy a dit l'essentiel : ce Gouvernement a introduit lui-même l'exigence d'une concertation avec les partenaires sociaux avant toute présentation d'un projet de loi modifiant le code du travail et, paradoxe, on nous présente un texte relatif au dialogue social sans respecter cette prescription.

Je précise à Mme Giudicelli que le préfet, en Corse ou ailleurs, peut toujours faire usage de son pouvoir de réquisition pour les évacuations sanitaires.

Mme Colette Giudicelli. - Pour évacuer dix mille personnes ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Autre précision, la proposition de loi ne concerne pas les aiguilleurs du ciel.

Mme Colette Giudicelli. - Aujourd'hui, il y a grève des pilotes et je ne sais pas où je dormirai ce soir !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Il ne s'agit pas des seuls pilotes mais de tout le personnel du secteur du transport aérien.

Mme Colette Giudicelli. - Le personnel de cabine n'a pas les mêmes salaires que les pilotes.

M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Les pilotes dépendent des autres catégories de personnel dans leur travail : si les agents chargés de la manutention des bagages sont en grève, les avions ne décollent pas.

Nous sommes d'accord sur l'enjeu : il ne faut pas prendre en otage les passagers. Cependant, pour parvenir à cet objectif, tous les moyens ne sont pas bons. Il n'y a pas lieu de sacrifier les salariés aux usagers ou réciproquement.

J'ai rencontré les organisations syndicales, sans volonté d'exclure les membres de cette commission, croyez-moi. Les auditions ont simplement été organisées dans des délais très courts. J'ai ainsi reçu les représentants du syndicat national des pilotes de ligne, de l'union française des pilotes de ligne, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, la CGT, FO, l'Unsa : tous sont vent debout contre ce qu'ils jugent être une régression. M. Cardoux dénonce une évolution perverse ; peut-on ignorer que le dialogue social s'inscrit dans un rapport de force, plus favorable aux salariés à certains moments ? L'employeur est, dans ces moments-là, plus sensible aux demandes. M. Cardoux dénonce aussi un immobilisme...

Mme Catherine Procaccia. - N'est-ce pas de l'immobilisme, de ne vouloir toucher à rien ?

M. Claude Jeannerot. - Le dialogue social est une exigence forte ; nous savons que des mesures administratives ne mèneront à rien ; nous préférons élaborer un cadre plus adapté, au lieu de traiter la question sur un coin de table à la va-vite.

Mme Gisèle Printz. - Et ma suggestion de suivre l'exemple allemand ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Je ne souhaite rien de mieux !

Mme Annie David, présidente. - Je vous rappelle que cette proposition de loi étant inscrite en séance sur une niche parlementaire d'un groupe d'opposition, nous appliquons l'accord politique selon lequel la commission n'adoptera aucun texte afin qu'il soit examiné dans la rédaction voulue par ses auteurs. Il est en revanche possible, bien sûr, de déposer des amendements.

La commission en décide ainsi.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Présentation du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mme Annie David, présidente. - Afin d'enrichir notre débat, je vous propose d'entendre, au préalable, le rapport de la délégation aux droits des femmes que nous avons sollicitée sur ce texte.

Mme Michelle Meunier, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - La délégation aux droits des femmes a été saisie par votre commission pour donner un avis sur la proposition de loi. Je regrette la brièveté du délai dans lequel nous avons dû travailler, cependant je me réjouis que le débat sur les inégalités de salaires soit à nouveau ouvert. Lors des auditions, nous avons entendu le directeur général du travail, les représentants des principales organisations syndicales et le service des droits des femmes au sein du ministère en charge de la cohésion sociale.

Avec ce texte, il s'agit moins de produire de nouvelles règles - notre arsenal législatif est l'un des plus complexes en Europe - que de faire appliquer celles qui existent. En 2010, moins de la moitié des entreprises de plus de trois cents salariés ont transmis à l'inspection du travail le rapport de situation comparée (RSC), obligatoire depuis 1983. La négociation collective est obligatoire, mais seulement trente-sept branches sur plus de mille sont parvenues à un accord spécifique et seules deux mille entreprises ont conclu un accord spécifique en 2010.

Les femmes continuent à gagner en moyenne 25 % à 27 % de moins que les hommes. La pénalité financière en cas d'absence d'accord ou de plan d'action pour l'égalité professionnelle prévue par la loi « réforme des retraites » est entrée en vigueur le 1er janvier dernier : hélas, son contenu coercitif a été atténué par le décret d'application du 7 juillet 2011 et la circulaire du 28 octobre 2011. Les entreprises contrevenantes disposent de six mois pour transmettre un plan d'action. La circulaire confie aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) le soin de juger s'il y a lieu d'appliquer ou non la sanction. Certaines entreprises, en raison de leur bonne foi ou de difficultés économiques, pourront en être dispensées. Enfin, à défaut d'accord, le chef d'entreprise peut mettre en oeuvre un plan d'action unilatéral : les syndicats y voient une remise en cause du dialogue social.

La délégation a donc accueilli la proposition de loi comme un signal fort. Les sanctions sont très lourdes. Pourtant, comment accepter la manière dont l'Etat envisage d'appliquer le dispositif existant ? Il est bon, en outre, de parler à nouveau des inégalités salariales, aboutissement d'une accumulation d'inégalités de traitement et de pratiques discriminatoires.

La délégation a adopté sept recommandations. Tout d'abord, nous souhaitons que toutes les entreprises de plus de cinquante salariés remettent un rapport écrit sur les conditions réelles d'emploi et de formation des femmes et des hommes. Actuellement, le document produit se résume souvent à une paraphrase des dispositions légales ou à un amoncellement de chiffres inexploitables... Nous souhaitons également lancer, dans le cadre d'un plan interministériel de lutte contre les inégalités professionnelles, une campagne d'information pour rappeler la réglementation.

Comment s'étonner que les organisations syndicales soient peu mobilisées, quand les femmes ne représentent que 22 % de leurs membres - et seulement 14,1 % au sein des organisations patronales ? Les unes comme les autres acceptent que nous imposions une représentation plus équilibrée des femmes au sein des instances qui veillent à la mise en oeuvre du dispositif. Cependant, le nombre de femmes parmi les adhérents des syndicats varie selon les secteurs : 18 % dans le syndicat de la métallurgie, mais 55 % dans la banque ou l'assurance. Faut-il imposer des quotas, comme dans les conseils d'administration ? Dans un premier temps, faisons en sorte que les listes de candidatures aux élections au comité d'entreprise et à la délégation du personnel autorisent une représentation proportionnelle des femmes et des hommes.

Les femmes de vingt-cinq à trente-cinq ans, sur lesquelles pèse le « soupçon » de la maternité, ont une situation particulièrement fragile dans l'entreprise. Des entretiens obligatoires, avant et après l'interruption de travail, seraient notamment une occasion d'informer la femme des changements qui ont eu lieu dans son service pendant son absence. Le code du travail prévoit le droit à la formation pendant le congé parental, mais aux frais des salariés : il y a lieu de modifier cela.

