Mardi 9 octobre 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Suspension de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A - Examen des amendements au texte de la commission

La commission procède à l'examen des amendements sur la proposition de loi n° 27 (2011-2012) visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, dans le texte n° 9 (2012-2013) adopté par la commission le 3 octobre 2012 dont Mme Patricia Schillinger est la rapporteure.

Mme Annie David, présidente. - Nous allons procéder à l'examen des amendements sur la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article additionnel avant l'article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

Jouanno, Farreyrol, Lorrain, Gaillard, Cambon, Duvernois, Bruguière, Giudicelli, B. Fournier, J.P. Fournier, Laufoaulu, Pointereau, Grignon, Dallier, Grosdidier, Revet, J. Gautier, P. Leroy et Hérisson

19 rect

Prescription aux pouvoirs publics d'interdire l'exposition au BPA de certains publics

Retrait

Article 1er 

Auteur

Objet

Avis de la commission

Archimbaud, Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin, Bouchoux, Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé, Lipietz et Placé

25

Extension du champ de la proposition à certains matériels médicaux

Retrait

Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - Les amendements nos 1 rect, 17 rect, 10, 22 rect et 32 apportent une modification rédactionnelle qui me semble restreindre le champ de la proposition de loi ; j'y suis donc défavorable.

M. Gérard Dériot. - Les expressions « produits à base de » ou « fabriqués à partir de » sont plus justes que le mot « comportant » et il serait plus opportun de les utiliser dans le texte.

Mme Catherine Génisson. - Ce n'est pas la même chose.

Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - En effet, on ne peut pas dire qu'une boîte de conserve soit « fabriquée à partir de » bisphénol A, elle est fabriquée à partir d'acier, d'aluminium, de verre ou d'un autre matériau et le BPA est utilisé de manière accessoire.

Article 1er 

Auteur

Objet

Avis de la commission

Barbier, Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Laborde, Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi

1 rect

Précision rédactionnelle

Défavorable

Dériot, Bouchart, Bruguière, Cardoux, Cayeux, Debré, Deroche, Hummel, de Raincourt, Fontaine, Gilles, Giudicelli, Kammermann, Laménie, Longuet, Lorrain, Milon, Pinton, Procaccia, Savary, Bizet, Lecerf, Lefèvre, Cléach, Paul et Jouanno

17 rect

Identique

Défavorable

Adnot, Husson et Türk

10

Précision rédactionnelle

Défavorable

Dini, Tandonnet,
Létard, Dubois
et Vanlerenberghe

22 rect

Identique

Défavorable

Bourdin

32

Identique

Défavorable

Paul, Procaccia, Lenoir et Pierre

6 rect bis

Maintien de l'autorisation pour l'exportation

Défavorable

Paul, Procaccia, Lenoir et Pierre

7 rect bis

Maintien de l'autorisation pour la mise sur le marché

Défavorable

Adnot, Husson et Türk

14

Précision rédactionnelle

Défavorable

Dériot, Bouchart, Bruguière, Cardoux, Cayeux, Debré, Deroche, Hummel, de Raincourt, Fontaine, Gilles, Giudicelli, Kammermann, Laménie, Longuet, Lorrain, Milon, Pinton, Procaccia, Savary, Bizet, Lecerf, Lefèvre et Paul

16 rect

Décalage de la suspension pour les nourrissons au 1er juillet 2013

Défavorable

Adnot, Husson et Türk

12

Conditionnement de la suspension de commercialisation à une décision du Gouvernement

Défavorable

Bourdin

31

Identique

Défavorable

Adnot, Husson et Türk

8

Conditionnement de la suspension et décalage au 1er janvier 2016

Défavorable

Bourdin

30

Identique

Défavorable

Adnot, Husson et Türk

11

Conditionnement de la suspension

Défavorable

Dériot, Bouchart, Bruguière, Cardoux, Cayeux, Debré, Deroche, Hummel, de Raincourt, Fontaine, Gilles, Giudicelli, Kammermann, Laménie, Longuet, Lorrain, Milon, Pinton, Procaccia, Savary, Bizet, Lecerf, Lefèvre, Cléach, Paul, Primas et Jouanno

18 rect bis

Conditionnement de la suspension à une confirmation de l'innocuité des substituts

Défavorable

du Luart

4

Décalage au 1er janvier 2016

Défavorable

Dériot, Bouchart, Bruguière, Cardoux, Cayeux, Debré, Deroche, Hummel, de Raincourt, Fontaine, Gilles, Giudicelli, Kammermann, Laménie, Longuet, Lorrain, Milon, Pinton, Procaccia, Savary, Bizet, Lecerf, Lefèvre, Cléach, Paul
et Primas

15 rect

Identique

Défavorable

Dini, Tandonnet,
Létard, Dubois
et Vanlerenberghe

24 rect

Identique

Défavorable

Aïchi

27

Date de suspension au 1er janvier 2014

Défavorable

Barbier, Mézard, Baylet, Collin, Hue, Laborde, Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi

2 rect

Décalage au 1er juillet 2015

Défavorable

Adnot, Husson et Türk

9

Suppression de l'avertissement sanitaire

Défavorable

du Luart

5 rect

Application de l'avertissement aux seuls produits fabriqués après le décret d'application

Défavorable

Jouanno, Farreyrol, Lorrain, Gaillard, Duvernois, Bruguière, Giudicelli, B. Fournier, J.P. Fournier, Pointereau, Grignon, Hérisson, Laufoaulu, Dallier, Revet, Grosdidier, J. Gautier et P. Leroy

20 rect bis

Suspension de commercialisation pour certains dispositifs médicaux comportant un perturbateur endocrinien

Avis
du Gouvernement

Jouanno, Farreyrol, Lorrain, Gaillard, Cambon, Duvernois, Bruguière, Milon, Giudicelli, B. Fournier, J.P. Fournier, Hérisson, Pointereau, Grignon, P. Leroy, Laufoaulu, Dallier, Grosdidier, Revet et J. Gautier

21 rect bis

Suspension de commercialisation pour certains dispositifs médicaux comportant du BPA

Avis
du Gouvernement

Article 2

Auteur

Objet

Avis de la commission

Archimbaud, Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin, Bouchoux, Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé, Lipietz et Placé

28

Conséquence de l'amendement n° 25

Retrait

Adnot, Husson et Türk

13

Conséquence de l'amendement n° 10

Défavorable

Bourdin

33

Identique

Défavorable

Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - L'amendement n° 3 pose une question importante : la présence de phtalates dans certains matériels médicaux pour nourrissons, notamment des tubulures. Malheureusement, nous ne disposons pas d'une évaluation de l'impact de leur interdiction. N'allons-nous pas priver les hôpitaux de dispositifs indispensables et qu'ils ne seraient pas en mesure de remplacer à brève échéance ? Face à cette incertitude, je propose de demander l'avis du Gouvernement.

M. Gilbert Barbier. - C'est une attitude curieuse parce qu'on a déjà interdit ces phtalates dans les jouets et objets de puériculture. Il s'agit d'un cas précis et il est urgent d'interdire ces tubulures contenant des phtalates. Qui plus est, les produits de remplacement existent bien. Il y a peut-être un problème de coût, mais il ne doit pas primer sur l'impératif de sécurité sanitaire.

M. Bernard Cazeau. - C'est au Gouvernement de prendre ses responsabilités ; je propose donc que la commission donne, à ce stade, un avis de sagesse.

M. Jacky Le Menn. - Je suis d'accord.

Mme Catherine Génisson. - Les tubulures ont une relation directe avec le sang ; c'est pire que de sucer un jouet ! Il y a un risque de contamination directe. Je crois malheureusement que le problème est économique, les matériels sans phtalates sont plus chers.

Mme Samia Ghali. - L'amendement prévoit-il une date de mise en oeuvre ? En tout cas, la sécurité des nourrissons doit être notre priorité.

Mme Annie David. - Je peux comprendre la crainte exprimée par Patricia Schillinger d'une rupture d'approvisionnement de matériels parfois vitaux car la mesure proposée est d'application immédiate.

M. Gilbert Barbier. - Certains services de pédiatrie utilisent déjà du matériel sans phtalates !

M. Jean-Pierre Godefroy. - Dès l'instant où l'on parle de nourrissons ou de service de néonatalogie, j'opterais personnellement pour émettre un avis favorable et voir comment le Gouvernement réagit.

Mme Patricia Schillinger, rapporteure. - Je propose à Gilbert Barbier de rectifier son amendement pour fixer un délai, afin que les hôpitaux aient le temps de s'adapter et, aussi, de bien vérifier qu'il existe des substituts pour tous les matériels visés.

M. Gilbert Barbier. - Je proposerai une rectification en séance.

Article additionnel après l'article 2

Auteur

Objet

Avis de la commission

Barbier, Mézard, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Hue, Laborde, Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi

3 rect ter

Interdiction de certains phtalates dans le matériel médical en contact avec les nourrissons ou les femmes enceintes

Sagesse

Archimbaud, Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin, Bouchoux, Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé, Lipietz et Placé

29 rect

Rapport au Parlement sur les perturbateurs endocriniens

Retrait

Intitulé de la proposition de loi

Auteur

Objet

Avis de la commission

Archimbaud, Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin, Bouchoux, Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé, Lipietz et Placé

26

Amendement de conséquence

Retrait

Dini, Tandonnet,
Létard, Dubois
et Vanlerenberghe

23 rect

Amendement de conséquence

Défavorable

Emplois d'avenir - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire

La commission procède à l'examen des amendements sur le projet de loi portant création des emplois d'avenir dans la rédaction du texte n° 2 (2012-2013) proposé par la commission mixte paritaire.

Mme Annie David, présidente. - Le Gouvernement a déposé trois amendements sur les conclusions de la commission mixte paritaire relatives au projet de loi portant création des emplois d'avenir. Ils ne posent pas de problème de fond puisqu'ils visent seulement à procéder à des modifications rédactionnelles ou de coordination.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 3
Dématérialisation de la procédure de prescription des contrats aidés

Auteur

Objet

Avis de la commission

Gouvernement

1

Amendement rédactionnel

Favorable

Article 4
Application dans les départements d'outre-mer

Auteur

Objet

Avis de la commission

Gouvernement

2

Coordination

Favorable

Gouvernement

3

Coordination

Favorable

Mercredi 10 octobre 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) - Audition de Mme Agnès Jeannet, candidate pressentie pour le poste de présidente

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de Mme Agnès Jeannet, candidate pressentie pour le poste de présidente de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Mme Annie David, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons ce matin Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales, auquel le Gouvernement souhaite confier la présidence de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Cette audition a lieu en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, tel qu'il résulte de la loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

Cet article prévoit l'audition préalable par les commissions concernées, avant leur nomination, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agences sanitaires. Nous avons mis en oeuvre cette procédure à plusieurs reprises, notamment il y a deux semaines pour l'Etablissement français du sang.

Je rappelle qu'il s'agit dans ce cas d'une consultation préalable des commissions, et non d'un avis préalable, à la différence des fonctions entrant dans le champ de l'article 13 de la Constitution, pour lesquelles nous sommes appelés à voter.

Comme vous le savez, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), elle-même héritière de l'Agence du médicament, est devenue au mois de mai dernier l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), conformément aux dispositions votées il y a un an dans la loi relative à la sécurité sanitaire du médicament.

Les attributions de l'ANSM ont quelque peu été élargies par rapport à celles de l'Afssaps. La composition du conseil d'administration a été substantiellement remaniée, avec la présence de parlementaires dont deux sont présents aujourd'hui, Jean-Louis Lorrain et Bernard Cazeau, de l'assurance maladie et des associations. L'accent a été mis sur la transparence des décisions et la prévention des conflits d'intérêts.

Je vous rappelle que nous avons reçu il y a quelques mois le Professeur Dominique Maraninchi, avant sa nomination comme directeur général de l'ANSM, fonction qu'il occupait déjà à l'Afssaps.

Agnès Jeannet est quant à elle pressentie pour la présidence de l'ANSM.

Je lui souhaite la bienvenue et lui propose d'évoquer dans un premier temps son parcours professionnel, la façon dont elle aborde la fonction que le Gouvernement souhaite lui confier et les enjeux auxquels l'ANSM est confrontée, y compris, une restructuration qui préoccupe fortement les personnels.

Je précise qu'outre sa biographie, qui vous a été distribuée, Agnès Jeannet m'a fait parvenir une copie de sa déclaration publique d'intérêts, ce dont je la remercie vivement. Ce document ne mentionne aucune activité, aucun fait ou intérêt susceptible d'être soumis à déclaration.

Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai effectivement l'honneur de présenter ma candidature au poste de présidente du conseil d'administration de la nouvelle agence chargée de la sécurité des produits de santé qui, je le précise, n'est pas un poste exécutif. Avant de vous exposer mon parcours professionnel et ma vision du rôle de l'agence, je souhaite insister sur quelques éléments de contexte qui me semblent très importants.

L'agence se trouve dans une période très délicate car elle doit assurer la transition entre deux systèmes, l'ancien et le nouveau. Aussi est-elle confrontée à la fois à un enjeu de continuité et à un enjeu de transformation. Elle doit en effet continuer à remplir les missions qui lui ont été confiées par la loi, tout en transformant ses règles de fonctionnement. A ce titre, la nomination de l'ancien directeur de l'Afssaps à la direction de la nouvelle agence est gage de continuité entre les deux structures.

Le contexte est aussi marqué par l'urgence, car les victimes des drames sanitaires passés exigent une très grande réactivité de la part de l'agence. Il faut donc agir le plus vite possible, ce qui n'est pas facile dans une période de transition.

Mais je sais, pour m'être déjà entretenue avec son directeur, que toutes les équipes de l'agence sont conscientes de ces enjeux et pleinement mobilisées.

Le principal défi, déjà identifié en 2006 par Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet dans leur rapport « Les conditions de mise sur le marché et de suivi - Médicaments : restaurer la confiance », est celui de restaurer la confiance, ce qui doit nous inciter à beaucoup de modestie et de vigilance. De la modestie parce qu'en matière de sécurité sanitaire, il n'existe pas de recette miracle : tout doit être testé, retesté, réassuré et prouvé. La contestation la plus forte, aujourd'hui, porte sur les conflits d'intérêts des experts, qui fondent les décisions de l'agence. Il s'agit d'un sujet majeur auquel il faudra répondre de la manière la plus transparente. De la vigilance parce que même lorsque les risques sont identifiés, les réponses ne sont pas forcément au rendez-vous. Preuve en est, les recommandations formulées dans ce rapport sénatorial n'ont pas été suivies d'effet.

Dans ce contexte, l'agence a le devoir de rendre compte. Pour cela, elle a la chance de pouvoir compter sur l'investissement des parlementaires qui siègent au sein de son conseil d'administration.

Mon parcours professionnel m'a amenée à exercer deux métiers.

L'inspection générale, qui est mon métier d'origine, présente deux facettes : une fonction de contrôle, où il s'agit de vérifier la régularité et la conformité ; une fonction d'inspection, qui peut parfois amener à révéler une défaillance humaine. Ce métier m'a permis pendant quinze ans d'embrasser tout le spectre des politiques sociales.

Dans le champ de la santé, plusieurs missions m'ont été confiées. En collaboration avec l'inspection générale des finances, j'ai travaillé sur la réforme de l'assurance civile médicale. Avec l'inspection générale de l'éducation nationale, j'ai été chargée de proposer les voies et moyens de mise en place de la filière universitaire de médecine générale. Plus récemment, j'ai effectué deux missions de sécurité sanitaire, plus sensibles : une enquête sur un cas d'infection nosocomiale dans un grand établissement public de santé et un audit des procédures de contrôle interne de l'Institut national de veille sanitaire (InVS).

C'est un métier que j'aime beaucoup car il permet de rencontrer les acteurs des politiques sociales et de développer une aptitude au jugement, au « savoir dire ».

Le deuxième métier que j'ai exercé est le management. J'ai ainsi assuré des missions de gestion dans des grandes structures du champ social, telles que le Comité français d'éducation pour la santé (CFES), ancêtre de l'Inpes, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. J'ai été secrétaire générale chargée de la gestion du siège de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). J'ai également occupé des fonctions de chef de service à la direction générale du travail, où j'ai appris le droit du travail « à la source ».

La fonction qui m'a le plus marquée est celle que j'ai exercée pendant six ans à la direction générale de l'Agence française du sang. Elle m'a permis de suivre tout le cycle de la réforme de la transfusion, lancée en 1992 et qui a abouti à la loi de 1998.

De ces six années passionnantes, j'ai tiré plusieurs enseignements. Tout d'abord, le temps est la première condition du succès d'une réforme de la sécurité sanitaire ; il n'est en effet pas possible de réformer tout le système d'un seul coup. Il aura ainsi fallu six ans et deux lois pour faire évoluer le dispositif de transfusion sanguine. La première étape a été celle de la remise en cause des structures existantes avec notamment la dissolution de la Fondation nationale de transfusion sanguine, remplacée par la première agence française du sang. Dans une deuxième étape, une nouvelle agence a été mise en place, l'Agence française du sang, et les établissements de transfusion sanguine ont été réorganisés sur une base régionale. La troisième étape a consisté en la création, à l'initiative du Sénat, d'une agence de contrôle des produits de santé, l'Afssaps, pour avoir une vision globale des risques.

J'ai ensuite pris conscience de la nécessité d'associer étroitement les professionnels de santé. Dans le cas de la réforme de la transfusion, ceux-ci étaient particulièrement traumatisés et mûs par un sentiment d'incompréhension. Il a donc fallu entreprendre un long travail de pédagogie.