Tous nos interlocuteurs insistent sur la nécessité de mieux sensibiliser la population. La délégation souhaite un plan interministériel de lutte contre les inégalités professionnelles, afin de maintenir une vigilance collective et créer un réseau territorial de soutien à la négociation collective.

Ce sont les administrations déconcentrées qui mettent en oeuvre, au quotidien, les dispositifs relatifs à l'égalité professionnelle et salariale. Or, à l'heure actuelle, les Direccte et les déléguées régionales aux droits des femmes auprès du secrétariat général pour les affaires régionales (Sgar) ne se concertent pas. Il serait judicieux d'associer les déléguées du Sgar à l'action des Direccte, en particulier pour les programmes régionaux stratégiques. C'est une autre de nos recommandations.

Pour conduire ce plan d'envergure nationale, il manque encore un pilote au niveau national. Seul un ministère aux droits des femmes en aurait la légitimité politique. Nous reprenons donc ce souhait formulé de longue date. A défaut, un délégué interministériel pourrait servir de référent. Nous l'inscrivons aussi dans nos recommandations.

Enfin, les élus locaux que nous sommes doivent faire preuve de vigilance, à l'égard des entreprises, sur nos territoires... mais aussi au sein de nos administrations. La Charte européenne pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale prévoit l'intégration de la dimension du genre dans toutes les politiques et les activités des collectivités. Signons et faisons signer cette charte. Imposons, dans les appels d'offres, que les entreprises candidates respectent les obligations légales en matière d'égalité professionnelle. C'est l'objet de la dernière recommandation.

Il y a toujours mille raisons de remettre à plus tard le débat sur les inégalités : hier, la nécessité d'augmenter le niveau de qualification des femmes, aujourd'hui, la crise économique. Et demain ? Sachons saisir l'opportunité de cette proposition de loi pour fixer des objectifs ambitieux aux partenaires sociaux.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de Mme Claire-Lise Campion sur la proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Quel paradoxe : alors que le code du travail affirme le principe de l'égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes, un écart de salaire d'environ 25 % persiste. Il a même cessé de se réduire depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Les causes en sont multiples. Le travail à temps partiel, le plus souvent subi, concerne à 80 % les femmes ; elles exercent des métiers en moyenne moins qualifiés que ceux des hommes, ont moins de responsabilités d'encadrement, bénéficient de promotions moins rapides ; les interruptions de carrière liées à la maternité, notamment, freinent leur progression dans l'entreprise et réduisent leurs primes d'ancienneté ; l'emploi féminin est concentré dans des secteurs moins rémunérateurs - métiers autour de la famille et services notamment. Enfin, le poids des stéréotypes et des représentations reste fort et influence les choix d'orientation des filles.

Et pourtant, une part de l'écart salarial demeure inexpliquée... sinon par des processus discriminatoires. Pourquoi l'écart salarial entre les hommes et les femmes a-t-il cessé de se réduire depuis quinze ans ? La précarité grandissante du travail est un élément d'explication : 60 % des CDD sont occupés par des femmes et les contrats à temps très partiel se multiplient, par exemple dans la grande distribution. Les « travailleurs pauvres » sont d'abord des femmes, plus particulièrement celles qui élèvent seules leurs enfants. Au bout d'une carrière professionnelle, les écarts de revenus cumulés sont considérables, comme nous l'avions souligné lors du débat sur les retraites.

Pourtant, le législateur a introduit dans le code du travail l'obligation de négocier au niveau des branches et dans les entreprises, en matière d'égalité professionnelle - accès à l'emploi, formation, promotion professionnelle, conditions de travail, conciliation entre vie professionnelle et responsabilités familiales - et d'égalité salariale. Depuis la loi Roudy de 1983, les grandes entreprises ont également l'obligation d'élaborer un rapport de situation comparée. En application de l'article 99 de la loi sur les retraites de 2010, le rapport de situation comparée (RSC) doit comporter un plan d'action avec des objectifs précis. L'absence de plan d'action ou d'accord collectif est passible d'une pénalité - au maximum 1  % de la masse salariale.

Ceci étant, les accords collectifs sont rares et sans grande consistance. L'obligation d'établir le RSC n'est appliquée que dans 45 % des entreprises. Et le décret pris en application de la loi de 2010 a affaibli la portée de la pénalité. Je regrette que le Gouvernement ait ainsi amoindri la mesure qu'il a lui-même fait voter il y a deux ans.

Les obligations prévues par la loi de 2010 sont en retrait par rapport à la loi de 2006 relative à l'égalité salariale. Celle-ci prévoyait une résorption totale des écarts de rémunération à fin 2010. L'objectif ne pouvant être atteint, la loi sur les retraites a purement et simplement supprimé la date butoir. Nous voilà renvoyés aux calendes grecques...

Pour relancer la négociation collective, la proposition de loi comporte deux mesures fortes. Les entreprises devront, dans le cadre de la négociation annuelle sur les salaires, conclure un accord sur l'égalité salariale, à défaut de quoi elles perdraient le bénéfice des exonérations de cotisations sociales et des réductions d'impôt ; je vous présenterai un amendement à ce sujet. L'autre disposition concerne les entreprises qui ne transmettraient pas le rapport de situation comparée à l'inspection du travail. La pénalité serait de 1 % de leur masse salariale.

Ces mesures inciteront les entreprises à engager enfin une action déterminée. Les obligations existantes sont restées lettre morte faute de sanctions dissuasives ou de volonté de les appliquer. L'égalité salariale est en effet une question de volonté politique. Cette proposition de loi en est la première traduction. Elle devra être complétée par d'autres mesures, que Michelle Meunier a esquissées et qui vont jusqu'au partage des tâches domestiques, sans lequel l'égalité professionnelle restera inaccessible.

Des moyens devront être affectés à cette politique, alors que l'on coupe année après année dans les crédits du programme « Egalité entre les hommes et les femmes ». La dotation budgétaire s'élève à seulement 4,9 millions d'euros en 2012, contre 5,5 millions en 2011. Le nombre de contrats d'égalité et de mixité des emplois recule, les subventions aux associations diminuent.

Cette proposition apportant une première réponse aux difficultés rencontrées par les salariées, je vous invite à l'adopter.

M. Georges Labazée. - Les conventions collectives régissent un grand nombre de métiers, ainsi dans le secteur médico-social et des services à la personne, qui est très féminisé. J'approuve pleinement les recommandations du rapport en faveur de la structuration d'un réseau territorial de soutien à la négociation collective. D'un point de vue pratique, il serait intéressant de préciser quelles seront les associations représentatives des collectivités territoriales qui entreront dans ce processus : les conseils généraux seront-ils représentés par l'association des départements de France ? Il en est de même du réseau associatif.