Enfin, cette expérience m'a convaincue de la nécessité d'associer la société civile à la mise en oeuvre de toute réforme de la sécurité sanitaire car il s'agit là d'une affaire citoyenne.

A l'issue de cette présentation, vous aurez compris que je ne suis ni une spécialiste du médicament, ni une scientifique. Mais mon parcours professionnel m'a permis d'acquérir une bonne connaissance du fonctionnement des agences contribuant au dispositif de sécurité sanitaire.

S'agissant de ma vision du rôle de l'agence, je crois qu'il est important d'agir à quatre niveaux : celui de l'agence elle-même, celui de l'articulation avec les autres agences de santé, celui des autres acteurs du système de santé - professionnels de santé et industriels -, enfin au niveau européen.

La loi du 29 décembre 2011 n'a pas modifié les éléments fondateurs de l'agence - celle-ci reste une agence de service public, dotée de pouvoirs de police sanitaire au nom de l'Etat - mais elle impose une refondation, qui repose sur deux objectifs : celui de l'indépendance de l'expertise et celui de la transparence des décisions.

Concernant l'articulation avec les autres agences, deux enjeux se posent. Le premier est celui d'une bonne articulation avec la Haute Autorité de santé (HAS) qui a en charge d'une part, la commission de la transparence, donc la définition de la valeur ajoutée thérapeutique des produits de santé, d'autre part, la communication et l'information vis-à vis des professionnels de santé, domaines dans lesquels l'agence a aussi une responsabilité.

Le deuxième enjeu concerne l'articulation avec l'Institut national de veille sanitaire (InVS), qui est chargée d'une mission de vigilance transversale d'observation de la population dans son environnement de travail et de vie. Il faudra que cette vigilance soit coordonnée avec celle sur les produits de santé, qui relève de l'agence, et avec celle sur les actes des professionnels, qui incombe à la HAS.

S'agissant des autres acteurs de santé, l'agence doit entretenir des relations, en amont, avec les industriels, qui sont porteurs de l'innovation thérapeutique, avec les associations de patients, qui sont les premiers concernés, et en aval, avec les professionnels de santé qui prescrivent les produits.

Le dernier champ d'action est européen. Vous le savez, la sécurité sanitaire dépend, en termes de produits, de plus en plus de la réglementation européenne. Nous devons donc faire évoluer ces règles si celles-ci nous semblent insuffisantes et participer activement aux instances de contrôle et de veille européennes, notamment en matière de pharmacovigilance.

Le conseil d'administration, qui n'est pas un conseil de surveillance, a d'abord un rôle stratégique d'orientation et de suivi. Il assure ensuite, s'agissant du fonctionnement interne de l'agence, l'équilibre entre les missions, les moyens et l'organisation. Le conseil devra également rechercher les moyens de rendre attractifs les métiers d'évaluation et de contrôle de l'agence.

Sur les orientations stratégiques, le défi central se situe en aval ; il s'agit de la mise sur le marché des produits de santé. Trois points me semblent cruciaux. L'agence doit d'abord veiller à ce que le rapport bénéfice-risque soit toujours satisfaisant. Elle a ensuite, en collaboration avec la HAS, un rôle à jouer en matière de prescription. Dans le cadre de la réforme en cours du dispositif de pharmacovigilance, elle se doit également d'appliquer les dispositions législatives relatives à la surveillance des risques, à la fois dans une logique réactive et proactive.

Le conseil d'administration aura également à suivre la mise en oeuvre du programme de travail de l'agence ; il devra vérifier que les orientations stratégiques seront respectées selon un calendrier qu'il aura défini ; il aura à statuer sur les méthodes de travail de l'agence, en fixant notamment le format, la composition et le rôle des commissions, et en évaluant leurs résultats. Enfin, il me semble important que le conseil suive le plan d'identification et de maîtrise des risques de gestion internes.

Mme Annie David, présidente. - Je vous remercie pour cette présentation très complète de votre parcours professionnel et de votre vision stratégique de l'ANSM. Pour ma part, le fait que vous ne soyez pas une spécialiste du médicament ne me semble pas être un inconvénient, bien au contraire.

Mme Catherine Génisson. - A mon tour de vous remercier pour votre intervention, notamment pour avoir insisté sur l'indépendance des experts, qui est une question majeure. On parle beaucoup de recherche fondamentale mais la recherche clinique est, elle aussi, très importante. Avez-vous des propositions à nous faire à ce sujet ? S'agissant des agences de sécurité sanitaire, dont les compétences se recoupent, ne pensez-vous pas qu'il faudrait simplifier ce maquis ? Sur les systèmes d'alerte, des liens étroits avec les agences régionales de santé (ARS) ne vous paraissent-ils pas devoir être tissés ?

M. Bernard Cazeau. - J'aimerais connaître la répartition des rôles entre le président du conseil d'administration et le directeur de l'agence. Existe-t-il une relation hiérarchique entre les deux ? Vous avez parlé de l'échelon européen. Il me semble, bien sûr, très important que nous soyons présents dans les instances européennes de sécurité sanitaire, à condition toutefois que nous gardions notre indépendance. Qu'en pensez-vous ?

M. Guy Fischer. - Les laboratoires pharmaceutiques ont aujourd'hui acquis un poids économique à l'échelle mondiale. Quelle analyse faites-vous de cette situation ? Quel avis portez-vous sur la politique du médicament en France ?

Mme Annie David, présidente. - Pourriez-vous nous dire quelles pistes vous envisagez d'une part, pour rendre attractif le métier de chercheur, d'autre part, pour avancer sur la question de l'indépendance des experts ?

Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales. - S'agissant de la recherche clinique, il me semble primordial d'assurer son indépendance, via un financement public. Bien sûr, l'état actuel des finances publiques ne permet pas d'investir dans tous les domaines ; il faut donc définir des secteurs stratégiques, sur lesquels porter les efforts.

Sur l'attractivité du métier du chercheur, l'un des leviers est la construction de partenariats entre d'un côté l'agence, de l'autre, les universités et les centres de recherche. Là encore, l'investissement public a un rôle important à jouer.

Personnellement, je ne trouve pas qu'il y ait un maquis d'agences. Les trois structures intervenant dans le champ de la sécurité sanitaire, la HAS, l'InVS et l'ANSM, représentent trois pôles d'expertise distincts, bien qu'étroitement liés. Le système d'ensemble, tel que conçu par la loi de 1998, me semble donc clair et efficace. En revanche, il est vrai que la question des frontières de compétences se pose et mérite d'être travaillée, notamment s'agissant de la santé au travail.

Les ARS sont, en effet, un lieu stratégique pour la coordination des alertes mais qui n'est pas encore abouti. Il existe aujourd'hui, à leur niveau, une plate-forme de signalement, à laquelle participent les cellules régionales de l'InVS. Celle-ci pourrait utilement devenir multirisque, en veillant toutefois à ce que les compétences de chacun des acteurs ne soient pas fagocitées.

Concernant l'Union européenne, la seule arme dont nous disposons pour garantir notre indépendance est la prescription, qui relève encore des autorités nationales.

Je ne connais pas suffisamment le sujet des laboratoires pharmaceutiques pour faire une analyse de leur poids économique mondial. En revanche, je m'inquiète du phénomène des fausses innovations portant sur les médicaments. Nous manquons certainement d'une autorité de régulation des innovations à l'échelle européenne ou internationale.

M. Bernard Cazeau. - Privilégiez-vous la sécurité ou l'innovation ?

Mme Agnès Jeannet, inspectrice générale des affaires sociales. - C'est justement le coeur de métier de l'agence que d'évaluer le rapport bénéfice-risque d'une innovation.

Sur la relation entre le président du conseil d'administration et le directeur de l'agence, celle-ci ne se pense pas en termes hiérarchiques. Je la vois plutôt comme un binôme, dont chaque membre est complémentaire l'un de l'autre. Cette complémentarité est d'autant plus importante que l'agence est en pleine transformation et à des objectifs à atteindre. D'ailleurs, le directeur actuel est médecin, ce que je ne suis pas. J'insiste en outre sur le fait que le président doit faire le lien entre le conseil d'administratif et l'équipe exécutive.

Mme Annie David, présidente. - Il est important, en effet, que le trio directeur-président-conseil fonctionne bien pour faire avancer l'agence.

Création de la Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement - Examen du rapport pour avis

La commission procède à l'examen du rapport pour avis sur la proposition de loi n° 747 (2011-2012) relative à la création de la Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement dont Mme Aline Archimbaud est la rapporteure.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'expertise publique française a été structurée par les crises sanitaires du début des années 1990. Affaires du sang contaminé ou de l'hormone de croissance, scandales de l'amiante ou de la vache folle ont amené la création d'agences d'expertise souvent dotées de pouvoirs de régulation afin de permettre de prendre rapidement les décisions scientifiquement fondées susceptibles de protéger la santé humaine.

Ces agences, quelle que soit la qualité de leur travail et le dévouement de leurs agents, n'ont pas empêché la survenance de nouvelles catastrophes comme celle d'AZF ou le scandale du Mediator.

La succession des crises, et leurs pendants que sont les sur-réactions des autorités publiques à des menaces sanitaires, ont durablement mis en cause la confiance de nos concitoyens dans les institutions publiques, comme le montrent notamment les craintes autour de la vaccination contre l'hépatite B ou lors de la pandémie de grippe H1N1.

Parallèlement la diffusion des alertes sanitaires et environnementales est apparue comme entravée par les pressions auxquelles sont soumis les lanceurs d'alerte potentiels et par le risque d'inertie des institutions publiques.

Or une politique sanitaire et environnementale efficace est indispensable. Elle repose sur la crédibilité de l'action publique et sur l'implication des citoyens. Deux conditions doivent donc être réunies : l'expertise publique doit être irréprochable et ceux qui feront part de leurs doutes raisonnables sur l'impact d'un produit ou d'une activité ne doivent pas subir de pressions ou de rétorsions. Il convient de garantir l'indépendance de l'expertise et d'assurer tant la protection des lanceurs d'alerte que la prise en compte de leurs signalements quand ils sont fondés.

La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a déjà eu comme intention d'apporter des améliorations en matière d'indépendance de l'expertise et de protection des lanceurs d'alerte. A plusieurs égards cependant ce texte, dont la portée est limitée au domaine sanitaire, semble imparfait et sa mise en oeuvre insatisfaisante. Il convient donc de lui apporter des compléments.

Tel est l'objectif poursuivi par la proposition de loi déposée par Marie-Christine Blandin et les membres du groupe écologiste dont notre commission s'est saisie pour avis.

Son dispositif prévoit d'introduire dans notre droit trois innovations :

- la création d'une Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement (HAEA) chargée « d'énoncer les principes directeurs de l'expertise scientifique et technique en matière de santé publique et d'environnement, d'en vérifier l'application et de garantir la mise en oeuvre des procédures d'alerte » ;

- la mise en place au sein des entreprises de plus de onze salariés d'une cellule d'alerte sanitaire et environnementale ;

- la protection de tous les lanceurs d'alertes sanitaires et environnementales.

J'ai examiné la proposition de loi dans un esprit constructif qui correspond aux souhaits de son auteure. Plus que la lettre du texte proposé c'est son objectif qu'il importe de faire entrer dans notre législation.

Mes travaux se sont principalement orientés sur l'articulation entre la proposition de loi et les dispositions existantes dans le code du travail. Dans le cadre du Protocole organisant la concertation avec les partenaires sociaux, la présidente de la commission des affaires sociales et le président de la commission du développement durable ont saisi les partenaires sociaux du texte de la proposition de loi afin de recueillir leur avis. J'ai souhaité compléter ces réponses par l'audition des partenaires sociaux et ai ainsi pu entendre le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGT, les autres syndicats n'ayant pas souhaité ou pas pu répondre à ma demande dans les délais d'examen fixés.

La question de l'expertise sanitaire relevant également du champ de compétence de la commission des affaires sociales j'ai entendu sur l'ensemble des dispositions de la proposition de loi le point de vue d'un acteur indépendant particulièrement impliqué sur cette question, la revue Prescrire.

S'agissant de la création de la HAEA, les partenaires sociaux m'ont fait part de deux objectifs principaux, l'efficacité et l'absence de redondance avec les compétences des agences existantes, en particulier l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dont ils sont partie prenante.

Ainsi, si la mise en place de normes centralisées pour définir les conditions d'indépendance de l'expertise ainsi que le contrôle des déclarations d'intérêt leur paraissent utiles, ils sont opposés à l'idée que la nouvelle instance dispose de pouvoirs d'expertise propres dont la constitution leur paraît difficile et la mise en oeuvre peu efficace. La revue Prescrire rejoint cette analyse mais estime utile la possibilité accordée à la HAEA de saisir directement le ministre d'une alerte afin de surmonter l'éventuelle inertie d'une agence.

Concernant la mise en place d'une procédure de recueil des alertes dans l'entreprise et le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte, mesures qui, du fait de leur impact sur le droit du travail, relèvent du champ de la négociation nationale interprofessionnelle, les organisations consultées m'ont informée qu'elles n'envisageaient pas d'ouvrir une négociation à ce sujet.

Elles ont toutefois fait part de plusieurs remarques qui, malgré des points de vue parfois éloignés, laissent apparaitre un consensus. Les organisations patronales (Medef, UPA, CGPME) se sont montrées réticentes à l'idée de créer une cellule d'alerte dans chaque entreprise. Le Medef a malgré tout souligné la nécessité d'assurer une meilleure cohérence en matière de veille et d'alerte. Pour les représentants des employeurs, la création d'une nouvelle institution représentative du personnel (IRP) n'est pas opportune alors que de nombreuses entreprises sont victimes de la situation économique peu favorable. De plus, le Medef a, lors de son audition, fait valoir que la négociation sur la modernisation du dialogue social, qui a débuté en 2009, est toujours en cours et porte notamment sur la réforme des IRP.

Les organisations représentatives des salariés (CFDT, CFTC, CGT) ont estimé que la solution la plus pertinente serait de confier les missions que la proposition de loi donne à la cellule d'alerte au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou, en son absence, aux délégués du personnel, car le lien entre conditions de travail, santé publique et environnement est désormais avéré. Elles ont mis en avant le caractère concurrent de cette structure envisagée par la proposition de loi par rapport aux IRP existantes et le besoin de renforcer celles-ci pour expliquer leurs doutes sur la nécessité de créer une cellule d'alerte dans chaque entreprise.

De fait, les questions que la proposition de loi laisse sans réponse sont celles de la composition et des modalités de désignation de la cellule ainsi que son indépendance vis-à-vis de l'employeur. Les dispositions applicables au CHSCT et à ses membres garantissent d'ores et déjà leur indépendance et leur protection contre un licenciement abusif. Cette IRP pourrait donc jouer le rôle de filtre des alertes dont les salariés la saisiraient, permettant ainsi d'écarter les signalements infondés ou de mauvaise foi.

La CFDT a rappelé l'existence d'un certain nombre de dispositions en matière d'associations des IRP aux questions environnementales ainsi que les avancées de la loi Bachelot de 2003 qui n'ont, jusqu'à présent, jamais été utilisées. Cela s'explique par le manque de formation des membres des CHSCT dans les domaines très techniques que sont les risques sanitaires et environnementaux. Son représentant, tout comme celui de la CGT, a donc suggéré que leur droit à la formation soit renforcé.

Toutes les organisations syndicales ont insisté sur l'autocensure dont font preuve les salariés ainsi que les pressions qu'ils subissent lorsqu'ils cherchent à révéler un risque lié à l'activité de leur entreprise. Dans la période actuelle de chômage élevé, le chantage à l'emploi dont ils peuvent être les victimes est souvent dissuasif. C'est la raison pour laquelle elles prônent avant tout une extension du droit de retrait reconnu au salarié et du droit d'alerte du CHSCT aux conséquences sur la santé publique et l'environnement des méthodes de production de l'entreprise.

Enfin, la CFTC a considéré que la difficulté majeure, pour les salariés, consiste à accéder à la connaissance scientifique nécessaire pour démontrer les risques dont ils soupçonnent l'existence. Celle-ci est souvent fragmentée dans l'entreprise, ce qui ne permet pas forcément à une personne isolée et non experte de reconnaître une situation de danger et de lancer une alerte. C'est pourquoi il a été suggéré de s'appuyer sur les réseaux de vigilance existants, en particulier les groupes d'alerte en santé au travail (Gast) qui sont en cours de déploiement auprès des agences régionales de santé (ARS), sous l'égide de l'institut de veille sanitaire (InVS).

La commission du développement durable n'ayant pas adopté de texte, c'est celui déposé par Marie-Christine Blandin qui sera discuté en séance publique. Les amendements que je vous propose concernent les titres 2 et 3 de la proposition de loi, relatifs à l'entreprise. Ils reprennent les éléments de consensus qui ressortent de l'audition des partenaires sociaux. Je n'aborderai donc pas la question générale de la Haute Autorité et de ses compétences, même si je vous ai fait part de la position des partenaires sociaux et de la revue Prescrire.

Je vous propose d'adopter plusieurs amendements tendant à supprimer les cellules d'alerte dans les entreprises telles qu'elles sont proposées dans la proposition de loi initiale et à intégrer la mission de veille sanitaire aux compétences du CHSCT ou, en leur absence, à celle des délégués du personnel.