Mme Catherine Génisson. - Afin de remédier à l'insuffisante coordination des services de l'Etat pointée par la cinquième recommandation de l'excellent rapport de Michelle Meunier et à leur faible sensibilisation, qui se traduit notamment par la prise en compte trop superficielle du critère de sexe dans les études des Direccte, je propose que les déléguées régionales aux droits des femmes soient replacées au même niveau hiérarchique que les Sgar, afin de pouvoir bénéficier de l'appui du préfet de région pour mobiliser l'ensemble des services de l'Etat sur ces questions. De même, je me félicite de la volonté de recréer un ministère du droit des femmes.

Il est également très important, dans le prolongement de la septième recommandation, que les collectivités territoriales soient elles aussi sensibilisées : dans la région Nord-Pas-de-Calais, chaque vice-président doit prendre en compte la question de l'égalité professionnelle.

Claire-Lise Campion a tout à fait raison, on n'avance pas beaucoup. L'inégalité salariale n'est souvent que le résultat d'autres inégalités ayant trait à l'embauche, la formation ou encore à la promotion. D'une part, elle s'est accrue du fait de la précarisation du travail, d'autre part, elle est d'autant plus forte que les femmes peinent à accéder aux emplois de direction. Ces constats valant, au-delà du privé, pour les trois fonctions publiques, je déposerai un amendement pour qu'on les prenne en compte.

Il faut également travailler en amont, en luttant contre un certain nombre de stéréotypes par des actions sur l'orientation scolaire des filles et des garçons ou l'articulation des temps de vie, qui n'est elle-même pas sans lien avec l'inégalité salariale car quand l'homme gagne 30 % de plus que la femme, c'est elle qui renonce à son emploi pour s'occuper des enfants ou des parents âgés.

Notre arsenal législatif n'a cessé de s'étoffer depuis la loi Roudy : la loi de 2001 privilégiait la négociation collective et s'appuyait sur les rapports de situation comparée ; celle de 2006, proposée par un gouvernement de droite, a été la première à proposer des mesures coercitives. Mais les remords succédant aux remords, on s'est empressé d'amender ces dispositions reprises dans le projet de loi sur les retraites, d'où la nécessité de passer aux actes, comme le suggère la proposition de loi, en partant des diagnostics établis grâce aux rapports de situation comparée.

Toutefois, ce texte ne suffira pas. L'égalité professionnelle passe par deux conditions : évaluer l'application de la loi en sensibilisant tous les acteurs et se donner les moyens d'agir. Or, comme vous l'avez dit, depuis dix ans, le compte n'y est pas.

Mme Christiane Demontès. - Tout en partageant le constat et les propositions de nos rapporteures, je voudrais dire ma colère quand je me souviens du débat sur la loi sur les retraites de l'automne 2010 au cours duquel le ministre, modifiant au détour d'un amendement le texte adopté par l'Assemblée nationale, avait fait valoir que la question de la retraite des femmes ne relevait pas de ce texte mais de l'égalité professionnelle. Avec de grandes envolées, il le promettait, on allait voir ce que l'on allait voir... Je ne peux qu'être triste et en colère de constater que les décrets d'application ont au contraire marqué un recul. Nous devrions être unanimes comme au moment de ce vote. Notre confiance a été trahie, je me sens Gros-Jean comme devant ! On multiplie les textes et tout se passe en effet comme si certains, en particulier ce Gouvernement, se satisfaisaient fort bien de la réalité actuelle.

Mme Annie David, présidente. - Ayant participé à ce débat « retraites » et constatant le résultat, je confirme qu'on ne peut qu'être en colère.

Mme Isabelle Debré. - Si tout le monde n'était pas en faveur de l'égalité salariale, je ne comprendrais plus notre pays ! Mais la nécessaire volonté politique soulignée par Claire-Lise Campion doit aussi et surtout s'accompagner d'un changement des mentalités. Lorsqu'elle évoque la répartition des responsabilités domestiques et familiales, propose-t-elle de légiférer sur ces questions ?

Quant à nous, responsables politiques, sommes-nous légitimes pour légiférer, alors que nous ne nous appliquons même pas les lois que nous avons votées en la matière ?

M. Ronan Kerdraon. - Vous parlez de M. Fillon pour les législatives ?

Mme Isabelle Debré. - Je ne vise personne mais je livre cela à votre réflexion.

Enfin, madame Campion, lorsque vous envisagez la suppression des exonérations sociales et des réductions d'impôts en l'absence d'accord, ne craignez-vous pas qu'une telle mesure ne contrarie les principes constitutionnels de liberté conventionnelle et de proportionnalité des sanctions ?

M. Marc Laménie. - Il faut bien distinguer le cas des entreprises privées de celui des trois fonctions publiques, dans lesquelles l'égalité est tout de même mieux assurée. En revanche, je partage votre souci de mieux associer les chambres consulaires qui n'abordent jamais le sujet dans leurs réunions sur la vie des entreprises.

Mme Samia Ghali. - Tout en saluant le travail de nos rapporteures, je regrette qu'on ait pris depuis plusieurs années des mesures qui ont aggravé les difficultés des femmes : l'interdiction d'inscrire à l'école les enfants de moins de trois ans pénalise d'abord les familles monoparentales. N'oublions pas l'égalité dans la recherche d'emploi, ce qui n'est pas le cas lorsque les crèches considèrent comme non prioritaire la demande d'une mère qui n'a pas déjà un emploi. Je déposerai sans doute un amendement à ce sujet.

Enfin, les élus demandent aux entreprises de respecter la loi, mais les partis sont prêts à payer de très lourdes amendes pour ne pas appliquer les règles de parité : les politiques ne donnent pas l'exemple. Il est choquant qu'on puisse continuer d'attribuer une valeur marchande aux femmes au point que maintenant, on monnaye leurs droits !

M. René Teulade. - Pas plus que pour les retraites, nous ne sommes ici confrontés à un problème économique ou démographique, mais bien à une question fondamentalement politique, à un choix de société. On l'a bien vu avec l'insertion des handicapés, des collectivités préfèrent gonfler la trésorerie de l'association pour la gestion des fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) : sans volonté politique, on n'y arrive pas, et cette volonté, nous sommes là pour l'affirmer !

Mme Chantal Jouanno. - Notre groupe ne votera pas cette proposition de loi, il s'abstiendra au mieux. La première raison tient au temps insuffisant laissé aux entreprises pour remplir leurs obligations. L'article 99, que nous avons, finalement, voté assez récemment, prévoit des sanctions très lourdes alors que les entreprises ont été prévenues tardivement et que, de surcroît, les négociations en leur sein exigent souvent beaucoup de temps. Les entreprises n'étaient pas prêtes au 1er janvier 2012. Dans un an, nous serons peut-être plus à même de légiférer sur ce sujet, y compris pour envisager un durcissement des sanctions.

Deuxième raison, la remise en cause des allégements sur les bas salaires me pose un problème de principe. Une sanction exprimée en pourcentage de la masse salariale, c'est-à-dire très schématiquement des profits, me semblerait politiquement moins dangereuse qu'un arbitrage entre la place des femmes et les bas salaires.