Il convient donc de modifier plusieurs articles du code du travail, et notamment :

- l'article L. 4612-1, qui définit les missions du CHSCT, afin d'y ajouter la protection de l'environnement et de la santé publique ainsi que l'examen des alertes transmises par les salariés ;

- l'article L. 4612-5, à propos du pouvoir d'enquête du CHSCT, pour lui permettre d'enquêter sur les alertes sanitaires ou environnementales qu'il reçoit ;

- l'article L. 4612-8, qui porte sur les consultations obligatoires du CHSCT, afin de prévoir qu'il soit consulté dès lors qu'une modification des méthodes de travail de l'entreprise pourrait avoir un impact sur la santé publique ou l'environnement ;

- l'article L. 4614-12, qui permet au CHSCT de faire appel, en cas de risque grave dans l'entreprise ou de projet modifiant les conditions de travail, à un expert, pour l'étendre aux problèmes sanitaires ou environnementaux qui peuvent être posés par l'activité de l'entreprise.

Il est également nécessaire d'élargir le droit de retrait reconnu à tout salarié par l'article L. 4131-1 et le droit d'alerte dont disposent les représentants du personnel au CHSCT en vertu de l'article L. 4131-2 afin d'inclure les risques sanitaires et environnementaux.

Pour garantir la meilleure protection possible des lanceurs d'alerte contre les représailles qu'ils pourraient subir dans le monde du travail, il est apparu nécessaire de modifier également l'article L. 1132-1 du même code, qui pose le principe général de non-discrimination, pour ajouter à la liste des personnes ne pouvant être écartées d'un recrutement, sanctionnées ou licenciées celles qui, de bonne foi, ont été à l'origine d'une alerte.

Il faut également garantir la possibilité, pour un citoyen ou un salarié d'une entreprise de moins de onze salariés, de pouvoir lancer une alerte. Il est donc nécessaire de prévoir qu'ils puissent saisir le directeur général de l'ARS ou le préfet de département s'ils ont connaissance d'un risque sanitaire ou environnemental grave.

Enfin, afin de garantir l'information des IRP compétentes sur les questions environnementales, l'obligation de consultation du comité d'entreprise sur le rapport de développement durable de l'entreprise doit être rétablie.

Ces propositions de modifications sont empreintes d'un souci de pragmatisme et d'efficacité. Elles ne préjugent pas du débat en séance sur l'existence de la Haute Autorité de l'expertise et sur ses missions. Elles sont simplement destinées à garantir que le dispositif, s'il est voté, s'intégrera à la vie des entreprises et contribuera à renforcer la sécurité sanitaire et environnementale de notre pays.

Mme Catherine Génisson. - Je tiens à saluer l'objectivité du rapport présenté par notre collègue qui a analysé précisément les conséquences qui pourraient découler de l'application du texte. Concernant la proposition de créer une Haute Autorité, j'observe que les agences existantes forment déjà un véritable « maquis » et qu'il convient donc de mener une réflexion approfondie avant d'envisager d'en créer une nouvelle. De même, s'agissant des entreprises, la rapporteure a souligné le risque de « télescopage » avec les actuelles IRP. En règle générale, aucune entreprise ne souhaite qu'un danger résulte de ses produits ou de ses procédés de fabrication. Il me paraît surtout nécessaire d'insister sur le renforcement de la formation et de la transparence.

M. Jean-Noël Cardoux. - Cette proposition de loi est, à l'évidence, inspirée par de bons sentiments, mais elle apporte des réponses très fragmentaires à des questions de grande ampleur et tend à faire de l'entreprise le coeur du problème.

Les amendements évoqués par la rapporteure marquent un recul par rapport à l'ambition initiale du texte puisque la création de cellules d'alerte serait abandonnée au profit d'un élargissement des compétences du CHSCT. J'estime toutefois que les entreprises n'ont pas besoin de charges supplémentaires ; or les modifications envisagées risquent de rendre les procédures plus complexes et consommatrices de temps. Je ne suis pas hostile, par principe, à un toilettage du code du travail, s'il s'avérait nécessaire, mais celui-ci devrait être précédé d'une réflexion approfondie et d'une véritable concertation avec les partenaires sociaux. Je voudrais également attirer l'attention sur les risques qui peuvent découler de la médiatisation de « fausses alertes », qui sont susceptibles d'affecter durablement la réputation d'une entreprise même si elles se révèlent infondées.

Enfin, quels seraient les coûts de fonctionnement de la Haute Autorité ? Il serait sans doute raisonnable de procéder d'abord à un bilan du fonctionnement des agences existantes pour éviter d'éventuels doublons.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je remercie à mon tour la rapporteure pour son honnêteté intellectuelle et son pragmatisme. Toutefois, je note que la Cour des comptes a dénombré 1 249 agences, de toutes sortes, ce qui m'amène à m'interroger sur l'opportunité d'en créer une nouvelle qui serait chargée de contrôler les autres. N'est-ce pas la responsabilité du Gouvernement, et notamment du ministère de la santé, d'exercer cette fonction de contrôle ? Ce n'est pas à la rapporteure de me répondre car j'ai bien compris que cette question n'entre pas dans le champ de son rapport.

En ce qui concerne les CHSCT, je peux témoigner qu'ils jouent déjà un rôle d'alerte en matière de santé. Les salariés peuvent les saisir quand ils ont un doute sur l'impact de leurs conditions de travail sur leur santé. Il ne serait donc pas choquant d'ajouter à la liste de leurs missions une fonction d'alerte en matière de santé publique. On doit cependant progresser encore au niveau de la formation des membres des CHSCT.

Mme Chantal Jouanno. - La multiplicité des agences d'expertise est un vrai sujet d'interrogation. Lors de la mise en place de notre système de sécurité sanitaire, des hésitations étaient d'ailleurs apparues sur l'organisation qui serait la plus optimale : si l'indépendance des agences est indispensable, on observe qu'elles se font parfois concurrence dans certains champs d'expertise. Il serait donc plus approprié de réfléchir à un éventuel regroupement des agences sanitaires actuelles, en fonction de l'évolution de nos connaissances, plutôt que d'en créer une nouvelle.

Un autre sujet est celui des protocoles d'expertise : comment s'assurer qu'ils sont bien validés et partagés par tous ? L'indépendance de l'expertise ne dépend pas seulement de considérations financières mais aussi du caractère pluraliste et contradictoire des études, comme les débats autour des travaux du professeur Gilles-Eric Séralini, sur les OGM, viennent encore de le démontrer. Il me semble qu'il s'agit là d'un thème de réflexion dont pourrait utilement se saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

A l'intérieur des entreprises, la création d'une nouvelle structure qui se verrait confier une responsabilité en matière d'alerte mériterait d'être précédée d'une réflexion conduite par le Gouvernement en lien avec les partenaires sociaux, dans le prolongement des discussions ouvertes lors de la grande conférence sociale du mois de juillet.

Mme Annie David, présidente. - Je rappelle que les amendements que va nous présenter la rapporteure portent uniquement sur la deuxième partie de la proposition de loi, qui tend à modifier le code du travail.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Le constat de départ qui a conduit à l'élaboration de ce texte est que des problèmes demeurent, en dépit de la création de plusieurs agences, comme le démontre le scandale du Médiator. Il est donc indispensable d'aller plus loin, en garantissant l'indépendance de l'expertise et en protégeant les lanceurs d'alerte. Je précise que la Haute Autorité n'aurait pas vocation à produire elle-même de l'expertise mais en énoncerait les principes directeurs.

Pour répondre à notre collègue Jean-Noël Cardoux, je tiens à souligner que l'intention de la proposition de loi n'est pas de considérer l'entreprise comme un problème. Il s'agit simplement d'envisager selon quelles modalités les alertes pourraient être relayées dans des délais raisonnables et les donneurs d'alerte protégés.

Une préoccupation largement exprimée par les partenaires sociaux est celle du manque de formation des élus dans les CHSCT. Je pense qu'il faudra aborder cette question.

Le CHSCT aurait vocation à constituer un filtre contre les alertes abusives et les dénonciateurs de mauvaise foi. Comme il n'est pas compétent aujourd'hui pour les questions de santé publique et d'environnement, il est nécessaire de modifier le code du travail pour lui confier cette nouvelle responsabilité.

Pour répondre à Chantal Jouanno, je note que le sujet de l'alerte dans les entreprises est sur la table des négociations depuis maintenant cinq ans et qu'il n'a guère avancé. L'audition des partenaires sociaux ne permet pas d'espérer de progrès à court terme. C'est donc notre responsabilité de parlementaires de proposer une réforme.

M. René-Paul Savary. - Les récents Etats généraux des collectivités territoriales ont pourtant montré que les collectivités étaient déjà confrontées à une surabondance de normes ! Je crois qu'il vaudrait mieux renforcer les moyens de la médecine du travail et des agences existantes, et évaluer leur action, avant de créer une Haute Autorité.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Les alertes porteraient sur des problèmes de santé publique ou d'environnement, et non de santé au travail, ce qui suppose d'élargir les compétences des CHSCT. Par ailleurs, je répète que la Haute Autorité ne serait pas une agence d'expertise supplémentaire mais fixerait des règles.

Mme Annie David, présidente. - Pour résumer le schéma que vous nous proposez, un salarié alerterait le CHSCT, qui informerait ensuite l'employeur, puis l'ARS ou le préfet pourrait être mis dans la boucle.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Deux amendements que je vais vous présenter prévoient d'ailleurs que les salariés qui travaillent dans de petites entreprises, dépourvues de CHSCT et de délégué du personnel, pourront alerter directement l'ARS ou le préfet.

Mme Chantal Jouanno. - J'observe cependant que l'article 1er de la proposition de loi, dont notre commission n'est pas saisie, ce que je regrette car nous sommes tout de même concernés par les questions d'expertise scientifique en matière de santé publique, indique que la Haute Autorité serait chargée d'instruire les alertes qui lui sont soumises en exerçant une mission de conseil. Sa mission ne serait donc pas très éloignée d'une fonction d'expertise...

Mme Annie David, présidente. - Si je peux comprendre votre frustration, je rappelle que l'examen au fond de cette proposition de loi relève de la commission du développement durable. J'ai souhaité que notre commission, en dépit d'un ordre du jour chargé, se saisisse pour avis des articles relatifs au code du travail mais je n'ai pas voulu que nous reproduisions entièrement le travail réalisé par nos collègues de la commission saisie au fond.

Je vous propose de passer maintenant à l'examen des amendements présentés par la rapporteure.

M. Alain Milon. - J'indique que les sénateurs du groupe UMP s'abstiendront sur l'ensemble des amendements, ce qui ne préjuge pas de notre position en séance publique.

M. Jacky Le Menn. - Le groupe socialiste considère que le texte de la proposition de loi mérite d'être encore retravaillé, comme en témoigne le nombre important d'amendements présentés par la rapporteure. Nous nous abstiendrons donc sur l'ensemble des amendements.

Mme Annie David, présidente. - Malgré des délais courts, la rapporteure a largement auditionné les partenaires sociaux et a réalisé un travail important de réécriture du texte, qui émane pourtant de son groupe. Pour ma part, je voterai les amendements qu'elle nous soumet.

Mme Catherine Génisson. - Nous reconnaissons la qualité du rapport mais, tout en estimant utile de renforcer les procédures d'alerte, nous estimons que la réflexion sur ce texte doit être encore approfondie.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'auteure de la proposition de loi partage l'esprit de mes amendements, qui ont pour ambition de réécrire largement la deuxième partie du texte en évitant la création d'une nouvelle structure au sein des entreprises.

M. Dominique Watrin. - Le travail de consultation réalisé par la rapporteure, tout comme son sens de l'écoute, doivent être salués. Il faut renforcer la protection de la santé publique et de l'environnement et les sénateurs du groupe CRC approuvent le sens général des amendements proposés. Toutefois, je crains que les mesures envisagées pèsent peu face aux stratégies boursières des grands groupes.

M. Guy Fischer. - Comme mon collègue vient de l'indiquer, les sénateurs du groupe CRC voteront ces amendements. Je connais bien la vallée de la chimie, dans la région lyonnaise, et je sais que le renforcement de l'information de la population et la participation des citoyens sont des préoccupations largement partagées. En réalité, c'est à une petite révolution que nous invite la rapporteure à travers ses amendements.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 9

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 1 étend le droit d'alerte reconnu à tout salarié, afin qu'il s'applique également en cas de risque sanitaire ou environnemental lié à l'activité de l'établissement.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article 10

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 2 élargit le droit d'alerte dont disposent, à l'heure actuelle, aux représentants du personnel qui siègent au CHSCT lorsqu'il existe une cause de danger grave et imminent, à l'hypothèse de l'existence d'un risque pour la santé publique ou l'environnement.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 11

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 3 consacre les nouvelles missions en matière de protection de la santé publique et de l'environnement confiées au CHSCT.

L'amendement n° 3 est adopté.

Article 13

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 4 vise, en lien avec les autres amendements qui confient au CHSCT une mission de veille et d'alerte en matière de santé publique et d'environnement, à rendre obligatoire sa consultation lorsque l'employeur décide d'apporter des modifications importantes à l'organisation du travail ou aux méthodes de production qui pourraient entraîner des risques sanitaires ou environnementaux.

L'amendement n° 4 est adopté.

Article 14

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - Afin de garantir que le CHSCT aura toutes les compétences nécessaires à l'exercice de ses nouvelles missions d'examen des alertes sanitaires ou environnementales, l'amendement n° 5 étend les pouvoirs d'enquête qui lui sont actuellement reconnus afin de couvrir ce cas de figure.

L'amendement n° 5 est adopté.

Articles additionnels après l'article 14

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 6 complète les dispositions relatives au CHSCT en prévoyant, comme en cas d'accident grave, sa réunion obligatoire dès lors que l'activité de l'établissement concerné a porté ou aurait pu porter atteinte à la santé publique ou à l'environnement.

L'amendement n° 6 est adopté.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 7 vise à renforcer les moyens du CHSCT pour examiner correctement les alertes dont il est saisi en élargissant son droit à avoir recours à un expert.

L'amendement n° 7 est adopté.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 8, qui modifie le code de l'environnement, a pour objet de garantir la possibilité, pour les personnes qui sont salariées d'une entreprise qui ne comprend ni CHSCT ni délégué du personnel ou qui décèlent un risque environnemental lié à une entreprise dont elles ne sont pas salariées, de pouvoir saisir l'autorité compétente, c'est-à-dire le préfet de département.

L'amendement n° 8 est adopté.

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 9, qui modifie le code de la santé publique, vise à permettre à toute personne qui identifie un risque en matière sanitaire de saisir l'autorité compétente, c'est-à-dire l'ARS.

L'amendement n° 9 est adopté.

Article additionnel avant l'article 16

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 10, qui m'a été suggéré par plusieurs syndicats, a pour objet de rétablir une mesure introduite par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 puis supprimée, moins de six mois plus tard, par un « cavalier législatif » dans la loi de régulation bancaire. Il propose d'associer les institutions représentatives du personnel aux obligations en matière de responsabilité sociale, environnementale et sociétale (RSE) des entreprises, ce qui constitue une avancée certaine pour la prise en compte de l'avis des salariés dans le comportement social et environnemental de l'entreprise. Il semble utile de mettre en oeuvre cette disposition au moment d'élargir la compétence des CHSCT aux alertes en matière environnementale.

L'amendement n° 10 est adopté.

Article 16

Mme Aline Archimbaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 11 vise à étendre la protection des lanceurs d'alerte en complétant l'article du code du travail qui énonce le principe général de non-discrimination en droit du travail. Il ajoute à la liste des personnes ne pouvant être écartées d'un recrutement, sanctionnées ou licenciées celles qui ont été à l'origine d'une alerte. Cela offre une protection large dans le cadre de toutes les relations de travail.

L'amendement n° 11 est adopté.

Programmation et gouvernance des finances publiques et projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 - Demande de saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi organique n° 198 (AN-XIVe législature) relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques et sur le projet de loi n° 234 (AN-XIVe législature) de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 dont la commission des finances est saisie au fond.

Elle nomme M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis de ces projets de loi.

Audition de M. Yves Barou, président de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa)

Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Yves Barou, président de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

Mme Annie David, présidente. - Après la démission de votre prédécesseur, Jean-Luc Vergne, les difficultés auxquelles est confrontée l'Afpa ont occupé le devant de la scène : difficultés financières mais aussi de fonctionnement, problèmes liés aux appels d'offre et à la restructuration de l'association. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Peut-être pourriez-vous nous présenter votre parcours et votre projet pour l'Afpa avant que nous ne vous posions des questions.

M. Yves Barou, président de l'Afpa. - Je suis avant tout un homme d'entreprise. J'ai consacré ma vie à l'emploi, y compris dans les cabinets ministériels où je suis passé. J'ai beaucoup travaillé aux États-Unis, en France et en Afrique, dans mes fonctions successives, qui ont touché au marketing, à la communication et aux ressources humaines à Rhône-Poulenc-Rorer, devenu Sanofi, puis à Thomson-CSF, devenu Thalès, où j'ai fini directeur adjoint. Depuis que je suis en retraite, j'ai créé un think-tank européen de DRH, convaincu qu'il fallait être plus présents à Bruxelles et nouer des relations plus étroites avec nos homologues allemands. Je suis également conseiller social du fonds stratégique d'investissement (FSI), où il s'agit d'apporter, sur les dossiers d'investissement, un regard sur l'emploi, le social, les ressources humaines, l'environnement ou le management.

Lorsqu'en juin, on m'a demandé d'assurer la présidence de l'Afpa, j'ai vite compris que la crise était grave, et ce d'autant plus que cet organisme est partie intégrante du modèle social français. C'est un outil dont on a plus que jamais besoin. Quel paradoxe, en ces temps tourmentés, alors que les besoins des demandeurs d'emplois sont criants, de voir des formations qui manquent d'inscrits ! C'est que la crise est systémique.