Troisième raison, le texte semble ne cibler que les entreprises, alors que l'on constate des inégalités dans les collectivités territoriales et dans la fonction publique d'Etat. Certes, on y trouve nombre de femmes mais surtout en catégorie C. Issue du ministère de l'intérieur, j'ai pu constater qu'il y a encore des progrès à faire pour parvenir à la parité.

L'intérêt de ce texte d'appel sera de susciter au Sénat un débat d'autant plus nécessaire que nous avons régressé non seulement sur les salaires, mais aussi sur la représentation des femmes - la recommandation sur ce sujet mérite considération. Oui, il s'agit bien d'une question éminemment politique, la mission qui m'a été confiée sur l'hyper-sexualisation m'obligeant à constater que notre société renforce, hélas, une vision de la femme, davantage fondée sur son apparence que sur son intelligence.

Mme Annie David, présidente. - Peut-on vraiment affirmer que les entreprises ont manqué de temps quand l'obligation imposée par la loi Roudy date de 1983 ? L'argument traduit une méconnaissance de la législation antérieure. L'article 99 de la loi de 2010 ayant en réalité repoussé l'entrée en vigueur de ces mesures, elles auraient déjà dû négocier, comme je l'avais fait remarquer à Eric Woerth en séance. Pour avoir participé aux négociations annuelles obligatoires dans l'entreprise, oui j'étais autrefois salariée, je peux vous dire que l'on n'en parlait jamais malgré nos demandes répétées.

Mme Chantal Jouanno. - Depuis des années, tous gouvernements confondus, on s'est assis sur ces textes.

Mme Annie David, présidente. - Bien sûr !

Mme Chantal Jouanno. - N'allons pas reprocher aux entreprises d'avoir simplement constaté que ces textes n'étaient une priorité pour personne. Il n'est pas illégitime d'en rediscuter dans un an, quand on aura le bilan de l'application de l'article 99.

Mme Annie David, présidente. - Nous verrons dans un an, mais je doute fort que la situation ait beaucoup évolué.

Mme Aline Archimbaud. - Il est inadmissible, en particulier pour le Sénat, qu'une loi ne soit pas appliquée. Je suis moi aussi très en colère face à la pesanteur de la société vis-à-vis du droit des femmes. Un vrai ministère aux droits des femmes, doté de réels moyens, devrait être prioritaire.

Au risque de paraître intransigeante, je soutiens aussi, d'expérience, l'instauration de quotas dans le monde syndical, dont la délégation a débattu. Je l'assume, parce qu'il y a toujours une bonne raison : il n'y a pas de candidates. Et l'on sait pourquoi.

Je rejoins ce qui a été dit sur les femmes en recherche d'emploi. Elles sont pénalisées par les carences de la politique de la petite enfance, les missions locales n'ont plus les moyens de financer des gardes d'enfants. Malgré une évolution dans la nouvelle génération, je suis pour les quotas ainsi que pour des pénalités plus fortes pour les partis politiques qui n'appliquent pas la parité. Elles restent insuffisantes alors qu'on culpabilise les femmes qui s'engagent. Face aux pesanteurs, il faut des mesures draconiennes.

Mme Gisèle Printz. - J'étais déjà sénatrice lors du vote de la loi sur l'égalité professionnelle de 2006. Nous croyions alors que tout allait changer, malheureusement, nous en sommes toujours au même point. C'est pourquoi je défends la création d'un ministère aux droits des femmes.

Je regrette que les emplois précaires soient encore trop souvent dévolus aux femmes. Je rencontre les déléguées aux droits des femmes dans les Sgar ; je souhaiterais qu'elles disposent d'un budget propre, établi sur trois ans, et qu'elles puissent assister aux négociations dans les entreprises, afin d'y promouvoir une autre vision, plus féminine, le monde syndical étant encore trop masculin. Lorsque j'en faisais partie, on me demandait de collecter les cotisations en considérant que j'y parviendrai mieux en tant que femme...

Mme Muguette Dini. - Vous connaissez ma sensibilité féministe et je ne peux qu'approuver tout ce qui a été dit. Si l'inégalité salariale, qui est inacceptable, perdure, c'est avant tout parce que les hommes assument les responsabilités dans les entreprises, comme en politique d'ailleurs. Nous pouvons faire mieux, la loi est nécessaire et il faut l'appliquer strictement. Favorable sur le fond à la proposition de loi, je m'abstiendrai toutefois, compte tenu du contexte électoral, comme nombre d'entre vous l'ont fait sur d'autres textes.

M. Yves Daudigny. - Puisque le statut des trois fonctions publiques n'établit pas de discrimination, à quoi les inégalités observées tiennent-elles ?

Mme Patricia Schillinger. - Un état des lieux est nécessaire. J'avoue être chagrinée chaque fois que je constate que l'égalité entre les hommes et les femmes n'est toujours pas acquise et que ma fille aussi devra se battre. On parle toujours de politique familiale, mais l'égalité n'est pas la règle. Qu'en est-il en Europe et les pénalités sont-elles les mêmes ?

M. Jacky Le Menn. - Je veux, après Mme Debré, mettre l'accent sur le rôle de l'éducation pour faire évoluer les mentalités. Je rejoins Mme Dini sur le peu d'attention accordée à ces questions du fait que les positions de direction sont souvent occupées par des hommes. Chef d'établissement hospitalier pendant plus de trente-cinq ans, j'ai vu que, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, le statut de la fonction publique ne constitue pas, par le système de la grille indiciaire, une garantie maximale contre les discriminations. Les non-titulaires, d'abord, représentent jusqu'à 15 % du personnel. Pour les fonctionnaires, l'avancement dépend en fin de compte de la notation par les supérieurs. Or ces derniers, y compris lorsque ce sont des femmes, se fondent sur des critères tels que la disponibilité, ce qui désavantage particulièrement les mères de famille. Sur dix ans de carrière, le glissement aboutit à un écart de rémunération de l'ordre de 15 %. Les primes sont elles aussi largement attribuées en fonction de la disponibilité. Les dispositions de la loi HPST en matière d'intéressement ne manqueront pas d'accentuer cette pénalisation des femmes, tendance naturelle de cette administration qui appelle un encadrement par des organismes ou commissions extérieures à l'autorité hiérarchique. Je crains que la situation ne soit guère différente dans les autres fonctions publiques.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Je le confirme, les commissions paritaires de la fonction publique hospitalière, majoritairement masculines, désavantagent souvent les femmes, par exemple du fait des congés maternité. Pour élargir le débat, j'espère que la mise en place d'un mandat unique, limitant le cumul à un mandat parlementaire et un seul mandat local, libérera nombre des postes pour les femmes.

Mme Annie David, présidente. - Tout à fait, mais à la condition que nous mettions tout en oeuvre pour imposer la parité - l'objectif n'est pas non plus que les femmes monopolisent les mandats.

Le rapport au Président de la République de la députée Françoise Guégot, publié le 7 mars 2011, dresse un bilan complet de l'égalité professionnelle dans la fonction publique. Celle-ci est loin d'être exemplaire. J'en veux pour exemple l'administration du Sénat qui ne compte qu'une seule femme sur la douzaine de directeurs de service. Je vous signale par ailleurs qu'un amendement au projet de loi relatif à la précarité dans la fonction publique, en cours de discussion, propose d'instaurer, d'ici à 2018, un quota de 40 % de femmes pour les plus hauts postes.