Lorsque j'ai accepté la présidence, je n'étais pas sûr de pouvoir payer, deux jours plus tard, les salaires. Il a fallu une action énergique sur la trésorerie et bien des négociations pour gagner six mois de survie : notre répit court jusqu'au 8 janvier. Le temps de bâtir un plan de refondation, que je présenterai le 15 novembre, avec ma nouvelle équipe de direction.

J'estime que la gouvernance de l'Afpa est moderne. Alors que le monde de l'entreprise débat de la nécessité d'associer shareholders et stakeholders, l'Afpa a su le faire depuis longtemps : toutes les parties prenantes sont membres de son conseil d'administration. L'association a longtemps souffert, en revanche, d'un conflit entre son directeur général et son président, qui a suscité opacité et aveuglement collectif. Dès ma prise de fonction, j'ai remercié le directeur général et cinq autres cadres dirigeants, parce qu'il fallait une équipe soudée. Il faudra trois mois pour reconstruire une direction, car il n'est pas facile de trouver un directeur général à l'Afpa. Cette fonction, dans un organisme qui emploie près de 1 000 personnes et dont le chiffre d'affaires approche du milliard d'euros, requiert, outre un tropisme social, des qualités financières et de managériales. Nous serons prêts le 15 novembre. Je viens également de renommer les directeurs de centres régionaux. Il faut une équipe nouvelle pour un projet nouveau.

Les causes de la faillite de l'Afpa ont été largement incomprises. On a stigmatisé sa lourdeur de mammouth, qui ne lui aurait pas permis de réagir, parlé de personnels trop cher payés... Il est vrai que bien des choses fonctionnent mal. La crise de trésorerie m'a ainsi donné l'occasion de découvrir que si nous avions tant d'impayés, c'est que le service de facturation avait plusieurs mois de retard. Dysfonctionnement facile à corriger : en quinze jours, 60 millions sont rentrés. Surtout, le management n'a pas été à la hauteur, alors que la base, notamment les formateurs, est excellente. Bonne nouvelle, en somme : il est plus facile de renouveler quelques dirigeants que des centaines de formateurs.

Au vrai, toutes ces imperfections ne sont pas la cause de la crise, même s'il est vrai qu'elles auraient pu y conduire, mais à plus longue échéance. Dans un contexte de crise économique et financière, ce sont bien plutôt trois phénomènes conjoints qui l'ont provoquée. Le transfert de nos 900 psychologues d'accueil et d'orientation, tout d'abord, à Pôle emploi. Résultat ? On n'a fait que compliquer les choses pour les demandeurs d'emploi, qui doivent accomplir un véritable parcours du combattant, semé de guichets et de conditions kafkaïennes, pour parvenir jusqu'à nous : seuls 5 % de nos stagiaires nous arrivent par Pôle emploi !

Autre difficulté, les barrières qui se sont élevées entre les régions. Les dossiers se sont multipliés auprès de notre médiatrice. Cette situation donnera lieu, un jour ou l'autre, à un recours devant le Conseil constitutionnel, car le principe d'égalité d'accès à la formation s'en trouve bafoué.

Troisième écueil, enfin, le passage brutal au régime de la concurrence. La formation n'est pas une marchandise comme une autre. Ce ne sont pas des heures de formation qu'achète le donneur d'ordres, mais bien un retour à l'emploi. De ce point de vue, nos résultats sont très satisfaisants : deux tiers d'emplois durables à six mois, soit le même taux que les écoles de commerce. Qui plus est, l'acheteur n'est plus l'État, mais la région, ce qui a requis un apprentissage collectif. Il a fallu trouver des modes d'achat intelligents, car les conséquences en sont considérables, tout comme dans l'industrie, où les formes de partenariat avec la sous-traitance peuvent être déterminantes. Nous sommes passés trop vite d'un système de subvention à un régime d'appels d'offres alors que le marché de la formation a besoin de régularité, d'un partenariat à long terme : tout est donc à réinventer avec les conseils régionaux.

Le passage à la concurrence exige de surcroit une capacité d'investissement, et un fonds de roulement. Aurait-on imaginé soumettre France Telecom aux lois du marché sans fonds propres ? C'est pourtant ce que l'on a fait avec l'Afpa. Et je ne parle pas là de la forme juridique de l'organisme, sur laquelle on a beaucoup glosé : vaut-il mieux un établissement public industriel et commercial (Epic), une société anonyme ou une association ? Pour moi, cette dernière forme est la plus moderne. Toujours est-il que l'endettement à court terme, dans une structure sans fonds propres, était inévitable : dans ces conditions, le moindre grain de sable, la moindre baisse de chiffre d'affaire, 20 % dans notre cas, et c'est la catastrophe assurée.

J'en viens à notre plan de refondation, qui est presque finalisé. Notre déficit a été de 50 millions en 2011, il devrait se situer entre 75 et 80 millions en 2012. A quoi s'ajoutent les difficultés liées à l'immobilier, puisque l'État n'a pas fait les travaux nécessaires qu'il aurait dû conduire en bon propriétaire.

Il s'agit de résorber progressivement le déficit, ce qui, comme toute réforme structurelle, exigera trois années d'effort. N'oublions pas qu'un organisme comme le nôtre ne doit pas seulement être à l'équilibre, mais en excédent pour pouvoir investir. Nous ferons aussi des propositions concernant le système de formation. Nos positions rejoignent pour beaucoup celles de l'Association des régions de France (ARF), avec laquelle nous avons longuement travaillé.

Je vous livre ici deux chiffres, qui méritent examen. Notre activité a reculé de 20 % depuis le passage à la concurrence, mais pour les formations industrielles, nous avons perdu 56 % en deux ans ! Autant dire que notre appareil de formation oeuvre à la désindustrialisation ! La réindustrialisation, l'emploi, voilà mon combat. Or, le principal atout de la France, en matière de compétitivité, ce sont les ressources humaines. L'Afpa, à cet égard, joue un rôle essentiel : 3,5 millions de salariés, soit un salarié sur huit, a un métier grâce à elle. C'est dire combien son rôle est essentiel, en particulier dans l'industrie, qui a été la première frappée par la crise. Deuxième chiffre frappant : le nombre de stagiaires qui se forment dans une région différente de celle où ils résident a baissé de 40 %. Ce manque de mobilité géographique est préoccupant.

C'est d'une révolution culturelle dont a besoin l'Afpa : tel est mon deuxième objectif. L'association s'est structurée autour des titres et diplômes du ministère du travail. C'est ainsi que se sont créés, avec les branches professionnelles, 280 cursus, correspondant chacun à un diplôme. Ces cursus sont généralement d'une durée de six mois. Pour des demandeurs d'emploi qui partent de zéro, ils sont parfaitement adaptés. Mais le monde a changé. Beaucoup nous arrivent désormais avec des qualifications partielles, si bien que les deux premiers mois de formation ne leur sont pas utiles : ils ne veulent pas les suivre, pas plus que les financeurs ne veulent les payer. Se fait ainsi jour la nécessité d'individualiser les parcours, de passer à des formations modulaires qui répondent mieux, tout à la fois, à la demande sociale, à celle des entreprises et à celle des financeurs. Nous avons donc à relever un défi : industrialiser l'individualisation des cursus de formation. Et nous sommes en mesure de le faire, puisque nous pouvons compter sur notre propre bureau d'étude.

Notre deuxième chantier consiste à renouer le dialogue avec les régions, après plusieurs années au cours desquelles les relations ont été trop distendues. Il faudra également se rapprocher du marché des entreprises. Les demandeurs d'emploi occupent aujourd'hui l'essentiel de notre activité, ce qui n'était pas le cas par le passé. Il faut rééquilibrer, parce qu'il existe un vrai besoin : lorsqu'un plan social se prépare, lorsque l'emploi est menacé, il faut agir. Nous devons répondre à la commande publique, mais également aux besoins des salariés des entreprises. Nous nous sommes porté candidats pour être l'opérateur de formation de deux des plus grands plans sociaux que va connaître la France.

M. Guy Fischer. - Vous en dites trop ou pas assez.

M. Yves Barou. - Je ne peux en dire plus, mais je veux que l'Afpa fasse référence en ce domaine. Lorsqu'un plan social arrive devant le comité central d'entreprise, il ne reste, hélas, plus grand-chose à négocier. Sauf pour la formation, et en cette matière, les comités d'entreprise préfèrent souvent avoir affaire à l'Afpa. C'est pour nous un atout considérable, non seulement dans le cadre des plans sociaux, mais aussi dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) car les évolutions technologiques induisent, dans les entreprises, des besoins de requalification. Je ne songe pas aux cadres, car il n'est pas question ici de sortir de notre créneau, mais bien aux ouvriers et aux techniciens.

Notre quatrième objectif, enfin, porte sur la réduction des coûts. Nous souffrons de bien des lourdeurs, engageons trop de dépenses de consultants...

M. Guy Fischer. - Considérez-vous, comme d'autres, que le personnel est trop payé ?

M. Yves Barou. - Les salaires sont honnêtes, mais ils n'atteignent guère, chez nous, que 50 % de ceux qui sont versés dans l'industrie. Je n'en ai pas moins décidé d'un gel des salaires sur deux ans, mais c'est bien plutôt par manque d'argent.

Des économies sont possibles, surtout sur notre train de vie. Sans aller trop loin cependant. N'allons pas nous clochardiser en supprimant le nettoyage des locaux, comme on me l'a suggéré, quand on a déjà mis fin au gardiennage de nuit, dans des centres d'hébergement qui sont loin d'être des ilots de paix, et où vols et violence sévissent comme ailleurs. Mon idée est plutôt de faire maigrir les fonctions centrales, au siège.

Etre plus compétitif, c'est aussi pouvoir proposer des formations plus légères. Aujourd'hui, les nôtres sont 10 % plus chères, même s'il est vrai qu'elles sont aussi 10 % plus longues.

J'en viens au chapitre des relations sociales. C'est mon métier. Je veux bien faire les choses. En l'espace d'une semaine, nous sommes passés de la guerre ouverte à l'apaisement. C'est affaire d'écoute, de respect. Nous pourrons ainsi réduire les effectifs sans drames sociaux, sans plan social, sans conflit. D'une part, nous envisageons de ne pas renouveler tous nos CDD, d'autre part, la pyramide des âges est telle que nous attendons un millier de départs en retraite sur trois ans, qui ne seront pas tous remplacés. L'Afpa, en tout état de cause, ne peut pas se payer le luxe d'une crise sociale de six mois, qui lui coûterait 50 millions. Nous sommes contraints à la vertu : miser sur le dialogue social, la transparence, la rapidité, pour que tout commence au 1er janvier.

Autre sujet important, le maillage territorial. Nos 216 centres sont tout à la fois une force et une faiblesse. Une faiblesse, car ils ont été conçus, à l'origine, comme des structures complètes, et par conséquent assez lourdes. Nous entendons diviser par deux le nombre de ces centres, pour les remplacer par des antennes de formation, partout où existent des besoins. Nous entendons renouer avec une certaine flexibilité que nous avons connue à nos débuts. Je sais bien que cela supposera des discussions avec les élus, qui sont chacun attachés à leur centre, mais il faut souligner que nous ne réduisons pas le volume des formations : il ne s'agit que d'économies de gestion.

Voila qui m'amène à la question de l'immobilier et de l'hébergement. L'État, propriétaire de nos locaux, consacrait autrefois 60 millions par an aux travaux d'entretien. Mais ces sommes se sont peu à peu réduites, au point que le patrimoine immobilier se dégrade. Une loi avait prévu le transfert, à titre gratuit, de ces biens immobiliers à l'Afpa, mais elle a été déclarée contraire à la Constitution. Si certaines régions souhaiteraient que ces biens leur soient transférés, ce qui ne serait pas illégitime dans la mesure où les régions jouent un rôle central dans la cartographie de l'offre de formations, d'autres s'y opposent. D'où ma proposition, pragmatique, et qui nous apporterait de la souplesse, de conclure des baux emphytéotiques, ce qui permettrait à l'Afpa de nouer des partenariats. Nos plateaux techniques coûtent cher, pourquoi ne pas les partager quand ils sont sous utilisés ?

Même chose pour l'hébergement, fondamental puisqu'il garantit la non-discrimination dans l'accès à la formation. Quand il n'y a pas de transports en commun et que l'on n'a ni permis de conduire, ni voiture, l'hébergement est primordial. Or, notre taux d'occupation est de seulement 60 % : une chaîne hôtelière n'y survivrait pas. L'idée est donc de nouer des partenariats avec des professionnels de l'hébergement, les offices d'HLM par exemple, pour accueillir d'autres publics, afin de parvenir à un meilleur taux d'occupation. Mais cela suppose des investissements, car nos locaux ne sont plus aux normes. Si nous les engageons pour les plateaux techniques, nous ne pouvons le faire pour l'hébergement. Voilà qui éviterait un gâchis que dénoncent tous les rapports consacrés à l'Afpa.

Il faudra aussi revenir sur certains points en matière d'organisation. Il y a trois ans, les fonctions de directeur de centre ont été supprimées, ce qui pose de gros problèmes lorsqu'un incident se produit.

Changement de management, dialogue social, retour à l'équilibre financier, tels sont mes objectifs. Nous devons impérativement revoir notre structure de financement, qui repose sur des emprunts à court terme, ce qui nous place dans une situation de grande vulnérabilité. La faillite de Dexia, qui faisait partie du pool bancaire de l'Afpa, a aggravé nos difficultés. Nous avons saisi le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) et le pool bancaire a accepté de maintenir ses prêts de court terme.

Reste que rien ne se fera sans fonds propres. Et ils peuvent fort bien être apportés dans le cadre associatif : nul besoin de se constituer en société anonyme, sauf à vouloir privatiser l'Afpa, ni d'adopter le statut d'Epic, qui marquerait un pas vers l'étatisation et compliquerait les rapports avec nos partenaires. L'Afpa pourrait émettre des titres associatifs que l'Etat nous achèterait via la Caisse des dépôts et consignations, la Banque publique d'investissement (BPI) ou le fonds stratégique d'investissement (FSI). Le chiffre de 200 millions d'euros, cité dans la presse, est sans doute légèrement inférieur à celui que nous annoncerons la semaine prochaine.

Mme Annie David, présidente. - Merci pour ce large tour d'horizon.

M. Claude Jeannerot. - Merci pour cet exposé clair de votre diagnostic et des perspectives ouvertes par votre plan de refondation. J'espère que nous vous reverrons, peut-être quand vous aurez désigné votre directeur général, pour approfondir certains points. Je partage votre analyse sur la gouvernance de l'Afpa, moderne et quadripartite, mais je trouve frappant que les régions, globalement, n'aient pas été davantage impliquées dans son fonctionnement. Le cadre juridique européen, tel qu'il a été interprété par les pouvoirs publics, a conduit à une certaine banalisation de l'Afpa qui pourrait lui être fatale.

L'Afpa a au moins trois avantages compétitifs qu'il faut mettre en valeur : sa valeur ajoutée sur les plans technique et pédagogique, qui en fait aujourd'hui l'un des grands organismes de formation ; la qualité de son ingénierie, de dimension nationale, qui lui permet de faire les mutualisations nécessaires aux formations industrielles ; son système de valeurs, enfin.

Je vois deux enjeux. L'utilisation que les régions veulent faire de l'Afpa, d'abord. Aujourd'hui, certaines régions annoncent leur volonté de créer un service public régional de formation. De quoi s'agit-il ? Quelles seront les conséquences pour l'Afpa ? Comment concilier l'achat par voie d'appels d'offres avec une délégation de service public qui, elle, permettrait d'inscrire l'activité de l'Afpa dans la durée ? La sécurisation dont on parle pour les parcours professionnels est nécessaire aussi dans les systèmes de formation. Et il y a l'enjeu majeur de la préservation du caractère national de l'ingénierie et des formations de l'Afpa, dans ses relations avec les régions. D'ailleurs, c'est aussi l'intérêt de l'Afpa que son offre de formation soit accessible sur l'ensemble du territoire.

Je pense enfin qu'il est opportun de développer le rôle de l'Afpa, qui autrefois était un acteur privilégié dans la mise en oeuvre des projets financés par le fonds national de l'emploi (FNE), en ce qui concerne les actions de formation liées aux plans sociaux, comme composante du service public de l'emploi.

M. Guy Fischer. - L'Afpa a balisé toute ma vie d'élu, notamment à Vénissieux, car je me suis beaucoup impliqué dans les problèmes de formation. Conseiller général des Minguettes, où j'ai été instituteur, pendant vingt-six ans, j'ai été confronté aux difficultés de toute une partie de la population, d'origine maghrébine, pour accéder à l'emploi. J'ai donc créé un centre qui proposait une formation industrielle à destination des publics les plus en difficulté. Votre curriculum vitae est prestigieux, mais je souhaite que l'humain soit au coeur de vos objectifs, afin d'éviter que la fracture ne s'accentue entre ceux qui ont accès à l'éducation, la formation et donc l'emploi, et les autres. Sur l'immobilier d'hébergement, je comprends mieux vos objectifs, mais si pour optimiser vos moyens vous procédez à des regroupements, il est important que cela soit compris par les élus.

Mme Annie David, présidente. - M. Fischer parle de mettre de l'humain dans votre réforme : j'ai cru comprendre que c'était le cas ! Je souhaite aussi insister sur la mission première de service public que nous souhaitons maintenir à l'Afpa. Vous ne nous avez pas parlé de votre filiale « AfpaTransition » : ne pourrait-elle pas vous aider à vous positionner sur le marché de l'offre de formation ? Quant à la mise en concurrence, pensez-vous que l'Afpa devrait y échapper puisque la formation professionnelle qu'elle propose est un service d'intérêt économique général (SIEG) au sens du droit européen ? La baisse de 56 % de la formation industrielle que vous nous avez signalée est-elle due à un report de la demande des entreprises vers des offres concurrentes ? J'ai cru comprendre que l'Afpa avait été écartée du marché des contrats de transition professionnelle (CTP), n'y aurait-il pas matière à l'y réintroduire afin d'éviter les drames des plans sociaux ?