Mme Michelle Meunier, rapporteure pour la délégation aux droits des femmes. - La proposition de loi arrive au bon moment. Notre délégation a choisi comme thème de son rapport annuel la question des femmes et du travail, dans une perspective anthropologique, avec l'objectif de formuler des propositions tangibles. Ce thème, qui renvoie à d'autres discriminations, est complètement politique.

S'agissant de la fonction publique en particulier, je propose que chacun mette en ligne, à la disposition de nos collègues, les documents et références dont il dispose, comme par exemple les travaux du Conseil des communes et des régions d'Europe qui a proposé des mesures concrètes reprises par de nombreux départements tels que la Loire-Atlantique.

Enfin, après avoir entendu la colère, le découragement et les espoirs exprimés ce matin, j'estime que c'est à la fois en tant que parlementaires et qu'élus locaux qu'il nous revient d'agir pour poursuivre la marche de l'égalité pour les femmes en politique.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - La résorption des inégalités salariales exige, comme l'a indiqué René Teulade, une volonté politique forte dont procède cette proposition de loi, même si, notre débat l'a rappelé, cette question participe d'une problématique bien plus large. Nous disposons de multiples moyens d'agir en faveur de cette égalité homme-femme, à commencer par ce débat. Chacun a un rôle à jouer.

Légiférer sur le partage des responsabilités dans la sphère familiale ? Non, il faut plutôt faire évoluer les mentalités, lutter contre les stéréotypes et mener des actions de sensibilisation, dans lesquelles l'école a un rôle essentiel à jouer. Nous devrons aussi traduire concrètement nos recommandations, par exemple en élargissant le congé paternité.

La proposition de loi est la seule façon de faire évoluer la situation actuelle où l'on constate que les textes votés depuis longtemps ne sont pas appliqués : voilà quarante ans que la question est pendante. Quant à la question de l'inconstitutionnalité, notre débat permettra d'enrichir le texte. Sur les allègements de charges, je pense que leur coût, considérable pour les finances publiques, justifie que l'Etat fixe des contreparties.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Mon premier amendement, rédactionnel, corrige notamment une erreur de référence au deuxième alinéa.

Mme Chantal Jouanno. - Nous ne prendrons pas part au vote. Cet amendement me dérange en ce qu'il sous-tend une opposition entre la situation des femmes et la défense de l'emploi, en particulier peu qualifié.

L'amendement est adopté.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Le deuxième amendement au quatrième alinéa vise à remplacer l'expression « représentants du personnel » par celle de « délégués du personnel », plus précise. En outre, la commission de l'égalité professionnelle prépare les délibérations du comité d'entreprise, elle ne rend pas elle-même d'avis.

Mme Catherine Génisson. - Je l'ai dit, je déposerai des amendements sur les fonctions publiques, dans lesquelles les femmes éprouvent des difficultés d'accès aux postes de direction, ainsi que sur le temps partiel subi qui place certaines femmes dans des situations dramatiques. Pour ce qui concerne cet amendement, je crains qu'en ne mentionnant que les « délégués du personnel », on n'exclue les TPE.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Dans les petites entreprises, il n'y a pas de représentant du personnel.

Mme Catherine Génisson. - Les salariés mandatés, dont le principe avait été instauré par la deuxième loi sur les trente-cinq heures, ne sont pas forcément des représentants du personnel.

Mme Annie David, présidente. - Ces salariés mandatés peuvent remplacer le délégué syndical pour négocier, ce qui relève d'une autre problématique. La rapporteure fera le point sur cette question juridique d'ici à mercredi prochain.

L'amendement est adopté.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Le dernier amendement précise ce que recouvre la notion de masse salariale, mentionnée au quatrième alinéa.

L'amendement est adopté.

La commission adopte l'article unique ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Nomination de rapporteurs

La commission procède à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations.

La commission désigne Mme Muguette Dini en qualité de rapporteure.

Elle procède ensuite à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi relative à la gouvernance de la sécurité sociale en Alsace-Moselle.

La commission désigne Mme Patricia Schillinger en qualité de rapporteure.

Enfin, la commission procède à la désignation d'un rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012.

La commission désigne M. Yves Daudigny en qualité de rapporteur pour avis.

Interdire les licenciements boursiers - Examen du rapport et du texte de la commission

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission examine le rapport de M. Dominique Watrin sur la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers.

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Il est devenu urgent de réagir à la montée dramatique du chômage et d'apporter de nouvelles garanties aux salariés face à la multiplication des licenciements boursiers qui consistent en une réduction d'effectifs décidée par une entreprise hors de toute nécessité économique ou industrielle, alors qu'elle continue à distribuer des dividendes.

Chacun se rappelle l'exemple de Michelin annonçant en septembre 1999 un bénéfice semestriel en hausse de 20 %, puis la suppression de 7 500 emplois, soit 10 % des effectifs employés en Europe. Le lendemain, son cours de bourse avait bondi de 11 % ! Dans le même esprit, les résultats très positifs de Lu-Danone, rendus publics en 2001, ont été suivis deux mois plus tard par la suppression de huit cents emplois et la fermeture de deux sites - un à Ris-Orangis et l'autre dans mon département, à Calais. Plus près de nous, le groupe ArcelorMittal - dont les profits se comptent par milliards - a abandonné à leur sort les ouvriers de l'usine sidérurgique de Gandrange malgré les promesses du Président de la République. A n'en pas douter, la fermeture de ce site symbolisera l'échec de la politique industrielle du quinquennat. Enfin, seule la logique financière aveugle explique la fermeture fin 2009 du dernier site de Molex France, alors qu'il était parfaitement rentable. Aujourd'hui, les salariés de Fralib, qui dépend de la multinationale Unilever, se battent pour sauver leur usine.

Si nous voulons stopper l'hémorragie des emplois industriels, dont cinq cent mille ont disparu en cinq ans, il est indispensable que de nouvelles règles du jeu remettent la finance au service de l'économie. Tel est l'objectif de la proposition de loi déposée par le groupe communiste, républicain et citoyen tendant à interdire les licenciements boursiers.

Ce texte tend à mettre un terme aux abus les plus criants parmi les licenciements économiques. Aujourd'hui, quatre motifs peuvent être invoqués pour justifier un licenciement économique : des difficultés économiques, des mutations technologiques, la sauvegarde de la compétitivité ou la cessation de l'activité de l'entreprise. La jurisprudence de la Cour de cassation est claire : les licenciements ne peuvent être décidés dans le seul but d'améliorer les profits ou d'accroître la rentabilité. Sur cette base, la cour d'appel de Paris a condamné Danone le 2 décembre 2010 à indemniser dix-neuf anciens salariés pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Je m'en réjouis, tout en déplorant qu'il ait fallu dix ans de procédure pour arriver à ce résultat. C'est pourquoi il faut aller plus loin.