M. Yves Barou. - Le combat pour que l'Afpa vive est un combat pour l'humain : dans la conjoncture économique que nous connaissons, il faut des mécanismes non d'assistanat, mais d'accompagnement de celles et ceux qui veulent rebondir. L'Afpa est un merveilleux outil pour cela : s'il n'existait pas, c'est maintenant qu'il faudrait l'inventer. Or, paradoxalement, c'est maintenant qu'il est en crise. L'hébergement, la restauration, le vivre-ensemble concourent à notre projet éducatif. A cet égard, le départ des psychologues du travail vers Pôle emploi a été une source de désorganisation grave.

C'est l'Afpa qui a inventé les CTP et on les lui a soudainement retirés. Nous allons faire une offre dans le nouveau cadre des contrats de sécurisation professionnelle. Il y a un besoin d'Afpa pour les politiques publiques : nous faisons des propositions pour les emplois d'avenir, pour les contrats de génération, pour lutter contre l'illettrisme... Nous ne prétendons pas être les seuls, mais nous offrons des formations structurantes et de qualité.

« Afpa Transition » n'est pas une filière, mais un département de l'Afpa, qui s'est positionné sur deux métiers : l'accompagnement avant la formation, comme par exemple les cellules de reclassement dans les plans sociaux, et les études préalables en gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour des entreprises ou des territoires. Nous travaillons actuellement pour une entreprise implantée sur trois sites, tous trois en difficulté : c'est elle qui finance une étude recherchant quels sont, sur ces trois sites, les besoins d'emploi. Nous pensons qu'il vaut mieux s'y prendre ainsi, trois ans à l'avance, pour identifier les besoins locaux et mettre en place un dispositif de formation qualifiante qui leur corresponde, plutôt que dissimuler les difficultés et annoncer un plan social au dernier moment. Sur ces deux métiers, l'Afpa n'est pas un acteur de premier plan : sans doute faudrait-il développer davantage de partenariats.

Lorsque j'étais directeur-adjoint du cabinet de la ministre de l'emploi et de la solidarité, le service public de l'emploi, dans l'esprit de tous, c'était l'ANPE et l'Afpa. Dix ans plus tard, personne ne sait plus vraiment ce qu'il en est. Il faut distinguer le pilote et l'opérateur. Ce ne sont pas les mêmes responsabilités. L'Afpa ne demande pas à piloter le service public de l'emploi, mais demande à ce qu'il y ait un pilote. Or le pilote, dans l'esprit qui a présidé à la décentralisation, c'est, pour l'essentiel, la région. C'est à elle de faire une cartographie de l'emploi. Mais comme la décentralisation ne s'est pas accompagnée d'un transfert organisé de compétences, les règles du jeu n'ont pas été clairement posées et chacun a fait comme il pouvait.

Il serait malsain de vouloir que l'Afpa ait un statut privilégié parmi les opérateurs. Il est normal qu'il y ait une forme de concurrence pour obtenir des financements publics, c'est une garantie d'efficacité. La procédure de l'appel d'offre doit être bien utilisée. Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), par exemple, le poids du facteur prix pour déterminer qui remporte un appel d'offres est de seulement 10 %. Il ne sert à rien d'acheter un peu moins cher un service qui se révèlera inefficace. Le premier critère doit être la qualité. L'Afpa est un opérateur associatif sans but lucratif ; c'est donc un acteur social dont le positionnement est nécessairement différent de celui d'un organisme cherchant à produire des dividendes pour ses actionnaires.

La concurrence n'est pas mauvaise, pourvu qu'elle ne soit pas sauvage. Il n'y a guère, d'ailleurs, de moyen juridique d'y échapper, et je ne sais pas si ce serait très sain. Mais il y faut une régulation, ce que la notion de SIEG et la commande publique, si elle est intelligente, peuvent apporter. Les appels d'offres permettent beaucoup plus de souplesse que ce que l'on croit. Si l'on ne regarde que le prix, on ne peut saisir la spécificité de l'offre de l'Afpa, qui propose aussi un hébergement, un accompagnement, une éducation. Il y a peut-être quelques secteurs de notre activité, peut-être 10 %, qu'il faudrait protéger de la concurrence, mais pour l'essentiel il doit y avoir partenariat entre le pilote et les opérateurs, c'est-à-dire l'Afpa entre autres.

Mme Annie David, présidente. - Merci. Les perspectives ouvertes par ce premier tour d'horizon sont positives...

M. Yves Barou. - Mais notre problème de fonds propres réclame une solution urgente. Sans cela, entre le 7 et le 10 janvier prochains, l'Afpa devra arrêter de fonctionner, et renverra chez eux 100 000 demandeurs d'emploi. L'association est clairement sous la tutelle des banques, qui la maintiennent en respiration artificielle. Nous n'avons pas besoin de subventions, qui prolongeraient cette situation pénible, mais de fonds propres, pour prendre un vrai départ. Je le dis avec conviction et avec passion : c'est maintenant qu'il faut agir, car le coût du démantèlement de l'Afpa serait bien supérieur à 200 millions d'euros.

Audition de M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage

Puis la commission procède à l'audition de M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage

Mme Annie David, présidente. - Monsieur le ministre, nous souhaitons vous entendre aujourd'hui sur la formation professionnelle et l'apprentissage. Une feuille de route vous a été donnée en juillet. Quels seront ses effets sur la formation des jeunes ? Quels sont vos objectifs ? Comment voyez-vous l'action de votre ministère ?

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. - Quels sont les axes stratégiques de la politique de formation professionnelle et d'apprentissage ? Cette politique étant particulièrement complexe, il faut revenir aux principes fondamentaux : réfléchir aux besoins des personnes, d'une part, et avancer grâce au dialogue social, d'autre part, car une grande partie du financement est d'origine paritaire.

La prise en compte des personnes semble aller de soi, mais l'empilement des dispositifs depuis trente ans peut donner le sentiment qu'ils ne sont pas faits pour elles. D'où mon exigence : simplifier et rendre les dispositifs plus accessibles ! Les courriers que je reçois posent des questions simples auxquelles notre tuyauterie complexe ne permet pas toujours de répondre...

De même les liens avec les partenaires sociaux s'étaient quelque peu distendus ces dernières années ; nous les avons resserrés à l'été dernier.

Lors de la conférence sociale des 9 et 10 juillet, un atelier a été consacré à la formation professionnelle. Quatre axes ont été tracés : rendre effectif le droit à la formation tout au long de la vie ; offrir une qualification à tous les jeunes ; développer un service public de l'orientation ; sécuriser le service public de la formation.

La nouvelle étape de la décentralisation représente un enjeu transversal, susceptible d'augmenter l'efficacité et la lisibilité de cette politique, grâce à de nouvelles modalités de pilotage et de coordination des acteurs. Les Etats généraux de la démocratie territoriale ont été un élément important dans la préparation du texte que proposera la ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, Marylise Lebranchu. Les arbitrages n'ont pas encore été rendus, mais le projet de loi comportera un important volet sur la formation professionnelle.

L'idée d'ensemble sera de conforter la compétence des régions sur la formation professionnelle, en procédant aux transferts de compétences qui n'ont pas encore eu lieu alors que cette prérogative leur appartient depuis 1982. La région sera le chef de file du service public de l'orientation, en lien avec le ministère de l'éducation nationale, et de la coordination des actions à destination des jeunes peu ou non qualifiés. Le projet de loi procédera également à une rationalisation et une simplification des instances de concertation, à tous les niveaux, en les regroupant.

Comme je l'indiquais, le premier objectif est de rendre effectif le droit à la formation tout au long de la vie.

L'accès à la formation professionnelle est complexe, et le dispositif du droit individuel à la formation (Dif) est sous-utilisé. Je souhaite améliorer l'accès des demandeurs d'emploi à la formation professionnelle : paradoxalement, ce sont eux qui y recourent le moins, alors qu'ils sont ceux qui en ont le plus besoin ! J'ai réuni lundi dernier les partenaires sociaux ; les échanges se poursuivront pendant quelques semaines, pour aboutir à la définition d'un accord national de méthode destiné à favoriser l'accès à la formation professionnelle, qui sera décliné dans chaque région en 2013.

Ma deuxième proposition, issue des réflexions de la Conférence sociale, est de créer un compte individuel de formation afin d'améliorer la portabilité de ce droit. Il sera attaché à l'individu, non au contrat de travail. A la différence du congé individuel de formation ou du droit individuel à la formation, ce compte sera crédité annuellement et ne sera pas plafonné, offrant ainsi l'opportunité, à ceux qui le souhaiteront, de trouver une formation susceptible d'accompagner une véritable réorientation professionnelle. En septembre, j'ai demandé l'avis du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) qui réunit tous les acteurs du secteur. Il rendra un rapport au premier trimestre 2013.

Je souhaite également impliquer davantage les salariés dans l'élaboration du plan de formation des entreprises. Les organisations de salariés pourraient se voir dotées d'une compétence en la matière, ce qui pourrait augmenter l'appétence des salariés pour la formation, tout en renforçant la démocratie sociale ; c'est l'un des points soumis à la discussion dans le cadre de la négociation sur la sécurisation de l'emploi, qui inclut le renforcement des dispositifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Ce plan de formation, actuellement simplement soumis pour information aux institutions représentatives du personnel, pourrait être contractualisé et discuté entre employeur et salariés.

Deuxième objectif : offrir à chaque jeune l'accès à un premier niveau de qualification.

Nous avons transmis aux partenaires sociaux un document-cadre comportant des objectifs sur l'alternance, ainsi que sur le partenariat avec les régions et le ministère de l'éducation nationale. Le Gouvernement et l'association des régions de France (ARF) ont décidé, le 12 septembre, de diminuer par deux, en cinq ans, le nombre de jeunes sortis du système scolaire sans formation. Pour y parvenir, nous devrons être plus efficaces lors de la formation initiale et mieux articuler apprentissage et formations non alternées. Les régions prépareront à cette fin, en concertation avec l'Etat et les rectorats, une carte des formations - cette disposition figurera d'ailleurs dans le projet de loi sur la décentralisation.

Toutes les voies de la formation doivent être développées. L'apprentissage, certes. Mais il ne doit pas se substituer aux autres types de formation, afin que chaque jeune, suivant son parcours et ses spécificités, puisse trouver une voie qui lui convienne. Il est essentiel que l'offre soit diversifiée, définie au plus près du terrain au niveau régional.

Il s'agit de ne laisser aucun jeune sans solution. Le document-cadre transmis aux organisations syndicales prévoit que chacun des 120 000 jeunes sortant du système sans formation soit convoqué pour se voir proposer une solution adaptée qui lui permette de ne pas rester sur un sentiment d'échec. Nous créerons un pacte pour la réussite éducative et professionnelle que je présenterai dans chaque région, pour inciter à une meilleure organisation des dispositifs locaux de suivi et d'insertion professionnelle des jeunes.

Il faut aussi soutenir les jeunes en alternance, en veillant au maintien de l'offre de contrats en alternance, avec une part importante pour les premiers niveaux de qualification. Il existe un biais en effet : moins le niveau de formation initiale est élevé, moins l'on accède à la formation, et inversement plus on est formé, plus on accède à la formation. Seuls deux tiers des contrats conclus en 2010 concernent des jeunes de niveau V (CAP), alors que la proportion s'établissait aux trois-quarts en 1990. Donc, sans baisser l'effort à l'égard de ceux qui à l'université choisissent l'apprentissage, nous devons reconquérir le public des jeunes titulaires d'un CAP.

Les petites entreprises restent les principales utilisatrices des contrats d'apprentissage, mais leur part s'est réduite ces dernières années. Avec les entreprises de plus de 250 salariés, qui recrutent essentiellement des jeunes disposant d'un diplôme allant du baccalauréat jusqu'au diplôme d'ingénieur, nous devons mener une discussion.

Les emplois d'avenir qui, pour la première fois, comportent, dans le dispositif même du contrat, une clause prévoyant l'obligation de conduire une action de formation, pourront également constituer un levier pour développer l'alternance.

Il en va de même des contrats de génération, notamment dans les entreprises de plus de 300 salariés et pour les jeunes de niveau V. Nous en discutons avec les partenaires sociaux, mais rien n'empêcherait de concilier contrat de génération et formation en alternance, au moins pendant les premières années. Nous devrons garder à l'esprit cette possibilité lors du débat sur le projet de loi.

La représentation des apprentis et des jeunes en alternance doit être améliorée pour leur permettre de participer au dialogue social tant dans l'entreprise que dans le territoire. Nous améliorerons leur représentativité en les dotant d'un statut.

Garantir l'accès de tous à un premier niveau de qualification, c'est aussi veiller à la qualification en cours d'emploi, faciliter l'accès des jeunes qui ont un emploi aux dispositifs de droit commun et constituer une offre de formations pour les jeunes en emplois d'avenir.

Troisième objectif : concrétiser le service public de l'orientation.

La question de l'orientation dépasse la question de la formation. Chacun doit pouvoir choisir sa vie professionnelle, trouver des réponses à ses questions, quel que soit son âge, ses origines, son parcours, sa formation initiale. De la formation initiale à la formation continue, le service public de l'orientation devra être le plus accessible, le plus fluide, le plus équitable possible, sans opposer les périodes d'emploi et de formation, ni les jeunes et les actifs. Il contribuera à une meilleure connaissance et valorisation des métiers.

Le service public de l'orientation devra d'abord être défini par la loi avant d'être mis en oeuvre par les régions. L'objectif sera de passer d'une orientation trop souvent subie à une orientation choisie. C'est pourquoi ce service rénové, mieux ancré dans les territoires, ne concernera pas que les jeunes : loin du cliché associant orientation et scolarité, il s'adressera à tous les citoyens souhaitant être accompagnés dans leur propre réflexion personnelle ou cheminement professionnel tout au long de la vie.

Quatrième objectif : affirmer un service public de la formation.

Accroître les compétences des personnes ne constitue pas une prestation marchande comme les autres. Chacun a un profil particulier, en fonction de son origine, de sa qualification, des conditions de son entrée dans la vie professionnelle. Aussi l'offre de formation doit être adaptée à ces profils. De même, l'offre de formation peut être différente d'un territoire à l'autre.

La proximité géographique de la formation, les services qualifiés, à tort, d'annexes, tels que les transports, l'hébergement ou la restauration, conditionnent aussi l'appétit de nos concitoyens pour la formation. Un service public de la formation devra donc être défini par le législateur. Nous vous proposerons d'en jeter les bases dans le cadre de l'acte III de la décentralisation.

Ce travail, important, doit évidemment se faire en lien avec la législation européenne. J'ai bon espoir que, d'ici un mois, nous aurons avancé sur la définition d'un service d'intérêt économique général (SIEG) de la formation. Cela nous incitera à réactualiser l'offre de formations en revisitant les critères d'enregistrement des organismes, qui sont pléthore sur le marché. Nous avons le devoir de l'évaluer, dans une perspective plus qualitative. Du reste, dès lors qu'il existera un service d'intérêt économique général (SIEG) de la formation, le secteur ne sera plus soumis aux seules lois du marché : les prescripteurs, Pôle emploi et les régions, pourront, lors de la commande, demander des actions plus ciblées sur les populations les plus éloignées de l'emploi, les demandeurs d'emplois et ceux qui sont dépourvus de formation initiale.

Voilà les grandes orientations que j'entends mettre en oeuvre. Cette politique, je ne l'oublie pas, a pour finalité d'émanciper la personne et de lui offrir la possibilité de construire son parcours professionnel, en autonomie, dans le respect de ses aspirations et de ses capacités. Le Sénat, j'en suis certain, m'aidera à avancer sur ces sujets complexes.

M. René Teulade. - En vous écoutant attentivement, monsieur le ministre, je songeais que les mots ne sont pas innocents : le moment n'est-il pas venu de remplacer le terme de charge par celui d'investissement ? Comme l'éducation ou la santé, la formation n'est-elle pas le meilleur investissement, au sens le plus noble du terme, que l'on puisse faire ? Les partenaires sociaux, en particulier les organisations syndicales, auraient tout à y gagner : leur place dans l'entreprise, amoindrie ces dernières années, en serait rehaussée.

M. Claude Jeannerot. - L'acte III de la décentralisation, si j'ai bien entendu le Président de la République lors des Etats généraux de la démocratie territoriale, donnera aux régions une compétence pleine et entière en matière de formation ; je m'en réjouis. Le texte que l'on nous proposera aura vocation à poser le cadre d'un service public de l'orientation et de la formation. Cette clarification sera bienvenue : nos concitoyens en ont véritablement besoin !

Le président de l'association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), que nous venons d'auditionner, évoque une refondation de l'institution qui, dans les grandes lignes, est cohérente avec votre discours ; c'est très rassurant. Il fait de la question des fonds propres un préalable au redressement de l'association : l'Etat et les régions sont-ils prêts à lui apporter les capitaux nécessaires ? L'ancien gouvernement a longtemps évoqué la possibilité de transmettre à l'association l'ensemble des biens immobiliers détenus par l'Etat pour s'apercevoir, au bout du chemin, que c'était une impasse juridique. Désormais, l'Etat défend une logique de baux emphytéotiques. Dans quelles conditions ceux-ci seraient-ils conclus ? Ces questions sont essentielles pour la pérennisation de l'Afpa.

Si la formation devient un SIEG, il faudra des modalités d'achat de formation qui garantissent une certaine stabilité entre l'opérateur et le donneur d'ordres. Nous devrons également rationaliser les diverses instances chargées du pilotage régional de la politique de formation.

En tant que président de conseil général, et au moment où l'on parle beaucoup des synergies entre départements et régions, j'insisterai également sur la nécessaire complémentarité entre insertion et formation.

Une dernière question, enfin, sur un point plus précis : le Gouvernement entend-il maintenir, dans le projet de budget pour 2013, la rémunération de fin de formation (RFF) pour les demandeurs d'emploi en fin de droit ? Quel coût représente-t-elle ? Le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) participera-t-il à son financement ?

Mme Caroline Cayeux. - Le droit à la formation tout au long de la vie est un thème qui nous tient à coeur depuis longtemps. Ancienne élue régionale, je suis une adepte de la spécialisation et du regroupement des compétences pour les collectivités territoriales. En revanche, vous avez peu parlé d'un partenaire important pour les régions : l'Europe. Elle joue un rôle essentiel pour les plans locaux pour l'insertion et l'emploi, les Plie, ou encore les maisons de l'emploi et de la formation. En Picardie, ils ont été développés en parallèle du service public de l'emploi, ce que je regrette tout en notant que les services partagent le même bâtiment dans ma ville. Une clarification des outils de formation et d'insertion serait souhaitable sous réserve de savoir comment, financièrement parlant, cela s'organisera. De fait, pour les dossiers d'insertion, le Plie passe par les régions pour obtenir des fonds européens.

Dans les collectivités locales, les agents participent déjà à l'élaboration du programme de formation en s'inscrivant aux sessions qu'ils veulent suivre.

M. René Teulade. - Ce n'est pas toujours vrai.

Mme Caroline Cayeux. - De même, les salariés via la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. Concernant l'alternance, il existe déjà les schémas régionaux de formation.

Ce qui me frappe est de voir des emplois ne pas trouver preneur. Toute la difficulté est, en fait, d'adapter l'offre, de manière souple et réactive, aux besoins des entreprises locales. Rien n'est moins simple : il peut s'écouler jusqu'à deux ans avant qu'une formation se mette en place.

M. René-Paul Savary. - Au début, votre présentation, monsieur le ministre, m'a paru plutôt convenue. Et puis, tout à coup, j'ai entendu du neuf. Vous avez mis le doigt sur ce qui doit effectivement changer : le service public de l'orientation. Je vous souhaite bon courage : pour l'éducation nationale, l'alternance et l'apprentissage restent des choix par défaut. La reconnaissance comme SIEG peut être la solution pour résoudre certains problèmes que l'on observe parfois sur le terrain : des gens qui se forment d'abord pour bénéficier du statut de stagiaire de la formation professionnelle ou qui sont orientés vers des formations qui ne correspondent pas vraiment à leurs besoins, simplement parce qu'il faut un nombre minimum d'inscrits pour que la formation démarre. Cela supposera l'agrément des différentes structures et la tâche sera complexe.

Président du conseil général de la Marne, je suis, comme M. Jeannerot, préoccupé par l'articulation entre l'insertion, qui dépend du département, et la formation, qui relève de la région. Les départements, étranglés financièrement par le coût du RSA, peinent à exercer correctement cette compétence. Pourtant, du temps du RMI déjà, nous avions innové : la région payait la formation ; et nous, les revenus de son bénéficiaire.

Enfin, un point fondamental, la gestion des ressources provenant du fonds social européen (FSE). Mieux vaudrait la confier aux départements, qui, pour certains, s'en occupent déjà, plutôt qu'aux régions comme le souhaite le Président de la République. Ce serait bénéfique pour les associations, en particulier celles qui travaillent à l'insertion par l'activité économique, pour lesquelles il faudrait d'ailleurs clairement désigner un chef de file. Ce monde, qui a fait la preuve de son intérêt, souffre inévitablement en période de restriction budgétaire, parce qu'il est à cheval sur plusieurs catégories : l'emploi, l'insertion et la formation.

M. Guy Fischer. - Mon expérience professionnelle, puis en tant qu'élu, m'a permis de mesurer les obstacles qui se dressent sur le chemin de la formation et de l'insertion. De ce point de vue, monsieur le ministre, vous avez raison d'affirmer une volonté.

Je veux me faire l'interprète des jeunes en très grande difficulté ; pour eux, il faut trouver des solutions, dans la proximité. L'insertion est difficile, elle l'est plus encore quand le chômage explose ; il suffit de faire le point avec les bénéficiaires du RSA sur les suites des actions qu'on leur a proposées pour s'en rendre compte. Cela montre bien le rôle que doit jouer la région, car sa compétence est naturellement à conforter, et celui des départements, à qui revient l'insertion, notamment dans les quartiers populaires.

Mme Annie David, présidente. - Puisqu'il ne revient pas au ministre de trancher aujourd'hui entre les départements et les régions, je m'en tiendrai à quelques questions. Le moindre recours à la formation s'explique-t-il par une moindre appétence des salariés ou par des difficultés d'accès ?

Les centres d'information et d'orientation (CIO) de l'éducation nationale sont très malmenés. Comment les intégreriez-vous dans le service public de l'orientation ? D'autre part, si les régions pilotent l'orientation, comment l'Etat garantira-t-il aux citoyens un égal accès en tout point du territoire aux formations, qui doivent, certes, être adaptées aux bassins de vie ?

Enfin, parce qu'il faut bien parler de finances, la demande de fonds propres de l'Afpa vous semble-t-elle justifiée ? Si oui, comment procéder ?

Le fait d'avoir un service public de formation qui répondrait aux critères des SIEG permettrait-il d'échapper à certains appels d'offres qui le mettent en difficulté ?

Vous l'avez compris : nous sommes attentifs à l'action de votre ministère. Mais quel serait l'avenir du ministère de la formation professionnelle dès lors que la politique de formation serait régionalisée ?

M. Thierry Repentin, ministre. - Je veux d'abord réaffirmer ce qui peut apparaître comme une contradiction : dans le cadre de la décentralisation, les régions resteront prééminentes ; leur rôle d'animation, leur bloc de compétences seront confortés. Mais il n'empêche que l'Etat doit fixer les règles essentielles du service public de l'orientation et de la formation. La décentralisation n'est possible que si l'Etat est fort, stratège, et qu'il indique les grands axes de la politiques de formation professionnelle. Les règles seront élaborées dans le cadre d'un dialogue avec les deux chambres du Parlement. Il reviendra ensuite aux régions d'adapter la politique nationale de formation professionnelle aux exigences de leurs territoires, et le cas échéant de dépasser le cadre minimum ainsi défini. Les lois de décentralisation de 1982 n'ont pas conduit l'Etat à abandonner des politiques. En l'occurrence, il devra se recentrer sur sa responsabilité : assurer qu'en chaque point du territoire les demandes d'orientation et de formation professionnelles trouvent une réponse identique.

Les déclarations du Président de la République sont claires : les politiques de formation professionnelle et de développement économique vont de pair. La politique de l'emploi reste une politique nationale, mais l'Etat doit l'harmoniser avec la politique de formation professionnelle mise en oeuvre par les régions. Cela implique qu'il conserve un certain nombre d'outils permettant d'assurer une péréquation.

En matière de formation des personnes handicapées, des détenus, des travailleurs migrants, des Français de l'étranger, l'Etat va transférer aux régions les compétences qu'il avait gardées jusqu'ici, ainsi que les ressources correspondantes provenant du fonds social européen (FSE). Je souhaite toutefois que l'Etat conserve une partie des ressources du FSE pour permettre une péréquation entre les régions. Les Plie et les missions locales, structures très aidées par le FSE, devraient bénéficier de la décentralisation : le montage des dossiers devrait gagner en rapidité, leur gestion à l'échelon de proximité devrait gagner en efficacité. Cela étant dit, la décentralisation des outils de formation professionnelle devra s'accompagner de la définition d'un cahier des charges national afin que la qualité de service reste la même partout en France. Les Plie et les maisons de l'emploi ont vocation à rester partie prenante du service public de l'emploi, au-delà de l'acte de décentralisation, et à être toujours financées par le FSE, en dépit des incertitudes qui planent sur les négociations actuellement en cours pour son abondement sur la période 2014-2020. Chaque pays a en effet sa propre analyse des fonds structurels qu'il conviendra de privilégier à l'avenir. Je remercie à ce propos votre commission de relayer l'importance, pour la permanence des politiques de l'emploi et de la formation professionnelle, de maintenir en l'état le FSE, même si d'autres fonds, comme le fonds européen de développement régional (Feder), présentent des avantages indéniables.

J'en arrive à la rémunération de fin de formation (RFF). Comment allons-nous trouver les moyens de continuer à rémunérer des personnes se trouvant dans un cycle de formation plus long que leur durée d'indemnisation par l'assurance chômage ? C'est une question sensible : auparavant, on a fait porter cette responsabilité aux partenaires sociaux en ponctionnant 300 millions d'euros dans le FPSPP, dont une partie permettait de financer la RFF. Nous avons décidé de ne plus ponctionner ce fonds, mais, dans le cadre d'un dialogue renouvelé avec les partenaires sociaux, nous espérons que la ligne budgétaire correspondant à la RFF pourrait être abondée, de manière volontariste, par le FPSPP. A ce jour, les partenaires sociaux sont favorables à l'apport de 60 millions d'euros sur les 120 millions qui seront nécessaires pour financer le dispositif en 2013. En tout état de cause, je ne présenterai pas d'amendement pour ponctionner le FPSPP.

Comme Caroline Cayeux, je suis sensible à la notion de formation tout au long de la vie. Et je ne m'interdis pas de reprendre les idées de bon sens avancées par les uns ou les autres. Je pense notamment au rapport de la sénatrice Patricia Schillinger ou à celui de Gérard Larcher, rendu public au printemps dernier.

Un mot sur le droit à la formation et la GPEC. Plusieurs d'entre vous ont souligné la nécessité de considérer la formation comme un investissement. C'est une évidence qui doit être réaffirmée car c'est un des derniers leviers qui reste dans les mains des pouvoirs publics pour améliorer la compétitivité de l'économie française. En effet, la compétition internationale impose un certain nombre de contraintes à la France : prix de l'énergie, prix des matières premières, concurrence des pays à bas coût de main d'oeuvre, parité euro-dollar... En revanche, la qualité de la formation de nos concitoyens, leur capacité à anticiper les mutations économiques, sont des éléments sur lesquels on peut encore agir. Je n'ai de cesse de répéter à mes collègues que dans la compétitivité hors coût, on ne doit pas sous-estimer la formation. On peut même anticiper, en améliorant l'articulation de la GPEC et des plans de formation, qui restent des maillons faibles faute d'engagements suffisants au sein des entreprises. Il faut voir là aussi une chance pour les jeunes de France : si on écrit dans le code du travail qu'au moment de la discussion du plan de formation dans l'entreprise, chacun doit avoir oeuvré pour le développement de l'apprentissage, on crée également les bons réflexes pour ceux qui sont en attente d'un emploi.

Le ministre de l'éducation nationale tient le même discours d'ouverture : je vous renvoie à l'article publié dans Les Echos la semaine dernière, dans lequel il affirme la nécessaire ouverture de l'éducation nationale aux entreprises et prône une meilleure information sur les débouchés. Cela ne doit toutefois pas porter atteinte à la mission première de l'éducation nationale qui est d'apporter un savoir. Concernant la création du service public de l'orientation, ce n'est certes pas une partie facile, en raison du poids du passé et du nécessaire respect des statuts. Mais faire travailler ensemble tous ceux qui sont sur différents segments de l'orientation sera, à terme, un enrichissement pour chacun d'entre eux, j'en suis convaincu. C'est en outre la condition d'une harmonisation par le haut des renseignements obtenus par nos concitoyens à l'entrée dans n'importe quelle structure d'accueil.

L'adéquation entre offre et demande de formation  dépend notamment de la capacité à définir l'offre à l'intérieur d'un bassin d'emploi. Il faut d'abord améliorer la réactivité du prescripteur de l'offre de formation : le délai moyen entre la prescription et l'entrée dans la formation est aujourd'hui de six mois. Des objectifs de réduction de ces délais seront fixés avec les différents prescripteurs - Pôle emploi, missions locales, Cap emploi pour les personnes handicapées... - sous la houlette des régions. Ensuite, afin de fournir au demandeur de formation l'intégralité du panel d'offres disponibles, nous reprenons le travail sur le système d'information Dokelio, qui permettra d'inscrire directement les personnes dans les modules de formation dont on connaîtra alors la disponibilité.

La définition d'un SIEG permettra d'avoir des commandes beaucoup plus rapides qu'elles ne l'étaient auparavant, lorsque les appels d'offres se concluaient trop tard pour que les milliers de personnes en attente d'un dispositif de formation puissent in fine en bénéficier. Elle autorisera une procédure de mandatement et de commande directe dont pourront bénéficier les organismes de formation publics et privés dotés d'un agrément accordé localement.

Concernant l'Afpa, deux questions se posent : celle de son patrimoine et celle de ses fonds propres. Vous avez auditionné Yves Barou, que je recevrai dans quelques jours, et je me réjouis que vous ayez trouvé une convergence entre nos propos. Toutefois, même si je vous indique que je recherche la manière de procéder au transfert de patrimoine et à supposer que je sois favorable à une recapitalisation, cela ne résoudra pas le problème de la pérennité de l'Afpa. Il est nécessaire que la nouvelle direction nous présente son projet d'adaptation de l'outil à son nouveau contexte. C'est incontournable car cet outil n'a pas été suivi comme il aurait dû l'être, à tel point qu'il faut en redéfinir le périmètre. Vous avez dû noter des signes positifs dans l'action de l'Etat au cours des derniers mois. Ainsi en août, pour prendre en charge des frais engagés sur le bâti, le ministère a obtenu 20 millions d'euros qui ont été versés à l'Afpa. Par ailleurs, un amendement a été voté dans le projet de loi sur les emplois d'avenir pour sécuriser le paiement d'une vingtaine de millions d'euros de commandes faites par l'Etat à l'Afpa. Si nous n'avions pas la volonté de faire perdurer l'outil au-delà de l'année 2013, nous ne nous serions pas donné le mal que nous nous sommes donnés en comité interministériel de restructuration industrielle sur la mobilisation du pool bancaire ; nous n'aurions pas sollicité pendant plusieurs mois les régions pour que les modules de formation du mois de septembre soient plus remplis qu'il auraient dû l'être ; nous n'aurions pas sollicité l'association chargée de gérer le fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) pour qu'elle passe davantage de commandes à l'Afpa au cours des derniers mois ; nous n'aurions pas, enfin, trouvé de solution avec le ministère de la défense pour qu'il passe une commande de 3,5 millions d'euros à l'Afpa, lui redonnant ainsi une activité qu'il est en mesure d'assumer.

J'en viens au partage entre le département et la région. J'ignore si votre commission sera saisie du projet de loi de décentralisation. Vous pourrez toutefois donner votre avis car la formation professionnelle sera, à n'en pas douter, un élément important du texte porté par ma collègue Marylise Lebranchu. Il y a en effet des ponts à construire : la formation professionnelle à l'échelle de la région ne doit pas négliger ce que font les départements au titre de l'accompagnement du RSA par exemple, ce dont je me rends bien compte en tant que conseiller général.

Mme Annie David, présidente. - Vous l'avez dit, il y encore beaucoup de complexité dans la formation professionnelle. Vous êtes nouvellement nommé à cette tâche, mais vous vous y êtes rapidement attelé. Merci pour vos réponses, monsieur le ministre.

Jeudi 11 octobre 2012

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 - Audition de M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget

Mme Annie David, présidente. - Le PLFSS est élaboré conjointement par le ministre des affaires sociales et par le ministre de l'économie et des finances, mais l'ampleur du sujet m'a semblé justifier l'organisation de deux auditions distinctes. Nous entendrons mardi prochain Mme Marisol Touraine, accompagnée de Mmes Marie-Arlette Carlotti, Dominique Bertinotti et Michèle Delaunay, pour évoquer plus en détail les problématiques des différentes branches. Pour l'heure, nous souhaitons aborder avec M. Jérôme Cahuzac les questions liées au financement et aux grands équilibres de la sécurité sociale, dans un contexte qui, cette année, est bien particulier. L'examen de ce PLFSS sera précédé de celui d'un projet de loi de programmation des finances publiques couvrant les années 2012-2017 et qui procède lui-même, par anticipation, du projet de loi organique sur la programmation et la gouvernance des finances publiques. Notre commission s'est saisie pour avis de ces deux textes extrêmement importants pour l'évolution des finances sociales dans les prochaines années, puisqu'ils fixent le cadre d'un retour à l'équilibre après trois années de déficit record. La discussion du PLFSS comportera aussi en arrière-plan la question du mode de financement de la protection sociale, sur laquelle des réformes ont été annoncées pour 2013.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. - Marisol Touraine complétera en effet mon propos.

Le PLFSS est un projet de rétablissement d'un certain nombre de politiques de solidarité, avec les mesures concernant les victimes de l'amiante, les agriculteurs, les régimes de retraite, l'hôpital, le secteur médico-social, les personnes âgées... Les budgets correspondants ne sont pas frappés par l'effort de redressement qui impose, dans d'autres secteurs de l'action publique, une progression nulle en valeur. Il ne s'inscrit pas moins dans l'objectif de rétablissement des comptes voulu par le Président de la République et mis en oeuvre par le Gouvernement qui assume parfaitement cette priorité.