Nous proposons une mesure efficace et réaliste interdisant aux entreprises de procéder à des licenciements économiques lorsqu'elles ont versé des dividendes au titre du dernier exercice écoulé. Cette disposition s'inspire d'une mesure figurant dans une proposition de loi que Marie-George Buffet a déposée à l'Assemblée nationale et qui a été approuvée, en juin 2009, par l'ensemble des députés de gauche. Elle n'empêcherait pas les entreprises réalisant des bénéfices de licencier, pourvu que les profits servent à financer des investissements, non à rémunérer le capital. En effet, les licenciements par anticipation peuvent parfois éviter des suppressions d'emplois encore plus importantes.

L'objectif est que les premiers efforts soient mis à la charge des détenteurs du capital, qui disposent habituellement d'autres sources de revenus, alors que l'immense majorité des salariés a besoin de travailler pour vivre.

Sans rétablir l'autorisation administrative de licenciement, nous proposons d'attribuer un nouveau pouvoir de vérification à l'inspecteur du travail, dont le procès-verbal pourrait être utilisé devant le juge pour aider les salariés à faire valoir leurs droits.

Outre l'indemnisation due aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse, l'entreprise devrait aussi rembourser les aides publiques perçues, qu'il s'agisse de subventions, d'allégements fiscaux ou d'exonérations de cotisations sociales. Cette sanction me paraît de nature à dissuader les employeurs de méconnaître la règle posée par la proposition de loi ; elle éviterait que l'argent public ne serve à enrichir les actionnaires au mépris des salariés.

Je vous invite à voter cette proposition de loi, sous réserve de deux amendements rédactionnels. Elle répond à l'attente de millions de nos concitoyens désireux de mettre un peu d'ordre et de justice dans notre marché du travail et dans notre économie. Elle constitue la première pierre d'un édifice plus vaste à construire afin que la recherche d'un dividende plus élevé cesse de l'emporter sur la défense de l'emploi et des salaires.

Mme Christiane Demontès. - Cette proposition de loi va dans le bon sens. On peut certes discuter la définition des licenciements boursiers, mais comment ne pas vouloir pénaliser les entreprises qui versent des dividendes tout en licenciant des salariés ? Ce n'est qu'une question de morale !

Appréciant cette proposition de loi et les explications utiles fournies par Dominique Watrin, nous serons attentifs à ses amendements, qui rendent le texte plus lisible.

M. Ronan Kerdraon. - Je vais faire un peu de politique. Qui n'en fait pas ici ? « Il faut opposer l'effort du travailleur à l'argent facile de la spéculation. » C'est ce que M. Sarkozy a déclaré en septembre 2008. Une de ses nombreuses promesses non tenues...

En février 2001, le tribunal de grande instance de Troyes a jugé abusifs des licenciements motivés par l'insuffisance des profits. C'était une première ! Autrefois, on licenciait faute d'avoir un marché ; maintenant, on licencie parce que les profits sont insuffisants, puis on délocalise vers le Brésil, l'Inde ou la Chine. Cette forme de délinquance économique n'est pas sans évoquer celle des « patrons voyous ». De nombreux salariés, des femmes souvent, ont perdu leur travail de cette façon, parfois après vingt-cinq ans d'ancienneté.

Nous soutenons totalement cette proposition de loi. C'est effectivement une question de morale.

M. Jean-Noël Cardoux. - Le rapporteur et les intervenants se sont fondés sur certains abus, mais la philosophie du texte repose sur une méconnaissance de l'économie de marché.

Commençons par son intitulé : il mentionne des « licenciements boursiers » alors que le texte s'applique aussi aux PME, qui ne sont guère cotées en bourse.

Une entreprise a certes besoin de salariés mais aussi de moyens de production. Leur acquisition suppose un apport personnel du chef d'entreprise, l'éventuel investissement direct de personnes privées, parfois l'appel à l'épargne sur le marché des actions, enfin des prêts bancaires. Les banques prennent des garanties pour protéger leurs arrières si l'entreprise cesse son activité. En revanche, les investisseurs peuvent tout perdre, exactement comme les salariés. Il est donc légitime de rémunérer le capital plus généreusement que ne le ferait un Livret A.

Les dividendes sont votés par l'assemblée générale des actionnaires. On peut s'interroger sur leur caractère raisonnable, mais la proposition de loi prenant le sujet par le petit bout de la lorgnette, elle risque de dissuader les investisseurs étrangers de placer leurs capitaux en France, aboutissant ainsi à un résultat inverse de celui recherché.

Une loi a été votée l'an dernier pour imposer à titre expérimental, jusqu'en 2013, que les entreprises employant plus de cinquante personnes versent aux salariés une part de leurs bénéfices lorsqu'elles distribuent des dividendes. Certaines sociétés versent des superdividendes ; il est légitime que les salariés aussi en profitent, même si le sujet n'est pas facile. Cela vaut mieux que d'aller vers un système coercitif, contraire à la démarche économique.

M. René-Paul Savary. - Nous sommes tous sensibles à ce problème, que nous connaissons. Son origine tient au fait que les entreprises sont tenues par des financiers, non par des industriels. Malheureusement, l'attache entre l'entreprise et son personnel a disparu.

Je crains que cette proposition de loi très politique ne soit aisément détournée par les groupes financiers, qui vont localiser les dividendes là où ça les arrange.

Tout comme Jean-Noël Cardoux, je ne veux pas rester les bras croisés face aux drames sociaux, mais il ne faut pas décourager les investissements étrangers. La France est le premier pays destinataire d'investissements étrangers au sein de l'Union européenne, mais notre réputation dans certains domaines a déjà conduit certains investisseurs à s'implanter ailleurs, par exemple pour le fret aérien ou portuaire. Je souhaite que nous approfondissions la suggestion formulée par M. Cardoux.

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Je remercie les intervenants qui soutiennent cette initiative.

Madame Demontès, nous avons évité l'écueil consistant à définir les licenciements boursiers dans le corps du texte, mais nous proposons une règle claire pour aider les salariés à faire valoir leurs droits.

Monsieur Kerdraon, tous les élus locaux connaissent la réalité des licenciements boursiers. Ils ont entraîné à Hénin-Beaumont, que je connais bien, la perte de deux mille emplois.

Monsieur Savary, comment réparer les dégâts sociaux que cela entraîne, avec des décisions de justice qui interviennent dix ans après ? Six ans après leur licenciement, les anciens salariés de Samsonite à Hénin-Beaumont sont encore en justice ! Il faut éviter les licenciements infondés et intervenir en aval. Quand une entreprise s'en va, c'est une catastrophe pour le territoire.

Monsieur Cardoux, d'après l'Insee, les dividendes sont passés, entre 1993 et 2007, de 7 % de l'excédent brut d'exploitation à 16 % et ils ont quintuplé en valeur. Parallèlement, cinq cent mille emplois industriels ont disparu. On peut critiquer ce texte, mais le laisser-faire, laisser-aller ne convient pas !