Le déficit cumulé des comptes sociaux sur la période 2002-2011 s'élève à 160 milliards d'euros. Malgré les transferts à la Cades, l'Acoss porte encore une dette de 20 milliards d'euros environ, dette qui va s'aggraver l'an prochain. Parce que cela n'est pas tolérable, ce PLFSS propose à la fois des mesures de recette et des mesures d'économie.

Première mesure d'économie, la progression de l'Ondam pour 2013, affichée à 2,7 % par rapport au montant exécuté de 2012, n'est en réalité que de 2,5 % par rapport à la précédente loi de financement. Cette progression est également inférieure aux 2,8 % enregistrés en exécution entre les exercices 2011 et 2012. La comparaison ne nous est pas défavorable. Incontestablement, des économies supplémentaires sont faites. Mais elles ne suffisent pas à rétablir les comptes : le déficit prévisionnel du régime général pour 2012 s'établit à près de 20 milliards, au lieu de 17,4 milliards initialement prévu. Il s'agit de réduire ce montant par un effort d'environ 4 milliards par rapport à l'objectif initial, c'est-à-dire de 5,8 milliards par rapport à l'exécution, qui s'ajoute aux mesures déjà décidées à l'occasion du PLFR de cet été.

Tout d'abord, par solidarité entre les générations, il sera demandé aux retraités imposables (environ les deux tiers d'entre eux) une contribution de 0,15 % sur leur pension, pour un rendement d'environ 400 millions d'euros. La contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) sera affectée en 2013 au Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Sans contribuer directement à la prise en charge de la dépendance, elle concernera tout de même les anciens - la solidarité ici est à la fois intergénérationnelle et entre retraités, elle est donc défendable.

En équité, nous demandons un effort important au régime social des indépendants (RSI). Les administrateurs de ce régime l'ont accepté et ont émis un avis favorable à l'adoption du PLFSS, ce qui est remarquable et témoigne d'une attitude responsable. Le système de cotisation des indépendants était le dernier à prévoir un plafonnement à partir de 180 000 euros. La suppression de ce plafond dégagera environ 500 millions d'euros, c'est un effort considérable, et consenti.

Nous alignons aussi le régime de cotisation des auto-entrepreneurs sur celui des métiers avec lesquels ils sont en concurrence : artisans, commerçants inscrits au registre, qui ont des obligations assurantielles et réglementaires dont peuvent s'affranchir les auto-entrepreneurs. Ces derniers conservent deux avantages : de très grandes facilités déclaratives et l'absence de cotisation minimale.

Il y aura des gagnants (environ cinq cent mille), puisque nous divisons par deux la cotisation minimale des indépendants sans pour autant soumettre à CSG les revenus en-deçà d'un certain niveau et, bien sûr, des perdants (environ huit cent mille), puisque nous déplafonnons totalement les cotisations.

Le bon sens inspire également deux mesures d'équité. Les gérants majoritaires qui se rémunèrent en dividendes pour un montant dépassant 10 % des fonds propres verront cette rémunération frappée des cotisations sociales qu'on applique aux revenus salariaux. Ensuite, les frais professionnels, pris en compte pour le calcul du bénéfice d'une entreprise, sont déduits pour le calcul de l'assiette sociale. Nous supprimons cette deuxième déduction.

Le rendement de l'ensemble de ces mesures concernant le RSI sera d'environ 900 millions d'euros.

Certaines dispositions concernent les régimes de retraite. La CNRACL verra sa cotisation augmenter de 1,35 % car, si rien n'est fait, ce régime ne pourra servir les pensions jusqu'à la fin de l'année prochaine. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les élus locaux, mais nous devons assumer cette décision - comment envisager de mettre ce régime en insolvabilité ? Et il n'est pas exclu que nous devions prendre de nouvelles mesures pour 2014.

Deux autres régimes doivent bénéficier de subsides supplémentaires. Celui des électriciens et des gaziers, d'abord, avec l'augmentation d'une taxe créée par la majorité précédente au moment de la privatisation, quand l'Etat a repris les engagements hors bilan en matière de retraite. Pour servir les prestations aux ayants droit de ce régime, il est nécessaire de relever la fourchette législative du taux sur le tarif de distribution du gaz. Quant aux professions libérales, c'est aussi avec l'accord des administrateurs de leur régime d'assurance vieillesse que le taux de cotisation monte de 8,63 % à 9,75 % afin de garantir le versement des pensions.

Deux taxes comportementales, enfin, touchent tous les Français : une hausse du droit d'accise sur la bière et une réforme de la structure de la fiscalité du tabac. Tous les Français sont concernés par les politiques de prévention, tous seront, le cas échéant, sollicités. La hausse du droit d'accise, de 3 à 8 centimes par degré par hectolitre, est importante en pourcentage, mais le montant reste raisonnable en valeur absolue : il est deux fois supérieur en Grande-Bretagne ou en Irlande, quatre fois supérieur aux Pays-Bas, qui ont d'autres traditions. L'effet prix joue, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les brasseurs s'émeuvent. Ce n'est pas de gaîté de coeur que l'on prend ces mesures d'un grand clacissisme. Les mesures sur le tabac procèdent surtout d'un souci d'efficacité en matière de hausse de prix : la structure de la fiscalité du tabac en France est originale comparée à celle de nos voisins européens. Quand les prix du tabac augmentent, les droits augmentent davantage pour les produits les plus chers. La consommation se reporte alors vers les moins chers d'où un moindre impact en termes de santé publique, comme en termes de recettes. Il nous faut donc harmoniser la structure de la fiscalité sur le tabac avec celle de nos voisins, en augmentant davantage la part proportionnelle que la part spécifique, ce que nous proposons de faire à partir du 1er juillet. Ainsi, les futures hausses de prix - car il y en aura - produiront leur plein effet. De même, nous commençons à corriger la fiscalité sur le tabac à rouler : elle est moins forte que sur les cigarettes, ce qui crée un déport de consommation vers ce tabac pourtant plus nocif. Aussi faisons-nous passer de 60 à 62 % les droits sur ce tabac, afin de commencer à rattraper le taux de droit commun de 75,25 %. Nous ferons le reste du chemin dans un autre PLFSS.

Je n'oublie pas l'harmonisation de l'assiette des assureurs à la C3S et l'alignement sur la définition du chiffre d'affaires retenu pour la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cette mesure de cohérence.

Avec le carried interest, des gestionnaires de fonds, dès lors qu'ils mettent au moins 0,25 % de la mise, bénéficient d'une part allant jusqu'à 20 % des profits résultant des investissements ainsi réalisés, à condition toutefois d'avoir conservé leurs titres pendant plusieurs années. Un forfait social à 20 % pourrait être un peu lourd ; il reviendra au travail parlementaire de préciser les choses, car il ne s'agit pas de compromettre un système dont notre économie a besoin : dès lors que les gestionnaires ne mettent pas de fonds propres, les autres investisseurs ne font rien.

Deux autres mesures en équité : il n'y a pas de raison que le forfait social sur les ruptures conventionnelles ne s'applique qu'à partir de deux plafonds annuels de la sécurité sociale, il s'appliquera donc également en deçà. L'assiette de la taxe sur les salaires sera alignée sur celle de la CSG : effort assez conséquent mais cohérent puisqu'il faut harmoniser les différentes fiscalités, au moins en termes d'assiette.

La suppression de l'option forfaitaire pour la cotisation des employeurs de salariés à domicile a fait couler un peu d'encre. Pourtant, l'avantage fiscal des employeurs n'est en rien modifié et le plafonnement global des niches ne produira ses effets qu'en 2014. Ce dispositif de déduction fiscale a été imaginé par un gouvernement de gauche, majoré par un gouvernement de droite, modifié par un gouvernement de gauche puis par un gouvernement de droite, et il est assumé par le gouvernement actuel. Il fait consensus sur son principe, même si ses modalités d'application peuvent être discutées. Ce que nous modifions, ce sont les modalités de cotisation des employeurs, car le droit d'option total entre une cotisation sur la réalité du salaire versé et une cotisation sur un forfait correspondant au Smic aboutit à ce que la majorité choisisse la cotisation au forfait. Or ce n'est pas l'intérêt des employés, puisque les cotisations les concernant sont souvent établies sur une base inférieure à leur rémunération réelle. Cette forme de négation de leurs droits sociaux ne nous paraît pas acceptable. Nous demandons aux employeurs de cotiser sur la réalité du salaire versé, sans toucher pour autant à leur avantage fiscal.

Enfin, les élus locaux devront désormais cotiser sur la réalité de leur indemnité, mais avec une franchise à 18 000 euros car en deçà, les élus concernés, souvent des maires de petites communes rurales, accomplissent un travail qui s'apparente à du bénévolat. Au-delà en revanche, il est équitable de demander aux élus locaux de cotiser sur la réalité de leur indemnité.

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Merci pour votre exposé très clair.

Mme la présidente l'a rappelé, notre commission a souhaité se saisir pour avis du projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, comme d'ailleurs du projet de loi de programmation. Compte tenu de l'importance, au sein des finances publiques, des prélèvements obligatoires affectés aux organismes de sécurité sociale ainsi que de leurs dépenses, et des spécificités de leur mode de régulation et de pilotage, il semble en effet indispensable que la commission puisse faire entendre sa voix.

Pour améliorer encore les lois de programmation et asseoir leur crédibilité, vous semble-t-il possible de prévoir des dispositions plus détaillées, sur l'objectif de dépenses des régimes obligatoires de sécurité sociale ? Peut-on imaginer un pouvoir de nomination par les commissions des affaires sociales des membres du Haut Conseil des finances publiques, ou au moins garantir que ceux-ci possèdent de réelles compétences en matière de finances sociales ? Pourrait-on prévoir dans le PLFSS, comme c'est le cas dans le PLF, un tableau de synthèse sur le solde structurel et le solde effectif des administrations de sécurité sociale afin de mieux articuler les engagements pluriannuels avec le vote annuel du Parlement en matière sociale ? Que devient le Comité d'alerte de l'assurance maladie après la création du Haut Conseil des finances publiques ? Il importe de donner à la commission des affaires sociales la capacité d'intervenir le plus en amont possible.

Vos projections font état, d'ici 2017, d'un déficit cumulé du régime général de l'assurance maladie de 22,1 milliards d'euros : une reprise de dette par la Cades est inéluctable. Peut-on envisager que les recettes transférées pour l'amortissement à venir des dettes issues de l'assurance vieillesse (62 milliards au maximum) contribuent à l'amortissement des dettes issues de l'assurance maladie ? La dette à amortir en provenance des déficits de l'assurance vieillesse et du fonds social vieillesse serait « seulement », si je puis dire, de 50,5 milliards d'euros. Sinon, quels sont les scénarios envisageables pour financer la Cades sans prolonger la durée de vie de la dette sociale ?

Le Gouvernement table sur une progression des recettes des organismes de sécurité sociale de 3 % par an à compter de 2013. Si l'on raisonne hors mesures nouvelles, quelles peuvent être les assiettes fiscales, susceptibles le cas échéant de se substituer aux cotisations sociales, avec le même dynamisme et un rendement identique ? Les taxes comportementales, qui visent par nature à détruire l'assiette sur lesquelles elles sont assises, peuvent-elles répondre aux exigences de rendement prévues par la programmation des finances publiques ? Enfin, reste-t-il des marges de manoeuvre dans la réduction des niches sociales ?

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué.Nous n'avons pas souhaité alourdir le contenu des lois de programmation, puisque les informations que vous souhaitez figurent dans l'annexe B du PLFSS. Elles sont donc déjà à la disposition du Parlement. Je regrette que l'examen des lois de programmation pluriannuelles n'ait pas encore, au sein du Parlement, l'écho qu'il mérite. C'était pourtant bien l'esprit de la LOLF que d'instaurer un chaînage vertueux entre loi de règlement, débat d'orientation budgétaire, loi de programmation, loi de finances initiale, loi de financement de la sécurité sociale, afin de tenir compte des résultats de l'année précédente et des prévisions pour l'année suivante pour programmer correctement les choses.

En ce qui concerne les nominations au Haut conseil des finances publiques, je n'interviendrai pas : c'est la libre administration des Assemblées. La séparation des pouvoirs doit être respectée. Le Parlement est souverain, il lui revient de déterminer l'organisation de ces procédures. Je m'en remettrai à la sagesse sur ces sujets.

Le tableau de synthèse sur les soldes des administrations publiques, prévu par le projet de loi organique, tient compte à la fois du PLF et du PLFSS. Nous avons prévu qu'il figure dans le PLF parce que celui-ci est voté en dernier, ce qui permet d'intégrer les modifications intervenues dans la discussion parlementaire, tant en PLF qu'en PLFSS. C'est l'unique raison de ce choix. Il ne s'agit pas de minorer le rôle d'une commission ou de magnifier tel ou tel texte.

Le comité d'alerte de l'assurance maladie conservera son rôle après la création du Haut Conseil des finances publiques.

S'agissant des déficits de la branche vieillesse du régime général, les projections sont actuellement de 50,5 milliards d'euros jusqu'en 2017. La période couverte par les recettes transférées à la Cades court jusqu'à 2018. Commençons par créer les marges avant de songer à les préempter. Nous aurons l'an prochain un débat sur les retraites et en la matière, il n'y a pas de grande réforme définitive, mais de nécessaires ajustements périodiques. Ne nous interdisons pas toute possibilité d'action face aux évolutions.

Vous m'interrogez sur les prévisions de recettes sur lesquelles le Gouvernement fonde ses engagements. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale va conduire des travaux et il serait indélicat, avant même qu'il n'ait rendu ses conclusions, d'indiquer ce que le Gouvernement compte faire.

Les taxes comportementales, si elles sont bien conçues, détruisent en effet l'assiette sur laquelle elles sont assises. En matière d'alcool et de tabac toutefois, il semblerait que l'on ait du mal à détruire l'assiette ! L'effet prix est réel, mais il ne suffit pas, comme l'atteste la fameuse règle des trois P : prix, prévention, publicité. Le sort de cette dernière a été réglé par la loi de 1991 ; l'objectif d'augmentation des recettes n'exclut pas toute dimension de santé publique.

Je suis ouvert à toute suggestion du Parlement en matière de réduction des niches. Les chiffres sont accablants : près de 70 milliards d'euros par an pour les niches fiscales, 68 ou 69 milliards d'euros pour les niches sociales, d'après les chiffres de la Cour des comptes. Sans être des niches à proprement parler, les modalités particulières de calcul de l'impôt coûtent tout de même 85 milliards d'euros par an. Il y a donc de la marge. Encore faut-il préciser ce qu'on appelle niche : les 10 % d'abattement pour frais professionnels des retraités, la CSG particulière selon le niveau de revenu sont des niches, le dispositif sur les employeurs à domicile aussi. Le principe de la niche fiscale ou sociale n'est contesté par personne : la fiscalité a toujours été un bon moyen d'inciter ou de contraindre. On peut néanmoins discuter de leur niveau. Avoir augmenté entre 2002 et 2007 le coût des niches fiscales de 50 % fut peut-être excessif.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Je salue deux excellentes dispositions de ce PLFSS : la possibilité pour toute personne victime de l'amiante de partir à soixante ans et la révision des conditions de majoration au titre des tierces personnes.

La branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), dont je suis rapporteur, représente 13,3 milliards ; elle a un déficit cumulé de 1,7 milliard, même si pour 2013 un excédent de 300 millions est annoncé. Ce déficit a jusqu'à présent été couvert par l'Acoss. En 2010, notre commission et son rapporteur général de l'époque s'étaient opposés au projet du précédent gouvernement de transférer ces déficits à la Cades, et cette position n'a pas, je pense, varié. Envisagez-vous de solliciter la Cades ? Sinon, comment résorber cette dette ? Depuis 1981, les cotisations des entreprises ont considérablement diminué, et quand on sait que 0,1 % de cotisation rapporte 500 millions, on se dit qu'avec une augmentation lissée des cotisations, la branche s'équilibrerait toute seule dans le respect de sa vocation assurantielle.

Les intérêts restent à la charge de l'Acoss. Même si celle-ci emprunte actuellement à des taux intéressants, ne serait-il pas souhaitable, à titre pédagogique, que les 20 millions d'euros correspondants soient supportés par la branche ?

Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) diminue de 200 millions. On nous assure - et je le crois volontiers - que les crédits inscrits suffiront à répondre aux obligations liées à l'indemnisation des victimes de l'amiante. A-t-on tenu compte des engagements du Gouvernement visant à apurer le contentieux consécutif à un jugement du tribunal de Douai, en renonçant au remboursement que le Fiva avait à juste titre demandé à des personnes ayant anormalement, mais en toute bonne foi, cumulé pendant un certain temps pension d'invalidité et pension de retraite ?

Lors de la réforme des retraites, il avait été prévu que la branche AT-MP verse à la branche vieillesse une participation compensant les départs anticipés à la retraite liés à un taux d'invalidité (110 millions en 2012, 35 millions en 2011). Elle ne figure pas dans l'avant-projet. Je me réjouirais d'un changement de cap.

Au risque de vous mettre dans l'embarras, je ne saurais passer sous silence les indemnités journalières pour accident du travail, fiscalisées par la loi de finances pour 2010. Devant la grogne, la fiscalisation avait été limitée à 50 %. Elle n'en reste pas moins anormale. Ces indemnités sont forfaitaires en vertu d'un accord entre les partenaires sociaux : 80 % pendant vingt-neuf jours, 60 % ensuite. La personne, qui n'est pas responsable de son accident, est déjà pénalisée puisqu'elle ne touche pas son salaire plein.