Certes, la proposition de loi ne règle pas tout. Mais cette première pierre d'un édifice adressera un signal énergique pour que les actionnaires soient les premiers à consentir un sacrifice en cas de difficultés.

M. Gilbert Barbier. - Comment appliqueriez-vous ce texte dans l'hypothèse où une entreprise cotée en bourse supprime cinquante emplois ici mais en crée autant ailleurs, pas nécessairement en France ?

M. Gérard Roche. - Nous sommes tous révoltés par les licenciements boursiers, mais vouloir empêcher la disparition d'emplois ne doit pas conduire à dissuader les investisseurs de venir sur notre territoire. Le dispositif devrait être, au minimum, établi au niveau européen.

Quant à l'article 2, il me paraît tout à fait justifié : la moindre des choses est que l'entreprise concernée rembourse les aides perçues.

M. René-Paul Savary. - C'est déjà le cas !

Mme Annie David, présidente. - Cette obligation figurait dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, mais le dispositif a été supprimé par le gouvernement suivant.

M. René-Paul Savary. - J'ai été conseiller régional. Lorsque le conseil régional accordait une aide à l'emploi, c'était dans le cadre d'une convention imposant aux entreprises de rembourser les sommes perçues si l'objectif n'était pas atteint. Il en va de même pour les aides actuellement versées.

Mme Annie David, présidente. - Vous pourrez donc voter cet article !

M. René-Paul Savary. - Il ne me gêne pas.

Mme Annie David, présidente. - Toutes les régions n'utilisent peut-être pas le type de convention dont vous parliez. Si toutes souhaitent le faire, pourquoi ne pas inscrire la règle dans la loi ?

M. Dominique Watrin, rapporteur. - La suggestion d'une mesure au niveau européen n'est pas illégitime mais les règles de licenciement relèvent, pour l'heure, du droit national. Au demeurant, nous pouvons nous interroger pour savoir si nous voulons une Europe du dumping social ou une Europe de la coopération, du progrès social et du développement.

Si cette proposition de loi n'était pas votée, il faudrait adopter d'autres mesures ayant le même effet.

Supprimer des emplois en France pour en créer en Chine, est-ce licencier ? Oui ! D'ailleurs, les exemples que j'ai cités concernent des entreprises qui ont fermé un établissement en France pour investir à l'étranger. Metal Europ n'a pas agi autrement lorsque le cours du plomb a chuté alors que les exigences réglementaires devenaient de plus en plus pressantes en matière de pollution : son actionnaire suisse, Glencore, a préféré faire travailler des usines au Kazakhstan et en Chine. Résultat : la France a perdu huit cents emplois directs et cinq cents à mille emplois indirects.

M. Claude Léonard. - L'article 2 pourrait être accepté, à condition d'introduire une proportionnalité entre le remboursement et la non-réalisation de l'intégralité des objectifs inscrits dans la convention. Il faut en outre distinguer la suppression d'emplois pérennes et celle de postes intérimaires.

M. René-Paul Savary. - Nous sommes tous sensibles à ces licenciements. Ceci étant, je pense également aux sociétés qui ne distribuent pas de dividendes mais qui licencient chez nous pour délocaliser. Ce texte ne les vise pas. Il n'entend donc pas empêcher les délocalisations.

Au demeurant, l'enchaînement classique observé sur le terrain est le suivant : baisse de l'investissement, baisse des profits, licenciements après qu'un groupe financier a pris les commandes.

En outre, lorsqu'elles s'installent dans un espace spécialement aménagé par une collectivité, les entreprises bénéficient de dépenses publiques sans percevoir de subventions directes. Je pense à la création de zones d'activités ainsi qu'aux infrastructures routières.

Un dernier point : une entreprise peut licencier après avoir satisfait à tous les engagements pris en échange de subventions publiques. Il faut donc rationaliser le dispositif.

M. Jean-Noël Cardoux. - Nous devons être très prudents.

L'article 2 impose de rembourser toutes les aides publiques. Il faudrait se limiter à celles destinées à soutenir l'emploi. Le crédit d'impôt recherche ne devrait pas être concerné.

D'autre part, l'intervention d'une société de capital-risque s'accompagne parfois d'un dividende prioritaire. Il faut prendre en compte ce cas de figure.

M. Georges Labazée. - Des aides publiques peuvent prendre la forme d'avances remboursables ou de subventions directes. Les règlements mis en place par certains conseils généraux ou conseils régionaux imposent déjà le remboursement des subventions.

Mme Christiane Demontès. - A entendre nos collègues, on pourrait croire que la proposition de loi n'a pas d'objet. Sans salariés, il n'y aurait pas d'entreprise. Ils ne sont pas des variables d'ajustement. Nous devons aujourd'hui agir par la loi.

Qu'un salarié puisse dénoncer les modalités de son licenciement est une bonne chose. J'ai, moi aussi, siégé dans un conseil régional. Je connais donc les aides et les avances remboursables qu'on accorde et les aménagements routiers qu'on réalise pour les entreprises. Il n'y a aucune raison que certaines d'entre elles perçoivent des aides, s'en lavent les mains et partent ailleurs. Certes, des conventions existent, mais pourquoi ne pas inscrire leurs principes dans la loi ?

Il ne s'agit pas d'interdire les licenciements économiques mais seulement ceux motivés par un objectif boursier. Licencier parce qu'on manque de clients est une chose, c'en est une autre de licencier pour satisfaire le capitalisme financier. Il faut mettre un peu de morale dans tout ça !

M. Ronan Kerdraon. - Nous ne sommes hostiles ni aux entreprises, ni aux investissements internationaux, car nous ne sommes pas stupides ! Le texte vise seulement une forme de délinquance, comme la fermeture en 2001, par Honeywell, du site de Condé-sur-Noireau malgré un bénéfice atteignant 900 millions de dollars, pour aller ailleurs.

M. Jean-Pierre Godefroy. - En Hongrie !

M. Ronan Kerdraon. - La situation actuelle encourage les délocalisations. Nous devons donc avoir le courage de faire aujourd'hui ce qui aurait déjà dû être décidé avant. Cessez d'agiter le chiffon rouge, comme vous l'aviez déjà fait en 1981, en disant que nous allons dissuader les entreprises étrangères de venir en France !

M. Jean-Pierre Godefroy. - Honeywell a fait preuve d'un machiavélisme extraordinaire, puisque cette entreprise a refusé de remettre en état un site amianté. Désormais, la charge du désamiantage du site reposera exclusivement sur la collectivité nationale. Il faut faire quelque chose !

M. Jean Desessard. - Je voterai cette proposition de loi car on ne peut se contenter de déplorer les pertes d'emplois et les délocalisations en disant que nous en souffrons tous. Un politique doit agir.

En séance, nous aurons l'occasion de reparler de la lutte des classes. En attendant, monsieur Savary, vous me rappelez une discussion que j'ai eue avec un député UMP. Comme il incriminait le coût du travail en France, je lui ai objecté que nous étions le pays européen qui attirait le plus d'investisseurs internationaux. Vous l'avez confirmé aujourd'hui. Lorsqu'ils viennent en France, que cherchent les investisseurs internationaux ? Des entreprises ayant beaucoup d'actifs pour les revendre à la découpe ? Veulent-ils procurer à leurs cadres des conditions de vie agréables, un environnement culturel et naturel préservé, où l'on n'exploite pas le gaz de schiste ?

Monsieur Roche, j'approuverais une intervention européenne, mais nous devons agir dès lors qu'elle n'existe pas. Même le Président de la République se propose de lancer la taxe Tobin dans notre seul pays !

M. René-Paul Savary. - Je ne partage pas votre opinion car le marché règle une part de notre économie. Et je n'ai pas entendu le mot « marché » dans vos propos.

M. Jean Desessard . - Ni moi le mot « salarié » dans les vôtres.

M. René-Paul Savary. - Initialement tenté de voter cette proposition de loi, j'avais, au fil du débat, évolué vers l'abstention, mais ce que vous dites me fera voter contre un texte qui découragerait les investisseurs internationaux.

M. Gérard Roche. - Ce que nous venons d'entendre conforte mon argumentation : il faut moraliser à l'échelle européenne, malheur à celui qui commence seul !

Je rappelle par ailleurs que les avances remboursables consenties par les collectivités territoriales doivent, par nature, être remboursées.

Mme Annie David, présidente. - Monsieur Savary, attirer des investisseurs pour qu'ils viennent, pendant quelques années, profiter de l'argent public avant de repartir ne nous intéresse pas !

Dans ma région, M. Chirac a inauguré en grande pompe une entreprise qui a bénéficié d'argent public avant de fermer sans pénalités. Elle était dirigée par des financiers, non par des entrepreneurs.

J'aimerais que notre pays ait une stratégie industrielle, sans dérouler le tapis rouge devant des investisseurs qui cherchent exclusivement à s'enrichir encore plus sur le dos des travailleurs. Cette proposition de loi permettra aux femmes et aux hommes qui travaillent beaucoup d'être pris en considération.

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Nous poursuivrons le débat en séance mais le fait est que les « patrons voyous » participent d'un système dans lequel le monde de la finance impose ses exigences à l'économie. C'est le cas des fonds d'investissement qui rachètent des entreprises en pensant uniquement au profit qu'ils peuvent en tirer en quelques années, au prix de pressions considérables sur les salaires et l'emploi. Elles sont à bien distinguer des entreprises qui, non soumises à cette domination de la finance, se battent au contraire sur nos territoires pour développer l'activité et l'emploi.

Si l'article 1er, de principe, était respecté, l'article 2, de sanction, n'aurait pas lieu d'être mais l'on sait que la justice est lente et la loi peut être détournée. Il est bien sûr toujours possible de durcir ou d'alléger les modalités de remboursement, mais le texte propose que ces modalités soient fixées par décret en Conseil d'Etat afin, par exemple, de définir jusqu'où remonter dans le temps pour le remboursement des aides.

Certaines entreprises profitent de la jurisprudence actuelle et c'est pourquoi il nous faut être plus exigeants en prenant en compte toutes les aides publiques, c'est-à-dire non seulement les subventions mais aussi les exonérations fiscales ou sociales. Lorsqu'une collectivité accomplit un effort financier pour attirer une entreprise, elle le fait pour créer de l'emploi et, si tel n'est pas le cas, il est normal qu'elle se retourne contre cette dernière.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1er

M. Dominique Watrin. - Le premier amendement vise tout d'abord à prendre en compte, dans la rédaction de l'article 1er, le fait que les dividendes sont versés après la clôture de l'exercice comptable. Il propose ensuite de supprimer la référence aux « actionnaires » pour que le dispositif s'applique à toutes les entreprises, et pas seulement aux sociétés par actions. Enfin, il précise la mission de l'inspection du travail qui pourra être saisie par un salarié à qui un licenciement pour motif économique a été notifié, afin de vérifier si l'entreprise a bien respecté les dispositions de l'article 1er. Le procès-verbal établi par l'inspecteur du travail pourra être présenté au juge, facilitant ainsi la démarche du salarié qui demande à faire valoir ses droits.

L'amendement est adopté ainsi que l'article 1er ainsi rédigé

Article 2

M. Dominique Watrin, rapporteur. - L'amendement propose de préciser la rédaction de l'article 2, qui dispose que toutes les aides publiques sont remboursées quelle que soit leur forme.

M. Gérard Roche. - Bien que nous approuvions l'esprit de cet amendement, nous allons nous abstenir puisque nous ne votons pas le texte.

L'amendement est adopté ainsi que l'article 2 ainsi rédigé.

La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

M. Jean Desessard. - Je n'approuve pas le fait que l'on soumette ce texte à notre adoption alors que, ce matin, nous n'avons pas voté celui relatif au transport aérien.

Mme Annie David, présidente. - Le vote sur l'ensemble du texte de cet après-midi intervient parce que la commission y est favorable dans sa version amendée avec l'accord du groupe dont il émane. Ce n'était pas le cas ce matin dans la mesure où le rapporteur était, sur le fond, défavorable à la proposition.

M. Jean Desessard. - Je ne partage pas l'idée que la discussion d'un texte en séance dépende du fait que le groupe auteur est dans la majorité ou dans la minorité, ou dans la minorité de la majorité. Je veux bien comprendre l'argument des amendements, mais j'estime que toute proposition de loi doit être discutée en séance publique.

Mme Muguette Dini. - Ceci relève d'un accord politique passé sous la majorité précédente afin que la commission ne rejette pas un texte d'emblée et qu'il puisse être discuté en séance publique dans sa version initiale. D'où la décision de ne pas voter explicitement contre une proposition de loi émanant d'un groupe d'opposition ou minoritaire.

M. Jean Desessard. - Je suis tout à fait favorable au droit des groupes à voir les textes qu'ils proposent être discutés en séance publique. Mais pourquoi deux poids, deux mesures ? La même procédure doit s'appliquer à tous.

Mme Annie David, présidente. - Cet accord politique, appliqué par toutes les commissions, permet de préserver les droits de chacun des groupes à bénéficier effectivement de son espace réservé. Si l'on adopte des amendements, on doit ensuite voter sur le texte de la commission qui en résulte. Si le rapporteur n'y est pas favorable, il propose de ne pas se prononcer sur le texte qui viendra ensuite en séance.

M. Jean Desessard. - J'entends bien, mais alors pourquoi ne pas formaliser cela en l'inscrivant dans notre règlement ?

Mme Annie David, présidente. - Une telle disposition risquerait d'être censurée par le Conseil constitutionnel qui examine obligatoirement le règlement des assemblées.

M. Yves Daudigny. - Cet accord ne peut effectivement pas être écrit dans notre règlement puisqu'il implique qu'une majorité renonce à voter, ce qui est une petite entorse aux principes démocratiques.

Mme Annie David, présidente. - Je reconnais que tout cela est complexe puisque la procédure est différente selon le cas.

M. Jean Desessard. - Je vais approfondir cette question...