Mme Annie David , présidente. - Je m'associe particulièrement à cette dernière question.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - L'augmentation de 0,05 % des cotisations d'accidents du travail permettra un excédent de 300 millions d'euros en 2013 : oui, c'est la branche qui a vocation à apurer sa dette, incontestablement. Avec le temps, cela devrait être possible. En attendant, c'est l'Acoss qui s'en charge : elle emprunte sur les marchés à de très bonnes conditions, sa signature équivalant en qualité à celle de l'Etat. En 2012, ses frais financiers ont été d'environ 20 millions d'euros à ce titre, ce qui, sans être négligeable, reste très supportable. L'an prochain, pour l'ensemble des régimes, l'Acoss empruntera 27 ou 28 milliards. Le plafond de 29 milliards prévu par le PLFSS peut paraître élevé, mais il est bien inférieur à celui de 2010, qui atteignait 65 milliards. L'Acoss est familière de cet exercice qu'elle vit très sereinement. Au demeurant, il y a une convention entre l'Acoss et la Caisse des dépôts, qui porte sur 14 milliards et dont on n'a mobilisé que 900 millions en 2012. Il y a une marge pour faire face à d'éventuelles tensions sur les marchés. En 2013, l'Acoss pourra continuer à jouer son rôle d'emprunteur et de prêteur mais des réformes de structure sont inéluctables. On ne peut déjà plus transférer des dettes à la Cades si on ne les accompagne pas des ressources supplémentaires nécessaires à leur amortissement sans prolongation de la durée de vie de la Cades : la décision du Conseil constitutionnel est sans ambiguïté.

Sur la décision de justice concernant les victimes de l'amiante, les modalités juridiques permettant de régler cette affaire délicate sont en cours de définition.

S'agissant des transferts entre la branche AT-MP et la branche vieillesse au titre des retraites anticipées pour pénibilité, la Cnav a reçu en 2012 une dotation suffisante pour passer l'année. La montée en charge du dispositif étant plus lente que prévu, il n'y a pas de dotation pour 2013.

La fiscalisation des indemnités journalières d'accident du travail résulte d'un amendement contre lequel nous avions vigoureusement protesté. On peut, comme Jean-François Copé, présenter une telle mesure comme le début de la lutte contre des niches sociales indues ; on peut aussi se demander - c'est ce que j'avais fait - pourquoi on s'attaquait à cette niche plutôt qu'à une autre. C'est bien pourquoi ce PLFSS préfère à la suppression de telle ou telle niche, un plafonnement global (10 000 euros par an et par foyer fiscal), laissant le soin aux agents économiques de faire un choix. On peut parier qu'avec le temps certaines niches tomberont en désuétude et l'on pourra les supprimer alors sans déclencher de protestation. Cette méthode me semble plus efficace et moins contestable. Mais il n'est pas prévu dans ce PLFSS de revenir sur cette disposition...

Mme Annie David, présidente. - Le revenu de remplacement des accidentés du travail est inférieur à leur revenu initial.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Il n'est pas imposé comme le revenu initial !

M. Gérard Longuet. - L'impôt est progressif.

Mme Annie David, présidente. - Dans ce cas, qu'on porte le revenu de remplacement à 100 % ! On n'a pas pris le problème dans son ensemble. En la circonstance, on revient sur l'accord initial entre les partenaires sociaux. Celui-ci prévoit une indemnisation forfaitaire parce que la faute est imputable à l'employeur. Là, le gouvernement précédent, qui a touché à un équilibre acquis de longue date entre les partenaires sociaux, aurait dû passer par un protocole social et des négociations. Je regrette vivement qu'il n'y ait rien sur ce point dans le PLFSS.

Quant à la prise en compte de la pénibilité, elle a du mal à se concrétiser. Comme nous le craignions, très peu de personnes peuvent partir grâce à cette mesure qui n'a donc guère de sens. Nous devrons y revenir avec M. Sapin.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Le Gouvernement demande à tous les revenus de contribuer, à leur mesure, au rétablissement des finances publiques. Il est dès lors délicat d'en exclure certains, fussent-ils de remplacement. Et comme l'impôt est progressif, ils sont fiscalisés en tenant compte de leur niveau et non comme l'étaient les revenus initiaux. On n'institutionnalise pas l'injustice après le malheur. L'impôt progressif est juste ! Ou bien faut-il défiscaliser les retraites ? C'est aussi un revenu de remplacement...

Mme Annie David, présidente. - Une bonne question...

M. Gérard Longuet. - Les cotisations ont été déduites !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - C'est vrai... Ou l'on part du principe, comme je le fais, que tous les revenus doivent contribuer, et on est plus à l'aise ensuite pour taxer les très hauts revenus, ou bien l'on pense que certains doivent être épargnés, mais alors où mettre la barre ? Faut-il prendre en compte le niveau ou des catégories ? Les critères seront introuvables. Je ne crois pas opportun de rentrer dans ce type de débat. La vraie question c'est de faire contribuer chacun à hauteur de ses moyens, de manière progressive. En revanche, je persiste à juger que la mesure a été à l'époque délibérément provocatrice.

Vous avez raison sur la pénibilité : le mot n'a pas été décliné comme il aurait dû l'être. Comment en tenir compte dans le calcul de la durée de travail si on la constate après coup, pour liquider la retraite ! Les salariés concernés n'ont rien gagné en temps de travail. Le procédé est déloyal, et nous aurons à aborder ce sujet de manière radicalement différente lors de la réforme des retraites l'an prochain.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Je partage votre avis sur la nécessité d'une fiscalité progressive.

L'accord entre partenaires sociaux prévoyait que le taux des indemnités journalières d'accident du travail était de 80 % puis de 60 %, en contrepartie de leur défiscalisation...

M. Gérard Longuet. - C'est un accord à deux mais c'est le contribuable qui paie...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Ce sont les meilleurs accords !

M. Jean-Pierre Godefroy. - Comme l'accord a été rompu, les partenaires sociaux pourraient demander la réouverture des discussions. Peut-être même abandonnerait-on le système de présomption d'imputabilité, au risque d'ouvrir la voie à des procédures contentieuses qui nourriront des cabinets spécialisés.

Mme Annie David, présidente. - Sur la fiscalité, je suis d'accord avec vous : il faut que tous les revenus participent, y compris les revenus financiers. N'hésitez pas à y aller...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Certains trouvent que nous allons trop loin.

Mme Annie David, présidente. - N'écoutez pas les cris de ceux qui se nomment eux-mêmes les pigeons !

Mme Laurence Cohen. - On ne peut parler des ressources de la protection sociale si l'on oublie que notre pays compte trois millions de chômeurs ! Quel gâchis humain, quel manque à gagner ! Qu'envisagez-vous ?

Parvenir à l'égalité professionnelle, conformément à la volonté politique affichée par la ministre aux droits des femmes, constituera aussi un élément important pour le financement de la protection sociale.

Alors que nous débattons du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, nos collègues députés européens socialistes font état d'informations alarmantes en provenance de Bruxelles. Des projets de directive envisageraient d'ouvrir la sécurité sociale aux assurances privées. Ce serait un coup terrible porté à notre sécurité sociale. Les textes sont complexes, le diable se niche dans les détails de leurs annexes. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Vous évoquez des travaux que je ne connais pas. Une chose est sûre : ce n'est pas ce Gouvernement qui privatisera la sécurité sociale !

Mme Laurence Cohen. - Ça dépend...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Non ! Je vous le garantis.

Mme Laurence Cohen. - Quand on signe un traité...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Aucun article du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ne prévoit un tel bouleversement ! Il s'agit d'un traité de finances publiques. Les Etats restent totalement maîtres de l'organisation de la protection sociale. Le rééquilibrage des finances publiques n'est pas une contrainte d'ordre externe mais interne. Dépendre du marché constitue une perte de souveraineté. Il s'agit de nous déprendre d'une contrainte pour retrouver une liberté d'action. Même si les taux d'intérêt sont historiquement bas, on ne peut rester sous cette menace ni accumuler pour le fonctionnement courant des dettes qui constitueront pour ceux qui arrivent un impôt à la naissance. Tant que la puissance publique asséchera le marché de la liquidité pour son usage, ce sera autant de capitaux qui ne seront pas investis par les entreprises, de richesses qui ne seront pas créées. Le système n'est plus tenable pour des raisons d'indépendance nationale, de respect des générations futures et de création de richesse. Inutile de faire référence à un traité ou à je ne sais quelle directive pour que cette contrainte s'impose à nous.

Mme Annie David, présidente. - Les questions sur le chômage et l'égalité salariale pourront trouver des réponses dans nos débats futurs.

M. Gérard Longuet. - Nouveau dans cette commission, je suis impressionné par votre maîtrise des sujets.

J'aimerais connaître votre sentiment sur les lignes de force de ce quinquennat sur le financement de la protection sociale. Au moment où Louis Gallois prépare un rapport sur la compétitivité, quel est selon vous le juste équilibre entre financements issus de la production et de la consommation ? Si à long terme les différences s'estompent, à court terme elles sont importantes dans un monde concurrentiel.

Le rapport entre effort personnel et effort collectif peut-il évoluer ? Tendanciellement les dépenses de santé ne peuvent qu'augmenter, avec le vieillissement, l'élargissement de l'accès aux soins, la hausse de l'exigence de qualité, etc. La dépendance, en outre, est un thème passionnant, car si la protection sociale protège des risques, elle constitue quant à elle une certitude, ou une forte probabilité...

Les salariés et les travailleurs indépendants n'obéissent pas aux mêmes règles. Le salarié a un contrat, qui détermine sa rémunération en échange d'heures de travail ; le travailleur indépendant entretient un autre lien au capital ; il exerce un arbitrage permanent entre ce qu'il fait aujourd'hui et ce qu'il touchera, peut-être, demain.

Quelle est votre vision de la juste appropriation des gains de productivité en matière de santé ? Par exemple, on stigmatise volontiers l'augmentation du budget de transports des malades, qui est pourtant la contrepartie de la nouvelle carte hospitalière et du développement de la médecine ambulatoire. Les gains de productivité dans un secteur entraînent des coûts pour d'autres secteurs. Comment la solidarité peut-elle fonctionner dans ces conditions si en croyant boucher ici un trou l'on crée ailleurs une dépense ?

Mme Annie David, président. - Mme Touraine pourra répondre à votre dernière question la semaine prochaine.

Mme Aline Archimbaud. - Vous avez évoqué la fiscalité comportementale qui augmente les recettes de l'Etat tout en modifiant les comportements. Avez-vous réfléchi à la mise en place d'une fiscalité environnementale ? Les produits dangereux pour la santé, comme les pesticides ou les particules fines, provoquent des frais supplémentaires en matière de santé. Il est peut-être temps d'enclencher une dynamique.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Le débat sur la compétitivité sera passionnant, Je ne sais quelle vision l'emportera dans l'opinion sur cette question qui n'a rien de médiocre.

M. Gérard Longuet. - Elle est même essentielle.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Absolument ! Je regrette qu'avant de nous demander comment financer la protection sociale, nous n'ayons pas répondu à une question fondamentale : combien souhaitons-nous y consacrer ? Or, la différence de compétitivité entre la France et l'Allemagne s'explique, en grande partie ainsi : l'Allemagne consacre moins que la France à sa protection sociale. A ne pas trancher cette question du combien, nous répondrons mal à la question du comment qui domine le débat...

Notre choix politique a été de ne pas augmenter la TVA ni la CSG pour protéger la consommation des ménages, seul moteur de notre peu de croissance. Méfions-nous à cet égard des comparaisons. Il est vrai que l'Allemagne a augmenté sa TVA de trois points, pour en consacrer deux au désendettement et seulement un à la compétitivité, ou que le Danemark a un taux de TVA de 25 %. Cependant la structure économique y est différente : en France, 60 % de la croissance proviennent de la consommation des ménages, tandis qu'en Allemagne 60 % de la croissance proviennent des exportations !

M. Gérard Longuet. - Et la démographie ?

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Elle est plus favorable en France.

M. Gérard Longuet. - Plus coûteuse !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Elle est surtout plus prometteuse...

Gardons-nous d'imiter des pays qui ont une autre structure économique. Le coût du travail pose un problème incontestable dans l'agroalimentaire : la France, autrefois première puissance européenne, est désormais au troisième rang, derrière l'Allemagne et les Pays-Bas. Les raisons en sont d'ordre conjoncturel : l'Allemagne importe des pays de l'Est une main-d'oeuvre à bon marché. Cela ne durera pas.

Le même problème se pose dans les services. En revanche dans l'industrie, le coût du travail, qui était inférieur en France, a augmenté et a rejoint le niveau allemand, mais les chiffres de l'Insee sont clairs, il ne l'a pas dépassé. A coût du travail équivalent, les produits français sont de moins bonne qualité, de gamme inférieure et la structure des exportations est insatisfaisante. L'Allemagne n'a qu'un seul organisme d'aide aux exportations, contre sept ou huit en France. Sophie de Menthon, présidente d'Entreprises de taille humaines indépendantes et de croissance (Ethic), a montré dans un rapport récent comment les PME qui voudraient exporter se perdent dans le maquis des aides.

Autre différence : en Allemagne, les grands groupes sont assez patriotes pour jouer le jeu avec les entreprises de taille intermédiaire, tandis qu'en France ils les pressurent quand ils ne les assassinent pas.

Il faut avoir en tête ces éléments en abordant le débat sur la compétitivité. Veut-on reporter davantage le coût du travail sur la consommation ? C'est pourtant ce que l'on fait depuis 1945.

M. Gérard Longuet. - La faute à qui ?

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Que fait-on, on continue ? Nous disposons de trois possibilités : la TVA, la CSG ou les deux. Nous sommes revenus sur la TVA sociale qui n'aurait pas produit les effets escomptés. Baisser de 2 % le coût du travail, qui représente 20 % à 40 % du coût du produit fini, entraîne une baisse de 0,4 % à 0,8 % en une fois. On est loin de rattraper l'écart de compétitivité avec l'Allemagne, sans compter que pour parvenir à une nouvelle baisse du coût, il faudrait renouveler l'exercice les années suivantes, ce que les promoteurs de cette mesure s'étaient bien gardés de dire.

La CSG ? J'ai toujours soutenu cet excellent impôt avec une assiette large et un taux encore bas. Mais ne lui en demandons pas trop. On oublie que 70 % de son produit est issu des salaires. Augmenter la CSG pour financer la protection sociale ou l'abaissement du coût du travail, reviendrait à les faire financer par les salaires : est-ce opportun quand on veut protéger la consommation ? Inversement, si l'on choisit de protéger les salariés, les efforts pèseront sur les retraités ou sur le capital. Cette année, on ne peut guère demander davantage à ce dernier. Il reste les retraités : leur demander gaillardement de financer le coût du travail paraît politiquement un peu compliqué pour tout le monde.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Très intéressant...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - J'attends avec intérêt de voir comment le débat va se nouer.

Augmenter la part des prélèvements individuels revient toujours à accroître d'une manière ou une autre le prélèvement collectif. Cela marche-t-il mieux ? Non, les tickets modérateurs et autre franchises améliorent les recettes sans endiguer l'évolution des dépenses.

M. Jean-François Husson. - Pourtant, cela pourrait...

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Je ne crois pas à une explosion des dépenses de santé : à court et moyen terme, les moteurs d'accroissement des dépenses sont éteints. L'élargissement de la couverture est achevé, 96 % de la population en bénéficient contre 85 % il y a dix ans, avec un taux de prise en charge désormais comparable. Enfin, on ne voit plus apparaître de nouveaux traitements révolutionnaires.

M. René-Paul Savary. - L'imagerie médicale connaît de nombreuses avancées.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. - Il y a des substitutions. Reste la dépense hospitalière. L'immobilier hospitalier est dans un état catastrophique ? Oui, mais une fois rénové, un hôpital fonctionne pendant trente ans et les dépenses sont amorties. Avec des hôpitaux moins nombreux mais plus performants, on peut provoquer une hausse des dépenses de transport. Mais l'offre de soins ne doit pas reposer uniquement sur des grands pôles hospitaliers. La politique d'ouverture de maisons de santé, lancée sous le gouvernement précédent, est plutôt une bonne politique, l'élu local que je suis peut en témoigner. Le maillage du territoire par des maisons de santé doit être complété par des structures d'urgence élémentaire : un chirurgien de garde par région, ce n'est pas assez. Il convient de continuer à réfléchir à un remplacement des établissements traditionnels par des structures complémentaires, spécialisées, de meilleure efficience, bien réparties sur le territoire. Les suppressions pures et simples ne produisent aucune économie. C'est avec ces réflexions personnelles que je travaille en harmonie avec Marisol Touraine.

Nous amorçons la fiscalité environnementale en dopant la taxe générale sur les activités polluantes-air (TGAP-air). Il s'agit certes d'une avancée timide. A cet égard, il s'agit d'un PLFSS d'attente : il était difficile de tenir les assises tout en présentant quelque chose clef en main au Parlement.

Incomprise, censurée, la taxe carbone a été rejetée par la population. Il est difficile d'expliquer qu'on rend le prélèvement, mais pas à tout le monde. De surcroît, on pénalise l'utilisateur de la chaudière ancienne, de la voiture polluante, qui n'a souvent pas les moyens de les remplacer. En les taxant sans leur donner les moyens de faire mieux, on les piège. Voilà pourquoi elle a été rejetée.

Mme Annie David, présidente. - Merci de cette présentation qui nous donne un avant-goût des débats en séance publique sans attendre l'audition de Mme Marisol Touraine la semaine prochaine.